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Date : 20140923


Dossier : IMM-7630-13

Référence : 2014 CF 913

Ottawa (Ontario), le 23 septembre 2014

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

FRANCISKA SPASOJA

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La demanderesse, Mme Franciska Spasoja, veut obtenir le contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] qui avait confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR], la considérant raisonnable. La demande de contrôle judiciaire est faite en vertu de l’article 72 de la Loi sur limmigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [la Loi].

[2]               La seule question devant la Cour consiste en l’évaluation du rôle que joue la SAR lorsqu’elle entend l’appel de la décision de la SPR. Comme on le verra, la SAR a choisi en l’espèce de poser en quelque sorte en cour de révision. La question qui se pose est de savoir si cette approche est conforme à la législation, adoptée en 2001, 2010 et 2012 mais mise en vigueur par le gouvernement uniquement le 15 décembre 2012 (SI/2012-94).

[3]               Étant donné la question qui est posée, les faits de l’affaire n’ont que peu d’importance. La demanderesse n’a d’ailleurs pas tenté d’argumenter sur la base des faits particuliers de cette affaire. On prétend plutôt ne pas avoir eu droit à l’appel que la Loi lui accorde. Elle demande donc d’être entendue par la SAR sur la base appropriée, qui n’est pas celle de la déférence qui accompagne le standard de la raisonnabilité choisi par celle-ci.

I.                   Faits

[4]               La demanderesse est Kosovare et Serbe. Elle est de religion catholique. Elle dit craindre la persécution dans son pays de citoyenneté, le Kosovo, parce que la population musulmane contesterait son mode de vie qui serait soupçonné d’être homosexuel puisqu’elle est célibataire et aurait un cercle d’amis composé surtout de femmes. Elle aurait subi des menaces et fait l’objet de discrimination, notamment en matière d’emploi.

II.                Décision sous étude

[5]               La décision dont on demande contrôle judicaire est celle de la Section d’appel des réfugiés. Dans des motifs très bien articulés, la SAR cherche à déterminer quelle est la portée des appels qu’elle doit entendre. Reconnaissant d’emblée qu’il ne s’agit pas du contrôle judiciaire exercé par les tribunaux judiciaires, et que la Loi parle bien d’un appel, la SAR semble trouver inspiration dans la décision de la Cour d’appel d’Alberta dans Newton v Criminal Trial Lawyers Association, 2010 ABCA 399 [Newton] pour se définir une norme de contrôle qui correspond à la norme de contrôle en matière de révision judiciaire.

[6]               Ainsi, la SAR veut reconnaître l’expertise de la SPR et veut donc adopter, pour les questions autres que de droit ou de justice naturelle (ce qui est maintenant contenu au sein de l’équité procédurale), la norme de la décision raisonnable. Elle se réclame pleinement de Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir] et de la jurisprudence de cette Cour pour définir sa « norme de contrôle ». La SAR conclut au paragraphe 25 :

[25]      En m’appuyant sur le raisonnement de la Cour d’appel de l’Alberta et sur les facteurs identifiés dans son analyse de l’affaire Newton, et en y apportant les adaptations nécessaires au contexte particulier qui est celui de la SPR et de la SAR, j’estime que, sauf pour une question strictement de droit et sauf pour une question de justice naturelle, il convient pour nous, membres de la SAR, d’adopter la même déférence envers les décisions de la SPR. À vrai dire, cette déférence est la même que celle s’imposant aux cours de justice envers des décideurs de première instance lorsqu’il s’agit d’une question de fait ou d’une question de droit et de fait.

De fait, la SAR définit sa norme dans les mêmes termes que Dunsmuir, et en citant l’arrêt au maintenant célèbre paragraphe 47. Il semble par ailleurs que la SAR choisisse la norme de la décision correcte pour les questions de droit, à la différence des contrôles judiciaires où la présomption est qu’une question de droit est aussi soumise au standard de la décision raisonnable (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 RCS 654, au para 34; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c Canada (Procureur général), 2014 CSC 40 [CN c Canada], au para 55) quand le tribunal administratif interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat. Pour ce qui est des quatre types de questions de droit dégagés dans Dunsmuir, précité, qui commandent une norme de contrôle de la décision correcte, il semble que tous s’entendent pour reconnaître que ce serait le standard approprié pour la SAR comme pour les tribunaux judiciaires.

III.             Norme de contrôle et analyse

[7]               Mon collègue le juge Michael Phelan a rendu le 22 août dernier une décision qui traite des mêmes questions qui sont soulevées en l’espèce (Huruglica c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 799 [Huruglica]). Dans cette affaire, la SAR avait aussi conclu, sur la base de Newton, précité, qu’elle devait imposer une norme de contrôle de raisonnabilité. Le juge Phelan a quant à lui conclu que cette question de la norme applicable devait être examinée par cette Cour sur la base de la décision correcte parce qu’il s’agit d’une question d’intérêt général pour le système juridique qui déborde le domaine de spécialisation du tribunal administratif. Comme je l’ai déjà indiqué, on sait depuis Dunsmuir, précité, que peu de questions décidées par un tribunal administratif font l’objet d’un contrôle sur une base autre que la raisonnabilité, y compris les questions de droit. Le type de question dégagé par le juge Phelan est l’un de ceux-ci.

[8]               Les questions d’une importance capitale pour le système juridique sont partie de l’une des quatre catégories dégagées par la jurisprudence de la Cour suprême comme requérant la norme de la décision correcte qui est plus favorable à l’intervention judiciaire. Il me semble qu’on pourrait aussi se réclamer à cet égard d’une autre catégorie dégagée dans Dunsmuir :

[61]      La norme de la décision correcte s’est également appliquée à la délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents : Regina Police Assn. Inc. c. Regina (Ville) Board of Police Commissioners, [2000] 1 R.C.S. 360, 2000 CSC 14; Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Québec (Procureur général), [2004] 2 R.C.S. 185, 2004 CSC 39.

