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Date : 20140917


Dossier : T-1280-13

Référence : 2014 CF 889

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 septembre 2014

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

NOV DOWNHOLE EURASIA LIMITED

et DRECO ENERGY SERVICES ULC

demanderesses/

défenderesses reconventionnelles

 

et

TLL OIL FIELD CONSULTING

et ACURA MACHINE INC

défenderesses

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               La présente requête est faite en vertu de l’article 51 des Règles des Cours fédérales (les Règles) en vue d’interjeter appel d’une ordonnance qu’a prononcée la protonotaire Milczynski le 27 mars 2014. Elle fait suite à une instance en contrefaçon du brevet canadien no 2 255 065 (le brevet 065). Pour les motifs qui suivent, l’appel est accueilli, et la décision de la protonotaire est infirmée.

I.                   CONTEXTE

[2]               D’après la déclaration déposée le 25 juillet 2013, la demanderesse, NOV Downhole Eurasia Limited (NOV Eurasia), une entreprise constituée en personne morale en Angleterre, est la propriétaire actuelle de l’invention décrite et revendiquée dans le brevet 065, appelée « appareil de fond de puits ». NOV Eurasia a obtenu sa participation dans le brevet 065 par suite d’une cession effectuée par l’entreprise écossaise Anderguage Limited (Anderguage). La demanderesse, Dreco Energy Services ULC (Dreco), une entreprise albertaine, détient une licence non exclusive au Canada que lui a délivrée NOV Eurasia à l’égard du brevet 065. Avant la cession de la participation dans le brevet 065 en faveur de NOV Eurasia, Dreco détenait une licence non exclusive au Canada, que lui avait délivrée Anderguage. Anderguage, NOV Eurasia et Dreco sont des sociétés liées qui mènent leurs activités au sein de la famille commerciale National Oilwell Varco.

[3]               Les défenderesses, Acura Machine Inc (Acura) et TLL Oilfield Consulting Limited (TLL Oilfield), sont des sociétés albertaines. Elles admettent que TLL Oilfield a fait la promotion et la vente à l’industrie des champs pétroliers d’un outil de fond de puits composé de pièces fournies par Acura, parfois appelé « cribleur oscillant Acura ». Les demanderesses allèguent que ce dispositif contrefait le brevet 065. Les défenderesses nient la contrefaçon et contestent la validité du brevet. Elles affirment que chacune des revendications du brevet comprend un élément mobile transversal – caractéristique qui aurait été ajoutée aux revendications au cours du processus d’examen de la demande – que leur dispositif n’utilise pas.

[4]               Dans l’ordonnance dont il est interjeté appel, la protonotaire Milczynski a accueilli la requête des demanderesses et radié les paragraphes 25 à 27 et les mots « et (ou) nulles » au paragraphe 31 dans la défense et demande reconventionnelle modifiée des défenderesses, sans autorisation de modifier. Dans les actes de procédure en cause, les défenderesses ont allégué que les déclarations faites volontairement pour tromper le Bureau des brevets soit annulent le brevet en vertu de l’article 53 de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4 (Loi sur les brevets), soit éliminent le droit des demanderesses à des réparations en equity.

[5]               Le paragraphe 53(1) de la Loi sur les brevets prescrit ce qui suit :

53. (1) Le brevet est nul si la pétition du demandeur, relative à ce brevet, contient quelque allégation importante qui n’est pas conforme à la vérité, ou si le mémoire descriptif et les dessins contiennent plus ou moins qu’il n’est nécessaire pour démontrer ce qu’ils sont censés démontrer, et si l’omission ou l’addition est volontairement faite pour induire en erreur.

53. (1) A patent is void if any material allegation in the petition of the applicant in respect of the patent is untrue, or if the specification and drawings contain more or less than is necessary for obtaining the end for which they purport to be made, and the omission or addition is wilfully made for the purpose of misleading.

