Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20140911


Dossier : IMM-1735-13

Référence : 2014 CF 862

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 septembre 2014

En présence de monsieur le juge de Montigny

ENTRE :

VIKTOR KAROLY BARI

ET GEZA BARI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR ou Loi), visant l’annulation d’une décision datée du 2 février 2013 rendue par Louise Paquette‑Neville (l’agente) de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la CISR ou la Commission). L’agente a conclu que les demandeurs n’ont pas qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la LIPR.

[2]               Après avoir examiné les éléments de preuve figurant au dossier et les observations des parties, je conclus que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

I.                   Faits

[3]               Les demandeurs, Viktor Karoly Bari, âgé de 37 ans, et Geza Bari, âgé de 54 ans, qui sont des frères, sont des citoyens de la Hongrie. Ils sont arrivés au Canada en août 2009 et en novembre 2009 respectivement. Ils allèguent qu’ils sont exposés à des risques en Hongrie du fait qu’ils sont des Roms.

[4]               Les demandeurs allèguent qu’ils ont quitté la Hongrie lorsque la maison d’un ami a été incendiée et que des hommes ont tiré sur la famille, tuant le fils au moment où celui‑ci s’enfuyait de la maison.

[5]               Ils allèguent qu’en 2009 ils vivaient tous les deux dans une maison qui a été incendiée par des cocktails Molotov. Ils ont pu éteindre l’incendie et n’ont pas été blessés. Ils prétendent que quatre jours après l’incendie, Viktor a été battu au moyen d’un bâton de baseball par des membres de la Garde hongroise. Geza allègue qu’il a été attaqué plusieurs fois à bord d’un autobus par des hommes racistes et que, en 2007, à Budapest, des membres de la Garde hongroise l’ont giflé.

[6]               Il est aussi allégué que Geza a été agressée par un groupe d’hommes lorsqu’il se trouvait à bord d’un train à Budapest. Le chef de train a vu l’agression et a appelé la police, qui a attendu l’arrivée du train à la prochaine station pour faire enquête. Quand les policiers ont vu que Geza était rom, ils n’ont pas interrogé le chef de train et n’ont pas non plus recherché les agresseurs. Geza est rentré chez lui à Sajoszentpeter et a demandé à la police locale de faire enquête à l’égard de l’absence de protection offerte par la police de Budapest. Cependant, étant donné qu’il n’avait pas les numéros d’insigne des agents de police à Budapest, la police a refusé d’intervenir.

[7]               La demande d’asile a été rejetée. L’agente a conclu que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de protection de l’État au moyen d’éléments de preuve clairs et convaincants.

II.                Décision visée par le contrôle

[8]               L’agente a conclu que les demandeurs ne s’étaient pas acquittés du fardeau d’établir une possibilité sérieuse de persécution fondée sur un motif prévu à la Convention ni qu’ils seraient exposés personnellement, selon la prépondérance des probabilités, à un risque de torture, ou à un risque de traitements ou de peines cruels ou inusités à leur retour en Hongrie.

[9]               L’agente a effectué une analyse approfondie de la situation des Roms en Hongrie et a conclu que les Roms faisaient l’objet de discrimination dans presque tous les aspects de la vie dans ce pays. Elle a affirmé que les Roms sont beaucoup moins scolarisés que les autres citoyens et que leur espérance de vie est largement inférieure à la moyenne. Selon des estimations, le taux de chômage des Roms est de 3 à 5 fois supérieur à celui du reste de la population. Globalement, les Roms vivent dans des conditions considérablement plus précaires que celles de la population en général.

[10]           Dans son rapport pour 2011, l’agente a indiqué qu’Amnesty International affirmait : « Les Roms ont cette année encore été victimes de violentes agressions et d’actes de discrimination. Ils vivaient toujours dans un climat de peur. L’OSCE [Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe] a noté en juin que les Roms étaient davantage susceptibles de devenir des "boucs émissaires" et d’être tenus pour responsables des problèmes socioéconomiques que rencontrait le pays, dans la mesure où ils étaient proportionnellement plus nombreux à dépendre des aides de l’État. »

[11]           L’agente a reconnu qu’il existe des éléments de preuve documentaire d’incidents précis de persécution contre les Roms. Elle a souligné qu’Amnesty International avait rapporté que, pour la police, au moins neuf incidents violents visant des communautés roms auraient été perpétrés par les mêmes auteurs entre janvier 2008 et août 2009. Elle mentionne que, le 21 août 2009, la police avait procédé à l’arrestation de quatre suspects.

