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Date : 20140918


Dossier : IMM-880-14

Référence : 2014 CF 897

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 septembre 2014

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

LUCINDA GABRIELLE MORGAN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La demanderesse vise l’annulation de la décision par laquelle un agent des visas a rejeté sa demande de résidence permanente à titre de travailleuse qualifiée membre de la catégorie de l’expérience canadienne (CEC). Elle allègue que l’agent des visas a apprécié sa demande de manière déraisonnable et qu’il n’a pas offert des motifs adéquats à l’appui de sa décision. J’ai conclu, pour les motifs qui suivent, que la décision de l’agent devrait être confirmée. La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

I.                   LE CONTEXTE

[2]               Mme Morgan est une citoyenne du Royaume-Uni. Elle est entrée au Canada le 11 mai 2011, munie d’un permis de travail, au titre de la catégorie de l’expérience internationale.

[3]               Mme Morgan a travaillé auprès du Healthcare of Ontario Pension Plan (HOOPP) à titre d’adjointe à la planification financière, de juin 2011 à décembre 2012. En mars 2013, elle a commencé à travailler comme adjointe administrative au sein du cabinet Crowe Soberman LLP.

[4]               Le 25 avril 2013, Mme Morgan a présenté une demande de résidence permanente au titre de la CEC. Elle a inscrit deux catégories qui correspondaient à son expérience de travail qualifié : la CNP 1241 (adjointe administrative) et la CNP 1221 (adjointe de bureau). Bien qu’elle ait produit à l’appui de sa demande une lettre de recommandation rédigée par le HOOPP, elle n’a déposé aucun document se rapportant à son travail au sein de Crowe Soberman LLP.

[5]               Un agent des visas a rejeté la demande de Mme Morgan le 27 août 2013. Un mois plus tard, elle a demandé à ce que le défendeur, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, réexamine sa demande.

[6]               Mme Morgan a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’égard de la décision défavorable le 13 février 2014. Six jours plus tard, le défendeur a rejeté sa demande de réexamen. Mme Morgan a ensuite sollicité une prorogation du délai et l’autorisation du contrôle judiciaire à l’égard de la décision datée du 27 août 2013. L’autorisation et la prorogation de délai lui ont été accordées le 6 juin 2014.

II.                LA DÉCISION VISÉE PAR LE CONTRÔLE

[7]               La décision de l’agent des visas contient deux éléments : une lettre datée du 27 août 2013 et les données qu’il a consignées dans le Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (STIDI).

[8]               Dans sa lettre, l’agent a mentionné qu’il avait rejeté la demande pour les motifs suivants :

[traduction

« Je ne suis pas convaincu que vous répondez aux exigences, parce que, après avoir examiné la documentation à l’appui de votre dossier en ce qui concerne votre expérience de travail, je ne suis pas convaincu que vous avez accompli l’ensemble des tâches énoncées dans l’énoncé principal établi pour la profession, ou que vous avez exercé un nombre appréciable des fonctions principales figurant dans la description de la profession CNP 1241 (adjointe administrative). Les fonctions principales que vous avez exercées dans le cadre de votre expérience de travail et qui sont répertoriées dans votre lettre d’emploi provenant de HOOPP ne correspondent pas à celles de la profession CNP 1241 (adjoint administratif). De plus, vous n’avez pas produit de lettre d’emploi dressant la liste des fonctions principales que vous exercez chez votre actuel employeur (Crowe Soberman).

[9]               Les notes suivantes apparaissent au STIDI :

[traduction

« DOSSIER DE CEC EXAMINÉ PAR L’AGENT D’APPUI AU PROGRAMME. Le dossier de l’intéressée a été examiné selon la catégorie de l’expérience canadienne. Bien que l’intéressée ait mentionné qu’elle avait de l’expérience de travail au niveau 0, A ou B de la CNP, je ne suis pas convaincu que l’intéressée a exercé un nombre appréciable des fonctions principales et/ou que les fonctions exercées par l’intéressée correspondent à l’énoncé principal pour le code 1241 de la CNP (assistant à la planification financière). Aussi, l’intéressée n’a pas produit une lettre d’emploi de son employeur actuel qui dressait la liste de ses fonctions principales (CNP 1221 – adjointe de bureau chez Crowe Soberman). Il semble que l’intéressée n’a pas répondu à toutes les exigences pour présenter une demande au titre de la CEC. La lettre a été envoyée par courriel aux adresses figurant au dossier, pour informer l’intéressée que sa demande est rejetée. […]

III.             LA QUESTION EN LITIGE

[10]           La question en litige est celle de savoir si l’agent des visas a rendu une décision raisonnable. Puisque Mme Morgan conteste la manière dont il a appliqué la réglementation pertinente dans son cas et le caractère suffisant de ses motifs, j’examinerai la décision à la lumière de ces deux facteurs.

