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Date : 20140820


Dossier : T-433-12

Référence : 2014 CF 810

Ottawa (Ontario), le 20 août 2014

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

CAFÉ CIMO INC.

partie demanderesse

et

ABRUZZO ITALIAN IMPORTS INC.

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Dans des procédures dont la clarté n’est pas l’un de ses principaux apanages, on comprendra que Café Cimo Inc., le demandeur, recherche l’annulation de l’enregistrement de la marque de commerce enregistrée par Abruzzo Italian Imports Inc.

[2]               Sans relater en détails les péripéties qui ont fini par faire en sorte que le dossier aboutisse devant la Cour, il faut au préalable disposer de la demande d’amendement qui a été faire in extremis par le demandeur.

I.                   Question préliminaire

[3]               Le défendeur a produit quelques jours avant l’audition de cette affaire au mérite son mémoire des faits et du droit. Elle a alors saisi la Cour de certaines déficiences de la demande originale faite par Café Cimo Inc.

[4]               En effet, l’avis de demande alléguait que la marque de commerce Espresso Azzuro, de même qu’Espresso Azzuro et son dessin, étaient utilisés par Café Cimo Inc. depuis 1999 et que les marques enregistrées par le défendeur en 2007 n’étaient pas distinctives. Cependant, le demandeur se réclamait du paragraphe 16(3) de la Loi sur les marques de commerce, LRC (1985), ch T-13 [la Loi] pour soutenir sa prétention que la marque du défendeur ne pouvait être enregistrée parce que créant de la confusion; les alinéas a) et c) étaient alors invoqués. Je les reproduis :

Marques projetées

Proposed marks

16. (3) Tout requérant qui a produit une demande selon l’article 30 en vue de l’enregistrement d’une marque de commerce projetée et enregistrable, a droit, sous réserve des articles 38 et 40, d’en obtenir l’enregistrement à l’égard des marchandises ou services spécifiés dans la demande, à moins que, à la date de production de la demande, elle n’ait créé de la confusion :

16. (3) Any applicant who has filed an application in accordance with section 30 for registration of a proposed trade-mark that is registrable is entitled, subject to sections 38 and 40, to secure its registration in respect of the wares or services specified in the application, unless at the date of filing of the application it was confusing with

a) soit avec une marque de commerce antérieurement employée ou révélée au Canada par une autre personne;

(a) a trade-mark that had been previously used in Canada or made known in Canada by any other person;

[…]

[…]

c) soit avec un nom commercial antérieurement employé au Canada par une autre personne.

(c) a trade-name that had been previously used in Canada by any other person.

[5]               Or, cette disposition ne vise que la marque de commerce projetée. Le défendeur a noté dans son mémoire des faits et du droit que son enregistrement de marque de commerce comprenait deux types de marchandises :

(a)                Coffee products, namely whole roasted beans, grounded roasted coffee beans

(b)               Decaffeinated roasted ground coffee beans, decaffeinated roasted whole coffee beans, organically grown roasted whole coffee beans, roasted ground Turkish style coffee.

Le paragraphe 16(3) ne pouvait s’appliquer qu’à la deuxième catégorie puisque la première faisait l’objet d’une demande d’enregistrement sur la base de l’usage de la part du défendeur au moment de la demande, et non d’un usage proposé. Le demandeur aurait dû se réclamer aussi du paragraphe 16(1). Je le reproduis.

Enregistrement des marques employées ou révélées au Canada

Registration of marks used or made known in Canada

16. (1) Tout requérant qui a produit une demande selon l’article 30 en vue de l’enregistrement d’une marque de commerce qui est enregistrable et que le requérant ou son prédécesseur en titre a employée ou fait connaître au Canada en liaison avec des marchandises ou services, a droit, sous réserve de l’article 38, d’en obtenir l’enregistrement à l’égard de ces marchandises ou services, à moins que, à la date où le requérant ou son prédécesseur en titre l’a en premier lieu ainsi employée ou révélée, elle n’ait créé de la confusion :

16. (1) Any applicant who has filed an application in accordance with section 30 for registration of a trade-mark that is registrable and that he or his predecessor in title has used in Canada or made known in Canada in association with wares or services is entitled, subject to section 38, to secure its registration in respect of those wares or services, unless at the date on which he or his predecessor in title first so used it or made it known it was confusing with

a) soit avec une marque de commerce antérieurement employée ou révélée au Canada par une autre personne;

(a) a trade-mark that had been previously used in Canada or made known in Canada by any other person;

b) soit avec une marque de commerce à l’égard de laquelle une demande d’enregistrement avait été antérieurement produite au Canada par une autre personne;

(b) a trade-mark in respect of which an application for registration had been previously filed in Canada by any other person; or

c) soit avec un nom commercial qui avait été antérieurement employé au Canada par une autre personne.

