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Date : 20140829


Dossier : T-2086-13

Référence : 2014 CF 830

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 29 août 2014

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

TCC HOLDINGS INC.

demanderesse

et

THE FAMILIES AS SUPPORT

TEAMS SOCIETY

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée par TCC Holdings Inc. [la demanderesse] en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, d’une décision du registraire des marques de commerce (le registraire) de donner avis public par publication dans le Journal des marques de commerce du 1er mai 1996, volume 43, no 2166, de l’adoption de l’emploi par The Families as Support Teams Society (la défenderesse) de la marque officielle F A S T.

[2]               À mon avis, la demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie pour les motifs qui suivent.

II.                Les faits

[3]               La défenderesse a été constituée en personne morale dans la province de la Colombie‑Britannique le 4 septembre 1991, sous le nom « Families and Spiritual Teachings International Society ». Elle a changé son nom pour « Families as Support Team Society » le 22 juin 1993.

[4]               La défenderesse a obtenu le statut d’organisme de bienfaisance enregistré le 6 avril 1994.

[5]               Le 1er avril 1996, la défenderesse a demandé au registraire de donner un avis public, en conformité avec le sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13 [Loi sur les marques de commerce], de l’adoption et de l’emploi de la marque officielle F A S T.

[6]               En vertu du sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce, le registraire a donné un avis public par publication dans le Journal des marques de commerce du 1er mai 1996, volume 43, no 2166, de l’adoption et de l’emploi par la défenderesse de la marque F A S T comme marque officielle, en liaison avec des services.

[7]               La défenderesse a vu son statut d’organisme de bienfaisance révoqué le 20 mai 2006 pour défaut de produire. La défenderesse a par la suite été dissoute le 30 novembre 2007.

[8]               Le 20 mai 2011, la demanderesse a déposé au Canada une demande de marque de commerce pour la marque de commerce FAST.

[9]               Le 17 novembre 2011, l’examinateur de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada [l’examinateur] a produit un rapport dans lequel il indiquait que le sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce interdisait l’enregistrement de la marque de commerce FAST de la demanderesse et citait la marque officielle F A S T de la défenderesse.

[10]           La demanderesse a tenté de communiquer avec la défenderesse à six occasions depuis le 29 novembre 2011 pour lui demander de consentir à ce que la demande canadienne de marque de commerce de la demanderesse soit traitée.

[11]           La demanderesse a déposé la présente demande de contrôle judiciaire le 19 décembre 2013.

[12]           La défenderesse n’a pas produit d’avis de comparution ni aucun autre acte de procédure, et bien que la demande de contrôle judiciaire lui ait été dûment signifiée, elle n’a pas comparu à l’audience relative à la présente demande.

III.             La décision visée par le présent contrôle

[13]           Est visée par le présent contrôle la décision du registraire de donner un avis public, au moyen d’une publication dans le Journal des marques de commerce du 1er mai 1996, volume 43, no 2166, de l’adoption et de l’emploi par la défenderesse de la marque F A S T comme marque officielle, en liaison avec des services.

IV.             Question en litige

[14]           La présente affaire soulève la question suivante : le registraire a-t-il reconnu à tort à la demanderesse la qualité d’autorité publique au sens du sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce?

V.                Norme de contrôle

[15]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 57 et 62 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a affirmé qu’il n’est pas nécessaire de se livrer à analyse relative à la norme de contrôle lorsque « la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier ».

[16]           À mon avis, la norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle applicable.

VI.             Dispositions pertinentes

[17]           Le sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce dispose :

9. (1) Nul ne peut adopter à l’égard d’une entreprise, comme marque de commerce ou autrement, une marque composée de ce qui suit, ou dont la ressemblance est telle qu’on pourrait vraisemblablement la confondre avec ce qui suit :

9. (1) No person shall adopt in connection with a business, as a trade-mark or otherwise, any mark consisting of, or so nearly resembling as to be likely to be mistaken for,

[…]

[…]

n) tout insigne, écusson, marque ou emblème :

(n) any badge, crest, emblem or mark

[…]

[…]

(iii) adopté et employé par une autorité publique au Canada comme marque officielle pour des marchandises ou services,

(iii) adopted and used by any public authority, in Canada as an official mark for wares or services,

à l’égard duquel le registraire, sur la demande de Sa Majesté ou de l’université ou autorité publique, selon le cas, a donné un avis public d’adoption et emploi;

in respect of which the Registrar has, at the request of Her Majesty or of the university or public authority, as the case may be, given public notice of its adoption and use;