On pourrait probablement assimiler le standard en vertu duquel un tribunal administratif peut infirmer une décision d’un tribunal administratif autre à la « délimitation des compétences respectives » (en anglais « jurisdictional lines ») si on est prêt à admettre que les tribunaux dont il est question ici sont des tribunaux spécialisés concurrents, même s’ils font tous deux partie de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada.

[9]               Quant à moi, j’en serais venu au même résultat en appliquant la norme de la question raisonnable à la question du standard qui doit être appliqué par la SAR aux décisions de la SPR.

[10]           Récemment, la Cour suprême du Canada a conclu à une erreur de droit révisable dans une affaire où était en cause une loi d’accès à l’information. Dans Untel c Ontario (Finances), 2014 CSC 36 [Ontario (Finances)], la Cour suprême a rapidement conclu que l’interprétation donnée à deux mots («conseils» et « recommandations ») qui faisait en sorte qu’on leur donnait le même sens rendait l’interprétation suspecte et non raisonnable.

[24]      Or, il me semble que l’approche adoptée dans l’arrêt MOT et par l’arbitre ne permet pas d’attribuer des sens différents aux termes « conseils » et « recommandations ». Une recommandation, qu’elle soit explicite ou inférée, demeure une recommandation. Le « conseil » doit avoir un sens différent. Je conviens avec le juge Evans que, dans l’affaire 3430901 Canada Inc. c. Canada (Ministre de lIndustrie), 2001 CAF 254, [2002] 1 C.F. 421, par. 50 (« Telezone »), par sa décision de soustraire « avis [le terme employé dans le contexte fédéral] ou recommandations » à la communication, le législateur a dû vouloir que le terme « avis » ait un sens plus général que le terme « recommandations » (par. 50 (soulignement supprimé)). Sinon, il y aurait redondance. Parce qu’elle ne permet pas de distinguer les « conseils » des « recommandations », la décision de l’arbitre est déraisonnable.

[11]           En notre espèce, alors que la SAR prétend vouloir éviter de faire double emploi avec le rôle joué par la SPR, elle transforme en fait une juridiction d’appel en une révision judiciaire, utilisant la même jurisprudence tant de la Cour suprême que de cette Cour siégeant en révision judiciaire en matière d’immigration. La redondance que la SAR dit vouloir éviter avec la SPR est créée avec la révision judiciaire, qui doit être judiciaire, par définition, et non administrative. Cette façon de faire me paraîtrait tout aussi déraisonnable que l’interprétation donnée à deux mots dans l’arrêt Ontario (Finances). Ici, l’utilisation du terme « appel » et le régime d’appel déterminé par la Loi doivent recevoir une signification autre que de simplement s’appareiller au contrôle judiciaire. À mon sens, l’examen du texte de loi créant la SAR adopté pour l’essentiel en 2001, bien avant le sérieux coup de barre donné dans Dunsmuir, précité, et qui n’a été mis en vigueur que le 15 décembre 2012, doit être examiné de près pour dégager l’intention du législateur quant à ce qu’il entendait au sujet de cette juridiction d’appel.

IV.             Analyse

[12]           Pour ce qui est du résultat ultime, je partage l’avis de mon collègue le juge Phelan dans Huruglica, précité, que la SAR commet une erreur révisable, selon l’une ou l’autre des normes de contrôle, lorsqu’elle juge une décision de la SPR selon « la norme de la raisonnabilité plutôt qu’en procédant à un examen indépendant de la demande d’asile des demandeurs.» C’est aussi la conclusion à laquelle était arrivé Monsieur le juge Shore dans Alvarez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 702 et Eng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 711, les deux décisions rendues le 17 juillet dernier.

[13]           Je partage, dans une très grande mesure, l’analyse de la Loi à laquelle la Cour s’est livrée dans Huruglica, précité. Je mettrai en exergue certaines dispositions.

[14]           Ainsi, la Loi est sans équivoque dans les deux langues officielles. C’est d’une juridiction d’appel dont il est question et de rien d’autre. Le paragraphe 110(1) est rédigé de la façon suivante :

Appel

Appeal

110. (1) Sous réserve des paragraphes (1.1) et (2), la personne en cause et le ministre peuvent, conformément aux règles de la Commission, porter en appel — relativement à une question de droit, de fait ou mixte — auprès de la Section d’appel des réfugiés la décision de la Section de la protection des réfugiés accordant ou rejetant la demande d’asile.

110. (1) Subject to subsections (1.1) and (2), a person or the Minister may appeal, in accordance with the rules of the Board, on a question of law, of fact or of mixed law and fact, to the Refugee Appeal Division against a decision of the Refugee Protection Division to allow or reject the person’s claim for refugee protection.

[15]           La Loi nous éclaire aussi sur la façon dont la SAR doit se décharger de son mandat. L’appel procède sur la base du dossier et de nouvelle preuve documentaire, en plus bien sûr de recevoir les observations écrites des parties (para 110(3)). La nouvelle preuve qui n’existait pas au moment de l’audition devant la SPR, ou qui n’était pas accessible alors, est admissible en appel (para 110(4)). De fait, la Loi élargit même l’accessibilité en rendant admissibles les éléments de preuve qui étaient accessibles mais que la personne en cause « n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet ».

[16]           Dans le cas où une preuve documentaire est présentée en appel (paragraphe 110(3)), une audience pourra être tenue si cela soulève une question importante de crédibilité (en plus que les éléments de preuve documentaire soient essentiels pour la prise de la décision et justifieraient la demande d’asile ou son refus : paragraphe 110(6)).

[17]           Une caractéristique importante du régime législatif mis en place est la directive donnée par le Parlement quant aux décisions qui peuvent être rendues par la SAR. Je reproduis l’article 111 de la Loi :

Décision

Decision

111. (1) La Section d’appel des réfugiés confirme la décision attaquée, casse la décision et y substitue la décision qui aurait dû être rendue ou renvoie, conformément à ses instructions, l’affaire à la Section de la protection des réfugiés.