(c) a trade-name that had been previously used in Canada by any other person.

Il en résultait selon le défendeur que seule la catégorie de marchandises (2) pouvait faire l’objet d’adjudication.

[6]               Le demandeur ne pouvait tenter d’utiliser son mémoire des faits et du droit pour prétendre à une erreur cléricale puisque son mémoire, laconique, reprenait essentiellement les mêmes paragraphes que l’avis de demande. De fait, le mémoire des faits et du droit ne rencontrait pas les prescriptions de la règle 70 (Règles des Cours fédérales, DORS/98-106).

[7]               Quoiqu’il en soit, le demandeur a fait requête pour amender son avis de demande, ladite requête devant être présentée lors de l’audition de la demande. Du même coup, le demandeur amendait son mémoire des faits et du droit.

[8]               La question préliminaire consiste donc à décider si l’avis de demande peut être amendé pour corriger l’erreur de ne référer qu’au paragraphe 16(3) de la Loi. À mon avis, il y a lieu de faire droit à cette requête. Dans Nidek Co c Visx Inc, 1998 CanLII 8723 (CAF), la Cour d’appel fédérale rappelait qu’elle avait déjà approuvé dans Meyer c Canada, (1986), 62 NR 70 (CAF) ce passage maintenant vieux de plus de 100 ans tiré de Stewart v North Metropolitan Tramways Co, (1886), 16 QBD 556 :

[TRADUCTION]       Dans un cas comme celui-là, la Cour doit avoir pour règle de conduite que, quelque négligente ou insouciante qu'ait été la première omission, et quelque tardive que soit la modification proposée, celle-ci devrait être autorisée si elle peut être apportée sans qu'il en résulte une injustice pour la partie adverse. Il n'y a pas d'injustice si la partie adverse peut être indemnisée au moyen d'une adjudication de dépens; cependant, si la modification aurait pour effet de placer la partie adverse dans une position telle qu'elle doive subir un préjudice, elle ne doit pas être faite.

Dans sa version originale, on lisait :

The rule of conduct of the Court in such a case is that, however negligent or careless may have been the first omission, and however late the proposed amendment, the amendment should be allowed, if it can be made without prejudice to the other side. There is no injustice if the other side can be compensated by costs; but, if the amendment will put them into such a position that they must be injured, it ought not to be made.

(mes soulignés)

[9]               Je n’ai aucun doute que les parties savaient depuis longtemps que la contestation portait sur les deux catégories de marchandises faisant l’objet de l’enregistrement de marques de commerce. Le présent litige a une longue histoire autant devant les tribunaux que devant les instances administratives. De fait, le demandeur a appris l’existence de la marque de commerce enregistrée par le défendeur quand celui-ci s’est opposé à ce qu’il enregistre sa marque postérieurement à l’enregistrement par le défendeur. Il est clair que le conflit porte autant, et probablement plus, sur la catégorie (1) que la catégorie (2).

[10]           Il en résulte que l’amendement requis par le demandeur ne prend pas le défendeur par surprise ou lui cause quelque préjudice. Les arguments présentés sur le fond valent autant pour la catégorie (1) des marchandises que pour la catégorie (2). D’ailleurs il serait pour le moins incongru que la Cour convienne que l’enregistrement pour une catégorie seulement de marchandises devrait être radiée alors que la marque de commerce est unique. La demande d’amendement est faite avant que l’audience ne commence si bien qu’il est dans l’intérêt de la justice que l’affaire continue sur la base qui correspond aux faits sous-jacents au litige. La règle 75 fournit une discrétion large en ces matières et la jurisprudence constante favorise une approche libérale. Ce passage souventes fois cité tiré de Canderel Ltée c Canada, [1994] 1 CF 3 (CAF) me semble disposer de l’affaire :

[…] la règle générale est qu'une modification devrait être autorisée à tout stade de l'action aux fins de déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties, pourvu, notamment, que cette autorisation ne cause pas d'injustice à l'autre partie que des dépens ne pourraient réparer, et qu'elle serve les intérêts de la justice. (page 10)

[11]           La demande d’amendement est donc accordée. La Cour a considéré sérieusement l’imposition de dépens contre le demandeur. Outre que de chercher à ainsi sanctionner le demandeur, on voit mal quelle raison militerait ici pour imposer des dépens à la partie victorieuse. En l’espèce, puisqu’aucun préjudice n’a été allégué, encore moins prouvé, en accordant l’amendement, la Cour n’imposera aucuns dépens en l’espèce.

