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Date : 20140725


Dossier : IMM-3543-13

Référence : 2014 CF 745

Ottawa (Ontario), le 25 juillet 2014

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

DIETH VALERIE BELLO

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], d’une décision rendue le 10 avril 2013 par la Section d’appel de l’immigration [la SAI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, dans laquelle la SAI a rejeté l’appel interjeté par la demanderesse, Dieth Valerie Bello, à l’encontre d’une mesure d’interdiction de séjour prise contre elle par un agent d’immigration. L’agent d’immigration avait statué que la demanderesse était interdit de territoire au Canada, parce qu’elle avait omis de se conformer à son obligation de résidence à titre de résident permanent. La demanderesse n’a pas contesté la validité juridique de la mesure d’interdiction de séjour. Elle a plutôt saisi la SAI de la question de savoir si elle avait établi des motifs d’ordre humanitaire suffisants pour qu’elle soit passée outre au manquement à l’exigence en matière de résidence.

[2]               Pour les raisons qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est refusée.

II.                Le contexte factuel

[3]               La demanderesse est une ressortissante de la Côte d’Ivoire qui avait été parrainée au Canada par sa mère, qui à l’époque était déjà citoyenne canadienne. La demanderesse a obtenu la résidence permanente au Canada le 18 novembre 2005.

[4]               Elle a quitté le Canada le 20 août 2006, soit moins d’un an après être devenue résidente permanente. Elle est revenue au Canada le 27 octobre 2010, soit plus de quatre ans plus tard. Cela veut dire que pendant la période quinquennale en question, la demanderesse a été physiquement présente au Canada pendant une période de 267 jours, ce qui manque à la période de 730 jours de présence physique exigée pour les résidents permanents par l’article 28 de la LIPR.

[5]               La demanderesse a témoigné qu’elle aurait quitté le Canada pour retourner en Côte d’Ivoire alors qu’elle avait 18 ans, et que ce séjour était contre sa volonté, suite à une histoire que sa mère lui aurait racontée qu’elle allait faire une année scolaire en France, mais qu’ils allaient faire un court séjour préalable en Côte d’Ivoire. Elle a témoigné que par la suite, à l’âge de 22 ans, elle serait revenue au Canada dû au choix de sa mère.

[6]               À cause de son manquement à l’obligation de résidence, un agent d’immigration a imposé à la demanderesse une perte de résidence le 27 octobre, 2010. La demanderesse a demandé une reconsidération de sa perte de résidence pour considérations d’ordre humanitaires ce même jour, ce qui a été refusé, et une mesure d’interdiction de séjour a été prise contre elle en vertu de l’article 28 de la LIPR.

[7]               La demanderesse a interjeté appel contre cette décision de la SAI en vertu de l’article 63 de la LIPR, demandant l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la SAI sur la base des considérations humanitaires en vertu de l’article 28 de la LIPR.

[8]               Suite à une audience tenue à Montréal le 10 avril 2013, la SAI a rendu sa décision refusant l’appel ce même jour. Au cours de l’audience, la demanderesse a informé la commissaire de la naissance de sa fille le 25 septembre 2012.

III.             Décision en litige

[9]               La SAI a constaté que la demanderesse ne semble prendre aucune responsabilité personnelle dans ses décisions qui pourtant l’affectent, et qu’elle blâme tout le monde et leur impute la responsabilité, mais ne reconnaît aucunement la sienne. Elle n’a même pas passé une année au Canada au moment de son établissement initial et n’a aucun degré d’établissement au Canada.

[10]           De plus, malgré le fait que son appel ait été déposé en novembre 2010, la demanderesse n’a même pas pris le soin de déposer des documents à l’appui de son appel jusqu'à la journée de son audience, ce qui démontre, selon le SAI, une négligence à poursuivre son appel avec diligence.

[11]           La SAI souligne aussi que la demanderesse, en sachant qu’une mesure d’interdiction de séjour a été prononcée contre elle, a quand même mis au monde un enfant, qui est né le 25 septembre 2012. La SAI a appris l’existence de cet enfant le jour de l’audience. Le père de l’enfant n’a pas reconnu l’enfant et la demanderesse a témoigné qu’elle n’a aucun contacte avec lui.