111. (1) After considering the appeal, the Refugee Appeal Division shall make one of the following decisions:

 

(a) confirm the determination of the Refugee Protection Division;

 

(b) set aside the determination and substitute a determination that, in its opinion, should have been made; or

 

(c) refer the matter to the Refugee Protection Division for re-determination, giving the directions to the Refugee Protection Division that it considers appropriate.

(1.1) [Abrogé, 2012, ch. 17, art. 37]

(1.1) [Repealed, 2012, c. 17, s. 37]

Renvoi

Referrals

(2) Elle ne peut procéder au renvoi que si elle estime, à la fois :

(2) The Refugee Appeal Division may make the referral described in paragraph (1)(c) only if it is of the opinion that

a) que la décision attaquée de la Section de la protection des réfugiés est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

(a) the decision of the Refugee Protection Division is wrong in law, in fact or in mixed law and fact; and

b) qu’elle ne peut confirmer la décision attaquée ou casser la décision et y substituer la décision qui aurait dû être rendue sans tenir une nouvelle audience en vue du réexamen des éléments de preuve qui ont été présentés à la Section de la protection des réfugiés.

(b) it cannot make a decision under paragraph 111(1)(a) or (b) without hearing evidence that was presented to the Refugee Protection Division.

[18]           Comme on le voit, la SAR confirme ou substitue la décision qui aurait dû être rendue. Elle ne pourra retourner l’affaire à la SPR qu’en des circonstances particulières, soit que la décision est erronée et que la décision ne peut être confirmée ou faire l’objet d’une substitution par la SAR sans qu’une nouvelle audience au cours de laquelle un réexamen des éléments de preuve présentés à la SPR devrait avoir lieu. Ce n’est que dans ce cas que l’affaire pourrait être retournée.

[19]           Pour l’heure, deux observations s’imposent. D’abord, la Loi est claire que la nouvelle audience ne peut être considérée par la SAR que dans des circonstances précises. Celles-ci n’incluent pas de réentendre la preuve déjà présentée devant la SPR. Si la SAR ne peut disposer de l’appel, en confirmant la décision de la SPR ou en substituant la décision qui aurait dû être rendue, mais que la décision est erronée, l’affaire peut être retournée parce qu’un réexamen des éléments de preuve est requis. Avec égards, je ne puis voir comment un tel régime législatif pourrait s’accommoder facilement d’une norme de contrôle où la déférence règne.

[20]           La deuxième observation est que le régime législatif, vu dans son ensemble, ne suggère aucunement la déférence au sens de la norme de raisonnabilité. Au contraire. La Loi instruit la SAR d’examiner le dossier devant la SPR tout en admettant une preuve supplémentaire, dans les circonstances précisées. La version anglaise du paragraphe 111(1) déclare spécifiquement « [a]fter considering the appeal » avant de dire quelles sont les issues possibles pour la SAR. Il n’y est aucunement question de faire preuve de déférence : on confirme ou on substitue sa propre décision. S’il y a eu erreur, de fait, de droit ou sur une question mixte de droit et de fait, mais que la SAR ne peut confirmer ou substituer sa décision sans nouvelle audience pour réexaminer des éléments de preuve présentés à la SPR, l’affaire est retournée. Je ne puis voir dans ce régime examiné dans son ensemble quelle place aurait été laissée à la déférence qui provient de la norme de raisonnabilité.

[21]           Il me semble aussi que la difficulté provient de la confusion des genres. Le contrôle judiciaire avec sa déférence inhérente procède d’une logique bien différente de l’appel qui explique d’ailleurs pourquoi les décisions jugées déraisonnables sont renvoyées au tribunal administratif plutôt que de substituer une décision.

[22]           Le contrôle judiciaire existe pour s’assurer de la légalité des décisions prises par l’administration, la primauté du droit. La notion est éloquemment présentée dans Dunsmuir, précité.

[23]           Ainsi, il n’est pas difficile d’accepter que la norme de la raisonnabilité préside en matière administrative puisque le contrôle n’est pas tant de l’opportunité que de la légalité : parce que plus d’un résultat peut être raisonnable et que les tribunaux administratifs ont une expertise spéciale, les cours supérieures n’interviendront que dans le cas où la décision est déraisonnable. Qui plus est, une décision déraisonnable ne saurait être légale, requérant ainsi le contrôle judiciaire. Dunsmuir est à nouveau instructif :

[42]      En outre, même si l’on pouvait concevoir le cas où une décision clairement ou particulièrement irrationnelle se distinguerait d’une décision simplement irrationnelle, il répugnerait à la justice que les parties doivent se soumettre à une décision irrationnelle pour la seule raison que l’irrationalité n’est pas assez évidente suivant une norme appelant la déférence. Le maintien d’une décision irrationnelle va aussi à l’encontre de la primauté du droit.

[24]           Il en est tout autrement d’un appel qui est la création exclusive du Parlement. Comme j’ai tenté de l’expliquer, le régime législatif ne donne aucun indice que la déférence était considérée par le Parlement. On est plutôt en face d’un régime qui veut que s’il y a, par exemple, erreur de fait, il faut retourner l’affaire à la SPR si un réexamen de la preuve devant la SPR est nécessaire pour décider. Il n’y a pas place à la déférence dans un tel régime. Je partage l’avis du juge Phelan que « si la SAR se borne à contrôler les décisions de la SPR selon la norme de la raisonnabilité, son rôle d’appel est restreint. » (Huruglica, précité, para 39) J’ajoute que le régime législatif ne donne aucune indication que la barre doive être si haute.

[25]           Soit dit avec égards, je partage aussi les vues du juge Phelan selon lequel la création d’un pallier d’appel entre une juridiction administrative et le contrôle judiciaire tend à démontrer que le législateur aura voulu créer quelque chose de différent entre ces deux instances. La SAR n’est pas l’instance qui entend l’affaire et elle n’est pas non plus celle qui contrôle la légalité de la décision. En notre espèce, la SAR n’entend pas à nouveau la preuve offerte devant la SPR (c’est d’ailleurs proscrit par la Loi) et, sans indication précise, elle ne saurait non plus faire double usage avec le contrôle judiciaire. Son rôle est celui qui est annoncée d’entrée de jeu à l’article 110 de la Loi : un appel, sur des questions de droit, de fait ou mixtes. La Loi dicte même ensuite le dossier sur lequel la SAR devra se pencher. Elle prévoit aussi les décisions qui peuvent être rendues.

