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Date : 20140912


Dossiers : IMM-5004-13

IMM-5012-13

IMM-5014-13

IMM-5016-13

Référence : 2014 CF 866

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 septembre 2014

En présence de monsieur le juge Russell

Dossier : IMM-5004-13

ENTRE :

WILMER OMAR PORTILLO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA

défendeur

Dossier : IMM-5012-13

ET ENTRE :

TAMMILEE LISHAUN PASCASCIO

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA

défendeur

Dossier : IMM-5014-13

ET ENTRE :

JULIE GERTRUDEZ REQUENA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA

défendeur

Dossier : IMM-5016-13

ET ENTRE :

SIOMARA ZURIEDA HARRIS

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie de quatre demandes de contrôle judiciaire, présentées sous le régime du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], des décisions par lesquelles un permis de travail a été refusé à chacun des quatre demandeurs [les demandes]. Toutes les décisions ont été rendues par le même agent des visas [l’agent] au bureau des visas du Canada dans la ville de Guatemala, au Guatemala, à la fin du mois de mai et au début du mois de juin 2013 [les décisions]. Les demandes de contrôle judiciaire ont été entendues ensemble conformément aux ordonnances rendues par la juge Mactavish, qui a accordé l’autorisation dans chaque cas le 21 mars 2014.

CONTEXTE FACTUEL

[2]               Les demandeurs sont tous citoyens et résidents du Belize, et ont tous été recrutés pour travailler dans des restaurants McDonald’s au Canada dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires. Les employeurs éventuels, qui sont propriétaires ou exploitants de deux franchises distinctes de McDonald’s au Canada, ont utilisé l’agence de recrutement Actyl Group Inc. [Actyl] pour trouver et présélectionner les demandeurs d’emploi, puis ils ont fait passer une entrevue aux candidats par vidéoconférence ou téléconférence. Une offre d’emploi a été faite à chacun des demandeurs, et des avis relatifs au marché du travail (AMT) favorables ont été obtenus de Service Canada, ce qui a permis aux employeurs d’embaucher les étrangers pour occuper les postes visés – tous des postes à temps plein de serveur ou serveuse au comptoir de service alimentaire, code 6641 de la Classification nationale des professions (CNP).

[3]               Avant de venir au Canada pour occuper leur emploi, chaque demandeur devait obtenir un permis de travail de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC). Pour ce faire, ils devaient satisfaire aux exigences énoncées à la partie 11 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement], qui définit qui peut devenir résident temporaire dans la catégorie des travailleurs. Les demandes de permis de travail des quatre demandeurs ont toutes été rejetées, essentiellement pour les mêmes motifs. Les lettres de décision envoyées aux demandeurs indiquaient toutes ce qui suit (sous forme de liste de vérification sur laquelle l’agent avait coché les motifs de refus qui s’appliquaient) :

[traduction] Vous n’avez pas été en mesure de démontrer que vous répondiez adéquatement aux exigences de votre emploi éventuel.

Et :

[traduction] Vous ne m’avez pas convaincu que vous quitteriez le Canada à la fin de la période de séjour qui vous est applicable. Pour parvenir à cette décision, j’ai tenu compte de plusieurs facteurs, y compris :

[…]

l’objet de la visite

[4]               Chacun des demandeurs conteste ces décisions en soulevant essentiellement les mêmes motifs et les mêmes arguments, bien qu’il y ait des différences dans les faits qui sous‑tendent chaque cas. Tous les demandeurs sont représentés par le même avocat, et chaque demande est étayée par un affidavit d’Actyl, faisant état d’un taux de rejet anormalement élevé à l’égard des demandes de permis de travail présentées par des Béliziens à l’époque en question.

[5]               Les demandeurs individuels et les faits pertinents de chaque demande sont les suivants.

[6]               Wilmer Omar Portillo [M. Portillo] est un citoyen du Belize âgé de 20 ans qui habite le village de Blackman Eddy, dans le district de Cayo. Un emploi dans un McDonald’s de Fernie, en Colombie‑Britannique, lui a été offert. Selon le dossier présenté à l’agent, M. Portillo est célibataire sans personne à charge, il est titulaire d’un diplôme d’études secondaires et il étudie la biologie marine à l’Université du Belize. Il a déjà travaillé comme serveur au Rosa’s Restaurant et comme assistant-mécanicien au garage Bit Boyz, et continue de travailler à temps partiel dans une entreprise familiale, le Carmen’s Food/Veggies Stall. Il a fourni des lettres de recommandation du propriétaire exploitant du Rosa’s Restaurant, d’un chargé de cours à l’Université du Belize, ainsi que de sa mère et de sa tante qui exploitent le commerce de fruits et de produits alimentaires où il travaille à temps partiel. Sur le formulaire Travailleurs peu spécialisés – Information supplémentaire, il a écrit qu’après ses 24 mois au Canada, il prévoyait [traduction] « [r]entrer au Belize et moderniser l’entreprise familiale », et que ses projets à long terme étaient les suivants : [traduction] « [R]entrer à la maison dans mon pays afin d’aider ma mère à vendre et à préparer des aliments dans notre petite entreprise familiale ».

[7]               Tammilee Lishau Pascascio [Mme Pascascio] est une citoyenne du Belize âgée de 20 ans qui habite à Belmopan, dans le district de Cayo. Un emploi dans un McDonald’s de Fernie, en Colombie‑Britannique, lui a été offert. Selon le dossier présenté à l’agent, elle est célibataire sans personne à charge, elle est titulaire d’un diplôme d’études secondaires et elle étudie la gestion des ressources naturelles à l’Université du Belize. Elle a auparavant travaillé comme serveuse au Grape and Grain Lounge, comme bénévole au service d’accueil de Youth With a Mission (pendant un mois) et comme télévendeuse pour Captain Marketing, et elle a fait divers stages d’été dans des services du gouvernement du Belize. Elle a fourni des lettres de recommandation du gestionnaire de l’accueil de Youth With a Mission, d’un assistant du service postal du bureau de poste de Belmopan où elle avait fait un stage, et de sa mère. Sur le formulaire Travailleurs peu spécialisés – Information supplémentaire, elle a écrit qu’après ses 24 mois au Canada, elle prévoyait [traduction] « [r]entrer au Belize », et que ses projets à long terme étaient les suivants : [traduction] « J’ai une parcelle de terrain; je veux être en mesure de la prendre et d’investir dans une petite entreprise pour mon propre compte. »

[8]               Julie Gertrudez Requena [Mme Requena] est une citoyenne du Belize âgée de 32 ans qui habite la ville de Benque Viejo, dans le district de Cayo. Un emploi dans un McDonald’s de Rocky Mountain House, en Alberta, lui a été offert. Selon le dossier présenté à l’agent, elle est mère célibataire de deux enfants âgés de 12 et de 9 ans, qui devaient être confiés à la garde des parents de Mme Requena au Belize pendant qu’elle travaillerait au Canada. Elle est titulaire d’un diplôme d’études secondaires et d’un certificat de réceptionniste dans l’industrie du tourisme – niveau 1, délivré par le centre de formation professionnelle de Cayo. Elle travaille comme secrétaire pour une organisation appelée Special Tactical and Rescue Security Service (STARSS), et a auparavant travaillé comme secrétaire pour Arqitekton Company Limited (à temps partiel), occupé un poste non précisé au Mopan River Resort et travaillé comme professeure d’économie familiale et de couture (à temps partiel) à l’école secondaire de Mopan. Elle a fourni des lettres de recommandation d’un instructeur du centre de formation professionnelle de Cayo, d’une infirmière qui la connaît depuis longtemps, du propriétaire de Arqitekton Company Limited et du gestionnaire de STARSS. Elle a également fourni une lettre, signée par elle‑même et par ses parents, où elle déclare que ses parents prendraient soin de ses enfants pendant son absence. Sur le formulaire Travailleurs peu spécialisés – Information supplémentaire, elle a écrit qu’après ses 24 mois au Canada, elle prévoyait [traduction] « [r]entrer au pays, au Belize », et que ses projets à long terme étaient les suivants : [traduction] « Je reviendrai chez moi et j’investirai dans une infrastructure pour créer ma propre entreprise. »

