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Date : 20140918


Dossier : IMM-3166-13

Référence : 2014 CF 882

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 septembre 2014

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

NA ZHANG

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

Aperçu

[1]               Il s’agit d’une affaire fort inhabituelle. La demanderesse, Mme Zhang, est une demandeure d’asile de la République populaire de Chine. Elle craint d’être persécutée en raison de son identité à titre de chrétienne clandestine. Pendant l’instance devant la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR), elle a décidé à un moment donné de ne plus répondre aux questions de la SPR parce qu’elle avait appris que le commissaire de la SPR qui présidait l’instance (le président de l’audience) n’avait pas accueilli une seule demande d’asile en plus de deux ans. Son refus de répondre à d’autres questions constituait le fondement d’une demande de récusation, que le président de l’audience a rejetée.

[2]               Après le rejet de la demande de récusation, Mme Zhang a indiqué qu’elle n’avait pas l’intention de répondre à d’autres questions. Le président de l’audience a ensuite invité Mme Zhang à expliquer pourquoi, dans les circonstances, le désistement de sa demande d’asile ne serait pas prononcé en vertu du paragraphe 168(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi). Elle a répondu qu’elle n’avait pas l’intention de se désister de sa demande d’asile, mais souhaitait que l’affaire soit instruite par un autre commissaire de la SPR, qui pourrait, selon elle, lui offrir une audience équitable. Le président de l’audience a décidé que Mme Zhang omettait ainsi de poursuivre l’affaire par défaut de communiquer avec la SPR et a, par conséquent, prononcé le désistement.

[3]               La seule question à trancher en l’espèce est celle de savoir s’il était loisible au président de l’audience, au regard des faits et du droit, de conclure comme il l’a fait.

[4]               Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis qu’il était loisible au président de l’audience de le faire.

I.                   Faits

A.                La demande d’asile de la demanderesse

[5]               La demande d’asile de Mme Zhang a été déposée en janvier 2010 et devait au départ être instruite par la SPR le 28 février 2012. Toutefois, Mme Zhang ne s’est pas présentée à l’audience pour cause de maladie. L’audience a été remise au 23 mai 2012. Mme Zhang a alors comparu devant la SPR et fourni des pièces d’identité qui ont été envoyées à la GRC pour vérification. L’audience a toutefois été interrompue, car Mme Zhang souffrait encore d’un problème de santé.

[6]               L’audience de suivi a été fixée au 27 novembre 2012, mais Mme Zhang ne s’est pas présentée, encore une fois à cause d’un problème de santé allégué. Comme Mme Zhang n’avait pas fourni de certificat médical pour justifier son absence, la SPR a reporté l’audience au 3 décembre 2012, à titre d’audience péremptoire sur le désistement. Le conseil de Mme Zhang a alors affirmé que sa cliente n’avait pas été avisée suffisamment à l’avance de cette audience péremptoire. Le président de l’audience a remis l’audience au 12 mars 2013.

[7]               Quand l’audience a repris ce jour‑là, Mme Zhang a déclaré d’entrée de jeu qu’elle ne répondrait plus aux questions du président de l’audience, ayant appris par des amis et par d’anciens demandeurs qu’il n’avait pas accueilli une seule demande d’asile depuis 2011. Compte tenu de cette information, a‑t‑elle indiqué, elle ne pouvait s’attendre à autre chose qu’au rejet de sa demande d’asile et, en refusant de répondre à toute autre question du président de l’audience, elle cherchait en définitive à ce que sa demande d’asile soit entendue par un autre commissaire de la SPR.

[8]               Mme Zhang a alors présenté verbalement une demande de récusation au président de l’audience, se fondant sur la crainte raisonnable de partialité suscitée par le taux d’approbation nul de celui‑ci. La demande a été rejetée, au motif que les taux d’acceptation des demandes d’asile ne pouvaient en eux‑mêmes fonder un argument de partialité.

[9]               Mme Zhang a été ensuite invitée à dire si elle entendait répondre à d’autres questions. Elle a répondu par la négative. Le président de l’audience a donc entamé une procédure de désistement en vertu du paragraphe 168(1) de la Loi et a demandé à Mme Zhang d’expliquer pourquoi le désistement de sa demande d’asile ne serait pas prononcé.

[10]           Mme Zhang a expliqué que la procédure de désistement constituait dans son cas un manquement à l’équité procédurale et un abus de procédure. Elle a aussi expliqué qu’elle avait démontré son intention de poursuivre sa demande d’asile et de ne pas s’en désister, et qu’elle souhaitait simplement poursuivre avec un autre commissaire de la SPR qui lui permettrait, selon elle, d’avoir une audience équitable.

B.                 La décision du président de l’audience

[11]           Le président de l’audience a conclu qu’en refusant de répondre à d’autres questions, Mme Zhang n’avait pas donné suite aux demandes de communication de la SPR et avait donc omis de poursuivre l’affaire, au sens du paragraphe 168(1) de la Loi. En se fondant sur ces conclusions, il a prononcé le désistement de la demande d’asile de Mme Zhang.