[12]           Sur la foi de l’analyse mentionnée plus haut, l’agente a conclu que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de protection de l’État en Hongrie au moyen d’éléments de preuve clairs et convaincants. Elle estimait que les demandeurs n’avaient pas pris toutes les mesures raisonnables pour se réclamer de la protection de l’État et qu’ils n’avaient pas fourni les éléments de preuve clairs et convaincants nécessaires démontrant que, selon la prépondérance des probabilités, la protection de l’État en Hongrie est inadéquate. Selon les éléments de preuve des demandeurs, l’incendie a été signalé à la police, et une enquête a été entreprise. Il semble aussi que, d’après le témoignage de Victor, la police de Sajoszentpeter était disposée à intervenir concernant l’inaction de la police de Budapest qui avait été appelée par le chef de train, mais que les demandeurs n’avaient aucun moyen d’identifier les agents en question étant donné qu’ils n’avaient pas pris note des numéros d’insignes.

[13]           L’agente affirme que, même si les demandeurs ne croient pas que la police saurait les protéger, cette méfiance, à elle seule, ne réfute pas la présomption de protection de l’État dans une démocratie qui fonctionne. Malgré le fait qu’elle accepte que de nombreux incidents d’intolérance, de discrimination et de persécution contre des personnes d’origine rom en Hongrie ont été signalés, les éléments de preuve documentaires montrent que l’État est en mesure de protéger ses citoyens. En l’espèce, l’agente a souligné que les demandeurs s’étaient réclamés de la protection de la police; il était raisonnable que la police se borne à prendre une déposition dans les circonstances, étant donné que les auteurs des agressions étaient inconnus.

[14]           L’agente a signalé que, malgré le fait qu’elle admette que les efforts déployés par le gouvernement pour protéger les Roms et pour adopter des mesures législatives contre les formes plus grandes de discrimination et de persécution ne sont pas uniformes, elle ne pouvait pas conclure que les demandeurs avaient démontré que la protection de l’État était si déficiente qu’il ne valait pas la peine de s’adresser aux autorités ni de faire des efforts raisonnables pour se réclamer de la protection de l’État, comme obtenir l’aide d’autorités supérieures ou recourir à d’autres mécanismes comme le Bureau de l’ombudsman des minorités ou la Commission indépendante chargée de traiter les plaintes contre la police, avant de demander la protection internationale au Canada.

[15]           Malgré le fait qu’elle accepte que les Roms sont victimes de discrimination haineuse en Hongrie, l’agente estime que ce pays déploie des efforts sérieux pour régler ses problèmes, que la police et les responsables gouvernementaux sont disposés et aptes à protéger les victimes et qu’il existe des mécanismes pour lutter contre la discrimination et la violence faite aux minorités, y compris les Roms.

[16]           Par exemple, l’agente a souligné que, en Hongrie, les Roms peuvent élire leur propre gouvernement autonome, dont le président a le droit de siéger et prendre la parole aux assemblées des gouvernements locaux. Un commissaire parlementaire responsable des droits des minorités nationales et ethniques reçoit les plaintes de toute personne estimant qu’une décision d’une organisation gouvernementale porte atteinte à ses droits de membre de minorité nationale ou ethnique ou qu’une atteinte aux droits en question est imminente. De plus, l’Autorité pour l’égalité de traitement offre aux particuliers un mécanisme direct de réparation en cas de violation des droits ou préconise l’interdiction de la discrimination dans un éventail de rapports relevant du droit public et privé. Le gouvernement de la Hongrie a pris d’autres initiatives de même nature, et l’agente a affirmé que les demandeurs avaient accès à tous ces programmes, au besoin.