[12]           La SAI a souligné que la demanderesse n’a jamais travaillé au Canada et vit de l’aide sociale. Selon la SAI, cela veut dire que la demanderesse n’a jamais contribué à la société canadienne qui la supporte aujourd’hui.

[13]           Malgré que la demanderesse soutienne qu’elle aurait des difficultés si elle serait obligée de retourner en Côte d’Ivoire, car il serait difficile de trouver un travail, la SAI a trouvé qu’à l’âge de 25 ans, elle devrait pouvoir se supporter elle-même.

[14]           La SAI a trouvé que quant aux meilleurs intérêts de la fille de la demanderesse, tandis qu’il est certainement préférable de faire grandir une enfant au Canada qu’en Côte d’Ivoire, l’enfant n’a aucun degré d’établissement au Canada et est citoyenne canadienne, ce qui veut dire qu’elle pourrait toujours choisir de revenir au Canada quand elle sera majeure.

[15]           D’ailleurs, malgré qu’il serait probablement plus difficile pour la demanderesse de se débrouiller en Côte d’Ivoire qu’au Canada, dans les circonstances il ne s’agit pas de motifs humanitaires suffisants.

[16]           L’avocat de la demanderesse a soulevé l’instabilité politique en Côte d’Ivoire, mais n’a soumis aucune preuve documentaire à cet effet.

[17]           La résidence permanente au Canada comporte des privilèges, mais comporte aussi des obligations, obligations que selon la SAI n’étaient pas respectées par la demanderesse.

[18]           Du coup, la SAI a conclu que la demanderesse n’a pas rencontré le fardeau de preuve qui lui incombait de démontrer l’existence de conditions humanitaires suffisantes dans son cas afin de pallier au haut degré de manquement a son obligation de résidence et afin de justifier la prise d’une mesure spéciale.

IV.             Législation

[19]           L’article 28(1) de la LIPR établit une obligation de résidence à laquelle doivent satisfaire les résidents permanents s’ils veulent conserver ce statut :

28. (1) L’obligation de résidence est applicable à chaque période quinquennale.

28. (1) A permanent resident must comply with a residency obligation with respect to every five-year period.

(2) Les dispositions suivantes régissent l’obligation de résidence :

(2) The following provisions govern the residency obligation under subsection (1):

a) le résident permanent se conforme à l’obligation dès lors que, pour au moins 730 jours pendant une période quinquennale, selon le cas :

(a) a permanent resident complies with the residency obligation with respect to a five-year period if, on each of a total of at least 730 days in that five-year period, they are

(i) il est effectivement présent au Canada,

(i) physically present in Canada,

(ii) il accompagne, hors du Canada, un citoyen canadien qui est son époux ou conjoint de fait ou, dans le cas d’un enfant, l’un de ses parents,

(ii) outside Canada accompanying a Canadian citizen who is their spouse or common-law partner or, in the case of a child, their parent,

(iii) il travaille, hors du Canada, à temps plein pour une entreprise canadienne ou pour l’administration publique fédérale ou provinciale,

(iii) outside Canada employed on a full-time basis by a Canadian business or in the federal public administration or the public service of a province,

(iv) il accompagne, hors du Canada, un résident permanent qui est son époux ou conjoint de fait ou, dans le cas d’un enfant, l’un de ses parents, et qui travaille à temps plein pour une entreprise canadienne ou pour l’administration publique fédérale ou provinciale,

(iv) outside Canada accompanying a permanent resident who is their spouse or common-law partner or, in the case of a child, their parent and who is employed on a full-time basis by a Canadian business or in the federal public administration or the public service of a province, or

(v) il se conforme au mode d’exécution prévu par règlement;

(v) referred to in regulations providing for other means of compliance;

b) il suffit au résident permanent de prouver, lors du contrôle, qu’il se conformera à l’obligation pour la période quinquennale suivant l’acquisition de son statut, s’il est résident permanent depuis moins de cinq ans, et, dans le cas contraire, qu’il s’y est conformé pour la période quinquennale précédant le contrôle;

(b) it is sufficient for a permanent resident to demonstrate at examination

c) le constat par l’agent que des circonstances d’ordre humanitaire relatives au résident permanent — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — justifient le maintien du statut rend inopposable l’inobservation de l’obligation précédant le contrôle.

