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Date : 20140918


Dossier : IMM-8048-13

Référence : 2014 CF 895

Ottawa (Ontario), le 18 septembre 2014

En présence de monsieur le juge Harrington

ENTRE :

JEAN PIERRE KENGURUKA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               M. Kenguruka est citoyen burundais d’origine tutsi. Son ennemie jurée au Burundi, la sénatrice Pétronie Bagwire, est hutu. Il allègue qu’elle et ses sbires recouraient à la violence pour l’empêcher de posséder et jouir d’un terrain hérité de ses parents. Sa demande d’asile au Canada fut rejetée parce que la revendication de biens immobiliers, même bien fondée, ne constitue pas un motif pour demander l’asile selon la Convention des Nations unies relative au statut des réfugiés et l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Le Tribunal reconnaît qu’il existe toujours au Burundi des tensions ethniques, mais le risque au demandeur découle de ses propres efforts relativement au terrain qu’il avait hérité conjointement avec ses frères et sœurs. En effet, ceux-ci avaient renoncé à leur revendication dudit bien. Les deux frères de M. Kenguruka, demeurant toujours au Burundi, n’ont subi absolument aucune persécution.

[2]               La commissaire de la Section de la protection des réfugiés a conclu au paragraphe 15 de ses motifs que :

…le tribunal rappelle que le droit à la propriété privée n’est pas un droit fondamental en droit canadien et estime qu’il n’est pas déraisonnable de s’attendre à ce que le demandeur renonce à un tel droit pour le protéger.

[3]               Ce n’est que suite à ses gestes relatifs au terrain hérité de ses parents qu’il a fait l’objet d’agression.

I.                   Les questions en litige

[4]               L’avocate de M. Kenguruka soutient que :

a.                   La décision visant l’article 96 était simpliste. Il est déraisonnable pour le Tribunal de conclure qu’il n’était pas persécuté du fait de sa race qui, elle, fournit un motif pour demander l’asile selon l’article 96 de la LIPR; et

b.                  Aucune analyse ne visait l’article 97 de la LIPR par lequel le Canada offre une protection aux personnes qui, par prépondérance de preuve, seraient personnellement au risque d’être soumises à la torture ou à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités, si elles devaient rentrer à leur pays.

[5]               Par contre, l’avocate du Ministre soutient que :

a.                   la norme de contrôle est celle de la raisonnabilité;

b.                  la décision était raisonnable; et

c.                   l’analyse selon l’article 97 était implicite dans les motifs du Tribunal.

II.                Analyse

[6]               Il est clair que la revendication de droits immobiliers n’est pas un motif pour fonder une demande d’asile selon la Convention des Nations unies relative au statut des réfugiés et l’article 96 de la LIPR (Ramirez v Canada (Solicitor General), 88 FTR 208 au para 12, [1994] FCJ No 1888 (QL); Chen v Canada (Minister of Citizenship & Immigration), [1995] FCJ No 189 (QL)).

[7]               Eu égard au dossier, le Tribunal n’a pas agi de façon déraisonnable lorsqu’il a décidé que M. Kenguruka ne ferait pas l’objet de persécution au Burundi s’il désistait de ses réclamations à la propriété qu’il avait héritée de ses parents. Cette conclusion laisse sous-entendre que si M. Kenguruka ne faisait pas l’objet de persécution, il ne serait pas non plus personnellement au risque d’être soumis à la torture ou à une menace à sa vie ou au risque de traitement ou peines cruels et inusités. Cependant, le Tribunal ne s’est pas demandé si M. Kenguruka serait à risque, au sens de l’article 97 de la LIPR, s’il ne cessait de réclamer les biens en question. Si M. Kenguruka faisait valoir un droit prévu par la Convention et selon l’article 96, tel que son droit d’exprimer librement sa religion, il ne pourrait pas être contraint à abjurer sa religion afin d’éviter la persécution.

[8]               Par conséquent, la question est de savoir s’il était raisonnable de conclure qu’il devrait désister des droits juridiques qu’il prétend avoir. C’est essentiellement une question de droit. Néanmoins, la Cour suprême a déclaré à maintes reprises que la norme de contrôle pour une décision d’un tribunal sur une question de droit visant sa propre loi constitutive ou une loi connexe est celle de la raisonnabilité (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 RCS 654; Smith v Alliance Pipeline Ltd., 2011 CSC 7, [2011] 1 RCS 160; McLean c Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 RCS 895).

[9]               Toutefois, la présomption que la norme de contrôle est celle de la raisonnabilité peut être réfutée. Dans Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, la Cour suprême a statué que la Cour saisie d’une demande de contrôle judiciaire doit vérifier si la jurisprudence établit de manière satisfaisante la norme de contrôle. Le cas échéant, cette norme a-t-elle résisté à l’épreuve du temps?

[10]           Certaines sections de la LIPR ont été évaluées selon la norme de la décision correcte et d’autres selon la norme de la raisonnabilité. Voir Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 RCS 559; la décision de monsieur le juge en chef Crampton dans Iao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1253, 240 ACWS (3d) 710; et Canada (Citoyenneté et Imigration c A011, 2013 CF 580. En effet, vu que les décisions de cette Cour ne peuvent être portées en appel à la Cour fédérale d’appel à moins qu’une question grave de portée générale ne soit certifiée, monsieur le juge Stratas a mis en doute la justesse de l’arrêt Agraira dans Kanthasamy v Canada (MCI), 2014 FCA 113, 372 DLR (4th) 539.

[11]           Quoi qu’il en soit, j’en viens à la conclusion que la décision est à la fois raisonnable et correcte, donc je ne suis pas tenu de me prononcer sur la norme de contrôle applicable. Par conséquent, je vais rejeter la demande de contrôle judiciaire.

III.             Question certifiée

[12]           Ayant été ambivalent avant d’arriver à cette conclusion, je comprends bien qu’une autre opinion peut exister. Bien que les parties n’aient proposé aucune question à certifier, je certifie la question grave de portée générale suivante afin de permettre à M. Kenguruka de se pourvoir en appel :

Pour qu’une demande relative à l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés soit recevable, faut-il d’abord désister de faire valoir un droit privé afin d’éviter le risque de torture ou de mort?


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  La question grave de portée générale suivante est certifiée :

Pour qu’une demande relative à l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés soit recevable, faut-il d’abord désister de faire valoir un droit privé afin d’éviter le risque de torture ou de mort?

« Sean Harrington »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-8048-13

 

INTITULÉ :

JEAN PIERRE KENGURUKA c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 août 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 18 septembre 2014

 

COMPARUTIONS :

Me Claudette Menghile

Me Susan Ramirez

 

Pour le demandeur

 

Me Myriam Larose

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Claudette Menghile

Avocate

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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