[17]           L’agente a conclu que, même si les mesures prises par la Hongrie pour combattre le racisme contre les Roms ne sont pas parfaites, selon la prépondérance des probabilités, à titre de membre de l’Union européenne, ce pays prend des mesures pour mettre en œuvre les normes édictées par celle-ci. Elle a aussi conclu que, après avoir pris en compte les observations de l’avocat en l’espèce, selon qui la capacité de l’État de protéger la population rom du pays continue de faire l’objet de critiques, elle n’est pas convaincue que le cas des demandeurs avait été négligé lorsque ceux‑ci avaient demandé la protection de la police. De plus, l’agente ne pouvait pas conclure que les demandeurs ne pouvaient pas trouver un emploi ou un logement ou qu’ils avaient été privés d’une instruction en Hongrie.

III.             Question en litige

[18]           La seule question à trancher est celle de savoir si la conclusion de la Commission selon laquelle il existe une protection de l’État adéquate en Hongrie est raisonnable.

IV.             Analyse

[19]           Il est établi que la norme de contrôle en ce qui concerne les conclusions quant à la protection de l’État est la raisonnabilité, étant donné qu’il s’agit de questions mixtes de fait et de droit : voir, par exemple, Pacasum c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 822, au paragraphe 18; Estrada c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 279; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Abboud, 2012 CF 72; Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171; Buri c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 45.

[20]           Lorsqu’elle examine la décision d’un agent en fonction de la norme de la raisonnabilité, la Cour ne doit pas intervenir si la décision est transparente et justifiée et si elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Il n’incombe pas à la cour de révision de substituer l’issue qui serait à son avis préférable, ni de soupeser à nouveau les éléments de preuve dont disposait l’agent : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 59.

[21]           Il est bien établi qu’un État est censé être en mesure de protéger ses citoyens sauf en cas d’effondrement total de l’appareil étatique. Il incombe au demandeur de réfuter la présomption de protection adéquate de l’État en présentant des éléments de preuve clairs, convaincants et dignes de foi qui démontrent à la Commission, selon la prépondérance des probabilités, que la protection de l’État est inadéquate : Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c Flores Carrillo, 2008 CAF 94, au paragraphe 30. Il ressort aussi clairement de la jurisprudence de la Cour que, dans l’appréciation de la capacité d’un pays à protéger ses citoyens, il convient de prendre en compte les efforts déployés pour assurer une protection, mais aussi l’efficacité et l’utilité réelles des mesures. Comme l’a résumé mon collègue le Juge Zinn dans Orgona c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1438, au paragraphe 11 : « Ce sont les actes, et non les bonnes intentions, qui démontrent l’existence réelle d’une protection contre la persécution. » Voir aussi : Bors c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1004, au paragraphe 59; Hercegi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 250, au paragraphe 5; Kemenczei c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1349, au paragraphe 55; Majoros c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 421, au paragraphe 18; Burai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 565, au paragraphe 21; Beri c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 854, aux paragraphes 33 à 36.

[22]           En l’espèce, la Commission a bien énoncé le critère qui s’appliquait quant à la protection de l’État et a reconnu que, dans l’appréciation de la question de savoir si un demandeur a pris toutes les mesures raisonnables pour se réclamer de la protection de l’État, le contexte dans le pays d’origine, les mesures prises par le demandeur et les interactions de celui-ci avec les autorités doivent tous être pris en compte (aux paragraphes 12 à 14). La Commission a aussi accepté que la preuve documentaires n’était « pas uniforme » en ce qui a trait aux efforts du gouvernement visant à protéger les Roms et à prendre des mesures législatives contre des formes plus larges de discrimination et de persécution (au paragraphe 22). Pour elle, l’élément déterminant était le fait que la police n’était pas en mesure d’intervenir parce que les demandeurs ne pouvaient pas identifier les auteurs des gestes dont ils se sont plaints.

[23]           Après avoir examiné minutieusement le dossier et pris en compte les observations écrites et de vive voix des parties, je conclus que cette conclusion est entachée d’erreurs. L’agente a elle‑même indiqué que, lorsqu’elle avait demandé à Viktor s’il avait sollicité la protection de la police, celui‑ci avait répondu qu’il avait essayé, mais qu’on lui avait répondu qu’il n’était qu’un sans-abri et qu’il ne devait plus déranger la police. Cela contredit clairement l’affirmation précédente de l’agente selon laquelle la police avait pris une déposition, mais n’avait pas pu en faire davantage parce que les auteurs des agressions n’avaient pas été identifiés. En ce qui concerne le témoignage de Geza à la suite de la question de l’agente au sujet de la protection de la police, celui‑ci a aussi indiqué que la police avait commencé une enquête, qui est restée sans suite. Lorsqu’on lui a demandé si la police avait examiné les caméras installées à la station‑service pour retracer le véhicule noir d’où avait été lancé le cocktail Molotov, Geza a indiqué qu’il ne le savait pas, mais que la police l’avait fait par le passé lorsque des personnes sont mortes. Il a aussi affirmé que la police devait savoir quels membres de la Garde hongroise avait commis ces méfaits parce que la collectivité dans laquelle ils vivent est petite.