(i) if they have been a permanent resident for less than five years, that they will be able to meet the residency obligation in respect of the five-year period immediately after they became a permanent resident;

 

(ii) if they have been a permanent resident for five years or more, that they have met the residency obligation in respect of the five-year period immediately before the examination; and

 

(c) a determination by an officer that humanitarian and compassionate considerations relating to a permanent resident, taking into account the best interests of a child directly affected by the determination, justify the retention of permanent resident status overcomes any breach of the residency obligation prior to the determination.

[20]           L’article 63(4) de la LIPR énonce que la SAI est compétente pour déterminer si un résident permanent s’est conformé à son obligation de résidence :

63. (1) Quiconque a déposé, conformément au règlement, une demande de parrainage au titre du regroupement familial peut interjeter appel du refus de délivrer le visa de résident permanent.

63. (1) A person who has filed in the prescribed manner an application to sponsor a foreign national as a member of the family class may appeal to the Immigration Appeal Division against a decision not to issue the foreign national a permanent resident visa.

(2) Le titulaire d’un visa de résident permanent peut interjeter appel de la mesure de renvoi prise au contrôle ou à l’enquête.

(2) A foreign national who holds a permanent resident visa may appeal to the Immigration Appeal Division against a decision at an examination or admissibility hearing to make a removal order against them.

(3) Le résident permanent ou la personne protégée peut interjeter appel de la mesure de renvoi prise au contrôle ou à l’enquête.

(3) A permanent resident or a protected person may appeal to the Immigration Appeal Division against a decision at an examination or admissibility hearing to make a removal order against them.

(4) Le résident permanent peut interjeter appel de la décision rendue hors du Canada sur l’obligation de résidence.

(4) A permanent resident may appeal to the Immigration Appeal Division against a decision made outside of Canada on the residency obligation under section 28.

(5) Le ministre peut interjeter appel de la décision de la Section de l’immigration rendue dans le cadre de l’enquête.

(5) The Minister may appeal to the Immigration Appeal Division against a decision of the Immigration Division in an admissibility hearing.

[21]           L’article 67 de la LIPR fixe les conditions auxquelles la SAI peut faire droit à l’appel formé par un résident permanent contre la décision d’un agent d’immigration :

67. (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

67. (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

a) la décision attaquée est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

(a) the decision appealed is wrong in law or fact or mixed law and fact;

b) il y a eu manquement à un principe de justice naturelle;

(b) a principle of natural justice has not been observed; or

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

(2) La décision attaquée est cassée; y est substituée celle, accompagnée, le cas échéant, d’une mesure de renvoi, qui aurait dû être rendue, ou l’affaire est renvoyée devant l’instance compétente.

(2) If the Immigration Appeal Division allows the appeal, it shall set aside the original decision and substitute a determination that, in its opinion, should have been made, including the making of a removal order, or refer the matter to the appropriate decision-maker for reconsideration.

V.                Norme de Contrôle

[22]           La demanderesse soutient que la norme de contrôle qui s’applique à l’interprétation des obligations de la résidence permanente est celle de la raisonnabilité (Barm c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 893). La même norme s’applique dans le cas des considérations humanitaires.

[23]           Le défendeur soutient que la décision de la SAI est assujettie à la norme de la décision raisonnable.

[24]           Dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339 au paragraphe 58, le juge Binnie a confirmé que la norme de contrôle appropriée à l’égard d’une décision rendue par la SAI en vertu de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR est celle de la décision raisonnable.

[25]           Dans la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c Sidhu, 2011 CF 1056 aux paragraphes 31-32, le juge Kelen a constaté ce qui suit, en référant à la décision de la Cour suprême dans Khosa :

[31] Les erreurs de droit faites par la Commission dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire doivent être contrôlées d’après la norme de la décision raisonnable : Iamkhong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 355.

[32] Mais la manière dont la Commission a apprécié la preuve au regard du droit – c’est-à-dire la manière dont elle a exercé son pouvoir discrétionnaire – doit être contrôlée selon la norme de la décision raisonnable: arrêt Khosa, précité, aux paragraphes 57 à 60.

[26]           Dans le cas en espèce, l’évaluation par la SAI des facteurs humanitaires consiste en l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, et la norme de contrôle applicable est donc celle de la décision raisonnable.


