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Date : 20140909


Dossier : T-84-14

Référence : 2014 CF 854

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 septembre 2014

En présence de monsieur le juge Harrington

ENTRE :

KEVORK DELDELIAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le présent appel est interjeté par M. Deldelian à l’encontre d’une décision par laquelle une juge de la citoyenneté a rejeté sa demande de citoyenneté compte tenu du fait qu’il ne satisfaisait pas aux exigences de résidence. Selon l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté en vigueur à l’époque pertinente, un résident permanent devait avoir résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout au cours des quatre années ayant précédé la date de la demande. En l’espèce, il s’agit du 7 mars 2010. M. Deldelian satisfait à peine à l’exigence de résidence. Il prétend qu’il était effectivement présent au Canada pour 1 096 jours au cours de la période de quatre ans, c’est‑à‑dire trois ans plus un jour.

[2]               Les juges de la citoyenneté, de même que la Cour, se sont débattus pendant de nombreuses années avec le sens du terme « résidence » dans la Loi sur la citoyenneté. Certains juges ont utilisé un critère de présence effective, alors que d’autres ont adopté une démarche plus nuancée. Dans la décision Re Papadogiorgakis, [1978] 2 CF 208 (1re inst.), le juge en chef adjoint Thurlow, tel était alors son titre, a statué que, si une personne est établie au Canada, elle ne cesse pas d’y résider quand elle quitte temporairement le pays. Dans la décision Re Koo, [1993] 1 CF 286, la juge Reed a dit que le critère était de savoir si le Canada était l’endroit où le demandeur « vit régulièrement, normalement ou habituellement ». Cependant, dans la décision Re Pourghasemi, (1993), 62 FTR 122, le juge Muldoon a appliqué un critère de présence effective strict.

[3]               Dans la jurisprudence, il a été établi qu’un tel appel ne serait pas accueilli si le juge de la citoyenneté avait choisi et appliqué raisonnablement l’un ou l’autre des critères. Fort heureusement, le législateur a finalement mis fin à ce dilemme en adoptant la Loi renforçant la citoyenneté canadienne, LC 2014, c 22. Selon le nouveau critère applicable, il faut avoir été effectivement présent pendant 1 460 jours au cours des six années précédant la date de la demande, et effectivement présent 183 jours au cours de chacune des quatre dernières années civiles.

[4]               En l’espèce, la juge de la citoyenneté a appliqué le critère de la présence effective strict et n’a pas été convaincue que M. Deldelian avait été présent pendant le nombre requis de jours. Il ne fait aucun doute que le fardeau de la preuve incombait à M. Deldelian (Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 763).

[5]               On ne saurait dire qu’il ressort clairement du dossier que M. Deldelian était absent pendant au moins deux des 1 096 jours pendant lesquels il prétend avoir été présent au Canada. La juge de la citoyenneté ne l’a tout simplement pas cru, et ce, pour plusieurs raisons qu’elle a exposées. L’avocat de M. Deldelian soutient que certaines des déclarations de la juge étaient manifestement erronées, qu’elle ne s’est pas concentrée sur les quatre années en question et que certains de ses doutes étaient abusifs et arbitraires.

[6]               Il m’a convaincu que c’était effectivement le cas. L’appel sera accueilli et l’affaire sera renvoyée à un autre juge de citoyenneté.

I.                   La décision faisant l’objet de l’appel

[7]               La juge a estimé que M. Deldelian se moquait de la loi. Par conséquent, elle ne lui a pas du tout laissé le bénéfice du doute.

[8]               La première question a trait à l’assurance emploi. Après que son poste eut été déclaré excédentaire à Montréal, M. Deldelian a présenté une demande d’assurance emploi. Le 28 juillet 2009, sa demande a été approuvée, et des prestations lui ont été versées jusqu’à la mi‑septembre cette année-là. Dans les formulaires de citoyenneté qu’il était tenu de remplir, il a déclaré qu’il avait été absent du pays quatre fois au cours de l’ensemble de la période. Les deux premières absences ont eu lieu avant l’approbation de sa demande de prestations. La troisième absence a eu lieu le jour où sa demande a été approuvée. Il s’était alors absenté pour rencontrer un employeur éventuel, et non effectivement pour travailler. La quatrième absence a eu lieu après qu’il eut cessé de recevoir des prestations à la mi-septembre 2009.

[9]               La juge de la citoyenneté a conclu qu’une personne ne pouvait pas à la fois quitter le pays et demander des prestations d’assurance emploi. Elle était aussi surtout préoccupée par le fait que M. Deldelian n’avait pas expliqué de façon satisfaisante pourquoi il avait quitté le Canada le jour même où il avait présenté sa demande de citoyenneté. Cette préoccupation n’était pas pertinente, étant donné que la période de quatre années en question avait pris fin le jour précédent. Si la juge de la citoyenneté avait eu à trancher la question en fonction de la Loi, telle qu’elle a été modifiée par la Loi renforçant la citoyenneté canadienne, cela aurait été une considération pertinente, étant donné que l’une des exigences est que le demandeur ait l’intention de continuer à résider au Canada.