[12]           En particulier, le président de l’audience a conclu qu’en refusant de répondre à ses questions, Mme Zhang avait non seulement empêché la SPR de recueillir les éléments de preuve que la SPR jugeait utiles pour évaluer le bien‑fondé de la demande d’asile, mais aussi manqué de diligence dans la poursuite de sa demande d’asile et omis de poursuivre son audience, même si elle avait été informée des conséquences de ses actes.

[13]           Le président de l’audience a également fait observer que Mme Zhang entreprenait en fait une « quête du meilleur commissaire », comportement qui, à son avis, ne pouvait être toléré. Il a ajouté que Mme Zhang disposait, sous le régime de la Loi, de voies de recours si elle croyait qu’il y avait eu manquement à l’équité procédurale ou partialité :

[43]      Le refus de répondre aux questions du tribunal n’est pas une voie de recours prévue par la LIPR ou les Règles de la SPR. Les demandeurs d’asile disposent de voies de recours s’ils croient que leurs droits à l’équité procédurale et à la justice naturelle ont été enfreints. Le refus de répondre aux questions d’un tribunal n’est pas une réaction appropriée à l’opinion d’un demandeur d’asile en ce qui concerne l’équité dans les procédures d’octroi de l’asile. Le système comporte des freins et contrepoids pour empêcher les abus de pouvoir de la part des décideurs.

[14]           Enfin, le président de l’audience a souligné qu’une personne se devait de répondre aux questions qui lui étaient posées au cours d’une audience tenue sous le régime de la Loi, et que le refus délibéré de répondre aux questions constituait une infraction à la Loi.

II.                Question en litige et norme de contrôle

[15]           La question à trancher en l’espèce est celle de savoir si le président de l’audience, en prononçant le désistement de la demande d’asile de Mme Zhang en raison du refus de celle‑ci de répondre à d’autres questions après le rejet de sa demande de récusation, a commis une erreur susceptible de contrôle, au sens du paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC, 1985, c F-7.

[16]           Les parties ne s’entendent pas sur la norme de contrôle applicable au règlement de la question en litige. Mme Zhang soutient que le paragraphe 168(1) de la Loi, s’il est correctement interprété, ne permet pas de prononcer le désistement dans de telles circonstances. Par conséquent, affirme‑t‑elle, la question dont la Cour est saisie est une pure question de droit, susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte.

[17]           Le ministre défendeur (le ministre) soutient pour sa part que la décision de prononcer le désistement d’une demande d’asile est susceptible de contrôle selon la norme du caractère raisonnable. Le ministre affirme que la Cour doit intervenir seulement si une telle décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[18]           Je suis d’accord avec le ministre. La compétence de la SPR pour prononcer le désistement dans une affaire dont elle est saisie découle du paragraphe 168(1) de la Loi. Cette disposition confère un vaste pouvoir discrétionnaire à la SPR : elle porte que la SPR peut prononcer le désistement si elle estime que le demandeur d’asile « omet de poursuivre l’affaire, notamment par défaut de comparution, de fournir les renseignements qu’elle peut requérir ou de donner suite à ses demandes de communication ».

[19]           Par conséquent, la décision de prononcer le désistement dans une affaire dont la SPR est saisie soulève des questions mixtes de fait et de droit dans un domaine où s’exerce la compétence de la SPR – sa propre procédure (Xu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 718, au paragraphe 22). Comme il est désormais bien établi, cette déférence s’étend non seulement aux conclusions de fait du décideur, mais aussi à son interprétation de sa loi constitutive et des dispositions législatives connexes (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 25).

[20]           La déférence envers l’interprétation que fait le décideur de sa propre loi découle de l’idée qu’une disposition législative peut donner lieu à plus d’une interprétation valable et un litige, à plus d’une solution. Par conséquent, la cour de révision doit se garder d’intervenir relativement à cette interprétation lorsque la décision du décideur a un fondement rationnel (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, aux paragraphes 41 et 54; voir également Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, au paragraphe 30, [2011] 3 RCS 654 [Alberta Teachers]; Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, au paragraphe 16, [2011] 3 RCS 471 [Mowat]; Celgene Corp c Canada (Procureur général), 2011 CSC 1, au paragraphe 34, [2011] 1 RCS 3 [Celgene]; Smith c Alliance Pipeline Ltd., 2011 CSC 7, au paragraphe 28, [2011] 1 RCS 160 [Smith]).

[21]           J’estime donc que la décision du président de l’audience, tant au regard des faits que du droit, commande la déférence et est susceptible de contrôle selon la norme du caractère raisonnable. Par conséquent, j’interviendrai seulement si la décision n’a pas les attributs requis de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité, et qu’elle n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Khosa, précité, au paragraphe 59).

III.             Analyse

A.                Le fonctionnement général de la SPR

[22]           La SPR est une des quatre sections de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada établies en vertu de l’article 151 de la Loi. Elle a compétence exclusive pour connaître des demandes d’asile dont elle est saisie aux termes de la Loi (paragraphe 162(1)). Elle accueille la demande d’asile quand elle détermine que le demandeur a qualité de réfugié au sens de la Convention ou celle de personne à protéger au sens de la Loi. Dans le cas contraire, elle rejette la demande d’asile (article 107 de la Loi).

