Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20140905


Dossier : T-1776-13

Référence : 2014 CF 845

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 septembre 2014

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

IVAN WEEKUSK

demandeur

et

LE CHEF DELBERT WAPASS, LE CONSEIL DE BANDE DE LA PREMIÈRE NATION THUNDERCHILD et LE TRIBUNAL D’APPEL DE LA PREMIÈRE NATION THUNDERCHILD

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur, M. Weekusk, sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue par le chef Wapass et le conseil de bande le 18 octobre 2011, décision par laquelle ces derniers ont suspendu M. Weekusk sans traitement de ses fonctions de conseiller ou dirigeant de la Première Nation Thunderchild et demandé au Tribunal d’appel de la Première Nation Thunderchild de le démettre de ses fonctions. Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

I.                   Le contexte

[2]               M. Weekusk a été élu conseiller ou dirigeant lors de l’élection générale tenue par la Première Nation Thunderchild et est entré en fonctions le 21 décembre 2010 pour un mandat de quatre ans.

[3]               Par la suite, Theresa Horse, membre de la bande, a déposé une plainte sous le régime de la Thunderchild First Nation Election Act (loi électorale de la Première Nation Thunderchild), plainte dans laquelle elle alléguait que le demandeur avait violé son serment d’allégeance. Lors de leur réunion du 18 octobre 2011, le chef et le conseil ont étudié la plainte puis ont décidé de suspendre M. Weekusk sans traitement et de demander au Tribunal d’appel de le démettre définitivement de ses fonctions de conseiller (dirigeant) conformément à l’article 15.08 de la loi électorale de la Première Nation Thunderchild.

[4]               L’avis de requête déposé au Tribunal d’appel par le chef et le conseil en date du 2 décembre 2011 a été transmis à M. Weekusk, qui a alors déposé un avis de différend portant la date du 23 décembre 2011. Le Tribunal d’appel n’a toujours pas examiné la requête.

La plainte

[5]               Le 14 octobre 2011, Theresa Horse a déposé une plainte dans laquelle elle alléguait que M. Weekusk avait violé son serment d’allégeance. Mme Horse a donné la description suivante de la faute :

         Depuis août 2011, le conseiller Weekusk ne s’est pas présenté aux bureaux du gouvernement afin de travailler au sein d’un collectif avec les autres membres du gouvernement, et de ce fait, n’a pas exercé ses fonctions de dirigeant fidèlement et honnêtement au mieux de ses capacités;

         Le conseiller Weekusk n’a assisté à aucun événement communautaire depuis août 2011 et, en particulier, il n’était pas présent aux Jeux d’été des Indiens de la Saskatchewan dont Thunderchild était l’hôtesse ni au pow-wow de la Première Nation Thunderchild;

         Le conseiller Weekusk ne devrait pas être autorisé à toucher son traitement à titre de membre du conseil s’il n’est pas présent dans les bureaux du gouvernement. La Première Nation Thunderchild a mis en place une stratégie de réduction de la dette qui comprend des compressions budgétaires sur le plan des dépenses non essentielles et des services. Le fait de continuer à verser le traitement du conseiller Weekusk aggrave les difficultés financières de la Première Nation Thunderchild.

[6]               La plaignante ajoute que la conduite du conseiller Weekusk a provoqué une division au sein de la direction du gouvernement.

II.                La décision visée par la demande de contrôle judiciaire

[7]               La décision rendue par le chef et le conseil est exposée dans une lettre datée du 20 octobre 2011.

[8]               La lettre reprend le contenu de la plainte, puis précise que cette plainte a été inscrite à l’ordre du jour de la réunion du 18 octobre 2011 et que le conseil a déterminé qu’il n’était pas nécessaire de s’entretenir avec la plaignante étant donné que la documentation était suffisante et qu’il était au courant des détails de sa plainte. On peut ensuite y lire ceci :

[traduction] Après en avoir longuement délibéré et avoir tenu une table ronde, les sept membres du conseil, dont moi-même en qualité de chef, sont parvenus à un consensus quant aux mesures à prendre. S’agissant de la plainte, il a été décidé, à la suite de l’adoption d’une motion unanime, de prendre la mesure disciplinaire suivante en vertu de l’art. 16.02 de la Loi :

1.         à compter du 18 octobre 2011, vous êtes suspendu de vos fonctions sans traitement;

2.         le conseil demandera au Tribunal d’appel de vous démettre de vos fonctions de dirigeant conformément à l’art. 15.08 de la Loi.

III.             La question de compétence et la norme de contrôle applicable

[9]               Nul ne conteste le fait que le conseil de bande est un « office fédéral » au sens de l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales et que les décisions prises par lui sont assujetties au contrôle de la Cour fédérale conformément au paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales.

[10]           La norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale et de compétence est celle de la décision correcte.

[11]           En l’absence de manquement à l’équité procédurale ou d’erreur dans l’exercice de la compétence, le contrôle de la décision de démettre le demandeur de ses fonctions se ferait selon la norme de la décision raisonnable.

IV.             Les questions en litige

[12]           M. Weekusk fait valoir que le chef et la bande l’ont privé de l’application des principes de justice naturelle et d’équité procédurale, que la décision de le suspendre n’était pas raisonnable et que le Tribunal d’appel ne devrait pas instruire maintenant la requête dont il a été saisi puisqu’il n’a pris aucune mesure pendant près de trois ans.