[26]           La SAR s’est reposée dans une très grande mesure sur l’arrêt Newton, précité. Le régime législatif qu’il fallait examiner dans Newton n’avait aucune parenté avec le régime législatif en notre espèce. D’ailleurs, la Cour d’appel d’Alberta a eu la prudence de noter ceci :

[57]      […] The respective role of the reviewing and reviewed tribunal is first and foremost a question of statutory interpretation. It involves determining what function the Legislature intended the initial tribunal to perform, and what type of supervisory role is intended for the appellate tribunal.

La décision dans Newton est fonction du régime très particulier en vigueur au sujet des activités policières en Alberta. De fait, l’audition de novo par le « reviewing tribunal » dont il était question dans cette décision consistait en une audition toute nouvelle, avec de la nouvelle preuve et des nouveaux participants. Cette jurisprudence n’a qu’une pertinence très relative puisque les régimes législatifs sont si différents.

[27]           Le régime législatif examiné dans Parizeau c Barreau du Québec, 2011 QCCA 1498, [2011] RJQ 1506 [Parizeau] a une bien plus étroite parenté avec le régime législatif en l’espèce. Cette décision de la Cour d’appel du Québec sera donc d’un intérêt plus grand pour la résolution de notre affaire.

[28]           Dans Parizeau, la Cour d’appel, après un examen remarquable de la jurisprudence québécoise et de la Cour suprême du Canada, décide que le régime législatif dont il était question en l’espèce crée un véritable appel et non une instance procédant à une quasi-révision judiciaire. En l’espèce, c’était le Tribunal des professions qui se voyait conférer la juridiction d’appel concernant le Comité des requêtes du Barreau du Québec qui devait décider de la réinscription au Tableau de l’Ordre de Me Parizeau.

[29]           La Cour d’appel aura conclu que les indices, qui proviennent de l’étude de la loi constitutive, mènent au résultat qu’il s’agit d’un véritable appel. À mon avis, tel est aussi le cas pour la SAR. Les paragraphes 47 et 48 de la décision sont particulièrement éloquents.

[47]      Pour identifier la norme applicable au Tribunal des professions examinant la décision du Comité des requêtes, il faut d’abord se demander quelle est la fonction juridictionnelle du Tribunal des professions dans une affaire comme celle de l’espèce. La Loi sur le Barreau et le Code des professions parlent d’appel au Tribunal des professions des décisions du Comité des requêtes. S’agit-il cependant d’une fonction d’appel au sens propre, à laquelle on doit appliquer les normes usuelles en pareil cas, (c’est-à-dire : norme de la décision correcte quant aux questions de droit et norme de l’erreur manifeste et dominante sur les questions de fait ou les questions d’application du droit aux faits)? S’agit-il plutôt, malgré le terme qu’emploie la loi, d’une fonction plus restreinte s’apparentant à celle qu’exerce une cour de justice en révision judiciaire et qui commanderait l’application de normes analogues, telles que redéfinies par la Cour suprême dans l’arrêt Dunsmuir?

[48]      La lecture des dispositions reproduites plus haut indique, du moins à première vue, que le législateur a prévu ici un droit d’appel et qu’il a investi le Tribunal des professions - un tribunal administratif (ou quasi judiciaire, si l’on préfère) - des pouvoirs ordinairement rattachés à cette fonction. L’usage du vocable « appel », tant dans la Loi sur le Barreau que le Code des professions, sans être décisif, paraît révélateur, surtout dans le contexte que décrivent les auteurs Pierre Issalys et Denis Lemieux :

La portée de l’intervention du tribunal administratif et par conséquent l’étendue de sa compétence sont donc déterminées par la formulation des dispositions législatives créant le recours au tribunal. En droit fédéral, celles-ci créeront très souvent un droit d’« appel » au tribunal, sans autre précision. Un tel recours présente alors, en principe, cinq caractéristiques :

                     Il implique la contestation d’une décision rendue par une instance inférieure à l’instance de recours, de la part de l’une des parties à la procédure ayant conduit à cette décision : le droit d’appel appartient à ceux qui avaient le droit de participer à l’élaboration de la décision initiale.

                     Il est porté devant une instance supérieure, complètement distincte de celle qui a rendu la décision attaquée : l’organe d’appel doit être en situation de tiers impartial et bénéficiant d’une autorité supérieure.

                     Il doit être introduit à l’intérieur d’un délai déterminé : l’existence d’un droit d’appel ne doit pas compromettre la sécurité juridique.

                     Il vise la décision de l’instance inférieure, sur la base des faits établis devant elle et du droit qui leur était applicable : l’appel rouvre le débat sur la base du dossier tel qu’il était constitué au moment de la décision initiale.

                     Il comporte la possibilité pour l’instance supérieure de substituer entièrement sa décision à celle de l’instance inférieure : l’appel permet une nouvelle détermination de l’affaire.

Assez souvent, cependant, la compétence du tribunal administratif sera délimitée ou interprétée de manière à s’écarter de ce modèle de référence.

En droit québécois, depuis l’adoption de la Loi sur la justice administrative, le Parlement emploie systématiquement le mot « recours » plutôt qu’« appel » lorsqu’il attribue compétence à un tribunal administratif. Il se réserve aussi la possibilité de préciser lui-même, dans les lois attributives de compétence, l’étendue de celle-ci.

Il faut donc, aussi bien en droit québécois qu’en droit fédéral, examiner avec attention le libellé de la disposition créant le recours, pour savoir quelles décisions de quelles autorités sont sujettes à recours, sur quels motifs le recours peut être fondé, sous quelles conditions - notamment de délai - il peut être introduit, s’il suspend l’application de la décision qu’il vise, et de quels pouvoirs dispose le tribunal administratif quant à la réception d’éléments de preuve et au contenu de sa décision.