[23]           Dans l’exercice de sa compétence, la SPR est habilitée pour connaître des questions de droit et de fait, y compris en matière de compétence (paragraphe 162(1) de la Loi). En outre, chacun de ses commissaires est investi des pouvoirs d’un commissaire nommé aux termes de la partie I de la Loi sur les enquêtes, LRC, 1985, c I-11, y compris le pouvoir de contraindre des personnes à témoigner, et peut prendre les mesures qu’il juge « utiles à la procédure » (article 165 de la Loi).

[24]           Toute affaire dont la SPR est saisie doit être traitée, « dans la mesure où les circonstances et les considérations d’équité et de justice naturelle le permettent, sans formalisme et avec célérité » (article 163 de la Loi). Plus particulièrement, dans toute affaire dont elle est saisie, la SPR :

a.         procède à tous les actes qu’elle juge utiles à la manifestation du bien-fondé de la demande (alinéa 170a) de la Loi);

b.         peut interroger des témoins, notamment le demandeur d’asile (alinéa 170d.1) de la Loi);

c.         n’est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve (alinéa 170g) de la Loi);

d.        rend sa décision sur le fondement d’éléments crédibles ou dignes de foi (alinéa 170h) de la Loi);

e.         dispose de la demande par la tenue d’une audience (alinéa 170b) de la Loi);

f.          donne aux parties, y compris au demandeur d’asile, la possibilité de produire des éléments de preuve, d’interroger des témoins et de présenter des observations (alinéa 170e) de la Loi).

[25]           Le fonctionnement de la SPR est régi plus en détail par les Règles de la Section de la protection des réfugiés (DORS/2012-256) (les Règles), adoptées en vertu de l’article 161 de la Loi. Les Règles comprennent des dispositions concernant, entre autres, la fixation de la date, de l’heure et du lieu de l’audience (article 3), l’importance d’obtenir la preuve documentaire pertinente sans délai de la part du demandeur d’asile (sous‑alinéa 3(4)c)(ii)), le déroulement de l’audience, y compris l’ordre habituel des interrogatoires selon lequel le demandeur d’asile est d’abord interrogé par la SPR (article 10), la manière de présenter une demande de décision à la SPR sur toute question soulevée dans le cadre d’une procédure (articles 50 à 52) et le processus de retrait, de rétablissement ou de réouverture d’une demande d’asile (articles 59 à 62).

[26]           En particulier, les Règles régissent le changement de lieu, de date ou d’heure d’une procédure (articles 53 et 54). Dans le cas d’une demande de changement de date ou d’heure d’une procédure, les Règles disposent que la demande ne peut être accueillie, « sauf en cas de circonstances exceptionnelles » (article 54(4)).

B.                 La compétence de la SPR pour prononcer le désistement

[27]           Comme nous l’avons vu ci‑dessus, le paragraphe 168(1) de la Loi confère à la SPR le pouvoir de prononcer le désistement dans une affaire dont elle est saisie. Elle prononcera le désistement si elle conclut que le demandeur d’asile omet de poursuivre l’affaire. L’article 168(1) est ainsi rédigé :

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LC 2001, c 27)

Immigration and Refugee Protection Act (SC 2001, c 27)

Désistement

Abandonment of proceeding

168. (1) Chacune des sections peut prononcer le désistement dans l’affaire dont elle est saisie si elle estime que l’intéressé omet de poursuivre l’affaire, notamment par défaut de comparution, de fournir les renseignements qu’elle peut requérir ou de donner suite à ses demandes de communication.

168. (1) A Division may determine that a proceeding before it has been abandoned if the Division is of the opinion that the applicant is in default in the proceedings, including by failing to appear for a hearing, to provide information required by the Division or to communicate with the Division on being requested to do so.

Abus de procédure

Abuse of process

(2) Chacune des sections peut refuser le retrait de l’affaire dont elle est saisie si elle constate qu’il y a abus de procédure, au sens des règles, de la part de l’intéressé.

(2) A Division may refuse to allow an applicant to withdraw from a proceeding if it is of the opinion that the withdrawal would be an abuse of process under its rules.

[28]           Quant à elles, les Règles parlent des cas où il faut donner au demandeur d’asile la possibilité d’expliquer pourquoi le désistement ne devrait pas être prononcé et de ceux où cette mesure ne sera pas jugée nécessaire. Les Règles parlent aussi des cas où l’explication, quand elle est jugée nécessaire, doit être présentée sur‑le‑champ ou au cours d’une audience spéciale.

[29]           Les Règles disposent également que, pour décider si elle prononce le désistement de la demande d’asile, la SPR doit prendre en considération l’explication donnée par le demandeur d’asile et « tout autre élément pertinent », notamment le fait que le demandeur d’asile est prêt à commencer ou à poursuivre les procédures.

