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Date : 20140905

Dossier : T-2051-10

Référence : 2014 CF 844

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 septembre 2014

En présence de monsieur le juge O’Keefe

ENTRE :

THE DOW CHEMICAL COMPANY,

DOW GLOBAL TECHNOLOGIES INC. et

DOW CHEMICAL CANADA ULC

demanderesses

et

NOVA CHEMICALS CORPORATION

défenderesse

MOTIFS DU JUGEMENT

[1]        La demanderesse The Dow Chemical Company (TDCC) est une entreprise commerciale constituée en personne morale sous le régime des lois de l’État du Delaware, aux États‑Unis d’Amérique. TDCC est la propriétaire du brevet canadien no 2160705 (le brevet 705).

[2]        La demanderesse Dow Global Technologies Inc. (DGTI), une filiale à cent pour cent de TDCC, est également une entreprise commerciale constituée en personne morale sous le régime des lois de l’État du Delaware, aux États‑Unis d’Amérique. DGTI était propriétaire du brevet 705 entre 2004 et le 3 juin 2009. Le 3 juin 2009, DGTI a transféré les droits qu’elle détenait dans le brevet 705 à TDCC.

[3]        La demanderesse Dow Chemical Canada ULC (DCC) est une entité de la Nouvelle‑Écosse. DCC fabrique des copolymères de polyéthylène en vertu de sa licence du brevet 705 dans son usine de Fort Saskatchewan, en Alberta. DCC commercialise des copolymères de polyéthylène destinés à la production de pellicules sous la marque ELITE au Canada. Les demanderesses sont également collectivement connues sous le nom de Dow.

[4]        La défenderesse, NOVA Chemicals Corporation (NOVA), est une entreprise commerciale constituée en personne morale sous le régime des lois canadiennes. La défenderesse fabrique et vend des copolymères de polyéthylène destinés à la production de pellicules sous la marque SURPASS au Canada.

I.       Qualification par les demanderesses de la nature de l’action

[5]        Les demanderesses, TDCC et DCC sont des fabricants de compositions, de pellicules et de produits à base de polyéthylène qui sont utiles à l’industrie du polyéthylène. TDCC est le titulaire du brevet relatif aux compositions de polyéthylène et aux pellicules fabriquées à partir de ces compositions. Les demanderesses intentent une action en justice pour empêcher la défenderesse de continuer à supposément fabriquer, distribuer, offrir à la vente, vendre et utiliser, de manière non autorisée et attentatoire, au Canada des compositions de polyéthylène qui exploitent cette technologie brevetée. TDCC et DCC sont des concurrents de la défenderesse sur le marché du polyéthylène.

[6]        La demande visant le brevet 705 a été déposée le 19 avril 1994 et a été publiée le 10 novembre 1994. Le brevet 705 a été délivré le 22 août 2006. Il revendique la priorité sur le brevet no 08/054379, à l’égard duquel une demande avait été déposée le 28 avril 1993 aux États‑Unis.

[7]        Voici ce qu’on trouve dans la déclaration :

[traduction]

Le brevet 705 est lié à une invention intitulée « Articles fabriqués à partir de mélanges de polymères d’éthylène ». L’invention, qui est décrite et revendiquée plus en détail dans le brevet 705, concerne en général les compositions de polyéthylène qui comprennent un mélange d’au moins un interpolymère linéaire ou sensiblement linéaire d’éthylène/α‑oléfine ramifié de manière homogène, et d’au moins un interpolymère d’éthylène/α‑oléfine ramifié de manière hétérogène.

[8]        Dans leur déclaration, les demanderesses sollicitent les mesures suivantes :

[traduction]

a)         un jugement déclarant que le brevet canadien no 2160705 (le brevet 705) et, en particulier, les revendications 10, 11, 15, 29, 30, 33, 35, 36, 41 et 42 du brevet 705 ont été contrefaites par la défenderesse;

b)         une injonction permanente interdisant à la défenderesse, de même qu’à tous ses dirigeants et administrateurs et à tous les représentants, employés, préposés et personnes agissant sous le contrôle de la défenderesse ou de concert avec elle :

(i)         de contrefaire le brevet 705 et, en particulier, les revendications 10, 11, 15, 29, 30, 33, 35, 36, 41 et 42 du brevet 705;

(ii)        de fabriquer, de distribuer, d’offrir en vente, de vendre, d’octroyer des licences ou de procéder à d’autres formes de mise à disposition, ou d’utiliser au Canada des compositions de copolymères d’éthylène (polyéthylène) pour pellicule contrefaites, vendues sous le nom SURPASS, ou sous n’importe quel autre nom, tel qu’il est décrit ci-dessous;

c)         une ordonnance enjoignant à la défenderesse de rendre à la demanderesse The Dow Chemical Company, ou de détruire, tout matériel se trouvant en la possession, sous les soins, la garde ou le contrôle de la défenderesse ou sur lesquels la défenderesse possède un titre, que ce matériel soit en vrac ou emballé, ainsi que tout matériel d’emballage, de commercialisation et de promotion y afférent qui peut porter atteinte à l’injonction réclamée à l’alinéa b);

d)         des dommages-intérêts pour la contrefaçon, ou la restitution des profits réalisés par la défenderesse, selon ce que les demanderesses choisiront après enquête et communication intégrale;

e)         une indemnité raisonnable, en vertu du paragraphe 55(2) de la Loi sur les brevets, LRC 1985, ch P‑4, pour tout acte de la défenderesse qui a fait subir un dommage aux demanderesses entre la date à laquelle la demande de brevet est devenue accessible au public pour consultation et l’octroi du brevet 705;

f)         les intérêts avant jugement et les intérêts après jugement sur toutes les réparations pécuniaires;

g)         les dépens des demanderesses dans la présente action au tarif admissible le plus élevé;

h)         toute autre réparation à laquelle les demanderesses ont droit et que la Cour peut juger à propos de leur accorder.

[9]               Le brevet 705 indique ce qui suit au sujet des produits de pellicule aux pages 1 et 2 du brevet :

[traduction]

Les pellicules fines fabriquées à partir de polyéthylène à basse densité linéaire (PEBDL) ou de polyéthylène à haute densité (PEHD) sont largement utilisées pour le conditionnement, par exemple pour les sacs de marchandise, les sacs à provisions et les revêtements industriels. Pour ce type d’utilisations, les pellicules présentant une résistance élevée à la traction ainsi qu’aux chocs sont recherchées, car les fabricants de pellicules peuvent rendre leurs produits plus fins tout en conservant le degré de résistance de l’emballage.

[…]

Étonnamment, nous avons maintenant découvert des compositions, utiles à la fabrication de pellicules et de pièces moulées, possédant des propriétés physiques améliorées par la synergie, qui comprennent un mélange d’au moins un interpolymère d’éthylène/α oléfine ramifié de manière homogène et d’au moins un interpolymère d’éthylène/α‑oléfine ramifié de manière hétérogène.

En particulier, il a maintenant été découvert que les compositions d’éthylène/α‑oléfine formulées présentent des propriétés physiques et mécaniques améliorées et sont utiles à la production d’articles fabriqués. Les pellicules fabriquées à partir de ces nouvelles compositions présentent des caractéristiques de résistance à la traction et aux chocs étonnamment bonnes, ainsi qu’une combinaison particulièrement bonne de module et de limite d’élasticité, de résistance à la traction et de ténacité (p. ex. choc au mouton).

[10]           Le brevet 705 indique que les compositions comprennent un mélange de deux composants : le composant A formant approximativement de 10 % à 95 % (de la masse de la composition totale) d’au moins un interpolymère sensiblement linéaire d’éthylène/α‑oléfine ramifié de manière homogène présentant les propriétés énoncées; et le composant B formant approximativement de 5 % à 90 % (de masse de la composition totale) d’au moins un polymère d’éthylène ramifié de manière hétérogène d’une certaine masse volumique.

[11]           Comme il a été indiqué ci-dessus, la combinaison de ces deux types de polymères produit une composition ou une pellicule possédant « des propriétés physiques améliorées par la synergie » qui comprennent une grande résistance à la traction et aux chocs.

[12]           Pour compléter ce portrait contextuel, mentionnons qu’un procès a été intenté aux États‑Unis relativement au brevet américain correspondant et que certaines revendications de ce brevet ont été interprétées. Les conclusions tirées par les tribunaux américains ne sauraient toutefois lier la Cour. Par ailleurs, un jury américain a conclu à la contrefaçon. La Cour doit procéder à sa propre interprétation des revendications et tirer ses propres conclusions en ce qui concerne la contrefaçon. Il peut être toutefois utile de citer les jugements américains sur l’interprétation de revendications semblables.

II.    Questions relatives à l’interprétation des revendications

[13]           Voici les questions en litige :

1.                  Qui est la personne versée dans l’art?

2.                  Quelle est la signification des termes « composition de polymères d’éthylène » dans les revendications du brevet 705?

3.                  Quelle est la signification des termes « qui comprennent » dans les revendications du brevet 705?

4.                  Quelle est la signification des termes « ramifié de manière homogène » et « ramifié de manière hétérogène » dans les revendications du brevet 705?

5.                  Quelle est la signification des termes « linéaire » et « sensiblement linéaire » dans les revendications du brevet 705?

6.                  Quelle est la signification des termes « pente du coefficient de rhéo‑durcissement » dans les revendications du brevet 705?

7.                  Quelle est la signification du terme « fraction de polymère linéaire » dans les revendications du brevet 705?

[14]           Les demanderesses ont soumis les questions 2 à 7 et j’ai ajouté la première question.

III. Principes d’interprétation des brevets

[15]           Dans le jugement UView Ultraviolet Systems Inc c Brasscorp Ltd (cob Clipright Manufacturing Co), 2009 CF 58, 73 CPR (4th) 161 (UView), j’ai déclaré ce qui suit, au paragraphe 35 :

35        Pour interpréter un brevet, il faut examiner son mémoire descriptif du point de vue d’une « personne moyennement versée dans l’art ». Le juge Binnie définit comme suit cette exigence à la page 153 de l’arrêt Whirlpool Corp. c. Camco (2000), 9 C.P.R. (4th) 129 (C.S.C.) :

53. Le deuxième problème que pose la méthode du dictionnaire préconisée par les appelantes découle du fait qu’elle invite la Cour à examiner les mots du point de vue du grammairien ou de l’étymologiste plutôt que du point de vue et à la lumière des connaissances usuelles du travailleur moyennement versé dans le domaine auquel le brevet a trait. Un étymologiste ou un grammairien pourrait convenir avec les appelantes qu’une ailette de tout genre demeure une ailette. Toutefois, le mémoire descriptif du brevet s’adresse non pas aux grammairiens, aux étymologistes ou au public en général, mais plutôt aux personnes suffisamment versées dans l’art dont relève le brevet pour être en mesure, techniquement parlant, de comprendre la nature et la description de l’invention : H. G. Fox, The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions (4e éd. 1969), à la p. 185. Monsieur Fox écrit, à la p. 203, que la cour doit se mettre

[traduction] dans la position d’une personne au fait de l’état de la technologie et du processus de fabrication à l’époque en cause, et elle doit s’informer du sens technique qu’un seul ou plusieurs mots particuliers peuvent avoir [...]

[16]           Le juge Binnie écrit également ce qui suit au sujet des principes d’interprétation des revendications d’un brevet dans l’arrêt Whirlpool Corp c Camco Inc, 2000 CSC 67, aux paragraphes 42 à 49, [2000] 2 RCS 1067 :

Les principes d’interprétation des revendications d’un brevet

42        Le contenu du mémoire descriptif d’un brevet est régi par l’art. 34 de la Loi sur les brevets. La première partie est une « divulgation » dans laquelle le breveté doit fournir une description de l’invention « comportant des détails assez complets et précis pour qu’un ouvrier, versé dans l’art auquel l’invention appartient, puisse construire ou exploiter l’invention après la fin du monopole » : Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask.) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504, à la p. 517. La divulgation est ce que l’inventeur fournit en contrepartie d’un monopole de 17 ans (maintenant 20 ans) sur l’exploitation de l’invention. On peut faire respecter le monopole au moyen de toute une gamme de recours en droit et en equity, de sorte qu’il importe que le public sache ce qui est interdit et ce qu’il peut faire sans risque lorsque le brevet est encore en vigueur. Les revendications qui concluent le mémoire descriptif servent d’avis public et doivent énoncer « distinctement et en termes explicites les choses ou combinaisons que le demandeur considère comme nouvelles et dont il revendique la propriété ou le privilège exclusif » (par. 34(2)). L’inventeur n’est pas tenu de revendiquer un monopole sur tout élément nouveau, ingénieux et utile qui est divulgué dans le mémoire descriptif. La règle habituelle veut que ce qui n’est pas revendiqué soit considéré comme ayant fait l’objet d’une renonciation.

43                Dans des poursuites en matière de brevet, la première étape consiste donc à interpréter les revendications. L’interprétation des revendications précède l’examen des questions de validité et de contrefaçon. Les appelantes font valoir que ces deux examens — celui de la validité et celui de la contrefaçon — sont distincts, et que si les principes d’« interprétation téléologique » découlant de l’arrêt Catnic doivent être adoptés, leur application doit être limitée aux questions de contrefaçon. Les appelantes affirment que les principes d’« interprétation téléologique » n’ont aucun rôle à jouer dans la détermination de la validité et que leur application erronée est fatale au jugement qui fait l’objet du présent pourvoi.

44                Il est vrai que, dans l’affaire Catnic elle‑même, la validité du brevet n’était pas contestée. Le litige portait sur des questions de contrefaçon. Le brevet en cause concernait des linteaux en acier galvanisé utilisés dans la construction d’édifices. Les linteaux sont des pièces de charpente placées au‑dessus des ouvertures, comme les portes et les fenêtres, afin de soutenir la construction supérieure. Le brevet décrivait un type nouveau et ingénieux de linteau constitué d’un profilé en tôle pliée en forme de Z allongé, qui était facile à manipuler et peu coûteux à fabriquer. La défenderesse connaissait le produit de la demanderesse, mais elle n’était pas bien renseignée sur le brevet de cette dernière. Les revendications (dont elle ignorait l’existence) indiquaient que le linteau devait comporter [traduction] « une deuxième membrure de soutien rigide verticale appuyée sur le bord arrière de la première plaque horizontale, ou près de celui‑ci » (soulignement ajouté; italiques dans l’original omis). L’alignement vertical maximiserait la force portante. Pour des raisons n’ayant rien à voir avec la contrefaçon du brevet, la membrure de soutien rigide que comportait le produit de la défenderesse était inclinée d’environ huit degrés par rapport au plan vertical. Le juge de première instance a conclu qu’il n’y avait aucune contrefaçon au sens littéral puisque la membrure de soutien n’était pas exactement « verticale », mais qu’étant donné qu’il n’y avait aucune différence importante dans la fonction du composant, il y avait contrefaçon de l’« essence » de l’invention de la demanderesse si on considérait l’ensemble du linteau de la défenderesse. La Cour d’appel à la majorité a infirmé la décision du juge de première instance qui a, par la suite, été rétablie par la Chambre des lords à l’unanimité. Lord Diplock a décrit ainsi l’interprétation téléologique, aux pp. 242 et 243 :

[traduction] Vos Seigneuries, le mémoire descriptif d’un brevet est une déclaration unilatérale du breveté, faite dans ses propres mots et s’adressant à ceux qui sont susceptibles d’avoir un intérêt concret dans l’objet de son invention (c’est‑à‑dire qui sont « versés dans l’art »), par laquelle il les informe de ce qu’il prétend être les caractéristiques essentielles du nouveau produit ou du nouveau procédé pour lequel les lettres patentes lui confèrent un monopole. Ce sont seulement les nouvelles caractéristiques qu’il prétend essentielles qui constituent ce qu’on appelle l’« essence » de la revendication. Le mémoire descriptif d’un brevet doit recevoir une interprétation téléologique plutôt que l’interprétation purement littérale découlant du genre d’analyse terminologique méticuleuse que les avocats sont trop souvent tentés de faire en raison de leur formation. La question qui se pose dans chaque cas est la suivante : les personnes ayant une connaissance et une expérience pratiques du genre de travail auquel l’invention est destinée à servir comprendraient‑elles que le breveté voulait que l’interprétation stricte d’une expression ou d’un mot descriptifs particuliers figurant dans une revendication constitue une condition essentielle de l’invention, de manière à ce que toute variante soit exclue du monopole revendiqué même s’il se peut qu’elle n’ait aucun effet important sur la façon dont l’invention fonctionne. [En italique dans l’original.]

45        L’interprétation téléologique repose donc sur l’identification par la cour, avec l’aide du lecteur versé dans l’art, des mots ou expressions particuliers qui sont utilisés dans les revendications pour décrire ce qui, selon l’inventeur, constituait les éléments « essentiels » de son invention. J’estime que cette méthode n’est pas différente de celle que le juge en chef Duff avait adoptée environ 40 ans auparavant dans l’arrêt J. K. Smit & Sons, Inc. c. McClintock, [1940] R.C.S. 279. Le brevet dans cette affaire concernait une méthode d’intégration des diamants à du matériel comme les trépans de foreuse rotative. Citant la jurisprudence antérieure, le juge en chef Duff a mis l’accent sur l’identification, par l’inventeur lui‑même, des parties « essentielles » de son invention, à la p. 285 :

[traduction] Évidemment, l’invention décrite par l’inventeur lui‑même comporte le recours à la succion d’air pour maintenir les diamants en place pendant que le métal fondu est introduit dans le moule. Il n’y a aucun doute dans mon esprit que, comme l’inventeur l’indique, cela constitue une partie essentielle de son procédé. Il est clair que les appelantes ne se sont pas approprié cette partie de son procédé. Pour reprendre les termes de lord Romer, il n’appartient pas à la cour de deviner ce qui fait partie et ce qui ne fait pas partie de l’essence de l’invention de l’intimé. Le breveté a clairement indiqué que l’utilisation de la succion d’air à cette étape du procédé constitue une partie essentielle, voire la partie essentielle, de l’invention décrite dans le mémoire descriptif. [Je souligne.]

46        Le jugement du président Thorson dans McPhar Engineering Co. of Canada c. Sharpe Instruments Ltd., [1956‑60] R.C. de l’É. 467, à la p. 525, va dans le même sens :

[traduction] Il est donc établi en droit que si une personne s’approprie l’essence d’une invention, elle est coupable de contrefaçon et il est sans importance qu’elle omette une caractéristique qui n’est pas essentielle à l’invention ou qu’elle la remplace par un élément équivalent. [Je souligne.]

47                La méthode des éléments « essentiels » a été établie dans des décisions anglaises anciennes comme Marconi c. British Radio Telegraph and Telephone Co. (1911), 28 R.P.C. 181, à la p. 217, mentionnée par le juge en chef Duff dans l’arrêt J. K. Smit, précité, et dans des arrêts anglais plus récents rendus antérieurement à l’arrêt Catnic, notamment les arrêts Birmingham Sound Reproducers Ltd. c. Collaro Ld., [1956] R.P.C. 232 (C.A. Angl.), et C. Van Der Lely N.V. c. Bamfords Ltd., [1963] R.P.C. 61 (H.L.), où lord Reid, dissident quant au résultat, a dit, à la p. 76 : [traduction] « on ne peut pas éviter la contrefaçon en remplaçant un composant non essentiel par un élément équivalent évident » (je souligne).

48        L’analyse faite dans l’arrêt Catnic ne s’écartait donc pas de la jurisprudence antérieure du Royaume‑Uni ou de notre pays. Il n’est pas irrespectueux envers lord Diplock d’affirmer qu’il a présenté dans un nouvel emballage un bon vieux produit qu’il a habilement amélioré et auquel il a apposé l’étiquette encore plus claire [traduction] « interprétation téléologique ». Dans l’arrêt Catnic, comme dans la jurisprudence antérieure, ce sont les revendications écrites qui précisent la portée du monopole, mais comme auparavant, on obtient la souplesse et l’équité en différenciant les caractéristiques essentielles (« l’essence ») de celles qui ne sont pas essentielles, au moyen d’une lecture éclairée de l’ensemble du mémoire descriptif par la personne versée dans l’art à qui il s’adresse plutôt qu’au moyen du « genre d’analyse terminologique méticuleuse que les avocats sont trop souvent tentés de faire en raison de leur formation » (Catnic, précité, à la p. 243).

49                Comme nous l’avons vu, la Cour d’appel fédérale a appliqué la méthode de l’« interprétation téléologique » à l’interprétation des revendications dans l’arrêt O’Hara, précité, et, en toute déférence, j’estime qu’elle a eu raison de le faire. L’argument des appelantes voulant que le principe de l’interprétation téléologique soit erroné ou ne s’applique qu’en matière de contrefaçon doit être rejeté pour un certain nombre de raisons […]

A.                De la nécessité d’appliquer une interprétation téléologique

[17]           Je répète les propos que j’ai tenus dans le jugement UView, aux paragraphes 41 à 44 :

41        Il est important de noter que, lorsqu’elle applique une interprétation téléologique, la Cour doit, avec l’assistance de la personne versée dans l’art, relever les expressions ou termes particuliers du passage examiné qui définissent ce que l’inventeur considère comme les éléments « essentiels » de son invention. L’interprétation donnée par la Cour doit être compatible avec le texte des revendications. Il lui appartient d’interpréter les revendications et non de les réécrire.

42        L’interprétation d’un brevet est une question de droit, et elle doit se faire en supposant que le destinataire est une personne versée dans l’art.

43        La date pertinente pour l’interprétation du texte d’un brevet est la date de sa publication.

44        S’agissant de contrefaçon, on ne doit pas interpréter le brevet en fonction du dispositif supposé contrefait.

(1)               Les témoins – de NOVA

a)                                       Témoins experts

[18]           M. Charles Stanley Speed, Ph. D., a acquis environ quarante années d’expérience dans le domaine de la technologie des polymères, à la fois comme employé et comme consultant indépendant. Il possède une vaste expérience en physique des polymères, dans l’application, la création et les services techniques des produits; ainsi que dans la mise au point de catalyseurs et de procédés pour des produits. M. Speed est reconnu comme un expert en science des polymères, en techniques de polymérisation, en création de procédés, en caractérisation et test des polymères et des compositions, en développement d’application de produit, y compris le mélange et le soufflage des feuilles minces, et en analyse de produit.

[19]           M. Francis Mirabella est titulaire d’un Ph. D. en sciences des polymères. Depuis 1994, il travaille comme chercheur consultant. Il est reconnu comme un expert en caractérisation des polymères, y compris les techniques analytiques et préparatoires de fractionnement par élution avec élévation de température et de chromatographie par perméation de gel (CPG), et comme un expert en sciences des polymères en général.

[20]           M. Mukerrem Cakmak, Ph. D., est professeur en génie des polymères à l’Université d’Akron. Il est reconnu comme un expert de la mesure et de l’évaluation des propriétés mécaniques des polymères, y compris le test de résistance à la traction des copolymères de polyéthylène. Le Pr Cakmak a témoigné pour expliquer la signification du terme « coefficient de rhéo‑durcissement » utilisé dans le brevet 705.

b)                                       Témoins de fait

[21]           M. Eric Kelusky, Ph. D., était vice-président de la recherche et de la technologie de NOVA Chemicals Corporation avant de partir à la retraite en 2000. Il agit toujours à titre de consultant pour NOVA.

[22]           M. Stephen Brown, Ph. D., est chercheur principal chez NOVA.

[23]           Le témoignage de Mme Tracey Henselwood concerne la manipulation des échantillons.

[24]           La preuve de Mme Jennifer Li a été reçue sur consentement. Elle détient une maîtrise en génie chimique. La preuve qu’elle apporte concerne son observation des expériences de Dow à Terneuzen, aux Pays-Bas, en ce qui a trait à la reproduction du polyéthylène fabriqué dans le premier réacteur de NOVA et qui est utilisé pour fabriquer le produit SURPASS.

[25]           La preuve de Mme Monika Kleczek a été reçue sur consentement. Elle est étudiante au doctorat en chimie et a également été témoin des expériences de Dow à Terneuzen.

[26]           La preuve de M. Sachit Chopra a également été reçue sur consentement. Il détient une maîtrise en génie des polymères. Il a observé les expériences de Dow à Freeport, au Texas.

(2)               Les témoins – témoins de Dow

a)                                       Témoins experts

[27]           M. Joao Soares, Ph. D., est professeur au Département de chimie et de génie des matériaux à l’Université de l’Alberta. Il a obtenu son doctorat en 1994. Le Pr Soares a supervisé certaines expériences menées par Dow, y compris celles effectuées dans les locaux de Dow à Terneuzen.

[28]           M. Robert Young, Ph. D., est professeur en sciences et technologie des polymères à l’Université de Manchester. Son doctorat portait sur les « mécanismes de déformation des polymères cristallins ». Il a occupé le poste de chef du département des sciences et technologie des polymères à l’Institut des sciences et de la technologie de l’Université de Manchester. Il a publié un livre de cours intitulé « Introduction to Polymers ».

[29]           M. Christopher Scott, Ph. D., est le directeur de Material Answers LLC et il est spécialisé en structure, propriétés et traitement des matériaux. Il possède une vaste expérience en fabrication, en élaboration et en conception de produits ainsi qu’en analyse de défaillance. Il a écrit des articles dans les domaines des relations entre le traitement et la structure des polymères, de la composition et du mélange des systèmes polymères multiphasiques ainsi que du développement de la structure et de la morphologie lors du traitement des polymères. Il est titulaire d’un Ph. D. en génie chimique de l’Université du Minnesota. Il a été professeur adjoint et professeur agrégé au département des sciences des matériaux du Massachusetts Institute of Technology.

b)                                       Témoins de fait

[30]           M. Shih-Yaw Lai, Ph. D. est désigné comme inventeur sur le brevet 705. Il a témoigné au sujet de ses travaux ayant mené à l’élaboration d’une fonction mathématique qui deviendrait le coefficient de rhéo‑durcissement dans le brevet 705.

[31]           M. Ronald Markovich est aussi désigné comme inventeur. Son interrogatoire préalable a été déposé en preuve au procès et son témoignage portait sur ses travaux ayant donné lieu à la demande relative au brevet 705.

[32]           M. Steve Chum est également désigné comme inventeur sur le brevet 705. Des extraits de son interrogatoire préalable ont également été versés au dossier.

[33]           Dans ses observations finales, NOVA déclare, au paragraphe 43 :

[traduction]

Les revendications 11, 29, 30, 33, 35, 36, 41 et 42 sont en litige. Voici les termes qui sont contestés et qui sont communs à toutes les revendications en litige :

a)         « qui comprennent »;

b)         « ramifié de manière homogène » et « ramifié de manière hétérogène »;

c)         « interpolymère linéaire d’éthylène/α‑oléfine »;

d)         coefficient de rhéo‑durcissement.

[34]           Les parties conviennent que les éléments de chacune des revendications en litige sont essentiels.

[35]           Le brevet 705 comporte notamment les revendications suivantes :

[traduction]

10.       Une composition de polymère d’éthylène comprenant :

(A)       approximativement de 10 % à 95 % (du poids de la composition totale) d’au moins un interpolymère linéaire d’éthylène/α‑oléfine ramifié de manière homogène présentant les propriétés suivantes :

(i)         une masse volumique entre 0,88 et 0,935 gramme/centimètre cube (g/cm3);

(ii)        une répartition de sa masse moléculaire (Mw/Mn) entre 1,8 et 2,8;

(iii)       un indice de fluidité (I2) entre 0,001 et 10 gramme/10 minutes (g/10 min);

(iv)       pas de fraction de polymère linéaire;

(v)        un pic de fusion unique, tel qu’il a été mesuré par une analyse calorimétrique différentielle à compensation de puissance;

(vi)       un indice de distribution de la ramification en chaînes courtes supérieur à 50 %;

(B)       approximativement de 5 % à 90 % (du poids de la composition totale) d’au moins un polymère d’éthylène ramifié de manière hétérogène ayant une masse volumique entre 0,91 et 0,965 g/cm3.

11.       La composition de la revendication 10 selon laquelle la pente du coefficient de rhéo‑durcissement de l’interpolymère linéaire d’éthylène/α‑oléfine ramifié de manière homogène est située entre 1,3 et 10.

[…]

29.       Une composition de polymère d’éthylène comprenant :

(A)       approximativement de 10 % à 95 % (du poids de la composition totale) d’au moins un interpolymère linéaire d’éthylène/α‑oléfine ramifié de manière homogène présentant les propriétés suivantes :

(i)         une masse volumique entre environ 0,89 gramme/centimètre cube (g/cm3) et environ 0,935 g/cm3;

(ii)        une répartition de sa masse moléculaire (Mw/Mn) entre environ 1,8 et environ 2,8;

(iii)       un indice de fluidité (I2) d’environ 0,001 gramme/10 minutes (g/10 min);

(iv)       pas de fraction de haute densité;

(v)        un pic de fusion unique, tel qu’il a été mesuré par une analyse calorimétrique différentielle à compensation de puissance;

(vi)       une pente du coefficient de rhéo‑durcissement supérieure ou égale à 1,3;

(B)       approximativement de 5 % à 90 % (du poids de la composition totale) d’au moins un polymère d’éthylène linéaire ramifié de manière hétérogène ayant une masse volumique entre environ 0,93 g/cm3 et environ 0,965 g/cm3.

30.       La composition de la revendication 29 selon laquelle la pente du coefficient de rhéo‑durcissement d’au moins un interpolymère linéaire d’éthylène/α‑oléfine ramifié de manière homogène est supérieure ou égale à 1,5.

[…]

33.       La composition de la revendication 32 selon laquelle au moins un interpolymère linéaire d’éthylène/α‑oléfine ramifié de manière homogène est un copolymère d’éthylène et de 1-octène.

[…]

35.       La composition de la revendication 34 selon laquelle au moins un polymère d’éthylène ramifié de manière hétérogène est un copolymère d’éthylène et de 1-octène.

36.       La composition de la revendication 29 selon laquelle la masse volumique d’au moins un interpolymère linéaire d’éthylène/α‑oléfine ramifié de manière homogène se situe entre environ 0,905 g/cm3 et environ 0,925 g/cm3 et l’indice de fluidité (I2) est situé entre environ 0,001 g/10 minutes et environ 1 g/10 min.

[…]

41.       Une composition de polymère d’éthylène comprenant :

(A)       approximativement de 10 % à 95 % (du poids de la composition totale) d’au moins un interpolymère linéaire ou sensiblement linéaire d’éthylène/α‑oléfine ramifié de manière homogène présentant les propriétés suivantes :

(i)         une masse volumique entre environ 0,89 gramme/centimètre cube (g/cm3) et environ 0,935 g/cm3;

(ii)        une répartition de sa masse moléculaire (Mw/Mn) entre environ 1,8 et environ 2,8, tel qu’il a été déterminé à l’aide du procédé de chromatographie par perméation de gel;

(iii)       un indice de fluidité (I2) entre environ 0,001 gramme/10 minutes (g/10 min) et environ 1 g/10 min;

(iv)       un pic de fusion unique tel qu’il a été déterminé par une analyse calorimétrique différentielle à compensation de puissance;

(v)        une pente du coefficient de rhéo‑durcissement supérieure ou égale à 1,3;

(vi)       un indice de ramification de distribution structurale (IRDS) supérieur à 50 %;

(B)       approximativement de 5 % à 90 % (du poids de la composition totale) d’au moins un interpolymère d’éthylène ramifié de manière hétérogène caractérisé comme ayant une masse volumique de 0,93 g/cm3 environ à 0,965 g/cm3 environ, et comprenant une fraction de polymère linéaire, tel qu’il a été déterminé à l’aide d’une technique de fractionnement par élution avec élévation de température.

42.       La composition de la revendication 41 selon laquelle la pente du coefficient de rhéo‑durcissement d’au moins un interpolymère d’éthylène (A) est supérieure ou égale à 1,5.

IV. Questions relatives à l’interprétation des revendications

A.                Question 1 – Qui est la personne versée dans l’art?

[36]           Les parties conviennent qu’une personne versée dans l’art du brevet 705 doit être un scientifique. Cette personne doit détenir au moins un baccalauréat en génie chimique, en chimie, en sciences des matériaux ou en sciences des polymères. Elle doit posséder au moins deux ans d’expérience dans la caractérisation des polyoléfines. Elle doit connaître les compositions des polymères et avoir de l’expérience dans les sciences des matériaux des polymères, par exemple dans le domaine des propriétés en matière de résistance à la traction. La personne versée dans l’art n’est pas nécessairement une seule personne. Il peut s’agir d’un groupe d’employés, de scientifiques et de techniciens qualifiés, apportant chacun leur expertise personnelle pour résoudre le problème (voir Westaim Corp c Canada (Monnaie royale canadienne), 2002 CFPI 1217, au paragraphe 36, 224 FTR 184).

B.                 Question 2 — Quelle est la signification des termes « composition de polymère d’éthylène » dans les revendications du brevet 705?

[37]           Il faut interpréter cette expression, étant donné qu’elle a des répercussions sur la validité du brevet.

[38]           Pour les besoins des présents motifs, je vais utiliser le résumé interprétatif proposé respectivement par Dow et par NOVA.

[39]           Les parties ont suggéré les interprétations suivantes pour l’expression « composition de polymère d’éthylène » :

Interprétation de Dow

Interprétation de NOVA

La personne versée dans l’art comprendra que, dans le contexte des revendications nécessitant les composants polymères A et B, les termes « composition de polymère d’éthylène » signifient un mélange de composants polymères distincts.

NOVA n’a pas explicitement fait connaître sa position sur la signification des termes « composition de polymère d’éthylène », mais semble faire valoir qu’une composition ne doit pas nécessairement être un mélange de polymères et peut comprendre n’importe quelle sélection arbitraire de molécules polymères provenant d’un polymère simple.