[30]           Examinant ces indices, la Cour d’appel conclut à une juridiction d’appel. Elle semble avoir été frappée par la capacité d’intervention dévolue au Tribunal des professions pour conclure à juridiction d’appel :

[76]      Le législateur confie ici au Tribunal des professions, tribunal administratif spécialisé, une fonction d’appel des décisions disciplinaires et des décisions d’admission ou de réadmission des comités des ordres professionnels, selon des modalités propres à l’appel. Peut-on, en l’absence d’une indication législative précise, transformer cet appel en quasi-révision judiciaire? Le législateur n’a pas restreint la fonction d’appel dévolue au Tribunal des professions et, tant en matière disciplinaire qu’en matière d’inscription et de réinscription, il a conféré à celui-ci le pouvoir d’intervention le plus vaste qui soit, à savoir celui de « confirmer, modifier ou infirmer toute décision qui lui est soumise et rendre la décision qui, à son jugement, aurait dû être rendue en premier lieu » (articles 175 et 182.6 du Code des professions), termes dont le juge Fish, dans Pigeon c. Daigneault, disait que « [f]rom a statutory point of view, more sweeping powers of appellate intervention [...] are difficult to conceive. »

Dans le cas sous étude, non seulement la Loi prévoit-elle un appel, ce qui est déjà un indice important, mais elle indique clairement les décisions qui doivent être prises. À mon avis, cela est déterminant. Cela mène la Cour d’appel à la conclusion que je partage et qui, à mon avis, est conforme aussi au régime législatif adopté dans la Loi :

[78]      Tout cela, et au premier chef le respect de l’intention du législateur, sans parler de la protection du justiciable à qui l’on a donné droit de recours, milite contre l’assimilation de l’appel au Tribunal des professions à une sorte de révision judiciaire et milite aussi contre le développement d’une politique de déférence ayant pour effet de faire de cet appel une simili-révision judiciaire. À notre avis, le Tribunal des professions exerce bel et bien une fonction et une compétence d’appel.

À mon avis, les considérations relevées par la Cour d’appel se retrouvent largement dans notre cas d’espèce. L’analyse faite par la Cour d’appel sied bien aux articles 110 et 111 de la Loi.

[31]           D’ailleurs, quoique les débats législatifs aient un poids discutable dans l’interprétation d’une loi (CN c Canada, précité, au para 47), on ne peut qu’être frappé par les interventions qui ont été faites lors de la création de la SAR, en 2001, et lors des amendements qui ont été apportés au régime législatif en 2010 et en 2012, alors que les dispositions législatives sont entrées en vigueur finalement le 15 décembre 2012.

[32]           Ces interventions ne laisseraient à mon avis aucune place à une juridiction de la SAR qui serait à saveur de quasi-révision judiciaire. Ainsi, dans son intervention devant le comité parlementaire de la Chambre des communes, M. Peter Showler, qui était alors président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, témoignait ainsi sur le projet de loi C-11, devenu la Loi sur limmigration et la protection des réfugiés, LC, 2001, ch 27, quant à la juridiction du SAR :

Nous croyons que la SAR obtiendra deux résultats différents, mais complémentaires. En examinant les décisions individuelles de la SPR sur le fond, la SAR pourra, de manière efficace, corriger les erreurs faites par la SPR. De plus, la Section assurer la cohérence dans le processus décisionnel grâce à la jurisprudence uniforme à l’échelle du pays que cette section établira sur les questions liées au droit des réfugiés. Comme je l’ai déjà dit devant votre comité, ce système n’aura pas selon nous pour seul avantage d’améliorer la qualité de nos décisions. Si la jurisprudence est plus cohérente et uniforme, les décideurs de la SPR pourront en fait également rendre leurs décisions plus rapidement.

It is expected that the RAD will produce two different but complementary results. By reviewing individual RPD decisions on the merits, the RAD can efficiently remedy errors made by the RPD. That, if you will, is the safety net for the RPD. However, in addition the divisions will ensure consistency in refugee decision-making by developing coherent national jurisprudence in refugee law issues. As I said to this committee before, we don’t see that as a benefit simply in that it will improve the quality of our decision-making. If there is more coherent, consistent jurisprudence, we think RPD decision-makers can actually make their decisions more quickly as well.

[…]

[…]

Il y a donc une importante différence entre les deux. Nous pensons qu’en fin de compte le délai sera le même délai qu’auparavant. Mais comme je l’ai déjà dit, nous escomptons des décisions de meilleure qualité, parce que nous aurons bénéficié de deux essais. Il y aura en effet la décision originale, suivie d’une révision de cette décision par des personnes expérimentées et faisant autorité. (20 mars 2001)

So there’s a significant difference between them. We think the total result will end up the same as before. But as I’ve already indicated, we think we will have a better-quality decision-because we’ll have had two goes, two kicks, at the can. There’s not only been the original decision, but also a clear, authoritative, experienced review of that decision. (March 20, 2001)

[33]           M. Showler s’exprimait à nouveau le 8 mai 2001, et le 1er octobre 2001 devant le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. Il le faisait en ces termes :

J’aimerais préciser tout d’abord que la Section d’appel des réfugiés vise deux objectifs bien distincts. Nous avons déjà parlé du premier: il s’agit du filet de sécurité, si vous voulez, pour attraper les erreurs inévitables qui se produiront sûrement en première instance. On procède à un examen complet des questions de fait, des questions de droit, des questions de fait et de droit. En ce sens, c’est une méthode très différente de celle du processus judiciaire actuel. On pourra procéder à une étude de fond des décisions, et si la SAR interprète les faits différemment, elle peut renverser la décision ou la confirmer.

Let’s clarify that the Refugee Appeal Division has two quite separate objectives. The first we’ve already discussed: it’s the safety net, if you will, to catch the inevitable mistakes that are bound to occur at the first level. It is a full review on issues of fact, issues of law, issues of fact and law. In that sense, it’s very different from the present judicial review process. It will be able to look substantively at the decisions, and if the RAD has a different view of the facts of the case, it can either overturn the decision or confirm it.

