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Date : 20140910


Dossier : IMM-7280-13

Référence : 2014 CF 859

Ottawa (Ontario), le 10 septembre 2014

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

GAELLE LEONELLE NGUEDO NJEUKAM

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [LIPR] à l’encontre d’une décision rendue le 22 octobre 2013 par un commissaire de la Section d’appel des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [SAR], confirmant une décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] selon laquelle la demanderesse n’a pas la qualité de « réfugié[e] au sens de la Convention » au titre de l’article 96 de la LIPR ni celle de « personne à protéger » au sens de l’article 97 de la LIPR.

II.                Faits

[2]               La demanderesse est une citoyenne du Cameroun née le 20 juin 1989.

[3]               Elle a quitté le Cameroun pour le Canada le 13 avril 2013.

[4]               L’audience devant la SPR a eu lieu le 5 juillet 2013 et la demanderesse a alors présenté les prétentions suivantes. Elle a été forcée à épouser Pascal Tientchieu en 2007 en vue de déménager chez lui dès l’atteinte de sa majorité. Elle est allée passer un mois chez son époux en 2008, où elle a été maltraitée par celui-ci et ses autres épouses. Elle a tout de même dû déménager chez son époux en 2009, où elle a été sévèrement battue et violée à un point tel qu’elle a dû être hospitalisée pendant une dizaine de jours. La demanderesse est retournée chez ses parents après sa sortie de l’hôpital, refusant d’aller vivre à nouveau avec son époux. Mais ce dernier exerçait des pressions sur la famille de la demanderesse. Le père de la demanderesse insistait pour qu’elle retourne chez son époux et il la battait si elle refusait. Mais ses sœurs, sa mère et ses oncles l’ont protégée.

[5]               La demanderesse a prétendu que, si elle devait être renvoyée au Cameroun, elle serait certainement forcée à retourner vivre chez son époux où elle n’aurait plus de liberté et serait privée de la possibilité de poursuivre ses études universitaires.

[6]               Le 24 juillet 2013, la SPR a rendu sa décision, rejetant la demande d’asile principalement pour des motifs de crédibilité : la SPR ne trouvait pas crédible que la demanderesse avait vécu chez ses parents, loin de son époux, dès sa sortie de l’hôpital en janvier 2010 jusqu’au moment où elle est arrivée au Canada en avril 2013, surtout si son père insistait pour qu’elle retourne auprès de son époux, son époux venait la visiter chez ses parents toutes les semaines, et elle allait régulièrement à l’école. La SPR a conclu que les mariages forcés constituent, au Cameroun, un problème réel, mais rare. Pour ce qui est de la preuve, en raison du manque de crédibilité de la demanderesse, la SPR a accordé très peu de valeur au certificat de mariage déposé en preuve et elle a qualifié d’illisibles certains documents médicaux au dossier.

[7]               La demanderesse a interjeté appel de cette décision devant la SAR au motif que la SPR a rendu une mauvaise décision concernant sa crédibilité, notamment en ne tenant pas compte de toute la preuve. Selon la demanderesse, la véracité de son mariage forcé avait été établie, il n’y avait aucune raison de rejeter le certificat de mariage. De plus, toujours selon la demanderesse, la SPR avait omis de considérer un document médical préparé au Québec portant sur son état de santé mental, et elle n’a jamais indiqué que les rapports médicaux étaient illisibles. À cet égard, la demanderesse a produit de la nouvelle preuve en appel, soit une lettre attestant le contenu de ces documents soi-disant illisibles et précisant clairement qu’elle avait été victime de violence conjugale.

III.             Décision contestée

[8]               Ultimement, la SAR a rejeté la demande d’appel de la demanderesse, confirmant que la décision de la SPR était raisonnable.

[9]               Au terme d’une analyse de la question de la norme de contrôle applicable, et s’appuyant sur les critères établis dans l’appel Newton c Criminal Trial Lawyers’ Assn., 2010 ABCA 399, 493 AR 89 [Newton], la SAR a conclu qu’elle devait faire preuve de déférence à l’endroit des conclusions de fait de la SPR, et que la décision rendue en l’espèce appartenait aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La demanderesse s’étant contredite sur un élément essentiel de sa demande, il était raisonnable pour la SPR de conclure qu’il n’était pas crédible que la demanderesse vive pendant plusieurs années chez ses parents tout en poursuivant ses études, alors que son père insistait pour qu’elle retourne vivre chez son époux.

IV.             Questions en litige

[10]           Les questions en litige sont les suivantes :

a.                   Quelle est la norme de contrôle de la décision de la SAR?

b.                  Est-ce que la SAR a erré en déterminant la norme de contrôle applicable à la décision de la SPR?

c.                   Est-ce que la SAR a erré en confirmant la conclusion de la SPR que la demanderesse manquait de la crédibilité?


V.                La norme de contrôle de la décision de la SAR

[11]           Mon collègue, le juge Phelan a été appelé à trancher un dossier semblable à celui-ci dans l’arrêt Huruglica c Canada (Ministre de la Citoyenneté et l’Immigration), 2014 CF 799 [Huruglica]. Dans cette décision, le juge Phelan a conclu que la détermination par la SAR d’une norme de contrôle applicable à une décision de la SPR doit faire l’objet d’un contrôle en fonction de la norme de la décision correcte puisqu’il s’agit d’une question de droit d’un intérêt général pour le système légal et qui dépasse l’expertise de la SAR (voir les paras 25 à 34).

