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Date : 20140826


Dossier : IMM-3653-13

Référence : 2014 CF 824

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 août 2014

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

XIAO WEN GAN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision datée du 18 mars 2013 par laquelle un agent d’immigration [l’agent] a rejeté la demande de résidence permanente présentée par la demanderesse au titre de la catégorie du regroupement familial. L’agent a conclu que la demanderesse était exclue de cette catégorie en application de l’alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement], et que les considérations d’ordre humanitaire aux termes du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR ou la Loi], ne l’emportaient pas sur l’exclusion prévue au Règlement parce que la mère de la demanderesse avait omis de déclarer celle‑ci comme membre de sa famille.

[2]               La demanderesse, Mme Xiao Wen Gan, est citoyenne de la Chine. Elle a été parrainée pour venir au Canada en tant que membre de la catégorie du regroupement familial par sa mère, Rui Lan Lin [la mère ou la répondante], laquelle est citoyenne canadienne depuis 2008. À trois occasions, la mère de la demanderesse a omis de déclarer la demanderesse à titre de membre de sa famille ne l’accompagnant pas (en 2004, en 2005 et en 2010). La présente demande de parrainage fusionne deux demandes de parrainage : l’une d’elles avait été déposée en 2009 et concernait une demande de résidence permanente, et l’autre avait été déposée en 2012 et concernait aussi une demande de résidence permanente, mais présentée pour des circonstances d’ordre humanitaire (la demande CH).

[3]               La demande de 2009 a été rejetée et a fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire. Toutefois, l’affaire s’est réglée sur consentement, les parties s’étant entendues pour que les deux demandes soient fusionnées et tranchées par un autre agent. La demande fusionnée a été rejetée, l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de cette décision a été accordée, et la Cour rend maintenant sa décision relativement au contrôle judiciaire.

[4]               La question en litige est de savoir si l’agent a été obnubilé par l’omission de la mère de déclarer la demanderesse comme personne à charge ne l’accompagnant pas, de sorte qu’il a indûment entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire et commis ainsi un manquement à la justice naturelle et à l’équité procédurale.

[5]               À mon avis, la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie pour les motifs qui suivent.

[6]               Il est impossible de lire la décision et les notes de l’agent sans conclure, comme l’a fait mon collègue le juge de Montigny dans la décision Sultana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 533, dans des circonstances à peu près similaires, que l’agent était obnubilé par l’omission de la mère de déclarer la demanderesse dans le cadre de trois demandes précédentes, et qu’il a examiné la demande CH à travers le prisme de cette omission. Je conclus donc que l’agent n’a pas véritablement tenu compte des observations présentées à l’appui de la demanderesse de manière distincte de celles qui concernaient la conclusion d’irrecevabilité fondée sur l’inconduite répétée que la mère avait commise en omettant de déclarer la demanderesse (voir aussi la décision Weng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 778, au paragraphe 34). Cette décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, et un manquement à l’équité procédurale a été commis. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9).

[7]               Dans le cadre d’une demande CH, l’agent peut évaluer la crédibilité du répondant et, en l’espèce, l’agent a conclu que la crédibilité de la répondante laissait gravement à désirer en raison de son omission répétée de dire la vérité à son pays d’adoption. La mère de la demanderesse avait sciemment omis de déclarer la demanderesse non pas une seule fois, mais à trois occasions distinctes. Si la politique de l’enfant unique de la Chine pouvait expliquer la fausse déclaration de la mère avant que l’existence de l’enfant ne soit officiellement enregistrée en Chine, il n’y a, à mon avis, aucune excuse crédible pour justifier la fausse déclaration de la mère par la suite. Par conséquent, il a été conclu à bon droit que la demande de la demanderesse était irrecevable aux termes de l’alinéa 117(9)d) du Règlement.

[8]               Toutefois, l’affaire ne s’arrête pas là, parce que la demanderesse avait le droit d’obtenir une évaluation authentique et sans restriction de sa demande CH, distincte dans la mesure du possible de la demande de parrainage présentée par sa mère.

[9]               Trancher une demande CH présentée par une personne dont la demande est autrement irrecevable sur le même fondement, ou à peu près le même fondement, que celui qui a motivé la conclusion d’irrecevabilité va à l’encontre de l’intention du législateur de créer un processus distinct à l’égard des demandes CH. La demande CH appelle donc une décision sur le fond, qui fait abstraction dans la mesure du possible de la grave inconduite répétée que la mère a commise en omettant de déclarer la demanderesse à titre de membre de sa famille.

[10]           En fait, l’agent a reconnu qu’il s’agissait d’une demande visée par le paragraphe 25(1) de la LIPR et que c’était là la principale question qu’il devait trancher. Il savait que la demande était fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, ayant déclaré ce qui suit :

[traduction] Cette demande de résidence permanente a été présentée sur le fondement d’un appel pour des considérations d’ordre humanitaire, sous le régime de l’article 25 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés.

Et :

[traduction] Le fait que la demandeure principale n’a même jamais été déclarée à l’immigration avant la présentation des demandes au titre de la catégorie du regroupement familial n’est pas en cause. Nous examinons la présente demande afin de voir s’il existe des considérations d’ordre humanitaire suffisantes pour l’emporter sur l’omission de la répondante de déclarer la demandeure principale, ce qui permettrait de considérer celle‑ci comme un membre de la catégorie du regroupement familial et de surmonter l’alinéa 117(9)d) de la Loi.