[13]           Il sollicite une ordonnance qui annulerait la décision, interdirait au Tribunal d’appel d’examiner la requête visant à le démettre de ses fonctions et le réintégrerait dans son poste de conseiller.

[14]           M. Weekusk avance que le délai prévu au paragraphe 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, ch F‑7 n’empêche pas l’instruction de la présente demande de contrôle judiciaire puisqu’aucune ordonnance définitive n’a été rendue, le Tribunal d’appel n’ayant pas agi.

[15]           Le défendeur soutient que le chef et le conseil ont respecté toutes les exigences commandées par l’équité procédurale et que la décision rendue était raisonnable. Il reconnaît que le retard du Tribunal d’appel ne trouve aucune explication, mais il prétend que ce dernier conserve sa compétence en matière de règlement des différends et qu’il y a lieu de lui ordonner de statuer le plus rapidement possible sur la demande de destitution de M. Weekusk.

[16]           Le défendeur ajoute que la demande de contrôle judiciaire ne peut être instruite parce qu’elle a été présentée bien au-delà du délai prescrit par le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales et que le demandeur n’a pas demandé la prorogation de ce délai.

[17]           À titre subsidiaire, dans l’éventualité où l’argument du demandeur, à savoir qu’il n’y a pas eu ordonnance définitive et que la présente demande devrait suivre son cours, serait interprété comme une demande de prorogation de délai, le défendeur soutient que le demandeur n’a pas satisfait aux critères permettant à la Cour d’accorder une telle prorogation.

[18]           Selon les parties, les questions en litige sont les suivantes :

         La demande est-elle prescrite par application du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales du fait que le demandeur ne l’a pas présentée dans le délai imparti et n’a pas satisfait aux critères pouvant justifier une prorogation du délai?

         Les conseillers d’une bande ont-ils droit au respect de l’équité procédurale lorsqu’ils sont susceptibles d’être suspendus ou démis de leurs fonctions? Le cas échéant, le chef et le conseil ont‑ils violé les droits du demandeur en matière d’équité procédurale?

         La décision du chef et du conseil de suspendre le demandeur et de demander au Tribunal d’appel d’ordonner sa destitution était-elle raisonnable?

         Le Tribunal d’appel a-t-il encore la compétence voulue pour examiner la requête présentée par le chef en vue d’obtenir la destitution du demandeur? Autrement dit, peut‑on interdire au Tribunal d’appel d’examiner la requête en destitution présentée en décembre 2011 au motif qu’il n’a pris aucune mesure?

[19]           J’ajouterais la question suivante :

         Quelle est la réparation appropriée s’il y a eu manquement à l’équité procédurale ou si la décision est jugée déraisonnable?

La demande est-elle prescrite par application du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales du fait que le demandeur ne l’a pas présentée dans le délai imparti et n’a pas satisfait aux critères pouvant justifier une prorogation du délai?    

[20]           M. Weekusk prétend que le délai de trente jours à l’intérieur duquel doit être présentée une demande de contrôle judiciaire commence à courir à partir de la date du prononcé de la décision définitive et ajoute qu’en l’espèce, aucune décision définitive n’a été rendue.

[21]           Selon lui, puisque le Tribunal d’appel n’a pas tenu d’audience et ne s’est pas prononcé sur la requête présentée par le chef Wapass en décembre 2011, l’affaire est toujours en instance et le délai de prescription ne s’applique pas.

[22]           M. Weekusk soutient que la décision de le suspendre de ses fonctions constituait une mesure temporaire qui devait s’appliquer jusqu’à ce que le Tribunal d’appel se prononce au sujet de sa destitution définitive. Si le Tribunal d’appel avait rendu une décision, il se serait agi d’une ordonnance définitive, mais il n’a rien fait.

[23]           À cet égard, il invoque la décision Banque de Montréal c Payne, 2012 CF 431, 2012 CLLC 210-036 (Banque de Montréal), dans laquelle la Cour a signalé que le délai fixé pour la présentation d’une demande de contrôle judiciaire ne commençait à courir qu’à partir du moment où la décision définitive était rendue et qu’une décision n’était pas définitive tant que l’arbitre n’avait pas arrêté les mesures de réparation à accorder. De même, le demandeur signale que dans Association des sourds du Canada c Canada, 2006 CF 971, [2007] 2 RCF 323 (Association des sourds du Canada), la Cour a conclu que la question en était une qui se poursuivait, de sorte que le délai de prescription ne s’appliquait pas.

[24]           M. Weekusk affirme que les retards inhabituels lui ont causé un préjudice du fait qu’il a été empêché de remplir ses fonctions d’élu et n’a pas eu la possibilité de contester la décision ou de répondre aux allégations formulées contre lui. Selon lui, cette situation est injuste et elle soulève une question sérieuse qu’il convient d’examiner dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

[25]           Le défendeur fait valoir que la décision, de fait, était définitive; il ajoute que la demande de contrôle judiciaire a été présentée après le délai prescrit par la loi et que rien ne justifie la prorogation de ce délai.

[26]           Le défendeur prétend que la décision rendue par le chef et le conseil le 18 octobre 2011 était définitive. À titre subsidiaire ou supplétif, le défendeur soutient que le chef et le conseil ont rendu deux décisions définitives distinctes : celle de suspendre le demandeur et celle de demander au Tribunal d’appel de le démettre de ses fonctions.