J’espère que vous savez que, ordinairement, le contrôle judiciaire est très limité. Le contrôle n’a lieu que dans le cas d’une erreur de droit. La décision issue du processus de contrôle judiciaire ne remplace pas celle qui a été prise au premier niveau. La Section d’appel des réfugiés procède à un examen beaucoup plus approfondi. (8 mai 2001)

I hope you’re aware that ordinarily, judicial review is very limited. It’s really only a review if there’s been an error of law. The judicial review process decision does not replace that of the first-level decision makers. The Refugee Appeal Division performs a far more substantive review. (May 8, 2001)

Ma conscience m’empêcherait d’affirmer que s’il n’y avait pas le recours à la section d’appel des réfugiés, la prise de décision par un commissaire unique serait plus efficace. Certainement pas. La section d’appel des réfugiés compte des commissaires d’expérience qui entendent les appels non seulement des réfugiés dont la demande a été rejetée mais aussi ceux de la ministre lorsqu’elle est insatisfaite des demandes acceptées. Il s’agit dans ce cas d’un appel complet plutôt que d’un contrôle judiciaire comme le prévoit le modèle actuel. Voilà pourquoi j’affirme que cette façon de faire est supérieure. Mon collègue voudra peut-être ajouter quelque chose. (1 octobre 2001)

I would not be comfortable saying to you that a system of single-member decision makers, without the refugee appeal division, would be a better system. I could not say that, in good conscience. The refugee appeal division will have experienced refugee decision makers providing access to appeal for not only every negative claim, but also for the minister where she is unhappy with any of the positive decisions. That focused review is a full appeal, rather than the limited judicial review found in the current model. That is why it is a superior model. Again, my colleague might want to add something to that. (October 1, 2001)

[34]           Le président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié ne semble pas avoir été le seul à croire que la SAR avait une vocation de réparer les erreurs. La Ministre responsable, l’honorable Elinor Caplan, disait elle-même le 8 mai 2001 devant le Comité de la Chambre des communes :

Le projet de loi C-11 créera, à la CISR, une nouvelle Section d’appel des réfugiés chargée d’entendre les appels au fond des décisions sur les demandes d’asile, cette section rendra le système plus rapide et plus équitable en servant de mécanisme pour corriger les erreurs du premier palier de décision.

Bill C-11 will create a new Refugee Appeal Division at the IRB to hear appeals on merit for decisions on refugee claims, rendering the system both faster and fairer by providing a mechanism to correct error in the first instance.

[…]

[…]

La Commission a maintenant dix ans. Elle a pris de l’expansion non seulement à cause de la quantité de dossiers qu’elle a eu à traiter, mais également à cause des exigences auxquelles elle a dû répondre. Elle a une excellente réputation à travers le monde, et c’est un organisme dont nous devrions être fiers. Elle n’est pas parfaite, mais je pense que nous pouvons l’améliorer grâce à ce projet de loi, en établissant une Section d’appel des réfugiés, ce qui permettra de prendre des décisions plus justes plus rapidement car, si une erreur a été commise au départ, il y aura une possibilité de la réparer.

That board is now ten years old. It’s gone through some growth, not only because of the volume but also because of the demands made on it. It has an outstanding international reputation, and we should be proud of it. It’s not perfect, but I think we can make it better with this bill by having a Refugee Appeal Division so we can have faster and fairer decision-making, because where an error is made in the first instance, there will be an opportunity to correct it.

[…]

[…]

Je veux également préciser que la SAR, la Section d’appel des réfugiés, n’offre pas la possibilité d’une deuxième audience. Elle effectue un examen du bien-fondé des informations données lors de l’audience tenue par la Section de protection des réfugiés.

Also I want to clarify that the RAD, the Refugee Appeal Division is not a second hearing. It is a review on merit of the hearing that took place at the Refugee Protection Division.

Je ne vois rien qui puisse suggérer que l’appel créé en 2001 n’était autre chose qu’un appel.

[35]           Les amendements de 2010 (projet de loi C-11, Loi sur des mesures de réforme équitables concernant les réfugiés, LC 2010, c 8) ne me semblent pas avoir changé la nature du recours. En débat au cours de la deuxième lecture du projet de Loi, le Ministre de la Citoyenneté, de l’immigration et du multiculturalisme disait le 26 avril 2010 :

Il est très important de noter que le nouveau système proposé comprendrait également une procédure d’appel complète. Contrairement à la procédure d’appel proposée dans le passé et à celle qui est en veilleuse dans la loi actuelle, cette section d’appel pour les réfugiés permettrait la présentation de nouveaux éléments de preuve et, dans certains cas, la tenue d’une audience.

The proposed new system would also include, and this is very important, a full appeal for most claimants. Unlike the appeal process proposed in the past and the one dormant in our current legislation, this refugee appeal division, or RAD, would allow for the introduction of new evidence and, in certain circumstances, provide for an oral hearing.

En comité parlementaire le 4 mai 2010, le Ministre soulignait:

Cette nouvelle Section d’appel des réfugiés fournirait à la plupart des demandeurs une seconde chance, une possibilité de présenter de nouveaux éléments de preuve relativement à leur demande, et de le faire dans le cadre d’une audience, au besoin. Puis, il m’importe de mentionner que la loi permettra d’exécuter le renvoi des personnes qui feraient un usage abusif de notre système, et ce, dans un délai d’un an suivant une décision définitive défavorable de la CISR quant à leur demande.

This new appeal division would provide most claimants with a second chance, an opportunity to introduce new evidence about their claim and to do so in an oral hearing, if necessary. And, significantly, Mr. Chairman, the bill would make it possible to remove those who would abuse our system within a year of their final IRB decision.

Le même Ministre vantait le 22 juin 2010 devant le comité sénatorial chargé d’examiner C-11 la venue d’un mécanisme d’appel provenant de « a new fact-based refugee appeal division that even surpasses what refugee advocates have requested for a long time ».