[9]               Siomara Zurieda Harris [Mme Harris] est une citoyenne du Belize âgée de 27 ans, qui habite la ville de San Ignacio dans le district de Cayo. Un emploi dans un McDonald’s de Rocky Mountain House, en Alberta, lui a été offert. Selon le dossier présenté à l’agent, elle a un conjoint de fait et deux enfants âgés de 6 et de 9 ans qui ne devaient pas l’accompagner au Canada. Elle est titulaire d’un diplôme d’études primaires et d’un certificat en tourisme et en accueil – niveau 1, délivré par le centre de formation professionnelle de Cayo. Elle a travaillé auparavant au Midas Resort comme réceptionniste, serveuse et préposée au service de table, barmaid et femme de ménage. Elle a également déjà effectué des tâches domestiques, de la cuisine et de l’entretien ménager au couvent des sœurs pallotines, et travaillé comme commis d’épicerie au Celina’s Super Store, et occupe actuellement un emploi de superviseure au Cold Front Ideals. Elle a fourni une lettre de sa mère, qui déclare qu’elle s’occupera des enfants pendant l’absence de Mme Harris, une lettre de soutien de son conjoint de fait, et des lettres de recommandation du propriétaire exploitant du Cold Front Ideals, du propriétaire exploitant du Midas Resort, du propriétaire exploitant du Celina’s Super Store et d’un instructeur du centre de formation professionnelle de Cayo. Sur le formulaire Travailleurs peu spécialisés – Information supplémentaire, elle a écrit qu’après ses 24 mois au Canada, elle prévoyait [traduction] « [r]entrer au Belize », et que ses projets à long terme étaient les suivants : [traduction] « Forte des connaissances et des compétences que j’aurai acquises, rentrer dans mon pays et lancer une entreprise. »

DÉCISIONS FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[10]           L’agent, désigné dans les notes du Système mondial de gestion des cas [les notes du SMGC] par le code CSO1556, a rejeté chacune des quatre demandes de permis de travail pour les mêmes motifs à la fin de mai et au début de juin 2013. Outre les listes de vérification où étaient cochés les motifs, reproduits ci‑dessus, les notes du SMGC contiennent l’analyse de l’agent et les raisons qui expliquent le refus dans chaque cas.

[11]           Les notes du SMGC consignées par l’agent le 5 juin 2013 indiquent ce qui suit dans le cas de M. Portillo :

[traduction] M, BZE, 19, CÉLIBATAIRE, SANS PERSONNE À CHARGE. TRAVAILLE ACTUELLEMENT AU CARMEN’S FOOD/VEGGIES (ENTREPRISE FAMILIALE) À TEMPS PARTIEL DEPUIS LE 5 JANV. A TRAVAILLÉ AUPARAVANT AU GARAGE BIT BOYZ COMME ASSISTANT MÉCANICIEN À TEMPS PARTIEL DE 2007 À 2010 ET AU ROSA’S RESTAURANT COMME SERVEUR DE JANV. 2010 À SEPT. 2012 (LE DP ÉTAIT MINEUR QUAND IL A COMMENCÉ). ÉTUDIE AUSSI À L’UNIVERSITÉ DU BELIZE : GRADE D’ASSOCIÉ EN BIOLOGIE MARINE POUR TRAVAILLER DANS UN McDONALD’S À NORTH BATTLEFORD (SASK.) PENDANT 24 MOIS. DESCRIPTION DU POSTE : SERVEUR/SERVEUSE AU COMPTOIR DE SERVICE ALIMENTAIRE. EXPÉRIENCE ET ÉTUDES : ÉTUDES SECONDAIRES PARTIELLES OU L’ÉQUIVALENT DE PRÉFÉRENCE + EXPÉRIENCE PRÉALABLE DE TRAVAIL DANS UN RESTAURANT À SERVICE RAPIDE (DANS UN McDONALD’S DE PRÉFÉRENCE) + COMPÉTENCES DE BASE EN LECTURE, EN ÉCRITURE ET EN CALCUL. PIÈCES REÇUES : – CP DU BZE : RIEN À SIGNALER – CV – LETTRE D’EMPLOI OFFICIEUSE DU PREMIER EMPLOYEUR – COPIE DU DIPLÔME D’ÉTUDES J’AI DES RÉSERVES. PAS DE PREUVE SOLIDE ÉTABLISSANT L’EXPÉRIENCE POUR L’EMPLOI DEMANDÉ. DEMANDE REFUSÉE.

[Non souligné dans l’original.]

[12]           Les notes du SMGC consignées par l’agent le 5 juin 2013 indiquent ce qui suit dans le cas de Mme Pascascio :

[traduction] M, BZE, 19, CÉLIBATAIRE, SANS PERSONNE À CHARGE. TRAVAILLE ACTUELLEMENT COMME SERVEUSE AU GRAPE AND GRAIN LOUNGE (DE MARS À JUIN 20130, A TRAVAILLÉ AUPARAVANT À L’ACCUEIL DE YOUTH WITH A MISSION DE JANV. À FÉVR. 2013 ET COMME TÉLÉVENDEUSE POUR CAPATAIN MARKETING DE NOV. À DÉC. 2012 POUR TRAVAILLER DANS UN McDONALD’S À NORTH BATTLEFORD (SASK.) PENDANT 24 MOIS. DESCRIPTION DU POSTE : SERVEUR/SERVEUSE AU COMPTOIR DE SERVICE ALIMENTAIRE. EXPÉRIENCE ET ÉTUDES : ÉTUDES SECONDAIRES PARTIELLES OU L’ÉQUIVALENT DE PRÉFÉRENCE + EXPÉRIENCE PRÉALABLE DE TRAVAIL DANS UN RESTAURANT À SERVICE RAPIDE (DANS UN McDONALD’S DE PRÉFÉRENCE) + COMPÉTENCES DE BASE EN LECTURE, EN ÉCRITURE ET EN CALCUL. PIÈCES REÇUES : – CP DU BZE : RIEN À SIGNALER – CV – LETTRE DE L’EMPLOYEUR PRÉCÉDENT – COPIE DU DIPLÔME D’ÉTUDES J’AI DES RÉSERVES. PAS DE PREUVE ÉTABLISSANT L’EXPÉRIENCE POUR L’EMPLOI DEMANDÉ. DEMANDE REFUSÉE.

[Non souligné dans l’original.]