[27]           Le défendeur fait valoir que le Tribunal d’appel ne peut se prononcer sur la décision de suspendre le demandeur, celui‑ci n’ayant pas fait appel de sa suspension devant lui. Le rôle du Tribunal se limite donc à l’examen de la requête en destitution du demandeur présentée par le chef et le conseil.

[28]           Le défendeur soutient que le demandeur aurait pu faire appel de sa suspension devant le Tribunal et qu’il aurait pu, de la même façon, solliciter le contrôle judiciaire de cette décision de le suspendre dans le délai de trente jours qui lui était alloué, mais il ne l’a pas fait.

[29]           De l’avis du défendeur, la loi électorale de la Première Nation Thunderchild ne dit nulle part qu’une décision n’est pas définitive tant que le Tribunal d’appel ne l’a pas examinée.

[30]           Le défendeur souligne que la décision a été rendue le 18 octobre 2011 et communiquée au demandeur le 20 octobre 2011. Ainsi, le délai de trente jours imparti au demandeur pour la présentation d’une demande de contrôle judiciaire a commencé à courir le 20 octobre 2011. Or, le demandeur a déposé sa demande le 29 octobre 2013 sans présenter de requête en prorogation du délai.

[31]           Cela dit, le défendeur soutient que si la Cour devait conclure que le demandeur a implicitement demandé la prorogation du délai, celle‑ci ne devrait pas lui être accordée puisqu’il ne s’est pas acquitté du fardeau de convaincre la Cour qu’une telle prorogation est justifiée au regard des facteurs que cette dernière a établis dans la décision Canada (Procureur général) c Larkman, 2012 CAF 204, [2012] 4 CNLR 87 (Larkman).

[32]           Selon le défendeur, le demandeur n’a pas fait la preuve de continuité dans son intention de présenter la demande. Même après avoir déposé son avis de différend au Tribunal d’appel, il pouvait demander un contrôle judiciaire et aurait dû le faire.

[33]           Le défendeur fait également valoir que le demandeur n’a pas fourni d’explication raisonnable pour son long retard. S’il avait été réellement déterminé à réintégrer ses fonctions de conseiller, il aurait agi plus tôt. Laisser entendre qu’il attendait la décision du Tribunal d’appel ne constitue pas une explication valable.

[34]           Le défendeur ajoute que l’incertitude causée par ce retard a porté préjudice au conseil de bande et qu’il n’y a aucun fondement possible pour présenter la demande de contrôle judiciaire.

La demande n’est pas prescrite

[35]           La décision rendue par le chef et le conseil le 18 octobre 2011 constitue une seule et même décision comportant deux parties, ou entraînant deux conséquences : la suspension du demandeur de ses fonctions de conseiller/dirigeant sans traitement et la présentation d’une requête au Tribunal d’appel afin d’obtenir sa destitution définitive.

[36]           Les deux parties de la décision procèdent des mêmes motifs ou allégations tirant principalement leur origine de la plainte formulée par Theresa Horse.

[37]           Il est vrai que le demandeur aurait pu demander le contrôle judiciaire de la décision rendue le 18 octobre 2011 à cette époque, mais il était à juste titre hésitant quant aux démarches à effectuer ensuite, étant donné que le chef et le conseil avaient ordonné sa suspension en plus de demander sa destitution définitive au Tribunal d’appel. De façon générale, la suspension est, par sa nature, une mesure temporaire.

[38]           De l’avis du défendeur, le demandeur aurait pu à la fois demander le contrôle judiciaire de sa suspension et faire appel de cette décision au Tribunal d’appel alors que ce dernier était également saisi de la requête visant à le démettre de ses fonctions.

[39]           À mon sens, si le demandeur devait solliciter le contrôle judiciaire alors que la requête en destitution présentée par le chef était en instance devant le Tribunal d’appel, il en résulterait un dédoublement ou un chevauchement de recours découlant des mêmes circonstances.

[40]           De plus, contrairement à ce qu’avance le défendeur, la loi électorale de la Première Nation Thunderchild ne semble pas prévoir la possibilité pour la partie concernée de faire appel de la décision. En fait, selon l’article 16.03, seul le plaignant peut interjeter appel si le conseil ne donne pas suite à cette plainte.

[41]           La loi électorale de la Première Nation Thunderchild prévoit un droit d’appel à l’encontre des résultats d’une élection en son article 14, mais ces dispositions ne trouvent pas application en l’espèce.

[42]           L’article 15 régit les procédures de démission et de destitution. L’article 15.06 énonce les motifs de destitution, dont la violation du serment d’allégeance et le fait de ne pas assister à trois assemblées consécutives sans motif valable. L’article 15.8 prévoit que la destitution ou la suspension du chef ou d’un dirigeant s’obtient par la présentation d’une requête au Tribunal d’appel ou à un électeur et indique la procédure à suivre.

[43]           L’article 16 porte sur les mesures disciplinaires et énonce la procédure que doit suivre un électeur ou un groupe d’électeurs pour présenter une plainte au conseil concernant la conduite du chef ou d’un dirigeant. Lorsqu’il reçoit une plainte, le conseil détermine s’il lui faut rencontrer le plaignant et, le cas échéant, il fixe la date et l’heure de cette rencontre. Le conseil peut aussi demander des précisions au sujet de la plainte, ou encore rendre une décision écrite et exposer les mesures devant être prises.

