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Date : 20140910


Dossiers : IMM-673-14

IMM-674-14

Référence : 2014 CF 856

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 septembre 2014

En présence de madame la juge Gagné

Dossier : IMM-673-14

ENTRE :

PRITESHKUMAR PR PATEL

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

Dossier : IMM-674-14

ET ENTRE :

JAYSHREE HETALKUMAR BHATTY

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

Aperçu

[1]               Les présentes demandes de contrôle judiciaire soulèvent la question de savoir qui de l’expéditeur ou du destinataire, dans le cadre de communication par courrier électronique (courriel) entre un demandeur et un agent des visas, doit subir les conséquences d’un courriel qui a prétendument été envoyé, mais n’a prétendument pas été reçu.

[2]               À la demande des avocats des parties, les présentes affaires ont été entendues en même temps, vu qu’elles soulèvent la même question litigieuse. Les faits des deux affaires sont identiques, excepté le fait que dans la décision Bhatty c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), IMM-674-14 [Bhatty], quand le demandeur a appris que sa demande était rejetée parce qu’il n’avait pas répondu à un courriel de l’agent des visas, il a demandé à cet agent de réexaminer sa décision, en prenant en compte les renseignements manquants. Dans la décision Patel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), IMM‑673-14 [Patel]), le demandeur n’a pas demandé un réexamen de sa demande de résidence permanente.

[3]               Les demandeurs contestent donc, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], les décisions rendues par deux agents des visas distincts [l’agent ou les agents] de la Section de l’immigration du consulat général du Canada à New Delhi, en Inde, selon lesquelles leurs demandes respectives de visa de résident permanent, au titre du programme des travailleurs qualifiés (fédéral) ont été rejetées. Les agents ont conclu que les demandeurs ont simplement omis de produire les documents demandés. Les demandeurs avancent que leur consultant en immigration commun n’a pas reçu les lettres demandant les renseignements supplémentaires. Le consultant en immigration allègue qu’en plus de ces deux dossiers, la même issue factuelle est arrivée dans une troisième affaire de cet agent des visas qu’il traitait, au cours de la même période.

[4]               Pour les motifs exposés ci-dessous, les présentes demandes de contrôle judiciaire seront rejetées.

Le contexte du dossier de M. Patel

[5]               M. Patel est un citoyen de l’Inde qui, pour sa demande de résidence permanente, a embauché un membre du Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada, M. Pranay Shah; ce dernier a 13 années d’expérience dans le domaine.

[6]               Le 8 mars 2013, l’agent a prétendument envoyé un courriel au consultant lui demandant de fournir, dans un délai de 45 jours, des documents médicaux, des passeports, et les frais afférents à la demande de résidence permanente afin que celle-ci soit traitée. Il y a une note de ce jour‑là dans le Système mondial de gestion des cas [SMGC], selon laquelle l’agent a reçu confirmation que le courriel a été envoyé. (M. Patel attire notre attention sur la page 5 du Bulletin opérationnel 327 ‑ le 18 juillet 2011, dont les directives révèlent que si un courriel est « envoyé » (une preuve de réception n’est pas nécessaire), l’état de la demande doit automatiquement être mis à jour dans le SMGC comme étant « envoyé »).

[7]               Le 18 janvier 2014, l’agent a réexaminé le dossier de M. Patel et noté dans le SMGC que les renseignements demandés n’ont été produits ni par le demandeur ni par son consultant.

[8]               Le même jour, on a envoyé à M. Patel une lettre rejetant sa demande sur le fondement des renseignements dont l’agent disposait à ce moment-là. Il ressort sans équivoque de la lecture de la lettre que les documents manquants étaient déterminants quant à la décision de l’agent. En l’espèce, c’est la décision qui est contestée.

Le contexte du dossier de M. Bhatty

[9]               M. Bhatty est un citoyen de l’Inde qui a aussi embauché M. Pranay Shah comme consultant en immigration pour sa demande de résidence permanente.

[10]           Le 9 mars 2013 (le lendemain du jour où le courriel a été envoyé dans le dossier de M. Patel), l’agent a prétendument envoyé un courriel au consultant lui demandant de fournir, dans un délai de 45 jours, des documents, notamment des passeports et des examens médicaux afin que la demande soit traitée. La lettre a été envoyée par un adjoint, et une copie du courriel est dans le dossier de documents envoyés de l’équipe de la Section de l’immigration (elle est jointe à l’affidavit de l’agent des visas). Il y a une note dans le SMGC de ce jour‑là, selon laquelle l’agent a reçu confirmation que le courriel a été envoyé. (M. Bhatty attire aussi notre attention sur le Bulletin opérationnel 327 ‑ le 18 juillet 2011).

[11]           Le 9 décembre 2013, l’agent a réexaminé le dossier de M. Bhatty, et noté dans le SMGC que les renseignements demandés n’ont été produits ni par le demandeur ni par son consultant.