[30]           Au moment où les procédures concernant la demande d’asile de Mme Zhang ont été engagées, la règle applicable, l’article 58, était rédigée ainsi :

(1) Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228

Refugee Protection Division Rules, SOR/2002-228

DÉSISTEMENT

ABANDONMENT

Désistement sans audition du demandeur d’asile

Abandonment without hearing the claimant

58. (1) La Section peut prononcer le désistement d’une demande d’asile sans donner au demandeur d’asile la possibilité d’expliquer pourquoi le désistement ne devrait pas être prononcé si, à la fois :

58. (1) A claim may be declared abandoned, without giving the claimant an opportunity to explain why the claim should not be declared abandoned, if

a) elle n’a reçu ni les coordonnées, ni le formulaire sur les renseignements personnels du demandeur d’asile dans les vingt-huit jours suivant la date à laquelle ce dernier a reçu le formulaire;

(a) the Division has not received the claimant’s contact information and their Personal Information Form within 28 days after the claimant received the form; and

b) ni le ministre, ni le conseil du demandeur d’asile, le cas échéant, ne connaissent ces coordonnées.

(b) le ministre and the claimant’s counsel, if any, do not have the claimant’s contact information.

Possibilité de s’expliquer

Opportunity to explain

(2) Dans tout autre cas, la Section donne au demandeur d’asile la possibilité d’expliquer pourquoi le désistement ne devrait pas être prononcé. Elle lui donne cette possibilité :

(2) In every other case, the Division must give the claimant an opportunity to explain why the claim should not be declared abandoned. The Division must give this opportunity

a) sur-le-champ, dans le cas où il est présent à l’audience et où la Section juge qu’il est équitable de le faire;

(a) immediately, if the claimant is present at the hearing and the Division considers that it is fair to do so; or

b) dans le cas contraire, au cours d’une audience spéciale dont la Section l’a avisé par écrit.

(b) in any other case, by way of a special hearing after notifying the claimant in writing.

Éléments à considérer

Factors to consider

(3) Pour décider si elle prononce le désistement, la Section prend en considération les explications données par le demandeur d’asile à l’audience et tout autre élément pertinent, notamment le fait que le demandeur d’asile est prêt à commencer ou à poursuivre l’affaire.

(3) The Division must consider, in deciding if the claim should be declared abandoned, the explanations given by the claimant at the hearing and any other relevant information, including the fact that the claimant is ready to start or continue the proceedings.

Poursuite de l’affaire

Decision to start or continue the proceedings

(4) Si la Section décide de ne pas prononcer le désistement, elle commence ou poursuit l’affaire sans délai.

(4) If the Division decides not to declare the claim abandoned, it must start or continue the proceedings without delay.

C.                 La thèse de Mme Zhang

[31]           Mme Zhang soutient qu’elle n’a pas omis de poursuivre l’affaire en ne répondant plus aux questions du président de l’audience, selon une interprétation appropriée du paragraphe 168(1) de la Loi. Elle affirme que la notion d’omission, dans le contexte de cette disposition, suppose des défauts purement procéduraux ou administratifs de la part du demandeur d’asile, par exemple le défaut de comparaître à la date fixée pour l’audience ou de présenter à la SPR les formulaires ou autres renseignements administratifs requis. Elle ne comprend donc pas le silence des témoins.

[32]           Cette interprétation du paragraphe 168(1), affirme Mme Zhang, est soutenue par les Règles qui mettent en œuvre cette disposition, tant dans leur forme au moment où les procédures la concernant ont été engagées devant la SPR que dans leur forme actuelle. Cette interprétation, ajoute Mme Zhang, est également conforme à l’objet de la disposition, c’est‑à‑dire veiller à ce que les demandes d’asile soient entendues sans retard injustifié. D’après Mme Zhang, les Règles sont très claires à cet égard, car elles disposent que la SPR doit prendre en considération le fait que le demandeur est prêt à commencer ou à poursuivre les procédures pour décider de prononcer ou non le désistement d’une demande d’asile.

[33]           Mme Zhang termine en soulignant que l’issue logique de la conclusion contestée établit un dangereux précédent, qui habilite la SPR à prononcer le désistement d’une demande d’asile chaque fois qu’elle estime que le demandeur ne répond pas suffisamment à ses questions. Mme Zhang affirme que le silence d’un demandeur d’asile est une question qui sert normalement à apprécier la crédibilité du demandeur, et non à prononcer le désistement de sa demande d’asile. Quoi qu’il en soit, affirme‑t‑elle, le président de l’audience avait, après la séance du 23 mai 2011, suffisamment d’éléments de preuve pour rendre une décision sur le fond de sa demande d’asile et, dans un tel contexte, le fait de prononcer le désistement constituait un abus de procédure encore plus grave.

D.                La conclusion contestée est raisonnable dans les circonstances particulières de l’espèce

[34]           Selon le libellé même du paragraphe 168(1), le pouvoir de prononcer le désistement d’une procédure est de nature discrétionnaire. La SPR est en effet habilitée à prononcer le désistement « si elle estime que l’intéressé omet de poursuivre l’affaire ». Le concept de l’intéressé qui « omet de poursuivre l’affaire » n’est pas défini dans la Loi, mais le paragraphe 168(1) décrit trois situations où une telle omission peut se produire : le défaut de comparution, le défaut de fournir les renseignements demandés par la SPR et le défaut de donner suite aux demandes de communication de la SPR. Cependant, le libellé du paragraphe 168(1) indique que cette liste de défauts éventuels n’est pas exhaustive.