[44]           L’article 16.02 précise quelles peuvent être les conséquences d’une décision relative à une plainte.

[45]           La décision rédigée par le conseil en réponse à une plainte peut comporter les éléments suivants :

[traduction]

a)         la décision de ne prendre aucune mesure;

b)         la prise de mesures disciplinaires à l’encontre des personnes visées par la plainte, lesquelles mesures peuvent comprendre la suspension sans traitement, un changement de portefeuilles, l’obligation de présenter des excuses ou toute autre mesure disciplinaire que le conseil estime être dans l’intérêt véritable de la Première Nation Thunderchild;

c)         la présentation au Tribunal d’appel d’une requête visant l’obtention d’une ordonnance de destitution des personnes visées par la plainte aux frais de la Première Nation Thunderchild.

[46]           L’article 16.03 précise que le plaignant peut interjeter appel devant le Tribunal d’appel si aucune mesure n’est prise, mais, fait étonnant, aucune disposition de la loi en question ne traite de la question de savoir si la personne concernée par une décision rendue par le conseil dans le cadre d’une plainte peut elle aussi interjeter appel au Tribunal d’appel.

[47]           La décision rendue est consécutive au dépôt d’une plainte sous le régime de l’article 16. Bien que le chef ait présenté sa requête au Tribunal d’appel en vertu de l’article 15.08, cette requête découlait principalement, elle aussi, de cette même plainte.

[48]           Le Thunderchild First Nation Appeal Tribunal Act, soit la loi constituant le tribunal, prévoit ce qui suit en son article 2.01 :

[traduction] Est constitué et maintenu un tribunal d’appel ayant compétence pour instruire et juger tout différend dont il est saisi relativement à toute affaire survenant dans le territoire de la Première Nation Thunderchild et relevant de la compétence de la Première Nation Thunderchild et tranchée conformément à la Constitution ou à toute autre loi de la Première Nation Thunderchild, au moyen de recours et de procédures qui soient justes, équitables et impartiaux et en conformité avec les lois de la Première Nation Thunderchild.

[49]           La loi sur le Tribunal d’appel traite en long et en large de la composition, du processus judiciaire, de la procédure et des pouvoirs du Tribunal d’appel. Par contre, elle n’impose pas de délai au Tribunal pour statuer sur une demande, pas plus qu’elle ne prévoit de moyen d’appel pour la personne touchée par une décision rendue par le conseil à l’égard d’une plainte.

[50]           Bien que je sois d’avis que la décision rendue par le chef et le conseil le 18 octobre 2011 avait un caractère définitif et que le demandeur aurait pu en demander le contrôle judiciaire à l’époque, je reconnais qu’il était raisonnable pour le demandeur de présumer que le Tribunal d’appel se pencherait sur la question de sa destitution définitive, qui était l’une des conséquences de cette même plainte et découlait de sa suspension.

[51]           Concernant le fait que le demandeur s’appuie sur le jugement Banque de Montréal pour affirmer que le délai de présentation d’une demande de contrôle judiciaire ne commence à courir qu’après le prononcé d’une ordonnance définitive, mentionnons que, dans cette affaire, il était plus évident que la décision en cause tenait de l’ordonnance à deux volets et que celle‑ci ne pouvait être définitive ou complète tant que la Cour ne s’était pas prononcée sur la réparation à accorder.

[52]           Sur la question du délai, le juge Rennie avait ceci à dire :

[16]      C’est une question qui, à mon sens, peut être tranchée rapidement. Il est de jurisprudence constante que le délai prévu au paragraphe 18.1(2) ne commence à courir que lorsque la décision définitive a été rendue dans l’instance : voir Zündel c Canada (Commission des droits de la personne), [2000] 4 CF 255, au paragraphe 17. Si ce n’était pas le cas, la Cour serait continuellement saisie de multiples demandes de contrôle judiciaire entraînant le dédoublement de documents et des frais inutiles. Cette approche morcelée ne serait guère propice au règlement du litige.

[17]      Dans la présente affaire, je constate que l’arbitre n’a rendu sa décision définitive que le 26 avril 2011 et que ses deux « décisions » constituaient en fait les deux parties d’un tout. Je souligne également que ce point n’a pas été plaidé avec insistance lors de l’audience devant la Cour. De plus, compte tenu du malentendu qui existait entre l’arbitre et les avocats à propos de l’état de l’affaire à la conclusion de la présentation de la preuve au fond, il va de soi que l’autorisation de proroger le délai de présentation doit être accordée si cela est nécessaire.

[53]           Bien qu’il soit possible d’établir une distinction entre la présente affaire et Banque de Montréal, les deux font intervenir un principe analogue. Comme c’était le cas dans Banque de Montréal, j’estime qu’il y a eu une seule décision comportant deux parties. Cela dit, en l’espèce, les deux parties de la décision ont revêtu un caractère définitif à la même date. Je reconnais également que l’adoption d’une approche morcelée susceptible d’entraîner, et ce, alors que le Tribunal d’appel demeure saisi de la question de la destitution, le contrôle judiciaire de la suspension, lui‑même potentiellement suivi du contrôle judiciaire de la décision du Tribunal d’appel – à supposer qu’il se prononce – donnerait lieu à plusieurs demandes de contrôle judiciaire reposant sur les mêmes faits ainsi qu’à des frais inutiles. Une telle situation risquerait en outre de faire perdurer le sentiment d’incertitude et de tension qui règne au sein de la communauté.