[40]           La revendication du brevet 705 fait référence à une « composition de polymère d’éthylène ». Quelle est la signification de cette expression? Lorsque je lis le brevet 705, je constate qu’il est essentiellement question de mélanger deux interpolymères pour obtenir une composition ou un mélange présentant de meilleures propriétés. Le brevet fait référence à deux polymères : le composant A et le composant B. La ramification du composant A est homogène tandis que celle du composant B est hétérogène.

[41]           NOVA semble laisser entendre que la composition du polymère, telle qu’elle est énoncée dans les revendications du brevet 705, inclurait les polymères qui ne sont pas des mélanges de composants polymères. En lisant le brevet 705, je n’aboutis pas à cette conclusion. Je comprends que le brevet 705 explique que l’on mélange un composant A qui est un interpolymère avec un composant B qui est un polymère pour obtenir le mélange souhaité. Le brevet 705 ne traite donc pas de polymères qui ne sont pas des mélanges d’au moins deux composants polymères.

[42]           J’accepterais donc que « [l]a personne versée dans l’art comprendra que, dans le contexte des revendications nécessitant les composants polymères A et B, les termes “composition de polymère d’éthylène” signifient un mélange de composants polymères distincts. »

C.                 Question 3 — Quelle est la signification des termes « qui comprennent » dans les revendications du brevet 705?

[43]           Le résumé de Dow des interprétations des parties pour les termes « qui comprennent » est le suivant :

Interprétation de Dow

Interprétation de NOVA

Le verbe « comprendre », tel qu’il est utilisé dans toutes les revendications, signifie inclure, mais sans s’y limiter.

Dans le préambule de chaque revendication, le verbe « comprendre » doit être interprété comme ayant une portée restrictive et une signification semblable à « être constitué de », de telle sorte que les composants A et B ne peuvent être combinés avec d’autres composants ou additifs polymères.

 

Toutefois, dans la revendication 41, le verbe « comprendre » utilisé relativement au composant B doit avoir la signification d’« inclure, mais sans s’y limiter ».

[44]           Je vais examiner d’abord la position de NOVA, qui donne un sens différent au verbe « comprendre » à la revendication 41 du brevet 705 que dans les autres revendications en litige.

[45]           Il est de jurisprudence constante en matière d’interprétation des termes des revendications de brevet que le même sens doit être attribué aux mêmes mots partout dans les revendications du brevet. Dans le jugement Johnson & Johnson Inc c Boston Scientifique Ltd, 2008 CF 552, 327 FTR 49 (Boston Scientifique), la juge Carolyn Layden-Stevenson déclare ce qui suit, au paragraphe 212 :

[...] Bien que les demanderesses aient raison de dire qu’une revendication dépendante ne peut pas restreindre la portée d’une revendication indépendante, il existe une présomption de cohérence des revendications, c’est-à-dire que le même sens est attribué aux mêmes mots partout dans les revendications [...]

[46]           Je ne suis pas d’accord avec NOVA pour affirmer qu’il y a lieu d’attribuer deux sens différents au mot « comprendre » à la revendication 41 du brevet 705.

[47]           De même, NOVA affirme que le verbe « comprendre » lorsqu’il est utilisé dans les revendications du brevet en cause signifie que l’on ne peut former la composition qu’en utilisant le composant A et le composant B.

[48]           Dow, pour sa part, soutient que l’on peut avoir le composant A et le composant B ainsi que d’autres composants. Dow affirme que « comprendre » signifie que cela inclut les composants qui sont cités ensuite, mais sans en exclure d’autres. En d’autres termes, le verbe « comprendre » signifie « inclure, mais sans s’y limiter ».

[49]           Cette définition trouve appui dans la jurisprudence. Dans l’arrêt Burton Parsons Chemicals, Inc c Hewlett-Packard (Canada) Ltd, [1976] 1 RCS 555, à la page 566, la Cour suprême du Canada a expliqué que le mot « comprenant » « est un mot fréquemment utilisé dans les revendications de brevet » et qu’il « n’est pas plus vague que “inclut” ». De même, dans le jugement Boston Scientifique, au paragraphe 213, la juge Layden-Stevenson a expliqué que le mot « comprenant » devrait être interprété au sens de « incluant sans s’y limiter », dès lors que les éléments essentiels de l’invention se retrouvent mentionnés dans la revendication.

[50]           Cette définition est également confirmée par les experts. Au cours du témoignage du Pr Soares, l’échange suivant s’est produit :

[traduction]

Q.        […] Et aux paragraphes 43 et 44, vous discutez de l’interprétation que M. Speed en donne. Vous déclarez, au paragraphe 44, que le mot « comprenant » indiquerait à la personne versée dans l’art [...] :

[…] que la revendication ne se limite pas aux composants polymères énumérés… mais peut inclure d’autres polymères.

Et qu’une personne versée dans l’art saura que :

[…] le type, la nature et le montant de tout autre composant polymère ne peuvent priver la composition des bienfaits escomptés.

Pouvez-vous expliquer vos propos?

R.        Oui, je saisis que le verbe « comprendre » a une signification bien précise dans le droit des brevets. Cela inclut la possibilité d’ajouter d’autres composants en plus des composants A et B. Une personne versée dans l’art lira le brevet et tentera de le comprendre et de tirer parti de ses bonnes caractéristiques. Donc, la personne versée dans l’art essayera d’ajouter un troisième composant qui n’est ni A ni B, en veillant à ne pas détruire la formulation et en utilisant un composant qui est aussi clair et compatible que s’il avait été sélectionné comme composant A ou B. Alors, je crois que le verbe « comprendre » signifie inclure d’autres composants en plus des composants A et B, mais en choisissant ces composants de manière à ne pas nuire à la propriété finale du produit.

(Transcription, 28 octobre 2013, pages 4673 et 4674)

[51]           Dans le même ordre d’idées, l’expert de NOVA, M. Speed, a déclaré ce qui suit dans son témoignage :

[traduction]

Q.        Donc, hier, nous nous sommes entendus sur la façon dont vous reconnaissez que l’interprétation du mot « comprenant » dans les revendications du brevet 705 était différente du sens traditionnel du mot « comprenant », n’est‑ce pas?

R.        Oui, je crois que c’est exact.

Q.        Bien. Et le sens traditionnel est bien celui de « incluant sans s’y limiter »?

R.        C’est bien ce que je crois être le sens courant de cette expression.

(Transcription, 16 octobre 2013, pages 3494 et 3495)

[52]           Je ne suis pas d’accord avec NOVA lorsqu’elle affirme que le verbe « comprendre » signifie « être constitué » des composants A et B ou « se limiter » aux composants A et B.

[53]           Je fonde ma conclusion sur la jurisprudence relative au sens traditionnel du mot « comprenant » et sur le témoignage du Pr Soares. Je préfère cette version au témoignage de M. Speed, étant donné que celui‑ci reconnaît aussi que le sens traditionnel du mot « comprenant » est bien « incluant, sans s’y limiter ». M. Speed emploie le sens traditionnel du mot « comprenant » dans son interprétation d’une partie de la revendication 41.

[54]           L’interprétation que je retiens du mot « comprenant » est celle avancée par Dow :

[traduction]

Le mot « comprenant », dans le cas de toutes les revendications doit être interprété comme signifiant « incluant sans s’y limiter ».

D.                Question 4 — Quelle est la signification des termes « ramifié de manière homogène » et « ramifié de manière hétérogène » dans les revendications du brevet 705?

[55]           Les parties ont suggéré les interprétations suivantes :

Interprétation de Dow

Interprétation de NOVA

Par polymère « ramifié de manière homogène », on entend un polymère dont le comonomère est aléatoirement distribué dans une molécule d’interpolymère donnée et dans lequel presque toutes les molécules d’interpolymère ont le même rapport éthylène/comonomère dans l’interpolymère (lignes 23 à 28 de la page 4 du brevet 705).

NOVA propose d’utiliser l’IRDS comme ligne de démarcation pour déterminer si un polymère est « ramifié de manière homogène », nonobstant les propriétés et les méthodes de fabrication connues des polymères. Les avis des experts de NOVA divergent quant à savoir si la ligne de démarcation pour déterminer l’homogénéité devrait être tracée à 30 % ou à 50 %.

Par polymère « ramifié de manière hétérogène », on entend un polymère dont la ramification est distribuée de manière différente et plus large que dans un interpolymère d’éthylène/α‑oléfine ramifié de manière homogène qui présente une masse moléculaire et des moyennes de ramification en chaîne courte similaires.

NOVA fait valoir que l’IRDS est aussi utilisé pour définir un polymère hétérogène, lorsque la ligne de démarcation est tracée sous 30 % ou 50 %.

[56]           Le brevet 705 définit les termes « ramifié de manière hétérogène » aux lignes 22 à 27 de la page 4 comme suit :

Les interpolymères d’éthylène/α‑oléfine ramifiés de manière homogène qui sont utiles pour former les compositions décrites ici sont ceux dans lesquels le comonomère est distribué de manière aléatoire dans une molécule d’interpolymère donnée et dans lesquels presque toutes les molécules d’interpolymère ont le même rapport éthylène/comonomère dans cet interpolymère. […]

Les parties conviennent qu’il s’agit de la définition de « ramifié de manière homogène » du brevet 705.

[57]           Elles conviennent également que le copolymère de polyéthylène peut soit se ramifier de manière homogène, soit se ramifier de manière hétérogène. M. Speed l’a déclaré de cette façon dans son témoignage :

[traduction]

Q.        Et, tel que je le comprends, et cela peut sembler banal après tout ce rassemblement de preuves, un polymère peut être soit ramifié de manière homogène soit ramifié de manière hétérogène, mais il ne peut être les deux à la fois?

R.        Les deux à la fois. Sauf erreur, si vos définitions sont exactes, c’est soit l’un, soit l’autre.

Q.        Très bien.

R.        Mais pas les deux à la fois.

(Transcription, 17 octobre 2013, page 3775)

[58]           NOVA fait valoir que l’indice de ramification de distribution structurale (IRDS) devrait être utilisé pour déterminer si un polymère est ramifié de manière homogène ou hétérogène. Selon les experts, on peut déterminer facilement l’IRDS d’un polymère. NOVA propose que l’IRDS puisse servir à départager sans équivoque les deux types de polymères. Les experts de NOVA ne semblent pas s’entendre sur le point par où devrait passer la ligne de démarcation pour déterminer l’homogénéité. Devrait-on considérer que les polymères dont l’IRDS est supérieur à 30 % sont ramifiés de manière homogène ou que les polymères dont l’IRDS est de 50 % ou plus sont ramifiés de manière homogène? Dans un même ordre d’idées, est-ce qu’un polymère dont l’IRDS est inférieur à 30 % ou à 50 % est ramifié de manière hétérogène?

[59]           La proposition relative à l’interprétation de polymères ramifiés de manière homogène faite par Dow s’appuie sur la définition du brevet 705, laquelle comprend les caractéristiques suivantes :

[traduction]

[…] les compositions décrites ici sont celles dans lesquelles le comonomère est aléatoirement distribué dans une molécule d’interpolymère donnée et dans lesquelles presque toutes les molécules d’interpolymère ont le même rapport éthylène/comonomère. […]

[60]           Selon le témoignage des experts, les personnes versées dans l’art savaient très bien, avant 1994, que la fréquence de ramification moyenne des polymères ramifiés de manière homogène ne changeait pas en fonction de la masse moléculaire.

[61]           Le témoin de NOVA, M. Kelusky, a déclaré, lors de son contre-interrogatoire au sujet de la pièce P‑30 (un document de NOVA portant sur sa composition de SURPASS) :

[traduction]

Q.        Ils soutiennent donc que toutes les molécules de polymère contiennent la même quantité de comonomère par unité de longueur dans chaque catalyseur à site unique et chaque polymère ramifié de manière homogène. Il n’y a aucune réserve à ce sujet, n’est-ce pas, Monsieur?

R.        Il n’y a aucune réserve à propos de cette affirmation.

Q.        Je vous remercie. Autrement dit, il faut en comprendre que chaque molécule de polymère présente le même rapport éthylène/comonomère?

R.        Dans cet énoncé particulier décrivant cette condition précise, oui.

(Transcription, 24 septembre 2013, pages 1714 et 1715)

Et :

[traduction]

Q.        Le rapport varie en fonction de la masse moléculaire. De ce point de vue, il est donc différent du produit ramifié de manière homogène, lequel ne varie pas selon la masse moléculaire, donc c’est différent?

R.        Je reconnais qu’il s’agit là de la distinction entre « homogène » et « hétérogène ».

(Transcription, 24 septembre 2013, pages 1723 et 1724)

[62]           Voici comment l’expert de Dow, le Pr Soares, explique le phénomène :

[traduction]

En anglais, CCD signifie « distribution de la composition chimique », autrement dit la même chose que la distribution de la ramification en chaîne courte, mais au lieu d’être donnée sous la forme du nombre de ramifications par millier d’atomes de carbone, la mesure est donnée sous forme de pourcentage d’octène. Nous savons toutefois qu’il s’agit de la même chose.

Stockmayer a ajouté une autre mesure pour décrire de quoi la distribution de la composition chimique ou la distribution de la ramification en chaîne courte devrait avoir l’air lorsqu’on utilise un catalyseur à site unique, dans des conditions uniformes de réacteur. Les mesures, ou expressions, s’appliquent à d’autres types de procédés de polymérisation, mais celles qui nous importent dans le cas présent concernent un catalyseur à site unique pour des polyoléfines sous forme particulaire.

Les distributions de Stockmayer et Flory sont donc un point de repère, si l’on veut, pour essayer de déterminer si un polymère est fabriqué dans les conditions que je viens d’énoncer, soit un catalyseur à site unique, dans des conditions uniformes. Voilà ce que j’appelle un polymère uniforme, et la plupart des scientifiques dans le domaine entendront par là un polymère uniforme ou homogène.

Q.        Comment un spécialiste des polymères se servira-t-il des distributions de Flory et de Stockmayer?

R.        Bien, on peut notamment s’en servir comme point de repère pour déterminer si un matériau analysé est fabriqué dans ces conditions de réacteur uniformes et au moyen d’un catalyseur qui se comporte comme un catalyseur à site unique dont toutes les molécules donnent un polymère qui présente les mêmes propriétés moyennes. Il s’agit donc d’une très bonne manière de déterminer si ces conditions sont respectées. En se fiant aux distributions de Flory et de Stockmayer, on peut s’assurer d’avoir quelque chose qui s’approche de la distribution théorique, ce qui signifie que l’on respecte l’hypothèse formulée par Flory et Stockmayer dans leurs calculs. On peut aussi s’en servir pour analyser des polymères complexes, comme je l’expliquerai plus loin dans mon rapport.

(Transcription, 10 septembre 2013, aux pages 218 et 219)

[63]           L’utilisation de l’IRDS comme ligne de démarcation entre les polymères ramifiés de manière homogène et ceux ramifiés de manière hétérogène pose un autre problème. Selon le brevet 705, le polymère Dowlex 2045 se ramifie de manière hétérogène, mais son IRDS est d’environ 52 %. Selon le brevet 705, on peut utiliser le polyéthylène haute densité (PEHD) pour la composante B de l’invention ramifiée de manière hétérogène, mais le PEHD a un IRDS de 100 %. Par conséquent, ces polymères ramifiés de manière hétérogène seraient incorrectement considérés comme ramifiés de manière homogène selon l’essai de démarcation de NOVA au moyen de l’IRDS, car leur IRDS dépasserait les références de 30 % et de 50 %.

[64]           Je préfère la définition de « ramifié de manière homogène » énoncée dans le brevet 705. Lorsque cette définition sera acceptée, tous les polymères qui ne répondent pas à cette définition seront des polymères ramifiés de manière hétérogène.

[65]           Ma conception des termes « ramifié de manière homogène » et « ramifié de manière hétérogène » est la même que la conception proposée par Dow que voici :

Par polymère « ramifié de manière homogène », on entend un polymère dont le comonomère est aléatoirement distribué dans une molécule d’interpolymère donnée et dans lequel presque toutes les molécules d’interpolymère ont le même rapport éthylène/comonomère dans l’interpolymère (lignes 23 à 28 de la page 4 du brevet 705).

Par polymère « ramifié de manière hétérogène », on entend un polymère dont la ramification est distribuée de manière différente et plus large que dans un interpolymère d’éthylène/α‑oléfine ramifié de manière homogène qui présente une masse moléculaire et des moyennes de ramification en chaîne courte similaires.

E.                 Question 5 – Quelle est la signification des termes « linéaire » et « sensiblement linéaire » dans les revendications du brevet 705?

[66]           Je suis d’accord avec Dow. Cette contestation concerne avant tout la définition de la « ramification en chaîne longue » (RCL). Dow résume la position des parties comme suit :

Interprétation de Dow

Interprétation de NOVA

Dow affirme que le terme RCL utilisé dans le brevet correspond à la définition reconnue dans le domaine, laquelle ne comprend pas la ramification en chaîne courte de comonomère d’octène.

NOVA soutient que le terme RCL utilisé dans le brevet est défini de manière spéciale, et que cette définition comprend la RCL de comonomères d’octène.

[67]           La définition du terme « interpolymère linéaire d’éthylène/α‑oléfine » est fournie à la page 6 du brevet 705 :

Par « interpolymère linéaire d’éthylène/α‑oléfine », on entend que l’interpolymère n’a pas de ramification en chaîne longue. C’est-à-dire que l’interpolymère linéaire d’éthylène/α‑oléfine présente une absence de RCL, comme c’est le cas des polymères linéaires en polyéthylène de faible ou de haute densité faits selon un procédé de polymérisation à distribution de ramification uniforme, ou homogène, comme décrit dans le brevet américain 3645992.

[68]           Voici la définition de ramification en chaîne longue donnée dans le brevet 705 :

Pour les besoins du présent brevet, la ramification en chaîne longue est définie comme étant une chaîne d’au moins six atomes de carbone, puisqu’il est impossible de distinguer une longueur supérieure au moyen de la spectroscopie de résonance magnétique nucléaire du carbone 13. Pourtant, la ramification en chaîne longue peut être à peu près de la même longueur que la chaîne principale du polymère.

(Brevet 705, page 6)

[69]           On affirme ce qui suit à propos des interpolymères sensiblement linéaires d’éthylène/α‑oléfine dans le brevet 705 :

« Les interpolymères sensiblement linéaires d’éthylène/α‑oléfine ne sont pas des polymères “linéaires” dans le sens classique du terme, c’est-à-dire pour décrire un polyéthylène de faible densité (p. ex., un polyéthylène linéaire de faible densité polymérisé au moyen de la catalyse hétérogène de Ziegler-Natta). Ils ne sont pas non plus des polymères ramifiés fortement, comme les polyéthylènes de faible densité. Les interpolymères sensiblement linéaires d’éthylène/α‑oléfine de la présente invention correspondent plutôt à la description donnée dans le brevet américain 5272236. De manière plus précise, on entend par “sensiblement linéaire” que l’on remplace la chaîne principale du polymère par 0,01 RCL/1000 atomes de carbone à 3 RCL/1000 atomes de carbone, préférablement par 0,01 RCL/1000 atomes de carbone à 1 RCL/1000 atomes de carbone, et plus encore par 0,05 RCL/1000 atomes de carbone à 1 RCL/1000 atomes de carbone.

(Brevet 705, pages 5 et 6)

[70]           Lors de son contre-interrogatoire, le Pr Soares a déclaré ce qui suit :

[traduction]

Q.        Merci. Si vous consultez le brevet, à la page 6, vous lisez ce qui suit, à la ligne 9.

R.        À la page 6, à la ligne 9, oui.

Q.        On lit ce qui suit :

« […] la ramification en chaîne longue est définie comme étant […] »

Et je crois qu’on peut tous s’entendre pour dire qu’il faudrait lire « defined » et non « defines » dans la version anglaise.

R.        Oui, évidemment.

Q.        « […] la ramification en chaîne longue est définie comme étant une chaîne d’au moins six atomes de carbone […] »

Vous voyez?

R.        Oui.

Q.        Donc, pour une longueur de chaîne d’une ramification de six atomes, la tête serait dans le polyéthylène, et la longueur de chaîne serait de six. Il s’agirait donc d’un octène, n’est-ce pas?

R.        C’est exact, mais on lit également, si vous poursuivez la lecture :

« [...] il est impossible de distinguer une longueur supérieure au moyen de la spectroscopie de résonance magnétique nucléaire du carbone 13 [ou RMN du 13C]. Pourtant, la ramification en chaîne longue peut être à peu près de la même longueur que la chaîne principale du polymère », ce qui cadre avec la définition habituelle.

Q.        Je veux simplement m’assurer que lorsqu’on parle d’au moins six atomes, on parle d’une longueur qui serait la même que celle d’un octène.

R.        Mais c’est parce que vous utilisez [...] La résonance magnétique nucléaire ne permet pas de distinguer les chaînes plus longues. Je crois qu’on parle ici de [...]

Q.        Une réponse affirmative est satisfaisante.

R.        Non, je crois que ce brevet fait référence au [...] Je crois qu’il s’agit du brevet 236, n’est-ce pas? Je crois que celui-ci fait référence à des articles de Randall. Je crois que je l’ai mentionné dans mon rapport de réfutation, mais je n’ai pas ce dernier sous les yeux. Et Randall parle en fait d’une combinaison de ces techniques et de mesures rhéologiques, ainsi que de la capacité de déterminer les renseignements extraits à propos des longs embranchements. Personne ne dit que le C6 constitue un long embranchement. Pourquoi voudrait-on faire une telle chose? Cela entre en contradiction avec [...] Vous savez, c’est insensé dans le contexte du brevet. Parce qu’on parle de polymères linéaires qui sont des copolymères d’éthylène et d’octène, mais si l’on considère le C6 comme une RCL, alors tout ce qui se trouve ici sera sensiblement linéaire. Je veux dire [...] Je ne comprends même pas ce qui suscite la controverse. Dans ce cas, il n’y aura pas de matériau linéaire. Je ne [...] À mon avis, c’est juste [...] En fait, je ne sais pas. Cela me semble si évident.

Q.        Vous n’avez pas à vous en préoccuper parce que c’est à nous les avocats d’en débattre et au juge de trancher.

R.        Vous remettez en question mes documents antérieurs à ce sujet, c’est pourquoi je vous explique que je n’ai jamais exposé cette idée parce qu’elle n’est vraiment pas logique.

Q.        Je voulais simplement savoir, et je crois que vous avez répondu à ma question, mais je voulais simplement savoir : est-ce que les six atomes de carbone de la longueur de chaîne dont il parle constituent un octène?

R.        Mais ce n’est pas [...] oh, excusez-moi, vous vouliez intervenir?

Me DIMOCK : Il a déjà répondu à la question, une question tendancieuse.

Me MACFARLANE :

Q.        J’aimerais simplement avoir une réponse claire. Si la chaîne comporte six atomes de carbone, parle-t-on d’un octène?

R.        S’il y a six atomes, mais la résonance magnétique nucléaire indiquera une longueur de six atomes, même si celle-ci est plutôt de 8, 10, 20 ou 1000.

Q.        Je veux simplement une réponse à une question.

R.        Alors quelle est la question?

Q.        Si la chaîne comporte six atomes, il s’agit d’un octène?

R.        En réalité. La mesure ne peut pas dépasser six atomes.

Q.        C’est exact.

R.        Nous ne parlons donc pas d’une mesure par résonance magnétique nucléaire, mais si je place une petite ligne ondulée ici et que je mets six « C » au bout, parle-t-on alors d’un octène? Oui, c’est bien cela. Si je n’ai pas de pointe de résonance magnétique nucléaire de C6, il pourrait s’agir de C6, de C8, de C10 ou de C1000.

Q.        C’est exact.

R.        Je veux simplement m’assurer que j’ai répondu à la question que vous me posez parce que je ne suis pas certain que vous avez posé cette question.

Q.        Ma question est fort simple.

R.        D’accord. Alors, il s’agit de savoir si j’obtiens la ramification de C6 en copolymérisant de l’octène et de l’éthylène. La réponse est oui.

Q.        Très bien. Merci. Je vais maintenant vous demander d’accepter une hypothèse tout en sachant que vous ne l’acceptez pas.

R.        Très bien.

Q.        C’est en supposant que l’on définit un octène comme étant une RCL dans le brevet, d’accord?

A.        D’accord.

Q.        Pensez-vous comme moi que les polymères de Nova ne sont pas linéaires? Parce qu’ils comprennent un octène? C’est une hypothèse.

R.        Je ne suis pas d’accord. C’est faux.

Q.        Vous n’êtes pas d’accord avec l’hypothèse?

R.        Bien, il est incorrect de définir un octène [...] une ramification issue de l’incorporation d’un octène, comme étant une RCL.

(Transcription, 12 septembre 2013, pages 590 à 594)

[71]           M. Speed, l’expert de NOVA, a expliqué ce qui suit lors de son contre-interrogatoire :

[traduction]

Q.        Et maintenant, si nous pouvions examiner la revendication 33 du brevet. Et vous avez dit, avant que je passe à autre chose, 218J, que cela donne lieu à des incohérences dans le brevet. Je veux donc revenir au brevet. Examinons la revendication 33 du brevet en cause, pièce P1.

R.        Désolé, laissez-moi vérifier.

Q.        C’est à la page 34 du brevet. Ici, on indique la composition de la revendication 32, pour laquelle on nous renvoie à la revendication 29 que nous avons examinée :

[...] selon laquelle au moins un interpolymère linéaire d’éthylène/α‑oléfine ramifié de manière homogène est un copolymère d’éthylène et de 1-octène.

Et vous voyez cela, M. Speed?

R.        Oui, je le vois.

Q.        D’accord. Donc cela fait référence à un interpolymère linéaire d’éthylène/α‑oléfine qui serait défini, selon votre compréhension, comme étant un interpolymère qui ne comporte pas de RCL?

R.        Il s’agit de la définition classique du terme « interpolymère linéaire d’éthylène/α‑oléfine ».

Q.        Ce n’est pas la seule définition classique, mais conviendriez-vous ou iriez-vous jusqu’à dire qu’on définit de cette manière ce qui constitue un copolymère linéaire dans le brevet? Retournons à la ligne 17 de la page 6. On y indique que le terme :

[...] « interpolymère linéaire d’éthylène/α‑oléfine » signifie que l’interpolymère ne comporte pas de RCL.

Donc, selon votre compréhension, le brevet cadre avec la définition d’interpolymère généralement reconnue.

R.        Oui, je crois qu’on fait directement référence aux interpolymères qui ne comportent aucune RCL quand on parle d’interpolymère linéaire.

Q.        Revenons à la revendication 33. Il s’agit donc d’un interpolymère linéaire, ce qui implique une RCL, selon notre compréhension, mais cet interpolymère est un copolymère dont le comonomère est le 1-octène, n’est-ce pas?

R.        Et je crois que c’est ce que vise la revendication.

Q.        Ainsi, la ramification de 1 octène ou la ramification est ce que nous appellerions l’incorporation d’un comonomère?

R.        Oui, on inclut habituellement un groupe de C6, un groupe latéral, un groupe de ramifications en chaîne courte quand la chaîne comporte un octène.

Q.        Et pour la cohérence de cette revendication, pour que la revendication englobe les interpolymères linéaires qui ne comportent pas de RCL, l’incorporation d’un comonomère d’octène ne peut pas être une RCL, autrement, la revendication serait incohérente, n’est-ce pas?

R.        Eh bien, je crois que cela peut entraîner une incohérence, en ce sens qu’on parle d’une part d’interpolymère linéaire d’éthylène/α‑oléfine et, d’autre part, de la fabrication d’un polymère avec groupe latéral C6, alors que l’on considère la chaîne de six carbones comme une RCL dans la section dont nous parlions plus tôt.

Q.        Donc, si vous voulez expliquer la revendication, en ayant la volonté de comprendre, M. Speed, si vous voulez expliquer la revendication 33, vous diriez que la RCL ne comprend pas l’incorporation d’un comonomère selon le brevet? Sinon, la revendication 33 est insensée, et la seule manière de comprendre l’ensemble du brevet est, à mon avis, de supposer que la RCL exclut l’incorporation d’un comonomère.

R.        C’est ainsi que je l’interpréterais.

Q.        Merci.

R.        Oui.

Q.        Je vous remercie. Dans les exemples 1 et 2 que vous trouverez à partir de la page 16 du brevet, on parle de copolymères sensiblement linéaires d’éthylène et d’octène ramifiés de manière homogène. On y indique que ces polymères, ou copolymères, ont une masse volumique de 0,91 g/cm3. À une masse volumique comme celle-là, on s’attend à ce qu’un tel copolymère comporte plus de trois ramifications d’octène par millier ou beaucoup plus que trois ramifications d’octène par millier.

R.        Il y en aurait certainement plus que trois.

Q.        Et s’il compte bien plus de trois ramifications en chaîne courte, alors les ramifications en chaîne courte ne peuvent pas être des RCL parce qu’on parle ici d’un copolymère sensiblement linéaire qui, selon votre compréhension du qualificatif « sensiblement linéaire », comporte très peu de RCL, tout au plus trois RCL, par millier?

R.        C’est ainsi que je comprends la définition que l’on trouve dans le brevet 705.

Q.        Donc, pour que cet exemple soit cohérent, il faudrait que la RCL ne comprenne pas l’incorporation d’un comonomère ou n’englobe pas l’incorporation d’un comonomère?

R.        Oui, je comprends qu’il s’agit de deux choses distinctes, soit l’incorporation d’un comonomère pour créer des ramifications en chaîne courte afin de limiter la densité du polymère – voilà la lecture que j’en ferais normalement – et une RCL de centaines, voire de milliers d’atomes de carbone. Tout ce que je veux dire, c’est que la manière dont on définit les RCL dans le brevet ne semble pas correspondre à cela.

Q.        Pas si l’on veut comprendre les exemples 1 et 2. Ce qui est sensé, c’est de se fier à l’interprétation selon laquelle la RCL n’inclut pas l’incorporation de comonomères. Si l’on se fie à cette interprétation, les exemples sont parfaitement sensés, n’est‑ce pas?

R.        Je les interpréterais de la manière que vous venez de décrire. Je veux dire que j’interpréterais normalement les choses de cette manière. Je chercherais des RCL qui comportent des centaines d’atomes. Selon ce procédé de polymérisation, la ramification en chaîne courte est attribuable au comonomère et à l’incorporation de ramifications en chaîne latérale pour limiter la densité. Voilà la manière habituelle de comprendre ces polymères.

(Transcription, 16 octobre 2013, pages 3513 à 3517)

[72]           Après avoir examiné le brevet et le témoignage de MM. Soares et Speed, je considère que la RCL utilisée dans le brevet 705 exclut la ramification en chaîne courte de comonomère d’octène.

[73]           Si la RCL utilisée dans le brevet 705 exclut la ramification en chaîne courte de comonomère d’octène, alors cela correspond à la définition d’interpolymère linéaire d’éthylène/α‑oléfine dans la partie A des revendications en cause.

[74]           Par conséquent, l’interprétation que je donne de ce terme du brevet 705 correspond à celle proposée par Dow :

Le terme RCL utilisé dans le brevet correspond à la définition reconnue dans le domaine, laquelle ne comprend pas la ramification en chaîne courte de comonomère d’octène.

F.                  Question 6 – Quelle est la signification des termes « pente du coefficient de rhéo‑durcissement » dans les revendications du brevet 705?

[75]           Selon Dow, le point de vue des parties en ce qui concerne l’interprétation de la pente du coefficient de rhéo‑durcissement est le suivant :

Interprétation de Dow

Interprétation de NOVA

Une personne versée dans l’art déterminerait le coefficient de rhéo‑durcissement en :

NOVA soutient qu’une personne versée dans l’art ne pourrait pas déterminer la pente du coefficient de rhéo‑durcissement, mais que si elle y parvenait, ce serait en :

a) utilisant une courbe charge-allongement;

a) utilisant une courbe contrainte-déformation technique (déformation à l’adhérence);

b) utilisant les unités de mesure anglo-saxonnes, soit la livre pour la force et le pouce pour l’allongement;

b) utilisant les unités de mesure anglo-saxonnes, soit la livre pour la force et le pouce pour l’allongement;

c) traçant une ligne parallèle à la courbe là où la pente est la plus forte dans la zone de rhéo‑durcissement avant la rupture.

c) traçant une ligne parallèle à la courbe au début de la zone de rhéo‑durcissement.

[76]           Selon le brevet 705, on calcule la pente du coefficient de rhéo‑durcissement comme suit :

pente du coefficient
de rhéo‑durcissement = Pente de rhéo‑durcissement × (I2)0,25

[77]           On affirme aussi dans le brevet 705 que I2 est l’indice de fluidité en grammes par 10 minutes. La signification et la mesure de I2 ne font l’objet d’aucune contestation.

[78]           On détermine la pente de rhéo‑durcissement d’un matériau en menant des essais de traction sur le polymère selon le protocole établi dans le brevet 705.

[79]           Le brevet 705 montre comment calculer la pente du coefficient de rhéo‑durcissement et la pente de rhéo‑durcissement :

[traduction]

On mesure la pente de rhéo‑durcissement en moulant par compression une plaque du polymère que l’on veut éprouver. La plaque est habituellement moulée à environ 177 °C pendant quatre minutes en absence presque totale de pression, puis on la presse pendant trois minutes à une pression d’environ 200 psi (ou 1 400 kPa). On laisse ensuite refroidir la plaque à une vitesse d’environ 8 °C/minute tout en maintenant une pression de 200 psi (ou 1 400 kPa). La plaque moulée a une épaisseur d’environ 0,005 po (0,01 cm). On y découpe ensuite une éprouvette de traction plate (en forme d’haltère) au moyen d’un emporte-pièce. L’éprouvette a une largeur de 0,315 po (0,08 cm) et une longueur de 1,063 po (2,7 cm). La partie courbée de l’éprouvette commence à 0,315 po (0,8 cm) de chaque extrémité de la pièce. La courbe diminue jusqu’à ce que la pièce ait une largeur de 0,09 po (0,2 cm). La distance entre le début et la fin de la courbe est de 0,118 po (0,3 cm). La partie intérieure de l’éprouvette a donc une largeur de 0,09 po (0,2 cm) et une largeur de 0,197 po (0,5 cm).