[35]           Cela étant dit, il est bien établi que le paragraphe 168(1) doit être lu dans son contexte global et d’une façon qui s’harmonise avec l’esprit de la Loi, l’objet de la Loi et l’intention du législateur (Ruth Sullivan, Statutory Interpretation, 2e éd., Toronto, Irwin Law Inc., 2007, à la page 40).

[36]           En interprétant le paragraphe 168(1) de la Loi, la Cour a constamment statué qu’en matière de désistement, la principale question à trancher est celle de savoir si la conduite du demandeur exprime l’intention de poursuivre la demande d’asile avec diligence (Csikos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2013 CF 632, au paragraphe 25).

[37]           Dans la décision Anjum c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2004 CF 496, 250 FTR 311, la Cour a exprimé l’opinion selon laquelle l’expression « omet de poursuivre l’affaire » au paragraphe 168(1), lue dans le contexte de la disposition tout entière, dénotait l’intention du législateur de s’occuper de la question du mépris, intentionnel ou par négligence, du processus de la SPR (Anjum, au paragraphe 24).

[38]           Cette interprétation est entièrement conforme à l’esprit et à l’objet de la Loi. Un des principaux objectifs de la Loi consiste à établir une procédure équitable et efficace visant à assurer l’intégrité du processus canadien d’asile (alinéa 3(2)e) de la Loi). En vue d’atteindre cet objectif, le législateur a confié à la SPR la tâche de traiter toute affaire dont elle est saisie, « dans la mesure où les circonstances et les considérations d’équité et de justice naturelle le permettent, sans formalisme et avec célérité » (paragraphe 162(2) de la Loi).

[39]           À cette fin, le législateur a investi la SPR de vastes pouvoirs dans le déroulement de ses procédures, y compris le pouvoir de prendre les mesures qu’elle juge utiles à la procédure (article 165 de la Loi), celui de procéder à tous les actes qu’elle juge utiles à la manifestation du bien‑fondé de la demande (alinéa 170a) de la Loi) et celui de prononcer le désistement d’une demande d’asile si le demandeur omet de poursuivre l’affaire. Le législateur a aussi déterminé que le refus de répondre aux questions dans le cadre d’une procédure conduite sous le régime de la Loi peut entraîner des sanctions pénales.

[40]           Par conséquent, le régime législatif exige un certain degré de discipline de la part des demandeurs d’asile : leur conduite doit dénoter l’intention non seulement de poursuivre leur demande, mais aussi de le faire avec diligence et dans le respect du processus de la SPR, ce qui signifie notamment que les demandeurs doivent fournir à la SPR les renseignements qu’elle requiert.

[41]           C’est exactement ce que Mme Zhang a omis de faire. Bien qu’elle affirme avoir toujours l’intention de poursuivre sa demande d’asile, il est possible de dire sans risquer de se tromper qu’elle n’a jamais eu l’intention de poursuivre sa demande devant la SPR, dont le tribunal était constitué en vue de déterminer si la demande d’asile de Mme Zhang était fondée. Mme Zhang a agi après avoir pris en toute conscience une décision tactique visant à faire dérailler le processus de la SPR, dans l’espoir que sa demande soit traitée à nouveau de la manière qu’elle souhaitait. Pour atteindre son but, elle a sciemment choisi de ne plus répondre aux questions du président de l’audience. Ce comportement équivalait, selon moi, à un refus de poursuivre l’affaire comme elle avait commencé et s’était poursuivie jusque‑là.

[42]           Comme le ministre le souligne, plutôt que d’utiliser le recours établi offert par la Loi pour contester la décision du président de l’audience de ne pas se récuser, Mme Zhang a maintenu son refus de communiquer avec la SPR. Je conviens avec le ministre que Mme Zhang a abusé du processus de la SPR en agissant ainsi, car elle contournait le rejet de sa demande de récusation, allait à l’encontre de son obligation de répondre aux questions, se livrait à une quête du meilleur commissaire et adoptait une conduite de nature à retarder ce processus.

[43]           À cet égard, il est bien établi qu’une conduite soulevant une crainte raisonnable de partialité n’a pas automatiquement pour effet de priver le décideur de sa compétence et d’invalider la procédure engagée devant lui. La bonne façon de procéder pour la partie victime de la partialité consiste à demander promptement la récusation du décideur. En l’absence d’une ordonnance déclarant le décideur inhabile, celui‑ci garde compétence sur l’affaire, et il continue d’avoir compétence tant que sa décision n’est pas infirmée par une juridiction supérieure (R. c Curragh Inc. [1997] 1 RCS 537, au paragraphe 114).

[44]           Conformément à ce principe, la Cour a toujours statué que l’exercice du pouvoir discrétionnaire de procéder au contrôle judiciaire doit être justifié par des circonstances exceptionnelles quand l’allégation de partialité est soulevée avant la fin du processus administratif, étant donné qu’à l’étape interlocutoire, l’existence ou non d’une crainte de partialité fait courir un risque de prolifération indue des litiges (Air Canada c Lorenz (1re inst.), [2000] 1 CF 494, [1999] ACF no 1383 (QL), aux paragraphes 19 à 22; Douglas c Canada (Procureur général), 2014 CF 299, aux paragraphes 128 et 129).