[18]           L’alinéa 12(1)e) de la Loi sur les marques de commerce indique dans quelles circonstances des marques de commerce peuvent être enregistrées ou non :

12. (1) Sous réserve de l’article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf dans l’un ou l’autre des cas suivants :

12. (1) Subject to section 13, a trade-mark is registrable if it is not

[…]

[…]

e) elle est une marque dont l’article 9 ou 10 interdit l’adoption;

(e) a mark of which the adoption is prohibited by section 9 or 10;

VII.          Analyse

[19]            La demanderesse a établi son intérêt et sa qualité dans la présente affaire, et elle a le droit d’intenter la présente demande.

[20]           Dans le jugement Société canadienne des postes c United States Postal Service, 2005 CF 1630 aux paragraphes 31 à 35 [Société canadienne des postes], la juge Mactavish expose un résumé utile du cadre légal applicable à une décision comme celle-ci. Je le reproduis en entier parce qu’il est directement applicable à la présente demande :

[31]      Le sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi interdit l’adoption de marques officielles par des tiers, alors que l’article 11 interdit l’emploi des marques par des tiers et l’article 12, l’enregistrement par des tiers.

[32]      Le sous-alinéa 9(1)n)(iii) confère aux titulaires de marques officielles une protection étendue qui comporte notamment des avantages importants dont ne jouissent pas les propriétaires de simples marques de commerce : Ordre des architectes de l’Ontario, au paragraphe 4. Par exemple, il n’est pas nécessaire qu’une marque officielle distingue des marchandises ou des services; elle peut être simplement descriptive et elle peut créer de la confusion avec la marque d’un tiers : Ordre des architectes de l’Ontario, au paragraphe 63.

[33]      Une fois qu’un avis public a été donné au sujet de l’adoption et de l’emploi d’une marque officielle, la marque est [TRADUCTION] « résistante et pratiquement ineffaçable » : Mihaljevic c. British Columbia, (1988), 23 C.P.R. (3d) 80 (C.F. 1re inst.), à la page 89.

[34]      Ces considérations ont amené la Cour d’appel fédérale à déclarer qu’il faut se garder de donner au sous-alinéa 9(1)n)(iii) un sens extensif : Ordre des architectes de l’Ontario, au paragraphe 64.

[35]      La principale exigence concernant la publication d’une marque officielle est que la partie qui en fait la demande doit être une « autorité publique » : Congrès juif canadien c. Chosen People Ministries, Inc., (2002), 19 C.P.R. (4th) 186, 2002 CFPI 613, conf. par (2003), 27 C.P.R. (4th) 193, 2003 CAF 272. L’expression « autorité publique » n’est pas définie dans la Loi.

[21]           Bien qu’il n’y ait pas de définition d’autorité publique dans la Loi sur les marques de commerce, la Cour d’appel fédérale a établi un critère à deux volets pour déterminer si une partie est une « autorité publique » aux fins du sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce dans l’arrêt Ordre des architectes de l’Ontario c Assn of Architectural Technologists of Ontario, 2002 CAF 218, aux paragraphes 47 à 53 [Ordre des architectes de l’Ontario]. La Cour doit d’abord déterminer si la défenderesse est, dans une mesure importante, assujettie au contrôle gouvernemental, et ensuite examiner la mesure dans laquelle le public profite des activités de l’organisme (voir également Société canadienne des postes au paragraphe 71).

A.                Contrôle gouvernemental

[22]           La demanderesse soutient que le registraire a considéré que la défenderesse était une « autorité publique » parce que celle-ci a indiqué dans sa demande d’avis public d’une marque officielle qu’elle était un organisme de bienfaisance enregistré et donc assujettie au contrôle et à l’examen du gouvernement en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl.) et d’autres lois connexes.

[23]           Après la décision du registraire, la Cour a statué dans le jugement Congrès juif canadien c Chosen People Ministries, Inc, [2003] 1 CF 29, aux paragraphes 53 et 55 [Congrès juif canadien] que le fait d’être constituée en société sans but lucratif tenant des objectifs de bienfaisance, d’être exonérée d’impôt et de pouvoir délivrer des reçus pour des dons de bienfaisance n’était pas suffisant en droit pour déterminer si une partie est une « autorité publique ». La Cour a statué qu’une mesure importante de contrôle gouvernemental était requise pour qu’une partie constitue une « autorité publique » aux fins du sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce (voir également See You In – Canadian Athletes Fund Corporation c Comité olympique canadien, 2007 CF 406, aux paragraphes 59 et 60).

