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Date : 20140924


Dossier : T-743-13

Référence : 2014 CF 914

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 septembre 2014

En présence de monsieur le juge Phelan

ENTRE :

CAROLYN BAGNATO

demanderesse

et

LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES et

LE SYNDICAT DES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DES POSTES

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision (la décision) de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission), rendue au titre de l’alinéa 41(1)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H‑6 (la Loi), de ne pas statuer sur la plainte de la demanderesse avant que cette dernière n’ait épuisé les autres recours, plus particulièrement la procédure de règlement des griefs prévue dans la convention collective.

[2]               La disposition applicable de la Loi, le paragraphe 41(1), est libellée dans les termes suivants :

41. (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

41. (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

a) la victime présumée de l’acte discriminatoire devrait épuiser d’abord les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

(a) the alleged victim of the discriminatory practice to which the complaint relates ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available;

b) la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale;

(b) the complaint is one that could more appropriately be dealt with, initially or completely, according to a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act;

c) la plainte n’est pas de sa compétence;

(c) the complaint is beyond the jurisdiction of the Commission;

d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;

(d) the complaint is trivial, frivolous, vexatious or made in bad faith; or

e) la plainte a été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances.

(e) the complaint is based on acts or omissions the last of which occurred more than one year, or such longer period of time as the Commission considers appropriate in the circumstances, before receipt of the complaint.

[Non souligné dans l’original.]

 

II.                Le contexte

[3]               La demanderesse, une employée de la Société canadienne des postes (la SCP), est membre du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (le syndicat), qui est l’agent négociateur exclusif des employés de la SCP.

La convention collective qui lie la SCP et le syndicat énonce une procédure de règlement des griefs et d’arbitrage en vue du règlement des plaintes.

[4]               Entre le mois de juin 2012 et le mois de septembre 2012, le syndicat a déposé pour le compte de la demanderesse un certain nombre de plaintes sous forme de griefs, qui toutes faisaient suite à la manière dont la SCP avait traité la demanderesse et à un accident du travail qu’elle avait subi. Ces plaintes alléguaient une omission de répondre aux besoins de la demanderesse, un harcèlement et des menaces de la direction.

[5]               La plainte fondée sur les droits de la personne (la plainte) qui est en cause a été déposée le 7 septembre 2012. L’on y allègue que la SCP a traité la demanderesse de manière différente et préjudiciable, qu’elle a omis de lui offrir un environnement exempt de harcèlement et qu’elle a adopté des politiques ou pratiques discriminatoires.

[6]               En réponse à la plainte, la SCP a écrit à la Commission pour lui demander, au titre de l’alinéa 41(1)a) de la Loi, de ne pas statuer sur la plainte, au motif que la demanderesse avait entrepris une procédure interne de règlement d’un grief, qui devait d’abord être menée à terme.

[7]               L’affaire a fait l’objet d’une enquête et a mené à la rédaction d’un rapport visé à l’article 40/41 (le rapport), indiquant que la question à trancher est de savoir si la Commission devrait refuser de statuer sur la plainte aux termes de l’alinéa 41(1)a) de la Loi. Le rapport recommandait à la Commission de ne pas statuer sur la plainte.

[8]               La demanderesse a fait valoir qu’elle avait épuisé la procédure de règlement des griefs et qu’elle n’était pas satisfaite du résultat. Ses accusations étaient de vaste portée; plus particulièrement, elle a allégué qu’elle avait été harcelée et humiliée par la direction et le président de son propre syndicat. En réponse au rapport, la demanderesse a décrit un autre incident qu’elle souhaitait ajouter à la plainte. Elle a allégué que, dans un avis public d’exécution d’une décision faisant suite à un grief, le président du syndicat avait délibérément mal orthographié son nom « BagnaHo » – elle allègue qu’il y avait une connotation sexuelle (ou une intention d’humilier) dans la faute d’orthographe. Cette allégation a fait l’objet d’un grief et d’une plainte distincts devant le Conseil canadien des relations industrielles.

[9]               Le 3 avril 2013, la Commission a rendu sa décision. Elle a tiré la conclusion finale suivante :

[TRADUCTION]

La Commission a décidé […] de ne pas statuer sur la plainte à ce moment‑ci, aux termes de l’alinéa 41(1)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, au motif que la plaignante doit épuiser tous les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts. À l’issue de ces procédures, la plaignante pourra demander à la Commission de réactiver la plainte.