[12]           Le 13 février 2014, on a envoyé au demandeur une lettre rejetant sa demande sur le fondement des renseignements dont l’agent disposait à ce moment‑là. Il ressort sans équivoque de la lecture de la lettre que les documents manquants étaient déterminants quant à la décision de l’agent. Dans le dossier de M. Bhatty, c’est la décision qui est contestée.

Preuve commune

[13]           Dans son affidavit, M. Pranay Shah soutient que ni ses clients ni son bureau n’ont reçu les courriels des 8 et 9 mars 2013, qui ont prétendument été envoyés par le bureau des visas, ni aucun autre suivi, à l’exception des lettres de rejet. Il a pour habitude de répondre aux demandes de renseignements des fonctionnaires des visas dans un délai d’un jour de la réception de celles‑ci. Auparavant, il n’avait jamais eu de problème de courriels quant à ses dossiers en matière d’immigration, et personne n’a déclaré lui avoir envoyé un courriel qu’il n’a pas reçu. Il soutient qu’il a mené une enquête approfondie afin de savoir s’il pouvait y avoir eu une erreur dans son système de réception de courriels (messages indésirables et dossiers semblables), mais n’a rien trouvé qui donnait à penser que c’était le cas. D’autant plus qu’il allègue qu’il avait trois cas, y compris les présentes affaires, pendant la même période, provenant du même bureau, qui ont été rejetés parce que les demandeurs visés n’avaient pas produit de renseignements à jour et les documents exigés par les courriels prétendus de demandes de l’agent.

La question en litige et la norme de contrôle

[14]           Les présentes demandes de contrôle judiciaire soulèvent la question suivante :

                    L’agent a-t-il manqué à l’obligation d’équité procédurale en omettant de fournir aux demandeurs un avis adéquat et une véritable occasion de répondre à sa demande de produire des renseignements à jour?

[15]           La norme de contrôle qui s’applique aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte (Caglayan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 485 [Caglayan]; Yazdani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 885, aux paragraphes 23 à 25 [Yazdani]; Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 50; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43).

Analyse

[16]           Il ressort de la jurisprudence de la Cour portant sur la conduite des bureaux de visa étrangers lorsqu’ils traitent les communications par courriel que, le « risque » présenté par le défaut d’envoi de la communication doit être assumé par le ministre s’il ne peut pas prouver que la communication en cause a été envoyée par ses représentants. Cependant, une fois que le ministre prouve que la communication a bien été envoyée, le demandeur assume le risque présenté par le défaut de réception de la communication (Alavi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 969 [Alavi], au paragraphe 5). Dans la décision Ghaloghlyan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1252, le juge Campbell a formulé des commentaires sur les exigences de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’un document a été envoyé correctement :

[8] […] je conclus que le principe à appliquer dans les cas d’envoi de documents est le suivant : sur preuve que, selon la prépondérance des probabilités, un document a été envoyé, il existe une présomption réfutable que le demandeur concerné l’a reçu, et l’affirmation du demandeur voulant qu’il n’ait pas reçu le document ne réfute pas, à elle seule, la présomption.

[9] La question qui se pose est donc la suivante : que faut-il pour prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’un document a été envoyé? À mon avis, afin de conclure qu’un document a été « envoyé correctement », au sens où cette expression est employée dans la décision Kaur, il doit avoir été envoyé à une adresse fournie par le demandeur, par un moyen qui permet de vérifier que le document a bel et bien été acheminé au demandeur.

[10] […] L’envoi d’un courriel peut être prouvé par la production d’une copie papier de la boîte d’envoi de l’expéditeur indiquant que le message en cause a été envoyé à l’adresse de courriel fournie à des fins d’envoi, et qu’il n’y a pas eu d’avis d’échec de livraison, c’est-à-dire que le courriel n’est pas « revenu ». [...]

[17]           En l’espèce, le défendeur a fait tout cela. Il a établi, selon la prépondérance des probabilités, que le courriel a été envoyé au demandeur, car les notes du SMGC contiennent une copie du courriel envoyé (à la bonne adresse du représentant des demandeurs), et qu’il n’y a pas de preuve que le courriel n’a pas été reçu (il n’est pas revenu) ou autrement qu’il n’a pas été envoyé correctement. Les deux affidavits déposés par le défendeur révèlent que le courriel envoyé est dans la boîte d’envoi de courriels de l’expéditeur, avec la date à laquelle il a été envoyé, ainsi que son contenu.

[18]           Toutefois, les demandeurs dans les présentes affaires se fondent sur quatre décisions de la Cour visant neuf demandeurs différents, toutes rendues en septembre et octobre 2010, dans lesquelles les demandes de contrôle judiciaire ont toutes été accueillies et le risque de courriels perdus pesait sur le bureau des visas (Abboud c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 876, Alavi, Yazdani – six demandes de contrôle judiciaire ont été jointes par le juge Mandamin - et Zare c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1024). Dans toutes ces affaires, des courriels errants étaient envoyés du bureau des visas à Varsovie, lesquels n’ont pas été reçus par les demandeurs ou leurs représentants.