[24]           Qui plus est, l’agente n’a pas abordé tous les rapports que les demandeurs ont eus avec la police. Elle a seulement souligné le fait que Geza n’avait pas noté les numéros d’insigne des policiers de Budapest et que, pour cette raison, la police dans sa localité de Sajoszentpeter ne pouvait pas pousser l’enquête plus loin. Elle n’a pas pris en compte, toutefois, le fait que la police de Budapest avait eu l’occasion de faire enquête à l’égard de l’agression commise dans le train, mais ne l’avait pas fait. Geza a affirmé que le chef de train, ainsi que d’autres personnes à bord du train, avaient vu l’agression et, par conséquent, la police aurait pu faire enquête et demander à ces témoins de décrire les agresseurs. Cependant, en omettant d’agir ainsi, la police a saboté toute autre possibilité que le demandeur puisse se réclamer de la protection de l’État.

[25]           Les mesures prises par les demandeurs étaient raisonnables dans les circonstances, et le défaut de la police de fournir quelque protection que ce soit est conforme aux éléments de preuve fiables et corroborants dont disposait l’agente, signalant l’incapacité ou la réticence de la police à aider les Roms. En fait, l’agente a conclu qu’« [u]ne lecture juste de la preuve documentaire permet de constater que le gouvernement central est motivé et disposé à mettre en œuvre des mesures pour protéger les Roms, mais que ces mesures ne sont pas toujours mises en œuvre de manière efficace à l’échelon local ou municipal » (paragraphe 21). Le rapport du Département d’État des États‑Unis pour 2011 et l’affidavit d’Aladar Horvath, premier député rom au parlement hongrois et chef de file en matière de défense des droits de la communauté rom, soulignent d’importants problèmes concernant la discrimination systémique faite par les autorités policières hongroises à l’égard des Roms.

[26]           L’agente a également sous‑entendu que les demandeurs n’avaient pas fait appel à l’État à cause de la méfiance que leur inspire la police. Elle a affirmé au paragraphe 18 : [traduction] « Bien qu’il soit devenu clair que les demandeurs d’asile ne faisaient guère confiance à la police en Hongrie, cette méfiance ne suffit pas en soi pour réfuter la présomption relative à la protection offerte par un État où le fonctionnement de la démocratie n’est pas remis en question en ne faisant valoir qu’une réticence subjective à solliciter la protection de l’État ». Cela représente clairement une mauvaise interprétation de la preuve. Il était parfaitement raisonnable qu’un Rom porte plainte à la police tout en étant convaincu qu’aucune suite ne sera donnée. Ce qui importe, c’est l’effort déployé pour se réclamer de la protection, et non pas l’état d’esprit ou l’attitude de la personne ayant fait la démarche. L’absence de confiance ne peut pas être utilisée contre les demandeurs pour diminuer le fait que ceux‑ci étaient allés plusieurs fois au poste de police et avaient réclamé l’aide des autorités étatiques.

[27]           Par conséquent, j’estime que l’agente a commis deux erreurs susceptibles de contrôle. Premièrement, elle a concentré son attention sur les changements qui ont été apportés aux lois pour faire échec à la discrimination contre les Roms et a même énuméré une panoplie de mécanismes de réparation, sans apprécier l’incidence réelle de ces mesures. Elle n’étaye d’aucune façon son affirmation selon laquelle les autorités policières et gouvernementales sont disposées et aptes à protéger les victimes. En fait, les éléments de preuve auxquels elle fait référence et auxquels elle renvoie montrent que les efforts déployés par le gouvernement n’ont pas été efficaces. Par exemple, il suffit de lire le paragraphe 20 de ses motifs, où elle a cité une Réponse à une demande d’information datée du 12 octobre 2011 sur les mesures prises par la police en réponse aux plaintes faites par des citoyens roms :