[13]           Les notes du SMGC consignées par l’agent le 28 mai 2013 indiquent ce qui suit dans le cas de Mme Requena 2013 :

[traduction] F, BZE, 31, CÉLIBATAIRE, 2 PERSONNES À CHARGE DÉCLARÉES, POUR TRAVAILLER DANS UN McDONALD’S COMME SERVEUSE AU COMPTOIR DE SERVICE ALIMENTAIRE PENDANT 24 MOIS EXPÉRIENCE/ÉTUDES REQUISES : – Études secondaires partielles ou expérience équivalente de préférence – Compétences de base en lecture, en écriture et en calcul – Expérience préalable de travail dans un restaurant à service rapide (dans un McDonald’s de préférence) SECRÉTAIRE POUR SPECIAL TAXABLE AND RESCUE SECURITY SERVICES DEPUIS AVRIL 2013. A TRAVAILLÉ AUPARAVANT COMME SECRÉTAIRE POUR ARQITEKTON LTD (À TEMPS PARTIEL), COMME RÉCEPTIONNISTE AU MOPAN RIVER RESORT, COMME PROFESSEURE À L’ÉCOLE SECONDAIRE DE MOPAN (À TEMPS PARTIEL) PIÈCES REÇUES : – COPIE DU DIPLÔME D’ÉTUDES SECONDAIRES – 2 LETTRES DE RECOMMANDATION OFFICIEUSES – 2 LETTRES D’EMPLOI OFFICIELLES – CP DU BZE – ACTE DE NAISSANCE DE SA FILLE REBECA : NÉE AUX É.‑U. EN JUIN 2003. PAS DE VISA DES É.‑U. SUR LE PASSEPORT J’AI DES RÉSERVES. PAS D’INTENTION CLAIRE, PAS BIEN ÉTABLIE AU BZE. JE NE SUIS PAS CONVAINCU QUE LA DP RÉPOND AUX EXIGENCES. DEMANDE REFUSÉE.

[Non souligné dans l’original.]

[14]           Les notes du SMGC consignées par l’agent le 28 mai 2013 indiquent ce qui suit dans le cas de Mme Harris :

[traduction] F, BZE, 24. CONJOINT DE FAIT ET 2 ENFANTS DÉCLARÉS. CONJOINT TRAVAILLE COMME OPÉRATEUR DE MACHINERIE LOURDE POUR LE SERVICE DES EAUX DU BELIZE, POUR TRAVAILLER COMME SERVEUSE AU COMPTOIR DE SERVICE ALIMENTAIRE DANS UN McDONALD’S PENDANT 24 MOIS EXPÉRIENCE/ÉTUDES REQUISES : – Études secondaires partielles ou expérience équivalente de préférence – Compétences de base en lecture, en écriture et en calcul – Expérience préalable de travail dans un restaurant à service rapide (dans un McDonald’s de préférence) TRAVAILLE COMME OUVRIÈRE/SUPERVISEURE POUR COLD FRONTS IDEAL A TRAVAILLÉ AUPARAVANT COMME SERVEUSE/BARMAID/RÉCEPTIONNISTE AU MIDA’S RESORT DU 9 FÉVR. AU 3 DÉC. (SELON LE FORMULAIRE), COMME AIDE DOMESTIQUE, CUISINIÈRE ET FEMME DE MÉNAGE AU COUVENT DES SŒURS PALLOTINES, COMME COMMIS AU SERVICE À LA CLIENTÈLE AU CELINA’S SUPER STORE PIÈCES REÇUES : – 2 LETTRES DE RECOMMANDATION OFFICIEUSES – 2 LETTRES D’EMPLOI OFFICIELLES. UNE LETTRE DU MIDA’S RESORT INDIQUE QUE LA DP A REÇU SA FORMATION PRATIQUE À CET ENDROIT EN 3003. – CP DU BZE – LETTRE DU CENTRE DE FORMATION PROFESSIONNELLE DE CAYO : A ÉTUDIÉ LE SERVICE D’ACCUEIL TOURISTIQUE DE JANV. À DÉC. 2013. J’AI DES RÉSERVES. PAS BIEN ÉTABLIE AU BZE. JE NE SUIS PAS CONVAINCU QUE LA DP RÉPOND AUX EXIGENCES. DEMANDE REFUSÉE.

[Non souligné dans l’original.]

QUESTIONS EN LITIGE

[15]           Les questions suivantes sont soumises à l’examen de la Cour pour chacune des quatre demandes :

  1. L’agent a‑t‑il commis une erreur en évaluant la capacité des demandeurs d’occuper l’emploi qui leur avait été offert?
  2. L’agent a‑t‑il commis une erreur en évaluant l’intention des demandeurs de quitter le Canada à la fin de leur période de résidence temporaire de deux ans?
  3. L’agent a‑t‑il manqué à son obligation d’équité procédurale envers les demandeurs de l’une ou l’autre des manières suivantes :

                                i.      en omettant de mener une entrevue avec les demandeurs;

                              ii.      en rendant une décision sans avoir consciencieusement analysé les documents présentés avec les demandes?

NORME DE CONTRÔLE

[16]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême a statué qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse exhaustive pour arrêter la bonne norme de contrôle. En fait, lorsque la norme de contrôle qui s’applique à la question en litige est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut l’adopter. Ce n’est que lorsque cette démarche s’avère infructueuse, ou si la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire, que la cour de révision doit entreprendre l’examen des quatre facteurs de l’analyse relative à la norme de contrôle : Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48 [Agraira].

[17]           Les décisions des agents des visas concernant la délivrance de permis de travail temporaires sont discrétionnaires de nature et susceptibles de contrôle selon la norme du caractère raisonnable : Calaunan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1494, au paragraphe 13. C’est la norme de contrôle qui s’applique aux questions a et b susmentionnées.

[18]           Les questions d’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte : voir les arrêts Mission Institution c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79; Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, au paragraphe 100; Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, au paragraphe 53. C’est la norme de contrôle qui s’applique à la question c susmentionnée.

[19]           Lors du contrôle d’une décision selon la norme du caractère raisonnable, l’analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si les décisions sont déraisonnables en ce sens qu’elles n’appartiennent pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[20]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Visa et documents

11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

Application before entering Canada

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

[…]

[…]

Obligation à l’entrée au Canada

20. (1) L’étranger non visé à l’article 19 qui cherche à entrer au Canada ou à y séjourner est tenu de prouver :

Obligation on entry

20. (1) Every foreign national, other than a foreign national referred to in section 19, who seeks to enter or remain in Canada must establish,

[…]

[…]

b) pour devenir un résident temporaire, qu’il détient les visa ou autres documents requis par règlement et aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

(b) to become a temporary resident, that they hold the visa or other document required under the regulations and will leave Canada by the end of the period authorized for their stay.

Résident temporaire

22. (1) Devient résident temporaire l’étranger dont l’agent constate qu’il a demandé ce statut, s’est déchargé des obligations prévues à l’alinéa 20(1)b), n’est pas interdit de territoire et ne fait pas l’objet d’une déclaration visée au paragraphe 22.1(1).

Temporary resident

22. (1) A foreign national becomes a temporary resident if an officer is satisfied that the foreign national has applied for that status, has met the obligations set out in paragraph 20(1)(b), is not inadmissible and is not the subject of a declaration made under subsection 22.1(1).

Double intention

(2) L’intention qu’il a de s’établir au Canada n’empêche pas l’étranger de devenir résident temporaire sur preuve qu’il aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

Dual intent

(2) An intention by a foreign national to become a permanent resident does not preclude them from becoming a temporary resident if the officer is satisfied that they will leave Canada by the end of the period authorized for their stay.