[11]           De plus, la demanderesse allègue dans ses observations écrites que la décision donne lieu à une crainte raisonnable de partialité. Son avocat n’a pas fait valoir cette allégation lors de l’audience. Je suis d’avis que le dossier n’appuie en rien cette allégation.

IV.             ANALYSE

A.                La norme de contrôle applicable

[12]           Les agents des visas rendent des décisions discrétionnaires, lesquelles sont susceptibles de contrôle selon la norme de la raisonnabilité : Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 798, aux paragraphes 10 et 11.

[13]           Une analyse selon la norme de la raisonnabilité nécessite que la Cour se penche à la fois sur le processus décisionnel et sur l’issue qui en découle. La Cour suprême du Canada a statué que la raisonnabilité s’attarde « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » ainsi qu’à l’appartenance de la décision « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47.

[14]           Il est important de relever que l’insuffisance des motifs ne « permet à elle seule de casser une décision » : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 14 [Newfoundland Nurses]; voir aussi Ayanru c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1017, au paragraphe 7. Je me pencherai sur le caractère suffisant des motifs de l’agent lorsque j’examinerai si sa décision, dans son ensemble, est raisonnable.

(1)               L’agent des visas a‑t‑il rendu une décision raisonnable?

[15]           L’agent des visas a apprécié la demande de Mme Morgan au regard du paragraphe 87.1(2) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement], lequel expose un critère conjonctif en ce qui a trait à l’obtention de la résidence permanente au titre de la CEC. En l’espèce, trois critères sont pertinents. Tout d’abord, la demanderesse doit avoir accumulé au Canada au moins une année d’expérience de travail à temps plein, ou l’équivalent temps plein pour un travail à temps partiel, dans au moins une des professions appartenant au genre de compétence 0 Gestion ou au niveau de compétence A ou B de la matrice de la Classification nationale des professions au cours des trois ans précédant la date de présentation de sa demande : alinéa 87.1(2)a). En deuxième lieu, elle doit avoir accompli l’ensemble des tâches figurant dans l’énoncé principal établi pour la profession dans les descriptions des professions de la CNP : alinéa 87.1(2)b). Troisièmement, elle doit avoir exercé une partie appréciable des fonctions principales de la profession : alinéa 87.1(2)c). Il incombe à la demanderesse de démontrer que sa demande répond aux critères applicables.

[16]           En l’espèce, l’agent a apprécié une lettre de recommandation dans laquelle l’expérience de travail de Mme Morgan au sein de l’HOOPP était détaillée. Il a conclu qu’elle n’avait pas exercé l’ensemble des tâches décrites dans l’énoncé principal établi pour la catégorie CNP 1241 (adjointe de bureau), ni un nombre appréciable des fonctions principales pour cette profession. L’agent a aussi conclu que Mme Morgan ne pouvait pas se fonder sur la catégorie CNP 1221 (adjointe de bureau), parce qu’elle n’avait pas produit une lettre détaillant les fonctions principales qu’elle exerçait au sein de Crowe Soberman LLP.

[17]           Dans la décision Qin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 147, aux paragraphes 28 et 30, la juge Gleason a énoncé ce qui suit au sujet de la tâche d’un agent des visas qui procède à l’examen d’une demande au titre de la catégorie de l’expérience canadienne :

[…] l’article 87.1 du Règlement prévoit que l’agent doit évaluer si le candidat a de l’expérience dans l’une des professions énumérées dans la CNP, sans préciser comment il doit s’y prendre, à l’exception d’un renvoi aux fonctions énumérées dans la matrice de la CNP.

[…]

Pour déterminer si l’expérience d’un demandeur relève d’un code admissible de la CNP, l’agent doit comprendre la nature du travail effectué et le degré de complexité des tâches accomplies pour déterminer si elles correspondent aux fonctions énumérées sous la description du code pertinent. Cette analyse indispensable exige bien plus qu’une comparaison mécanique des fonctions énoncées sous le code de la CNP avec celles qui sont évoquées dans une lettre de recommandation ou une description de poste. Il s’agit plutôt d’évaluer de manière qualitative le travail exécuté et de le comparer à la description du code de la CNP. D’ailleurs, il est un courant jurisprudentiel suivant lequel, s’agissant de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédérale) (à l’égard de laquelle les agents doivent de la même façon apprécier les tâches remplies en fonction des descriptions du code de la CNP), lequel l’agent peut à bon droit se demander si le candidat possède l’expérience pertinente s’il n’a fait que recopier les fonctions énoncées sous la description de la CNP dans une lettre de recommandation. En pareils cas, il est arrivé à la Cour de conclure que l’agent devait effectuer une entrevue ou poser des questions additionnelles par écrit au demandeur, afin d’obtenir plus de détails sur la nature véritable de son travail (voir p. ex. Talpur et Patel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 571). Il est donc indiscutable que l’agent doit analyser de manière approfondie les tâches effectivement remplies par un demandeur.

[Non souligné dans l’original.]