VI.             Question en litige

[27]           La seule question en litige est la suivante : Est-ce que la décision de la SAI que la demanderesse n’a pas démontré l’existence des motifs d’ordre humanitaire suffisants est raisonnable ?

VII.          Argumentation des parties

Demanderesse

[28]           La demanderesse soutient qu’elle ne conteste pas en droit le fait qu’elle ne s’est pas conformée à son obligation de résidence, mais que la SAI n’a pas tenu compte des motifs qui ont amené la demanderesse à être en dehors du Canada. En concluant que la demanderesse était majeure et aurait pu choisir de rester au Canada, la demanderesse soutient que la SAI a appliqué une approche trop étroite dans son interprétation des valeurs culturelles de la demanderesse. La SAI aurait dû tenir compte de l’aspect multiculturel des immigrants, ce qui représente dans le cas en espèce le respect de l’ordre et de la décision des parents, quelque soit l’âge de l’enfant.

[29]           La demanderesse soutient aussi que la SAI n’a pas pris en compte les meilleurs intérêts de l’enfant dans la mesure où le père de son enfant, qui est au Canada, pourrait se manifester dans l’avenir pour réclamer de voir sa fille ou de s’en occuper. La demanderesse réfère à Wei c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1084.

[30]           De plus, la demanderesse a sa mère, ses trois demi-frères et sa demi-sœur, ainsi que trois oncles maternels, qui vivent au Canada et qui sont des citoyens canadiens. En ce qui concerne sa famille, la SAI s’est contenté de dire que la demanderesse n’est pas en bons termes avec sa famille. Cependant, c’est sa mère qui a décidé de la ramener ici, et c’est un de ses oncles maternels vivant au Canada qui l’a accompagné. Des mésententes entre la demanderesse et sa famille ne justifient pas qu’elle ne doit pas être prise en compte.

[31]           En vu de ces raisons, la demanderesse soutient que la SAI a erré dans l’exercice de sa discrétion basée sur l’existence de considérations humanitaires.

Défendeur

[32]           Le défendeur soutient que la décision de la SAI est raisonnable en ce que les raisons invoquées par la demanderesse pour expliquer son absence prolongée du Canada ne sont pas convaincantes. Elle était majeure quand elle a quitté le Canada, et elle ne prend aucune responsabilité personnelle dans ses décisions. En plus, la SAI a noté que la demanderesse n’a même pas passé une année au Canada au moment de son établissement initial et n’a aucun degré d’établissement au Canada. Elle n’a même pas de contacte avec sa famille au Canada, elle n’a jamais travaillé et elle vit actuellement de l’aide sociale.

[33]           De plus, la SAI a constaté que malgré le fait que son appel ait été déposé en novembre 2010, elle n’a même pas pris le soin de déposer les documents à l’appui de son appel jusqu'à la journée de son audience.

[34]           La SAI a aussi noté qu’à l’âge de 25 ans, la demanderesse devrait pouvoir se supporter elle-même en Côte d’Ivoire. De plus, elle a une grand-mère en Côte d’Ivoire avec laquelle elle est toujours en contacte et qui pourra être en mesure de l’aider.

[35]           Quant aux meilleurs intérêts de l’enfant, la SAI a reconnu qu’il est préférable de faire grandir une enfant au Canada, mais en même temps l’enfant n’a aucun degré d’établissement ici. De plus, elle est citoyenne canadienne et pourra toujours revenir quand elle sera majeure. D’ailleurs, le père de l’enfant n’a pas reconnu l’enfant et la demanderesse a témoigné qu’elle n’a aucun contacte avec lui.

[36]           Le défendeur soutient alors qu’il n’était pas déraisonnable pour la SAI de ne pas avoir conclu a l’existence de motifs exceptionnels pouvant justifier qu’il soit permis à la demanderesse de demeurer au Canada, et l’intervention de la Cour n’est donc pas justifiée.