Les propriétés de traction de l’échantillon d’essai sont testées à l’aide d’un dynamomètre Instron à une vitesse de la traverse de 1 po par minute (2,5 cm par minute). La pente de rhéo‑durcissement est calculée à partir de la courbe de traction résultante, et ce, en traçant une droite parallèle à la zone de rhéo‑durcissement de la courbe contrainte-déformation résultante. On obtient la zone de rhéo‑durcissement après avoir fait tracter à l’échantillon sa charge initiale (c’est-à-dire, la contrainte), généralement avec un allongement faible ou nul pendant la charge initiale, et après avoir fait subir à l’échantillon un léger rétrécissement, généralement avec peu ou pas d’augmentation de la charge, mais avec une augmentation de l’allongement (c’est-à-dire, la déformation). Dans la zone de rhéo‑durcissement, la charge et l’allongement de l’échantillon continuent tous deux à augmenter. La charge augmente dans la zone de rhéo‑durcissement à une vitesse beaucoup plus faible que dans la zone de charge initiale, et l’allongement augmente également, mais encore une fois, à une vitesse bien plus faible dans la zone de rétrécissement. La figure 1 illustre les différentes étapes de la courbe contrainte-déformation utilisée pour calculer la pente de rhéo‑durcissement. On détermine ensuite la pente de la droite parallèle à la zone de rhéo‑durcissement.

On calcule la pente du coefficient de rhéo‑durcissement selon la formule suivante :

pente du coefficient
de rhéo‑durcissement = Pente de rhéo‑durcissement × (I2)0,25

I2 est l’indice de fluidité en gr/10 min.

(Brevet 705, pages 9 et 10)

[80]           L’éprouvette de traction plate décrite ci-dessus peut être représentée comme suit :

Diagram 1

[81]           Le protocole comporte les étapes suivantes :

1.         Une plaque est moulée par compression à partir du polymère à tester dans les conditions particulières indiquées. Les éprouvettes en forme d’haltère sont découpées dans la plaque des échantillons. Les mesures de ces échantillons d’essai sont énoncées dans le brevet 705 (voir le paragraphe 78 des présents motifs).

2.         Les propriétés de traction des échantillons d’essai ont été testées à l’aide d’un dynamomètre Instron. Les témoins sont d’accord pour dire qu’une personne versée dans l’art saurait mener des essais de traction à l’aide du dynamomètre Instron. La traverse du dynamomètre peut se déplacer à 1 po par minute.

3.         Le résultat par défaut d’un appareil Instron comprend une courbe charge-allongement qui représente la force nécessaire pour étirer l’échantillon à la vitesse de la traverse précisée par rapport à l’allongement de l’échantillon. Dans le brevet 705, il est précisé que l’on calcule la pente de rhéo‑durcissement « en traçant une droite parallèle à la zone rhéo‑durcissement de la courbe contrainte-déformation résultante » et en déterminant la pente de cette droite.

[82]           Le principal différend entre les parties sur cette question se résume au type de courbe de traction devant être utilisé. NOVA soutient que le type de courbe de traction à utiliser est une courbe contrainte-déformation technique, et Dow affirme que ce doit être un tracé des données par défaut sur la charge et l’allongement tirées du dynamomètre Instron.

V.       La courbe charge-allongement et la courbe contrainte-déformation technique

[83]           NOVA maintient qu’il faut utiliser une courbe contrainte-déformation technique. En ce qui concerne la pente, ce type de courbe aurait une valeur numérique différente de celle donnée par la courbe charge-allongement. Dans le brevet 705, il est fait par deux fois référence à une courbe contrainte-déformation (page 9, lignes de 31 à 33, et page 10, lignes de 6 à 8).

[84]           NOVA soutient également que son expert, le Pr Cakmak a préparé les éprouvettes à partir de Dowlex 2056 et de Dowlex 2045 et ne pouvait pas obtenir le coefficient de rhéo‑durcissement suggéré de 1,5 à l’aide d’une courbe charge-allongement dont l’unité est en livres et non en pouces.

[85]           Les conclusions de Dow sur le type de courbe sont énoncées au paragraphe 353 de son mémoire des faits et du droit et arguments relatifs à l’interprétation des revendications :

Conclusion sur le type de courbe

353.     Dans l’ensemble, selon :

(a)        l’utilisation répétée des termes « charge » et « allongement » dans le brevet 705;

(b)        le contexte pertinent concernant la personne versée dans l’art, y compris le fait que :

(i)         la désignation « courbe contrainte-déformation » est employée de façon générique;

(ii)        le résultat par défaut de l’appareil Instron est une courbe charge-allongement;

(c)        le fait que le brevet 705 ne précise pas une longueur entre les repères ou l’aire de la section transversale pour convertir les données charge-allongement en valeurs d’ingénierie de contrainte-déformation.

[86]           Dow fait valoir que ceci appuie l’utilisation d’une courbe charge-allongement pour mesurer la pente de rhéo‑durcissement. Dow souligne que le brevet 705 mentionne à maintes reprises la charge et l’allongement lorsqu’il est question du type de courbe à utiliser. Il est indiqué aux pages 9 et 10 du brevet 705 que :

[traduction]

La résistance à la traction de l’échantillon d’essai est testée à l’aide d’un dynamomètre Instron à une vitesse de 1 po/minute (2,5 cm/min). La pente de rhéo‑durcissement est calculée à partir de la courbe de traction résultante, et ce, en traçant une droite parallèle à la zone de rhéo‑durcissement de la courbe contrainte-déformation résultante. On obtient la zone de rhéo‑durcissement après avoir fait tracter à l’échantillon sa charge initiale (c’est-à-dire, la contrainte), généralement avec un allongement faible ou inexistant pendant la charge initiale [sic], et après avoir fait subir à l’échantillon un léger rétrécissement, généralement avec peu ou pas d’augmentation de la charge, mais avec une augmentation de l’allongement (c’est-à-dire, la déformation). Dans la zone de rhéo‑durcissement, la charge et l’allongement de l’échantillon continuent tous deux à augmenter. La charge augmente dans la zone de rhéo‑durcissement à une vitesse beaucoup plus faible que dans la zone de charge initiale, et l’allongement augmente également, mais, encore une fois, à une vitesse bien plus faible que dans la zone de rétrécissement. La figure 1 illustre les différents stades de la courbe contrainte-déformation utilisée pour calculer la pente de rhéo‑durcissement. On détermine ensuite la pente de la droite parallèle à la zone de rhéo‑durcissement.

[Non souligné dans l’original]

Dow affirme que, d’après ces renseignements, une personne versée dans l’art conclurait que la pente de rhéo‑durcissement doit être mesurée à l’aide d’une courbe charge-allongement.

[87]           Dow soutient également qu’une personne versée dans l’art emploierait la désignation « courbe contrainte-déformation » de façon générique pour couvrir les différents types de courbes de traction, y compris les courbes charge-allongement. Le Pr Young et M. Lai précisent également cela. Même si le Pr Cakmak (l’expert de NOVA) a initialement nié savoir que l’on pouvait faire référence à la courbe charge-allongement en tant que courbe contrainte-déformation, il a plus tard admis que dans certains documents (y compris dans la pièce P-116), la courbe charge-allongement est désignée sous l’appellation de courbe contrainte-déformation. Il a déclaré :

[traduction]

Q.        Donc, encore une fois, est-il exact de dire que dans la brève description des schémas, la courbe charge-allongement est désignée sous l’appellation de courbe contrainte-déformation?

R.        Oui.

(Transcription, 30 septembre 2013, page 2311)

[88]           En outre, Dow allègue que l’appareil Instron produit des données de charge et d’allongement et que le résultat par défaut est une courbe charge-allongement. Le brevet 705 indique à une personne versée dans l’art comment calculer une pente de rhéo‑durcissement en traçant une droite parallèle à la courbe contrainte-déformation tirée du dynamomètre Instron. Bien que cela soit possible, le brevet 705 n’explique pas comment convertir la courbe charge-allongement en un autre type de courbe contrainte-déformation, comme une courbe contrainte-déformation technique.

[89]           Enfin, Dow soutient que son interprétation doit être privilégiée puisque le brevet 705 ne précise pas de longueur entre les repères. La longueur entre repères est « une partie précise et déterminée d’une éprouvette dont l’allongement (la déformation) est observé pendant un essai de traction lorsqu’une charge est appliquée, ce qui aura une incidence importante sur la détermination de la contrainte technique et la déformation technique » (paragraphe 332 du mémoire des faits et du droit et arguments relatifs à l’interprétation des revendications déposé par Dow).

[90]           L’importance du fait de connaître la longueur entre repères est indiquée dans le manuel de l’utilisateur d’Instron :

[traduction]

Le fait d’établir la longueur entre repères est l’une des décisions les plus importantes à prendre dans le cadre d’essais de traction. La longueur entre repères sert de base au calcul du pourcentage d’allongement (soit la déformation technique) et à la détermination de la vitesse de déformation de l’échantillon. Ainsi, elle peut avoir des répercussions sérieuses sur les résultats des essais.

(Pièce P-121, p. A‑3)

[91]           Selon les données, une personne versée dans l’art pourrait choisir une longueur entre repères qui donnerait, au final, des valeurs différentes de coefficient de rhéo‑durcissement.

[92]           Puisque le brevet ne donne pas de renseignements sur la longueur entre repères, Dow explique qu’une personne versée dans l’art en déduirait qu’il faut utiliser la courbe charge-allongement. Je suis d’accord avec cela.

[93]           Compte tenu des arguments de Dow et de NOVA ci-dessus, mon interprétation du brevet 705 est que la pente de rhéo‑durcissement doit être mesurée à l’aide d’une courbe charge-allongement.

[94]           En ce qui a trait aux unités de mesure, les deux parties s’accordent sur les unités de mesure anglo-saxonnes.

VI.                   Mesure de la pente

[95]           NOVA soutient que le point à partir duquel on doit tracer la droite parallèle à la courbe de traction pour mesurer la pente de rhéo‑durcissement n’est pas clairement précisé dans le brevet 705.

[96]           La pièce D-88 indique les différentes zones de la courbe de traction :

Fracture

 
Zone de Texte:  Force

Début du rhéo-durcissement

 

Allongement

 

Région élastique

 

Rétrécissement

 

Rhéo-durcissement

 

Point de rupture

 
Diagram2JPG

[97]           Les experts s’entendent généralement pour dire qu’il existe une zone de transition entre la zone d’allongement et la zone de rhéo‑durcissement. Au début du rhéo‑durcissement, le polymère subit à la fois un allongement et un rhéo‑durcissement. Un peu plus loin sur la courbe, vers la zone de rupture, on constate un allongement moins important et un plus grand rhéo‑durcissement.

[98]           Le Pr Cakmak suggère que l’on mesure la pente au début du rhéo‑durcissement. Toutefois, d’après la preuve, cette zone de transition comporte de nombreuses pentes différentes. Ainsi, le choix concernant l’endroit où mesurer la pente est très subjectif.

[99]           Le Pr Young a déclaré qu’une personne versée dans l’art saurait que l’endroit idéal pour mesurer la pente de rhéo‑durcissement sur la courbe charge-allongement est là où se trouve la pente maximale après la limite apparente d’élasticité. Cette zone est celle qui représente le mieux les réelles caractéristiques de rhéo‑durcissement du polymère (voir le paragraphe 364 du mémoire des faits et du droit et arguments relatifs à l’interprétation des revendications et les pages 4105 à 4107 de la transcription du procès).

[100]       Le fait que la pente soit à peu près linéaire (et pas changeante) juste avant la rupture justifie la mesure de la pente dans cette zone. Cela n’est pas le cas dans la zone de transition à proximité du début du rhéo‑durcissement, où la pente est changeante et donne de nombreuses pentes différentes.

[101]       Une personne versée dans l’art depuis 1994 saurait que, afin de déterminer la pente de rhéo‑durcissement, la zone appropriée sur la courbe pour tracer une droite parallèle est la zone juste avant la rupture, car c’est là que se trouve la pente maximale. Une personne versée dans l’art saurait également éviter tout effet de bout. À titre d’exemple, une diminution du rhéo‑durcissement avec une augmentation de la charge vers la fin de la courbe de traction serait un effet de bout, car l’échantillon glisserait dans les mors de l’appareil Instron.

[102]       En tenant compte des preuves et des arguments de l’avocat, voici mon interprétation du coefficient de la pente de rhéo‑durcissement :

[traduction]

Une personne versée dans l’art déterminerait le coefficient de rhéo‑durcissement en :

a)         utilisant une courbe charge-allongement;

b)         utilisant les unités de mesure anglo-saxonnes, soit la livre pour la force et le pouce pour l’allongement;

c)         traçant une ligne parallèle à la courbe là où la pente est la plus forte dans la zone de rhéo‑durcissement avant la rupture.

[103]       Bien que sa décision ne lie pas la Cour, il est instructif de signaler que dans l’instance connexe américaine, la Cour d’appel a tiré une conclusion semblable dans son arrêt :

[traduction]

Selon [l’expert de Dow dans le dossier américain], une personne versée dans l’art saurait que la pente de rhéo‑durcissement doit être mesurée à sa valeur maximale, ce qui reflète le meilleur comportement du matériau soumis à une traction.

[...]

Dow a établi qu’une personne versée dans l’art saurait que la pente maximale de la courbe contrainte-déformation est la valeur appropriée pour calculer le coefficient de rhéo‑durcissement.

[Non souligné dans l’original]

(Pièce P‑96, arrêt de la Cour d’appel des États‑Unis, 24 janvier 2012, p. 19 et 20)

G.                Question 7 – Quelle est la signification des termes « fraction de polymère linéaire » dans les revendications du brevet 705?

[104]       Voici ce que déclare Dow, au paragraphe 393 de son mémoire sur l’interprétation des revendications :

[traduction]

On trouve la désignation « fraction de polymère linéaire » à la revendication 11 (en raison de sa dépendance à la revendication 10), ainsi qu’aux revendications 41 et 42 (en raison de sa dépendance à la revendication 41). Il est fait référence à la fraction de polymère linéaire dans la revendication 41, car elle est présente dans l’interpolymère d’éthylène à ramification hétérogène du composant B, et dans la revendication 10, car elle est absente de l’interpolymère d’éthylène/α‑oléfine linéaire à ramification homogène du composant A.

[105]       Voici l’interprétation que Dow propose pour la « fraction de polymère linéaire » et le résumé de ce que Dow pense être l’interprétation proposée par NOVA :

Interprétation de Dow

Interprétation de NOVA

Dans le contexte du composant B de la revendication 41, une personne versée dans l’art comprendrait que « fraction de polymère linéaire » désigne une fraction de densité plus élevée pouvant avoir une légère ramification.

NOVA critique l’interprétation de Dow de « fraction de polymère linéaire » dans le composant B de la revendication 41, mais ne propose aucune interprétation claire à la place.

[106]       Dans le brevet 705, on peut lire ce qui suit concernant le composant B de la revendication 41 :

[traduction]

Une composition de polymère d’éthylène comprenant :

(A)       […]

(B)       approximativement de 5 % à 90 % (du poids de la composition totale) d’au moins un interpolymère d’éthylène à ramification hétérogène caractérisé comme ayant une masse volumique de 0,93 g/cm3 environ à 0,965 g/cm3 environ, et comprenant une fraction de polymère linéaire, tel qu’il a été déterminé à l’aide d’une technique de fractionnement par élution avec élévation de température.

[107]       Voici ce que le Pr Soares a déclaré, aux paragraphes de 145 à 149 de son rapport d’expert (pièce P-9), à propos des fractions de polymères linéaires, telles qu’elles sont désignées dans le brevet 705 :

[traduction]

145.     La revendication 10 indique que l’interpolymère d’éthylène/α‑oléfine à ramification homogène n’a pas de fraction de polymère linéaire.

146.     À mon avis, une personne versée dans l’art comprendrait que l’expression « pas de fraction de polymère linéaire » indique qu’il n’y a pas de molécule de polymère mesurable sans ramification en chaîne courte. Cette personne comprendrait également que cette expression indique que le polymère ne contient pas de fraction mesurable d’homopolymère d’éthylène. Je constate (comme nous le verrons dans les paragraphes suivants) que si une personne versée dans l’art essayait de déterminer s’il y a une fraction de polymère linéaire en utilisant une technique de fractionnement par élution avec élévation de température, le pic de ce fractionnement inclurait tout homopolymère en plus de tout copolymère d’éthylène avec ramification en chaîne légèrement courte pouvant être présent.

147.     Selon la revendication 41, l’« interpolymère d’éthylène à ramification hétérogène » du composant B comprend une « fraction de polymère linéaire, tel qu’il a été déterminé à l’aide d’une technique de fractionnement par élution avec élévation de température ».

148.     À mon avis, une personne versée dans l’art comprendrait que « fraction de polymère linéaire » signifie une fraction de densité plus élevée pouvant présenter une légère ramification. La page 12 du brevet 705 cite comme exemple d’interpolymère à ramification hétérogène les produits Dowlex 2030, 2038 et 2090, chacun ayant une fraction avec une densité plus élevée telle que déterminée par un fractionnement par élution avec élévation de température (voir la figure 2 du brevet 705, qui illustre ce fractionnement pour le Dowlex 2045). Ce matériau plus dense contient des molécules avec ramification en chaîne légèrement courte et, peut-être, quelques molécules d’homopolymère d’éthylène.

149.     Cette interprétation correspond au vocabulaire de la revendication 41. Une personne versée dans l’art lirait « fraction de polymère linéaire » dans la revendication 41 comme étant qualifiée par l’expression « tel qu’il a été déterminé à l’aide d’une technique de fractionnement par élution avec élévation de température ». Par conséquent, la fraction de polymère linéaire serait définie par sa détection au moyen d’une technique de fractionnement par élution avec élévation de température. Une personne versée dans l’art comprendrait que cette expression fait référence à une fraction de polymère qui contient des molécules avec ramification en chaîne légèrement courte et possiblement quelques molécules d’homopolymère.

[108]       L’examen du rapport du Pr Soares (pièce P-9, paragraphe 148) et le contre-interrogatoire de M. Speed (transcription, volume 20, pages 3463 et 3464) révèlent que ces deux experts acceptent que « fraction de polymère linéaire » signifie une fraction de haute densité. Cette fraction aurait une ramification en chaîne courte, voire pas de ramification du tout.

[109]       J’accepte le témoignage du Pr Soares qui n’a pas été contredit par M. Speed.

[110]       De ce fait, mon interprétation de « fraction de polymère linéaire » est celle proposée par Dow. « Fraction de polymère linéaire » signifie :

Pour le composant B de la revendication 41, une personne versée dans l’art comprendrait que « fraction de polymère linéaire » désigne une fraction de densité plus élevée pouvant avoir une légère ramification.

[111]       Une fois que les revendications en litige ont été interprétées, la question suivante à examiner est celle de savoir si les revendications du brevet ont été contrefaites en tout ou en partie par les produits de la défenderesse.

VII.       Règles de droit relatives à la contrefaçon

[112]       Voici ce que j’ai écrit aux paragraphes 102, 103 et 104 du jugement UView :

102      […] La Loi sur les brevets ne définit pas la contrefaçon, mais son article 42 porte ce qui suit :

42. Tout brevet accordé en vertu de la présente loi contient le titre ou le nom de l’invention avec renvoi au mémoire descriptif et accorde, sous réserve des autres dispositions de la présente loi, au breveté et à ses représentants légaux, pour la durée du brevet à compter de la date où il a été accordé, le droit, la faculté et le privilège exclusif de fabriquer, construire, exploiter et vendre à d’autres, pour qu’ils l’exploitent, l’objet de l’invention, sauf jugement en l’espèce par un tribunal compétent.

103      La Cour suprême du Canada formule les observations suivantes sur la contrefaçon aux paragraphes 32 à 58 de l’arrêt Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser, [2004] 1 R.C.S. 902 :

32. Le recours à trois règles ou pratiques bien établies en matière d’interprétation législative peut également se révéler utile. Premièrement, l’interprétation du verbe « exploiter » figurant dans la Loi sur les brevets doit être téléologique et fondée sur la compréhension des raisons pour lesquelles la protection par brevet est accordée. Deuxièmement, l’interprétation doit être contextuelle, en ce sens qu’elle doit tenir compte des autres termes de la disposition. Enfin, elle doit tenir compte de l’apport de la jurisprudence. Nous analyserons brièvement chacun de ces outils d’interprétation pour ensuite les appliquer aux faits de la présente affaire.

33. Revenons d’abord à la règle de l’interprétation téléologique. L’interprétation téléologique (ou fondée sur l’objet visé) applicable à la revendication du brevet s’impose également pour déterminer s’il y a eu contrefaçon par exploitation (Free World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024, 2000 CSC 66). « L’interprétation téléologique est susceptible d’élargir ou de limiter la portée [du] texte [d’une revendication] » (Whirlpool, précité, par. 49). De même, elle est susceptible d’influer sur ce qui constitue une « exploitation » dans une affaire donnée.

34. L’article 42 a pour objet de définir les droits exclusifs du titulaire d’un brevet, à savoir le droit à la pleine jouissance du monopole conféré par le brevet. Par conséquent, l’interdiction s’applique à [traduction] « tout acte qui nuit à la pleine jouissance du monopole conféré au titulaire du brevet », s’il est accompli sans le consentement de ce dernier (H. G. Fox, The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions (4e éd. 1969), p. 349; voir également Lishman c. Erom Roche Inc., [1996] A.C.F. no 560 (QL) (1re inst.), par. 16.

35. Le principe directeur est que le droit des brevets doit accorder à l’inventeur « l’exclusivité de ce qu’il a inventé de bonne foi » : Free World Trust, précité, par. 43. En ce qui concerne le verbe « exploiter », la question devient la suivante : les activités du défendeur ont-elles privé l’inventeur, en tout ou en partie, directement ou indirectement, de la pleine jouissance du monopole conféré par la loi?

[...]

37. En pratique, l’inventeur est normalement privé des fruits de son invention et de la pleine jouissance de son monopole lorsqu’une autre personne exploite l’invention en question à des fins commerciales, sans avoir préalablement obtenu une licence ou une autorisation en ce sens [...]

[...]

43. Il peut donc y avoir contrefaçon par exploitation même dans le cas où l’invention brevetée fait partie ou est une composante d’une structure ou d’un procédé non brevetés plus vastes. Comme l’affirme le professeur Vaver, cette règle a une portée large. Elle est toutefois profondément enracinée dans le principe voulant que la protection par brevet ait principalement pour objet d’empêcher des tiers de priver l’inventeur, ne serait‑ce qu’en partie ou indirectement, du monopole que la loi entend lui conférer : seul l’inventeur a droit, en vertu du brevet ou de la loi, à la pleine jouissance du monopole conféré.

44. Ainsi, dans l’arrêt Saccharin Corp. c. Anglo‑Continental Chemical Works, Ld. (1900), 17 R.P.C. 307 (H.C.J.), p. 319, la cour affirme :

[traduction] En vendant la saccharine produite au moyen du procédé breveté, l’importateur prive le titulaire du brevet d’une partie des profits et avantages globaux de l’invention, et se trouve à exploiter indirectement l’invention.

Cet extrait confirme le caractère crucial de la question découlant de l’interprétation téléologique de la Loi sur les brevets : par ses actes ou sa conduite, le défendeur a-t-il privé l’inventeur, en tout ou en partie, directement ou indirectement, des avantages de l’invention brevetée?

45. Pour déterminer si le défendeur a « exploité » l’invention brevetée, il faut examiner les agissements du défendeur au regard de l’objet du brevet et se demander si ces agissements mettaient effectivement en cause cet objet. Dans l’arrêt Betts c. Neilson (1868), L.R. 3 Ch. App. 429 (conf. par (1871), L.R. 5 H.L. 1), l’objet du brevet était la préservation du contenu de bouteilles pendant leur transport. La cour a statué que, même si les bouteilles ne faisaient que transiter par l’Angleterre sans être ouvertes, le défendeur avait exploité l’invention dans ce pays étant donné que, pendant qu’elle y était transportée, la bière était protégée par l’invention. Lord Chelmsford a affirmé, à la p. 439 :

[traduction] C’est l’utilisation de la machine ou de l’article aux fins pour lesquelles ils ont été conçus qui constitue l’utilisation concrète de ceux-ci, et, peu importe que les capsules aient été destinées à orner ou encore à protéger le contenu des bouteilles sur lesquelles elles étaient placées, on peut dire à juste titre que, pendant tout le temps qu’elles se sont trouvées en Angleterre, elles étaient exploitées concrètement dans le but même pour lequel les vendeurs les avaient placées sur les bouteilles.

46. En fait, il n’est pas nécessaire que l’invention brevetée soit utilisée exactement dans le but pour lequel elle a été conçue pour que l’activité du défendeur en mette en cause l’objet [...]

47. De plus, comme lord Dunedin l’a souligné dans l’arrêt British United Shoe Machinery Co. c. Simon Collier Ld. (1910), 27 R.P.C. 567 (H.L.), la possession à titre préventif d’un extincteur, par exemple, a une « valeur latente ». L’extincteur est « exploité » pour éteindre les flammes en cas de besoin. Il en est de même d’une machine à vapeur de secours [traduction] « destinée à être exploitée, dans certaines circonstances, exactement dans le même but que la machine principale » (p. 572). L’exploitation de l’utilité latente d’une invention est un avantage que l’on tire de l’invention.

[...]

49. En général, l’intention du défendeur n’est pas pertinente pour conclure à la contrefaçon; la question est de savoir [traduction] « ce que le défendeur fait, et non ce qu’il entend faire » : Stead c. Anderson (1847), 4 C.B. 806, 136 E.R. 724 (C.P.), p. 736; voir aussi Hoechst Celanese Corp. c. BP Chemicals Ltd. (1998), 25 F.S.R. 586 (Pat. Ct.), p. 598; Illinois Tool Works Inc. c. Cobra Fixations Cie, [2002] A.C.F. no 1104 (QL), 2002 CFPI 829, par. 14‑17; Computalog Ltd. c. Comtech Logging Ltd. (1992), 44 C.P.R. (3d) 77 (C.A.F.), p. 88. Il faut donc se demander si, par ses actes, ses activités ou sa conduite, le défendeur s’est effectivement arrogé l’invention brevetée et a ainsi privé l’inventeur, en tout ou en partie, directement ou indirectement, de la pleine jouissance du monopole conféré par le brevet.

[...]

58. On peut considérer que ces propositions émanent de l’analyse précédente du verbe « exploiter » figurant dans la Loi sur les brevets :

1.         Selon leur sens lexicographique ordinaire, les verbes « exploiter » et « use » connotent une utilisation en vue d’une production ou dans le but de tirer un avantage.

2.         Le principe fondamental qui s’applique pour déterminer si le défendeur a « exploité » une invention brevetée consiste à se demander si l’inventeur a été privé, en tout ou en partie, directement ou indirectement, de la pleine jouissance du monopole conféré par le brevet.

3.         Tout avantage commercial qui peut découler de l’invention appartient au titulaire du brevet.

4.         Il est possible de conclure à l’existence de contrefaçon même si l’objet ou le procédé breveté fait partie ou est une composante d’une structure ou d’un procédé non brevetés plus vastes, pourvu que l’invention brevetée soit importante pour les activités du défendeur qui mettent en cause la structure non brevetée.

5.         La possession d’un objet breveté ou d’un objet ayant une particularité brevetée peut constituer une « exploitation » de l’utilité latente de cet objet et ainsi constituer de la contrefaçon.

6.         La possession, du moins dans le cadre d’un commerce, donne naissance à une présomption d’« exploitation » réfutable.

7.         Bien qu’en général l’intention ne soit pas pertinente pour déterminer s’il y a eu « exploitation » et donc contrefaçon, l’absence d’intention d’utiliser l’invention ou d’en tirer un avantage peut être pertinente pour réfuter la présomption d’exploitation découlant de la possession.

104            Il y a contrefaçon d’un brevet lorsqu’une personne fabrique, construit, exploite ou vend un article, ou exploite ou vend une méthode, qui comprend chacun des « éléments essentiels » de l’une ou l’autre des revendications de ce brevet; voir Free World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024, et Canamould Extrusions Ltd. c. Driangle Inc., [2003] A.C.F. no 338.

[Je souligne.]

[113]       Dans l’arrêt Whirlpool, la Cour suprême du Canada déclare, au paragraphe 76 :

La question de la contrefaçon est une question mixte de droit et de fait. L’interprétation des revendications est une question de droit. La question de savoir si les activités de la défenderesse relèvent du monopole ainsi défini est une question de fait: Western Electric, précité.

[114]       Si le procédé de la défenderesse comporte tous les éléments essentiels d’une des revendications du brevet, il y aura contrefaçon. De plus, on ne saurait éviter la contrefaçon en omettant des éléments non essentiels ou en remplaçant des éléments non essentiels par d’autres éléments. Dans l’arrêt Whirlpool, la Cour déclare, au paragraphe 46 :

Le jugement du président Thorson dans McPhar Engineering Co. of Canada c. Sharpe Instruments Ltd., [1956‑60] R.C. de l’É. 467, à la p. 525, va dans le même sens:

[traduction] « Il est donc établi en droit que si une personne s’approprie l’essence d’une invention, elle est coupable de contrefaçon et il est sans importance qu’elle omette une caractéristique qui n’est pas essentielle à l’invention ou qu’elle la remplace par un élément équivalent.

[Je souligne.]

[115]       Il n’est pas contesté que les demanderesses doivent démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que le brevet 705 a été contrefait. Dans le jugement Eli Lilly and Co c Apotex Inc, 2009 CF 991, au paragraphe 211, 351 FTR 1 (Eli Lilly), la Cour déclare :

Il n’est pas contesté que la demanderesse doive établir, suivant la prépondérance des probabilités, que les procédés utilisés par les fournisseurs d’Apotex comprenaient tous les éléments essentiels d’une ou de plusieurs revendications des brevets en litige.

[116]       Toutefois, dans certaines situations factuelles, les tribunaux ont déclaré que la charge d’établir l’absence de contrefaçon peut être déplacée sur le défendeur ou, à titre subsidiaire, qu’une inférence de contrefaçon peut être tirée. Cette situation peut se présenter par exemple lorsque le défendeur ne présente pas d’éléments de preuve susceptibles de réfuter l’allégation dont elle a une connaissance particulière ou qu’il était particulièrement en mesure de produire. Dans le jugement Eli Lilly, aux paragraphes 218 à 223, la Cour déclare :

218            Lilly a aussi demandé à la Cour d’appliquer la présomption de common law, examinée dans la décision Hoffmann-La Roche Ltd. c. Apotex Inc. (1983), 41 O.R. (2d) 84, 145 D.L.R. (3d) 270 (H.C.) [conf. par (1984), 47 O.R. (2d) 287, 11 D.L.R. (4th) 320 (C.A.)], où le juge Walsh a souscrit au moyen de Hoffman‑La Roche Limitée selon lequel pesait sur Apotex la charge de prouver que son fournisseur avait utilisé le procédé en question :

[traduction] (...) en common law, la règle a toujours été que lorsqu’une des parties est censée avoir particulièrement connaissance de l’objet d’une allégation, c’est à elle qu’il incombe de prouver cette allégation, qu’elle soit de nature positive ou négative.

[Paragraphe 23]

219            Dans cette affaire, on avait produit des éléments tendant à prouver qu’Apotex avait écrit à son fournisseur pour lui demander de ne pas donner de renseignements à la demanderesse sauf obligation. En outre, elle avait manœuvré de manière à faire en sorte que tous les renseignements sur le procédé soient envoyés directement à son avocat sans qu’elle en reçoive elle-même copie.

220      Lilly fait valoir que Lupin était en fait disposée à coopérer dans la présente espèce et qu’Apotex le savait, mais n’en a informé ni les demanderesses ni la Cour. En outre, étant donné l’engagement contractuel spécial pris par Lupin d’aider Apotex (voir la pièce TX‑1656), cette dernière était beaucoup mieux en mesure de produire des éléments de preuve admissibles et crédibles concernant le procédé effectivement utilisé par Lupin.

221            Si j’avais été convaincue que Lilly avait fait des démarches suffisantes pour obtenir ces renseignements, par exemple en formant, une fois produite la pièce TX‑1656 (après le dépôt de sa première requête), une requête en supplément d’information sur le procédé effectivement utilisé au lieu de s’en remettre à l’engagement pris par Apotex de consulter ses archives, j’aurais été disposée à appliquer cette présomption étant donné les circonstances particulières de la présente espèce. Contrairement aux affirmations d’Apotex, la Cour ne pense pas que le demandeur qui invoque cette présomption doive pour en bénéficier chercher à travers le monde les renseignements qu’il puisse utiliser dans un litige en recourant aux moyens que prévoient divers systèmes juridiques étrangers.

222            J’examinerai plus avant, à propos des questions des dépens et de l’admissibilité de certains éléments de preuve produits pour contester l’allégation de contrefaçon, le fait qu’Apotex ait omis d’aviser Lilly et la Cour que Lupin était disposée à communiquer les documents nécessaires sur son procédé sous réserve que soit valablement protégée la confidentialité des renseignements y contenus.

223      Inutile de dire que, même si elle ne peut bénéficier de cette présomption de common law, Lilly peut néanmoins s’appuyer sur les inférences qu’il est raisonnablement permis de tirer de la preuve produite pour établir certains faits, possibilité qui s’accorde parfaitement avec l’observation formulée dans Whirlpool.