[…]

[…]

Études et emploi

30. (1) L’étranger ne peut exercer un emploi au Canada ou y étudier que sous le régime de la présente loi.

Work and study in Canada

30. (1) A foreign national may not work or study in Canada unless authorized to do so under this Act.

Autorisation

(1.1) L’agent peut, sur demande, autoriser l’étranger qui satisfait aux conditions réglementaires à exercer un emploi au Canada ou à y étudier.

Authorization

(1.1) An officer may, on application, authorize a foreign national to work or study in Canada if the foreign national meets the conditions set out in the regulations.

[…]

[…]

[21]           Les dispositions suivantes du Règlement s’appliquent en l’espèce :

Délivrance

179. L’agent délivre un visa de résident temporaire à l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

Issuance

179. An officer shall issue a temporary resident visa to a foreign national if, following an examination, it is established that the foreign national

a) l’étranger en a fait, conformément au présent règlement, la demande au titre de la catégorie des visiteurs, des travailleurs ou des étudiants;

(a) has applied in accordance with these Regulations for a temporary resident visa as a member of the visitor, worker or student class;

b) il quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée qui lui est applicable au titre de la section 2;

(b) will leave Canada by the end of the period authorized for their stay under Division 2;

[…]

[…]

d) il se conforme aux exigences applicables à cette catégorie;

(d) meets the requirements applicable to that class;

[…]

[…]

Catégorie

194. La catégorie des travailleurs est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent devenir résidents temporaires.

Class

194. The worker class is prescribed as a class of persons who may become temporary residents.

Qualité

195. Est un travailleur et appartient à la catégorie des travailleurs l’étranger autorisé à entrer au Canada et à y séjourner à ce titre.

Worker

195. A foreign national is a worker and a member of the worker class if the foreign national has been authorized to enter and remain in Canada as a worker.

[…]

[…]

Demande avant l’entrée au Canada

197. L’étranger peut, en tout temps avant son entrée au Canada, faire une demande de permis de travail.

Application before entry

197. A foreign national may apply for a work permit at any time before entering Canada.

[…]

[…]

Permis de travail – demande préalable à l’entrée au Canada

200. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), et de l’article 87.3 de la Loi dans le cas de l’étranger qui fait la demande préalablement à son entrée au Canada, l’agent délivre un permis de travail à l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, les éléments ci‑après sont établis :

Work permits

200. (1) Subject to subsections (2) and (3) - and, in respect of a foreign national who makes an application for a work permit before entering Canada, subject to section 87.3 of the Act - an officer shall issue a work permit to a foreign national if, following an examination, it is established that

[…]

[…]

b) il quittera le Canada à la fin de la période de séjour qui lui est applicable au titre de la section 2 de la partie 9;

(b) the foreign national will leave Canada by the end of the period authorized for their stay under Division 2 of Part 9;

c) il se trouve dans l’une des situations suivantes :

(c) the foreign national

[…]

[…]

(iii) il a reçu une offre d’emploi et l’agent a rendu une décision positive conformément aux alinéas 203(1)a) à e);

(iii) has been offered employment, and an officer has made a positive determination under paragraphs 203(1)(a) to (e); and

[…]

[…]

Exceptions

(3) Le permis de travail ne peut être délivré à l’étranger dans les cas suivants :

Exceptions

(3) An officer shall not issue a work permit to a foreign national if

a) l’agent a des motifs raisonnables de croire que l’étranger est incapable d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé;

(a) there are reasonable grounds to believe that the foreign national is unable to perform the work sought;

[…]

[…]

Appréciation de l’emploi offert

203. (1) Sur présentation d’une demande de permis de travail conformément à la section 2 par tout étranger, autre que celui visé à l’un des sous‑alinéas 200(1)c)(i) à (ii.1), l’agent décide, en se fondant sur l’avis du ministère de l’Emploi et du Développement social, sur tout renseignement fourni, à la demande de l’agent, par l’employeur qui présente l’offre d’emploi et sur tout autre renseignement pertinent, si, à la fois :

Assessment of employment offered

203. (1) On application under Division 2 for a work permit made by a foreign national other than a foreign national referred to in subparagraphs 200(1)(c)(i) to (ii.1), an officer must determine, on the basis of an opinion provided by the Department of Employment and Social Development, of any information provided on the officer’s request by the employer making the offer and of any other relevant information, if

[…]

[…]

b) le travail de l’étranger est susceptible d’avoir des effets positifs ou neutres sur le marché du travail canadien;

(b) the employment of the foreign national is likely to have a neutral or positive effect on the labour market in Canada;

ARGUMENTATION

A.                Demandeurs

[22]           Les demandeurs soutiennent que l’agent n’avait pas de motifs raisonnables de conclure qu’ils n’étaient pas qualifiés pour occuper les emplois qui leur avaient été offerts et de rejeter leurs demandes de permis de travail sur ce fondement. Ils soulignent qu’aux termes de l’alinéa 200(3)a) du Règlement, l’agent ne délivrera pas de permis de travail à un étranger s’il « a des motifs raisonnables de croire que l’étranger est incapable d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé ». Toutefois, chaque demandeur avait été interrogé par son employeur éventuel et jugé bon candidat d’après ses études, ses emplois antérieurs, ses compétences linguistiques et sa personnalité générale. Les demandeurs affirment que l’offre d’emploi affichée et la demande d’AMT énonçaient dans chaque cas, en ce qui concerne l’expérience préalable : [traduction] « Aucune expérience requise, une formation en cours d’emploi sera offerte, bien qu’une certaine expérience dans l’industrie de la restauration rapide (McDonald’s) soit préférable. »

[23]           Les demandeurs renvoient à la décision Randhawa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1294, au paragraphe 17 [Randhawa], dans laquelle le juge Kelen a conclu ceci : « Il est raisonnable d’exiger d’un candidat qu’il réponde aux exigences d’un emploi donné avant qu’un visa de travail lui soit délivré, mais il est déraisonnable de ne pas prendre en compte jusqu’à un certain point l’orientation professionnelle dont le demandeur de visa bénéficierait inévitablement. » Par ailleurs, dans la décision Gao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 350, au paragraphe 21, 184 FTR 300 [Gao], le juge Blais (tel était alors son titre) a conclu qu’en l’absence d’un examen normalisé, l’agente des visas ne pouvait dans ce cas‑là évaluer les compétences de la demanderesse. À la suite de cette décision, dans l’affaire Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 594, au paragraphe 23, 190 FTR 260 [Chen], le juge Blais a fait observer ceci : « Les agents des visas évalueront‑ils les compétences professionnelles des ingénieurs ou des chefs cuisiniers? De toute évidence, ils ne sont pas bien placés pour le faire. »

[24]           Les demandeurs notent que la liste de contrôle de CIC relative aux documents devant être produits dans le cas d’une demande de permis de travail indique le point suivant : « La preuve que vous répondez aux exigences de l’emploi offert. » Pour satisfaire à cette demande, ils ont tous fourni des lettres de leur employeur actuel ou d’anciens employeurs démontrant leur expérience du service à la clientèle. Les AMT formulés par Service Canada ne mentionnaient pas que les candidats devaient avoir de l’expérience, et les employeurs en question ont jugé que tous les demandeurs étaient en mesure d’accomplir les tâches de serveur ou serveuse au comptoir de service alimentaire, décrites sous le code 6641 de la CNP.