[10]           Une autre question a aussi été soulevée, à savoir qu’il y avait deux entrées dans les fiches techniques du gouvernement que M. Deldelian n’avait pas énumérées dans sa demande. Ces deux entrées, ainsi que les timbres figurant dans son passeport montrent qu’il a fait deux voyages d’un jour. Les formulaires qu’il était tenu de remplir portent quelque peu à confusion en ce sens que, bien qu’on lui ait demandé d’énumérer tous les voyages effectués à l’extérieur du pays, les voyages d’un jour ne sont pas pris en considération dans le calcul du nombre de jours pendant lesquels une personne est à l’extérieur du pays.

[11]           En outre, bien que, selon M. Deldelian, diverses transactions bancaires prouvent qu’il était au Canada, la juge de la citoyenneté n’a pas voulu admettre en preuve les relevés bancaires parce que le compte bancaire en question était détenu conjointement par M. Deldelian et son épouse, et que cela n’établissait pas qu’il était au Canada. Cela n’établissait toutefois pas non plus qu’il était à l’extérieur du pays.

[12]           Il y a un point qui me préoccupe. Il s’agit du profil de M. Deldelian sur LinkedIn, sur lequel il était précisé qu’il était directeur général d’un hôtel à Doha, au Qatar, de 2009 à 2011. Bien que la juge de la citoyenneté ait reconnu que l’entrée était incorrecte, étant donné qu’elle était manifestement incompatible avec son autre prétention selon laquelle il était consultant dans le domaine hôtelier à Montréal d’octobre 2009 à mars 2010, elle a rejeté la raison qu’il a donnée pour expliquer pourquoi l’entrée était incorrecte. Il a expliqué qu’il avait effectué l’entrée parce qu’il espérait obtenir un emploi au Qatar. Cependant, comme il était Jordanien, il a eu de la difficulté à obtenir un permis de travail. L’entrée dans LinkedIn est aussi quelque peu douteuse en raison de l’existence de dossiers médicaux montrant qu’il était à Montréal pendant au moins une partie de la période.

[13]           Si la juge de la citoyenneté avait seulement analysé les quatre années qui ont précédé la date de la demande de M. Deldelian, j’aurais dû trancher la question de savoir si cette décision était suffisamment raisonnable pour résister à un contrôle conformément aux principes énoncés dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, particulièrement au paragraphe 47. Cependant, en plus d’avoir soulevé une question au sujet de son départ du Canada le jour du dépôt de sa demande, la juge de la citoyenneté s’est penchée sur les études de son fils l’année suivante, ainsi que sur le rôle exact que son épouse avait joué dans son entreprise après le dépôt de sa demande de citoyenneté. Il est loin d’être évident que l’analyse de la juge de la citoyenneté n’a porté que sur les quatre années en cause. Elle a effectivement tenu compte d’événements qui se sont produits après qu’il eut déposé sa demande de citoyenneté. Comme le juge O’Keefe l’a fait remarquer dans la décision Shakoor c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 776, aux paragraphes 39 et 40 :

[39]      Un examen des motifs ne permet pas de déterminer si la juge de la citoyenneté se reportait aux longues absences du Canada après le 14 février 2003, c’est‑à‑dire la date de la demande du demandeur, ou seulement aux absences antérieures à la date de sa demande. Il m’est impossible de dire si la juge de la citoyenneté a tenu compte des absences après la date de la demande pour tirer sa conclusion sur la demande. Si elle l’a fait, cela constituerait une erreur susceptible de révision.

[40]      Par conséquent, l’appel interjeté de la décision de la juge de la citoyenneté doit être accueilli puisqu’il existe une question litigieuse en ce qui concerne le nombre réel de jours d’absence du demandeur du Canada. Je renverrai l’affaire à un autre juge de la citoyenneté pour qu’une nouvelle décision soit rendue.

Voir aussi la décision Zamzam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 959.

[14]           L’appel sera accueilli.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.                  L’appel interjeté à l’encontre de la décision de la juge de la citoyenneté, datée du 27 août 2013, est accueilli.

2.                  L’affaire est renvoyée à un autre juge de la citoyenneté pour nouvelle décision.

« Sean Harrington »

Juge

Traduction certifiée conforme

Marie-Christine Gervais, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-84-14

 

INTITULÉ :

KEVORK DELDELIAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (QuÉbec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 AOÛT 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 9 septembrE 2014

 

COMPARUTIONS :

Viken Artinian

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Charles Junior Jean

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Allen et associés

Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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