[117]       Dans le jugement Lubrizol Corp c Imperial Oil Ltd (1990) 33 CPR (3d) 1, à la page 30, 39 FTR 161, mod. pour d’autres motifs à 98 DLR (4th) 1, la Cour explique ce qui suit :

[traduction]

La défenderesse, en revanche, n’a déposé en preuve aucune analyse portant sur ses propres produits qu’elle avait conservés, et elle ne s’est pas prévalue de l’offre qui lui avait été faite d’analyser les échantillons utilisés par MM. O’Driscoll et Billmeyer. Je trouve révélateur que la défenderesse n’ait fourni aucune analyse (indépendante ou autre) des échantillons des PIB effectivement utilisés par Paramins pour fabriquer les dispersants en litige. Cette façon d’agir m’a également amené à tirer certaines conclusions très défavorables contre la défenderesse sur la question du Mn de leurs PIB.

[118]       Je vais maintenant examiner la question de savoir s’il y a eu contrefaçon.

VIII.       La contrefaçon

[119]       Voici comment les demanderesses résument les questions relatives à la contrefaçon :

Partie (A) des revendications 11, 29, 30, 33, 35, 36, 41 et 42

a)         Les polymères fabriqués dans le réacteur 1 de NOVA sont-ils linéaires ou sensiblement linéaires (selon la définition de ces termes)?

b)         Les polymères fabriqués dans le réacteur 1 de NOVA ont-ils le coefficient de rhéo‑durcissement nécessaire?

(i)         La petite usine de Dow à Terneuzen a-t-elle reproduit les polymères fabriqués dans le réacteur 1 de NOVA?

(ii)        L’entreprise Dow a-t-elle mesuré correctement la pente de rhéo‑durcissement des polymères de Terneuzen?

Partie (B) des revendications 11, 29, 30, 33, 35, 36, 41 et 42

a)         Le polymère entier fabriqué dans le réacteur 2 satisfait-il à la partie (B) de la revendication 11?

b)         Le composant avec une « densité plus élevée » du réacteur 2 satisfait-il à la partie (B) des revendications 11, 29, 30, 33, 35, 36, 41 et 42?

[120]       Le brevet 705 de Dow a une durée de validité de 20 ans à compter de sa date de dépôt du 19 avril 1994.

[121]       L’énoncé des questions en litige de NOVA (soumis au début du procès) ne souligne que quatre questions de contrefaçon en litige; deux pour le composant A et deux pour le composant B.

[122]       Les questions de contrefaçon relatives au composant A peuvent être résumées comme suit :

1.                  La résine SURPASS est-elle un polymère d’éthylène comprenant (A) approximativement de 10 % à 95 % (du poids de la composition totale) d’au moins un interpolymère d’éthylène/α‑oléfine linéaire à ramification homogène? Le différend porte sur la question de savoir si le composant du polymère fabriqué dans le premier réacteur est linéaire.

2.                  NOVA affirme également que les composants (fabriqués dans le premier réacteur) des polymères de son produit SURPASS ont un coefficient de rhéo‑durcissement supérieur ou égal à 1,3 (conformément aux revendications 11, 29, 33, 35, 36 et 41) ou un coefficient supérieur ou égal à 1,5 (conformément aux revendications 30 et 42).

[123]       La question 1 (contrefaçon) se rapporte aux revendications 11, 29, 30, 33, 35, 36, 41 et 42 du brevet 705.

A.                Question 1 – Les polymères fabriqués dans le réacteur 1 de NOVA sont-ils linéaires ou sensiblement linéaires (selon la définition de ces termes)?

[124]       NOVA soutient que la définition de « ramification en chaîne longue » du brevet 705 inclut les ramifications de comonomères (comme les six ramifications de carbone du comonomère octène) et que, dans la mesure où ces ramifications peuvent être présentes, les produits SURPASS de NOVA n’ont pas de polymère linéaire. Par voie de conséquence, il n’y a pas contrefaçon du brevet 705.

[125]       Toutefois, selon mon analyse de l’interprétation des revendications, la désignation « ramification en chaîne longue » utilisée dans le brevet 705 ne comprend pas les ramifications en chaîne courte du comonomère octène.

[126]       M. Speed (expert de NOVA) a en effet confirmé que le polymère fabriqué dans le réacteur 1 (composant A) est linéaire. À la page 3789 du volume 22 de la transcription, il a déclaré :

Q.        Selon vous, le polymère du composant A fabriqué dans le réacteur 1 est-il linéaire?

R.        À ma connaissance, il s’agit d’un polymère à chaîne linéaire.

[127]       Par conséquent, je conclus que les polymères des produits SURPASS de la défenderesse sont linéaires ou sensiblement linéaires, selon la définition de ces termes dans le brevet 705.

B.                 Question 2 – Les polymères fabriqués dans le réacteur 1 de NOVA ont-ils le coefficient de rhéo‑durcissement nécessaire?

(a)   La petite usine de Dow à Terneuzen a-t-elle reproduit les polymères fabriqués dans le réacteur 1 de NOVA?

[128]       Le Pr Soares (expert de Dow) a reproduit, dans la petite usine, 14 polymères qui représentent les divers polymères fabriqués dans le réacteur 1 de Nova. L’entreprise NOVA n’a effectué aucun essai sur les polymères qu’elle produit dans son réacteur 1.

[129]       Le Pr Soares a mené des essais sur les 14 polymères qu’il a reproduits et a constaté qu’ils avaient tous un coefficient de rhéo‑durcissement supérieur ou égal à celui requis par les revendications pertinentes. En outre, 11 des polymères avaient un coefficient de rhéo‑durcissement supérieur ou égal à 1,5.

[130]       Les experts de NOVA ont découvert des irrégularités dans les reproductions du Pr Soares des polymères fabriqués dans le réacteur 1 de NOVA et soutiennent que les reproductions n’étaient pas représentatives des polymères produits par NOVA dans son réacteur 1 pour les raisons suivantes :

1.                  Les composants de catalyseur pour l’Emerald Catalyst (XE) n’étaient pas correctement combinés.

2.                  Le Pr Soares a élaboré des objectifs pour les exploitants de la petite usine, et NOVA n’a remis en question que l’objectif concernant le polymère FPS317.

3.                  Il y avait des différences entre une usine commerciale et la petite usine, et les conditions ont été modifiées de façon à atteindre les objectifs du Pr Soares.

4.                  Le solvant de réacteur utilisé à Terneuzen était différent de celui utilisé par NOVA dans le réacteur 1.

[131]       En ce qui concerne la plainte relative au point 1 ci-dessus, je tiens à signaler que le Pr Soares a déclaré avoir fabriqué l’Emerald Catalyst en se servant du brevet américain no 6984695 comme guide. Malgré sa plainte, NOVA n’a pas contesté le fait que le Pr Soares fabriquait le bon catalyseur.

[132]       En ce qui concerne le point 2 ci-dessus, la critique était axée sur le fait que NOVA avait modifié les conditions d’exploitation normalisées pour la fabrication du polymère FPS317 en avril 2007. Le Pr Soares a élaboré des cibles pour le FPS317 produit dans les anciennes et nouvelles conditions d’exploitation et a constaté que les cibles étaient les mêmes. De même, les réponses données par M. Kelusky à l’interrogatoire préalable indiquent que les clients ont constaté que l’ancien FPS317 et le nouveau FPS317 sont les mêmes (le 20 mars 2012, de la page 1614, ligne 23 à la page 1616, ligne 7) :

[traduction]

Q.        Êtes-vous en train de nous dire qu’un produit quelque peu différent a été fabriqué en modifiant la dissociation d’octène?

R.        En ce qui concerne le FPS317, entre autres, comme je l’ai mentionné précédemment, quelques questions soulevaient une grande différence potentielle entre les conditions d’exploitation normalisée du FPS317 obtenu antérieurement et celui obtenu actuellement, et nous avons indiqué en avril 2007 qu’il y avait un changement relativement important, y compris dans le ratio des premiers comonomères, et que les produits étaient différents avant et après.

Q.        Dans quelle mesure ces produits étaient-ils considérés comme étant différents? Quelles propriétés de polymères étaient considérées comme étant touchées?

R.        Les clients ont constaté que le produit était le même. Nous avons procédé ainsi, car le polymère pouvait être produit à des taux bien plus élevés. Je pense avoir mentionné que nous pourrions vous fournir un échantillon antérieur; en effet, l’échantillon de FPS317 que vous avez reçu était postérieur au changement, et nous avons précisé que nous pourrions vous fournir un échantillon antérieur au changement.

Q.        C’est vrai. Toutefois, je souhaiterais que vous nous en disiez plus concernant la modification consciente du polymère [en avril 2007]. Cette modification portait-elle sur les propriétés dont nous avons discuté, comme la densité ou l’indice de fluidité? Quelles sont les propriétés dont il question exactement?

R.        Je pense que l’indice de fluidité finale et la densité du produit étaient les mêmes ou très similaires, mais cela se reflète dans les conditions d’exploitation normalisée et peut être vérifié. Il s’agissait réellement de concevoir à nouveau le polymère afin qu’on puisse le produire à des taux bien plus élevés.

(Pièce P‑89, dossier des demanderesses)

[133]       En ce qui concerne les deux plaintes liées aux reproductions de l’usine de Terneuzen décrites aux points 3 et 4 ci-dessous, NOVA n’a produit aucune preuve montrant que ces différences auraient une incidence sur une propriété quelconque du polymère des résines produites en vue de reproduire le polymère du réacteur 1 de NOVA.

[134]       Il est également important de noter que, initialement, NOVA avait soutenu qu’elle ne pouvait reproduire aucun composant du réacteur 1. Toutefois, lors de son contre-interrogatoire, M. Kelusky a fourni les renseignements suivants :

[traduction]

Q.        M. Kelusky, lors de la pause, je vous avais demandé d’examiner la pièce P100 et de vous familiariser avec son contenu autant que possible compte tenu du délai dont vous disposiez. L’avez-vous fait?

A.        Oui, autant que je l’ai pu.

Q.        Et nous avions commencé à examiner ce document plus tôt lorsque vous avez expliqué que vous ne l’aviez pas encore vu. Maintenant que vous en avez pris connaissance, revenons au résumé qui se trouve à la première page. On y voit à la dernière phrase du premier paragraphe sous la rubrique « Résumé » :

[traduction]

En outre, les composants individuels du réacteur 1 de chaque catégorie ont été reproduits de manière indépendante pour les deux réacteurs, avec ou sans hydrogène, en vue de comprendre certaines répercussions du mélange et ses conséquences sur la structure.

Vous comprenez que ces procédures ont été utilisées et qu’on résume les résultats obtenus ainsi?

R.        Oui. En examinant le document, il semble que cela ait été réalisé en novembre 2002; en effet, on a établi un ensemble de conditions dans lesquelles, pour quelques cibles de produits individuelles, on a fabriqué un composant du réacteur 1.

Q.        Ainsi lorsque vous affirmez que cela n’avait jamais été fait auparavant, vous contredisez cette affirmation?

R.        Lorsque j’ai dit que cela n’avait pas été fait auparavant?

Q.        Oui.

R.        Oui, cela contredit ce que j’avais dit, en effet. Je n’étais pas au courant de ce fait.

(Transcription, 25 septembre 2013, pages 1887 et 1888)

Et, à la page 1892 de la transcription :

[traduction]

Q.        D’après ce que vous avez dit et lu, si vous aviez utilisé les mêmes procédures que celles qui avaient été utilisées dans la pièce P100, vous auriez pu reproduire le composant A du polymère FP 317-A [sic], n’est-ce pas?

R.        Oui, nous aurions pu le faire, en utilisant les mêmes procédures.

Le FPS317 est le polymère SURPASS de NOVA le plus vendu dans le monde entier.

[135]       Sur la base de l’ensemble de la preuve, y compris les nombreux essais menés par le Pr Soares, je suis d’avis que la petite usine à Terneuzen a bien reproduit les polymères de réacteur 1 de NOVA.

b)   Dow a-t-elle mesuré correctement la pente de rhéo‑durcissement des polymères de l’usine de Terneuzen?

[136]       Des essais de résistance à la traction ont été menés par le Pr Young, un expert de Dow, sur 14 reproductions de l’usine à Terneuzen du composant A des polymères SURPASS dont il est question dans la présente instance.

[137]       Le Pr Young a utilisé la procédure d’essai et la formule décrites dans le brevet 705 en vue de déterminer le coefficient de rhéo‑durcissement de ces polymères. Il a utilisé une courbe charge-allongement et mesuré la pente maximale de la zone de rhéo‑durcissement avant la rupture.

[138]       Le Pr Young a façonné des plaques à partir de chaque polymère à tester. Ces plaques sont connues sous le nom d’éprouvettes en forme d’haltère (voir les paragraphes 78 à 81 des présents motifs).

[139]       Les éprouvettes devaient avoir une épaisseur d’environ 0,005 po (0,01 cm). Pour toutes les plaques n’ayant pas cette épaisseur, le Pr Young a utilisé une équation afin de normaliser les données à une épaisseur d’environ 0,005 po, étant donné que les plaques qu’il a testées avaient une épaisseur de 0,004 à 0,008 po. Je pense qu’il s’agit là d’une approche acceptable.

[140]       Le Pr Young a testé les échantillons à l’aide d’un appareil Instron et il a utilisé une séparation de 0,433 po entre les mors, tel qu’il est requis par le brevet 705. Cela entraîne que les mors recouvraient les deux épaulements de l’éprouvette en forme d’haltère.

[141]       Le Pr Young s’est servi des données de charge-allongement pour produire des courbes de charge (en livres) sur l’ordonnée et d’allongement (en pouces) sur l’abscisse.

[142]       Afin d’obtenir la pente de rhéo‑durcissement, il a utilisé une règle pour tracer une ligne parallèle à la pente maximale de la courbe dans la zone de rhéo‑durcissement juste avant la rupture. Il a aussi adéquatement évité les effets de bout (voir le paragraphe 101 des présents motifs). Cela correspond aux enseignements du brevet 705.

[143]       Le Pr Cakmak, l’expert de NOVA, a effectué ses propres essais sur les 14 polymères comportant le composant A. Les résultats de ses essais pour le coefficient de rhéo‑durcissement étaient inférieurs à ceux du Pr Young, et seuls quatre de ces résultats étaient inférieurs au coefficient de rhéo‑durcissement de 1,3 établi par le brevet 705 pour le composant A.

[144]       Toutefois, le Pr Young a affirmé que les résultats pour le coefficient de rhéo‑durcissement du Pr Cakmak étaient inférieurs, et ce, pour les raisons suivantes :

1.                  une utilisation d’une distance erronée entre les mors;

2.                  la distance entre les mors était en fait différente de celle indiquée par le Pr Cakmak;

3.                  le manque de tension exercée sur les éprouvettes en forme d’haltère lorsqu’elles étaient placées dans l’appareil Instron.

[145]       Le Pr Young a affirmé que la distance entre les mors pour les éprouvettes en forme d’haltère selon le brevet 705 devrait être de 0,433 po. Ses preuves appuyaient l’hypothèse selon laquelle une personne versée dans l’art saurait que les mors de l’appareil Instron devraient recouvrir tous les épaulements. Lorsque le Pr Cakmak a mené ses essais, il a indiqué qu’il avait utilisé une distance de 0,45 po entre les mors. Ainsi, environ 0,008 po de chaque épaulement dépassait des mors.

[146]       Le Pr Cakmak a demandé à son assistant de tester les échantillons avec une distance de 0,45 po entre les mors. Cependant, tel qu’il a été à juste titre souligné par le Pr Young, la distance réellement utilisée durant les essais dépassait 0,45 po et allait, en fait, jusqu’à 0,534 po.

[147]       En outre, lorsque le Pr Cakmak a testé les éprouvettes en haltère, il était évident que ces échantillons n’étaient pas tractés dans l’appareil Instron. En d’autres termes, ils étaient détendus. Lorsqu’on a commencé les essais, les mors de l’appareil Instron subissaient le manque de tension, ce qui a entraîné l’absence de charge de traction sur l’échantillon jusqu’à l’élimination du jeu. La présence d’un jeu a également donné lieu à une distance entre les mors plus grande, ce qui s’est traduit par une valeur plus faible pour le coefficient de rhéo‑durcissement.

[148]       Le Pr Young a expliqué l’effet qu’aurait le dépassement d’une partie des épaulements sur le coefficient de rhéo‑durcissement. Il a indiqué qu’il entraînerait l’exposition de la partie de l’épaulement dépassant les mors à l’essai du matériau. Son analyse et ses tests montrent que l’exposition d’une partie de l’épaulement entraîne une baisse du coefficient de rhéo‑durcissement mesuré.

[149]       Le Pr Young a reproduit les échantillons des éprouvettes en forme d’haltère utilisées par le Pr Cakmak au cours de ses tests, puisque NOVA ne lui fournissait pas d’échantillons. Il a mené un test de résistance à la traction des échantillons en utilisant des distances de 0,433 po et de 0,525 po entre les mors. Les résultats des essais du Pr Young montrent que lorsqu’il a utilisé une distance plus importante entre les mors, il a obtenu des valeurs de coefficient de rhéo‑durcissement inférieures de 20 % aux valeurs de coefficient de rhéo‑durcissement obtenues avec une séparation de 0,433 po.

[150]       Entre le témoignage du Pr Young et celui du Pr Cakmak, je préfère celui du Pr Young lorsqu’ils se contredisent. Le Pr Young était un témoin qui répondait directement aux questions, tandis que le Pr Cakmak hésitait parfois à répondre directement aux questions lorsque les réponses avaient des conséquences sur ses opinions.

[151]       J’accepte les méthodes d’essai du Pr Young ainsi que les valeurs qu’il a obtenues pour le coefficient de rhéo‑durcissement de divers échantillons du composant A.

[152]       Ayant donc accepté la preuve du Pr Young, je suis d’avis que chacun des 14 polymères à composant A de NOVA a une valeur de coefficient de rhéo‑durcissement de 1,3 ou plus. En fait, quatre des polymères présentent une valeur de coefficient de rhéo‑durcissement supérieure à 1,5. Par conséquent, je conclus que les polymères à composant A de NOVA contreviennent aux revendications du brevet 705.

[153]       Nous aborderons maintenant les questions relatives au composant B, par rapport aux revendications 11, 29, 30, 33, 35, 36, 41 et 42.

Question 3(a) – Le polymère complet fabriqué dans le réacteur 2 satisfait-il à la partie (B) de la revendication 11?

[154]       Le polymère du composant B de la revendication 11 dépend de la revendication 10 et doit donc respecter les conditions suivantes :

1.                  constituer entre 5 et 90 % du poids de la composition;

2.                  avoir une masse volumique entre 0,91 g/cm³ et 0,965 g/cm³;

3.                  être ramifié de façon hétérogène.

[155]       En ce qui concerne le pourcentage en poids, M. Kelusky a mentionné durant le contre-interrogatoire :

[traduction]

Q.        Je souhaiterais dire un mot sur les polymères du réacteur 2, étant donné que nous en avons discuté lorsque nous avons examiné la décision de la Cour d’appel et que cette dernière passait en revue le composant à forte densité.

            En tenant compte du pourcentage massique des matériaux fabriqués dans le réacteur 2 (c’est-à-dire la fraction à forte densité et le composant en vrac dans le réacteur 2), les deux molécules de polymères constituent-elles ensemble environ 55 à 60 % de la masse totale de toutes les résines SURPASS [sic]?

R.        Je ne pense pas que ce pourcentage atteigne 60 %, mais 55 % ou un peu moins me semble exact.

(Transcription, 24 septembre 2013, pages 1824 et 1825)

L’exigence selon laquelle le composant B doit constituer 5 % à 90 % de la composition est donc respectée.

[156]       Les preuves de M. Kelusky sur la densité du composant B comprennent :

[traduction]

Q.        En ce qui concerne l’ensemble des résines Surpass [sic], la masse volumique des deux polymères combinés dans le réacteur 2 serait-elle supérieure à 0,91 g/cm3?

R.        Oui, elle le serait, notamment si on isolait ces polymères et on effectuait un essai de densité.

(Transcription, 24 septembre 2013, page 1825)

[157]       Et M. Mirabella a déclaré, au paragraphe 168 de son rapport de réfutation (pièce D‑93) :

[traduction]

Je suis d’avis que le polymère dans le réacteur 2 de Nova a une fraction massique entre 5 % et 90 %. Je ne mettrai pas en doute le fait que ce polymère a une masse volumique entre 0,91 et 0,935 g/cm³, ce qui, je présume, est inférieur à 0,93, étant donné que le Pr Soares ne se fie pas à l’extrémité inférieure de la plage de masses volumiques des autres revendications qui est de 0,93 g/cm³. Cette opinion n’exige pas non plus d’interpréter les revendications comme étant une liste incomplète de compositions.

[158]       Je suis satisfait des preuves appuyant le fait que la plage de masses volumiques requises allant de 0,91 g/cm³ à 0,965 g/cm³ a été établie.

[159]       Le témoignage du Pr Soares soutenait l’hypothèse selon laquelle les matériaux dans le réacteur 2 seraient mal mélangés, ce qui entraînerait un continuum de substances qui sont, en effet, ramifiées de manière hétérogène. Le Pr Soares a mentionné :

[traduction]

Q.        Vous avez également évoqué la production 15285 de Nova Pr Soares, et vous avez notamment souligné un passage? Il s’agit d’un rapport de fabrication publié par Nova, dans lequel vous soulignez le passage suivant :

Nous proposons que si le contaminant à forte densité découlait d’un mélange inadéquat dans le réacteur chaud, nous devrions obtenir un continuum réel de substances.

Et pouvez-vous expliquer ce que ce passage vous indique?

[traduction]

R.        Oui. Ce qui est appelé contaminant à forte densité dans le cas présent est également la fraction à forte densité. Nous l’appelons contaminant ici, mais les deux termes font référence à la même chose. Ce contaminant explique les résultats d’un mélange inadéquat. Comme je l’ai déjà expliqué plusieurs fois, je pense (et j’espère que cela ne vous ennuie pas), étant donné que le réacteur chaud est le deuxième réacteur, ce dernier doit être utilisé à plus haute température que le premier réacteur.

            Cela donne un continuum réel de substances, ce qui signifie qu’au fur et à mesure que l’on s’éloigne de l’entrée, on va d’une masse moléculaire élevée et moins ramifiée vers une masse moléculaire plus élevée et plus ramifiée. Voilà donc ce qu’est le continuum : il ne s’agit pas de deux substances à proprement parler, mais du d’un gradient sur la gamme des propriétés obtenues dans le réacteur.

(Transcription, 10 septembre 2013, pages 300 et 301)

Et :

[traduction]

            En raison du mauvais mélange du matériau dans le réacteur 2 pour des raisons que j’ai expliquées hier, la combinaison du type de catalyseur et d’un mauvais mélange présenterait donc des ramifications hétérogènes. À partir de cette connaissance du processus uniquement, on pourrait conclure que la distribution est hétérogène, ce qui est en plus confirmé par la réalisation d’autres essais sur la résine SURPASS entière, comme le fractionnement croisé.

Q.        Si nous montrons la diapositive du réacteur que vous avez évoquée hier, Pr Soares, pouvez-vous alors expliquer les matériaux que vous avez pris en compte pour la revendication 11? En outre, quelle partie du réacteur 2 a-t-elle été prise en compte?

R.        Pour la revendication 11, les matériaux pris en compte sont l’ensemble des matériaux du réacteur 2. Ce composant B est pour les revendications à forte densité qui ont des spécifications liées à la forte densité, mais si nous examinons la revendication 11, à savoir la densité de départ de 0,91, l’ensemble des matériaux s’inscrit alors dans le cadre de la plage de masses volumiques.

(Transcription, 11 septembre 2013, pages 363 et 364)

[160]       Le Pr Soares a également mené un essai du fractionnement croisé sur chacune des classes de polymères SURPASS applicables, dont les résultats lui ont confirmé que le polymère entier fabriqué dans le réacteur 2 respectait le composant B de la revendication 11. J’accepte ces résultats.

[161]       Par conséquent, il y a contrefaçon de la revendication 11.

Question 3(b) – Le composant avec une « densité plus élevée » du réacteur 2 satisfait-il à la partie (B) des revendications 11, 29, 30, 33, 35, 36, 41 et 42?

[162]       NOVA a évoqué le composant à « forte densité » fabriqué dans la zone mal mélangée de son réacteur 2 en tant que polymère distinct.

[163]       Dow affirme que les polymères SURPASS de NOVA contreviennent au brevet 705 en raison du fait que le composant à forte densité fabriqué dans le réacteur 2 satisfait au composant B des revendications 11, 29, 30, 33, 35, 36, 41 et 42, ce qui constitue une infraction au brevet 705.

[164]       Initialement, il y avait trois questions sur lesquelles les parties ne s’entendaient pas relativement au composant à forte densité. Il s’agissait des questions suivantes :

1.         si le composant à forte densité est lui-même ramifié de manière hétérogène;

2.         si le composant à forte densité représente 5 % ou plus par poids de la composition totale du produit SURPASS;

3.         si le composant à forte densité a une masse volumique entre 0,93 g/cm³ et 0,965 g/cm³.

[165]       Selon les observations finales de NOVA au paragraphe 188, la masse volumique ne fait plus l’objet d’un désaccord.

[166]       La seule question qu’il reste à résoudre consiste à savoir si le composant à forte densité est lui-même ramifié de manière hétérogène.

[167]       Tel qu’il a été mentionné par les demanderesses au paragraphe 499 de leur mémoire sur la contrefaçon, le Pr Soares a utilisé trois différentes analyses pour montrer que la fraction à forte densité était ramifiée de manière hétérogène.

[traduction]

Dans la présente partie, nous discuterons des différentes façons dont le Pr Soares a démontré que les composants à forte densité dans les résines SURPASS mises en cause sont « ramifiés de manière hétérogène » selon ses propres termes. En résumé, le Pr Soares a basé son opinion sur trois bases indépendantes.

a)         Gradients. Premièrement, le Pr Soares a analysé la façon dont le polymère est fabriqué dans le deuxième réacteur de Nova et il a déterminé qu’il y a des catégories qui découlent de l’hétérogénéité de la ramification dans le composant à forte densité.

b)         Fractionnement croisé. Deuxièmement, le Pr Soares a mené des essais de fractionnement croisé sur les polymères SURPASS ainsi que sur des isolats du composant à forte densité. Les résultats du fractionnement croisé montrent que tous les composants à forte densité sont ramifiés de manière hétérogène.

c)         Chromatographie par filtration sur gel avec spectrométrie infrarouge par transformée de Fourier (GPC-IRTF). Troisièmement, le Pr Soares a fractionné le composant à forte densité des quatre catégories représentatives de polymères SURPASS et a effectué un test de GPC-IRTF sur les échantillons fractionnés. Cet essai a également montré que tous les composants à densité plus élevée étaient ramifiés de manière hétérogène.

[168]       Il est généralement accepté par les experts de NOVA que lorsqu’un polymère présente une relation dépendante entre la ramification et le poids moléculaire dans la distribution de la masse moléculaire, il est ramifié de manière hétérogène.

[169]       Les essais menés par le Pr Soares sur les résines SURPASS appuient cette conclusion.

[170]       C’est uniquement avec l’utilisation de l’indice de ramification de distribution structurale (IRDS) que NOVA est en mesure d’affirmer que la fraction à forte densité est ramifiée de manière homogène. Cependant, je n’ai pas accepté l’utilisation de l’IRDS pour établir une différence entre un polymère ramifié de manière hétérogène et un polymère ramifié de manière homogène,

[171]       Par conséquent, je conclus que la fraction à forte densité est ramifiée de manière hétérogène et qu’elle satisfait à la définition du composant B dans les revendications 11, 29, 30, 33, 35, 36, 41 et 42.

[172]       En conclusion, la fraction à forte densité des résines SURPASS de NOVA contrevient aux revendications 11, 29, 30, 33, 35, 36, 41 et 42.

IX. Validité

[173]       NOVA affirme également que le brevet 705 est invalide pour les motifs suivants :

1.                  Absence d’utilité;

2.                  Revendications d’une portée plus large que l’invention réalisée ou divulguée;

3.                  L’objet des revendications est dépourvu de nouveauté (antériorité);

4.                  L’objet des revendications est évident;

5.                  Double brevet;

6.                  Insuffisance du mémoire descriptif.

[174]       Le paragraphe 43(2) de la Loi sur les brevets crée une présomption de validité du brevet :

43.(2) Une fois délivré, le brevet est, sauf preuve contraire, valide et acquis au breveté ou à ses représentants légaux pour la période mentionnée aux articles 44 ou 45.

43.(2) After the patent is issued, it shall, in the absence of any evidence to the contrary, be valid and avail the patentee and the legal representatives of the patentee for the term mentioned in section 44 or 45, whichever is applicable.

[175]       La Cour suprême du Canada a expliqué l’effet de cette présomption dans l’arrêt Whirlpool, au paragraphe 75 en précisant qu’« [il] incomb[e] aux appelantes de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que le brevet [est] invalide ».

X.    Absence d’utilité

[176]       L’article 2 de la Loi sur les brevets définit comme suit le terme « invention » :

« invention » Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité.

“invention” means any new and useful art, process, machine, manufacture or composition of matter, or any new and useful improvement in any art, process, machine, manufacture or composition of matter;

Suivant la Loi sur les brevets, une invention doit par conséquent être utile.

[177]       Une grande partie de la jurisprudence relative à l’utilité des brevets est énoncée dans l’arrêt Apotex Inc c Sanofi Aventis, 2013 CAF 186, 447 NR 313. Le juge Denis Pelletier déclare ce qui suit, aux paragraphes 46 à 50 :

[traduction]

46        Le titulaire dont le brevet est contesté pour absence d’utilité doit pouvoir établir qu’au moment où la demande de brevet a été présentée, l’utilité de l’invention pouvait être démontrée ou valablement prédite : voir AZT, au paragraphe 46. La difficulté, dans le cas présent comme dans d’autres, est de déterminer ce qui doit être démontré ou valablement prédit. C’est là qu’entre en jeu la notion de « promesse » du brevet.

47        La promesse du brevet est la norme qui permet de mesurer l’utilité de l’invention décrite dans le brevet. Cette idée trouve sa source dans l’arrêt Consolboard de la Cour suprême du Canada :

Il y a un exposé utile dans Halsbury’s Laws of England, (3e éd.), vol. 29, à la p. 59 sur le sens de « inutile » en droit des brevets. Le terme signifie [traduction] « que l’invention ne fonctionnera pas, dans le sens qu’elle ne produira rien du tout ou, dans un sens plus général, qu’elle ne fera pas ce que le mémoire descriptif prédit qu’elle fera ».

Consolboard, précité, à la page 525.

48        Il n’est pas nécessaire que l’inventeur explique l’utilité de son invention dans le brevet, mais s’il le fait, il sera tenu de respecter sa promesse, comme le souligne l’arrêt Eli Lilly Canada Inc c. Novopharm Ltd., 2010 CAF 197, [2012] 1 RCF 349 (Olanzapine), au par. 76 :

Lorsque le mémoire descriptif ne promet pas un résultat précis, aucun degré particulier d’utilité n’est requis; la « moindre parcelle » d’utilité suffira. Toutefois, lorsque le mémoire descriptif exprime clairement une promesse, l’utilité sera appréciée en fonction de cette promesse : Consolboard, Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) et Ranbaxy Laboratories Inc., [2009] 1 R.C.F. 253, 2008 CAF 108 (Ranbaxy). La question est de savoir si l’invention fait ce que le brevet promet qu’elle fera. (Non souligné dans l’original.)

49        Si l’inventeur ne promet pas explicitement de résultats précis, le critère relatif à l’utilité est celui de la « moindre parcelle » d’utilité. Par contre, s’il promet explicitement un résultat précis, l’utilité sera évaluée suivant les termes de cette promesse explicite.

50        En affirmant au paragraphe 80 de l’arrêt Olanzapine, précité, que la promesse du brevet devait être définie, la Cour n’a pas tenu pour acquis que tous les brevets promettaient explicitement un résultat précis puisque, sous réserve de ce que nous dirons ci-après au sujet des brevets de sélection, rien n’oblige l’inventeur à divulguer l’utilité de son invention dans le brevet. Dans Olanzapine, la Cour indiquait simplement que la première étape de l’évaluation de l’utilité consistait à définir la norme en fonction de laquelle elle sera mesurée. Ceci oblige la Cour à interpréter le brevet de manière à déterminer si une personne versée dans l’art conclurait qu’il promet explicitement que l’invention produira un résultat précis. Si tel est le cas, l’inventeur aura tenu sa promesse. Si aucun résultat précis n’est explicitement promis, la moindre parcelle d’utilité suffira.

[178]       Par conséquent, si l’inventeur n’a pas promis de résultat précis, le critère en matière d’utilité est celui de la « moindre parcelle » d’utilité. En revanche, lorsque l’inventeur a promis explicitement un résultat précis, l’utilité sera mesurée en fonction de cette promesse.

[179]       NOVA soutient que le brevet 705 promet des compositions [traduction] « utiles à la fabrication de pellicules et de pièces moulées possédant des propriétés physiques améliorées par la synergie » (brevet 705, page 1, lignes 32 à 34).

[180]       En revanche, Dow indique le brevet 705 ne promet pas de propriétés améliorées par la synergie. Le brevet 705 indique uniquement qu’avec l’utilisation de ces nouveaux mélanges, on peut améliorer certaines propriétés du polymère produit.

