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Date : 20140916


Dossier : T-1078-13

Référence : 2014 CF 884

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 septembre 2014

En présence de monsieur le juge O’Reilly

ENTRE :

LA BANDE INDIENNE DE SQUAMISH ET SYETÁXTN, CHRISTOPHER LEWIS, EN SON NOM ET AU NOM DE TOUS LES MEMBRES DE LA BANDE INDIENNE DE SQUAMISH

demandeurs

et

MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu général

[1]               Depuis 2001, la bande indienne de Squamish tente de faire augmenter son allocation de pêche au saumon sockeye à des fins alimentaires, sociales et rituelles dans le fleuve Fraser ou à proximité de celui‑ci, en Colombie‑Britannique. Au moment de la présente demande de contrôle judiciaire, les Squamish avaient le droit de pêcher 20 000 saumons sockeye par année. La bande cherche à faire augmenter son allocation de pêche à 70 000 saumons sockeye par année et à élargir son secteur de pêche jusque dans le bas Fraser. La bande affirme que son allocation est insuffisante pour répondre à ses besoins et que l’allocation qu’elle reçoit est de loin inférieure, par habitant, à celle qui est accordée à ses voisines et qu’elle ne tient pas compte de ses activités historiques de pêche dans le fleuve Fraser et de l’importance particulière que revêt le saumon sockeye dans sa culture.

[2]               Dans une lettre datée du 17 mai 2013, un directeur du ministère des Pêches et des Océans (le MPO) pour la région du bas Fraser a, au nom du ministère des Pêches et des Océans, informé les Squamish que le Ministère n’était pas encore en mesure d’augmenter l’allocation de pêche de la bande ou d’élargir sa zone de pêche. Le directeur a demandé des renseignements complémentaires au sujet des activités de pêche de la bande et sollicité une rencontre pour discuter de diverses questions concernant la demande de la bande.

[3]               La bande a interprété cette lettre comme un refus et elle a introduit une demande de contrôle judiciaire de la « décision » contenue dans cette lettre.

[4]               Le ministre maintient qu’aucune décision n’a été prise au sujet de la demande de la bande, comme en témoigne le fait que, par lettre du 8 mai 2014 adressée à la bande, le MPO a porté à 30 000 saumons sockeye par année l’allocation attribuée à la bande en attendant de plus amples discussions. Par conséquent, la lettre du 17 mai 2013 ne contenait pas de décision et n’est pas, suivant le ministre, susceptible de contrôle judiciaire. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est, selon le ministre, prématurée.

[5]               Je suis convaincu que la lettre du 17 mai 2013 ne constitue pas une décision portant sur la demande de la bande de Squamish. Il s’agit plutôt d’un exposé de la position du MFO sur la demande en question, d’une demande de renseignements complémentaires et d’une invitation adressée à la bande à poursuivre le dialogue sur diverses questions connexes. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire de la bande de Squamish est mal fondée.

II.                La « décision » du ministre

[6]               Le 17 mai 2013, le directeur du MPO de la région du bas Fraser, M. Gilles Verret, a écrit aux coprésidents du conseil de bande de Squamish. Il a rappelé les facteurs dont on doit tenir compte pour répondre aux demandes d’augmentation d’allocations à des fins alimentaires, sociales et rituelles, notamment la conservation et la durabilité, les besoins de la communauté, les habitudes de pêche historiques, les antécédents de la collectivité en matière de pêche pour l’ensemble des espèces, les plans de surveillance et de déclaration des prises et les éventuelles répercussions sur d’autres groupes autochtones.

[7]               M. Verret a également fait observer que le saumon sockeye fait l’objet d’une grande demande d’allocations de pêche dans la région du bas Fraser, de sorte que le MPO doit faire preuve de prudence avant d’effectuer quelque changement que ce soit. En attendant une analyse plus approfondie, le MFO n’était [traduction] « pas en mesure d’accepter de modifier les quantités allouées en ce qui concerne le saumon sockeye dans le fleuve Fraser ou de modifier les zones de pêche ». Toute analyse complémentaire devait notamment inclure un examen des pêches actuellement pratiquées par la bande de Squamish. M. Verret a demandé des renseignements complémentaires sur cette activité. Il s’est également dit prêt à discuter de la possibilité d’accorder l’accès au saumon sockeye dans le fleuve Fraser en 2013 en accordant des permis supplémentaires. Il a également exprimé le vœu que les questions relatives à la gestion des pêches soient discutées lors d’une rencontre future. Il a proposé la date du 7 juin 2013.