[6]               La protonotaire Milczynski a conclu que les allégations de fausses déclarations se rapportent à un tiers qui n’est pas partie à cette action, Anderguage, et qu’aucune allégation importante ne pouvait relier cette entité aux demanderesses à la date du dépôt auprès du Bureau des brevets. Elle a conclu également que les allégations n’ont pas établi que l’une ou l’autre des demanderesses ou les deux demanderesses doivent subir les conséquences de l’inconduite alléguée.

[7]               En outre, la protonotaire a conclu que l’acte de procédure contesté se fondait sur l’historique de l’examen de la demande pour demander à la Cour de tirer certaines inférences en vue de délimiter la portée du monopole des revendications. Elle a statué qu’une telle démarche va à l’encontre de la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Free World Trust c Électro Santé Inc, 2000 CSC 66 (Free World). À son avis, cette décision maintient que l’historique de l’examen d’une demande de brevet ne peut servir à déterminer la validité des revendications, et que les fausses déclarations faites au cours de l’examen d’une demande de brevet n’ont aucun effet sur sa validité sous le régime de l’article 53 de la Loi sur les brevets.

[8]               Les portions contestées de la défense et demande reconventionnelle modifiée renvoient à des déclarations et à des modifications faites par Anderguage dans le cadre de l’examen de la demande du brevet 065 et à la revendication par les demanderesses du brevet 065 après la délivrance. Ce s activités, la protonotaire Milczynski a‑t‑elle statué, ne pouvaient être pertinentes pour l’application de l’article 53 de la Loi sur les brevets.

[9]               Les paragraphes en cause sont reproduits ci‑après :

[traduction]

25.       En cours d’instance de la demande relative au brevet 065, la déposante à l’époque (Anderguage Limited, ci‑après « Anderguage ») a modifié la demande relative au brevet 065. À première vue, les modifications restreignaient la portée du monopole recherché à l’égard de réalisations qui incluaient une valve dont le fonctionnement dépendait du mouvement transversal de l’une de ses parties. Toutefois, les demanderesses cherchent aujourd’hui à affirmer que la portée du brevet 065 est contrefaite par les défenderesses, en dépit du fait qu’aucun outil de fond de puits de TLL n’a jamais eu de valve ou d’élément se déplaçant de manière transversale de manière à permettre un écoulement variable par la valve.

26.       En raison des activités d’Anderguage susmentionnées et en vertu de l’article 53 de la Loi sur les brevets, le brevet 065 était nul ab initio. La revendication faite à la suite de la délivrance du brevet 065 indique que les modifications apportées à la demande relative au brevet 065 en vue censément de restreindre la portée du monopole visaient à tromper le Bureau des brevets. La demanderesse a apporté les modifications dans un but stratégique de manière censément à restreindre la portée de la demande relative au brevet 065 pour surmonter les antériorités tout en sachant que, lorsque le brevet 065 lui serait accordé, elle alléguerait à l’encontre des concurrents que le brevet a une portée beaucoup plus large. Le brevet 065 ayant été délivré, les demanderesses cherchent maintenant à désavouer les mesures prises par le Bureau des brevets de manière à revendiquer le brevet 065, assorti d’une portée plus vaste, à l’encontre des défenderesses. La conduite des demanderesses démontre une intention de tromper le Bureau des brevets en raison de leurs allégations que le brevet 065 couvre des systèmes dont la valve n’a aucun « mouvement transversal ».

31.       Les défenderesses, qui sont des demanderesses dans le cadre de la demande reconventionnelle, demandent ce qui suit :

a)         une déclaration en vertu du paragraphe 60(1) de la Loi sur les brevets selon laquelle les revendications se rapportant au brevet 065 sont et ont toujours été invalides et (ou) nulles, de manière que cette déclaration puisse être enregistrée auprès du Bureau des brevets en vertu de l’article 62 de la Loi sur les brevets;

b)         une déclaration en vertu du paragraphe 60(2) de la Loi sur les brevets selon laquelle les défenderesses ne contrefont pas les revendications 1 à 20 du brevet 065;

c)         les frais de l’action et de la demande reconventionnelle ainsi que les frais accessoires;

d)         l’intérêt avant et après jugement;

e)         la taxe de vente harmonisée;

f)         toute autre mesure que la Cour pourrait estimer juste.