[181]       Le juge Russel Zinn a déclaré ce qui suit dans le jugement Fournier Pharma Inc c Canada (Ministre de la Santé), 2012 CF 741, aux paragraphes 126 et 127, 413 FTR 277 :

126      La Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Eli Lilly Canada Inc. c Novopharm Limited, 2010 CAF 197, citant l’arrêt Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask.) Ltd., [1981] 1 R.C.S 504, a déclaré au paragraphe 76 que « lorsque le mémoire descriptif exprime clairement une promesse, l’utilité sera appréciée en fonction de cette promesse ». [Non souligné dans l’original.] La promesse d’un brevet, au sens où ce terme est employé en droit des brevets, n’est rien de plus que l’utilité que l’inventeur revendique pour son invention. Lorsque cette promesse – cette utilité revendiquée – est exprimée clairement et sans équivoque par l’inventeur dans les revendications du brevet, alors cette expression doit être considérée comme la promesse du brevet. Tout énoncé figurant ailleurs devrait être considéré comme un simple énoncé d’avantage, à moins que l’inventeur n’indique clairement et sans équivoque que cela fait partie de l’utilité promise. Le passage ci‑après, tiré de la première page du brevet cité dans la décision AstraZeneca Canada Inc. c Apotex Inc., 2010 CF 714, illustre bien à quoi ressemble un énoncé figurant dans la divulgation :

[traduction]
Il est souhaitable d’obtenir des composés ayant des propriétés pharmacocinétiques et métaboliques améliorées, donnant un profil thérapeutique amélioré, par exemple une variation interindividuelle moins importante. La présente invention offre de tels composés, qui sont de nouveaux sels des énantiomères uniques de l’oméprazole.

[Le mot « clairement » n’était pas souligné dans l’original.]

127      L’interprétation devrait porter sur les revendications parce que l’inventeur n’est pas tenu de revendiquer un monopole sur tout élément nouveau, ingénieux et utile qui est divulgué dans le mémoire descriptif. Si, comme c’est le cas en l’espèce, les revendications mentionnent la promesse de façon certaine et sans ambiguïté, il n’est pas nécessaire d’examiner la divulgation à la loupe pour trouver d’autres promesses qui ne sont pas visées par le monopole revendiqué par l’inventeur.

[182]       Dans le jugement Bauer Hockey Corp c Easton Sports Canada Inc, 2010 CF 361, au paragraphe 290, 366 FTR 24, conf. par 2011 CAF 83, 414 NR 69, la juge Johanne Gauthier a également souscrit aux propos tenus par feu Harold G. Fox dans son ouvrage The Canada Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions, 4e éd. (Toronto, Carswell Company Limited, 1969) aux pages 152 et 154 :

[traduction]

Résultats promis : Il convient toutefois de faire une distinction entre le cas où un breveté revendique un résultat sur lequel il fonde sa demande de brevet, et le cas où un breveté souligne tout simplement certains avantages que procurera l’utilisation de son invention. Dans le premier cas, le défaut de remplir la promesse faite dans le mémoire descriptif vicie irrémédiablement le brevet. La réalisation du résultat revendiqué est une caractéristique essentielle, et si ce résultat ne peut être obtenu, le brevet est nul suivant le principe voulant qu’il ait été fondé sur une fausse prétention et que la Couronne ait été induite en erreur lorsqu’elle a l’octroyé.

[…]

Énoncé des avantages : Dans la seconde catégorie de cas, cependant, le breveté ne fonde pas sa demande de protection sur la promesse d’un résultat, mais souligne seulement les avantages que procurera l’invention. Le défaut de réaliser ces avantages, s’il n’est certes pas sans pertinence, ne vicie pas nécessairement le brevet. Ce principe a été formulé par le juge Parker dans Re Alsop’s Patent : [traduction] « En outre, il peut exister certains cas où le résultat que le breveté prétend avoir obtenu peut effectivement être produit, mais où le breveté a précisé les usages avantageux auxquels ce résultat peut être appliqué alors que dans les faits, le résultat obtenu ne peut être appliqué à un ou à plusieurs des usages ainsi énumérés. Je ne crois pas que dans un tel cas, le brevet soit nécessairement nul, pourvu que le résultat soit utile pour certains des usages décrits ».

[Non souligné dans l’original; renvois omis]

[183]       Le jugement Fournier ainsi que d’autres décisions nous enseignent que l’on doit rechercher les promesses d’amélioration ou les utilités revendiquées dans les revendications du brevet. De plus, toute affirmation trouvée ailleurs devrait être considérée comme une simple affirmation d’un avantage susceptible d’être procuré par l’invention, à moins que l’inventeur n’ait clairement et sans équivoque affirmé que cet avantage fait partie de l’utilité promise de l’invention.

[184]       Le brevet 705 ne comporte que deux mentions de propriétés améliorées par la synergie. On les trouve toutes les deux à la première page du brevet. La première mention se trouve aux lignes 10 à 17 du brevet 705 :

[traduction]

Des tentatives ont été faites antérieurement pour optimiser la résistance à la traction et la limite d’élasticité de la pellicule en mélangeant divers polymères hétérogènes sur une base théorique. Bien que ces mélanges aient montré une réaction synergique à l’augmentation de la limite d’élasticité de la pellicule, la résistance à l’impact de la pellicule suivait la règle du mélange, et avait souvent une « synergie destructive » (c.-à-d. que la résistance à l’impact de la pellicule était en fait inférieure comparativement à la pellicule comprenant l’un des deux composés utilisés pour le mélange).

[185]       La seconde mention se trouve également à la première page du brevet 705, aux lignes 32 à 37 :

[traduction]

Étonnamment, nous avons maintenant découvert des compositions, utiles à la fabrication de pellicules et de pièces moulées possédant des propriétés physiques améliorées par la synergie, qui comprennent un mélange d’au moins un interpolymère d’éthylène/α‑oléfine ramifié de manière homogène et d’au moins un interpolymère d’éthylène/α‑oléfine ramifié de manière hétérogène.

[186]       Sur la base de ces références, M. Speed émet l’hypothèse selon laquelle le brevet promet que tous les mélanges et leurs propriétés (visés par le brevet) doivent présenter une propriété physique améliorée par la synergie.

[187]       En ce qui concerne la première mention, je n’accepte pas l’affirmation selon laquelle elle fait référence aux mélanges visés par le brevet 705. Ce passage fait référence aux tentatives faites antérieurement pour optimiser la résistance à la traction et la limite d’élasticité de la pellicule en mélangeant divers polymères hétérogènes sur une base théorique. À ce titre, il ne se rapporte pas à l’affirmation de M. Speed selon laquelle le brevet 705 promet une augmentation du niveau d’utilité.

[188]       Avant d’aborder la deuxième mention, il est important de reconnaître que la théorie de M. Speed concernant l’« amélioration par la synergie » ne sera valide que si la Cour détermine que le brevet 705 promet une augmentation du niveau d’utilité, c’est-à-dire des « propriétés physiques améliorées par la synergie » dans leurs compositions.

[189]       Comme il fallait s’y attendre, les opinions des experts diffèrent quant à la signification de l’expression « améliorées par la synergie » dans la deuxième mention, à la première page du brevet.

[190]       M. Speed déclare ce qui suit, aux paragraphes 99, 100 et 118 de son rapport d’expert (pièce D‑100) :

[traduction]

99.       Un grand ensemble de renseignements obtenus de façon empirique était à la disposition des formulateurs versés dans l’art en ce qui concerne les propriétés résultant des mélanges de différents polymères. Les personnes versées dans l’art sauraient que les propriétés d’une composition mélangée peuvent suivre la « règle des mélanges » et, selon la synergie résultante, seront améliorées ou diminuées.

100.     D’après le sens ordinaire de l’expression « règle des mélanges » (comme elle est utilisée dans le brevet 705), les propriétés d’un mélange sont comparables aux rapports mesurés en poids sur les proportions relatives des polymères présents, et sont prévisibles à partir de cette dernière. En d’autres termes, les propriétés d’un mélange ne sont rien de plus que l’effet additif des propriétés de chacun des composants. Une personne versée dans l’art comprendrait que l’expression « qualité améliorée par la synergie » indique qu’une propriété d’un mélange est meilleure que les prévisions établies par la règle des mélanges et que l’expression « synergie destructive » implique une propriété inférieure à celle des prévisions.

[...]

118.     Le dernier paragraphe, à la page 1, énonce en termes généraux en quoi consiste l’invention :

            [traduction]

Étonnamment, nous avons aujourd’hui découvert des compositions qui sont utiles pour la fabrication de pellicules et de pièces moulées possédant des propriétés physiques améliorées par la synergie; ces compositions comprennent un mélange de [...]

L’introduction (les sacs et les revêtements nécessitent une résistance élevée à l’impact; deux exemples démontrent que la résistance à l’impact n’est pas améliorée par la synergie du mélange, bien que la limite et le module le soient, ainsi que le besoin d’une résistance plus élevée au choc pour un rendement donné) conduirait une personne versée dans l’art à conclure que ce qu’il y a de surprenant, c’est que les propriétés physiques améliorées par la synergie des compositions découvertes comprennent une résistance à l’impact.

[191]       M. Scott, l’expert de Dow, explique, aux paragraphes 78 à 91 de son rapport d’expert (pièce P‑173) :

[traduction]

La « promesse » de tout brevet

78.       Dans les paragraphes 112 à 120 de son rapport, M. Speed déclare que l’invention du brevet 705 vise les compositions dotées de « propriétés physiques améliorées par la synergie ». Je ne suis pas d’accord. En effet, d’après ce que M. Speed semble indiquer, le brevet promet que chaque mélange et que chaque propriété mécanique des mélanges du brevet seront améliorés par la synergie. Aucune promesse de ce genre n’est faite. Bien que les termes « améliorées par la synergie » apparaissent au bas de la première page du brevet, lorsqu’ils sont lus dans le contexte du brevet dans son ensemble, une personne versée dans l’art n’attribuerait aucune signification particulière ou pertinence à cela et ne les considérerait comme rien d’autre qu’un commentaire accessoire. Elle ne considérerait pas cela comme une promesse. La personne versée dans l’art consulterait plutôt les exemples, les essais et les résultats, ainsi que les discussions figurant aux pages 2 et 26, concernant les propriétés des mélanges brevetés pour comprendre l’invention décrite dans le brevet 705.

79.       Selon moi, le brevet 705, lorsqu’il est lu dans son ensemble, explique à la personne versée dans l’art que l’invention vise simplement des compositions particulières, comme le définissent les revendications du brevet, et que ces compositions seront utiles pour le type d’applications abordées dans le brevet, telles que les sacs de marchandises, les sacs à provisions et les revêtements industriels (voir la page 1 du brevet). Le brevet indique également une utilisation dans les articles fabriqués, comme ceux qui sont préparés à partir des techniques suivantes : moulage par injection, moulage par soufflage, extrusion de profilés, calandrage, pultrusion, moulage par rotation et filage des fibres (pages 13 à 14). D’une manière générale, j’estime qu’il n’y a pas de niveau d’utilité promis en particulier dans le brevet 705.

80.       Après avoir pris connaissance du brevet dans son ensemble, la personne versée dans l’art comprendrait que les compositions de l’invention ont démontré qu’elles possédaient des propriétés améliorées par rapport aux polymères Dowlex existants ramifiés de manière hétérogène et par rapport aux mélanges de polymères hétérogènes décrits dans les exemples comparatifs.

81.       Les comparaisons spécifiques entre les exemples présentés à la page 26 mettent l’accent sur une « bonne combinaison » de propriétés, d’« améliorations » et de « valeurs plus élevées ». Le brevet indique que les compositions comportent des propriétés améliorées par rapport aux précédents polymères Dowlex ramifiés de manière hétérogène, qui constituaient le principal type de polymères utilisés dans les pellicules, et par rapport aux mélanges comparatifs de polymères hétérogènes. L’amélioration des compositions du brevet 705 est basée sur ces précédents polymères et ces précédentes compositions à base de polymères.

82.       Les comparaisons établies dans le brevet sont différentes de celles proposées par M. Speed pour déterminer l’« amélioration par la synergie » dans le cadre de cette définition. M. Speed laisse entendre qu’il existe un lien entre la « règle des mélanges » et le fait qu’il y ait ou non une amélioration synergique. Il indique au paragraphe 99 qu’une composition mélangée sera définie comme une composition [traduction] « suivant la règle des mélanges ou meilleure ou diminuée par la synergie ». Je ne pense pas que le brevet impose ce type d’évaluation.

83.       M. Speed laisse entendre que l’expression « améliorées par la synergie » signifie qu’une propriété d’un mélange est meilleure que les prévisions établies par la règle des mélanges (qu’il définit comme étant meilleure que l’effet additif des propriétés de chacun des composants du mélange). J’estime que l’analyse de l’« amélioration par la synergie » décrite et appliquée par M. Speed constitue un « écart positif par rapport à la règle des mélanges » (consultez par exemple Muller et coll., « Structure-Properties Relationships in PP/LLDPE Blends », ANTEC (1994) p. 2418, document joint en tant que pièce « E » à mon rapport, aux fins d’utilisation typique des termes « écart négatif par rapport à une règle des mélanges » et « écart positif par rapport à la règle des mélanges »). Dans son rapport, M. Speed assimile à tort l’« écart positif » avec l’« amélioration par la synergie ». Il s’agit d’un lien établi par M. Speed; il ne s’agit pas d’une définition fournie dans le brevet. Le passage décrit au bas de la première page ne fait pas référence à un « écart positif » comme étant une explication de la signification de « amélioration synergique »; par ailleurs, la personne versée dans l’art ne le considérerait pas comme une définition.

84.       Aucun élément dans la discussion figurant dans le brevet 705, et celle sur les données du tableau 3, ne laisse penser qu’un écart positif ou négatif par rapport à la règle des mélanges devrait être utilisé pour déterminer si les mélanges de l’invention ont des propriétés bénéfiques. La comparaison utilisée dans le brevet constitue plutôt une comparaison entre les propriétés générales du mélange utilisé pour les pellicules et les propriétés d’un équivalent interpolymère ramifié de manière hétérogène utilisé pour les pellicules, avec une masse volumique comparable et, dans certains cas, un indice de fluidité comparable. La discussion du tableau 3 présentée à la page 26 met également l’accent sur les améliorations apportées à des propriétés spécifiques, bien qu’elles n’aient pas été apportées à chaque propriété. Par ailleurs, cette discussion ne met pas l’accent sur les mêmes propriétés pour chaque cas; dans certains cas, elle met l’accent sur des propriétés différentes. On devrait s’attendre à cela, puisque la personne versée dans l’art peut être intéressée uniquement par des propriétés particulières en fonction des applications prises en compte.

85.       Selon moi, lorsque la personne versée dans l’art lit l’expression « améliorées par la synergie » dans le dernier paragraphe de la première page du brevet 705, dans la mesure où la personne versée dans l’art n’accorderait pas d’importance à cette expression, elle comprendrait simplement que les inventeurs évoquent les comparaisons établies dans le brevet, dans lequel les mélanges de l’invention ont été comparés aux mélanges de polymères traditionnels LLDPE (Dowlex) et de polymères hétérogènes, dont les indices de fluidité et les masses volumiques sont comparables à ceux des mélanges de l’invention; cette comparaison a permis de démontrer que les propriétés améliorées des mélanges étaient équilibrées (« résistance physique et mécanique améliorée », « bonnes propriétés en matière d’impact et d’allongement » et « combinaison particulièrement bonne en matière de limite du module, de résistance à la traction et de ténacité [p. ex. la résistance au choc] »), comme l’indiquent les éléments à la page 2 et la discussion des exemples et du tableau 3 à la page 26.

86.       En raison de l’hypothèse sous-jacente selon laquelle le brevet vise l’« amélioration par la synergie », l’interprétation des données du tableau 3 par M. Speed est mauvaise. Plutôt que d’interpréter les données en elles-mêmes, à l’aide des comparaisons fournies, M. Speed déclare simplement que des comparaisons incorrectes ont été faites (paragraphe 185). Je suis d’accord avec M. Speed, qui indique que les exemples figurant dans le brevet ne visent pas à démontrer s’il y a ou non une amélioration par la synergie, telle que la définit M. Speed. Cela s’explique par le fait que le brevet 705 ne vise pas une telle amélioration par la synergie et qu’aucune promesse de ce genre n’est faite dans le brevet.

87.       Même si une personne versée dans l’art devait appliquer la définition de « amélioré par la synergie » de M. Speed et conclure qu’il s’agissait d’une promesse du brevet, elle ne conclurait pas que le brevet promet ce résultat pour toutes les propriétés et tous les mélanges. Le fait que certains mélanges présentent des améliorations de certaines propriétés est un résultat surprenant, ce qui peut être utile à la personne versée dans l’art.

88.       Je remarque que, dans son analyse, M. Speed insiste de façon excessive sur la résistance à l’impact. Au paragraphe 118 de son rapport, M. Speed confère une importance à la propriété de résistance à l’impact dans le langage général utilisé dans le dernier paragraphe de la première page du brevet 705. Toutefois, aucune référence spécifique à la résistance à l’impact n’est faite dans ce paragraphe. L’interprétation du paragraphe par M. Speed est bien plus spécifique que ce qu’indique le langage simple du paragraphe. La résistance à l’impact n’est qu’une propriété abordée dans les exemples du brevet. Comme il est indiqué au haut de la page 2, un certain nombre de propriétés doivent être prises en compte, notamment le module, la limite, la résistance à la traction et la ténacité. La personne versée dans l’art comprendrait que la ténacité pourrait être représentée par une variété de propriétés spécifiques, incluant non seulement la résistance au choc, mais aussi, comme l’indique l’analyse dans le tableau 3, les propriétés telles que la force de traction ultime, la résistance à la déchirure (Elmendorf), la résistance à la déchirure par propagation d’une perforation et la résistance à la perforation.

89.       Aux paragraphes 192 et 193, M. Speed laisse entendre qu’il manque des renseignements factuels dans la divulgation qui sont nécessaires [sic] pour « prévoir si les compositions comporteront des propriétés améliorées par la synergie ». Je ne pense pas qu’il manque de renseignements factuels dans le brevet. Le brevet fournit à la personne versée dans l’art tous les renseignements dont elle aurait besoin pour sélectionner un polymère à composant A ou B approprié, pour parvenir à une composition de l’invention. Rien ne garantit que ces compositions comporteront des « propriétés améliorées par la synergie ». Par conséquent, le brevet 705 ne cherche pas à démontrer une amélioration due à la synergie, tel que le définit M. Speed, et aucune discussion n’indique comment obtenir par la synergie une telle amélioration.

90.       Je remarque que les termes « synergie destructive » sont utilisés dans la section du brevet portant sur les renseignements généraux. Je ne suis pas d’accord avec l’interprétation des termes « synergie destructive » de M. Speed, telle qu’elle est présentée dans la note de bas de page de la deuxième page de son rapport. Une signification littérale devrait être attribuée à la référence utilisée dans la section sur les renseignements généraux, à savoir que la résistance à l’impact des pellicules était « inférieure à celle des pellicules préparées à partir d’un des deux composants utilisés pour effectuer le mélange ». M. Speed apporte sa propre définition de « synergie » dans cette référence et ignore les termes utilisés.

91.       Je ne suis pas d’accord avec ce que laisse entendre M. Speed dans la note de bas de page no 3, qui indique que le terme « améliorées » signifie « améliorées par la synergie ». Ce lien n’a pas été fait dans le brevet 705.

[192]       J’ai examiné les revendications du brevet 705 et je ne trouve aucune référence à une promesse de « propriétés physiques améliorées par la synergie ». Il n’y a aucune revendication concernant tout niveau spécifié d’amélioration. Les revendications évoquent les compositions du brevet 705 qui ont de meilleures propriétés, mais on n’indique aucun degré d’amélioration en particulier.

[193]       La revendication no 18 du brevet 705 stipule que la composition aurait une résistance à l’impact comprise entre 410 et 708 grammes. Selon moi, cela n’indique pas de degré particulier d’amélioration par rapport à toute composition avancée précédente, ni aucune « propriété physique améliorée par la synergie ». Je constate également que la revendication no 18 n’est pas en cause dans le cas présent.

[194]       Je préfère le témoignage d’expert de M. Scott à celui de M. Speed en ce qui concerne les questions de l’utilité améliorée promise. M. Scott a étudié le brevet dans son ensemble, tandis que M. Speed, au moment de traiter la première référence dans le brevet 705, a ignoré les termes entre parenthèses qui définissent les termes « synergie destructive ».

[195]       Comme j’ai conclu que les inventeurs n’avaient pas formulé de promesse explicite de résultat précis, le critère de l’utilité retenu sera celui de la « simple parcelle » d’utilité.

[196]       Selon moi, l’invention dont il est question dans le brevet 705 vise des compositions particulières, telles que le stipulent les revendications du brevet. Ces compositions sont utiles.

[197]       Les autres allégations d’inutilité de NOVA dépendent toutes de son allégation de promesse d’amélioration. Comme j’ai rejeté cette allégation, je ne vais pas examiner davantage la question de la démonstration de l’utilité ou celle de la prédiction valable.

XI. Revendications d’une portée plus large que l’invention réalisée ou divulguée

[198]       Dans le jugement Pfizer Canada Inc c Canada (Ministre de la Santé), 2008 CF 11, 322 FTR 86, le juge Roger Hughes déclare ce qui suit, aux paragraphes 45 et 46 :

45        La règle de droit établissant si la validité d’une revendication dans un brevet peut être contestée pour portée excessive a été énoncée clairement et succinctement par le juge Thurlow (alors juge de la Cour de l’Échiquier) dans l’arrêt Farbewerke Hoechst A/G c. Canada (Commissioner of Patents), [1966] Ex. C.R. 91 (confirmé, [1966] R.C.S. 604), qui a déclaré ce qui suit au paragraphe 20 :

[traduction]

La portée du monopole auquel peut valablement prétendre l’inventeur est restreinte de deux manières fondamentales. La portée du monopole ne peut excéder celle, premièrement, de l’invention qu’il a faite et, deuxièmement, celle de l’invention telle qu’elle a été décrite dans le mémoire descriptif.

46        La première restriction constitue une question de fait : quelle invention l’inventeur a‑t‑il créée? La seconde, une question d’interprétation du brevet afin de discerner ce qui y est dit. Dans les deux cas, une comparaison s’impose avec les revendications en cause afin d’établir si la « portée » de la revendication est ou non plus large que ce que l’inventeur ou les inventeurs ont véritablement créé ou que ce que prévoit la divulgation. Lorsqu’on ne peut disposer du témoignage du ou des inventeurs et que la preuve secondaire telle que des blocs‑notes, des mémoires et le témoignage de collègues ne peut être obtenue ou s’avère insatisfaisante si elle l’est, il est raisonnable de présumer que la divulgation du brevet coïncide avec ce que le ou les inventeurs ont inventé.

[199]       Dans le même ordre d’idées, dans le jugement Lubrizol Corp c Imperial Oil Ltd, (1990), 33 CPR (3d) 1, 39 FTR 161 (C.F. 1re inst.), mod. pour d’autres motifs à 98 DLR (4th) 1 (CAF), le juge Bud Cullen a déclaré ce qui suit aux pages 27 et 28 :

[traduction]

Il y a deux limites fondamentales à l’envergure du monopole qui peut valablement être revendiqué dans un brevet :

1) il ne doit pas dépasser l’invention qui a été faite,

2) il ne doit pas dépasser l’invention décrite dans le mémoire descriptif.

Si la revendication est d’une portée beaucoup plus large que celle indiquée dans le mémoire descriptif au point d’inclure une vaste gamme de matériaux qu’on ne peut pas tous imaginer comme étant exploitables, la revendication n’est pas valable.

Toutefois, dans l’arrêt Burton Parsons Chemicals Inc. et autres c. Hewlett-Packard Ltd. et autres (1974), 3 N.R. 533 (C.S.C.), la Cour suprême du Canada a déclaré qu’un inventeur peut rendre la portée de ses revendications aussi restreinte qu’il le juge nécessaire pour se protéger contre l’invalidité qui surviendrait si les revendications étaient trop larges.

Encore une fois, c’est au défendeur qu’il incombe de prouver l’absence d’utilité ou le fait que la revendication est d’une portée plus large que l’invention. Le fait qu’un brevet n’a pas fait l’objet d’essais complets et que ses revendications n’ont pas toutes été prouvées ne suffit pas. Dans l’arrêt Lovell Manufacturing Co. et autres c. Beatty Bros. Ltd. (1962), 41 C.P.R. (2d) 18, la Cour a statué qu’il était possible de présenter des revendications allant au-delà d’exemples précis à condition que les revendications représentent des prévisions judicieuses des résultats qui se produiront si les revendications sont suivies. Il s’agit là d’une question de fait, et les revendications doivent être interprétées par l’emploi du vocabulaire courant de l’art. En ce qui concerne le mémoire descriptif, le libellé et les dessins peuvent aider, mais ils ne doivent pas être utilisés pour modifier ou étendre les revendications; si le libellé est simple et clair, on ne pourra pas en étendre ou en limiter la portée par renvoi à l’énoncé du mémoire descriptif (Kramer (précité) p. 310). Encore une fois, on a rappelé aux tribunaux de ne pas adopter une approche trop technique.

[200]       NOVA affirme que le brevet 705 est invalide parce que les revendications de ce brevet ont une portée plus large que l’invention réalisée. Cette assertion repose sur l’étendue des valeurs utilisées dans la description des compositions revendiquées (la masse volumique, notamment). De plus, NOVA affirme que le brevet 705 est invalide parce qu’il a une portée plus large que l’invention divulguée. Cet argument se rapporte à l’argument suivant lequel il manque un élément essentiel aux revendications.

XII.       Revendications d’une portée plus large que l’invention réalisée – l’étendue des valeurs revendiquées

[201]       La preuve présentée par NOVA au sujet de cette question est résumée dans les paragraphes suivants du rapport d’expert de M. Speed (pièce D‑100, paragraphes 24, 220 et 308) :

[traduction]

24.       Les documents de recherche de Dow n’appuient pas la portée de ce qui est décrit et revendiqué. Le brevet décrit des compositions que les inventeurs n’ont jamais réalisées ou envisagées dans leurs documents de recherche.

[...]

Les recherches effectuées par les inventeurs n’établissent pas l’étendue des valeurs revendiquées

220.     Je ne vais pas tenter de résumer les documents des inventeurs; cela serait trop long. Je me contenterai d’indiquer ce que je n’ai pas pu trouver.

a)         Je n’ai trouvé aucun travail démontrant la grande quantité de compositions découlant des diverses spécifications du brevet les définissant. Bien évidemment, les inventeurs n’ont pas pu préparer toutes ces compositions. Ils en ont préparé et testé certaines, que j’examinerai ultérieurement, mais je n’ai pu trouver de travail me permettant d’établir l’étendue des valeurs de pourcentage des composants, l’étendue des diverses propriétés des interpolymères, ou leurs permutations possibles.

b)         Je n’ai trouvé aucun travail montrant que les inventeurs ont préparé des compositions, ou même envisagé de le faire, possédant plus d’un interpolymère ramifié de manière homogène ou possédant plus d’un interpolymère ramifié de manière hétérogène.

c)         Je n’ai trouvé aucun travail démontrant que les inventeurs ont utilisé l’étendue des proportions des comonomères décrite, ou qu’ils ont envisagé de le faire.

d)         Je n’ai pu établir que les inventeurs ont tenté d’établir l’étendue des proportions pour les compositions composées d’interpolymères d’éthylène/α‑oléfine linéaires ramifiés de manière homogène avec des polymères ramifiés de manière hétérogène. Le travail des inventeurs fut plutôt principalement orienté vers les compositions de polymères sensiblement linéaires d’éthylène/α-oléfine ramifiés de manière homogène (ceux réalisés à l’aide des catalyseurs à géométrie restreinte, nommément la technologie CGCT) avec des polymères dont la ramification est hétérogène.

[...]

Résumé du travail des inventeurs

308.     Les documents de recherche de Dow n’appuient pas la portée de ce qui est décrit et revendiqué. Le brevet décrit des compositions que les inventeurs n’ont jamais réalisées ou même envisagées dans leurs documents de recherche.

[202]       J’ai étudié les rapports d’expert soumis par M. Scott, au nom de Dow, ainsi que les résultats expérimentaux de M. Lai et je suis convaincu que les inventeurs et leur personnel ont exécuté la plupart des recherches et des essais relativement à l’éventail des compositions au sein de l’étendue des valeurs établies pour différentes caractéristiques des compositions.

[203]       M. Scott a présenté de nombreuses expériences sur la masse volumique et l’indice de fluidité menées par les chercheurs de Dow. De même, des recherches ont été effectuées conformément aux pourcentages massiques et aux proportions de comonomères pouvant être utilisés pour produire les compositions.

[204]       J’accepte ces explications de MM. Scott et Lai et, par conséquent, je suis d’avis que le brevet 705 n’est pas invalide au motif que les revendications auraient une portée plus large que l’invention réalisée.

[205]       Je relève l’objection formulée par NOVA au paragraphe 252 de ses conclusions finales où elle affirme que la Cour ne devrait accorder aucune valeur aux paragraphes 159, 160, 161 et 162 du rapport de M. Scott. Je ne suis pas de son avis, étant donné que trois des quatre documents faisaient partie du témoignage de M. Speed et que Dow avait communiqué ces documents au préalable.

XIII.    Revendications d’une portée plus large que l’invention divulguée – Éléments essentiels manquants

[206]       Par l’intermédiaire de son expert, M. Speed, NOVA soutient, après examen de la divulgation du brevet 705, que [traduction« dans toutes les revendications, il manque au moins une caractéristique qui, d’après le brevet, est requise des interpolymères qui sont utiles pour les compositions revendiquées ». (Pièce D‑100, paragraphe 205).

[207]       Je remarque que la conclusion de M. Speed concernant ce qui est essentiel a été basée sur sa théorie selon laquelle le brevet 705 promet des « propriétés améliorées par la synergie ». Par exemple, aux paragraphes 25, 307 et 311, M. Speed déclare :

[traduction]

25.       Rien dans les travaux documentés de l’inventeur, M. Lai, ne fournit de fondement factuel permettant de prévoir que toutes les compositions s’inscrivant dans les revendications auront des propriétés améliorées par la synergie. En réalité, l’étude sur les mélanges de M. Lai contredit une telle prévision.

[...]

307.     Toutefois, les auteurs de ces documents ne concluent pas que l’un ou l’autre de ces mélanges comporte des propriétés améliorées par la synergie et ne mentionnent pas non plus de résultats d’essai qui pourraient appuyer une telle conclusion.

[...]

311.     Il est clair que l’amélioration des propriétés physiques par la synergie ne constitue pas une caractéristique des compositions ou des pellicules décrites et revendiquées dans le brevet 705. Les propriétés d’allongement (écoulement plastique, module sécant, résistance à la traction) et la résistance au choc étaient des propriétés les moins susceptibles d’être améliorées grâce à la synergie.

[208]       Dans le cadre de mon analyse et de la décision que j’ai prise quant au manque d’utilité du brevet 705, je n’ai pas accepté la théorie de M. Speed, selon laquelle le brevet 705 promettait un meilleur niveau d’utilité et des « propriétés physiques améliorées par la synergie ». J’ai le sentiment que l’analyse de M. Speed relativement à ce qui constitue un élément essentiel pour la revendication est erronée en raison de son utilisation du concept de propriétés améliorées par la synergie.

[209]       De plus, je préfère le témoignage de M. Scott et du Pr Soares en ce qui concerne les limites de certaines caractéristiques des compositions du brevet 705. Ce témoignage indiquait que ces limites ne sont pas des éléments essentiels de la revendication. Dans son témoignage, il indiquait également que les caractéristiques spécifiées de la composition de la revendication devraient être étudiées ensemble (c.-à-d. la composition respecte-t-elle les diverses étendues des valeurs concernant les différentes caractéristiques précisées dans la revendication?)

[210]       Vu ce qui précède, je conclus que le brevet 705 n’est par conséquent pas invalide pour cette raison, étant donné qu’il ne manque pas d’éléments essentiels dans les revendications.

XIV.          L’objet des revendications est dépourvu de nouveauté (antériorité)

[211]       NOVA soutient essentiellement que le brevet 705 se heurte à l’antériorité du brevet canadien no 2416003 (Garza) et à celle du brevet américain 4629525 (Rasmussen).

XV.             Les règles de droit relatives à la nouveauté (antériorité)

[212]       Dans le jugement Uview, j’ai énoncé les règles de droit relatives à l’antériorité aux paragraphes 157, 158 et 159 :

Le droit relatif à l’antériorité

157       La question de la nouveauté (ou de l’antériorité) est régie par l’article 28.2 de la Loi sur les brevets, qui contient entre autres les dispositions suivantes :

28.2(1) L’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas :

a) plus d’un an avant la date de dépôt de celle‑ci, avoir fait, de la part du demandeur ou d’un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard de façon directe ou autrement, l’objet d’une communication qui l’a rendu accessible au public au Canada ou ailleurs;

b) avant la date de la revendication, avoir fait, de la part d’une autre personne, l’objet d’une communication qui l’a rendu accessible au public au Canada ou ailleurs;

c) avoir été divulgué dans une demande de brevet qui a été déposée au Canada par une personne autre que le demandeur et dont la date de dépôt est antérieure à la date de la revendication de la demande visée à l’alinéa (1)a) [...]

[…]

158      On peut lire ce qui suit aux paragraphes 25, 26 et 27 de l’arrêt Free World Trust de la Cour suprême du Canada, précité :

25.       La défense fondée sur l’antériorité découlant d’une publication est difficile à établir, car les tribunaux reconnaissent qu’il n’est que trop facile, après la divulgation d’une invention, de la reconnaître, par fragments, dans un enseignement antérieur. Il faut peu d’ingéniosité pour constituer un dossier d’antériorité lorsqu’on dispose du recul nécessaire. En l’occurrence, les intimés prétendent que tous les éléments essentiels des prétendues inventions de l’appelante avaient été divulgués dans une seule publication, savoir l’article de Solov’eva, environ quatre ans avant la demande de brevet. Si tel est le cas, le brevet est invalide.