III.             Y a-t-il ouverture à un contrôle judiciaire?

[8]                La bande de Squamish soutient que la lettre du 17 mai 2013 revient à rejeter sa demande d’augmentation de son allocation de saumon sockeye dans le fleuve Fraser. Je ne suis pas de cet avis. En examinant cette lettre à la lumière des faits et des pourparlers qui l’ont précédée et de ceux qui l’ont suivie, il m’est impossible d’assimiler cette lettre à une décision portant sur la demande d’augmentation d’allocation. Par ailleurs, je peux comprendre que la bande ait interprété la lettre de M. Verret comme un refus.

A.                Contexte factuel

[9]               En 1992, le MTO a lancé la Stratégie relative aux pêches autochtones (la SRAPA), qui reconnaissait le droit ancestral de pratiquer la pêche à des fins alimentaires, sociales ou rituelles conformément à l’arrêt R c Sparrow, [1990] 1 RCS 1075, de la Cour suprême du Canada. La SRAPA accordait aux Premières Nations les allocations maximales relativement à des espèces déterminées pouvant être pêchées chaque année et elle précisait les zones dans lesquelles elles pouvaient être pêchées. Les politiques de la SRAPA précisent les critères dont le MPO tient compte lorsque des modifications aux allocations sont demandées.

[10]           Depuis le lancement de la SRAPA, la bande de Squamish s’est vue accorder une allocation de 20 000 poissons sockeye par année dans le fleuve Fraser. Le 5 juillet 2011, la bande a demandé que cette allocation soit portée à 70 000 et elle a demandé l’élargissement de sa zone de pêche. La bande a également demandé qu’on lui accorde la possibilité de rencontrer des fonctionnaires du MPO pour discuter de sa demande.

[11]           Un mois plus tard, le MPO lui a fait parvenir une réponse évasive dans laquelle il lui signalait que des pourparlers étaient en cours entre le MPO et la bande et que la demande en question représenterait [traduction] « beaucoup de temps et d’efforts tant de la part du personnel du MPO que de la nation Squamish ». Les parties ont eu une « rencontre initiale » le 13 décembre 2011. Le 27 janvier 2012, les coprésidents du conseil de bande ont résumé de nouveau leur demande et se sont engagés à fournir au MPO des renseignements sur les allocations proposées par la bande en ce qui concerne l’ensemble des espèces de poissons. Les coprésidents ont également fait observer que, lors de la rencontre de décembre, la position prise par le MPO était que la demande d’élargissement de la zone de pêche de la bande serait examinée plus à fond. L’étape suivante consistait, de la part du MPO, à fournir à la bande une carte lui permettant d’identifier avec précision les secteurs où elle souhaitait pêcher pour que les parties puissent travailler en collaboration sur la question. En résumé, les parties ont convenu de continuer à discuter des diverses questions découlant de la demande de la bande afin d’en arriver à une entente pour l’exercice 2012‑2013 et d’élaborer un plan de travail à cette fin au début de 2012.

[12]           La bande a fait parvenir au MPO le 18 avril 2012 une autre lettre dans laquelle elle lui faisait observer que le MPO n’avait pas encore répondu à sa première lettre bien qu’elle se fût engagée à parvenir à une entente pour 2012-2013. À peine une semaine plus tard, le MPO a finalement répondu à la lettre que la bande lui avait adressée le 27 janvier 2012. Le MPO a expliqué que l’allocation de 2012 ne serait pas augmentée, parce qu’on prévoyait des stocks peu élevés de saumons sockeye cette année‑là. La lettre énumérait les divers facteurs dont on tiendrait compte pour examiner la demande de la bande et insistait sur la nécessité de poursuivre le dialogue.