II.                Le fond du litige

A.                Faits

[12]           La présente demande a été présentée comme faite en vertu des articles 55 et 57 de la Loi. En fait, elle est instituée par requête en vertu de l’article 58. Le demandeur recherche une ordonnance qu’une inscription dans le registre (article 26) soit biffée. L’inscription à être biffée est bien sûr l’enregistrement de la marque de commerce complété le 6 juillet 2007 (produite le 28 avril 2006).

[13]           La marque enregistrée consiste en Ara Azzuro et dessin. L’enregistrement nous apprend que le mot « ara » en français est un type de perroquet (« macaw » en anglais) et « azzuro » est un mot italien référant à la couleur bleue. De fait la marque enregistrée (LMC/TMA 691479) consiste en un dessin d’un perroquet au-dessus duquel se trouvent les mots « Ara Azzuro » superposés, avec le mot « Azzuro » étant présenté de manière singulièrement proéminente.

[14]           Du côté du demandeur, deux demandes d’enregistrement ont été présentées (affidavits de Gerlando Caruana, 17 janvier 2012). La première, en date du 23 septembre 2008, porte le numéro 1407689. Elle vise les marchandises et services suivants :

MARCHANDISES:

(1) Café espresso, café italien moulu ou non, et ce, pour toute sorte d’infusion, filtre, percolateur, espresso, machines distributrices de grains de café et de café moulu.

SERVICES :

(1) La distribution et vente de vente [sic] de café espresso et produits dérivés du café et le rôtissage, ainsi que la torréfaction, le mélange, l’empaquetage, la distribution et la vente en gros de café et de produits dérivés du café.

La demande d’enregistrement est pour ESPRESSO AZZURO et dessin et revendique spécifiquement comme caractéristique de la marque de commerce, tel que décrit à la demande :

REVENDICATION DE COULEUR:

La couleur est revendiquée comme caractéristique de la marque de commerce dont l’enregistrement est demandé. Le fond est bleu. Le haut de la vapeur de la tasse de café est vert. Le bas de la vapeur de la tasse de café est rouge. La soucoupe et la tasse sont de couleur blanche. En ce qui a trait à la bordure du haut ondulée, le haut est de couleur noire et le bas de couleur or. La bordure extérieure entourant la tasse de café est de couleur or. La bordure du centre entourant la tasse de café est de couleur bleue. La bordure intérieure entourant la tasse de café est de couleur or. La bordure du bas contenant les mots “ESPRESSO AZZURO” est de couleur or. Le lettrage est de couleur blanc [sic].

[15]           Cette demande d’enregistrement a fait l’objet d’une opposition dont avis a été donné au demandeur le 31 mai 2012. Cette opposition provenait du défendeur et on y alléguait, entre autres, que la marque du demandeur créait de la confusion, d’autant que les deux marques sont utilisées en association avec des marchandises semblables.

[16]           Une deuxième demande d’enregistrement, portant le numéro 1528732, a été présentée le 18 mai 2011. Pour les mêmes produits et services que pour la demande 1407689, la demande d’enregistrement de marque de commerce est pour la marque ESPRESSO AZZURO. Alors que l’opposition pour la première demande d’enregistrement ne serait venue qu’en mai 2012, la réaction quant à la deuxième demande a été sensiblement plus rapide.

[17]           Dès le 30 septembre, le défendeur mettait en demeure le demandeur de cesser son utilisation de sa marque de commerce, prétendant être le seul pouvant utiliser la marque AZZURO puisque sa marque ARA AZZURO était enregistrée. La confusion des marques y était alléguée d’autant que les deux marques sont associées aux produits du café. La réponse du demandeur ne s’est pas fait attendre. Le 5 octobre 2011, on répondait que les marques AZZURO ESPRESSO et AZZURO ESPRESSO et dessin étaient utilisées depuis avril 1999 dans les provinces de Québec, d’Ontario et de Colombie-Britannique.