[45]           Il était toutefois peu judicieux de la part de Mme Zhang de refuser de poursuivre l’affaire après le rejet de sa demande de récusation. Le président de l’audience avait encore compétence à ce moment‑là pour continuer l’audience, chercher à obtenir d’autres renseignements de Mme Zhang et la contraindre à témoigner, car la Loi confère de tels pouvoirs à la SPR.

[46]           En refusant de répondre à d’autres questions, Mme Zhang a omis de communiquer les renseignements que la SPR jugeait nécessaires pour évaluer si la demande d’asile reposait sur des éléments de preuve crédibles et dignes de foi. Ce refus a entravé le fonctionnement de la SPR relativement à une fonction qui se trouve au cœur même de sa mission.

[47]           Dans ce contexte, j’estime qu’il était loisible au président de l’audience de conclure que la conduite de Mme Zhang était visée par le paragraphe 168(1) de la Loi. Plus particulièrement, il lui était loisible de conclure que le comportement de Mme Zhang équivalait à un défaut de donner suite aux demandes de communication de la SPR et que Mme Zhang avait, par conséquent, omis de poursuivre l’affaire. Cette interprétation est conforme au sens ordinaire du terme anglais « communicate » (communiquer), lequel est défini comme suit : [traduction] « Action de véhiculer, de transmettre et de faire passer de l’information » (Oxford Dictionary of English, 3e éd. sub verbo « communicate »). Elle est également conforme au contexte tout entier du paragraphe 168(1) ainsi qu’à l’esprit et à l’objet de la Loi, comme nous l’avons vu ci‑dessus. En d’autres mots, cette interprétation du paragraphe 168(1) faite par le président de l’audience était totalement raisonnable.

[48]           Mme Zhang se fonde sur les Règles pour avancer que le paragraphe 168(1) doit être interprété comme s’appliquant seulement aux défauts purement administratifs. Premièrement, il est déplacé de s’appuyer uniquement sur les règlements, comme le fait Mme Zhang, pour interpréter une disposition de la loi habilitante (Mines Alerte Canada c Canada (Pêches et Océans), 2010 CSC 2, [2010] 1 RCS 6, au paragraphe 31). En effet, dans la mesure où elle laisse de côté le reste du contexte législatif, une telle façon d’aborder l’interprétation des lois n’est pas souhaitable. Comme je l’ai indiqué auparavant, l’ensemble du contexte législatif joue en défaveur de l’interprétation que Mme Zhang fait du paragraphe 168(1).

[49]           Deuxièmement, je ne vois rien dans les Règles qui peut soutenir sa thèse. Au contraire, le libellé de l’article 58 des Règles (DORS/2002-228), qui était en vigueur au moment de l’audience de Mme Zhang, est suffisamment large pour comprendre des situations autres que des défauts administratifs. L’article 58 des Règles envisage deux différentes catégories de situations, mais aux seules fins de définir dans quels cas la SPR est tenue de donner au demandeur d’asile la possibilité d’expliquer pourquoi le désistement ne devrait pas être prononcé et dans quels cas elle n’est pas tenue de le faire.

[50]           La SPR peut prononcer le désistement sans entendre d’abord les explications du demandeur d’asile seulement quand le demandeur n’a pas transmis ses coordonnées à la SPR, ni au ministre, ni, le cas échéant, à son conseil, ou quand le demandeur n’a pas fourni à la SPR son formulaire sur les renseignements personnels dans le délai prescrit (paragraphe 58(1)).

[51]           La SPR est toutefois tenue d’entendre le demandeur d’asile avant de prononcer le désistement « [d]ans tout autre cas ». Ce libellé ne signifie en rien que le désistement peut être prononcé uniquement en cas de défaut administratif.

[52]           De plus, les Règles soulignent l’importance pour le demandeur d’asile d’être prêt à procéder, comme en témoigne le fait qu’une demande de changement de date ne sera généralement pas accueillie, sauf en cas de circonstances exceptionnelles (paragraphe 54(4)). Cette importance se manifeste aussi par l’obligation qui incombe à la SPR de prendre notamment en considération le fait que le demandeur d’asile est prêt à procéder pour décider de prononcer le désistement de la demande d’asile (paragraphe 58(3), DORS/2002‑228; paragraphe 65(4) DORS /2012‑256)). Ces dispositions cadrent totalement avec l’objet du paragraphe 168(1) de la Loi, c’est‑à‑dire veiller à ce que les demandeurs d’asile poursuivent leur demande avec diligence et dans le respect du processus de la SPR.

[53]           L’argument de Mme Zhang selon lequel la version actuelle des Règles soutient son interprétation du paragraphe 168(1) ne peut pas non plus être retenu. L’article 65, qui a remplacé l’article 58, n’a pas changé la substance de cette disposition. Le principal changement concerne le cas du demandeur d’asile qui explique que le désistement ne devrait pas être prononcé pour des raisons médicales. En pareil cas, l’article 65 exige que le demandeur d’asile transmette un certificat médical et précise les renseignements que doit contenir ledit certificat. À l’instar de l’article 58 qui l’avait précédé, l’article 65 ne traite pas de toutes les explications possibles pour le désistement.