[25]           Les demandeurs soutiennent que l’agent a refusé de leur délivrer un permis de travail au motif qu’ils étaient mal qualifiés ou surqualifiés pour les emplois qui leur étaient offerts, et que refuser à quelqu’un une possibilité d’emploi parce qu’il est surqualifié constitue de la discrimination injustifiée et illicite : Sangha c Mackenzie Valley Land and Water Board, 2007 CF 856.

[26]           Les demandeurs affirment que l’agent a également commis une erreur en évaluant leur intention de quitter le Canada au terme de leur contrat d’emploi, et qu’ils auraient dû avoir la possibilité de dissiper les doutes de l’agent à cet égard dans le cadre d’une entrevue. Ils renvoient à la décision Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1284, où le juge Beaudry a conclu que rien dans la demande du demandeur, autre que la mention d’un salaire plus élevé au Canada, ne donnait à penser que le demandeur avait l’intention de demeurer pour toujours au Canada, et que l’agent aurait dû mener une entrevue pour permettre au demandeur de dissiper ses doutes. Les demandeurs soutiennent que l’agent a manqué aux principes de justice naturelle en ne leur donnant pas l’occasion de dissiper les doutes ou les malentendus.

[27]           L’agent a conclu à tort que les demandeurs enfreindraient le droit canadien en prolongeant indûment leur séjour, et aucun fondement ne lui permettait de poser l’hypothèse choquante et déraisonnable qu’ils seraient délinquants. Aucun des demandeurs n’a de casier judiciaire ni d’antécédents de violation des lois en matière d’immigration ou d’autres lois, et tous ont fourni des références. Chacun des demandeurs a souligné qu’il avait de forts liens familiaux au Belize et qu’il entendait absolument retourner là‑bas. Mme Requena et Mme Harris ont toutes deux des enfants qui seront confiés à la garde de membres de leur famille pendant leur séjour au Canada. La plupart des demandeurs ont déjà fait des voyages, notamment au Mexique et au Guatemala (M. Portillo), au Guatemala et aux États‑Unis (Mme Requena) et au Guatemala (Mme Harris), et montré ainsi leur volonté de retourner au Belize.

[28]           Les demandeurs ajoutent que l’agent a manqué à l’équité procédurale en rendant une décision sans avoir analysé consciencieusement les documents présentés avec leurs demandes. Ils font remarquer que les décisions ont été rendues de 14 à 18 jours après l’envoi de la demande, ce qui contraste avec le délai de traitement d’autres demandes de permis de travail ayant déjà été approuvées, et donnent l’exemple d’une demande dont le traitement a pris 91 jours. Leurs demandes ont été tranchées trop vite, affirment les demandeurs, sans qu’ils aient la possibilité d’apporter des précisions sur l’un ou l’autre des documents produits, ce qui va à l’encontre des droits de participation exposés dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker], qui exigent une procédure équitable et ouverte, comprenant la possibilité donnée aux personnes visées de présenter complètement leurs points de vue et leurs éléments de preuve, de sorte qu’ils soient considérés par le décideur.

B.                 Défendeur

[29]           Selon le défendeur, les emplois offerts à chacun des demandeurs exigeaient de l’expérience de travail dans un restaurant à service rapide, de préférence dans un McDonald’s, comme l’énonçait la description de travail jointe au contrat d’emploi que chacun des demandeurs avait signé, lequel faisait partie du dossier présenté à l’agent. Cette exigence constituait une condition de chaque contrat d’emploi, et les conditions de ces contrats devaient être les mêmes que celles décrites dans les AMT. Les demandeurs n’ont fourni aucun élément de preuve pour étayer leur allégation selon laquelle les AMT applicables n’exigeaient pas d’expérience de travail particulière et, en fait, le dossier établit que, dans chaque cas, l’employeur et l’AMT exigeaient tous deux de l’expérience de travail préalable dans un restaurant à service rapide (de préférence dans un McDonald’s). L’agent a conclu que, d’après les documents présentés, les demandeurs n’avaient pas démontré qu’ils avaient de l’expérience de travail dans un restaurant à service rapide, conclusion qui appartenait aux issues possibles acceptables.

[30]           Le défendeur souligne que les demandeurs ont tous fourni des lettres de recommandation, mais n’ont produit aucun autre document, comme des dossiers d’emploi, de paye ou d’impôt, pour établir leur emploi précédent.

[31]           Le défendeur soutient que l’affaire Randhawa, précitée, se distingue de la présente espèce parce que dans cette affaire‑là, l’agente avait refusé de délivrer un permis de travail au demandeur, ayant jugé qu’il ne serait pas en mesure, à titre de cuisinier, d’observer les règles d’hygiène. La Cour avait alors souligné que les agents des visas n’étaient pas en position d’évaluer les aptitudes professionnelles d’un demandeur, et que l’orientation professionnelle dont le demandeur bénéficierait quant aux règles d’hygiène devait être prise en considération. Par contre, en l’espèce, l’agent n’a pas rejeté les demandes au motif que les compétences des demandeurs étaient insuffisantes. L’agent a plutôt évalué si les demandeurs respectaient un critère objectif défini comme une exigence du poste dans les AMT. Aucune orientation professionnelle n’aurait permis aux demandeurs de satisfaire à l’exigence selon laquelle ils devaient avoir de l’expérience de travail préalable dans un restaurant à service rapide. Le demandeur doit établir qu’il répond aux exigences de l’emploi pour lequel il demande un permis de travail au Canada. En l’espèce, les demandeurs ne se sont pas acquittés du fardeau qui leur incombait d’établir qu’ils avaient l’expérience requise dans la description de travail.

[32]           Le défendeur ajoute que l’agent avait des doutes raisonnables quant à l’intention des demandeurs de quitter le Canada au terme de leurs contrats, et qu’il n’a pas manqué à l’équité procédurale en rejetant leurs demandes sur ce fondement sans leur avoir accordé d’entrevue.

[33]           Aux termes de l’alinéa 200(1)b) du Règlement, il incombe au demandeur d’établir qu’il quittera le Canada à la fin de la période de séjour qui lui est applicable. Si l’agent n’en est pas convaincu, il a alors un motif suffisant pour rejeter la demande. Il incombe au demandeur de fournir tous les documents pertinents et suffisamment d’éléments de preuve crédibles à l’appui de sa demande : Pacheco Silva c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 733, au paragraphe 20. Le défendeur affirme que chaque demandeur a fourni très peu d’information pour établir qu’il retournerait au Belize, y compris sur le formulaire Travailleurs peu spécialisés – Information supplémentaire, qui donnait aux demandeurs l’occasion de présenter des renseignements supplémentaires. Ainsi, la conclusion de l’agent selon laquelle les demandeurs n’avaient pas démontré qu’ils quitteraient le Canada et retourneraient au Belize appartenait aux issues acceptables.

[34]           En outre, l’agent n’était pas tenu d’interroger les demandeurs. Comme il a été souligné, il incombe au demandeur de convaincre l’agent de tous les aspects de sa demande. Lorsque les réserves de l’agent découlent directement des exigences de la loi ou d’un règlement, l’agent n’a pas l’obligation d’en informer le demandeur de permis au titre de la catégorie des travailleurs : Hassani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1283, aux paragraphes 23 et 24; Gulati c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 451, au paragraphe 43 [Gulati].