[19]           Ces quatre décisions (neuf demandes) avaient trait à des faits sous‑jacents semblables, qui peuvent être distingués des présentes affaires :

                    toutes les demandes de résidence permanente avaient originellement été déposées à l’ambassade du Canada à Damas, et par la suite elles ont été transférées à l’ambassade du Canada à Varsovie pour qu’elles y soient traitées;

                    les courriels perdus étaient les premières communications par courriel entre le bureau de Varsovie et les demandeurs, par lesquels on informait les demandeurs du transfert, et on leur demandait des documents supplémentaires; dans les présentes affaires, il y a un historique d’échange de courriels, avec succès, entre le bureau des visas et M. Pranay Shah;

                    les demandeurs soit n’étaient pas représentés soit étaient représentés par différents consultants ou avocats, ce qui réduisait donc les probabilités d’un défaut de communication résultant de problèmes d’ordinateurs des destinataires. Dans les présentes affaires (et la troisième affaire à laquelle il est fait référence ci-dessus), les demandeurs étaient représentés par le même consultant.

[20]           Les circonstances particulières de ces affaires ont entraîné les commentaires suivants formulés par le juge Mandamin aux paragraphes 51 et 52 de la décision Yazdani, précitée :

[51] […] Toutefois, je ne vois pas en quoi il s’agit d’une affaire sans aucun égard à la faute.

[52] En fait, le défendeur a choisi de transférer unilatéralement le dossier de la demanderesse du bureau des visas de Damas au bureau de Varsovie. Il ne fait évidemment aucun doute que le défendeur est en droit d’agir ainsi, compte tenu surtout du fait qu’il visait à éliminer un arriéré dans le traitement des demandes de visa. Toutefois, la section des visas à Varsovie n’a pas avisé séparément la demanderesse du transfert ni n’a vérifié autrement si elle pouvait communiquer par courriel avec le consultant de la demanderesse.

[21]           En l’espèce, aucune faute n’a été attribuée au défendeur, et comme indiqué ci-dessus, ce dernier a présenté suffisamment d’éléments de preuve pour convaincre la Cour, selon la prépondérance des probabilités, que les courriels ont été envoyés au consultant des demandeurs.

[22]           Encore une fois, M. Patel n’a pas demandé à l’agent le réexamen de sa décision, une fois qu’il a appris que sa demande de résidence permanente était rejetée parce qu’il n’avait pas respecté une demande de renseignements contenue dans un courriel qu’il n’avait pas reçu. M. Bhatty l’a fait, mais la décision de l’agent de ne pas réexaminer la demande ne fut pas contestée devant la Cour.

[23]           Par conséquent, je ne peux que répéter la conclusion du juge Martineau dans la décision Caglayan. Bien qu’il ait rejeté la demande, il a assorti son rejet de la mise en garde suivante :

[23] En d’autres termes, bien que l’agent des visas se soit conformé parfaitement à la loi en rendant la décision contestée au moment où il l’a fait, le système d’immigration ne peut fonctionner qu’avec la collaboration de personnes éminemment raisonnables en raison du principe qui veut que non seulement justice soit rendue, mais également qu’elle paraisse être rendue. Le maintien d’un équilibre approprié au sein du système d’immigration va au-delà de la justice officielle et exige l’équité. Les demandes de visa ne sont pas des instances judiciaires et les agents des visas ne sont pas des tribunaux chargés de statuer en dernier lieu sur des positions opposées. Le principe de dessaisissement ne devrait pas être appliqué strictement en l’espèce. Si l’on admet que le demandeur n’a pas commis de faute, il serait très inéquitable et injuste de fermer simplement le dossier de sa demande de visa, de l’obliger à verser à nouveau les frais de traitement et de lui faire subir des retards inutiles dans le traitement d’une nouvelle demande. Par conséquent, il ne serait qu’équitable et juste dans les circonstances que l’agent des visas réexamine sa décision à la lumière des nouveaux documents qui ont été produits avec la demande de réexamen. En rejetant la présente demande au motif qu’il n’y a pas eu à proprement parler de manquement à l’obligation d’agir de manière équitable, je ne peux qu’inciter le ministre à être sensible à cette réalité. [Non souligné dans l’original.]

Conclusion

[24]           Pour les motifs susmentionnés, les deux présentes demandes de contrôle judiciaire seront rejetées. Les parties n’ont pas proposé de question de portée générale aux fins de certification et aucune question ne sera certifiée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  Les demandes de contrôle judiciaire des dossiers de la Cour nos IMM-673-14 et IMM‑674-14 sont rejetées;

2.                  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Jocelyne Gagné »

Juge

Traduction certifiée conforme

L. Endale

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-673-14

 

INTILULÉ :

PRITESHKUMAR PR PATEL

c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

ET DOSSIE:

IMM-674-14

 

INTILULÉ :

JAYSHREE HETALKUMAR BHATTY

c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

28 juillet 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GAGNÉ

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

 

le 10 septembre 2014

COMPARUTIONS :

Richard T. Kurland

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Dennis Hill

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kurland, Tobe

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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