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Date : 20140915


Dossier : IMM-33-14

Référence : 2014 CF 875

Ottawa (Ontario), le 15 septembre 2014

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

JEAN DE DIEU IKUZWE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur conteste la légalité d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [Tribunal] refusant sa demande de réouverture de demande d’asile.

[2]               Le demandeur est un citoyen rwandais d’ethnie tutsie qui a quitté son pays pour venir au Canada en janvier 2001. Le 24 avril 2003, sa demande d’asile est refusée par le Tribunal pour le motif qu’il existe des raisons sérieuses de penser qu’il s’est rendu complice de crimes contre l’humanité au sens de l’article 1Fa) et c) de la Convention relative au statut des réfugiés [Convention] et qu’il ne peut donc pas bénéficier de la protection du Canada en vertu de l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [Loi]. Cette dernière décision n’a pas fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire. Le 3 décembre 2013, le Tribunal a rejeté la demande de réouverture qui a été présentée plus de dix ans après la décision initiale, parce qu’il n’y a eu aucune violation d’un principe de justice naturelle, d’où la présente demande de contrôle judiciaire.

[3]               C’est la norme de la décision correcte qui s’applique à la question de savoir si un manquement à un principe de justice naturelle a été établi par le demandeur : Hillary c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 51 aux paras 27 à 30. En l’espèce, le demandeur a fondé sa demande de réouverture sur les conséquences préjudiciables de l’analyse erronée en droit du décideur initial quant à son exclusion. À titre de fait nouveau, le demandeur a allégué qu’il souffrait de schizophrénie (une situation médicale non diagnostiquée à l’époque), de sorte que « cet état mental aurait pu avoir une incidence sur l’évaluation de la « crédibilité » du demandeur si cela avait pu être présenté devant la SPR lors de son audience ».

[4]               Les demandes de réouverture de demandes d’asile sont régies par l’article 62 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256 [Règles] :

62. (1) À tout moment avant que la Section d’appel des réfugiés ou la Cour fédérale rende une décision en dernier ressort à l’égard de la demande d’asile qui a fait l’objet d’une décision ou dont le désistement a été prononcé, le demandeur d’asile ou le ministre peut demander à la Section de rouvrir cette demande d’asile.

 

62. (1) At any time before the Refugee Appeal Division or the Federal Court has made a final determination in respect of a claim for refugee protection that has been decided or declared abandoned, the claimant or the Minister may make an application to the Division to reopen the claim.

[…]

 

[…]

 

(6) La Section ne peut accueillir la demande que si un manquement à un principe de justice naturelle est établi.

 

(6) The Division must not allow the application unless it is established that there was a failure to observe a principle of natural justice.

 

(7) Pour statuer sur la demande, la Section prend en considération tout élément pertinent, notamment :

 

(7) In deciding the application, the Division must consider any relevant factors, including

a) la question de savoir si la demande a été faite en temps opportun et, le cas échéant, la justification du retard;

 

(a) whether the application was made in a timely manner and the justification for any delay; and

b) les raisons pour lesquelles :

 

(b) the reasons why

 

(i) soit une partie qui en avait le droit n’a pas interjeté appel auprès de la Section d’appel des réfugiés,

 

(i) a party who had the right of appeal to the Refugee Appeal Division did not appeal, or

(ii) soit une partie n’a pas présenté une demande d’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire ou une demande de contrôle judiciaire.

 

(ii) a party did not make an application for leave to apply for judicial review or an application for judicial review.

[5]               Lors de la décision initiale, les demandes de réouverture étaient gouvernées par l’article 55 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228, qui se lisait comme suit :

55. (1) Le demandeur d’asile ou le ministre peut demander à la Section de rouvrir toute demande d'asile qui a fait l’objet d’une décision ou d’un désistement.

 

55. (1) A claimant or the Minister may make an application to the Division to reopen a claim for refugee protection that has been decided or abandoned.

[…]

 

[…]

(4) La Section accueille la demande sur preuve du manquement à un principe de justice naturelle.

(4) The Division must allow the application if it is established that there was a failure to observe a principle of natural justice.