[13]           Les parties se sont rencontrées le 11 mai 2012 et, le 13 juillet 2012, les coprésidents ont écrit au MPO pour lui communiquer des renseignements complémentaires au sujet des divers facteurs dont le MPO affirmait avoir besoin pour son analyse. Les coprésidents étaient encouragés par les discussions et ont exprimé l’espoir qu’une entente soit conclue au cours de l’été 2012, ce qui ne s’est pas matérialisé.

[14]           À la suite d’une rencontre tenue le 23 novembre 2012, les coprésidents ont écrit au directeur régional, M. Verret, pour lui faire remarquer qu’il restait peu de temps pour que le MPO respecte son engagement de conclure une entente au cours de l’exercice 2012-2013. Ils ont demandé au MPO de leur répondre avant le 25 janvier 2013. Dans sa réponse du 25 janvier 2013, M. Verret a proposé des dates de rencontre en mars 2013 en vue d’autres discussions. Une rencontre a eu lieu le 8 mars 2013.

[15]           Les coprésidents sont revenus à la charge le 17 avril 2013 en faisant parvenir au MPO une autre lettre. Ils ont expliqué qu’ils avaient fourni au MPO tous les renseignements qu’il avait demandés et qu’ils s’attendaient par conséquent à ce qu’on donne une suite favorable à leur demande d’augmentation d’allocation de pêche pour l’exercice 2013-2014. Ils proposaient qu’une autre rencontre ait lieu le 17 mai 2013. Il s’agit, évidemment, de la date à laquelle M. Verret a, comme nous l’avons déjà expliqué, envoyé la lettre faisant l’objet de la présumée présente demande de contrôle judiciaire.

[16]           Les parties se sont rencontrées de nouveau le 7 juin 2013 comme M. Verret l’avait proposé dans sa lettre du 17 mai 2013. Lors de cette rencontre, le MPO a offert de délivrer un permis de pêche supplémentaire à la bande, mais son offre a été refusée. Le MPO a répété qu’il avait besoin de renseignements complémentaires, et notamment de données concernant les pêches pratiquées par la bande, le calcul des besoins alimentaires de la collectivité, ses plans de pêche, de surveillance et de contrôle prévus, les limites précises des nouvelles zones de pêche proposées et les réactions des bandes voisines qui avaient des revendications concurrentes et des demandes parallèles d’augmentation d’allocations.

[17]           En ce qui concerne la consultation des bandes visées, le MPO n’avait encore mis en œuvre aucun plan à l’été ou à l’automne 2013. Ses fonctionnaires estimaient qu’ils ne pouvaient entamer de consultations tant qu’il n’avait pas reçu de directives du MPO au sujet de la demande d’allocation de la bande.

[18]           Lors de l’examen de la présente demande de contrôle judiciaire, la bande a tenté de présenter de nouveaux éléments de preuve au sujet des consultations qui avaient effectivement eu lieu avant la lettre du 8 mai 2014 par laquelle l’allocation de saumon sockeye de la bande avait été portée à 30 000. Il semble que le MPO ait simplement envoyé le 31 mars 2014 une lettre à diverses Premières Nations leur demandant de répondre à la demande de la bande de Squamish avant le 30 avril 2014. La bande a également tenté de déposer en preuve un graphique illustrant la totalité des allocations de saumon des Premières Nations dans la région du bas Fraser (y compris celle des Squamish).

[19]           Je suis convaincu que la lettre de consultation peut être déposée à titre de nouvel élément de preuve, étant donné qu’elle est utile pour aider la Cour à situer dans son contexte la présumée décision du 17 mai 2013 ainsi que la réponse subséquente du 8 mai 2014 du MPO. Toutefois, je ne suis pas convaincu que le graphique illustrant les allocations de saumon devrait être admis en preuve. Il a trait au caractère raisonnable de la position du ministre et il n’est pas nécessaire d’aborder cette question, compte tenu de ma conclusion selon laquelle la lettre du 17 mai 2013 ne renferme pas une décision susceptible de contrôle judiciaire.