[54]           La thèse de Mme Zhang relativement au paragraphe 168(1) de la Loi fait abstraction du contexte législatif global et, par conséquent, interprète mal la règle sur le désistement. Comme je l’ai souligné ci‑dessus, la Loi confère à la SPR un vaste pouvoir discrétionnaire dans la conduite des affaires dont elle est saisie. La Loi habilite la SPR à contraindre des personnes à témoigner, à questionner le demandeur d’asile et à procéder à tous les actes qu’elle juge utiles à la manifestation du bien‑fondé de la demande d’après des éléments de preuve crédibles et dignes de foi, et exige que la SPR procède sans formalisme et de manière expéditive, dans la mesure où les circonstances et les considérations d’équité et de justice naturelle le permettent. En retour, la Loi oblige le demandeur d’asile à répondre aux questions qui lui sont adressées au cours d’une procédure, une exigence jugée si importante par le législateur que le défaut de s’y conformer peut entraîner l’imposition de sanctions pénales.

[55]           Compte tenu de ces facteurs, il était loisible au président de l’audience de conclure que Mme Zhang s’était désistée de sa demande d’asile étant donné son refus de répondre à d’autres questions. Cette conclusion n’est pas contraire aux Règles, tant dans leur forme au moment où la décision contestée a été rendue que dans leur forme actuelle.

[56]           Je ne partage ni ne retiens la préoccupation de Mme Zhang selon laquelle le désistement de sa demande d’asile crée un dangereux précédent, qui habilite la SPR à prononcer le désistement d’une demande d’asile chaque fois qu’elle estime que le demandeur n’a pas suffisamment répondu à ses questions. Une fois encore, les circonstances qui ont mené la SPR à prononcer le désistement de la demande d’asile de Mme Zhang sont tout à fait particulières : le silence de Mme Zhang était le résultat d’un choix délibéré et tactique qu’elle avait fait en toute conscience dans le but de mettre un terme au processus de la SPR, comme il avait commencé et s’était poursuivi jusque‑là, dans l’espoir de voir sa demande d’asile traitée d’une façon qui, croyait‑elle, augmenterait ses chances de succès. C’est ce genre de conduite qui risque de créer un dangereux précédent, et non la décision rendue par le président de l’audience dans les circonstances particulières de l’espèce.

[57]           La question de savoir si le silence d’un témoin ou d’un demandeur d’asile peut mener au désistement d’une procédure dépendra des circonstances de chaque cas. Peut‑être que, dans la plupart des cas, une telle situation servira à apprécier la crédibilité, et non à prononcer le désistement. Toutefois, quand le silence d’un demandeur d’asile révèle aussi manifestement à la fois du mépris pour le processus de la SPR et un manque de diligence dans la poursuite de la demande, comme en l’espèce, il n’est pas déraisonnable de conclure, à l’instar du président de l’audience, qu’une telle conduite tombe sous le coup du paragraphe 168(1) de la Loi.

[58]           Enfin, il faut rejeter l’affirmation de Mme Zhang selon laquelle le fait de prononcer le désistement constituait un abus de procédure encore plus grave étant donné que le président de l’audience avait, après la séance du 23 mai 2011, suffisamment d’éléments de preuve pour rendre une décision sur le fond de sa demande d’asile.

[59]           Premièrement, il n’a pas été établi qu’il ne restait plus rien à examiner relativement à la demande d’asile de Mme Zhang quand la séance du 23 mai 2011 a pris fin. Le contraire aurait été fort surprenant, étant donné que cette séance a dû être interrompue en raison de l’état de santé de Mme Zhang. Le dossier n’indique nulle part que le président de l’audience avait, à ce moment‑là, fini de questionner Mme Zhang. Deuxièmement, Mme Zhang, qui était représentée par un conseil tout au long de l’instance devant le président de l’audience, ne s’est pas opposée à la fixation d’une audience de suivi, qui a eu lieu le 27 novembre de la même année. Il faut en déduire que la procédure n’était pas encore terminée.

[60]           Troisièmement, cet argument n’a jamais été soulevé pour justifier le refus de Mme Zhang de répondre à d’autres questions à la reprise de l’audience, en mars 2013. Mme Zhang a été poussée au silence uniquement parce qu’elle s’était mise récemment à appréhender le peu de chances que sa demande d’asile soit accueillie, étant donné le taux d’approbation des demandes d’asile du président de l’audience.

[61]           Par conséquent, cet argument n’est pas fondé.

[62]           Comme la Cour l’a souligné dans la décision Singh c Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2012 CF 224, 405 FTR 293, les conséquences d’une déclaration portant qu’il y a eu désistement peuvent être graves et même porter un coup fatal à une demande d’asile. Toutefois, la gravité des conséquences signifie seulement que la SPR doit veiller à ce que le demandeur ait l’entière possibilité d’expliquer pourquoi le désistement de sa demande ne devrait pas être prononcé et qu’elle doit prendre en considération tout ce qui lui est présenté à cet égard (Singh, au paragraphe 75).