[35]           Par ailleurs, les exigences en matière d’équité procédurale sont minimes en pareil cas, surtout quand rien ne montre que les conséquences pour le demandeur seront sérieuses : Qin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 815, au paragraphe 5. Il n’y a pas de conséquences sérieuses quand le demandeur peut présenter une nouvelle demande de permis de travail et que rien ne montre que cette démarche lui causerait des difficultés : Masych c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1253, au paragraphe 30.

[36]           Dans les présents cas, soutient le défendeur, l’exigence selon laquelle les demandeurs doivent établir qu’ils quitteront le Canada découle directement de la loi, et les demandeurs peuvent présenter de nouvelles demandes de permis de travail, de sorte que le refus n’entraîne pas de conséquences sérieuses. Ainsi, l’agent n’a pas manqué à l’équité procédurale en n’offrant pas d’entrevue aux demandeurs.

[37]           Le défendeur soutient que l’agent n’a pas non plus manqué à l’équité procédurale en rendant une décision sans avoir analysé consciencieusement les documents présentés avec les demandes. L’agent est présumé avoir pris connaissance de tous les éléments de preuve (Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (CAF)), et il n’est pas tenu de mentionner tous les documentés présentés (Hassan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 147 NR 317 (CAF)). Les notes du SMGC contiennent un certain nombre de renvois à l’information produite par chaque demandeur. Le fait que les décisions ont été rendues plus rapidement que dans le cas d’autres demandes de permis de travail n’indique pas en soi que les demandes n’ont pas été pleinement évaluées.

C.                 Réplique et observations supplémentaires des demandeurs

[38]           Les demandeurs répliquent que chacun d’eux a plus que l’expérience nécessaire pour accomplir l’emploi offert. Dans chaque cas, l’employeur a jugé le demandeur suffisamment qualifié sur la foi d’une entrevue, du curriculum vitæ du demandeur et des lettres de recommandation fournies.

[39]           Les demandeurs affirment avoir produit des éléments de preuve établissant qu’ils répondaient aux exigences de l’emploi sous forme de lettres de recommandation, lesquelles démontraient leur expérience du service à la clientèle, et que la liste de contrôle des documents de CIC n’indiquait pas qu’ils devaient produire d’autres documents, comme des dossiers d’emploi, de paye ou d’impôt, pour établir leur emploi précédent. Comme cette exigence ne figure pas dans la loi ou dans le règlement pertinent, les demandeurs auraient dû en être avisés et avoir la possibilité de produire d’autres renseignements : Qin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 147, au paragraphe 38.

[40]           Selon les demandeurs, en interprétant de manière étroite la décision Randhawa, précitée, c’est‑à‑dire en retenant qu’elle tournait seulement autour de la question de l’hygiène, le défendeur a fait abstraction des paragraphes 7 et 12, ainsi rédigés :

[7]        Comme on peut le lire dans les notes du STIDI, l’agente des visas a conclu que le demandeur n’était pas capable d’exécuter les tâches d’un aide‑cuisinier :

[traduction]

Conclusions : Le demandeur dit qu’il a suivi un cours d’hygiène, mais je ne crois pas qu’il soit en mesure de bien observer les règles d’hygiène que suppose son contrat de travail. Je voudrais dire aussi que j’ai vérifié auprès de plusieurs autres personnes du bureau l’explication qu’il a donnée de la manière de vérifier si une volaille est fraîche ou non (en ce qui concerne par exemple le poulet gonflé), et aucune d’entre elles n’en avait jamais entendu parler. Il avait dit avant cela que le poulet pouvait être conservé au réfrigérateur durant trois semaines avant qu’il ne se gâte.

Je ne suis pas convaincue que le demandeur puisse accomplir les tâches prévues. Pas convaincue non plus qu’il réponde aux exigences de la lettre de confirmation d’emploi.

L’agente des visas a rendu une décision écrite par laquelle elle refusait un permis de travail au demandeur. Elle a retenu, dans la lettre type, les deux motifs suivants qui, selon elle, s’appliquaient à son refus :

Vous avez produit une lettre de confirmation de Ressources humaines et Développement des compétences Canada, qui concerne l’incidence économique de l’offre d’emploi faite à un étranger, mais je ne suis pas convaincue que vous êtes en mesure d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé, selon ce que prévoit l’alinéa 200(3)a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés.

Vous avez présenté une lettre de confirmation émise par Ressources humaines et Développement des compétences Canada, mais je ne crois pas que vous répondiez aux exigences du poste qui sont précisées dans la confirmation de l’offre d’emploi.

[Non souligné dans l’original.]

[…]

[12]      Dans la décision Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 594, la Cour a jugé, sous la plume du juge Blais, que les agents des visas ne sont pas en position d’évaluer les aptitudes professionnelles d’un demandeur, ajoutant explicitement qu’il est fautif pour un agent des visas d’évaluer les aptitudes professionnelles d’un chef cuisinier. Le juge Blais s’est exprimé ainsi, au paragraphe 23 :

Les agents des visas évalueront‑ils les compétences professionnelles des ingénieurs ou des chefs cuisiniers? De toute évidence, ils ne sont pas bien placés pour le faire.

[41]           En l’espèce, les AMT eux-mêmes n’indiquent pas que de l’expérience dans l’industrie du service rapide est requise, ni la description de la profession de serveur ou serveuse au comptoir de service alimentaire, code 6641 de la CNP. La description de la CNP mentionne seulement ce qui suit :

  • Quelques années d’études secondaires sont habituellement exigées.
  • Une formation en cours d’emploi est offerte.

[42]           Les demandeurs soutiennent que l’expression [traduction] « restaurant à service rapide » est d’usage courant depuis peu de temps, et que le terme anglais « quick service restaurant » figure dans un seul dictionnaire général (Oxford English Dictionary, 1989). Bien que le terme soit habituellement considéré comme un synonyme de « restaurant-minute », les demandeurs affirment qu’il doit être interprété dans un sens plus large, de manière à inclure tout établissement qui prépare et sert de la nourriture rapidement, surtout quand il s’agit d’évaluer la qualification d’un employé. Le terme n’est pas encore pleinement défini, et devrait être considéré comme ambigu et confus.

[43]           Les demandeurs ajoutent que le contenu de l’obligation d’équité procédurale dans un contexte donné doit être établi en fonction des cinq facteurs énoncés dans l’arrêt Baker, précité : 1) la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir; 2) la nature du régime législatif et les termes de la loi régissant l’organisme; 3) l’importance de la décision pour les personnes visées; 4) les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision; 5) les choix de procédure que l’organisme fait lui‑même.

[44]           Les demandeurs soulignent que le juge Mosley a conclu, au paragraphe 45 de la décision Gulati, citée par le défendeur, que si la décision faisant l’objet du contrôle avait été prise dans le respect de l’équité procédurale, elle était néanmoins déraisonnable « en ce qu’elle a[vait] été prise sans tenir compte des éléments de preuve pertinents, s’appuyait sur une interprétation déraisonnable de l’énoncé principal de la CNP 6212 et ne répondait pas aux normes de transparence et d’intelligibilité ».

[45]           Les demandeurs avancent que la décision Serrudo Sempertegui c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1176, appui leur thèse selon laquelle l’agent a commis une erreur en évaluant leur intention de quitter le Canada. Le juge Harrington a fait observer ce qui suit, aux paragraphes 8 à 10 :

[8]        À part le fait que Mme Sempertegui est une femme célibataire dans la vingtaine, aucune autre raison n’a été donnée pour justifier le soupçon qu’elle ne quittera pas le Canada à l’expiration de son visa. Bien qu’il soit possible qu’elle ait une double intention, le paragraphe 22(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés prévoit expressément qu’il ne s’agit pas d’un motif de rejeter une demande.

