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Date : 20080618

Dossier : T-2289-03

Référence : 2008 CF 756

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 18 juin 2008

En présence de monsieur le juge Mosley

 

ENTRE :

NETBORED INC.

demanderesse

 

et

 

 

 

AVERY HOLDINGS INC., SEAN EREN, SUSAN EREN, SUSAN KATZ,

COREY KATZ et BINARY ENVIRONMENTS LTD.

 

défendeurs

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

  • [1] Allan Crosier, Fiona Anne Ridley et Tyne and Wear Capital Inc. (les appelants ou les requérants) interjettent appel de l’ordonnance du 30 avril 2008 par laquelle la protonotaire Milczynski a rejeté leur requête en autorisation d’intervenir dans le cadre de la taxation des dépens actuellement en cours. La taxation des dépens découle d’une série de montants adjugés aux défendeurs (collectivement, les défendeurs Avery) dans le cadre d’une action pour violation du droit d’auteur, utilisation inappropriée de renseignements confidentiels et violation des liens contractuels intentée par la demanderesse en décembre 2003 et plus tard rejetée en octobre 2006.

 

  • [2] Pendant les diverses étapes du déroulement de la présente instance, y compris l’annulation de l’ordonnance Anton Piller accordée à la demanderesse et le désistement de l’appel interjeté à l’encontre de cette décision, les dépens qui devaient suivre l’issue de la cause ont été accordés aux défendeurs Avery qui souhaitent maintenant les recouvrer. Un calendrier a été établi pour chacune des étapes du processus de taxation et des dates limites ont été fixées. L’audience relative à la taxation a déjà été reportée deux fois dans l’attente de l’issue de la présente requête. La demanderesse n’a toujours pas déposé ses observations écrites, comme l’exigeait le calendrier.

 

  • [3] Monsieur Crosier contrôle la demanderesse Netbored Inc., Mme Ridley, son épouse, contrôle Tyne and Wear Capital Inc., une société constituée en 2005. Aucune de ces personnes n’est partie à l’action devant la Cour, mais elles sont les défenderesses dans une demande déposée par les défendeurs Avery devant la Cour supérieure de l’Ontario le 15 octobre 2007 dans laquelle ils sollicitent, notamment, ce qui suit :

    • une ordonnance déclarant M. Crosier personnellement responsable des dettes et obligations de Netbored, y compris les dépens adjugés à la suite de la taxation effectuée par la Cour fédérale;

    • un jugement déclarant que Tyne and Wear Inc. est une société fictive;

    • des ordonnances visant à retracer les transferts de fonds vers d’autres sociétés que contrôle M. Crosier;

    • une ordonnance annulant un accord de prêt et de garantie conclu entre Netbored et Tyne and Wear Capital, au motif qu’il a été conclu frauduleusement dans le but d’éviter le versement des dépens accordés aux défendeurs Avery;

    • les dommages-intérêts, intérêts et dépens.

 

  • [4] Les appelants soutiennent qu’en raison de l’action introduite devant la Cour supérieure de l’Ontario, ils ont maintenant un intérêt direct dans la taxation des dépens effectuée par la Cour et devraient se voir accorder le statut d’intervenant et tous les droits nécessaires pour produire des éléments de preuve et interroger tous les défendeurs, de même que le droit d’assister à l’audience de taxation des dépens et de présenter, par écrit et de vive voix, des arguments concernant le caractère approprié des dépens et leurs montants. Ils allèguent que les défendeurs Avery ont commis une fraude à l’endroit de la Cour pour ce qui concerne la taxation des dépens, en particulier au moyen de la preuve par affidavit et du contre‑interrogatoire de Susan Eren, une défenderesse.

 

  • [5] Ils font valoir, comme motifs d’appel que, selon les critères guidant l’exercice du pouvoir discrétionnaire exposés dans l’arrêt SCFP c Lignes aériennes Canadien International ltée, 95 A.C.W.S. (3d) 249 (CAF), la protonotaire Milczynski a commis une erreur en acceptant la thèse des défendeurs selon laquelle :

    • les requérants ne sont pas directement touchés par l’issue de la taxation des dépens;

    • l’intervention proposée ne soulève aucune question relevant de la compétence des tribunaux ni aucune question d’intérêt public;

    • il existe un grand nombre de moyens raisonnables ou efficaces de soumettre la question à la Cour sans que les requérants participent à l’instance, étant donné que ces derniers et Netbored Inc. ont tous intérêt à ce que le montant que devrait verser Netbored aux défendeurs Avery soit réduit;

    • la position des requérants est suffisamment défendue par la demanderesse;

    • l’intérêt de la justice ne serait pas mieux servi par l’intervention, puisque la taxation des dépens a déjà été retardée en raison de la requête et ne devrait pas être retardée davantage;

    • les requérants n’ont rien à apporter au processus de taxation des dépens et il n’y a aucune raison de croire qu’ils pourraient aider l’officier taxateur à régler les questions de fait ou de droit reliées à la taxation.