B.                 Considérations juridiques

[20]           La Cour peut connaître d’une demande de contrôle judiciaire avant qu’une décision définitive ne soit prise, mais elle devrait éviter de fragmenter le processus. Souvent, la meilleure solution consiste à refuser d’accorder une réparation tant qu’une décision définitive n’a pas été rendue parce qu’à ce moment‑là, il est fort possible que le différend ait déjà été tranché (Nation Gitxaala c Canada, 2012 CF 1336, au paragraphe 54).

[21]           En l’espèce, je conclus que la lettre du 17 mai 2013 ne renfermait pas de décision définitive au sujet de la demande d’augmentation d’allocation de saumon formulée par la bande. Certes, lorsqu’on tient compte du temps écoulé entre la demande de la bande et la date de la lettre, ainsi que des longues discussions qui l’ont précédée, je peux comprendre les raisons pour lesquelles la bande a conclu que la teneur de cette lettre était peu encourageante et qu’elle a pu y déceler un signe de rejet de sa demande. Toutefois, la lettre elle-même ne contenait pas de décision. M. Verret n’a ni accordé ni refusé quoi que ce soit à la bande. Il a simplement exposé les étapes suivantes à franchir. La lettre ultérieure du 8 mai 2014 était plus détaillée et pourrait fort bien être susceptible de contrôle judiciaire, mais je n’ai pas à trancher cette question en l’espèce.

[22]           Dans ces conditions, toutefois, le fait de permettre à la bande d’obtenir le contrôle judiciaire de la lettre du 17 mai 2013 aurait certainement pour effet de fragmenter un processus qui, si on le laisse se dérouler sans interruption, pourrait très bien se solder par un règlement favorable à la bande. Par conséquent, je refuse d’accorder à la bande la réparation qu’elle demande.

[23]           L’irritation de la bande est compréhensible. Le processus qui a été suivi pour répondre à sa demande d’augmentation d’allocation était trop long. Les motifs d’une éventuelle décision n’étaient pas clairs, ce qui compliquait la tâche de la bande, à qui l’on demandait de fournir des renseignements pertinents. Les retards n’étaient pas tous imputables au MPO, mais le MPO aurait nettement pu traiter la demande de la bande de façon plus expéditive. Il a récemment agi rapidement pour mener un processus de consultation accéléré et répondre en partie à la demande de la bande, mais seulement après que la présente demande eut été mise au rôle, ce qui me donne à penser que le MPO aurait pu donner suite plus rapidement à la demande de la bande s’il avait été motivé à le faire.

[24]           Dans ces circonstances, bien que je doive rejeter la présente demande de contrôle judiciaire au motif qu’elle est prématurée, je suis d’avis d’accorder les dépens aux demandeurs.

IV.             Dispositif

[25]           Dans sa lettre du 17 mai 2013, le MPO n’a pas rendu de décision sur la demande d’augmentation d’allocation de pêche du saumon sockeye dans le fleuve Fraser présentée par la bande de Squamish. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est prématurée et elle doit être rejetée. Toutefois, compte tenu des circonstances, les dépens sont adjugés à la bande de Squamish.

 


JUGEMENT

LA COUR :

1.                  REJETTE la demande de contrôle judiciaire;

2.                  ADJUGE les dépens aux demandeurs.

« James W. O’Reilly »

Juge

Traduction certifiée conforme

S. Tasset

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1078-13

 

INTITULÉ :

BANDE INDIENNE DE SQUAMISH ET SYETÁXTN, CHRISTOPHER LEWIS, EN SON NOM ET AU NOM DE TOUS LES MEMBRES DE LA BANDE INDIENNE DE SQUAMISH c MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LES 14, 15 et 16 MAI 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 16 SEPTEMBRE 2014

 

COMPARUTIONS :

Me Matthew Kirchner

Me Lisa Glowacki

 

pour les demandeurs

 

Me Mara Tessier

Me Tim Timberg

Me Kathleen Hamilton

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ratcliff & Company s.r.l.

AvocatsNorth Vancouver (Colombie-Britannique)

PoUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

PoUR LE DÉFENDEUR

 

 

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