[54]           En ce qui concerne le jugement Association des sourds du Canada, que le demandeur invoque pour étayer son argument voulant que le délai de présentation d’une demande de contrôle judiciaire ne commence pas à courir si l’affaire devant faire l’objet du contrôle se poursuit, il peut être distingué parce qu’il portait sur une politique et sur des allégations de discrimination systémique qui se poursuivait. Dans ses motifs, la Cour a souligné que les demandeurs sollicitaient pour toute réparation un jugement déclaratoire et que cela n’avait pas trait à la décision ou à l’ordonnance d’un tribunal, de sorte que le délai de trente jours ne s’appliquait pas. En l’espèce, l’objet du contrôle est une décision du conseil, et non une politique ou un problème systémique.

[55]           Ainsi, même si en concluant qu’une seule ordonnance a été rendue le 18 octobre 2011 et qu’elle était définitive, je devrais être amenée à conclure également que le délai imparti pour demander un contrôle judiciaire a commencé à courir à cette date, j’estime par ailleurs qu’il est justifié de proroger ce délai pour permettre au contrôle judiciaire d’avoir lieu.

Une prorogation de délai est accordée

[56]           Le demandeur n’a certes pas présenté de requête officielle en vue d’obtenir la prorogation du délai de présentation de sa demande de contrôle judiciaire, mais en déposant la présente demande et en expliquant pourquoi il ne l’avait pas fait plus tôt, il est parvenu, au moyen de son dossier, et ne serait-ce que de manière implicite, à établir que la demande devrait suivre son cours.

[57]           Au paragraphe 61 de l’arrêt Larkman, la Cour d’appel s’est penchée sur les facteurs à prendre en compte dans le cadre de l’examen d’une demande de prorogation de délai. Ainsi, elle relève le fait que les parties s’entendent pour dire que les questions suivantes sont pertinentes lorsqu’il s’agit pour la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour décider s’il y a lieu d’accorder telle prorogation de délai :

(1)        Le requérant a-t-il manifesté une intention constante de poursuivre sa demande?

(2)        La demande a-t-elle un certain fondement?

(3)        La Couronne a-t-elle subi un préjudice en raison du retard?

(4)        Le requérant a-t-il une explication raisonnable pour justifier le retard?

[58]           Au paragraphe 62, la Cour d’appel souligne que ces principes orientent la Cour et l’aident à déterminer si l’octroi d’une prorogation de délai est dans l’intérêt de la justice. Elle a expliqué que l’importance de chacun de ces facteurs dépendait des circonstances de l’espèce, étant entendu que certains d’entre eux pouvaient l’emporter sur d’autres ou faire contrepoids et que d’autres considérations pouvaient se révéler pertinentes. Puis elle a insisté sur un fait, à savoir que « la considération primordiale est celle de savoir si l’octroi d’une prorogation de délai serait l’intérêt de la justice ».

[59]           Selon la Cour d’appel, l’importance du délai de trente jours était rattachée à la nécessité de garantir le caractère définitif des décisions, de façon à ce que les parties puissent tenir pour acquis qu’à l’expiration de ce délai, la décision sera maintenue. Or, d’après les faits de l’espèce, les questions du caractère définitif et de la certitude ne figuraient pas au sommet des préoccupations. Dans l’ensemble, la considération dominante était qu’il allait de l’intérêt de la justice de permettre le contrôle judiciaire.

[60]           Dans la décision Belgarde c Poitras, 2009 CF 968, 2009 ACF no 1179, le juge Zinn, saisi d’une question du même ordre, fait les remarques suivantes :

[35]      En général, la Cour a prorogé les délais lorsque la prorogation était nécessaire pour assurer que justice soit rendue entre les parties, après avoir tenu compte de la question de savoir si le demandeur a une cause défendable à faire valoir, s’il avait toujours l’intention de contester la décision, s’il a fourni une explication raisonnable pour justifier le temps qu’il a mis avant de présenter la demande et si le défendeur pourrait subir un préjudice indu.

[61]           M. Weekusk a établi que son retard était motivé puisqu’il s’attendait à ce que le Tribunal d’appel convoque une audience. Dans son affidavit, il dit avoir communiqué avec le président du Tribunal d’appel pour savoir quand aurait lieu l’instruction de la requête visant à le démettre de ses fonctions. Il n’avait jamais obtenu de réponse.

[62]           L’avis de différend qu’il a déposé au Tribunal d’appel est la preuve de son intention de contester, à tout le moins, la partie de la décision portant sur sa destitution possible. Comme nous l’avons déjà vu, la loi électorale de la Première Nation Thunderchild ne lui permet pas de faire appel de la décision de le suspendre prise par suite du dépôt d’une plainte sous le régime de l’article 16.

[63]           Le défendeur prétend avoir subi un préjudice du fait du retard; toutefois, il n’a produit aucune preuve à cet égard. 

[64]           J’estime par ailleurs possible que la demande soit fondée et, partant, je conclus qu’il est dans l’intérêt de la justice d’instruire la demande.