VIII.       Analyse

[37]           Comme l’a expliqué la juge Bédard dans Nekoie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 363 au paragraphe 29, « l’article 28 énonce l’exigence de résidence à laquelle doivent se conformer les résidents permanents, mais elle confère aux agents d’immigration le pouvoir discrétionnaire de déterminer si des motifs d’ordre humanitaire justifient de passer outre à un manquement à l’obligation de résidence. La SAI est investie du même pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 67 de la Loi. »

[38]           Dans le cas en espèce, la demanderesse a été physiquement présente au Canada pendant une période de 267 jours pendant la période quinquennale en question, et elle ne conteste pas le fait qu’elle ne s’est donc pas conformée avec son obligation de résidence. À cause du manquement à son obligation, un agent d’immigration a émis contre elle une mesure d’interdiction du territoire canadien, et la demanderesse a demandé la considération de motifs humanitaires pour justifier la prise d’une mesure spéciale.

[39]           La SAI a conclu qu’il n’existait pas suffisamment de motifs d’ordre humanitaire, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché et des autres circonstances de l’affaire, pour justifier la prise d’une mesure spéciale. L’appel fut donc rejeté.

[40]           Je suis d’avis que la décision de la SAI était raisonnable en vu des circonstances de l’affaire. Dans Nekoie au paragraphe 30, la juge Bédard a souligné que: « Les pouvoirs de la SAI concernant les mesures de renvoi sont hautement discrétionnaires et exceptionnels. »

[41]           Dans la décision Ambat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 292, 386 FTR 35, [Ambat] au paragraphe 27, la Cour a énuméré les facteurs que la SAI appliquait pour déterminer s’il y avait des motifs d’ordre humanitaire suffisants pour justifier la prise de mesures spéciales :

La SAI a examiné la disposition législative qui permet de prendre une mesure spéciale, en l’occurrence l’alinéa 67(1)c) de la LIPR. La SAI a ensuite déclaré que, pour déterminer si des facteurs compensaient le non-respect, par le demandeur, de son obligation de résidence, elle s’inspirait des décisions qu’elle avait rendues dans les affaires Bufete Arce, Dorothy Chicay c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (SAI VA2-02515) et Yun Kuen Kok & Kwai Leung Kok c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (SAI VA2-02277), [2003] DSAI no 514. Suivant ces deux décisions, outre l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché, il existe d’autres facteurs particulièrement utiles dont on peut tenir compte pour juger ce genre d’appel. La SAI les énumère au paragraphe 38 de sa décision :

i)          l’étendue du manquement à l’obligation de résidence;

ii)         les raisons du départ et du séjour à l’étranger;

iii)       le degré d’établissement au Canada, initialement et au moment de l’audience;

iv)        les liens familiaux avec le Canada;

v)        la question de savoir si l’appelant a tenté de revenir au Canada à la première occasion;

vi)       les bouleversements que vivraient les membres de la famille au Canada si l’appelant est renvoyé du Canada ou si on lui refuse l’entrée dans ce pays;

vii)      les difficultés que vivrait l’appelant s’il est renvoyé du Canada ou s’il se voit refuser l’admission au pays;

viii)     l’existence de circonstances particulières justifiant la prise de mesures spéciales.

[42]           La pondération de chaque facteur et de chaque élément de preuve est laissée au pouvoir discrétionnaire de la SAI; la Cour ne devrait pas s’immiscer dans ces décisions, peu importe qu’elle soit d’accord ou non avec les résultats (Tai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 248 au paragraphe 82 ; Shaath c Canada (Citoyenneté et de Immigration), 2009 CF 731, [2010] 3 RCF 117, au paragraphe 57 ; Nekoie, précité au paragraphe 37).

[43]           Dans le cas en espèce, la SAI a clairement pris en compte les facteurs cités dans Ambat en arrivant à sa décision.

[44]           Quant au manquement à son obligation de résidence, la SAI a noté que la présence physique de la demanderesse au Canada de 267 jours était très loin des 730 jours exigés par la LIPR.

[45]           En ce qui concerne les raisons pour le départ de la demanderesse et son séjour à l’étranger, la SAI a considéré le témoignage de la demanderesse qu’elle a quitté le Canada contre sa volonté suite à une histoire que sa mère lui aurait racontée. Selon la SAI, la demanderesse était majeure à l’époque et aurait pu choisir de rester au Canada malgré le choix de sa mère de la ramener en Côte d’Ivoire.

[46]           Cette analyse est tout à fait raisonnable. De toute façon, le témoignage de la demanderesse quant aux raisons pour son séjour reste flou et manque de précision. Même si elle est partie contre sa volonté, il n’est pas clair pourquoi elle est restée aussi longtemps en Côte d’Ivoire sans revenir au Canada.