[18]           Une action en justice, devant la Cour supérieure de l’Ontario, était entreprise par la suite. Elle s’est soldée par un désistement dès le 17 novembre 2011. L’« endorsement » de la « notice of discontinuance » note que l’avocat du défendeur (qui n’est pas l’avocat en cette Cour) en notre espèce, le « plaintiff » devant la Cour supérieure de l’Ontario, « informs matter is resolved ». À l’évidence, il n’est pas résolu en cette Cour.

[19]           En effet, le 22 novembre 2011, le demandeur, par l’intermédiaire de son avocat, était avisé par l’Office de la propriété intellectuelle du Canada que la marque proposée, ESPRESSO AZZURO, prêtait à confusion avec la marque enregistrée par le défendeur (LMC/TMA 691,479) et qu’elle ne serait donc pas enregistrable. On invitait l’envoi d’observations. L’envoi de l’Office était accompagné de l’enregistrement d’ARA AZZURO, avec le perroquet bien en évidence et le mot AZZURO en caractères proéminents.

[20]           Le défendeur retirait sa demande d’enregistrement le 21 novembre 2012, se réservant le droit de faire une nouvelle demande d’enregistrement lorsque jugement aura été rendu dans le présent dossier devant la Cour fédérale.

B.                 Arguments

[21]           Le demandeur prétend à l’utilisation de ses marques de commerce depuis 1999. Cela n’a pas été contesté. Il dit que cette utilisation vaut tant pour sa marque ESPRESSO AZZURO que pour l’utilisation de la couleur bleue qui devrait faire partie du ESPRESSO AZZURO et dessin. D’ailleurs, sa demande d’enregistrement en 2008 prévoyait déjà une revendication quant à la couleur.

[22]           Est plaidé que la marque du défendeur, avec son utilisation proéminente du mot « azzuro », n’est pas distinctive, au sens de la définition du terme à l’article 2 de la Loi, puisque cela ne distingue aucunement les marchandises ou services offerts.

[23]           Le demandeur plaide essentiellement confusion. Les marchandises de l’un et de l’autre, le café, sont vendues dans les mêmes marchés. Passant en revue les éléments d’appréciation pour déterminer si confusion il y a, le demandeur prétend les satisfaire amplement grâce à la preuve devant la Cour. Il prétend de plus que la Cour devrait considérer l’utilisation que le défendeur a fait de sa marque qui a rendu les emballages encore plus confondants.

[24]           Le défendeur prétend quant à lui qu’il n’y a pas de confusion. Considérant la marque de commerce dans son ensemble, comme il se doit, la confusion n’existe pas pour le consommateur qui ne doit pas être considéré comme sans intelligence. Une marque qui est faible n’aura besoin que de petites différences pour être distinguée.

C.                 Analyse

[25]           L’argument du défendeur selon lequel les deux marques n’entraînent pas la confusion a quelque chose d’ironique. Il s’est attaqué à la marque du demandeur relativement aux deux tentatives d’enregistrement. Dans les deux cas il invoquait la confusion. De fait, pour ce qui est de la deuxième demande d’enregistrement, la preuve démontre que l’Office de la propriété intellectuelle du Canada s’est prononcée contre l’enregistrement de la marque ESPRESSO AZZURO du demandeur parce qu’elle ne serait pas enregistrable vu l’alinéa 12(1)d) de la Loi qui se lit :

Marque de commerce enregistrable

When trade-mark registrable

12. (1) Sous réserve de l’article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf dans l’un ou l’autre des cas suivants :

12. (1) Subject to section 13, a trade-mark is registrable if it is not

[…]

[…]

d) elle crée de la confusion avec une marque de commerce déposée;

(d) confusing with a registered trade-mark;

Elle ne serait pas enregistrable à cause de la marque ARA AZZURO qui est enregistrée.

[26]           Le rôle d’un juge d’instance est de trancher les litiges sur la base de la preuve soumise. Il n’est pas de se substituer aux parties pour rejeter la preuve qui n’a pas été contestée (voir par exemple l’article 2859 du Code civil du Québec).

[27]           Il n’est pas contesté que le fardeau de la preuve pour qui veut faire radier un enregistrement est sur le demandeur qui doit satisfaire au fardeau de la balance des probabilités. Mais ce fardeau est déchargé sur la base de la preuve offerte.