[65]           Par conséquent, la Cour exerce le pouvoir discrétionnaire que lui confère la Loi sur les Cours fédérales et proroge le délai pour le dépôt de la présente demande de contrôle judiciaire.

Les conseillers d’une bande ont-ils droit au respect de l’équité procédurale lorsqu’ils sont susceptibles d’être suspendus ou démis de leurs fonctions? Le cas échéant, le chef et le conseil ont‑ils violé les droits du demandeur en matière d’équité procédurale?

[66]           Le demandeur soutient qu’un tribunal est tenu de respecter les règles de l’équité procédurale chaque fois qu’il rend une décision touchant les droits, privilèges ou intérêts d’une personne; il reconnaît par ailleurs que la portée de cette obligation varie selon le contexte. L’équité procédurale commande tout au moins de donner aux personnes touchées la possibilité de participer au processus, à savoir d’en être avisées et de pouvoir connaître les allégations et y répondre (Sparvier c Bande indienne Cowesses no 73, [1993] 3 CF 142 (1re inst.), [1994] 1 CNLR 182; Laboucan c Nation crie de Little Red River no 447, 2010 CF 722, [2010] 4 CNLR 84, conf. par 2011 CAF 87, 199 ACWS (3d) 3; Desnomie c Première nation de Peepeekisis, 2007 CF 426, 157 ACWS (3d) 231; Ballantyne c Nasikapow, [2001] 3 CNLR 47).

[67]           Selon le demandeur, le chef et la bande auraient manqué à l’obligation d’équité procédurale lorsqu’ils ont procédé à l’examen de la plainte de Theresa Horse et décidé de le suspendre et de demander sa destitution au Tribunal d’appel. Cette décision a eu un impact sur ses revenus et sur sa réputation au sein de la communauté.

[68]           Le demandeur fait valoir qu’on n’a pas réellement cherché à l’aviser autrement que par l’envoi d’un message texte qu’il n’a d’ailleurs pas reçu, car son téléphone cellulaire était en panne. Il souligne qu’il habite la même résidence depuis des décennies, mais qu’aucun effort n’a été fait pour lui signifier un avis à domicile ou l’appeler en utilisant sa ligne téléphonique fixe. Il ajoute que même s’il avait été au courant de l’ordre du jour de la réunion du 18 octobre 2011 du conseil, cela n’aurait pas suffi à l’informer de la nature des enjeux.

[69]           Le défendeur maintient qu’il s’est acquitté de son devoir d’agir équitablement. Le chef et le conseil ont suivi le processus prévu dans la loi électorale de la Première Nation Thunderchild. Cette loi ne prévoit pas l’obligation d’aviser la personne désignée dans la plainte.

[70]           Le défendeur soutient que les réunions du conseil ont régulièrement lieu le troisième jeudi du mois et qu’en général, l’usage consiste à envoyer par message texte aux membres du conseil un avis de la réunion ainsi que l’ordre du jour. Le demandeur le savait pertinemment. L’excuse qu’il évoque, la panne de son téléphone cellulaire, n’est pas crédible.

[71]           Le défendeur laisse entendre que le demandeur ne s’est pas acquitté de ses responsabilités d’élu; par son serment d’allégeance, il s’est engagé à s’efforcer d’assister aux réunions et à se tenir au courant des dates et de l’ordre du jour des réunions. 

[72]           Le défendeur admet que ni l’avis concernant la tenue de la réunion du 18 octobre 2011 ni l’ordre du jour afférent ne faisaient explicitement mention de la plainte formulée par Theresa Horse à l’encontre du demandeur; et qu’ils faisaient plutôt référence, en termes généraux, à une plainte déposée en vertu de la loi électorale de la Première Nation Thunderchild. Toutefois, le défendeur prétend que rien ne prouve que le demandeur aurait été empêché de présenter des observations en réponse à la plainte s’il s’était présenté à la réunion.

[73]           Le défendeur soutient en outre que même si l’avis donné était insuffisant, et même en présumant que le demandeur n’a pas eu la possibilité de répondre aux allégations, la Cour devrait s’en remettre à la décision rendue par le conseil.

Il y a eu violation des droits du demandeur à l’équité procédurale

[74]           Le demandeur n’a pas été valablement avisé de la tenue d’une réunion lors de laquelle une plainte formulée contre lui a été examinée et qui a abouti à la décision de le suspendre de ses fonctions et de demander sa destitution définitive au Tribunal d’appel.

[75]           Il est vrai que la loi électorale de la Première Nation Thunderchild ne traite pas de l’obligation d’aviser la personne qui est désignée dans une plainte ou dont les intérêts sont en jeu ni de la nécessité de la faire participer au processus, mais il s’agit là, sur le plan de l’équité procédurale, de droits fondamentaux que le silence de la loi applicable ne peut éclipser.

[76]           Le défendeur reconnaît qu’aucun avis valable n’a été donné. Il était simplement fait mention, à l’ordre du jour, d’une [traduction] « plainte déposée en vertu de la loi électorale de la Première Nation Thunderchild », ce qui ne permettait pas au demandeur de savoir que la plainte le visait. Même s’il avait agi plus diligemment en prenant note de la régularité des réunions du conseil ou en faisant des efforts raisonnables pour s’enquérir de la tenue de la prochaine réunion, il n’en demeure pas moins qu’il n’a pas été informé de ce qui était en jeu, qu’il ne connaissait pas la teneur des allégations le visant et n’a pas eu la possibilité d’y répondre ou de les contester. Le conseil a procédé à l’examen d’une plainte dont le dépôt remontait à seulement quatre jours en l’absence de M. Weekusk et il lui a imposé des sanctions.