[Nous soulignons.]

II.                QUESTIONS EN LITIGE

[10]           Les défenderesses soutiennent que la protonotaire a commis une erreur de droit et agi sur le fondement d’un principe erroné lorsqu’elle a conclu que les paragraphes contestés de la défense modifiée et de la demande reconventionnelle ne révèlent pas l’existence d’une défense raisonnable susceptible d’être retenue. Elles soutiennent que la protonotaire :

 

a)         a commis une erreur de droit au motif qu’elle a appliqué un critère trop rigoureux aux termes de l’alinéa 221(1)a) des Règles, car elle n’a pas tenu compte du fait que les actes de procédure contestés ont une chance de succès;

b)         a commis une erreur de droit au motif qu’elle a statué que les fausses déclarations faites dans le cadre de l’examen de la demande relative au brevet, y compris celles qui ont été faites par la voie de modifications apportées aux revendications, n’ont aucun effet sur la validité du brevet aux termes de l’article 53 de la Loi sur les brevets;

c)         a commis une erreur de droit au motif qu’elle a pris en considération une preuve inadmissible déposée par les demanderesses pour établir l’absence d’une défense valable, contrairement au paragraphe 221(2) des Règles;

d)         a commis une erreur de droit au motif qu’elle a statué que les activités alléguées de la déposante d’une demande de brevet devant le Bureau des brevets du Canada et la conduite du titulaire de brevet subséquemment ne sont pas pertinentes pour l’application de l’article 53 de la Loi sur les brevets;

e)         a commis une erreur de droit au motif qu’elle a statué que la conduite de la demanderesse déposante (une partie liée aux demanderesses et la cédante du brevet, ainsi qu’il est allégué) devant le Bureau des brevets du Canada ne peut pas priver les demanderesses du droit à une réparation en equity;

f)         a commis une erreur de fait et de droit au motif qu’elle a conclu qu’aucune allégation importante (i) ne relierait la déposante d’une demande de brevet et les demanderesses à la date pertinente, ou (ii) ne permettrait d’établir que l’une ou l’autre demanderesse ou les deux demanderesses doivent subir les conséquences de l’inconduite de la déposante;

g)         a commis une erreur de fait et de droit au motif qu’elle n’a pas tenu compte du fait que les activités alléguées de la déposante d’une demande de brevet devant le Bureau des brevets du Canada et la conduite des demanderesses par la suite peuvent fonder la décision de refuser des réparations en equity;

h)         a mal interprété les faits, car elle a conclu que la défense modifiée et la demande reconventionnelle se fondent sur l’historique de l’examen de la demande pour tirer certaines inférences aux fins de délimiter la portée du monopole relatif aux revendications;

i)          a commis une erreur de droit au motif qu’elle ne s’est pas posé la question de savoir si une modification des actes de procédure avait des chances de succès, tout en statuant qu’aucune autorisation de modifier ne serait accordée aux défenderesses.

[11]           Les demanderesses soutiennent que les questions en litige dans le présent appel sont les suivantes :

a)         La protonotaire a-t-elle eu raison de déterminer que de fausses déclarations et des modifications en cours d’examen d’une demande de brevet ne peuvent servir à déterminer la validité des revendications en application du paragraphe 53(1) de la Loi sur les brevets?

b)         La protonotaire a-t-elle eu raison de déterminer que la conduite de la déposante de la demande de brevet était sans pertinence selon le principe de la « conduite irréprochable »?

c)         La protonotaire a-t-elle eu raison de statuer que l’interprétation des revendications était un objectif inavoué des paragraphes radiés?

[12]           Les questions en litige doivent être formulées dans les termes suivants :

a)         Quelle est la norme de contrôle à appliquer à l’égard de la décision de la protonotaire?

b)         La décision de la protonotaire repose‑t‑elle sur un principe erroné ou une interprétation erronée des faits?

c)         la protonotaire a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu qu’il était évident et manifeste que les actes de procédure contestés ne révèlent pas l’existence d’une défense raisonnable?