[36]           Le président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, M. Brian Goodman, disait quant à lui le 6 mai 2010, devant le Comité de la Chambre :

Si une demande d’asile est rejetée par la SPR, tous les demandeurs d’asile, à l’exception de ceux provenant de pays ou appartenant à des catégories de ressortissants désignés par le ministre, auraient un droit d’appel sur le bien-fondé de toutes les questions à la nouvelle Section d’appel des réfugiés, SAR, dotée en personnes nommées par décret à la CISR. La SAR recevrait les nouveaux éléments de preuve et, dans certaines circonstances, pourrait tenir une audience. Dans l’éventualité où une décision défavorable de la SPR serait maintenue en appel, les appelants pourraient solliciter l’autorisation de demander un contrôle judiciaire par la Cour fédérale de la décision relative à l’appel. La SAR pourrait non seulement confirmer une décision de la SPR, mais elle pourrait la remplacer par sa propre décision afin d’éviter que celle-ci soit renvoyée à la SPR où, dans de rares cas, elle pourrait renvoyer l’affaire à la SPR afin qu’elle soit réexaminée par un nouveau tribunal.

If a refugee claim is rejected by the RPD, all claimants except those from places or classes of nationals designated by the minister would have a right of appeal on the merits on all question to the IRB’s new refugee appeal division, RAD, staffed by Governor in Council appointees. The RAD would receive new evidence and, in certain circumstances, would hold an oral hearing. In the event that a negative RPD decision is upheld on appeal, appellants would have the right to seek leave for judicial review of the appeal decision from the Federal Court. The RAD, in addition to upholding an RPD decision could substitute its own decision to avoid having it sent back to the RPD, or in rare cases may return the case for a rehearing before a new panel.

Encore ici, rien en 2010 ne permettrait de croire que l’appel aurait des allures de quasi-révision judiciaire. L’impression inverse me semble plutôt transparaître puisque la distinction nette est faite entre l’appel et la révision judiciaire.

[37]           Le même thème d’un appel généreux était abordé par le Ministre lorsqu’il présentait en deuxième lecture en Chambre des Communes le projet de loi C-31 qui deviendra la Loi visant à protéger le système d’immigration du Canada, LC 2012, c 17 :

Je répète que le projet de loi créerait également la Section d’appel des réfugiés. La grande majorité des demandeurs qui viennent de pays qui ne produisent pas normalement de réfugiés auraient, pour la première fois, en cas de refus par la Section de la protection des réfugiés, accès à un appel fondé sur les faits devant la Section d’appel des réfugiés de la CISR. Nous sommes le premier gouvernement à avoir créé un véritable appel fondé sur l’établissement des faits. (6 mars 2012)

I reiterate that the bill would also create the new refugee appeal division. The vast majority of claimants who are coming from countries that do normally produce refugees would for the first time, if rejected at the refugee protection division, have access to a full fact-based appeal at the refugee appeal division of the IRB. This is the first government to have created a full fact-based appeal. (March 6, 2012)

Ce que nous préconisons dans le projet de loi C-31 excède nos obligations juridiques et humanitaires aux termes de la Charte des droits et libertés et de la Convention des Nations Unies sur les réfugiés. Cette mesure propose un système d’asile universellement accessible qui respecterait assurément notre obligation à l’égard du principe de non-refoulement des personnes qui ont besoin de la protection du Canada. Elle prévoit une audience complète et équitable devant un organisme quasi judiciaire indépendant, ce qui va bien au-delà de nos obligations en vertu de la Charte et de la Convention des Nations Unies. Le projet de loi permettrait, pour la première fois, à la grande majorité des demandeurs à qui on a refusé l’asile à la première instance d’interjeter appel et d’exposer leur situation à la Section d’appel des réfugiés. (12 mars 2012)

What we are proposing in C-31 goes above and beyond our legal and humanitarian obligations under both the Charter of Rights and Freedoms and the UN convention on refugees. It proposes an asylum system that would be universally accessible and that would respect absolutely our obligation of non-refoulement of people deemed to be in need of our protection. It would provide access to a full and fair hearing at an independent quasi-judicial body, which again goes above and beyond our charter and UN convention obligations. It would create for the first time a full and fact-based appeal at the refugee appeal division, accessible to the vast majority of failed asylum claimants who lose at the first instance. (March 12, 2012)

[38]           Tous ces paragraphes n’ont évidemment rien de décisifs. De fait, le Ministre de la Citoyenneté, de l’immigration et du multiculturalisme, lors d’envolées au cours du débat en deuxième lecture en 2012, parlait même de l’appel en Cour fédérale. Tout au plus, ils nous confortent en ce que le régime se voulait généreux et, en aucune manière, n’était-il présenté comme étant restreint comme l’est le contrôle judiciaire fondé sur la norme de la raisonnabilité. Plutôt certains témoins ont distingué l’appel du contrôle judiciaire, marquant bien la différence entre les deux.

[39]           Si l’appel dont il est question aux articles 110 et 111 de la Loi doit être traité comme un appel et non un quasi-contrôle judiciaire, cela ne veut pas dire pour autant que ce sera là l’occasion d’un nouveau procès ou d’une reconsidération de l’affaire dans son entier. Est très attrayante la proposition de la Cour d’appel du Québec dans Parizeau, précité, que l’appel d’une décision administrative devant une autre instance administrative soit traité comme tout appel :

[81]      La Cour suprême et notre cour ont rappelé sans cesse l’enseignement suivant : l’instance d’appel peut en principe corriger toute erreur de droit entachant la décision dont appel ou toute erreur manifeste et dominante dans la détermination des faits ou dans l’application du droit (s’il a été correctement déterminé) aux faits. Cette norme vaut tout aussi bien pour les appels formés auprès de tribunaux administratifs et la norme d’intervention développée en matière d’appel judiciaire est certainement transposable à l’appel quasi judiciaire, avec les réserves et les adaptations qu’imposent la loi particulière de chaque espèce ainsi que les règles générales du droit administratif.

L’erreur de fait doit être manifeste et dominante pour emporter succès en appel. La norme de la décision correcte prévaut pour les questions de droit. Je vois mal pourquoi il ne devrait pas en être ainsi dans un appel administratif.