[11]           La difficulté, en ce qui a trait aux motifs de l’agent, c’est qu’une lecture objective des notes de l’agent, qui sont beaucoup plus étoffées que la lettre de décision et qui doivent être prises en considération dans le cadre du contrôle judiciaire, révèle que l’agent renvoie à répétition aux fausses déclarations de la mère ou à son omission de déclarer la demanderesse.

[12]           Par exemple, les notes indiquent ceci :

[traduction] De même, on peut se demander pourquoi la mère a omis d’inclure la demandeure dans les observations présentées pour ses autres enfants, qui, je crois, sont aussi au Canada.

Et :

[traduction] Je note que l’auteur de l’évaluation psychologique, Fujian Normal, n’a pas consulté ces personnes pour remplir son rapport. Il affirme que la demandeure serait privée d’une place égale dans la famille si la demande CH était rejetée. D’après mon interprétation des événements, la responsabilité revient à la répondante ou mère de la demandeure principale, qui a plusieurs fois omis de déclarer celle‑ci dans les formulaires d’immigration ou aux autorités de la RPC. [...] Je ne peux que conclure que ce sont les actions de la répondante qui m’ont amené à interpréter ainsi les événements.

Et :

[traduction] […] c’est cette répondante qui a jugé bon de ne pas déclarer la demandeure principale aux autorités civiles et de s’en séparer en déménageant au Canada, déménagement qui, à mon avis, a facilité l’établissement de la répondante au Canada à la faveur d’un mariage de convenance.

Et encore :

[traduction] Toute séparation de la famille, à mon avis, a été et est causée uniquement par les choix faits par la répondante.

[13]           Ce ne sont pas là les seuls passages où l’agent a tenu compte des fausses déclarations de la mère de la demanderesse. Nul besoin de les répéter tous. Il suffit de dire que l’agent mentionne l’inconduite de la mère plus de 30 fois. Bien que certaines de ces mentions soient assurément de justes observations ayant trait à l’évaluation de la crédibilité de la mère à titre de répondante de la demanderesse, bon nombre, voire la majorité, d’entre elles ne sont pas faites dans ce contexte, ni dans celui des plans de réunification familiale.

[14]           Cette préoccupation excessive à l’égard des actions de la mère, aussi grave qu’ait été son inconduite, donne à penser que le rejet de la demande CH, qui avait été présentée pour remédier au constat d’irrecevabilité, a plutôt été décidé sur le fondement des faits mêmes qui sous‑tendaient l’irrecevabilité, à savoir l’omission de la mère de déclarer la demanderesse comme membre de sa famille.

[15]           Outre les observations de la mère, que l’agent a jugé non crédibles en raison des fausses déclarations faites par la mère, je suis d’avis que l’agent devait, dans cette affaire, apprécier les observations de la demanderesse, une évaluation psychologique, et les observations de la sœur et du frère de la demanderesse.

[16]           L’agent a bel et bien examiné les observations de la demanderesse, mais dans le contexte des fausses déclarations faites par la mère.

[17]           L’agent a examiné le rapport psychologique, mais l’a critiqué, en partie une fois encore parce qu’il était fondé sur la version des événements donnée par la mère, qui avait été jugée non crédible. L’évaluation psychologique est importante pour la présente demande. L’agent pouvait retenir, rejeter ou pondérer autrement le rapport, mais il était tenu de le faire d’une manière équitable et sans restriction, et a échoué à cet égard.

[18]           J’ai certes conclu que l’agent avait tenu compte de la réunification de la demanderesse avec sa mère, mais, étant donné les conclusions qu’il avait tirées à propos de la mère, il devenait d’autant plus important pour lui d’examiner à la fois les observations de la sœur aînée de la demanderesse et celles de son frère cadet (tous deux citoyens du Canada). Or, l’évaluation faite par l’agent était encore inadéquate. Par exemple, l’agent ne parle jamais du frère. L’évaluation de l’agent était une fois de plus entachée par les renvois répétés aux fausses déclarations de la mère.

[19]           Il convient également de souligner que la réunification des familles est un important principe qui sous‑tend l’objet énoncé par le législateur dans la LIPR. L’alinéa 3(1)d) de la LIPR énonce ce qui suit :

Objet en matière d’immigration

Objectives — immigration

3. (1) En matière d’immigration, la présente loi a pour objet :

3. (1) The objectives of this Act with respect to immigration are

[…]

[…]

d) de veiller à la réunification des familles au Canada;

(d) to see that families are reunited in Canada;

[20]           Par conséquent, je conclus que le contrôle judiciaire est requis et que la présente demande doit être accueillie.

[21]           Aucune partie n’a demandé la certification d’une question, et je conclus qu’il n’y a pas de question de portée générale à certifier.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

2.         La décision datée du 18 mars 2013 est annulée, et l’affaire (à savoir la demande de résidence permanente et la demande CH fusionnées) est renvoyée à un autre agent d’immigration pour nouvel examen;

3.         Aucune question n’est certifiée.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3653-13

 

INTITULÉ :

XIAO WEN GAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 AOÛT 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS  :

LE JUGE BROWN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 26 AOÛT 2014

 

COMPARUTIONS :

Nancy Myles Elliott

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Meva Motwani

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Elliott Law Firm

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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