III.             ANALYSE

A.                Norme de contrôle

[13]           Il est établi que les ordonnances discrétionnaires des protonotaires ne peuvent être modifiées en appel devant un juge que si elles soulèvent des questions ayant une influence déterminante sur l’issue de l’affaire ou qu’elles sont manifestement erronées, en ce sens que le protonotaire a fondé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire sur un principe erroné ou sur une mauvaise appréciation des faits : Merck & Co c Apotex Inc, 2003 CAF 488, par. 19; Eli Lilly Canada Inc c Novopharm Limited, 2008 CAF 287, par. 52.

[14]           Si la décision du protonotaire relève de l’une des deux catégories susmentionnées, le juge siégeant en révision peut exercer son pouvoir discrétionnaire de novo: Louis Bull Band c Canada, 2003 FCT 732, par. 13; Seanix Technology Inc c Synnex Canada Ltd, 2005 CF 243, par. 11. Dans le cas contraire, la décision du protonotaire – particulièrement dans le contexte de la gestion des cas – fait l’objet d’une retenue considérable et ne doit être modifiée que dans le cas où un pouvoir discrétionnaire judiciaire a manifestement été mal exercé : Bande de Sawridge c Canada, 2001 CAF 338, par. 11.

[15]           Les défenderesses soutiennent que les questions soulevées dans la présente requête ont une influence déterminante sur une ou plusieurs issues de l’affaire. Si elles reconnaissent que ces questions auraient normalement une influence déterminante, les demanderesses soutiennent toutefois que ce n’est plus le cas étant donné une décision antérieure rendue par la protonotaire le 16 janvier 2014. Elles affirment que les défenderesses, qui ont choisi de plaider à nouveau plutôt que d’interjeter appel, sont liées par cette décision antérieure, par laquelle ont été réglées les questions soulevées dans la présente affaire.

[16]           Dans la décision datée du 16 janvier 2014, la protonotaire Milczynski a radié deux phrases dans la défense, telle qu’elle était alors rédigée, concernant les modifications apportées aux revendications relatives à la demande de brevet 065 devant le Bureau des brevets. Elle a conclu que les défenderesses avaient cherché à déposer une preuve extrinsèque. Elles avaient invoqué la décision Distrimedic Inc c. Dispill Inc, 2013 CF 1043, par. 210 :

[…] La modification du libellé d’une revendication pour donner suite à une objection provenant du Bureau des brevets est un fait objectif à partir duquel une conclusion peut être tirée et qui ne saurait être assimilée à des observations présentées au Bureau des brevets. L’interprétation téléologique devrait bien sûr être axée sur le libellé de la revendication, mais la possibilité de tenir compte d’autres facteurs est loin d’être exclue pour autant.

[17]           La protonotaire Milczynski a conclu que les défenderesses ont cherché à se fonder sur l’historique de l’examen de la demande – à savoir le fait objectif que des modifications ont été apportées à des revendications – pour demander  à la Cour de tirer certaines inférences en vue d’interpréter les revendications. Cela venait contredire l’arrêt Free World, précité, par. 66 :

J’estime que, dans ces affaires, l’intention de l’inventeur renvoie à l’expression objective de cette intention dans les revendications du brevet, selon l’interprétation qui en est faite par une personne versée dans l’art, et non à des éléments de preuve extrinsèque comme des déclarations ou des aveux faits pendant l’examen de la demande de brevet.  Autoriser la mise en preuve de tels éléments extrinsèques pour déterminer l’étendue d’un monopole compromettrait le rôle des revendications dans l’information du public et ajouterait à l’incertitude, tout en attisant le brasier déjà intense du contentieux en matière de brevets.  La faveur dont jouit actuellement l’interprétation téléologique, qui assure la primauté de la teneur des revendications, paraît également incompatible avec l’ouverture de la boîte de Pandore que serait la préclusion fondée  sur les notes apposées au dossier.  Lorsque des observations importantes lui sont présentées concernant la portée des revendications, le Bureau des brevets devrait exiger, si besoin est, qu’une modification soit apportée en conséquence aux revendications.