[12]           Avec respect, je suis en accord avec le juge Phelan. La conclusion de la SAR, en ce qui concerne cette norme de contrôle, ne bénéficie d’aucune déférence de la présente Cour (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au para 50). Cette conclusion est consistante avec celle de la Cour d’appel de l’Alberta dans Newton c Criminal Trial Lawyers’ Assn., 2010 ABCA 399, 493 AR 89, au para 39.

VI.             La norme de contrôle de la décision de la SPR

[13]           Considérant encore une fois la décision du juge Phelan dans Huruglica, ci-haut, je suis de l’avis que la SAR a erré en concluant que la norme de contrôle de la décision de la SPR est celle de la décision raisonnable.

[14]           Sauf dans les cas où la crédibilité d’un témoin est critique ou déterminante, ou lorsque la SPR jouit d’un avantage particulier vis-à-vis la SAR afin de tirer une conclusion spécifique, la SAR ne doit faire preuve d’aucune déférence à l’endroit de l’analyse de la preuve faite par la SPR : voir Huruglica, aux paras 37 et 55. La SAR a autant d’expertise que la SPR, et peut-être plus relativement à l’analyse des documents pertinents et des représentations des parties.

[15]           Suivant l’article 111(1) de la LIPR, la SAR a le droit de substituer la décision qui aurait dû être rendue. Ainsi, la SAR doit faire une analyse indépendante de la preuve pour arriver à sa propre opinion.

[16]           Aux paragraphes 54 et 55 de sa décision dans Huruglica, ci-haut, le juge Phelan indique ce qui suit :

[54]      Après avoir conclu que la SAR avait commis une erreur en examinant la décision de la SPR selon la norme de la raisonnabilité, j’ai conclu en outre que, pour les motifs qui précèdent, la SAR doit instruire l’affaire comme une procédure d’appel hybride. Elle doit examiner tous les aspects de la décision de la SPR et en arriver à sa propre conclusion quant à savoir si le demandeur d’asile a qualité de réfugié au sens de la Convention ou qualité de personne à protéger. Lorsque ses conclusions diffèrent de celles de la SPR, la SAR doit y substituer sa propre décision.

[55]      Lorsque la SAR effectue son examen, elle peut reconnaître et respecter la conclusion de la SPR sur des questions comme la crédibilité et/ou lorsque la SPR jouit d’un avantage particulier pour tirer une conclusion, mais elle ne doit pas se borner, comme doit le faire une cour d’appel, à intervenir sur les faits uniquement lorsqu’il y a une « erreur manifeste et dominante ».

[17]           Avec respect, je suis en accord avec l’analyse faite par le juge Phelan aux paragraphes 35 à 56 dans Huruglica, ci-haut, relativement à la norme de contrôle applicable à une décision de la SPR.


VII.          La conclusion de la SPR quant à la crédibilité de la demanderesse

[18]           La question de la norme de contrôle n’est pas déterminante dans ce cas-ci, parce que la conclusion décisive de la SPR concerne la crédibilité de la demanderesse. Donc, même suivant Huruglica, la SAR avait raison de déférer à la conclusion de la SPR.

[19]           La SPR a jugé peu crédible le fait que la demanderesse restait chez ses parents et allait régulièrement à l’école pendant plusieurs années alors que son père la poussait à retourner chez son mari et que ce dernier se présentait à la maison chaque semaine pour venir la chercher. La conclusion de la SPR d’une absence de crédibilité de la demanderesse était basée sur son témoignage. Donc, la SAR avait raison de faire preuve de déférence à l’endroit de  la conclusion de la SPR.

[20]           De plus, même si une analyse indépendante par la SAR de la question de crédibilité de la demanderesse était nécessaire, la SAR semble l’avoir fait au paragraphe 60 de sa décision. La SAR a considéré les allégations et a conclu qu’ « il s’agissait là d’une contradiction majeure ».

[21]           Puisque ces allégations étaient centrales à la demande d’asile de la demanderesse, et qu’elles sont indépendantes des questions de la crédibilité du contrat de mariage et des documents médicaux, il n’était pas nécessaire que la SAR entre dans une analyse indépendante de la crédibilité de ces autres documents.

[22]           Pour ces motifs, je suis d’avis que la SAR a fait une analyse suffisante de la preuve et des représentations des parties, et que la présente demande doit être rejetée.

[23]           Puisque la question de la norme de contrôle d’une décision de la SPR n’est pas déterminante de la présente affaire, et puisque les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification, je n’en certifie aucune.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.         Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« George R. Locke »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7280-13

 

INTITULÉ :

GAELLE LEONELLE NGUEDO NJEUKAM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 juillet 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS:

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

le 10 septembre 2014

 

COMPARUTIONS :

Stéphanie Valois

 

Pour la demanderesse

 

Sonia Bédard

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Stéphanie Valois

Avocate

Montréal (Québec)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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