26.       Les intimés ont appris l’existence de l’article de Solov’eva en prenant connaissance du mémoire descriptif du brevet 361, l’appelante en faisant mention à titre d’antériorité. La question qui se pose sur le plan juridique est de savoir si cet article renferme suffisamment d’information pour permettre à une personne ayant des compétences et des connaissances moyennes dans le domaine de comprendre, sans avoir accès aux deux brevets, [traduction] « la nature de l’invention et de la rendre utilisable en pratique, sans l’aide du génie inventif, mais uniquement grâce à une habileté d’ordre technique » (H. G. Fox, The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions (4e éd. 1969), aux pp. 126 et 127). En d’autres mots, les renseignements donnés par Solov’eva étaient‑ils, « en termes d’utilité pratique, les mêmes que ceux que donnent les brevets contestés »? (Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask.) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504, le juge Dickson, à la p. 534), ou, pour reprendre l’exposé mémorable fait dans General Tire & Rubber Co. c. Firestone Tyre & Rubber Co., [1972] R.P.C. 457 (C.A. Angl.), à la p. 486:

[traductionAussi clair qu’il soit, un poteau indicateur placé sur la voie menant à l’invention du breveté ne suffit pas. Il faut prouver clairement que l’inventeur préalable a pris possession de la destination précise en y laissant sa marque avant le breveté.

Il est donc difficile de satisfaire au critère applicable en matière d’antériorité :

Il faut en effet pouvoir s’en remettre à une seule publication antérieure et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l’invention revendiquée sans l’exercice de quelque génie inventif. Les instructions contenues dans la publication antérieure doivent être d’une clarté telle qu’une personne au fait de l’art qui en prend connaissance et s’y conforme arrivera infailliblement à l’invention revendiquée. (Beloit Canada Ltd. c. Valmet OY (1986), 8 C.P.R. (3d) 289 (C.A.F.), le juge Hugessen, à la p. 297)

27.       En toute déférence, il est clair que l’article de Solov’eva n’aborde pas et résout encore moins les difficultés techniques sur lesquelles portent les brevets en cause. Il ne s’agit de rien de plus qu’un résumé de quatre pages de l’histoire de l’électromagnétothérapie. L’article fait état de certains des différents systèmes offerts en 1975 en Europe et au Japon. Il convient de signaler que l’appelante ne prétend pas avoir inventé l’électromagnétothérapie. Elle a obtenu un brevet pour un moyen en particulier. Même si les différents composants étaient déjà connus des personnes versées dans l’art, l’inventeur les a combinés pour obtenir ce que le commissaire aux brevets a qualifié de résultat nouveau, utile et ingénieux. L’invention revendiquée correspondait à une combinaison ingénieuse de composants déjà connus, et non à leur simple juxtaposition (The King c. Uhlemann Optical Co., [1952] 1 R.C.S. 143, le juge en chef Rinfret, à la p. 150; Domtar Ltée c. MacMillan Bloedel Packaging Ltée, [1977] A.C.F. no 207 (QL) (1re inst.), aux par. 28 à 33). La combinaison ingénieuse n’était ni enseignée ni envisagée dans l’article de Solov’eva. Aucun des autres arguments invoqués à l’encontre de la validité des brevets n’est convaincant. Le breveté a respecté les obligations contractées dans le cadre du marché en divulguant une invention. Les brevets sont valides.

159.     La Cour suprême du Canada a modifié quelque peu le droit en cette matière dans l’arrêt Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc., [2008] A.C.S. no 63 [Apotex c. Sanofi], où le juge Rothstein, écrivant au nom de la Cour, exposait le raisonnement suivant :

23.       Pour les motifs qui suivent et au vu de la jurisprudence récente, j’estime respectueusement que le juge de première instance a exagéré la rigueur du critère de l’antériorité en considérant que l’ « invention exacte » devait déjà avoir été faite et avoir été rendue publique.

24.       En 2005, dans l’arrêt Synthon de la Chambre des lords, lord Hoffmann a apporté quelques précisions supplémentaires sur le critère de l’antériorité et sur son interprétation depuis l’arrêt General Tire. Le fait qu’il a qualifié d’inattaquable le passage cité des motifs de lord Westbury dans Hills c. Evans (1862), 31 L.J. Ch. (N.S.) 457, p. 463, indique clairement que son analyse ne tient pas à quelque modification du droit anglais découlant de l’adoption de la Patents Act 1977 (R.‑U.), 1977, ch. 37, non plus qu’à la ratification de la Convention sur la délivrance de brevets européens, 1065 R.T.N.U. 199 (entrée en vigueur le 7 octobre 1977) par le Royaume‑Uni. Il établit une distinction entre deux exigences en la matière qui, jusqu’alors, ne faisaient pas expressément l’objet d’un examen distinct, à savoir la divulgation antérieure et le caractère réalisable.

25.       Lord Hoffmann explique que suivant l’exigence de la divulgation antérieure, le brevet antérieur doit divulguer ce qui, une fois réalisé, contreferait nécessairement le brevet (par. 22) :

[traductionSi je puis me permettre de résumer ce qui découle de ces deux énoncés fort connus [tirés de General Tire et de Hills c. Evans], l’objet de l’antériorité alléguée doit divulguer ce qui, une fois réalisé, contreferait le brevet [...] Il s’ensuit que, peu importe que cela aurait sauté ou non aux yeux de quiconque au moment considéré, lorsque ce qui est décrit dans la divulgation antérieure est réalisable et une fois réalisé, contreferait nécessairement le brevet, la condition de la divulgation antérieure est remplie.

En ce qui concerne la divulgation, la personne versée dans l’art [traduction« est censée tenter de comprendre ce que l’auteur de la description [dans le brevet antérieur] a voulu dire » (par. 32). À cette étape, les essais successifs sont exclus. La personne versée dans l’art se contente de lire le brevet antérieur pour en comprendre la teneur.

26.       Lorsque l’exigence de la divulgation est remplie, le second élément établissant l’antériorité est le « caractère réalisable », à savoir la possibilité qu’une personne versée dans l’art ait pu réaliser l’invention (par. 26). Lord Hoffmann conclut que le volet du critère de l’antériorité correspondant au caractère réalisable équivaut au critère du caractère suffisant suivant les dispositions législatives pertinentes du Royaume‑Uni. (Notre Cour n’a pas à statuer en l’espèce sur l’incidence du caractère réalisable de l’invention sur le caractère suffisant du mémoire descriptif du brevet pour les besoins de l’al. 34(1)b) de la Loi sur les brevets du Canada dans sa version antérieure au 1er octobre 1989, devenu l’actuel al. 27(3)b), et mon analyse du caractère réalisable ne vaut que pour le critère de l’antériorité. La question de savoir si, au Canada, le caractère réalisable de l’invention et le caractère suffisant du mémoire descriptif se confondent l’un et l’autre devra être tranchée une autre fois.)

27.       Dès lors que l’objet de l’invention est divulgué dans un brevet antérieur, on suppose que la personne versée dans l’art est disposée à procéder par essais successifs pour arriver à l’invention. Bien que de tels essais soient exclus à l’étape de la divulgation, ils ne le sont pas pour les besoins du caractère réalisable, car la question n’est plus de savoir si la personne versée dans l’art saisit la teneur de la divulgation du brevet antérieur, mais bien si elle est en mesure de réaliser l’invention.

28.       Le juge de première instance a conclu à juste titre qu’il était lié par l’arrêt Beloit, lequel ne portait que sur un volet de l’antériorité : l’invention visée par le brevet en cause avait‑elle déjà été divulguée en totalité dans une même publication ou un même brevet. Le juge Hugessen y a conclu qu’elle ne l’avait pas été. Dès lors, il ne lui incombait pas de se demander en outre si, à supposer que la divulgation ait été claire, elle aurait en outre permis la réalisation de l’invention. Cette question ne faisait pas l’objet du litige. L’analyse consistant à isoler expressément le volet de la divulgation et celui du caractère réalisable apporte une nuance au raisonnement sous‑tendant l’arrêt Beloit. Elle explique la démarche qu’une personne versée dans l’art adopterait si le brevet d’origine antériorisait l’invention visée par le brevet subséquent. Je suis enclin à la faire mienne.

29.       Sous réserve de toute restriction prévue dans la Loi sur les brevets, je ne vois pas pourquoi l’analyse relative à l’antériorité ne s’appliquerait qu’aux brevets de genre. Toujours sous réserve de la Loi sur les brevets, l’analyse de l’antériorité et de l’évidence paraît valoir pour les brevets en général.

30.       Deux questions se posent dès lors en ce qui concerne le critère de l’antériorité : 1) en quoi consiste la divulgation antérieure et 2) dans quelle mesure le caractère réalisable admet‑il les essais successifs?

Selon mon interprétation de cette jurisprudence, l’arrêt Free World Trust, précité, reste applicable si l’on constate l’absence de divulgation antérieure dans l’état de la technique.

XVI.          Le brevet Garza est-il antérieur aux revendications du brevet 705?

[213]       Par conséquent, le brevet Garza sera antérieur aux revendications du brevet 705 s’il divulgue un objet qui, s’il est réalisé, contreferait nécessairement le brevet 705.

[214]       Le brevet Garza fournit au lecteur une description générale des compositions et demande au lecteur de sélectionner des polymères à partir d’un certain nombre de proportions pour effectuer le mélange.

[215]       En effet, en choisissant certains polymères, une personne obtiendrait une composition ne s’inscrivant pas dans les revendications du brevet 705.

[216]       M. Speed, l’expert de NOVA, a convenu que cela était vrai. À la page 3740 de la transcription, aux lignes 14 à 20, voici ce qu’il déclare :

[traduction]

Q.        Parle-t-on ici de milliers de types différents de mélanges?

R.        Je suppose que si vous preniez toute l’étendue des valeurs dont il parle, il serait possible de préparer une quantité relativement importante de mélanges ayant des compositions, des indices de fluidité et des masses volumiques différentes, etc.

(Transcription, 17 octobre 2013, à la page 3740)

Et, plus loin :

[traduction]

Q.        On n’obtient pas inévitablement l’invention en interprétant le brevet Garza de cette manière?

R.        Pas nécessairement. Les valeurs se chevauchent. Elles ne sont pas identiques.

Q.        On n’obtient pas inévitablement les mêmes résultats?

R.        Pas inévitablement c’est certain. Vous pourriez choisir des matériaux qui ne sont pas inclus dans la portée du brevet 705.

(Transcription, 17 octobre 2013, pages 3750 et 3751)

[217]       Il ressort à mon avis de ce témoignage que le brevet de Garza n’est pas antérieur au brevet 705, étant donné que la jurisprudence affirme explicitement que le brevet antérieur doit divulguer ce qui, une fois réalisé, « contreferait nécessairement le brevet ». Dans le cas qui nous occupe, on pourrait exécuter le brevet Garza sans arriver à l’invention prévue par le brevet 705.

[218]       NOVA invoque le jugement Calgon Carbon Corporation c North Bay (Ville), 2006 CF 1373, aux paragraphes 8 et 153, 56 CPR (4th) 281, pour affirmer qu’il y aurait antériorité même lorsque certaines valeurs recouperaient la solution préconisée par les revendications antérieures. Toutefois, dans l’affaire Calgon, certains des exemples correspondaient aux revendications du brevet ultérieur, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

[219]       NOVA a formulé plusieurs autres arguments au sujet de l’antériorité du brevet de Garza, y compris la réalisation mentionnée à la page 13 du brevet de Garza, mais, pour les motifs énoncés par le Pr Soares, je n’accepte pas ces arguments.

XVII.    Antériorité du brevet Rasmussen

[220]       Je ne suis également pas convaincu que le brevet Rasmussen constitue une antériorité par rapport au brevet 705.

[221]       Pour commencer, le brevet Rasmussen apprend à la personne versée dans l’art comment mélanger l’ensemble du polymère Dowlex 2045 (un polymère ramifié de manière hétérogène) avec l’ensemble de l’hostalen, un homopolymère.

[222]       NOVA soutient que M. Mirabella a effectué un fractionnement du polymère Dowlex 2045 et qu’il a obtenu une fraction du Dowlex conforme aux exigences des revendications 11, 29 et 41 relatives au composant A. Le problème concernant cette affirmation est le même que celui que j’ai mentionné dans le paragraphe précédent indiquant les raisons. Rasmussen vous apprend comment mélanger l’ensemble du polymère Dowlex 2045 (polymère ramifié de manière hétérogène) avec l’ensemble de l’homopolymère hostalen.

[223]       Voici un extrait de la preuve présentée au procès :

[traduction]

158.     Comme nous l’avons mentionné ci-dessus, la question du fractionnement n’est abordée nulle part dans le brevet Rasmussen et il n’existe aucune discussion sur l’isolation d’une fraction de polymère à partir du polymère Dowlex 2045 qui serait conforme aux propriétés du composant A.

159.     Dans l’ensemble, la personne versée dans l’art ne considérerait pas que l’invention décrite et revendiquée par le brevet 705 est révélée par Rasmussen.

(Rapport de réfutation du Pr Soares, page 175, paragraphes 158 et 159)

Et, aux paragraphes 160 à 163 :

[traduction]

Fractionnement réalisé par M. Mirabella

160.     Je souhaite formuler les commentaires additionnels suivants sur les expériences effectuées par M. Mirabella pour obtenir les fractions A-1 et A-2.

161.     M. Mirabella a effectué le fractionnement double d’un échantillon de polymère Dowlex 2045 à l’aide d’une procédure en deux étapes. Au cours de la première étape, il a utilisé une technique d’élution avec élévation de température pour fractionner le polymère Dowlex 2045 en trois fractions, selon les températures d’élution suivantes : inférieures à 72 °C (fraction B-1), entre 72 et 78 °C (fraction A) et de 78 à 130 °C (fraction B-2) M. Mirabella a « sous-fractionné » la fraction A en quatre fractions aux masses moléculaires différentes, à l’aide d’une méthode de fractionnement par gradient d’élution (FGE) : une fraction ayant une masse moléculaire très faible (0 % de xylène) et une fraction purgée (la fraction ayant la masse moléculaire la plus faible) extraites d’une colonne de FGE à 30 °C (rapport d’expert de Mirabella, paragraphe 44) :

L’isolation de la fraction de polymère ayant une masse moléculaire élevée a permis d’éliminer le polymère ayant la masse moléculaire plus faible, en plus de celui éliminé par les fractions de xylène (0 % et 47 %) à une température de 118 °C. Dans l’expérience, qui correspond à l’étape 5 de la pièce H, lorsque les deux volumes de Dowanol dans la colonne étaient pompés dans la colonne à 30 °C pour éliminer le solvant à base de xylène dans la colonne après cristallisation, certains polymères à faible masse moléculaire solubles dans le xylène à une température de 30 °C ont été éliminés de la colonne. Il n’était pas nécessaire de récupérer ce matériau de faible masse moléculaire, qui fut éliminé, comme l’indique la récupération totale par masse (pourcentage en poids) dans la colonne de droite.

162.     M. Mirabella a combiné les deux fractions extraites avec 47 % de xylène (fraction B-3), mais n’a pas combiné les deux fractions obtenues avec 100 % de xylène, qu’il a conservées en tant que fractions séparées (fractions A-1 et A-2); il semble justifier cela par le fait que la fraction A-2 a été « contaminée » par une petite fraction de la matière du filtre de téflon pendant la filtration. On ne sait pas vraiment pourquoi cette petite quantité de téflon gênerait la combinaison de ces deux fractions, puisque le téflon n’était pas soluble dans les solvants organiques utilisés par M. Mirabella pour analyser ces fractions. De plus, la présence de téflon dans la fraction A-2 n’a pas empêché M. Mirabella d’analyser séparément cette fraction. De même, en plus de ne pas être soluble, le « contaminant » lié au téflon pourrait être facilement filtré hors de la fraction A-2 si M. Mirabella était préoccupé par sa présence.

163.     Les analyses des deux autres fractions, qui sont solubles à 30 °C et à 118 °C dans 0 % de xylène, n’ont pas été déclarées par M. Mirabella.

[224]       Voici ce que le Pr Soares a déclaré lors de son interrogatoire principal :

[traduction]

Il a ensuite effectué un autre fractionnement multiple selon le poids moléculaire en utilisant la méthode de fractionnement par gradient d’élution (FGE). Or, ce type de fractionnement est fonction de la qualité du solvant. Le solvant est donc de mauvaise qualité au départ, puis de meilleure qualité ensuite. Le moins grand nombre de fractions obtenues avec le solvant de qualité pour le polyéthylène sont ce qu’il appelle les fractions A-1 et A-2. Comme il a procédé de cette façon à deux reprises, il a obtenu deux fractions.

(Transcription, 29 octobre 2013, page 4714, lignes 2 à 11)

[225]       Le Pr Soares a déclaré ce qui suit lors de son contre-interrogatoire :

[traduction]

Q.        Ma question était la suivante : Êtes-vous d’avis qu’à moins d’extraire une fraction d’un polymère et d’en mesurer les propriétés, on ne peut affirmer qu’il s’agit d’une fraction de ce polymère?

R.        En fait, tout dépend de la façon dont le polymère a été fabriqué. S’il s’agit d’un polymère fabriqué à l’aide d’un catalyseur Ziegler‑Natta hétérogène, comme c’est le cas par exemple pour Dowlex 2045 dont nous avons discuté dans cette affaire, alors la réponse est oui.

(Transcription, 29 octobre 2013, page 4803, lignes 20 à 28)

[226]       M. Speed a également déclaré ce qui suit lors de son contre-interrogatoire :

[traduction]

Q.        Est-ce exact de dire que Rasmussen ne suggère pas de procédure de fractionnement des résines Dowlex afin d’obtenir une fraction ramifiée de manière homogène?

R.        Je crois que le document de Rasmussen ne traite pas du fractionnement des résines Dowlex ni d’aucun de ses polymères.

Q.        Et certainement pas comme la procédure à la page 13 du brevet en litige. Examinons cela de plus près. Cela ne fait pas référence à l’un des moyens possibles, selon le brevet, d’obtenir un composant avant de le mélanger avec l’autre composant et de fractionner ainsi un polymère ramifié de manière hétérogène? N’est-il pas vrai que Rasmussen ne fait aucune mention d’une telle chose?

R.        À ma connaissance, Rasmussen ne fait pas mention du fractionnement.

(Transcription, 17 octobre 2013, page 3772, lignes 25 à 28, page 3773, lignes 1 à13)

[227]       Je préfère le témoignage du Pr Soares à celui de M. Mirabella pour ce qui est de la solution préconisée par le brevet Rasmussen.

[228]       NOVA soutient également au paragraphe 296 de ses conclusions finales que le brevet 705 fait référence à la fabrication de compositions qui ont une fraction ramifiée de manière homogène et une fraction ramifiée de manière hétérogène. NOVA fait valoir que Dowlex 2045 est un exemple de ces compositions. Cet argument ne peut être retenu, car le brevet 705 ne porte pas sur les compositions qui ont une fraction d’un polymère et une fraction d’un autre polymère. Il indique plutôt que les composants A et B ont tous deux un polymère. Rien n’indique que Dowlex 2045 contient différents polymères plutôt qu’un seul polymère.

[229]       Pour tous ces motifs, je conclus que le brevet Rasmussen ne constitue pas une antériorité par rapport au brevet 705.

[230]       En conclusion, je conclus que le brevet 705 n’est pas invalide en raison d’une antériorité ou d’une absence de nouveauté.

XVIII.    L’objet des revendications est-il évident?

[231]       NOVA affirme que le brevet 705 est invalide parce que l’objet de ses revendications était évident et n’était pas inventif.

XIX.          Règles de droit relatives à l’évidence

[232]       L’article 28.3 de la Loi sur les brevets s’applique à l’évidence. En voici le libellé :

28.3 L’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour une personne versée dans l’art ou la science dont relève l’objet, eu égard à toute communication :

28.3 The subject-matter defined by a claim in an application for a patent in Canada must be subject-matter that would not have been obvious on the claim date to a person skilled in the art or science to which it pertains, having regard to

a) qui a été faite, plus d’un an avant la date de dépôt de la demande, par le demandeur ou un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard de façon directe ou autrement, de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs;

(a) information disclosed more than one year before the filing date by the applicant, or by a person who obtained knowledge, directly or indirectly, from the applicant in such a manner that the information became available to the public in Canada or elsewhere; and

b) qui a été faite par toute autre personne avant la date de la revendication de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs.

(b) information disclosed before the claim date by a person not mentioned in paragraph (a) in such a manner that the information became available to the public in Canada or elsewhere.

[233]       Le paragraphe 28.1(1) de la Loi sur les brevets porte sur la détermination de la date de la revendication d’une demande de brevet :

28.1 (1) La date de la revendication d’une demande de brevet est la date de dépôt de celle-ci, sauf si :

28.1 (1) The date of a claim in an application for a patent in Canada (the “pending application”) is the filing date of the application, unless

a) la demande est déposée, selon le cas :

(a) the pending application is filed by

(i) par une personne qui a antérieurement déposé de façon régulière, au Canada ou pour le Canada, ou dont l’agent, le représentant légal ou le prédécesseur en droit l’a fait, une demande de brevet divulguant l’objet que définit la revendication,

(i) a person who has, or whose agent, legal representative or predecessor in title has, previously regularly filed in or for Canada an application for a patent disclosing the subject-matter defined by the claim, or

 

(ii) par une personne qui a antérieurement déposé de façon régulière, dans un autre pays ou pour un autre pays, ou dont l’agent, le représentant légal ou le prédécesseur en droit l’a fait, une demande de brevet divulguant l’objet que définit la revendication, dans le cas où ce pays protège les droits de cette personne par traité ou convention, relatif aux brevets, auquel le Canada est partie, et accorde par traité, convention ou loi une protection similaire aux citoyens du Canada;

(ii) a person who is entitled to protection under the terms of any treaty or convention relating to patents to which Canada is a party and who has, or whose agent, legal representative or predecessor in title has, previously regularly filed in or for any other country that by treaty, convention or law affords similar protection to citizens of Canada an application for a patent disclosing the subject-matter defined by the claim;

b) elle est déposée dans les douze mois de la date de dépôt de la demande déposée antérieurement;

(b) the filing date of the pending application is within twelve months after the filing date of the previously regularly filed application; and

c) le demandeur a présenté, à l’égard de sa demande, une demande de priorité fondée sur la demande déposée antérieurement.

(c) the applicant has made a request for priority on the basis of the previously regularly filed application.

(2) Dans le cas où les alinéas (1)a) à c) s’appliquent, la date de la revendication est la date de dépôt de la demande antérieurement déposée de façon régulière.

(2) In the circumstances described in paragraphs (1)(a) to (c), the claim date is the filing date of the previously regularly filed application.

[234]       Voici ce que la Cour suprême du Canada écrit aux paragraphes 64 à 71 de l’arrêt Apotex Inc c Sanofi-Synthelabo Canada Inc, 2008 CSC 61, [2008] 3 RCS 265 :

64        […] Cependant, la notion d’« essai allant de soi » commande la prudence. Ce n’est qu’un des éléments à considérer pour statuer sur l’évidence. Elle ne saurait permettre de réfuter toute allégation de contrefaçon. Le régime des brevets vise à favoriser le financement de la recherche et du développement, ce qui est assurément d’une importance capitale dans le domaine pharmaceutique et celui de la biotechnologie.

[…]

66        Pour conclure qu’une invention résulte d’un « essai allant de soi », le tribunal doit être convaincu selon la prépondérance des probabilités qu’il allait plus ou moins de soi de tenter d’arriver à l’invention. La seule possibilité d’obtenir quelque chose ne suffit pas.

67        Lors de l’examen relatif à l’évidence, il y a lieu de suivre la démarche à quatre volets d’abord énoncée par le lord juge Oliver dans l’arrêt Windsurfing International Inc. c. Tabur Marine (Great Britain) Ltd., [1985] R.P.C. 59 (C.A.). La démarche devrait assurer davantage de rationalité, d’objectivité et de clarté. Le lord juge Jacob l’a récemment reformulée dans l’arrêt Pozzoli SPA c. BDMO SA, [2007] F.S.R. 37 (p. 872), [2007] EWCA Civ 588, par. 23 :

[traductionPar conséquent, je reformulerais comme suit la démarche préconisée dans l’arrêt Windsurfing :

(1)        a) Identifier la « personne versée dans l’art ».

b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

(2) Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

(3) Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous‑tend la revendication ou son interprétation;

(4) Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelque inventivité? [Je souligne.]

La question de l’« essai allant de soi » se pose à la quatrième étape de la démarche établie dans les arrêts Windsurfing et Pozzoli pour statuer sur l’évidence.

i. Dans quels cas la notion d’« essai allant de soi » est‑elle pertinente?

68        Dans les domaines d’activité où les progrès sont souvent le fruit de l’expérimentation, le recours à la notion d’« essai allant de soi » pourrait être indiqué. Dans ces domaines, de nombreuses variables interdépendantes peuvent se prêter à l’expérimentation. Par exemple, certaines inventions du secteur pharmaceutique pourraient justifier son application étant donné l’existence possible de nombreuses compositions chimiques semblables pouvant donner lieu à des réponses biologiques différentes et être porteuses de progrès thérapeutiques notables.

ii. « Essai allant de soi » : éléments à considérer

69        Lorsque l’application du critère de l’« essai allant de soi » est justifiée, les éléments énumérés ci‑après doivent être pris en compte à la quatrième étape de l’examen de l’évidence. Tout comme ceux pertinents pour l’antériorité, ils ne sont pas exhaustifs et s’appliquent selon la preuve offerte dans le cas considéré.

1. Est‑il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux? Existe‑t‑il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art?

2. Quels efforts — leur nature et leur ampleur — sont requis pour réaliser l’invention? Les essais sont‑ils courants ou l’expérimentation est‑elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?

3. L’art antérieur fournit-il un motif de rechercher la solution au problème qui sous‑tend le brevet?

70        Les mesures concrètes ayant mené à l’invention peuvent constituer un autre facteur important. Il est vrai que l’évidence tient en grande partie à la manière dont l’homme du métier aurait agi à la lumière de l’art antérieur. Mais on ne saurait pour autant écarter l’historique de l’invention, spécialement lorsque les connaissances des personnes qui sont à l’origine de la découverte sont au moins égales à celles de la personne versée dans l’art.

71        Par exemple, le fait pour l’inventeur et les membres de son équipe de parvenir à l’invention rapidement, facilement, directement et à relativement peu de frais, compte tenu de l’art antérieur et des connaissances générales courantes, pourrait étayer une conclusion d’évidence, sauf lorsque leurs efforts et leurs connaissances se sont révélés plus grands que ceux attribués à la personne versée dans l’art. Leur démarche tendrait à indiquer qu’une personne versée dans l’art, grâce à ses connaissances générales courantes et à l’art antérieur, aurait agi de même et serait arrivée au même résultat. Par contre, lorsque temps, fonds et efforts ont été consacrés à la recherche ayant finalement mené à l’invention, et ce, avant que l’inventeur ne se mette à la recherche de l’invention ou qu’on ne lui enjoigne de le faire, y compris les démarches qui se sont révélées vaines et inutiles, une conclusion de non‑évidence pourrait être fondée. On pourrait en déduire que la personne versée dans l’art n’aurait pas fait mieux en s’appuyant sur ses connaissances générales courantes et sur l’art antérieur. En fait, lorsque les intéressés, y compris l’inventeur et les membres de son équipe, avaient de grandes compétences dans le domaine technique en cause, la preuve pourrait indiquer que la personne versée dans l’art aurait obtenu des résultats bien pires et ne serait vraisemblablement pas parvenue à l’invention. Il ne lui aurait pas paru évident d’emprunter le parcours ayant mené à l’invention.

[235]       La Cour d’appel fédérale a donné quelques balises au sujet de la « personne hypothétique versée dans l’art ». Dans l’arrêt Beloit Canada Ltd c Valmet OY (1986), 8 CPR (3d) 289, 64 NR 287 (CAF), la Cour d’appel fédérale déclare, à la page 295 :

Une fois qu’elles ont été faites, toutes les inventions paraissent évidentes, et spécialement pour un expert du domaine. Lorsque cet expert a été engagé pour témoigner, l’infaillibilité de sa sagesse rétrospective est encore plus suspecte. Il est si facile de dire, une fois que la solution préconisée par le brevet est connue : « j’aurais pu faire cela »; avant d’accorder un poids quelconque à cette affirmation, il faut obtenir une réponse satisfaisante à la question : « Pourquoi ne l’avez-vous pas fait? »

Et, à la page 294 :

Pour établir si une invention est évidente, il ne s’agit pas de se demander ce que des inventeurs compétents ont ou auraient fait pour résoudre le problème. Un inventeur est par définition inventif. La pierre de touche classique de l’évidence de l’invention est le technicien versé dans son art, mais qui ne possède aucune étincelle d’esprit inventif ou d’imagination; un parangon de déduction et de dextérité complètement dépourvu d’intuition; un triomphe de l’hémisphère gauche sur le droit. Il s’agit de se demander si, compte tenu de l’état de la technique et des connaissances générales courantes qui existaient au moment où l’invention aurait été faite, cette créature mythique (monsieur Tout-le-Monde du domaine des brevets) serait directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet. C’est un critère auquel il est très difficile de satisfaire.

Les propos formulés dans l’arrêt Beloit doivent être interprétés à la lumière de l’arrêt Sanofi de la Cour suprême du Canada.

[236]       La Cour a également examiné en quoi consistent les connaissances générales courantes attribuées à la personne hypothétique à la deuxième étape du critère de l’arrêt Sanofi. Dans l’arrêt Eli Lilly et Co c Apotex Inc, 2009 CF 991, au paragraphe 97, 351 FTR 1, conf. par 2010 CAF 240, la juge Gauthier souscrit au passage suivant de l’arrêt General Tire & Rubber Co c Firestone Tyre & Rubber Co Ltd (1971), [1972] RPC 457, aux pages 480 et 481 (C.A. du R.‑U.) :

Il faut évidemment prendre soin de distinguer les connaissances générales courantes attribuées à une personne à qui s’adresse un tel brevet de ce que le droit des brevets considère comme des connaissances publiques. Cette distinction est bien expliquée dans Halsbury’s Law of England, vol. 29, paragraphe 63. Pour ce qui est du mémoire descriptif du brevet, la notion quelque peu artificielle (d’après lord Reid dans l’affaire Technograph, [1971] F.S.R. 188, à la page 193) du droit des brevets veut que chaque mémoire descriptif, des 50 dernières années, fasse partie des connaissances publiques pertinentes s’il se trouve à quelque endroit du bureau des brevets, même s’il est peu vraisemblable qu’il sera consulté et quelle que soit la langue dans laquelle il est rédigé. Par ailleurs, les connaissances générales courantes sont un concept différent dérivé d’une conception rationnelle de ce qui serait en fait connu par une personne adéquatement versée dans l’art – le genre d’homme, qui fait bien son travail et qui existerait réellement.

Les deux catégories de documents à examiner relativement aux connaissances générales courantes en l’espèce étaient un mémoire descriptif de brevet individuel et des « publications à grand tirage ».

En ce qui concerne la première catégorie de documents, il est clair que les mémoires descriptifs de brevets individuels et leur contenu ne font habituellement pas partie des connaissances générales courantes, bien que des mémoires descriptifs puissent être si bien connus chez ceux qui sont versés dans l’art que lorsque cet état de choses est établi, ils font partie de ces connaissances et il peut y avoir des secteurs d’activité précis (comme celui de la photographie couleur) dans lesquels la preuve peut indiquer que tous les mémoires descriptifs font partie des connaissances pertinentes.

Pour ce qui est des documents scientifiques en général, le juge Luxmoore a déclaré ce qui suit dans British Acoustic Films(53 R.P.C. 221, à la page 250) :

[traduction« À mon avis, pour les connaissances générales courantes, il ne suffit pas de prouver qu’une divulgation a été faite dans un article, une série d’articles, dans une revue scientifique, peu importe l’importance du tirage de cette revue, en l’absence de toute preuve selon laquelle la divulgation est généralement acceptée par ceux versés dans l’art auquel se rapporte la divulgation. Une connaissance précise divulguée dans un document scientifique ne devient pas une connaissance générale courante simplement parce que le document est lu par de nombreuses personnes et encore moins parce qu’il a un fort tirage. Une telle connaissance fait partie des connaissances générales courantes uniquement lorsqu’elle est connue de manière générale et acceptée sans hésitation par ceux versés dans l’art particulier; en d’autres mots, lorsqu’elle fait partie du lot courant des connaissances se rapportant à l’art. »

Un peu plus loin, faisant la distinction entre ce qui a été écrit et ce qui a été utilisé, il a déclaré ce qui suit :

[traduction« Il est assurément difficile d’évaluer comment l’utilisation d’une chose, qui dans la réalité n’a jamais été utilisée dans un art particulier, peut être reconnue comme appartenant aux connaissances générales courantes de l’art. »

Ces passages ont souvent été cités et aucune décision ne nous a été présentée dans laquelle ils étaient critiqués. Nous les acceptons comme énonçant correctement le droit en général sur ce point, bien que nous réservions pour un examen plus approfondi la question de savoir si les mots « acceptée sans hésitation » ne mettent pas la barre plutôt haute : pour les fins de la présente affaire, nous sommes disposés, sans souhaiter présenter une définition complète, à leur substituer les mots « généralement considérée comme un bon fondement pour continuer. »

[237]       Je vais maintenant aborder les étapes proposées dans l’arrêt Sanofi en ce qui concerne l’évidence.