[18]           À mon avis, la décision de radier les paragraphes contestés de la défense et demande reconventionnelle modifiée a une influence déterminante sur les issues de l’affaire, nonobstant la décision rendue le 16 janvier 2014. J’estime que les défenderesses avaient le droit de plaider de nouveau plutôt que d’interjeter appel de la décision et d’obtenir une décision sur le bien‑fondé des modifications. Je suis convaincu que je devrais exercer mon pouvoir discrétionnaire d’examiner l’affaire de novo. En outre, ainsi que j’en discuterai ci‑après, je suis convaincu que la protonotaire a fondé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire sur un principe erroné ou une mauvaise appréciation des faits.

B.                 La décision de la protonotaire reposait-elle sur un principe erroné ou une mauvaise appréciation des faits?

[19]           Les demanderesses ont déposé la requête en radiation en vertu des alinéas 221(1)a), c) et f) des Règles. La protonotaire a conclu qu’il n’y avait aucune « cause d’action ou défense valable » aux termes de l’alinéa 221(1)a) des Règles. Aux fins d’appliquer ce motif, le tribunal doit être convaincu hors de tout doute que le moyen de défense n’a aucune chance de succès. S’il existe une possibilité que ce moyen de défense soit retenu, sur le fondement d’une interprétation large et généreuse, l’acte de procédure ne doit pas être radié : Apotex Inc c AstraZeneca Canada Inc, 2009 CF 120, par. 26, citant Hunt c Carey Canada Inc, [1990] 2 RCS 959, par. 30 à 33.

[20]           Les défenderesses allèguent que la conduite trompeuse d’Anderguage devant le Bureau des brevets a pour effet de priver les demanderesses du droit aux mesures de réparation en equity et (ou) discrétionnaires qu’elles demandent, y compris une injonction et la restitution des bénéfices.

[21]           Ainsi que les demanderesses l’ont fait valoir, Anderguage a cédé le brevet 065 à la demanderesse NOV Eurasia, et elle est une société liée menant ses activités au sein du même commercial que NOV Eurasia et Dreco. La protonotaire s’est fondée à tort sur une preuve par affidavit suivant laquelle Anderguage et les demanderesses n’étaient pas liées à la date du dépôt de la demande de brevet. Lorsqu’il se penche sur une requête déposée en vertu de l’alinéa 221(1)a) des Règles, le tribunal d’examen est limité par le libellé des actes de procédure. Il ne peut prendre en considération aucun élément de preuve à l’appui de la requête : paragraphe 221(2) des Règles; Zero Spill Systems (Int’l) Inc c 614248 Alberta Ltd, 2009 CF 70, par. 12. La protonotaire était tenue d’examiner les actes de procédure des demanderesses tels qu’ils avaient été rédigés.

[22]           Quoi qu’il en soit, dans une action intentée par un cessionnaire en vue de faire respecter ses droits, le défendeur peut soulever contre ce dernier les moyens de défense qui lui auraient été ouverts contre le cédant : Springfield Fire & Marine Insurance Co c Maxim, [1946] RCS 604, à la page 618. Il appartiendra au tribunal du procès de déterminer s’il y a lieu de refuser aux demanderesses une mesure de réparation en equity : Hongkong Bank of Canada c Wheeler Holdings Ltd, [1993] 1 RCS 167, page 188. Je suis d’accord avec les défenderesses pour dire qu’il leur est loisible de faire valoir au procès que les demanderesses ne devraient pas tirer profit de la cession en faisant valoir le brevet à l’encontre des défenderesses, tout en évitant les conséquences de l’inconduite alléguée d’Anderguage devant le Bureau des brevets.

[23]           Je conclus par conséquent que la protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire sur le fondement d’un principe de droit erroné.

C.                 La protonotaire a-t-elle commis une erreur en concluant qu’il était évident et manifeste que les actes de procédure contestés ne révèlent l’existence d’aucun moyen de défense raisonnable?