[10]           Dans le rapport, qui formait le fondement factuel de la décision, l’on peut lire que cinq griefs portant sur les questions soulevées dans la plainte avaient été déposés. À la date du rapport, tous ces griefs avaient été inscrits au rôle ou étaient en attente de leur inscription au rôle en vue d’une audition par un arbitre de griefs.

À la date à laquelle le contrôle judiciaire a été débattu, certains des griefs avaient été réglés ou retirés. La demanderesse a désapprouvé vigoureusement le renvoi dans le rapport aux griefs en instance et au fait que certains des griefs avaient été retirés ou réglés.

[11]           En décidant de ne pas statuer sur la plainte, la Commission a pris en considération un certain nombre de facteurs, dont les principaux sont les suivants :

                     l’auteur de la décision faisant suite à un grief serait un arbitre du travail neutre et indépendant;

                     la Commission a pris en note les objections de la demanderesse à l’égard de la procédure de règlement du grief, mais sa tâche consistait à apprécier l’accessibilité des modes de réparation subsidiaires, et non le bien‑fondé des objections de la demanderesse;

                     la demanderesse n’a pas indiqué qu’elle était vulnérable ou qu’elle subirait un préjudice si elle donnait suite à la procédure de règlement des griefs;

                     un arbitre du travail est compétent pour interpréter et appliquer la Loi;

                     un arbitre du travail peut prononcer à peu près le même type de réparations que celles qui sont prévues dans la Loi.

[12]           Il n’y a qu’une seule question en litige : la décision de la Commission était‑elle raisonnable?

III.             Analyse

[13]           La situation et les principes juridiques applicables dans la présente affaire sont à peu près les mêmes que dans l’affaire Shiferaw c Société canadienne des postes, 2011 CF 1046, 207 ACWS (3d) 131. Pour les mêmes motifs à peu près, le présent contrôle judiciaire sera rejeté.

[14]           La demanderesse a choisi essentiellement de plaider la plainte à nouveau. Il semblerait que son argumentation repose principalement sur le parti pris de l’agent des griefs de la SCP. Or, il n’y avait aucune relation entre cette allégation de parti pris (un concept inapplicable dans les circonstances de la présente affaire) et la décision de la Commission. Aucune allégation de parti pris n’a été faite à l’égard de la Commission ou de son enquêteur.

[15]           La demanderesse a soulevé la question également du fait qu’elle était encore harcelée et menacée au téléphone et dans des courriels par son syndicat et son employeur et que, par ailleurs, le processus dans son ensemble la bouleversait.

[16]           La Cour n’est pas saisie de ces questions en l’espèce. La demanderesse n’a pas réussi à démontrer comment la décision de ne pas se pencher sur la plainte aujourd’hui et de laisser ouverte la possibilité pour la demanderesse de retourner devant la Commission, lorsque les procédures de règlement des griefs seraient achevées, était quelque peu déraisonnable.

[17]           La décision est raisonnable suivant les principes énoncés dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 – à savoir qu’une décision est raisonnable lorsqu’elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[18]           La Commission a pris en considération tous les facteurs pertinents (voir le paragraphe 11 des présents motifs) ainsi que le calendrier de la procédure de règlement des griefs.

[19]           Le fait que la demanderesse a la possibilité de revenir devant la Commission devrait dissiper ses craintes relatives à la procédure de règlement des griefs. Ce « filet de sécurité » n’est pas strictement nécessaire; le caractère raisonnable de la décision serait maintenu sans celui‑ci, mais son inclusion dissipe toute préoccupation subjective ou objective légitime.

IV.             Conclusion

[20]           Par conséquent, le présent contrôle judiciaire sera rejeté avec dépens.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

C. Laroche


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-743-13

 

INTITULÉ :

CAROLYN BAGNATO c LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES et LE SYNDICAT DES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DES POSTES

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 SEPTEMBRE 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PHELAN

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

 

LE 24 SEPTEMBRE 2014

 

COMPARUTIONS :

Carolyn Bagnato

 

POUR LA DEMANDERESSE

(POUR ELLE-MÊME)

 

Shaffin A. Datoo

 

POUR LA DÉFENDERESSE,

LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Carolyn Bagnato

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

(POUR ELLE-MÊME)

 

Société canadienne des postes

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

 

 

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