A.                Identifier la personne hypothétique versée dans l’art

[238]       Dans le rapport d’expert, les experts s’entendaient généralement sur l’identité de la personne hypothétique versée dans l’art. M. Speed la décrit comme suit :

[traduction]

La « personne versée dans l’art » serait probablement une équipe, dont les membres posséderaient au moins un baccalauréat (dans le domaine de la science des polymères, il est toutefois fréquent que les personnes possèdent un diplôme d’études supérieures) dans un domaine connexe, comme le génie chimique, la chimie, la chimie physique ou la science des matériaux; et elles auraient deux ans d’expérience ou plus dans la mise au point et la fabrication de résines de polyéthylène, leur mélange, la fabrication de pellicules ou les essais. Cette équipe aurait une bonne connaissance pratique des polymères d’éthylène et de leur fabrication, des techniques de mélange et de soufflage de pellicules, ainsi que des différentes façons de tester les propriétés des polymères et des pellicules.

(Pièce D‑100, volume 1, paragraphe 41)

[239]       Le Pr Soares décrit quant à lui la personne hypothétique versée dans l’art comme suit :

[traduction]

Selon moi, une personne versée dans l’art du brevet 705 serait un scientifique possédant au moins un baccalauréat en génie chimique, en chimie, en science des matériaux ou en science des polymères. Cette personne aurait au moins deux ans d’expérience dans la caractérisation des polyoléfines, une compréhension des compositions à base de polymères, ainsi que de l’expérience dans le domaine de la science des matériaux, notamment en ce qui a trait au comportement des polymères sous traction. À mon avis, il pourrait s’agir d’une seule personne qui posséderait toutes ces qualifications ou d’une équipe formée de personnes ayant des parcours différents, mais complémentaires. Cette équipe serait composée de personnes œuvrant dans la synthèse, la caractérisation, la production, la transformation et la mise à l’essai mécanique de polymères à base d’éthylène, et comprendrait des chimistes, des physiciens, des scientifiques des matériaux et des ingénieurs. J’utiliserai le terme « personne versée dans l’art » pour faire référence à cette personne ou équipe.

(Pièce P-9, paragraphe 117)

[240]       En contre-interrogatoire, M. Speed a toutefois déclaré ce qui suit :

[traduction]

[...] Et je crois que cela complète la vingtaine de raisons que vous invoquez pour affirmer que le brevet 705 est invalide. Je crois que c’est la dernière que j’aborde dans mon contre-interrogatoire, M. Speed, et l’un des premiers documents que vous mentionnez dans cette analyse. Et, si j’ai bien compris, vous évaluez les questions de l’évidence à partir, non pas de votre expérience personnelle, mais bien du point de vue de la personne versée dans l’art, n’est‑ce pas?

R.        C’est exact.

Q.        Et cette personne versée dans l’art raisonne par induction?

R.        Oui.

Q.        Et elle a de l’imagination?

A.        C’est ce à quoi je m’attends.

(Transcription, 21 octobre 2013, page 3828, lignes 1 à 15)

[241]       Ce témoignage ne concorde pas avec la description de la « personne hypothétique » dont la Cour d’appel parle dans l’arrêt Beloit. Comme nous l’avons déjà signalé, l’arrêt Beloit définit la « personne hypothétique » comme « le technicien versé dans son art, mais qui ne possède aucune étincelle d’esprit inventif ou d’imagination; [...] ».

[242]       Je suis d’accord avec Dow pour dire que M. Speed n’a pas appliqué le bon critère dans son analyse.

B.                 Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne

[243]       NOVA soutient que tous les mélanges étaient évidents en avril 1993. M. Speed a indiqué que le mélange de tous les types de polymères à base d’éthylène était si fréquent qu’une personne versée dans l’art aurait mis en doute la possibilité qu’un mélange ait pu être qualifié d’invention. Selon Dow, même si des mélanges avaient lieu, ils ne permettaient pas d’obtenir des compositions qui présentaient toutes les caractéristiques souhaitées.

C.                 Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation

[244]       À mon avis, l’idée originale du brevet 705 est que le coefficient de rhéo‑durcissement du polymère utilisé comme composant A dans la revendication du brevet 705 peut servir à prévoir que la composition aura les caractéristiques souhaitées.

D.                Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous-tend la revendication ou son interprétation

[245]       L’« état de la technique » ne précise pas le recours au coefficient de rhéo‑durcissement pour produire des compositions ayant les caractéristiques souhaitées.

E.                 Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelque inventivité?

[246]       La Cour suprême du Canada a expliqué que c’est à cette étape de l’analyse de l’évidence que l’on applique le critère de « l’essai allant de soi ».

[247]       Je ne suis pas convaincu que la différence dans le brevet 705, à savoir l’utilisation du coefficient de rhéo‑durcissement pour déterminer les types de polymères homogènes qui peuvent être mélangés à des polymères hétérogènes pour produire des compositions ayant certaines caractéristiques souhaitées, était connue antérieurement, ni que l’utilisation du coefficient de rhéo‑durcissement aurait été évidente pour la personne versée dans l’art. Une certaine inventivité serait requise pour proposer le concept de coefficient de rhéo‑durcissement.

[248]       Fait à noter, NOVA a présenté une demande de brevet en septembre 2002, qui portait sur un mélange du composant à haute densité SURPASS avec le produit du réacteur 1 dans le processus de fabrication des résines SURPASS. Cette demande contenait l’énoncé suivant :

[traduction]

Ainsi, les pellicules préparées à partir de résines hétérogènes traditionnelles ont une faible résistance aux chocs, ainsi que des propriétés optiques et organoleptiques médiocres, mais ont une très bonne résistance à la déchirure. En revanche, les pellicules préparées à partir de résines homogènes ont une excellente résistance aux chocs, tout comme d’excellentes propriétés optiques et organoleptiques, mais une faible résistance à la déchirure. Les tentatives précédentes d’utilisation de mélanges de résines pour éliminer ce problème ne furent pas entièrement couronnées de succès. [...]

(Pièce P‑104, page 6)

[249]       Cet extrait de la demande de brevet canadien no 2411183 présentée par NOVA en 2002 semble indiquer que, même à cette époque, la préparation de mélanges présentait des problèmes. Le brevet 705, dont la demande a été présentée le 19 avril 1994 et qui a été publié le 10 novembre 1994, n’était pas mentionné dans cette demande. La date de priorité du brevet 705 est le 28 avril 1993. Cette information permet de conclure que les mélanges produits dans le cadre du brevet 705 n’étaient pas évidents, même en 2002. Les mélanges n’auraient donc pas été évidents en 1993 ou 1994.

[250]       En ce qui concerne le critère de « l’essai allant de soi » que l’on peut appliquer à la quatrième étape du critère de l’évidence, NOVA déclare, dans ses observations finales :

[traduction]

Critère de « l’essai allant de soi »

321.     Les mélanges de polymères étaient courants pour la personne versée dans l’art effectuant des mélanges du type de ceux décrits dans le brevet 705. Il était également connu que des propriétés améliorées par la synergie pouvaient parfois être obtenues, mais la question est d’effectuer les mélanges et de les mettre à l’essai. Par conséquent, l’« essai allant de soi » est approprié.

Speed 1, D-100, [524]-[528]

322.     Obtenir quelque amélioration que ce soit, et à plus forte raison des propriétés améliorées par la synergie, n’allait pas de soi. C’est encore plus le cas pour une grande variété de compositions revendiquées dans le brevet 705.

Contre-interrogatoire de M. Scott, TT Vol. 26, 4497:5-4499:9; contre-interrogatoire du Pr Soares, TT Vol. 29, 5000:9-5001:10; Speed 1, D-100 [527]

323.     Pour une personne versée dans l’art ayant les connaissances générales courantes qui étaient disponibles avant 1993, il serait évident que la combinaison d’un polymère ramifié de manière homogène et d’un polymère ramifiée de manière hétérogène permet d’améliorer la résistance aux chocs, notamment pour les polymères ayant les propriétés décrites et revendiquées dans le brevet 705.

Le succès commercial du polymère ELITE n’est pas pertinent

324.     Le succès commercial du produit ELITE de Dow n’est pas pertinent. Ainsi que la Cour d’appel l’a déclaré, il est difficile de concevoir que le succès commercial ou un avantage découvert ultérieurement aurait une incidence sur l’inventivité et il convient d’accorder peu de poids à ce facteur, sauf dans le plus extraordinaire des cas.

Jannsen-Ortho Inc. c. Novopharm Ltée., 59 C.P.R. (4th) 116, 2007 CAF 217, aux paragraphes 25 et 26; BOA, onglet 43

[251]       Il convient par ailleurs de noter que le brevet Garza ne devrait pas être utilisé pour se prononcer sur l’évidence du brevet 705. Il ressort de la preuve que le brevet Garza a été publié en avril 1994, alors que la date de priorité du brevet 705 est le 28 avril 1993. Il se peut que NOVA affirme seulement que la revendication 11 du brevet 705 est évidente, mais la preuve dont je dispose ne me permet pas de savoir si la date de priorité du 28 avril 1993 s’applique ou non à la revendication 11.

[252]       Dow signale également que le succès commercial de son produit ELITE indique un manque d’évidence. Suivant la jurisprudence, le succès commercial peut être un facteur pertinent pour se prononcer sur l’évidence. Ce facteur a moins de poids parce qu’il se rapporte à des faits qui ne se sont produits qu’après la date de la présumée invention. Toutefois, il peut également indiquer que beaucoup de gens voulaient trouver une invention pour répondre aux besoins du marché. Du côté négatif, on pourrait affirmer que Dow a eu plus de succès avec la commercialisation de son produit. Toutefois, on ne peut ignorer le fait que NOVA a conçu son produit SURPASS de manière à ce qu’il puisse être utilisé comme solution de rechange au produit ELITE de Dow. En d’autres termes, les consommateurs pouvaient utiliser le produit SURPASS à la place du produit ELITE (transcription, 25 septembre 2013, page 1872, ligne 26 à la page 1873, ligne 19 et transcription, 24 septembre 2013, page 1749, lignes 15 à 18).

[253]       Le témoignage établit sans aucun doute que Dow a consacré beaucoup d’argent et de temps à proposer l’idée originale du coefficient de rhéo‑durcissement afin de pouvoir produire des compositions de polymères ayant les qualités correspondant aux souhaits et aux besoins des consommateurs.

[254]       NOVA n’a présenté aucun argument à la quatrième étape de l’analyse de l’évidence en ce qui concerne les différences entre les brevets antérieurs et le brevet 705 ou sur la question de savoir si ces différences constituaient des étapes qui auraient été évidentes aux yeux de la personne versée dans l’art.

[255]       NOVA a également affirmé que le critère de « l’essai allant de soi » devrait être appliqué à cette étape de l’analyse. Or, la Cour suprême du Canada a affirmé que le critère de « l’essai allant de soi » peut être appliqué le cas échéant à cette étape de l’analyse de l’évidence.

[256]       À cette étape‑ci, je songe de nouveau aux propos tenus par le juge Rothstein dans l’arrêt Sanofi au sujet de l’application du critère de « l’essai allant de soi » qui sont reproduits au paragraphe 235 des présents motifs.

[257]       Même si je n’estime pas que le critère de « l’essai allant de soi » s’applique en l’espèce, je poursuis quand même l’analyse.

[258]       Le premier facteur à prendre en considération est le suivant : va-t-il plus ou moins de soi que ce qui est mis à l’essai devrait fonctionner? Même si la preuve dans cette affaire montre que le mélange de polymères avait lieu, il ne permettait pas d’obtenir des compositions qui avaient les caractéristiques souhaitées dans l’industrie. De plus, les polymères ramifiés de manière homogène étaient dans bien des cas mélangés avec d’autres polymères ramifiés de manière homogène, et non avec des polymères ramifiés de manière hétérogène.

[259]       Les propos tenus par le juge Rothstein dans l’arrêt Sanofi, au paragraphe 85, sont pertinents en l’espèce :

La seule existence de procédés connus permettant d’isoler les isomères d’un racémate ne signifie pas qu’une personne versée dans l’art y recourrait nécessairement. Il n’est d’ailleurs pas tenu compte de l’existence de tels procédés lorsqu’aucun élément n’établit qu’il allait plus ou moins de soi d’y recourir. Il est vrai que, selon la preuve, à l’époque considérée, une personne versée dans l’art aurait su que les avantages d’un racémate pouvaient différer de ceux de ses isomères. Toutefois, la possibilité de découvrir l’invention ne suffit pas. Pour satisfaire au critère de l’« essai allant de soi », l’invention doit être évidente au regard de l’antériorité et des connaissances générales courantes, ce que la preuve n’établit pas en l’espèce.

[260]       J’estime que le même raisonnement s’applique en l’espèce. Les connaissances générales courantes et les connaissances antérieures ne faisaient pas en sorte que l’invention allait de soi et qu’elle satisfaisait au critère de « l’essai allant de soi ».

[261]       Le deuxième facteur à prendre en considération est le suivant : quelles sont la nature et l’ampleur des efforts nécessaires pour en arriver à cette invention? Le témoignage en l’espèce établit que Dow a investi des sommes importantes dans les recherches de M. Lai et d’autres chercheurs, lesquelles ont conduit à l’invention visée par le brevet 705, à savoir l’utilisation du coefficient de rhéo‑durcissement pour sélectionner le polymère homogène qui, une fois mélangé à un polymère hétérogène, permettra d’obtenir des compositions qui ont les caractéristiques souhaitées. Avant la découverte de l’utilisation du coefficient de rhéo‑durcissement à cette fin, les personnes versées dans l’art ne savaient pas quels polymères elles devaient mélanger pour obtenir les caractéristiques souhaitées. De fait, même si Exxon a consacré plus de dix ans et des sommes considérables à des travaux visant à mélanger avec succès des polymères ramifiés de manière homogène pour obtenir des compositions ayant les caractéristiques souhaitées, elle n’est jamais parvenue à créer l’invention visée par le brevet 705.

[262]       Le troisième facteur à prendre en considération est le suivant : l’art antérieur fournit-il un motif de rechercher la solution au problème qui sous-tend le brevet 705? Il ne fait aucun doute que l’industrie désirait produire des compositions qui avaient de meilleures caractéristiques. Toutefois, ni l’art antérieur ni les connaissances générales courantes n’auraient pu mener une personne versée dans l’art à utiliser le coefficient de rhéo‑durcissement pour trouver des compositions appropriées.

[263]       À l’instar de ce concluait la Cour au paragraphe 92 de l’affaire Sanofi, je suis convaincu qu’à l’époque considérée, l’art antérieur et les connaissances générales courantes des personnes versées dans l’art à n’étaient pas suffisants pour que le concept du coefficient de rhéo‑durcissement leur soit plus ou moins évident.

[264]       Comme je l’ai déjà signalé, j’en suis arrivé à la conclusion qu’il existe une différence marquée entre les brevets antérieurs et le brevet 705 et que cette différence n’était pas évidente. Par conséquent, compte tenu de l’analyse qui précède, je conclus que l’allégation d’évidence n’est pas fondée.

XX.             Double brevet

[265]       NOVA affirme que le brevet 705 est invalide pour cause de « double brevet ». Dans le jugement UView, j’ai exposé la jurisprudence relative au « double brevet » au paragraphe 210 :

La défenderesse soutient que les revendications sus‑énumérées du brevet 024 sont invalides au motif du double brevet. Le juge Binnie, écrivant au nom de la Cour, analyse dans les termes suivants la question du double brevet aux pages 157 et 158 de l’arrêt Whirlpool Corp. c. Camco Inc. :

3. Si les revendications du brevet 803, correctement interprétées, n’incluent pas les ailettes flexibles, le brevet 734 est‑il néanmoins invalide pour cause de double brevet?

63. L’interdiction du double brevet est rattachée au problème du « renouvellement à perpétuité » mentionné au départ. L’inventeur n’a droit qu’à « un » brevet pour chaque invention : Loi sur les brevets, par. 36(1). Si un brevet comportant des revendications identiques est délivré ultérieurement, il y a prolongement irrégulier du monopole. Il est clair que l’interdiction du double brevet implique une comparaison des revendications plutôt que des divulgations, car ce sont les revendications qui définissent le monopole. La question est de savoir à quel point les revendications du brevet ultérieur doivent être « identiques » pour justifier l’invalidation.

64. La Cour d’appel fédérale a adopté le critère selon lequel il doit y avoir « identité » des revendications : Beecham Canada Ltd. c. Procter & Gamble Co., [1982] A.C.F. no 10 (QL), au par. 64. Cette formulation découle d’une observation de l’éditeur faite par H.G. Fox, c.r., au sujet de Lovell Manufacturing Co. c. Beatty Bros. Ltd., publiée à (1962), 23 Fox Pat. C. 112, aux pp. 116 et 117 :

[traductionLes lettres patentes sont délivrées non pas pour une période indéterminée, mais pour un certain nombre d’années, et la délivrance d’un second brevet relativement au même objet serait nulle en vertu de la présente loi [6 Henry VIII, ch. 15, 1514] et de la Statute of Monopolies, de même qu’en common law et en vertu de l’alinéa 28(1)b) de la Loi canadienne sur les brevets. Mais, à cette fin, l’objet des deux brevets accordés doit être identique. Une revendication ne saurait être invalidée en raison de l’existence d’une revendication antérieure, sauf si les deux revendications coïncident exactement.

65. Ce volet de l’interdiction du double brevet est parfois appelé le double brevet relatif à la « même invention ». Étant donné l’interprétation que le juge de première instance a donnée des revendications, on ne peut pas dire que l’objet du brevet 734 est le même que celui du brevet 803 ni qu’il y a « identité » des revendications des deux brevets.

66. L’interdiction comporte toutefois un deuxième volet qui est parfois appelé le double brevet relatif à une « évidence ». Il s’agit d’un critère plus souple et moins littéral qui interdit la délivrance d’un deuxième brevet dont les revendications ne visent pas un « élément brevetable distinct » de celui visé par les revendications du brevet antérieur. Dans Commissioner of Patents c. Farbwerke Hoechst Aktiengesellschaft Vormals Meister Lucius & Bruning, [1964] R.C.S. 49, la question était de savoir si Farbwerke Hoechst pouvait obtenir un brevet pour un médicament qui constituait une version diluée d’un autre médicament qu’elle avait déjà fait breveter. Il n’y avait pas d’identité des revendications. Le juge Judson a néanmoins conclu à l’invalidité du brevet ultérieur en expliquant, à la p. 53 :

[traductionUne personne a droit à un brevet pour une substance médicinale nouvelle, utile et inventive; toutefois, le fait de diluer cette nouvelle substance une fois que ses usages médicaux sont déterminés ne crée pas une nouvelle invention. La substance diluée et la substance non diluée ne sont que deux aspects de la même invention. En l’espèce, l’addition d’un véhicule inerte, qui constitue un moyen courant d’augmenter le volume et de faciliter ainsi les mesures et l’administration, n’est rien d’autre que de la dilution et ne crée pas une nouvelle invention. [Je souligne.]

67. Dans l’arrêt Consolboard, précité, le juge Dickson a qualifié l’arrêt Farbwerke Hoechst d’« arrêt qui fait autorité en matière de double brevet » (p. 536) et qui appuie la proposition selon laquelle un second brevet ne saurait être justifié que si les revendications font preuve « de nouveauté ou d’ingéniosité » par rapport au premier brevet :

Le juge Judson a dit, au nom de la Cour, que le second procédé ne comportait pas de nouveauté ou d’ingéniosité et qu’en conséquence le second brevet n’était pas justifié.

[266]       Voici comment NOVA énonce les questions relatives au double brevet au paragraphe 14 des questions à juger au procès qu’elle a soumises à la Cour :

[traduction]

Double brevet

a)         Les revendications 21, 22, 23, 38 et 39 du brevet canadien no 2120766 visent‑elles le même objet que les revendications 41 et 42 du brevet 705?

b)         Les revendications 2, 4, 13 et 15 du brevet canadien no 2153978 visent‑elles le même objet que toutes les revendications invoquées en ce qui concerne le brevet 705?

[267]       Dans sa défense, NOVA affirme que le brevet est invalide en raison de l’existence d’un « double brevet pour une même invention », comme elle l’avait allégué dans son énoncé des questions en litige. Toutefois, dans ses observations finales, elle a affirmé que le brevet 705 était invalide pour cause de double brevet relatif à une évidence (Transcription, 6 novembre 2013, page 5288, lignes 20 à 28; annexes des observations finales de NOVA, onglet 6).

[268]       Toutefois, NOVA n’a pas présenté d’élément de preuve sur le double brevet relatif à une évidence. Le témoignage de M. Speed concernait le « double brevet pour une même invention », un argument que NOVA n’a pas repris.

[269]       En tout état de cause, je suis d’accord avec le Pr Soares lorsqu’il déclare aux paragraphes 287 à 289 de son rapport de réfutation du 15 juillet 2013 :

[traduction]

287.     En outre, comme pour l’analyse du cas de M. Kolthammer ci-dessus, le brevet 766 ne décrit ni ne revendique le concept du coefficient de rhéo‑durcissement. Il ne fait pas non plus état des avantages liés au mélange d’un polymère ramifié de manière homogène ayant un coefficient de rhéo‑durcissement élevé avec un polymère à haute densité ramifié de manière hétérogène.

288.     M. Kolthammer et le brevet 766 revendiquent différentes inventions que celle du brevet 705. Le brevet 705 porte sur des compositions mélangées contenant les interpolymères appelés composants A et B, lesquels ont des propriétés physiques et mécaniques particulières. Seules les pellicules produites à partir des mélanges de ces interpolymères présentent les propriétés améliorées indiquées dans le brevet, et c’est la reconnaissance des propriétés physiques et mécaniques particulières du composant A (masse volumique, indice de fluidité, répartition des poids moléculaires et coefficient de rhéo‑durcissement) et du composant B (masse volumique) qui caractérisent cette invention.

289.     M. Kolthammer et le brevet 766 ne revendiquent pas tous les éléments révélés dans le brevet 705 et ces éléments n’auraient pas été évidents à la lecture des inventions revendiquées dans ces brevets.

[270]       Compte tenu de mes conclusions, j’estime que le brevet 705 n’est pas invalide pour cause de double brevet.

[271]       NOVA a également formulé les observations suivantes au sujet de l’insuffisance du mémoire descriptif :

1.         L’explication pour la pente de rhéo‑durcissement est insuffisante – exposant erroné.

2.         L’explication pour la pente de rhéo‑durcissement est insuffisante – il n’est pas précisé où mesurer la pente.

3.         Le brevet 705 est insuffisant si le verbe « comprendre » permet un troisième polymère non indiqué.

A.                L’explication pour la pente de rhéo‑durcissement est insuffisante – exposant erroné

[272]       Le coefficient de rhéo‑durcissement est défini à la page 10 du brevet 705 :

pente du coefficient
de rhéo‑durcissement = Pente de rhéo‑durcissement × (I2)0,25

I2 est l’indice de fluidité en gr/10 min.

[273]       NOVA soutient que l’exposant de l’indice de fluidité devrait être de 0,2941 pour les polymères linéaires ramifiés de manière homogène, ce qui n’a pas été divulgué par les inventeurs dans le brevet 705.

[274]       À la lumière du témoignage de M. Lai, qui comprend les commentaires suivants, je ne suis pas convaincu que l’exposant est erroné :

[traduction]

Q.        Lorsque nous avons regardé le rapport il y a une minute – votre rapport de recherche, il y a une référence ici – et je l’ai en fait consigné au dossier. Il fait état de deux exposants, soit 0,25, si ma mémoire est bonne, pour les polymères sensiblement linéaires et 0,2941 pour les polymères linéaires. Est-ce bien le cas, M. Lai?

R.        Oui.

Q.        Et lorsque nous considérons l’équation qui nous préoccupe, pourquoi l’exposant 0,25 apparaît-il?

R.        Je crois en fait que l’exposant 0,25 dans cette équation est adéquat tant pour les polymères linéaires que sensiblement linéaires, car il donne la valeur minimale qui est requise pour obtenir ou décrire ce type particulier de matériau. Dans le cas des matériaux linéaires, le chiffre, c’est-à-dire l’exposant, est plus élevé en théorie. En réalité, le coefficient de rhéo‑durcissement obtenu serait plus élevé. La valeur de 0,25 donne donc l’exigence minimale, et toute valeur supérieure est déjà couverte.

(Transcription, 16 septembre 2013, page 977)

Et, dans la transcription du 17 septembre 2013, aux pages 1136 et 1137 :

[traduction]

Q.        Permettez-moi de reformuler ma question. Vous aviez calculé un exposant de 0,2941 pour les polymères linéaires, mais en raison des propriétés rhéologiques distinctes des polymères sensiblement linéaires, vous avez plutôt utilisé un exposant de 0,25 pour ces derniers, est-ce exact?

R.        C’est exact.

Q.        Par ailleurs, dans le brevet, vous présentez une formule pour le coefficient de rhéo‑durcissement, dans laquelle l’exposant est de 0,25, n’est-ce pas?

R.        C’est exact.

Q.        Par contre, vous n’y indiquez pas la formule pour les polymères linéaires, dans laquelle l’exposant utilisé est 0,2941, est-ce exact?

R.        C’est exact. Je l’ai aussi indiqué dans ma réponse d’hier, et comme vous l’avez mentionné, vous m’avez demandé si la ramification en chaîne longue avait une incidence sur la pente de rhéo‑durcissement et de quelle nature elle était. En réalité, que la pente de rhéo‑durcissement soit multipliée par l’indice de fluidité à l’exposant 0,25 ou 0,29 n’a pas une si grande importance. Ce qui est important est que les composants linéaires auront la plus grande influence sur la pente de rhéo‑durcissement. En fait, elle sera beaucoup plus élevée pour ces matériaux. Dans le cas des matériaux sensiblement linéaires, la pente de rhéo‑durcissement sera plus faible. Par conséquent, l’exposant en tant que tel n’est pas si important. C’est ce que j’essaie d’expliquer.

[275]       Je considère donc qu’il n’y a pas d’insuffisance pour ce qui est de l’exposant de l’indice de fluidité dans la formule du coefficient de rhéo‑durcissement.

B.                 L’explication pour la pente de rhéo‑durcissement est insuffisante – on n’indique pas où mesurer la pente

[276]       Je suis en désaccord avec l’observation de NOVA. À la lecture du témoignage du Pr Young, il est évident que la pente de rhéo‑durcissement devrait être mesurée dans la zone de la courbe charge-allongement juste avant la rupture. C’est à cet endroit que la pente est habituellement la plus élevée. J’accepte le témoignage du Pr Young relatif au lieu où mesurer la pente de rhéo‑durcissement. Je préfère le témoignage du Pr Young à celui du Pr Cakmak, qui, dans d’autres cas, s’est montré réticent à reconnaître ce qui était évident.

[277]       Par conséquent, je suis d’avis que l’explication quant à l’endroit où mesurer la pente de rhéo‑durcissement ne présente pas d’insuffisance.

C.                 Le brevet 705 est insuffisant si le verbe « comprendre » autorise l’ajout d’un troisième polymère non précisé

[278]       Je n’accepte pas que ce motif invalide le brevet 705. Mon interprétation du verbe « comprendre » est qu’il autorise plus que deux polymères. À la lumière de la preuve déposée, une personne versée dans l’art saurait qu’un troisième polymère peut faire partie de la composition pourvu qu’il n’en modifie pas les caractéristiques.

[279]       NOVA a également déclaré lors des débats que le brevet 705 était insuffisant parce qu’il ne révélait pas la meilleure méthode. Cet argument doit être rejeté, étant donné qu’il n’est pas nécessaire de divulguer la meilleure méthode en ce qui concerne l’objet du brevet 705. L’obligation d’expliquer la meilleure méthode ne vaut que dans le cas des inventions relatives à des machines (Sanofi-Aventis Canada Inc c Apotex Inc, 2009 CF 676, aux paragraphes 329 et 330, 350 FTR 156, conf. pour d’autres motifs à 2011 CAF 300). La Loi sur les brevets dispose, à l’alinéa 27(3)c) :

27. […] (3) Le mémoire descriptif doit :

27. … (3) The specification of an invention must

c) s’il s’agit d’une machine, en expliquer clairement le principe et la meilleure manière dont son inventeur en a conçu l’application;

(c) in the case of a machine, explain the principle of the machine and the best mode in which the inventor has contemplated the application of that principle; and

[280]       NOVA cite l’arrêt Pfizer Canada Inc c Teva Limited, 2012 CSC 60, [2012] 3 RCS 625, à l’appui de son argument en ce qui concerne la « meilleure manière ». Même s’il existait une obligation d’expliquer la meilleure manière de concevoir le brevet 705, l’arrêt Teva n’est d’aucune utilité pour la défenderesse. Dans l’arrêt Teva, Pfizer avait omis de divulguer le seul composé efficace parmi de nombreux autres.

[281]       NOVA soutient également que les mots « ramifiés de manière homogène » et « ramifiés de manière hétérogène » sont de nature qualitative, et qu’un essai supplémentaire, comme l’IRDS, est nécessaire pour qu’ils soient significatifs pour une personne versée dans l’art. Je ne suis pas de cet avis. Le Pr Soares (transcription, 30 octobre 2013, page 4987, ligne 19 à la page 4988, ligne 9) et M. Speed (transcription, 16 octobre 2013, page 3523, lignes 5 à 25) ont expliqué que la personne versée dans l’art saurait ce que ces termes signifient.

[282]       On trouvera à l’annexe A jointe aux présents motifs ma décision au sujet des rapports des experts.

[283]       Pour les motifs que j’ai exposés, je suis par conséquent d’avis de disposer comme suit de la présente action :

1.                  Il sera prononcé un jugement déclaratoire portant que les revendications nos 11, 15, 29, 30, 33, 35, 36, 41 et 42 du brevet canadien no 2160705 sont valides et que Nova Chemicals Corporation a contrefait ces revendications en fabriquant au Canada et en distribuant, en mettant en vente, en vendant ou en mettant d’une façon ou d’une autre à la disposition du public des polymères destinés à la fabrication de pellicules sous le nom de SURPASS.

2.                  Les demanderesses ont le choix, après enquête et communication intégrale, entre une comptabilisation des profits de la défenderesse et des dommages-intérêts les indemnisant en totalité du préjudice subi par suite du manque à gagner qui découle directement pour elles de la contrefaçon par la défenderesse du brevet susmentionné. Ces dommages-intérêts ou les profits en question seront calculés dans le cadre d’un renvoi précédé par une communication préalable au besoin.

3.                  Les demanderesses ont droit, en vertu du paragraphe 55(2) de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P‑4, à une indemnité raisonnable pour tout acte de la défenderesse leur ayant fait subir un dommage entre la date à laquelle la demande du brevet canadien no 2160705 est devenue accessible au public pour consultation et celle à laquelle le brevet en question a été octroyé. Cette indemnité sera calculée dans le cadre d’un renvoi précédé par une communication préalable au besoin.

4.                  Les demanderesses ont droit aux intérêts avant jugement sur le montant de l’indemnité raisonnable qui leur sera accordée en vertu du paragraphe 55(2) de la Loi sur les brevets pour les actes de la défenderesse ainsi que sur le montant des dommages-intérêts qui leur seront octroyés (dans le cas où elles choisiraient d’être indemnisées par voie de dommages-intérêts), intérêts non composés, d’un taux d’intérêt à calculer séparément pour chaque année à compter du début de l’année de l’activité contrefaisante, égal au taux bancaire annuel moyen établi par la Banque du Canada comme taux minimum auquel elle consent des avances à court terme aux banques énumérées à l’annexe I de la Loi sur les banques, LC 1991, ch 46. Cependant, cette décision est subordonnée à la condition que le juge chargé du renvoi n’accorde pas d’intérêts en vertu d’un droit visé à l’alinéa 36(4)f) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, ch F‑7.

5.                  Si les demanderesses choisissent la comptabilisation des profits, le juge chargé du renvoi établira les intérêts applicables.

6.                  Les demanderesses ont droit à des intérêts après jugement, non composés, au taux annuel de cinq pour cent (5 %) (dans le cas où elles choisiraient d’être indemnisées par voie de dommages-intérêts). Ces intérêts commenceront à courir au moment de la taxation définitive du montant des dommages-intérêts ou des profits à restituer. Jusqu’à ce moment, les intérêts avant jugement seront applicables.

7.                  Les demanderesses ont droit à leurs dépens et les parties peuvent présenter des observations sur le montant des dépens de la manière suivante :

i.        Dow déposera et signifiera ses observations au sujet du montant des dépens dans les 20 jours ouvrables du prononcé des présents motifs du jugement;

ii.      Dow déposera et signifiera ses observations au sujet du montant des dépens dans les 20 jours ouvrables du prononcé des présents motifs du jugement;

iii.    Dow déposera et signifiera ses observations en réplique au sujet du montant des dépens 20 jours après le dépôt et la signification des observations en réponse de NOVA.

8.                  La demande reconventionnelle de la défenderesse est rejetée, avec dépens, à taxer conformément à mes motifs.

« John A. O’Keefe»

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 5 septembre 2014

Traduction certifiée conforme

S. Tasset


ANNEXE A

I.          Introduction

1.         J’ai reporté le prononcé de ma décision en ce qui concerne les objections soulevées par NOVA sur les paragraphes suivants et les pièces connexes des rapports des experts de Dow :

Rapports d’experts

Paragraphes

Deuxième rapport d’expert du Pr Robert Young (12 juillet 2013)

5 à 28, 37, 40 à 45

Rapport d’expert de M. Christopher Scott (15 juillet 2013)

12a), 14 à 52, 61 à 69, 92 à 96, 115

Rapport de réfutation de l’expert Pr Joao Soares (15 juillet 2013)

182 à 185

Rapport en réplique de l’expert Pr Robert Young (3 septembre 2013)

1 à 60, 72 à 74, 77 à 82, 88 jusqu’à la fin

Rapport en réplique de l’expert Pr Joao Soares (3 septembre 2013)

Presque tous

 

2.         Dans chaque cas, NOVA affirme que Dow a scindé de façon irrégulière sa preuve en présentant en réponse des éléments de preuve qui auraient dû être présentés dans le cadre de sa preuve principale.