[24]           Les défenderesses reconnaissent que la Cour suprême a statué que les observations présentées au Bureau des brevets au cours du processus de demande ne peuvent servir à interpréter les revendications du brevet après la délivrance de celui‑ci : Free World, précité, par. 66. Elles font valoir, à juste titre, que la Cour suprême a laissé ouverte la question de savoir si l’historique de l’examen de la demande peut être pertinent à des fins autres que la délimitation de la portée du monopole attribué : Free World, par. 67.

[25]           La preuve de fausses déclarations dans des documents déposés auprès du Bureau des brevets peut être jugée admissible pour établir un manquement à l’article 53 : Beloit Canada Ltd c Valmet Oy, 64 NR 287, [1986] ACF no 87 (CAF), par. 37 à 39; Weatherford Canada Ltd c Corlac Inc, 2010 CF 602, par. 323 à 330. L’objectif consiste non pas à déterminer le sens des revendications, mais à savoir s’il y a eu manquement à l’article 53. Les allégations de fausses déclarations sont importantes, au sens de cette disposition, si elles se rapportent à l’objet des revendications contenues dans le brevet. Je crois comme les défenderesses que cette question doit être tranchée par le juge du procès.

[26]           Dans la présente affaire, toute la demande est en jeu, car chaque revendication porte sur l’emploi d’un élément mobile transversal – un élément de l’invention qui ne figurait pas dans la première demande. Pour cette raison, la présente affaire diffère de celle que la protonotaire a invoquée : Litebook Company Ltd c Apollo Light Systems Inc, 2006 CF 399, par. 12, 15 et 16 (Litebook).

[27]           Dans l’affaire Litebook, la cour a accueilli en partie l’appel interjeté contre une décision de la protonotaire Milczynsk, qui avait permis à la défenderesse de présenter des allégations de fausses déclarations au motif (que la décision rendue dans Free World avait laissé ouvert) qu’elles étaient déterminantes aux fins des réparations en equity demandées par la demanderesse et par la défenderesse dans sa demande reconventionnelle. D’après les allégations, la demanderesse a volontairement ajouté de nouvelles revendications dans la demande au cours du processus d’examen, en vue de couvrir des produits concurrentiels dans l’intention d’induire en erreur. Se reportant à la décision Eli Lilly and Company c Apotex Inc, 78 ACWS (3d) 44, [1998] ACF no 233 (Eli Lilly CF), la juge Tremblay-Lamer a statué que la présomption de validité suivant la délivrance fermait la porte à cet acte de procédure. Elle a cependant maintenu les paragraphes dans lesquels il était allégué que la demanderesse s’était comportée de manière inéquitable.

[28]           Dans la décision Eli Lilly CF, par. 27, le juge Richard a cité la décision du président Thorson dans l’affaire Lovell Manufacturing Co c Beatty Bros Ltd (1962), 41 CPR18 (Lovell), renvoyant à la disposition qui avait précédé l’article 53 :

[traduction]

Sous le régime de ce paragraphe, une preuve tendant à démontrer que la demande de brevet renferme une allégation importante qui n'est pas conforme à la vérité serait de toute évidence admissible, mais il n'y a rien dans la Loi sur les brevets qui prévoit qu'une allégation qui n'est pas conforme à la vérité, même si elle équivaut à une fausse déclaration, et qui a été faite lors de l'instruction de la demande de brevet devant le Bureau canadien des brevets ait quelque incidence que ce soit sur la validité du brevet. Une fois qu'il a été délivré, le brevet bénéficie de la présomption de validité contenue à l'article 47 [maintenant art. 48] de la Loi, dont voici le libellé […]

[29]           Le juge Richard a établi une distinction entre l’affaire Lovell, précitée, et l’affaire Rothmans, Benson & Hedges Inc c Imperial Tobacco Ltd (1991), 35 CPR (3d) 417 (CF, 1re inst.), au motif que la première affaire portait sur une fausse allégation dans la divulgation alors que la deuxième affaire mettait en cause le refus de divulguer des renseignements pertinents à l’examinateur. Il a donc conclu que l’affaire Lovell s’appliquait à l’égard des faits qui lui avaient été soumis et radié les passages contestés de l’acte de procédure.