[traduction] La Hongrie est l’un des pays qui possèdent des lois antidiscrimination et un système de protection des minorités les plus complets de la région de l’Europe centrale et de l’Est. Des mécanismes ont été créés afin de veiller à ce que les groupes minoritaires jouissent de leurs droits civils et politiques. Cependant, l’incapacité générale du gouvernement central à maintenir des mécanismes de contrôle solides et efficaces quant aux violations des droits de la personne a des conséquences néfastes sur le groupe minoritaire le plus important de la Hongrie, les Roms.

[28]           La seconde erreur susceptible de contrôle commise par l’agente était la mauvaise interprétation des efforts déployés par les demandeurs pour faire intervenir la police et sa conclusion selon laquelle des accusations ne pouvaient pas être portées parce que les auteurs des attaques racistes commises contre les demandeurs n’étaient pas identifiables. Comme on l’a mentionné plus haut, une telle conclusion n’est pas confirmée par les faits. Il ne s’agit clairement pas d’un cas où le risque n’est pas personnel ou d’un cas où un demandeur ne s’est pas réclamé de la protection de l’État. Au contraire, les demandeurs ont de nombreuses fois fait appel à la police, malgré le piètre bilan de l’État en matière de protection des Roms et, dans ces circonstances particulières, il n’était clairement pas raisonnable de conclure que la protection de l’État était adéquate.

[29]           En ce qui concerne l’affirmation du défendeur selon laquelle on peut se réclamer de la protection de l’État auprès d’organisations dirigées ou financées par l’État, et non pas uniquement auprès de la police, elle doit être rejetée. Je ne peux faire mieux que citer des éléments de ma décision dans Katinszki c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1326, aux paragraphes 14 et 15 :

14. […] Qui plus est, assurer une protection ne fait pas partie du rôle des organisations mentionnées par la Commission (soit la Commission indépendante chargée de traiter les plaines contre la police, le Bureau des commissaires parlementaires, l’Autorité pour l’égalité de traitement, l’Association des agents de police roms, ainsi que le Bureau des plaintes au Bureau de la Police nationale) – leur rôle est de formuler des recommandations et, au mieux, de faire enquête sur l’inaction de la police après les incidents.

15. La jurisprudence de la Cour établit très clairement que la police est présumée être la principale institution chargée d’assurer la protection des citoyens et que les autres institutions publiques ou privées sont présumées n’avoir ni les moyens ni le rôle d’assumer une telle responsabilité. Comme la juge Tremblay-Lamer l’a si justement affirmé dans Zepeda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 491, [2009] 1 RCF 237, aux paragraphes 24 et 25 :

En l’espèce, la Commission a fait état de divers autres organismes auprès desquels les demandeurs, se disant insatisfaits des efforts de la police et croyant celle-ci corrompue, auraient pu s’adresser, comme la Commission nationale des droits de la personne, la Commission des droits de la personne d’un État, le Secrétariat de l’administration publique, le Programme de lutte contre l’impunité, la Direction d’aide du contrôleur général, ou encore le Bureau du procureur général de la République au moyen de sa procédure de plainte.

 Or, j’estime que ces autres institutions ne constituent pas, en soi, des voies de recours. Sauf preuve du contraire, la police est la seule institution chargée d’assurer la protection des citoyens d’un pays et disposant, pour ce faire, des pouvoirs de contrainte appropriés. Ainsi, par exemple, il est expressément mentionné dans la preuve documentaire que la loi ne confère à la Commission nationale des droits de la personne aucun pouvoir de contrainte

[30]           Pour tous les motifs mentionnés plus haut, j’estime que la présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie. Les parties ont été invitées à proposer des questions à certifier, mais aucune n’a été proposée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. Aucune question n’est certifiée.

« Yves de Montigny »

Juge

Traduction certifiée conforme

Line Niquet


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

IMM-1735-13

 

INTITULÉ :

VIKTOR KAROLY BARI ET GEZA BARI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 1ER MAI 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 11 septembre 2014

 

COMPARUTIONS :

James Gildiner

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Asha Gafar

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

James Gildiner

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.