[63]           Dans le cas qui nous occupe, comme le montre le dossier, Mme Zhang avait été avisée des conséquences de ses actes et avait eu toutes les possibilités prévues par la loi de poursuivre sa demande. Elle a préféré défier le processus de la SPR.

[64]           Dans la décision Gapchenko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 427, les demandeurs avaient changé d’avocat peu de temps avant l’audience. Quand ils ont comparu, ils ont demandé la remise de l’audience, qui leur a été refusée. La SPR leur a offert d’entendre quand même l’affaire, mais ils ont refusé de poursuivre en l’absence de leur nouvel avocat. Le désistement de leurs demandes d’asile a été prononcé, au motif qu’il incombait aux demandeurs de s’assurer que leur nouvel avocat serait disponible pour participer à l’audience à la date prévue. La Cour avait alors conclu que la décision de la SPR n’était en rien déraisonnable, parce que les demandeurs d’asile avaient omis de poursuivre leur affaire avec diligence.

[65]           La décision Gapchenko concernait également des demandeurs qui refusaient de répondre au cours d’une audience devant la SPR. S’il était raisonnablement loisible à la SPR de prononcer le désistement dans cette affaire‑là, il me semble qu’il était à tout le moins aussi raisonnable de le faire dans les circonstances de la présente affaire.

[66]           La demande de contrôle judiciaire de Mme Zhang est donc rejetée.

E.                 L’affaire ne justifie pas la certification d’une question

[67]           Mme Zhang a proposé la question suivante aux fins de certification sous le régime de l’alinéa 74d) de la Loi :

[traduction] La Section de la protection des réfugiés peut-elle prononcer le désistement d’une demande d’asile quand le demandeur d’asile déclare qu’il ne répondra pas aux questions du tribunal?

[68]           Le critère de la certification consiste à déterminer s’il y a une question grave de portée générale qui permettrait de régler un appel et qui transcende les intérêts des parties au litige (Zazai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2004 CAF 89, au paragraphe 11; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Liyanagamage, 176 NR 4, au paragraphe 4, [1994] ACF no 1637).

[69]           Lorsqu’elle évalue s’il convient de certifier une question, la Cour doit se rappeler que le processus de certification ne saurait être utilisé comme un moyen d’obtenir, de la Cour d’appel, des jugements déclaratoires à l’égard de questions qu’il n’est pas nécessaire de trancher pour régler l’affaire. Il faut aussi se rappeler que ce processus ne doit pas être assimilé au processus de renvoi établi par la Loi sur les Cours fédérales (Zazai, précitée, au paragraphe 13).

[70]           Mme Zhang affirme, à l’appui de sa demande de certification, que la question des circonstances dans lesquelles le désistement d’une demande peut être prononcé aux termes du paragraphe 168(1) de la Loi est grave et a une portée générale, étant donné que le désistement équivaut à la perte d’un droit fondamental découlant du droit international. Elle soutient à cet égard que le terme « omet » employé au paragraphe 168(1) n’indique pas clairement si le défaut de donner suite à des demandes de communication concerne un défaut administratif ou un défaut littéral de communiquer de vive voix avec la SPR au cours d’une audience, et qu’il faut lever cette ambiguïté dans l’intérêt de tous les demandeurs d’asile.

[71]           Je ne suis pas d’accord. Comme le ministre le souligne à juste titre, la présente affaire repose sur des faits qui lui sont propres et sur un ensemble de circonstances sortant de l’ordinaire. La Cour a rendu de nombreuses décisions portant sur le désistement dans le cadre d’une demande d’asile. Cette jurisprudence a établi clairement que l’intention du législateur derrière l’expression « omet de poursuivre l’affaire », dans le contexte du paragraphe 168(1) de la Loi, comprend le mépris intentionnel ou par négligence du processus de la SPR et le manque de diligence dans la poursuite d’une demande d’asile.

[72]           Comme je l’ai conclu, Mme Zhang, d’une façon vraiment très particulière, a intentionnellement fait preuve de mépris et manqué de diligence. Elle a tenté de contourner le rejet de sa demande de récusation, choisissant ainsi délibérément d’ignorer son obligation de répondre aux questions, elle s’est livrée à une quête du meilleur commissaire et a adopté en toute conscience une conduite de nature à retarder le processus. Dans ce contexte, la question qu’elle a proposée ne transcende pas les faits de l’espèce; il ne s’agit donc pas d’une question de portée générale, ni d’une question grave.

[73]           Étant donné les circonstances qui sont propres à cette affaire, je conclus que le paragraphe 168(1) de la Loi n’a pas besoin d’être clarifié davantage au moyen d’une question certifiée.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.                  Aucune question n’est certifiée.

« René LeBlanc »

Juge

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3166-13

INTITULÉ :

NA ZHANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 juIN 2014

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LEBLANC

DATE DES MOTIFS :

LE 18 SEPTEMBRE 2014

COMPARUTIONS :

M. Jayson Thomas

POUR La demanderesse

Mme Susan Gans

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jayson Thomas

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR La demanderesse

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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