[28]           Or, en l’espèce, la preuve ne va que dans une seule direction, celle de la confusion créée par deux marques de commerce opérant relativement au même type de marchandises dans les mêmes marchés. Non seulement les défendeurs ont-ils formellement attaqué la marque des demandeurs en Cour supérieure et devant l’Office de la propriété intellectuelle du Canada, mais leur preuve en défense devant cette Cour, par le biais de deux affiants, insiste sur la confusion des marques qui aurait entraîné pour eux des pertes commerciales. Ces témoignages ne sont pas que génériques : ils réfèrent à de nombreux exemples de confusion dans le marché. L’un de ceux-ci disait même dans son affidavit du 30 mars 2012 :

35.       If experienced buyers for grocery stores could not distinguish the difference between the products beyond the price, I am skeptical that a consumer would be able to distinguish Abruzzo’s products from Cimo’s coffee.

[29]           Le défendeur s’est plaint que le demandeur n’avait produit aucun sondage ou expert au soutien de ses prétentions. Mais le défendeur n’en a pas produit davantage. Il en résulte que la preuve au dossier vient essentiellement du défendeur. Et celui-ci n’en a offert aucune en réponse ou autrement. De fait, l’argument fait par le défendeur contredit dans une bonne mesure sa preuve en défense. À mon avis cela dispose du litige. La preuve en l’espèce n’est pas à ce point insatisfaisante que malgré la prépondérance de la preuve, qui favorise clairement le demandeur, on pourrait conclure que le demandeur n’a pas satisfait son fardeau.

[30]           J’ai cependant examiné la question aussi en considérant le texte du paragraphe 6(5) de la Loi pour tenter de me satisfaire que le test est bel et bien rencontré. Ce paragraphe se lit de la façon suivante :

Éléments d’appréciation

What to be considered

6. (5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris :

6. (5) In determining whether trade-marks or trade-names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

(a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

(b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;

c) le genre de marchandises, services ou entreprises;

(c) the nature of the wares, services or business;

d) la nature du commerce;

(d) the nature of the trade; and

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent.

(e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.

[31]           Il n’est pas contesté, et je ne crois pas qu’il soit contestable à ce stade, que les alinéas 6(5)b), c) et d) favorisent le demandeur. Comme il a été retenu par la jurisprudence (Polysar Ltée c Gesco Distributing Ltd (1985), 6 CPR (3d) 289; Leaf Confections Ltd c Maple Leaf Gardens Ltd (1988), 19 CPR (3d) 331 (CFA)) toutefois le poids relatif des facteurs à considérer variera.

[32]           Le test à appliquer dans la comparaison des marques de commerce (ou des noms commerciaux) est bien sûr celui du consommateur, pas dépourvu d’intelligence et qui ne se souvient que vaguement, pressé qu’il est et qui ne réfléchit pas nécessairement à la question et qui répond à sa première impression. Le test a été ainsi articulé dans Veuve Clicquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, [2006] 1 RCS 824, au paragraphe 20 et endossé à nouveau par la Cour suprême du Canada dans Masterpiece Inc c Alavida Lifestyles Inc, 2011 CSC 27, [2011] 2 RCS 387 :

20        Le critère applicable est celui de la première impression que laisse dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé la vue du nom Cliquot sur la devanture des boutiques des intimées ou sur une de leurs factures, alors qu’il n’a qu’un vague souvenir des marques de commerce VEUVE CLICQUOT et qu’il ne s’arrête pas pour réfléchir à la question en profondeur, pas plus que pour examiner de près les ressemblances et les différences entre les marques. Pour reprendre les termes utilisés par le juge Pigeon dans Benson & Hedges (Canada) Ltd. c. St. Regis Tobacco Corp., [1969] R.C.S. 192, p. 202 :

[TRADUCTION] Nul doute que si une personne examinait les deux marques attentivement, elle les distinguerait facilement. Ce n’est toutefois pas sur cette constatation qu'il faut se fonder pour déterminer s’il existe une probabilité de confusion.

. . . les marques ne paraîtront pas côte à côte et [la Cour doit] essayer d'empêcher qu’une personne qui voit la nouvelle marque puisse croire qu’il s’agit de la même marque que celle qu’elle a vue auparavant, ou même qu’il s’agit d’une nouvelle marque ou d’une marque liée appartenant au propriétaire de l’ancienne marque.

(Citant Halsbury’s Laws of England, 3e éd., vol. 38, par. 989, p. 590.)