[47]           La SAI a noté aussi le manque d’établissement de la demanderesse au Canada, vu qu’elle est passée moins qu’un an au Canada après être devenu résidente permanente. En ce qui concerne des liens familiaux au Canada, la SAI a noté que la demanderesse n’a plus aucun contacte avec sa mère parce qu’elle l’a mise à la porte. Elle n’a pas non plus de contacte avec les autres membres de sa famille, qui semble ne plus rien vouloir savoir d’elle depuis qu’elle est tombé enceinte.

[48]           Le cinquième facteur, soit si la demanderesse a tenté de revenir au Canada à la première occasion, ne semblerait pas s’appliquer non plus, vu que la demanderesse a témoigné que c’était la décision de sa mère qu’elle revienne au Canada.

[49]           Pour ce qui est des bouleversements que vivraient des membres de sa famille, la demanderesse n’a plus de contacte avec sa famille pour le moment, alors il ne semble pas qu’il y aurait des bouleversements sérieux.

[50]           En ce qui concerne les difficultés auxquelles la demanderesse ferait face si elle est renvoyée du Canada, la SAI a constaté que la demanderesse n’a jamais travaillé au Canada et vit actuellement de l’aide sociale. Elle a témoigné qu’elle aurait des difficultés si elle était obligée de retourner en Côte d’Ivoire, car il serait difficile de trouver un travail, mais il ne semble pas que cela serait très différent si elle était au Canada, où elle n’a aucune expérience professionnelle.

[51]           La SAI a aussi noté que la demanderesse a soulevé l’instabilité politique en Côte d’Ivoire, mais n’a soumis aucune preuve documentaire à cet effet.

[52]           En ce qui est des circonstances exceptionnelles, la SAI a mené une analyse des meilleurs intérêts de l’enfant concerné, la fille de la demanderesse, qui était née en septembre 2012. La SAI a trouvé que même s’il est certainement préférable de faire grandir un enfant au Canada qu’en Côte d’Ivoire, l’enfant n’a aucun degré d’établissement au Canada, mais est citoyenne canadienne, donc elle pourra toujours choisir de revenir au Canada.

[53]           La demanderesse a référé à la décision du juge O’Keefe dans Wei c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1084 [Wei] à l’appui de son argument que la SAI n’a pas pris en compte les meilleurs intérêts de l’enfant concerné. Cependant, la situation dans Wei était complètement différente; la SAI avait constaté qu’il n’y avait aucun enfant concerné dans le dossier, ce qui constituait une erreur parce que le demandeur avait une fille. Le juge O’Keefe a donc déterminé que la SAI n’avait pas pris en compte un facteur important au dossier, soit les intérêts de la fille du demandeur.

[54]           Dans le cas en espèce, la SAI a abordé le sujet de la fille de la demanderesse pleinement. Cependant, comme la SAI a noté, la demanderesse n’est pas en contacte avec le père de sa fille, qui n’a pas reconnu la fille comme la sienne. Il n’y aucune preuve au dossier que le père de la fille va vouloir s’impliquer dans la vie de son enfant, alors cela ne justifie pas la prise d’une mesure spéciale vis-à-vis le manquement de la demanderesse à son obligation de résidence.

[55]           L’analyse de la SAI respecte les critères énoncés dans Ambat, et est bien-fondé dans les faits au dossier. La demanderesse n’a pas fourni de preuve suffisante qu’il y ait des circonstances exceptionnelles qui justifient qu’une mesure spéciale soit prise à son égard. Son manquement à l’obligation de résidence est significatif, et doit être pris au sérieux. Je trouve qu’il n’y a donc pas lieu pour la Cour d’intervenir dans la décision de la SAI.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.         La demande de contrôle judiciaire est refusée; et

2.         Il n’y a pas de question à certifier.

« Peter Annis »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3543-13

 

INTITULÉ :

DIETH VALERIE BELLO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 juillet 2014

 

JUGEMENT ET motifs :

LE JUGE ANNIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 25 juillet 2014

 

COMPARUTIONS :

Tshimanga-Robert Bukasa

 

Pour la demanderesse

 

John Provart

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Tshimanga-Robert Bukasa

Barrister and Solicitor

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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