[9]        Certes, il incombe au demandeur de convaincre l’agent, mais certains agents ne se laisseront jamais convaincre, peu importe la situation. Mme Sempertegui a un père veuf et deux sœurs qui vivent en Bolivie. Les notes consignées par l’agente au STIDI ne font pas état pas ce fait. Les doutes de l’agente des visas n’étaient pas fondés sur des inférences raisonnables tirées des faits connus, et la décision est donc déraisonnable.

[10]      Ses liens avec la Bolivie n’ont pas été expliqués, pas plus que le fait qu’on a amplement démontré que Mme Sempertegui et ses répondants respectent les règles. La décision n’a aucun fondement objectif.

[46]           Les demandeurs renvoient également à l’analyse faite par le juge Scott dans la décision Shirazi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 306, où le juge a conclu que l’agente n’avait pas expliqué le fondement de sa conclusion (à savoir que la demanderesse n’avait pas exercé une partie appréciable des fonctions principales énoncées dans la description pertinente de la CNP) et que la décision était donc déraisonnable. Même s’il s’agissait d’une décision discrétionnaire, « la transparence et l’intelligibilité d’une décision sont des éléments importants quant à sa raisonnabilité » (au paragraphe 32), et cette norme n’avait pas été respectée.

[47]           Enfin, les demandeurs soutiennent qu’ils ont dû satisfaire à un critère différent en raison de leur pays d’origine, ce qui était contraire à l’équité procédurale. Ils disent qu’ils ont dû présenter un formulaire de plus (le formulaire Travailleurs peu spécialisés – Information supplémentaire) parce que les emplois visés sont classés comme des emplois peu spécialisés. Ils affirment que ceux dont les demandes de permis pour le même type d’emploi sont traitées par des bureaux des visas au Mexique ou en Jamaïque ne sont pas tenus de produire ce formulaire, ni de fournir des éléments de preuve supplémentaires concernant leur intention de rentrer dans leur pays ou leurs antécédents professionnels.

[48]           Dans leurs observations supplémentaires, les demandeurs abordent la question de la réparation appropriée si jamais la Cour tranchait en leur faveur. Ils disent que les décisions doivent être annulées et renvoyées pour nouvel examen à un autre agent des visas (de préférence dans un bureau des visas autre que celui de la ville de Guatemala). Ils ajoutent que les nouveaux examens devraient être fondés sur l’information fournie dans leurs demandes de permis de travail, les AMT existants et les pratiques et procédures en place au moment des premières décisions. En particulier, ils disent que les nouvelles décisions doivent être rendues sur le fondement du Programme des travailleurs étrangers temporaires tel qu’il existait avant le 24 avril 2014. Les changements annoncés à cette date comprenaient un moratoire immédiat sur le programme pour le secteur des services de restauration. Il avait alors été indiqué que Emploi et Développement social Canada (EDSC) cesserait de traiter toute demande d’AMT, nouvelle ou en cours, pour ce secteur, et que la dotation de tous les postes vacants pour lesquels un AMT avait été approuvé était suspendue jusqu’à ce que l’examen du programme soit terminé. Les demandeurs soutiennent que, par souci d’équité et de justice, il faut qu’ils soient replacés dans la situation qui aurait été la leur si les décisions initiales avaient été favorables. Autrement dit, ils doivent être en mesure d’obtenir un visa pour venir au Canada et y travailler.

ANALYSE

[49]           Comme le révèlent clairement les notes du SMGC, les demandes ont été rejetées parce que l’agent avait des [traduction] « RÉSERVES » dans chaque cas.

[50]           Dans le cas de M. Portillo, les réserves étaient les suivantes : [traduction] « PAS DE PREUVE SOLIDE ÉTABLISSANT L’EXPÉRIENCE POUR L’EMPLOI DEMANDÉ. » Les mêmes réserves s’appliquaient à Mme Pascascio : [traduction] « PAS DE PREUVE ÉTABLISSANT L’EXPÉRIENCE POUR L’EMPLOI DEMANDÉ. » Pour ces deux demandeurs, l’agent avait également coché la case indiquant des doutes quant au retour au Belize.

Dans le cas de Mme Requena, les réserves étaient les suivantes : [traduction] « PAS D’INTENTION CLAIRE, PAS BIEN ÉTABLIE AU BZE. JE NE SUIS PAS CONVAINCU QUE LA DP RÉPOND AUX EXIGENCES. » Le rejet de la demande de Mme Harris reposait sur les mêmes motifs : « PAS BIEN ÉTABLIE AU BZE. JE NE SUIS PAS CONVAINCU QUE LA DP RÉPOND AUX EXIGENCES. »

[51]           De toute évidence, les décisions posent problème à divers égards. Par exemple :

          Dans le cas de M. Portillo et de Mme Pascascio, l’agent dit que des emplois leur ont été offerts à North Battleford, en Saskatchewan, alors que les emplois offerts étaient à Fernie, en Colombie‑Britannique;

          Dans le cas de M. Portillo, les notes du SMGC ne mentionnent pas que l’agent s’inquiète du risque de non‑retour du demandeur au Belize, bien que ce soit coché comme un motif de refus dans la lettre de refus. La même observation s’applique à Mme Pascascio;

          Dans le cas de Mme Requena et de Mme Harris, l’agent note qu’elles ne sont pas bien établies au Belize, mais il n’explique pas pourquoi il a tiré cette conclusion. Ces femmes ont chacune deux enfants au Belize (qui ne devaient pas les accompagner au Canada), leurs parents vivent au Belize, elles sont citoyennes du Belize et ont vécu, travaillé et étudié dans ce pays, et Mme Harris a un conjoint de fait (depuis 2004) qui vit là‑bas. Étant donné ces faits, l’agent n’avait pas de fondement raisonnable pour conclure qu’elles n’étaient pas bien établies au Belize et qu’elles risquaient de ne pas quitter le Canada au terme de leur permis de travail.

[52]           Ces problèmes obligent la Cour à tenir compte des principes énoncés dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, aux paragraphes 11 à 16 [Newfoundland Nurses], selon lesquels l’insuffisance des motifs offerts à l’appui d’une décision ne permet pas à elle seule d’annuler la décision, et dans l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 [Alberta Teachers], où la Cour suprême a conclu que, lorsque l’obligation de motiver n’existe pas, ou que sa portée est limitée, il est tout à fait indiqué de consulter le dossier et « dans l’appréciation de la raisonnabilité, d’examiner les motifs qui pourraient être donnés » (au paragraphe 54).

[53]           Compte tenu de la jurisprudence récente selon laquelle des motifs fort brefs ont été considérés comme adéquats dans de très importants jugements (voir par exemple l’arrêt Agraira, précité, rendu par la Cour suprême), des motifs détaillés n’étaient pas nécessaires en l’espèce, et il est clair que l’insuffisance des motifs ne permet pas à elle seule d’annuler les décisions. Par contre, la Cour doit être en mesure « de comprendre le fondement de la décision du tribunal » (Newfoundland Nurses, précité, au paragraphe 16), et ne doit pas « reformuler la décision en substituant à l’analyse qu’elle juge déraisonnable sa propre justification du résultat » (Alberta Teachers, précité, au paragraphe 54, citant Petro-Canada v British Columbia (Workers’ Compensation Board), 2009 BCCA 396, 276 BCAC 135, aux paragraphes 53 et 56). La question, me semble‑t‑il, est celle de savoir si la Cour peut trouver dans le dossier un fondement qui lui permettrait de comprendre pourquoi les décisions ont été rendues, ou, à l’inverse, si les motifs révèlent une analyse déraisonnable qui justifient un nouvel examen.