[30]           La Cour d’appel fédérale a renversé cette décision, statuant que la défenderesse pouvait modifier son acte de procédure et alléguer que les fausses déclarations et les omissions volontaires qui avaient pour effet d’annuler le brevet figuraient dans la pétition et le mémoire descriptif : Eli Lilly and Co c Apotex Inc, 259 NR 225 (Eli Lilly CAF). Au par. 12, la Cour d’appel fédérale a statué ceci :

À notre avis, les paragraphes modifiés renferment des allégations de fait fondées sur le paragraphe 53(1) de la Loi et une allégation précise de violation de cette disposition. Nous ne pouvons affirmer qu'il est évident et manifeste que le moyen de défense invoqué dans ces actes de procédure n'a aucune chance de réussir compte tenu de l'état actuel du droit.

[31]           À mon avis, l’arrêt Eli Lilly CAF, précité, maintient la proposition suivante soumise par les défenderesses : les actes de procédure rédigés avec soin peuvent contenir des allégations fondées sur le paragraphe 53(1) de la Loi sur les brevets dans la mesure où elles ne visent pas à interpréter les revendications. Dans la présente affaire, les gestes du titulaire du brevet équivalaient à des ajouts au mémoire descriptif. Les paragraphes contestés ont trait à ces ajouts et non aux déclarations faites à l’examinateur. 

[32]           Ainsi qu’il est écrit dans la décision Foseco Trading Ag c Canadian Ferro Hot Metal Specialties Ltd (1991), 36 CPR (3d) 35 (CF 1re inst.), citée par la Cour suprême dans l’arrêt Free World Trust, précité, au par. 67 : « les renseignements contenus dans les dossiers de demandes de brevet, qu’ils soient canadiens ou étrangers, peuvent être pertinents pour certaines fins et dans certaines circonstances ». La question de savoir si l’article 53 de la Loi sur les brevets peut avoir pour effet d’annuler un brevet complet en raison des mesures prises dans le processus de demande demeure sans réponse. La protonotaire a par conséquent commis une erreur lorsqu’elle a conclu qu’il était évident et manifeste que le moyen de défense n’avait aucune chance de réussite.

[33]           Ayant conclu que les questions ont une influence déterminante sur les issues de l’affaire et que la protonotaire a commis une erreur, j’exercerai mon pouvoir discrétionnaire de novo et maintiendrai les modifications proposées à la défense et demande reconventionnelle des défenderesses. Je ne crois pas nécessaire de prendre en considération les autres motifs de radiation des actes de procédure énoncés aux alinéas 221(1)c) et f) des Règles. Ils ont été débattus devant la protonotaire, mais cette dernière ne les a pas abordés dans l’ordre dans lequel ils figurent dans l’appel.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

1.                  l’appel soit accueilli;

2.                  soit infirmée la décision de la protonotaire Milczynski datée du 27 mars de radier, sans autorisation de modifier, les paragraphes 25 à 27 et les mots « et (ou) nulles » dans le paragraphe 31 de la défense et demande reconventionnelle modifiée des défenderesses;

3.                  les dépens suivent l’issue de la cause.

« Richard G. Mosley »

Juge

Traduction certifiée conforme

S. Tasset

 
COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1280-13

INTITULÉ :

NOV DOWNHOLE EURASIA LIMITED et DRECO ENERGY SERVICES ULC c TLL OIL FIELD CONSULTING et ACURA MACHINE INC

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 MAI 2014

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE MOSLEY

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

LE 17 SEPTEMBRE 2014

COMPARUTIONS :

William D. Regan

Adrian H. Lambert

POUR LES DEMANDERESSES/

DÉFENDERESSES RECONVENTIONNELLES

 

Bruce W. Stratton

Vincent Mann

POUR LES DÉFENDERESSES/DEMANDERESSES RECONVENTIONNELLES

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Piasetzki Nenninger Kvas LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

pour les demanderesses/

défenderesses reconventionnelles

Dimock Stratton LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

pour les défenderesses/demanderesses reconventionnelles

 

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