 

[6]               Aux termes du paragraphe 62(6) des Règles et selon une jurisprudence constante, une demande de réouverture sera uniquement accueillie si le décideur initial a manqué à un principe de justice naturelle, c’est-à-dire dans des circonstances très limitées (Seyoboka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 488 au para 24). Le nouveau paragraphe 62(7) des Règles oblige, depuis décembre 2012, le Tribunal à considérer tout élément pertinent, notamment les raisons pour lesquelles une partie n’a pas présenté une demande d’autorisation de contrôle judiciaire.

[7]               Dans sa demande de réouverture, le demandeur se plaint d’un manquement à un principe de justice naturelle qui découle d’une mauvaise application du droit par le décideur initial. En effet, la Cour suprême du Canada a décidé en 2013 dans l’affaire Ezokola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CSC 40 [Ezokola], que le seuil à atteindre pour être complice au sens de l’article 1Fa) de la Convention est plus élevé que le test précédemment appliqué selon la jurisprudence. Conséquemment, le Tribunal n’a pas appliqué le bon test dans sa décision initiale ce qui constitue une injustice flagrante, de sorte qu’il faut tout recommencer aujourd’hui. Le demandeur allègue également qu’il souffrait de schizophrénie paranoïde non diagnostiquée lors de l’audience initiale et que le Tribunal n’a donc pas pu prendre en considération cette condition médicale particulière lors de l’évaluation de sa crédibilité.

[8]               Aucune erreur révisable n’a été commise par le Tribunal. Faut-il le rappeler, la justice naturelle a trait aux protections procédurales et ne couvre pas les erreurs de droit qui ont pu être commises par le décideur initial. Or, le Tribunal a refusé la demande de réouverture essentiellement parce que la décision initiale était conforme à l’état du droit qui était applicable à l’époque. Quoiqu’il en soit, le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit révisable en notant que l’arrêt Ezokola n’a aucun effet rétroactif. Au niveau de la conclusion qu’il n’y a eu aucun manquement à un principe de justice naturelle, le Tribunal pouvait également s’appuyer sur le fait que le demandeur était représenté à l’époque par une avocate d’expérience et qu’une représentante désignée assistait le demandeur. D’ailleurs, la savante procureure du demandeur ne prétend pas qu’il y ait pu avoir un bris à la justice naturelle parce que le demandeur était mal représenté par son ancienne procureure, ni que cette dernière aurait dû demander une remise d’audition parce que le demandeur n’était pas en état mental de témoigner ou de comprendre ce qui se passait. De plus, rien n’empêchait le demandeur de demander la révision judiciaire de la décision de 2003 s’il était d’avis que le décideur initial avait mal appliqué les principes de la Convention. Le demandeur n’avait pas à attendre qu’un jugement de la Cour suprême dans une autre affaire vienne clarifier le droit applicable.

[9]               Le demandeur prétend aujourd’hui que le diagnostic de schizophrénie aurait pu avoir un impact sur l’évaluation de sa crédibilité. Soit. Toutefois, un nouveau fait n’est pas en lui-même suffisant pour justifier une demande de réouverture. Il faut démontrer un manquement à un principe de justice naturelle. Au risque de me répéter, le décideur initial était conscient de l’état mental du demandeur qui disait alors souffrir d’« insomnie et de cauchemars presque quotidiens, de flashbacks obsédants, de troubles de la mémoire et de la concentration ». L’ancienne procureure du demandeur avait d’ailleurs soulevé la condition mentale particulière de son client et un représentant désigné lui avait été nommé, de sorte que le demandeur n’a pas démontré à la Cour qu’un principe de justice naturelle a été violé en l’espèce. Au demeurant, il n’est même pas certain, selon la nouvelle preuve au dossier, que le demandeur souffrait effectivement de schizophrénie en 2003.

[10]           La présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Les procureurs conviennent qu’aucune question de droit d’importance générale ne se soulève dans ce dossier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-33-14

 

INTITULÉ :

JEAN DE DIEU IKUZWE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 septembre 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

LE 15 septembre 2014

 

COMPARUTIONS :

Me Annick Legault

 

Pour le demandeur

 

Me Michel Pépin

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Annick Legault

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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