[77]           La loi électorale de la Première Nation Thunderchild ne prévoit pas de droit pour le demandeur de faire appel de la décision. La requête que le chef et le conseil ont déposée auprès du Tribunal d’appel en vue d’obtenir la destitution définitive du demandeur est toujours pendante, ce qui fait perdurer la situation dans laquelle se trouve ce dernier, privé qu’il est de toute possibilité de contester cette décision ou de répondre aux allégations figurant dans la plainte. 

[78]           L’équité procédurale commande au minimum de remettre un avis valable à la personne dont les droits et les intérêts sont en jeu afin qu’elle soit au courant des allégations précises qui pèsent contre elle et qu’elle ait une possibilité raisonnable de répondre à ces allégations et de se faire entendre par le décideur avant qu’il ne rende une décision définitive.

[79]           Le défendeur n’a pas même respecté les exigences les plus élémentaires de l’équité procédurale. Contrairement à ce qu’il prétend, la Cour ne peut s’en remettre à la décision du conseil si cette dernière a été prise sans que les règles d’équité procédurale soient respectées. La norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte. Il s’ensuit que la décision ne peut être maintenue.

La décision du chef et du conseil de suspendre le demandeur et de demander au Tribunal d’appel d’ordonner sa destitution était-elle raisonnable?

[80]           Le demandeur soutient que si la Cour devait tenir compte du caractère raisonnable de la décision, elle devrait conclure à l’insuffisance de motifs justifiant sa suspension. Dans sa plainte, Mme Horse alléguait qu’il avait manqué à son serment d’allégeance. Or, les actes précis qui lui sont reprochés dans la plainte, dont le fait de ne pas avoir assisté aux activités communautaires, n’ont rien à voir avec ce serment d’allégeance

[81]           Le demandeur souligne que l’article 16.02 de la loi électorale offre plusieurs possibilités en matière disciplinaire, la suspension étant la plus sévère. Or, sa suspension indéfinie équivaut à une destitution. À son article 15, cette même loi prévoit qu’il doit y avoir remise d’un avis et tenue d’une audience avant qu’un conseiller puisse être démis de ses fonctions; cette procédure n’a pas été respectée.

[82]           Le défendeur soutient que la décision de suspendre le demandeur appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[83]           Il prétend que la décision en question reposait à la fois sur la plainte de Mme Horse et  le fait que le demandeur avait l’habitude de ne pas assister aux réunions du conseil. Il ajoute qu’il y a lieu de donner une interprétation libérale au contenu du serment d’allégeance et d’y voir l’expression implicite du devoir qui incombe aux conseillers d’être présents aux réunions et de représenter la communauté lors de manifestations culturelles et d’activités communautaires. Le défendeur soutient que, suivant l’article 16.02 de la loi électorale de la Première Nation Thunderchild, trois choix s’offraient au conseil et que celui‑ci a respecté toutes les étapes requises avant d’opter, raisonnablement, pour la suspension et le renvoi du dossier au Tribunal d’appel.

Nul besoin d’examiner le caractère raisonnable de la décision

[84]           Je souscris au point de vue du demandeur lorsqu’il affirme que la question du caractère raisonnable d’une décision ne se pose que si cette dernière a été rendue dans le respect des principes d’équité procédurale.

[85]           Puisque j’ai conclu que le chef et le conseil avaient manqué à leur obligation d’agir équitablement envers le demandeur, la décision est annulée et il n’est pas nécessaire de se demander si elle était raisonnable.

[86]           Le défendeur laisse entendre que la décision serait par ailleurs raisonnable, mais j’estime que le dossier dont dispose la Cour renferme trop peu d’information pour lui permettre de déterminer si cette décision appartient aux issues possibles acceptables.

[87]           Le dossier comporte pour toute information la décision rendue, la plainte sur laquelle elle est fondée et une brève mention du résultat au procès‑verbal de la réunion. La plaignante n’a pas été convoquée afin d’étayer ses allégations et la décision indique que les membres du conseil ont débattu de l’affaire entre eux et sont arrivés à une décision fondée sur ce qu’ils en connaissaient. Il serait impossible de dire à quels éléments de preuve le conseil s’en est remis pour parvenir à sa décision ni si cette décision était raisonnable. 

Le Tribunal d’appel a-t-il encore la compétence voulue pour examiner la requête présentée par le chef en vue d’obtenir la destitution du demandeur? Autrement dit, peut‑on interdire au Tribunal d’appel d’examiner la requête en destitution présentée en décembre 2011 au motif qu’il n’a pris aucune mesure?

[88]           Selon le défendeur, puisque l’argumentation du demandeur repose sur le fait qu’il n’a pas eu la possibilité de répondre aux allégations et de présenter ses observations au chef et au conseil, la réparation appropriée consisterait à ordonner au Tribunal d’appel d’instruire sans délai la requête en destitution afin de lui fournir cette possibilité.