[40]           Mon collègue le juge Phelan aura préféré, dans Huruglica, précité, appliquer la norme de la raisonnabilité aux questions de crédibilité (para 37). Ceci dit avec égards, j’ai toujours cette crainte au sujet de la confusion des genres. Il me semblerait préférable de s’en tenir à la norme d’erreur manifeste et dominante en appel sur les questions de fait. Il n’y a rien de nouveau à la proposition qu’une instance d’appel fait preuve de retenue lorsque l’organisme dont la décision est en appel procède d’une discrétion importante comme l’examen de la crédibilité. La Loi est claire : la SAR n’entend des témoins que dans des cas très exceptionnels et particuliers. La crédibilité à donner aux témoins entendus par la SPR est l’apanage de celle-ci et la SAR, en appel, doit faire preuve de retenue (Lensen c Lensen, [1987] 2 RCS 672; R c Burke, [1996] 1 RCS 474).

[41]           Reste la question de savoir en quoi consiste cet appel. Certains y verraient un appel de novo, tel que défini dans Black’s Law Dictionary, 10e éd : « Appeal de novo. An Appeal in which the appellate court uses the trial court’s record but reviews the evidence and law without deference to the trial court’s rulings. »

[42]           Avec égards, je ne puis trouver au régime législatif sous étude des indices menant à la conclusion qu’y est prévu l’appel de novo. Ainsi, le Code criminel, LRC (1985), ch C-46, par exemple, prévoit spécifiquement l’appel de novo dans certains cas en matière de poursuite d’infraction punissables sur déclaration sommaire de culpabilité (voir Partie XXVII du Code criminel, articles 821 et suivants). Le législateur est clair. Nous ne retrouvons rien de tel à la Loi.

[43]           Le régime sous étude parle plutôt d’un appel sur des questions déterminées, qu’elles soient de fait, de droit et mixtes (para 110(1)). Cela à mon avis veut dire que l’appelant doit identifier les questions sur lesquelles l’appel portera. Ce sera sur la base du dossier devant la SPR que l’appel sera entendu en fonction des questions identifiées et soulevées, sous réserve d’éléments de preuve documentaire (para 110(3)) ou d’éléments de preuve conformes au paragraphe 110(4). Cette nouvelle preuve en appel est admissible essentiellement comme la nouvelle preuve en appel en vertu de la règle 351 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. Letarte, Veilleux, Leblanc et Rouillard-Labbé, dans leur ouvrage Recours et procédure devant les Cours fédérales (Montréal, LexisNexis Canada Inc, 2013) résument bien les conditions :

6-49.    Fait nouveau – Par fait nouveau, on entend un fait qui n’était pas connu de la partie qui présente la requête et qui ne pouvait raisonnablement être connu de celle-ci au moment de l’audition en première instance. Un critère de diligence raisonnable est applicable pour déterminer si la partie aurait dû raisonnablement découvrir, avant l’audition en première instance, le fait qu’elle prétend nouveau.

[44]           Il n’y a rien d’inhabituel à permettre de la nouvelle preuve en appel. Comme on vient de le voir, la règle 351 la prévoit. L’article 509 du Code de procédure civile (Cpc) du Québec en fait tout autant. Il en est de même en matière pénale (voir Palmer c la Reine, [1980] 1 RCS 759, appliqué encore récemment dans R c JAA, 2011 CSC 17, [2011] 1 RCS 628.) De fait, il est inhabituel de la permettre dans un recours où le remède est de la nature du contrôle judiciaire (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22). On pourrait même croire que la présence d’une faculté de présenter de la nouvelle preuve aide à confirmer que l’appel dont il est ici question doit être traité comme un appel, purement et simplement. Il s’agit là d’un autre indice que le Parlement voulait bien un appel en bonne et due forme dans ces matières.

[45]           Enfin, les remèdes qui peuvent être imposés (article 111 de la Loi) me semblent bien davantage relever de l’appel que du contrôle judiciaire ou quasi-judicaire (article 52 de la Loi sur les Cours fédérales).

[46]           Puisque le recours dont parle la Loi est un appel, comme il a d’ailleurs été désigné à la Loi, les normes de contrôle seront celles « applicables en appel, soit celle de la décision correcte et celle de l’erreur manifeste et dominante » (Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 RCS 559, au para 45).

V.                Conclusion

[47]           En l’espèce, le demandeur n’a pas eu droit à l’appel que lui alloue la Loi puisque la SAR a choisi d’appliquer une norme de contrôle de raisonnabilité qui correspond à une demande de contrôle judiciaire. Il en résulte que l’affaire doit être retournée devant un panel différent de la SAR pour une nouvelle détermination traitée cette fois comme un appel.

[48]           Les parties sont d’accord, et la Cour en convient, qu’il s’agit du genre d’affaire où il se pourrait bien que soit soulevée « une question grave de portée générale » permettant appel à la Cour d’appel fédérale aux termes de l’alinéa 74d) de la Loi. Étant donné qu’une question doit être certifiée dans Huruglica, précité, il a été convenu de permettre aux parties en l’espèce de prendre connaissance des présents motifs et de la question à être certifiée dans l’autre affaire. Étant donné que le juge Phelan a donné aux parties dans Huruglica jusqu’au 22 septembre pour lui faire part de leurs observations sur le libellé de la (ou les) questions, la Cour donne aux parties en notre espèce jusqu’au 10 octobre 2014 pour présenter leurs propres observations.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la Section d’appel des réfugiés est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué.

« Yvan Roy »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7630-13

 

INTITULÉ :

FRANCISKA SPASOJA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 AOÛT 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 23 september 2014

 

COMPARUTIONS :

Me Eric Taillefer

 

pour lA PARTIE DEMANDERESSE

 

 

Me Evangelos Liosis

 

pour LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Handfield & Associés

Avocats

Montréal (Québec)

 

pour lA PARTIE demandeRESSE

 

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

pour lA PARTIE défendeRESSE

 

 

 

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