[24]           Dans l’arrêt Ordre des architectes de l’Ontario, la Cour d’appel fédérale donne des indications au paragraphe 59 quant à ce qu’implique un contrôle gouvernemental :

Même si le critère du contrôle gouvernemental d'un organisme par ailleurs privé n'exige pas que ce contrôle soit exercé par le pouvoir exécutif, par opposition au contrôle exercé par la législature, il commande bel et bien une supervision gouvernementale continue des activités de l'organisme qui réclame le statut d'autorité publique aux fins du sous-alinéa 9(1)n)(iii).

[Non souligné dans l’original.]

[25]           La demande d’avis public d’une marque officielle que la défenderesse a présentée au registraire comprenait une lettre du secrétaire d’État, accordant 25 000 $ à la défenderesse à la condition que celle-ci inclue une phrase dans tous les documents promotionnels reliés au projet financé reconnaissant l’aide financière fournie par le Programme du multiculturalisme du ministère du Patrimoine canadien, de même que la fourniture d’états de présence pour les ateliers et un rapport circonstancié sur les activités réalisées au moyen de la subvention.

[26]           Les documents dont disposait le registraire comprenaient également une lettre concernant un projet de création d’emploi dans laquelle le chargé de projet de Développement des Ressources humaines Canada explique à la défenderesse que [TRADUCTION] « [t]ous les employés doivent être référés par un Centre d’emploi du Canada », ce qui confirmerait l’admissibilité des personnes que la défenderesse souhaiterait embaucher. Toutefois, cette lettre ne fait que décrire un arrangement contractuel éventuel. Il n’y a aucun élément de preuve qui indique si les parties ont effectivement conclu un tel contrat.

[27]           À mon humble avis, les conditions rattachées à la subvention du secrétaire d’État n’équivalent pas à une [TRADUCTION] « supervision gouvernementale continue » ni à un « contrôle gouvernemental important ».

[28]           Ni l’une ni l’autre des lettres ne démontre une « supervision gouvernementale continue », et elles ne constituent pas, ni prises individuellement ni prises ensemble, un [TRADUCTION] « contrôle gouvernemental important ».

[29]           Par conséquent, la défenderesse ne satisfaisait pas au critère du contrôle gouvernemental important. En outre, la défenderesse n’était pas une autorité publique aux fins du sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce au moment de la publication par le registraire de l’adoption de l’emploi par la défenderesse de la marque officielle F A S T.

B.                 Activités profitant au public

[30]           Compte tenu de ma conclusion selon laquelle la défenderesse n’était pas assujettie à une mesure suffisante de contrôle gouvernemental pour en faire une autorité publique, il n’est pas nécessaire d’examiner la question de savoir si ses activités satisfont à l’exigence selon laquelle le public en profite.

VIII.       Conclusion

[31]            La défenderesse n’était tout simplement pas une autorité publique au Canada lorsque le registraire a publié l’avis d’adoption et d’emploi. Même si la défenderesse avait été une autorité publique à l’époque, ce qu’elle n’était pas, à mon avis, au moment où son statut d’organisme de bienfaisance a été révoqué faisant ainsi en sorte qu’elle soit dissoute, elle a cessé d’être une autorité publique. Dans les deux cas, la défenderesse n’a pas le droit de se prévaloir de la Loi sur les marques de commerce en tant qu’autorité publique relativement à une marque officielle dont le registraire a donné un avis public d’adoption et d’emploi.

[32]           Compte tenu de ce qui précède, la demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie. La décision du registraire sera annulée. L’avis public de la marque officielle « F A S T » ne donne lieu à aucun droit ni à aucune interdiction en vertu des articles 9 et 11 de la Loi sur les marques de commerce. La demanderesse aura droit à ses dépens.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.                  La décision du registraire est annulée.

3.                  L’avis public de la marque officielle « F A S T » ne donne lieu à aucun droit ni à aucune interdiction en vertu des articles 9 et 11 de la Loi sur les marques de commerce.

4.                  La demanderesse aura droit à ses dépens.

 

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

T-2086-13

 

INTITULÉ :

TCC HOLDINGS INC. c THE FAMILIES AS SUPPORT TEAMS SOCIETY

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 20 août 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge BROWN

 

DATE DES MOTIFS :

le 29 août 2014

 

COMPARUTIONS :

Michael Adams

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Personne n’a comparu

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Riches, McKenzie & Herbert LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

S/O

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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