[89]           Le défendeur soutient qu’il n’est pas indiqué de rendre une ordonnance interdisant au Tribunal d’appel de donner suite à la requête puisque ce dernier n’a ni outrepassé sa compétence ni abusé de ses pouvoirs et que son retard ne l’empêchera pas de remplir correctement son mandat conformément aux exigences de la justice naturelle (Lignes aériennes Canadien International Ltée c Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 1 CF 638, 192 NR 74 (CA)).

La requête présentée au Tribunal d’appel fait partie de la décision visée par l’annulation

[90]            Puisque j’ai conclu qu’il n’y avait qu’une seule et unique décision – la suspension et la présentation au Tribunal d’appel d’une requête en destitution définitive du demandeur – et que cette décision est annulée pour cause de manquement à l’équité procédurale, la requête présentée au Tribunal d’appel ne peut suivre son cours.

[91]           Même si, en vertu de sa loi habilitante, le Tribunal d’appel semble être investi de larges pouvoirs en matière de règlement des différends et que ses solutions sont peut-être susceptibles d’être plus facilement acceptées par la communauté, il ne peut absolument pas se saisir d’une requête ayant pour origine une décision rendue en violation de l’équité procédurale.

Quelle est la réparation appropriée?

[92]           La décision du chef et du conseil datée du 18 octobre 2011 est annulée; autrement dit, elle doit être écartée.

[93]           Le chef et le conseil doivent procéder à un nouvel examen de la plainte déposée par Theresa Horse et, dans le cadre de ce nouvel examen, ils doivent veiller à offrir au demandeur les garanties qui s’imposent en matière d’équité procédurale. Même si le terme est d’ordre juridique et qu’il existe une abondante jurisprudence traitant de la portée de cette obligation qui varie en fonction du contexte, le sens de cette notion est simple et correspond au final aux principes de base de l’équité. Au minimum, le demandeur doit être informé des allégations particulières qui pèsent contre lui, recevoir un préavis raisonnable du moment où le conseil se réunira pour examiner ces allégations et avoir la possibilité d’assister à la réunion et de répondre aux allégations, notamment en interrogeant Mme Horse à leur sujet. Avant de rendre une décision, le chef et le conseil doivent entendre et étudier la plainte ainsi que les observations de M. Weekusk.

[94]           En outre, le chef et le conseil doivent examiner les dispositions de la loi électorale de la Première Nation Thunderchild et déterminer en quoi les allégations particulières formulées par Mme Horse se rapportent à un manquement au serment d’allégeance de la part du demandeur, le cas échéant.

[95]           Tout autre recours disciplinaire envisagé contre M. Weekusk, par exemple au motif qu’il n’a pas assisté aux réunions du conseil, doit être poursuivi en conformité avec les dispositions applicables de la loi électorale de la Première Nation Thunderchild et dans le respect des règles d’équité procédurale.

[96]           Il serait sage, par ailleurs, que le chef et le conseil s’interrogent sur la façon dont ils pourraient, à l’avenir, documenter la preuve et l’information examinées dans le cadre d’une plainte, en vue de se préparer à un éventuel contrôle judiciaire du caractère raisonnable de leurs décisions.

[97]           Bien que ces directives s’appliquent de manière particulière à la plainte formulée par Mme Horse contre M. Weekusk, la bande et le conseil devraient également veiller à ce que toute personne dont les droits et intérêts pourraient être compromis par une plainte présentée en vertu de la loi électorale de la Première Nation Thunderchild soit traitée conformément aux exigences fondamentales de l’équité procédurale.

V.                Conclusion

[98]           La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision est renvoyée au chef et au conseil pour nouvel examen.

[99]           Le demandeur a droit aux dépens raisonnables de sa demande, lesquels seront d’un montant fixe. Il disposera de vingt et un jours, à compter de la date du présent jugement, pour présenter ses observations au sujet de la question des dépens. Les défendeurs auront quinze jours pour y répondre.

[100]       Les défendeurs avancent que le demandeur a fait des allégations qui ne sont pas étayées par la preuve concernant la tension ou les divisions qui règnent au sein de la communauté et qu’il convient de lui imposer une sanction sous forme de dépens.

[101]       Je ne suis pas d’accord pour dire que des allégations non fondées ont été faites. Personne ne semble mettre en doute le fait que la situation est tendue dans la communauté. La décision rendue le 18 octobre 2011 par le chef et le conseil fait allusion au fait que la communauté est divisée depuis l’élection. Dans sa plainte, Theresa Horse parle également de « divisions parmi les dirigeants et dans la communauté ».

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.      Le demandeur a droit aux dépens raisonnables de la demande.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

S. Tasset

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

T-1776-13

 

INTITULÉ :

IVAN WEEKUSK c LE CHEF DELBERT WAPASS, LE CONSEIL DE BANDE DE LA PREMIÈRE NATION THUNDERCHILD et LE TRIBUNAL D’APPEL DE LA PREMIÈRE NATION THUNDERCHILD

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Saskatoon (Saskatchewan)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 AOÛT 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 5 SEPTEMBRE 201

 

COMPARUTIONS :

Markel Chernenkoff

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Christopher Boychuk, c.r.

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MacPherson Leslie & Tyerman LLP

Avocats

Saskatoon (Saskatchewan)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

McDougall Gauley LLP

Avocats

Saskatoon (Saskatchewan)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.