Pour reprendre la description colorée du juge Binnie dans Mattel, Inc c 3894207 Canada Inc, 2006 CSC 22, [2006] 1 RCS 772 [Mattel], le point de vue « n’est pas celui de l’acheteur prudent et diligent. Ni, par ailleurs, celui du « crétin pressé », si cher à certains avocats qui plaident en matière de commercialisation trompeuse [citation omise]. C’est plutôt celui du consommateur mythique se situant quelque part entre ces deux extrêmes, surnommé « l’acheteur ordinaire pressé » par le juge en chef Meredith dans une décision ontarienne de 1927 » (para 56).

[33]           À mon avis, ce consommateur mythique, qui « a plus d’argent à dépenser que de temps à perdre à se soucier des détails » (Mattel, para 58), et qui achète du café, pas une voiture, est susceptible d’être confus face aux marques utilisées par les parties. Après tout, les deux vendent du café dans les mêmes régions et la preuve présentée à la Cour tend à démontrer la confusion alléguée.

[34]           Examinant les marques de façon globale, sans chercher à les disséquer, comme il se doit, on ne peut qu’être frappé par l’utilisation proéminente du mot AZZURO. Comme le disent les auteurs de The Law of Evidence in Canada (Alan W. Bryant, Sidney N. Lederman et Michelle Fuerst, 3e éd, Toronto, Lexis-Nexis, 2009) : « Simply put, the trier of fact must find that the existence of the contested fact is more probable than its nonexistence. » L’emballage du produit du défendeur aura évolué pour indiquer de façon presque aussi proéminente le mot « espresso », rappelant très nettement la marque du demandeur qui est ESPRESSO AZZURO. Profitant évidemment du mot « azzuro », les deux utilisent des emballages bleus, quoique les tons de bleu soient quelque peu différents. De fait, les deux mettent maintenant sur leur emballage une tasse de café fumant et le mot « espresso ». En fin de compte, le consommateur achetant du café, qui est pressé et qui se souvient vaguement des marques de commerce, rechercherait la marque AZZURO. Quand en plus, elle est vendue en utilisant la couleur bleue et qu’elle est associée au café espresso, on comprend pourquoi les représentants du défendeur ont conclu dans leurs affidavits à confusion entre les marques. Ainsi, la confusion est plus probable que non. Le demandeur s’est déchargé de son fardeau.

[35]           Le demandeur requiert à son avis de requête, aux termes de l’article 57 de la Loi, que la marque de commerce enregistrée par le défendeur comme étant ARA AZZURO et dessin, sous le numéro LMC/TMA 1299569, soit biffée ou amendée. Aucun argument n’a été présenté pour que la marque de commerce soit amendée. Il faut donc convenir que le seul remède approprié est que la marque soit biffée par le registraire des marques de commerce.

[36]           Pour ce qui est des dépens, le demandeur n’en a pas fait la demande. Lorsque le défendeur a demandé les siens et a signalé à la Cour que le demandeur ne l’avait pas fait, l’avocat de celui-ci a, in extremis une seconde fois, demandé d’amender oralement sa demande. Même si la demande d’amendement avait été accordée, je n’aurais pas ordonné en l’espèce des dépens en faveur du demandeur. Le fait que des dépens n’ont pas été ordonnés contre le demandeur venu amender sa demande à la veille de l’audience et que ses procédures ne sont pas conformes aux Règles des Cours fédérales milite contre l’adjudication de dépens, tant pour la question préliminaire que pour l’adjudication au fond.


JUGEMENT

LA COUR fait droit à la demande de biffer l’enregistrement de la marque de commerce LMC/TMA 1299569 relatif à la marque ARA AZZURO et dessin et ordonne au registraire des marques de commerce de biffer ladite inscription. Il n’y aura aucune adjudication de dépens, tant pour la requête pour amendement que pour la demande de biffer une inscription.

« Yvan Roy »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-433-12

 

INTITULÉ :

CAFÉ CIMO INC. c ABRUZZO ITALIAN IMPORTS INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 avril 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 20 août 2014

 

COMPARUTIONS :

Me François Légaré

 

Pour la partie demanderesse

 

Me Pierre Robichaud

 

Pour la partie défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocat

Repentigny (Québec)

 

Pour la partie demanderesse

 

Andrews Robichaud

Professional Corporation

Ottawa (Ontario)

 

Pour la partie défenderesse

 

 

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