3.         Dow conteste cette affirmation. Elle avait également contesté au départ l’admissibilité des paragraphes 30 à 48 du second rapport de M. Charles Speed (15 juillet 2013). Le 21 octobre 2013, elle a décidé de plaider cette question en se concentrant sur la valeur probante.

II.        Questions en litige

4.         Voici les questions en litige :

1.                  Dow a‑t‑elle scindé de façon irrégulière sa preuve?

A.        Les parties contestées du deuxième rapport du Pr Young sont-elles admissibles?

B.        Les parties contestées du rapport d’expert de M. Scott sont-elles admissibles?

C.        Les parties contestées du rapport de réfutation du Pr Soares sont-elles admissibles?

D.        Les parties contestées du rapport en réplique du Pr Young sont‑elles admissibles?

E.         Les parties contestées du rapport en réplique du Pr Soares sont-elles admissibles?

2.                  Devrait-on attribuer moins de valeur aux parties contestées du deuxième rapport de M. Speed ?

III.       Analyse

A.        Question 1 – Dow a‑t‑elle scindé de façon irrégulière sa preuve?

5.         Le paragraphe 274(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, énonce l’ordre habituel dans lequel les parties sont censées présenter leur preuve et l’alinéa 274(1)c) permet au demandeur de présenter une contre-preuve.

6.         Toutefois, les contre-preuves ne sont pas toutes régulières et les Règles ne précisent pas le champ d’application de la contre-preuve (Halford c Seed Hawk Inc, 2003 CFPI 141, au paragraphe 7, 24 CPR (4th) 220 (Halford)). Je m’inspire pour cela de l’arrêt R c Krause, [1986] 2 RCS 466, à la p. 473, 33 DLR (4th) 267 (Krause), dans lequel la Cour suprême du Canada explique ainsi les règles de droit régissant la contre-preuve :

La règle générale porte que le ministère public, ou le demandeur dans les affaires civiles, ne sera pas autorisé à scinder sa preuve. Le ministère public ou le demandeur doit produire et inclure dans sa preuve tous les éléments clairement pertinents dont il dispose ou sur lesquels il a l’intention de se fonder pour établir sa preuve relativement à toutes les questions soulevées dans les débats; [...] Cette règle empêche les surprises injustes, les préjudices et la confusion qui pourraient résulter si le ministère public ou le demandeur était autorisé à scinder sa preuve, [...]

[Non souligné dans l’original]

7.         Ce principe comporte certaines exceptions, dont la principale se présente lorsque « la défense a soulevé de nouvelles questions ou de nouveaux moyens de défense dont le ministère public n’a pas eu l’occasion de traiter et que le ministère public ou le demandeur ne pouvait pas raisonnablement prévoir » (Krause, à la p. 474).

8.         Cela vaut tout autant pour les rapports d'experts. Bien qu'ils soient soumis avant le procès et que la surprise soit sans doute une source de préoccupation, l'opinion d'un expert n'est admissible, aux termes de l'alinéa 279b) des Règles, que si elle fait l'objet d'un rapport. Par conséquent, un défendeur peut quand même subir un préjudice injuste en raison d'une contre-preuve inappropriée puisqu'il risque d'être privé de la possibilité de répondre.

9.         Les principes régissant la question dans ce contexte ont été examinés par le juge Denis Pelletier dans le jugement Halford, aux paragraphes 12 à 15. Je vais les résumer comme suit :

1.               La contre-preuve qui ne fait que répéter ou confirmer une preuve déjà soumise n’est pas admissible.

2.               Même si une question est soulevée pour la première fois en contre-interrogatoire, la contre-preuve portant sur cette question n’est pas admissible si elle aurait dû faire partie de la preuve principale du demandeur.

3.               La contre-preuve qui porte sur une nouvelle question soulevée par la défense et que le demandeur ne pouvait raisonnablement prévoir est admissible.

4.               Le tribunal conserve le pouvoir discrétionnaire résiduel d’admettre des éléments en preuve.

B.        Question 1A – Les parties contestées du rapport d’expert de M. Scott sont-elles admissibles?

(1)        Observations des parties

10.       Pour contester le deuxième rapport du Pr Young, NOVA soutient essentiellement qu’à plusieurs endroits, il ne fait que réaffirmer ou compléter des éléments de preuve qu’il a déjà donnés dans son premier rapport, surtout en ce qui concerne l’interprétation des revendications. Par exemple, il a déjà émis un avis au paragraphe 26 de son premier rapport, selon lequel une personne versée dans l’art utiliserait une courbe charge-élongation pour calculer la pente de rhéo‑durcissement, car il s’agit du résultat par défaut d’un appareil Instron. Or, NOVA soutient qu’il reprend les mêmes revendications aux paragraphes 5 à 8 de son deuxième rapport, mais qu’il les étaye par un exemplaire du guide d’utilisation d’Instron. NOVA passe ensuite en revue chacun des autres paragraphes contestés et soutient qu’ils se trouvaient déjà dans le premier rapport du Pr Young ou auraient pu s’y trouver.

11.       Dow rétorque qu’il ne s’agit pas d’un fractionnement de sa preuve étant donné que le deuxième rapport du Pr Young n’avait pas été présenté en réponse, mais qu’il faisait plutôt partie de la défense de Dow en réponse à l’allégation d’invalidité. Il convenait de répondre aux arguments présentés par NOVA au sujet de l’invalidité, même si les arguments présentés reprenaient en partie ceux contenus dans le rapport précédent du Pr Young au sujet de la contrefaçon. D’ailleurs, Dow soutient que le Pr Cakmak en a fait autant à plusieurs reprises.

12.       De plus, Dow affirme qu’il ne s’agit pas d’un moyen détourné dont elle se servirait pour présenter de nouveaux éléments de preuve au sujet de la contrefaçon. Chacun des paragraphes contestés se rapporte directement à des éléments de preuve présentés par le Pr Cakmak pour appuyer un argument au sujet de l’invalidité.

13.       NOVA rétorque en soutenant que les paragraphes contestés portaient tous sur l’interprétation des revendications, ce qui constitue une question accessoire par rapport à la question de la validité et de la contrefaçon. NOVA a également soumis certaines lettres échangées entre elle et Dow dans lesquelles elles avaient convenu qu’elles traiteraient de l’interprétation des revendications dans leur première série de rapports d’experts.

(2)        Analyse

14.       Je suis d’accord en fin de compte avec Dow pour dire que la deuxième série de rapports constitue des éléments de preuve en défense qui ne font pas l’objet de limites dans le cadre des réponses. Le 4 septembre 2012, la protonotaire Martha Milczynski a prononcé l’ordonnance suivante :

[traduction]

3.         Les rapports d’experts des demanderesses sur la contrefaçon et les rapports des experts de la défenderesse sur l’invalidité doivent être échangés au plus tard le 14 janvier 2013;

4.         Les rapports de réfutation des experts doivent être échangés au plus tard le 15 juillet 2013; [...]

15.       NOVA a choisi de présenter une demande reconventionnelle sur l’invalidité, de sorte que l’interprétation des revendications faisait partie de sa preuve principale tout autant que de celle de Dow.

16.       Dans ces conditions, tant Dow que NOVA avaient le droit de contester pleinement la preuve de la partie adverse lors du second échange de rapports. Dans le jugement Halford, le juge Pelletier déclare ce qui suit, au paragraphe 11 :

[11]      […] À mon avis, les éléments de preuve des demandeurs au sujet de la validité doivent être traités différemment des autres éléments de preuve en ce sens que c’est aux défendeurs qu’il incombe de faire la preuve de l’invalidité. Il s’ensuit qu’en tant que défendeurs reconventionnels, les demandeurs ont le droit de réfuter cette preuve après que les défendeurs l’auront présentée et de se défendre en soumettant leur propre preuve selon qu’ils le jugent bon. En conséquence, je n’ai pas l’intention de limiter les éléments de preuve qui peuvent être soumis en défense à la demande reconventionnelle d’invalidité du brevet, sous réserve d’une nuance que je préciserai plus loin.

[Non souligné dans l’original]

17.       Bien que le juge Pelletier ait plus loin apporté une nuance en précisant que la preuve ne devait pas être répétitive, il n’a finalement pas appliqué le principe interdisant le fractionnement de la preuve aux éléments de preuve concernant l’invalidité.

18.       Cette façon de faire était logique, étant donné que le principe interdisant de scinder sa preuve vise à protéger le droit du défendeur de savoir ce à quoi il doit répondre. Dans l’arrêt Krause, aux pages 473 et 474, la Cour suprême déclare ce qui suit :

La raison d’être de cette règle [interdisant de scinder sa preuve] est que le défendeur ou l’accusé a le droit à la fin de la présentation de la preuve du ministère public de disposer de la preuve complète du ministère public de manière à savoir, dès le début, ce à quoi il doit répondre.

[Non souligné dans l’original]

19.       Bien que ces propos aient été tenus dans le contexte du droit criminel, ils s’appliquent également dans le contexte civil (voir également le jugement Halford, au paragraphe 12, citant l’arrêt Allcock Laight & Westwood Ltd c Patten, Bernard and Dynamic Displays Ltd (1966), [1966] OJ no 1067 (QL) au paragraphe 7, [1967] 1 OR 18).

20.       Comme les deux parties en l’espèce étaient des défendeurs pour ce qui était de questions auxquelles l’interprétation des revendications s’appliquait, elles avaient toutes les deux un droit égal de présenter leur défense en étant parfaitement au courant des arguments de leur adversaire. Le principe interdisant de scinder sa preuve ne devrait pas s’appliquer de manière à porter atteinte au droit même qu’il est censé favoriser.

21.       Pourtant, NOVA soutient que Dow avait convenu que le deuxième échange de rapports devait se limiter à des réponses. Le 24 novembre 2011, l’avocat de NOVA a écrit à l’avocat de Dow une lettre dont voici la teneur :

[traduction]

Nous proposons que la première série de rapports d’experts de NOVA porte sur l’interprétation des revendications, la validité et la concurrence et que Dow aborde la question de l’interprétation et de la contrefaçon. La deuxième série de rapports porterait sur la réponse aux éléments de preuve soulevés dans la première série de rapports de la partie adverse.

[Non souligné dans l’original]

22.       L’avocat de Dow a accepté cette proposition le 28 novembre 2011, mais je ne vois dans cette offre rien qui obligerait les parties à se limiter à répondre à des éléments de preuve sur l’une ou l’autre question. Au contraire, la deuxième série de rapports était censée répondre aux éléments de preuve de la partie adverse sur toutes les questions pertinentes et aucune distinction n’était faite sur la portée de cette réponse dans le cas de l’interprétation des revendications. Tout comme NOVA avait pleinement le droit de répondre aux éléments de preuve présentés par Dow au sujet de l’interprétation et de la contrefaçon, de même Dow avait pleinement le droit de répondre aux éléments de preuve présentés par NOVA au sujet de l’interprétation et de la validité.

23.       NOVA affirme également que la juge Carolyn Layden-Stevenson est arrivée au résultat contraire dans le jugement Johnson & Johnson Inc c Boston Scientifique Ltd, 2008 CF 552, 327 FTR 49 (Boston Scientifique). Dans ce jugement, la juge Layden-Stevenson a conclu qu’une partie de la preuve présentée par la défenderesse reconventionnelle au sujet de l’interprétation des revendications n’était pas admissible étant donné qu’elle ne « règle pas le problème qu’une question en réponse, soulevée dans la preuve principale de la partie, doit être traitée dans la preuve principale » (Boston Scientifique, au paragraphe 70). La situation était toutefois différente, étant donné que le rapport auquel la juge faisait allusion était en fait une déclaration à titre de réponse (Boston Scientifique, au paragraphe 63) et non un rapport visant à réfuter la preuve principale de la demanderesse reconventionnelle.

24.       Par conséquent, je suis d’accord avec Dow pour dire que le deuxième rapport du Pr Young était une preuve de la défense qui ne tombait pas sous le coup du principe interdisant de scinder la preuve. Je suis donc d’avis de rejeter l’objection de NOVA.

C.        Question 1B – Les passages contestés du rapport d’expert de M. Scott sont‑ils admissibles?

25.       Dow a accepté de supprimer de nombreux paragraphes du rapport de M. Scott, y compris les paragraphes 13c), 16 à 45, 61 à 66, 92 à 112 et 114. Par conséquent, les seuls paragraphes qui sont encore contestés sont les paragraphes 14, 15, 46 à 52, 67 à 69 et 115.

26.       NOVA soutient que ces paragraphes ne font que répéter ce que l’on trouve déjà dans le rapport du Pr Soares et qu’ils constituent donc également une réponse irrégulière. Toutefois, ainsi que l’avocat de NOVA l’a expliqué au cours des débats, son argument [traduction« revient au même raisonnement que j’ai formulé hier au sujet du rapport du Pr Young, cette fois‑ci dans le cas de M. Scott » (Transcription, volume 25 (23 octobre 2013), à la page 4338).

27.       Pour les mêmes motifs que ceux pour lesquels j’ai rejeté l’objection formulée par NOVA au sujet du deuxième rapport du Pr Young, je suis d’avis de rejeter l’objection de NOVA au rapport de M. Scott.

D.        Question 1C – Les passages contestés du rapport de réfutation du Pr Soares sont‑ils admissibles?

(1)        Observations des parties

28.       NOVA conteste les paragraphes 182 à 185, ainsi que les passages connexes de la pièce AF du rapport de réfutation du Pr Soares du 15 juillet 2013. Dow a ensuite modifié des parties des paragraphes 182, 183 et 184, mais NOVA a maintenu la plus grande partie de son objection.

29.       Au fond, NOVA soutient que le Pr Soares présentait une nouvelle théorie sur la façon de caractériser les polymères comme étant homogènes ou hétérogènes en s’appuyant sur le brevet d’Elston. L’objectif était de faire valoir que la fraction à haute densité du composant B des polymères SURPASS contrevenait aux revendications. L’entreprise soutenait qu’il s’agissait également d’un fractionnement de la preuve et que la formulation de Dow n’allait pas assez loin aux paragraphes 182 et 183. À son avis, les données liées aux résines SURPASS devaient être divulguées.

30.       Dow a répondu que le Pr Soares analysait seulement les fractions A-1 et A-2 obtenues par M. Mirabella afin de voir si elles étaient ramifiées de manière homogène ou hétérogène. Il ne donnait pas une opinion sur l’interprétation des revendications en général.

31.       NOVA a répondu que le Pr Soares pouvait formuler des commentaires sur les fractions A-1 et A-2, mais qu’il n’était pas nécessaire d’ajouter les composants à haute densité dans le graphique pour illustrer son propos. En réalité, Dow tentait simplement de glisser cet argument en douce pour défendre une nouvelle théorie de la contrefaçon.

(2)        Analyse

32.       Il n’était pas nécessaire de représenter graphiquement les données du composant B des produits SURPASS. Comme cela pourrait étayer les arguments de Dow sur la contrefaçon, je vais ignorer les données liées au composant B des produits SURPASS qui sont représentées graphiquement.

E.         Question 1D – Les passages contestés du rapport en réplique du Pr Young sont-ils admissibles?

(1)        Observations des parties

33.       NOVA a également soulevé des objections pour la plupart des réponses du Pr Young en indiquant qu’en plus d’exposer de nouveau ses arguments, il présentait une nouvelle théorie liée aux essais de traction et à la séparation entre les mors de l’appareil d’essais. En particulier, Pr Young était en désaccord avec la décision du Pr Cakmak d’utiliser une distance de 0,45 à 0,5 po entre les mors, car à son avis, la seule séparation appropriée était de 0,433 pouce. Il a d’ailleurs expliqué pourquoi. Toutefois, les questions auxquelles il répondait se trouvaient toutes dans le premier rapport du Pr Cakmak, de sorte que NOVA soutient que le Pr Young aurait dû en traiter dans le second rapport s’il devait le faire et non dans le troisième rapport, lequel n’a été soumis que le 3 septembre 2013 alors que le procès était sur le point de s’ouvrir.

34.       En outre, NOVA s’est plainte que le Pr Young a expliqué sa correction pour l’épaisseur, mais indique que cela relève de la force probante. Le Pr Young a aussi expliqué l’ajustement polynomial qu’il a fait sur les données, formulé un autre commentaire sur sa théorie de la longueur entre les repères de l’éprouvette et présenté des certificats d’étalonnage pour ses appareils Instron. NOVA soutient que ces éléments sont tous inadmissibles, car ils ne constituent pas une réponse convenable.

35.       NOVA avait également d’autres objections concernant les résultats des appareils Instron, mais Dow a convenu d’éliminer les paragraphes 78 à 82 du troisième rapport du Pr Young. De plus, NOVA a contesté les paragraphes 90, 91 et 92 du troisième rapport du Pr Young en partie parce qu’il n’y avait pas d’observateurs et en partie parce qu’il ne faisait que confirmer des éléments de preuve antérieurs. Dow a accepté de retirer le paragraphe 91 et une partie d’une phrase du paragraphe 92.

36.       Dow soutient que tous les autres paragraphes restants étaient une réponse acceptable et souligne que la date du 3 septembre 2013 était celle sur laquelle les parties s’étaient entendues pour signifier la contre-preuve. De plus, les essais de traction et l’examen de la preuve vidéo réfutaient tous directement les affirmations du Pr Cakmak ainsi que les essais qu’il avait réalisés pour la première fois dans son deuxième rapport.

37.       Quant aux autres arguments de NOVA, Dow affirme qu’il s’agissait également de contre-preuves régulières qui répondaient directement aux questions soulevées par le Pr Cakmak. Dans une certaine mesure, une partie de ces arguments auraient pu être abordés dans la preuve principale et Dow affirme qu’il serait déraisonnable de l’obliger à prévoir chaque question qui pourrait être abordée en contre-preuve.

(2)        Analyse

38.       En ce qui concerne les délais, les parties ont convenu que les rapports en réponse seraient signifiés le 3 septembre 2013. Dès lors qu’il s’agissait d’une contre-preuve appropriée, je ne vois aucune raison de conclure que l’entente des parties est préjudiciable.

39.       De plus, compte tenu de mon analyse antérieure, il serait acceptable qu’il y ait une troisième série de rapports pour répondre à toute nouvelle question se rapportant à l’interprétation des revendications ou à la contrefaçon soulevée pour la première fois dans la seconde série de rapports de NOVA. Il doit toutefois s’agir d’une contre-preuve appropriée en ce sens que : (1) elle doit répondre à la preuve présentée en défense par NOVA; (2) il n’y avait aucune raison de prévoir qu’elle serait soulevée et incluse dans la première ou la deuxième série de rapports (Krause, à la page 474; Merck-Frosst – Schering Pharma GP c Canada (Ministre de la San), 2009 CF 914, aux paragraphes 23, 24 et 25, 78 CPR (4th) 100 (Merck-Frosst)).

40.       Enfin, je suis d’accord avec Dow, à savoir que la majorité des observations de NOVA en ce qui concerne le troisième rapport du Pr Young ne sont pas fondées. À l’exception des paragraphes 9 à 12, la plus grande partie de la preuve du Pr Young à propos de la distance entre les mors de l’appareil de test dans ce rapport ne portait pas sur la question de savoir si c’était la valeur de 0,433 pouce ou celle de 0,45 pouce qui était la plus appropriée. Elle visait plutôt à démontrer que le Pr Cakmak avait utilisé une séparation bien plus grande entre les mors de l’appareil lors des essais qu’il avait effectués pour son rapport de réfutation. De plus, il a expliqué que c’était la raison pour laquelle les résultats du Pr Cakmak différaient autant des siens. Il s’agissait d’une contre-preuve appropriée pour les raisons suivantes :

1.                  Elle était censée réfuter une preuve et des essais dont il était question pour la première fois par la défense dans le rapport de réfutation du Pr Cakmak;

2.                  Il n’aurait pas été possible de remédier aux lacunes perçues dans les procédures du Pr Cakmak avant que le Pr Young en prenne connaissance.

41.       Pour ce qui est des paragraphes 9 à 12, j’utiliserais mon pouvoir discrétionnaire pour les autoriser, car aucun préjudice n’en découle pour NOVA. Le Pr Cakmak a bien expliqué les raisons qui l’ont mené à choisir une séparation plus grande entre les mors de l’appareil, et le témoignage du Pr Young en retour n’a donné lieu à aucun avantage injuste.

42.       De même, les commentaires du Pr Young sur la correction pour l’épaisseur des éprouvettes étaient en général appropriés, puisqu’il expliquait pourquoi les procédures d’essai inadéquates du Pr Cakmak l’auraient amené à conclure que cette correction était erronée.

43.       Qui plus est, je ne crois pas que Dow aurait pu raisonnablement prévoir que le Pr Cakmak critiquerait la sensibilité du micromètre utilisé ou le défaut d’inspecter chaque éprouvette en forme d’haltère à l’aide d’un microscope. Des réserves précises ont été formulées au sujet de la procédure suivie et je ne crois pas qu’il était nécessaire que Dow les justifie à l’avance. Il était donc approprié que M. Young réponde sur cette question et je ne radierais pas les paragraphes 54 à 60 ou 83 à 87 du rapport.

44.       Toutefois, je suis d’accord avec NOVA pour dire que les paragraphes 88 et 89 du troisième rapport du Pr Young constituaient une contre-preuve inappropriée. Dow aurait dû prévoir les inquiétudes du Pr Cakmak en ce qui a trait à l’étalonnage. Comme la Cour suprême l’a indiqué à la page 473 de l’affaire Krause, « le demandeur doit produire et inclure dans sa preuve tous les éléments clairement pertinents dont il dispose ou sur lesquels il a l’intention de se fonder » (c’est nous qui soulignons). Le Pr Young a mentionné au paragraphe 55 de son premier rapport que son appareil Instron avait été étalonné et il aurait raisonnablement pu annexer les certificats à ce premier rapport.

45.       Pour ce qui est des paragraphes 90 à 93, tout ce que le Pr Cakmak a indiqué au paragraphe 34 de son rapport de réfutation était qu’il n’avait pas observé de mesures de la largeur pour les échantillons testés par le Pr Young. Les paragraphes 90 à 93 du troisième rapport du Pr Young ne contredisent ou ne réfutent pas ces allégations, mais ne font qu’étayer les déclarations antérieures du Pr Young. Il s’agit donc d’une contre-preuve inappropriée parce qu’elle ne constitue pas une réponse.

F.         Question 1E – Le rapport en réplique du Pr Soares est‑il admissible?

(1)        Observations des parties

46.       NOVA s’est opposée à la presque totalité du rapport du Pr Soares du 3 septembre 2013 à l’exception des paragraphes 43 à 48, 50, 51, 56, 57 et 62 à 65. NOVA soutient essentiellement que le Pr Soares a interprété de nouveau les revendications aux paragraphes 3 à 25, ce qui est inacceptable étant donné que seul le deuxième rapport aurait dû répondre à ces questions. Le Pr Soares a ensuite parlé de nouveau de l’indice de ramification de distribution structurale (IRDS), qui constitue aussi un élément de son premier rapport qui n’aurait pas dû être remanié. En outre, NOVA a indiqué que le Pr Soares avait présenté au paragraphe 49 une nouvelle théorie de contrefaçon liée aux pourcentages en poids qui n’était pas une réponse adéquate.

47.       Les autres objections formulées par NOVA portaient sur les paragraphes 58 et 59, et NOVA a soutenu que l’analyse du Pr Soares reposait sur les renseignements que M. Speed a refusé de communiquer lorsqu’il avait été invité à se prononcer à ce sujet.

48.       Dow a répondu que le témoignage donné par le Pr Soares au sujet de l’interprétation des revendications constituait une réponse convenable au rapport de réfutation de M. Mirabella et que c’était la première fois qu’un témoin de NOVA tentait d’interpréter ces revendications. De même, lorsque le Pr Soares a parlé de nouveau de l’IRDS, Dow a indiqué qu’il ne faisait que corriger la mauvaise interprétation que M. Mirabella avait de son opinion.

49.       Par ailleurs, M. Mirabella a effectué de nouveaux essais après le rapport principal du Pr Soares, et ce dernier ne faisait que critiquer ces résultats de laboratoire aux paragraphes 46 à 51. Dow a mentionné qu’il ne présentait pas une nouvelle théorie de contrefaçon au paragraphe 49; il faisait simplement sa propre analyse des données sur les pourcentages en poids fournies par M. Mirabella.

50.       Enfin, Dow a indiqué que les questions auxquelles elle a refusé de répondre ne concernaient pas les paragraphes 58 et 59 du rapport du Pr Soares, qui ne constituait qu’une réponse à l’allégation de M. Speed selon laquelle le catalyseur était introduit à plusieurs pouces du réacteur.

(2)        Analyse

51.       La nouvelle interprétation des termes « qui comprennent » aux paragraphes 3 à 6 est répétitive. Le Pr Soares avait déjà abordé cette question aux paragraphes 44 à 47 de son rapport de réfutation. En revanche, il s’agissait d’une réponse aux nouvelles considérations soulevées par M. Mirabella dans son rapport et je ne décèle aucun préjudice sérieux dans le fait de l’admettre en preuve.

52.       De plus, M. Mirabella a présenté pour la première fois dans son rapport du 15 juillet 2013 une distinction entre les sens technique et littéral de l’hétérogénéité et de l’homogénéité. Le Pr Soares n’aurait pas pu prévoir la présentation de cette théorie, et je suis d’avis que les paragraphes 7 à 25 de ses réponses étaient adéquats, même s’il existe un certain chevauchement avec les rapports précédents.

53.       Toutefois, il n’en va pas de même pour l’analyse de M. Soares quant à l’utilisation de l’IRDS. Dow s’est contentée de défendre cet aspect en expliquant que M. Mirabella avait mal qualifié ou cité le témoignage du Pr Soares et qu’il ne faisait que rétablir les faits. Toutefois, s’il y a eu une mauvaise qualification, c’est en contre-interrogatoire et non en réplique qu’il faudrait le vérifier. M. Mirabella n’a pas soulevé une nouvelle question à cet égard et le Pr Soares a eu tort d’essayer d’avoir le dernier mot à ce sujet.

54.       Je ne crois pas que le paragraphe 49 du rapport en réponse du Pr Soares et l’annexe G qui y correspond constituent une tentative d’introduire une nouvelle théorie au sujet de la contrefaçon, mais je vais les ignorer dans la mesure où on pourrait les interpréter de cette manière.

55.       Enfin, le Pr Soares a indiqué aux paragraphes 58 et 59 que les composants du catalyseur étaient combinés à seulement 2 ou 3 cm du réacteur, donc à une température très élevée en raison de la proximité du réacteur. Les turbulences engendrées auraient probablement transporté toute précipitation dans le réacteur.

56.       NOVA a soutenu qu’il s’agissait de renseignements qui auraient dû être communiqués à M. Speed en réponse aux deux questions suivantes qu’il avait jointes à l’annexe 3 de son rapport de réfutation et pour lesquelles il n’avait pas reçu de réponse, à savoir :

11. Quelle est la conception technique du système du catalyseur, y compris ses composants et leurs dimensions?

12. Comment les composants du système du catalyseur sont-ils approchés du réacteur? Quelle est la conception technique (1) des systèmes d’entreposage pour les composants du catalyseur et (2) quel est l’équipement pour introduire les composants de catalyseur dans le réacteur, y compris les détails de la combinaison des composants du catalyseur et du système d’injection dans le réacteur?

57.       Aux termes de l’article 248 des Règles, une partie ne peut donner des renseignements qu’elle a refusé de communiquer lors de son interrogatoire préalable à moins d’obtenir l’autorisation de la Cour.

58.       À mon avis, ces questions n’englobent pas les renseignements dont NOVA affirme maintenant que la communication lui a été refusée. Toutefois, ces deux questions étaient d’ordre assez général et ne précisaient pas les principales préoccupations. M. Speed était également présent et il avait eu la possibilité de formuler ses propres observations et l’avait effectivement fait. Je suis par conséquent d’avis d’admettre les paragraphes 58 et 59.

G.        Question 2 – Devrait-on accorder moins de valeur aux passages contestés du deuxième rapport de M. Speed?

(1)        Observations des parties

59.       Le 10 octobre 2013, Dow s’est opposée aux paragraphes 30 à 48 du rapport d’expert de M. Speed en affirmant qu’ils contredisaient trois passages de l’interrogatoire préalable de M. Kelusky qui avaient été versés au dossier à la fin du procès. Il avait par la suite déclaré qu’il aborderait la question en examinant la valeur à accorder à ces déclarations et qu’il examinerait les arguments de M. Speed aux paragraphes 58 à 67 de son mémoire sur la contrefaçon.

60.       NOVA a soumis un mémoire dans lequel elle contestait ces allégations et faisait valoir que les réponses de M. Kelusky étaient conformes à l’analyse de M. Speed et qu’en tout état de cause, le Pr Soares ne les avait pas invoquées. Au contraire, le Pr Soares avait connaissance d’autres documents décrivant avec précision le système de distribution. NOVA soutient que le Pr Soares a simplement négligé certains détails.

(2)        Analyse

61.       Aux paragraphes 30 à 48 de son deuxième rapport, M. Speed critique le système que Dow a utilisé pour produire et transférer le catalyseur dans le réacteur à Terneuzen. Il a affirmé qu’en raison de la température et de la distance entre le réacteur et l’endroit où les composants sont combinés, certains d’entre eux pourraient précipiter.

62.       Bien que les questions posées à M. Kelusky se rapportent à cette question, je suis d’accord pour dire que les réponses qu’il a données n’étaient pas strictement inexactes.

63.       De plus, ses réponses n’ont eu aucun effet sur le témoignage du Pr Soares. Au contraire, lorsque le Pr Soares a décrit la réplique du catalyseur Emerald de NOVA au paragraphe 172 de son premier rapport, il s’est expressément appuyé sur deux présentations de NOVA (pièces P‑20 et P‑21), lesquelles indiquent toutes deux les inquiétudes de M. Speed en ce qui a trait à la solubilité.

64.       De plus, le Pr Soares a abordé les critiques formulées par M. Speed dans son rapport en réponse aux paragraphes 56 à 59 et 61. Il n’affirme nulle part qu’il aurait été induit en erreur par les réponses données par M. Kelusky. Par ailleurs, il n’a jamais indiqué que sa conception du fonctionnement du système de distribution de NOVA était incomplète ou différente de la description de M. Speed. De fait, rien n’indique que les réponses de M. Kelusky ont induit qui que ce soit en erreur. Par conséquent, les commentaires de M. Speed aux paragraphes 30 à 48 étaient justes et, pour cette raison, je ne réduirai pas le poids qui leur a été accordé.

65.       Toutefois, j’accepte l’observation de Dow selon laquelle M. Speed n’a effectué aucune étude expérimentale pour confirmer les prétendues lacunes qui, selon lui, auraient une influence sur la pente du coefficient de rhéo‑durcissement. M. Speed l’a reconnu dans l’échange suivant :

[traduction]

Q.        Par ailleurs M. Speed, vous n’avez vous-même effectué aucun essai ni n’en avez demandé afin de vérifier si vos critiques étaient fondées quant à la question de savoir si la reproduction à Terneuzen aurait une incidence sur la pente du coefficient de rhéo‑durcissement du Pr Soares?

R.        Je n’ai effectué aucune étude expérimentale à ce sujet. J’ai toutefois observé le fonctionnement de l’unité.

Q.        M. Speed, avez-vous oui ou non effectué un essai quelconque?

R.        Non.

(Transcription, volume 22 (17 octobre 2013), à la page 3665, lignes 1 à 13)

66.       Enfin, à la lumière des paragraphes 56 à 59 ainsi que du paragraphe 61 du rapport de réponses du Pr Soares, je suis persuadé que les différences quant à la façon dont le catalyseur était introduit dans le réacteur n’ont eu aucune incidence concrète sur le produit final.

IV.       Conclusion

67.       Dans l’ensemble, je conclus que les paragraphes suivants ne sont pas admissibles en preuve :

Rapports d’experts

Paragraphes

Rapport de réfutation de l’expert Pr Joao Soares (15 juillet 2013)

182 à 185 (fractions de la composante B de SURPASS)

Rapport en réplique de l’expert Pr Robert Young (3 septembre 2013)

88 à 93

Rapport en réplique de l’expert Pr Joao Soares (3 septembre 2013)

31 à 34

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2051-10

 

INTITULÉ :

THE DOW CHEMICAL COMPANY, DOW GLOBAL TECHNOLOGIES INC. et DOW CHEMICAL CANADA ULC c

NOVA CHEMICAL CORPORATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATES DE L’AUDIENCE :

Les 9, 10, 11, 12, 13, 16, 17, 18, 19, 23, 24, 25, 26 et 30 SEPTEMBRE,

LES 1er, 7, 8, 9, 10, 15, 16, 17, 21, 22, 23, 24, 28, 29 et 30 OCTOBRE ET

les 5, 6 et 7 novembre 2013

 

motifs du jugement :

le juge O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 5 SEPTEMBRE 2014

 

COMPARUTIONS :

Me Ronald E. Dimock

Me Michael D. Crinson

Me Angela M. Furlanetto

Me Ryan T. Evans

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Me Steven Garland

Me Jeremy Want

Me Colin Ingram

POUR LES DEMANDERESSES

Me Robert H. C. MacFarlane

Me Michael E. Charles

Me Joshua W. Spicer

Me Andrew McIntosh

Me Jeffrey Gordon

Me Amrita V. Singh

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dimock Stratton LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Smart & Biggar/Fetherstonhaugh

Avocats

Ottawa (Ontario)

POUR LES DEMANDERESSES

Bereskin & Parr s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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