[54]           Les réserves à propos du manque d’expérience suscitent plusieurs questions. Selon les demandeurs, dans chaque cas, l’employeur a indiqué dans son annonce et dans sa demande d’avis relatif au marché du travail qu’aucune expérience n’était requise, et qu’une formation en cours d’emploi serait offerte, [traduction] « bien qu’une certaine expérience dans l’industrie du service rapide (McDonald’s) soit préférable ». Cependant, les demandeurs ne peuvent montrer aucun élément de preuve au dossier qui pourrait corroborer cette affirmation. En revanche, la description de travail jointe au contrat d’emploi que chacun des demandeurs avait signé, lequel faisait partie du dossier présenté à l’agent, indique [traduction] « Expérience de travail préalable dans un restaurant à service rapide (de préférence dans un McDonald’s) », sous la rubrique [traduction] « EXPÉRIENCE ET ÉTUDES ».

[55]           Je rejette la thèse du défendeur selon laquelle cette qualité requise fait partie des conditions du contrat d’emploi, conditions qui devaient correspondre avec celles approuvées dans l’AMT. Une condition constitue un élément exécutoire d’un contrat. En l’absence de tout signe de fausse déclaration (et c’est là une question distincte), l’employeur n’aurait pas pu congédier ces employés, ni prendre des mesures ou exercer de recours contre eux au motif qu’ils n’avaient pas d’expérience préalable de travail dans un restaurant à service rapide. Une fois l’employé embauché, cette qualité n’a plus de pertinence pour la relation d’emploi. Il ne s’agit donc pas, à mon avis, d’une condition du contrat d’emploi.

[56]           La question consiste à savoir si l’agent était néanmoins habilité à évaluer l’expérience des demandeurs à cet égard et à en tenir compte dans le cadre des décisions qu’il devait rendre. À mon avis, les décisions Randhawa, Gao et Chen, précitées, appuient la thèse des demandeurs selon laquelle l’agent n’était pas en mesure d’évaluer leur qualification et leur expérience, ou a importé de façon déraisonnable des qualités requises que les employeurs ne jugeaient pas nécessaires pour l’emploi en question. Il n’est pas contesté que des emplois ont été offerts aux demandeurs dans le cadre d’un processus de recrutement organisé pour le compte de McDonald’s, et que les offres d’emploi ont été faites sur la foi des curriculum vitæ des demandeurs, des entrevues qu’ils avaient passées et de l’expérience qu’ils avaient indiquée. McDonald’s était entièrement satisfaite de tous les aspects de leurs demandes et leur a offert des emplois. Au vu de ces faits, il était totalement déraisonnable pour l’agent de dire qu’il n’était pas sûr que les demandeurs respectaient les exigences quand l’employeur, lui, en était certain. Comme l’agent n’explique pas pourquoi il a décidé de passer outre à l’opinion de l’employeur sur la question de la qualification, cet aspect des décisions est déraisonnable.

[57]           L’évaluation de l’intention de ne pas quitter le Canada, quant à elle, n’est pas clairement justifiée étant donné que les faits démontrent l’établissement au Belize dans chaque cas. Toutefois, le défendeur a concédé devant la Cour que la question de la qualification devrait également faire partie de l’analyse de l’intention de ne pas revenir, de sorte qu’il ne peut s’agir réellement d’un motif distinct.

[58]           Tout bien considéré, je conclus que les décisions ne sont pas raisonnables parce qu’elles manquent de justification, de transparence et d’intelligibilité, au sens du paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir, précité.

[59]           Ayant conclu que les décisions sont déraisonnables, la Cour doit aussi considérer la mesure de réparation appropriée en l’espèce; en effet, depuis que les décisions ont été rendues, un moratoire a été décrété sur le Programme des travailleurs étrangers temporaires pour le secteur des services de restauration, et la dotation de tous les postes vacants pour lesquels un AMT avait été approuvé a été suspendue jusqu’à ce que l’examen du programme prenne fin.

[60]           Après avoir entendu ces demandes, la Cour a donné aux demandeurs jusqu’au 31 juillet 2014 pour produire des observations écrites supplémentaires à propos de la mesure de réparation spéciale à accorder en l’espèce, comme ils l’avaient demandé dans leur réplique et leurs observations supplémentaires. La date limite du 31 juillet 2014 avait été fixée à la demande de l’avocat des demandeurs.

[61]           Bien qu’ils en aient eu l’occasion, les demandeurs n’ont pas présenté d’observations supplémentaires ni établi les motifs ou la jurisprudence qui auraient permis à la Cour de faire plus que de renvoyer les décisions à un autre agent pour nouvel examen. Les demandeurs ont eu toutes les chances d’établir qu’une mesure de réparation additionnelle était indiquée, mais ils n’ont pas saisi cette possibilité. Par conséquent, la Cour ne dispose d’aucun élément qui lui permettrait d’établir et de justifier cette réparation. Bien que je puisse décider que l’agent a commis une erreur en l’espèce, je crois devoir conclure que je n’ai pas le pouvoir de prescrire et de dicter maintenant les programmes et les politiques d’immigration qui devraient s’appliquer dans le cadre du nouvel examen, et que ces questions relèvent de la discrétion du ministre.

[62]           Aucune partie n’a proposé de question à certifier. À mon avis, il n’y en a aucune.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.      Les demandes sont accueillies. Les décisions sont annulées, et les affaires sont renvoyées à un autre agent pour nouvel examen;

2.      Il n’y a pas de question à certifier;

3.      Une copie du présent jugement sera versée dans chacun des quatre dossiers.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5004-13

 

INTITULÉ :

WILMER OMAR PORTILLO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA

 

ET DOSSIER :

IMM-5012-13

 

INTITULÉ :

TAMMILEE LISHAUN PASCASCIO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA

 

ET DOSSIER :

IMM-5014-13

 

INTITULÉ :

JULIE GERTRUDEZ REQUENA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA

 

ET DOSSIER :

IMM-5016-13

 

INTITULÉ :

SIOMARA ZURIEDA HARRIS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Regina (Saskatchewan)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 JUIN 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 12 SEPTEMBRE 2014

 

COMPARUTIONS :

Ralph Watzke

 

POUR LES DEMANDEURS

WILMER OMAR PORTILLO

TAMMILEE LISHAUN PASCASCIO

JULIE GERTRUDEZ REQUENA

SIOMARA ZURIEDA HARRIS

 

Don Klaassen

Cailen Brust

 

POUR Le défendeur

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ralph Watzke

Avocat

Regina (Saskatchewan )

 

POUR LES DEMANDEURS

WILMER OMAR PORTILLO

TAMMILEE LISHAUN PASCASCIO

JULIE GERTRUDEZ REQUENA

SIOMARA ZURIEDA HARRIS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Regina (Saskatchewan)

 

POUR Le défendeur

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA

 

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