[18]           Mme Morgan soutient que l’agent des visas n’a pas entrepris une analyse de fond quant à sa demande. Elle prétend qu’il a plutôt adopté la stratégie de la liste d’épicerie, laquelle a fait en sorte qu’il n’avait pas tenu compte de la nature de son emploi au sein de l’HOOPP. C’est pour ce motif que Mme Morgan prétend que le rejet de sa demande était déraisonnable.

[19]           Comme il a été mentionné précédemment, le paragraphe 87.1(2) du Règlement établit un test conjonctif. La demanderesse doit donc prouver que l’agent a commis une erreur en concluant que son emploi ne concordait pas avec l’énoncé principal et qu’elle n’exerçait pas une partie appréciable des fonctions principales de la profession CNP 1241. Si l’une ou l’autre des conclusions de l’agent est raisonnable, la décision doit être confirmée.

[20]           L’énoncé principal de la CNP 1241 est libellé ainsi :

Les adjoints administratifs effectuent des tâches administratives pour épauler les gestionnaires et les professionnels. Ils travaillent dans les secteurs privé et public.

[21]           Selon la preuve produite par la demanderesse, elle faisait le rapprochement des données financières, elle traitait des entrées de journal, elle entrait des données et elle épaulait les équipes de planification et de rendement. Mme Morgan soutient que ses tâches correspondent à des fonctions administratives exercées pour épauler un employeur du secteur public. D’un autre côté, le défendeur prétend que le rôle principal de la demanderesse au sein de l’HOOPP comprenait l’entrée et le rapprochement de données financières. Il attire surtout l’attention sur la mention contenue dans la lettre de recommandation portant que sa responsabilité d’épauler les équipes de planification et de rendement n’était qu’« au besoin ».

[22]           Selon moi, l’agent aurait pu raisonnablement décrire l’emploi de la demanderesse comme étant un emploi de bureau ou de tenue de livres ne correspondant pas à l’énoncé principal établi pour la profession CNP 1241. Cependant, même si la demanderesse avait réussi à jeter un doute quant à cette conclusion, l’alinéa 87.1(2)c) du Règlement sonnerait tout de même le glas de sa demande de contrôle judiciaire.

[23]           Effectivement, la preuve produite par la demanderesse révèle un écart entre les fonctions qu’elle exerçait au sein de l’HOOPP et celles énumérées à la profession CNP 1241. La conclusion de l’agent des visas selon laquelle Mme Morgan n’a pas exercé une partie appréciable des fonctions principales de la profession CNP 1241 résiste à l’examen selon la norme de la raisonnabilité. Cette conclusion appartient manifestement « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir, précité, au paragraphe 47.

[24]           Selon moi, il ne s’agit pas d’une affaire similaire à celle dans la décision Gao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2014 CF 821, où l’agent avait déraisonnablement exclu des éléments de preuve se rapportant à trois des huit fonctions et avait erronément considéré certaines d’entre elles comme étant essentielles.

[25]           Je m’attarde maintenant à l’argument de la demanderesse selon lequel l’agent des visas n’a pas donné des motifs suffisants. La jurisprudence ne fait aucun doute quant au fait que le caractère peu étoffé des motifs n’a pas pour effet de vicier une décision administrative si l’issue de cette décision est raisonnable au vu du dossier. Comme la Cour suprême du Canada l’a énoncé dans l’arrêt Newfoundland Nurses, précité, au paragraphe 16 :

Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision.  Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soitil, qui a mené à sa conclusion finale […] En d’autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.

[26]           L’arrêt Newfoundland Nurses ne donne pas à la Cour le droit de combler les lacunes dans une décision, ni celui de se livrer en conjectures à propos de l’état d’esprit du décideur : Komolafe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 431, au paragraphe 11. Cependant, en l’espèce, les brefs motifs de l’agent décrivent de manière adéquate les motifs pour lesquels il a rejeté la demande de Mme Morgan. Ces motifs renvoient la demanderesse – et une éventuelle cour de révision – à l’énoncé principal et aux fonctions établies pour la profession CNP 1241. L’agent a raisonnablement conclu que la demanderesse ne s’était pas déchargée de son fardeau de démontrer que son expérience de travail correspondait à ces exigences. Par conséquent, l’omission de l’agent de rédiger des motifs plus élaborés ne rend pas sa décision déraisonnable.

[27]           Pour conclure, rien ne me permet d’intervenir à l’égard de la décision de l’agent des visas. Puisqu’aucune des parties n’a proposé de question grave de portée générale à des fins de certification, aucune question ne sera certifiée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-880-14

INTITULÉ :

LUCINDA GABRIELLE MORGAN

c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 SEPTEMBRE 2014

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MOSLEY

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 18 SEPTEMBRE 2014

COMPARUTIONS :

Lisa Winter-Card

POUR LE DEMANDEUR

Suzanne Bruce

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Orange LLP

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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