 

  • [6] Les appelants présentent, au soutien de leur appel dont l’audience est fixée au 16 juin 2008, l’affidavit de M. Crosier du 9 juin 2008 et déposé, le 11 juin 2008, avec un avis de requête modifiée. À titre préliminaire, les défendeurs s’opposent à l’admissibilité de l’affidavit au motif qu’il n’a pas été présenté devant la protonotaire Milczynski. En fait, les requérants n’ont présenté aucune preuve par affidavit appuyant la requête qui lui a été présentée.

 

  • [7] Les appelants soutiennent qu’il existe des « circonstances spéciales » qui permettent la réception de l’affidavit Crosier. Ils affirment ne pas avoir su, lorsqu’ils ont demandé l’autorisation d’intervenir, que Mme Eren avait commis une fraude à l’endroit de la Cour dans son affidavit et son contre-interrogatoire. Une fraude a été commise, affirment-ils, étant donné qu’elle devait savoir, lorsqu’elle a réclamé certains honoraires pour lesquels elle avait été poursuivie par le cabinet d’avocats qui avait fourni les services, qu’un règlement avait été conclu pour un montant inférieur à celui qui était réclamé, avant qu’elle ne signe son affidavit le 21 décembre 2006. Ils soutiennent que, s’ils étaient autorisés à intervenir, ils pourraient peut‑être découvrir d’autres cas de fraude qui justifieraient une requête en vue de réduire les dépens ou de les refuser.

 

  • [8] Madame Eren a reconnu, au cours de son contre-interrogatoire, qu’une erreur avait été commise au sujet du montant réclamé, ce montant ayant été réduit dans le cadre du règlement à l’amiable. Les appelants soutiennent qu’il ne s’agissait pas là d’une erreur, mais d’une fraude. Monsieur Crosier affirme ne s’en être aperçu qu’au moment de préparer le présent appel, lorsqu’il a comparé la date de l’affidavit et un rapport sur l’historique de l’affaire obtenu auprès de la Cour supérieure de l’Ontario qui révélait que la Cour avait été avisée, le 5 décembre 2006, que la réclamation du cabinet d’avocats avait été réglée.

 

  • [9] En règle générale, la Cour ne peut admettre de nouvelles preuves lorsqu’elle entend l’appel d’une décision d’un protonotaire : Apotex Inc. c Welcome Foundation Ltd., 2003 CF 1229, 29 C.P.R. (4th) 489, au paragraphe 10. La décision du protonotaire en l’espèce ne soulève aucune question d’équité procédurale susceptible de justifier la réception d’une nouvelle preuve : Ordre des architectes de l’Ontario c Assn of Architectural Technologists of Ontario, 2002 CAF 218, 291 N.R 61, au paragraphe 30. Même lorsque la Cour examine une décision de novo, elle doit se fonder sur les documents dont disposait le protonotaire : Marazza, Re, 2004 CF 139, [2004] 5 C.T.C. 143.

 

  • [10] Il faudrait, pour que l’affidavit puisse être accepté à titre de preuve nouvelle, qu’il existe des circonstances spéciales qui permettraient à la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour autoriser l’affidavit. Pour établir l’existence de circonstances spéciales, il faut que les faits nouveaux n’aient pu être découverts, malgré une diligence raisonnable, avant la première audience et les faits nouveaux doivent être substantiels : Kent c Canada (Procureur général), 2004 CAF 420, [2004] A.C.F. no 2083, au paragraphe 33.

 

  • [11] Les appelants affirment n’avoir appris l’importance des dates que, lorsque M. Crosier a finalement « fait les rapprochements nécessaires », au cours de la préparation de l’appel, entre la date de l’avis de règlement déposé à la Cour de l’Ontario et celle de l’affidavit de Mme Eren contenant des renseignements contraires. Il connaissait toutefois ces deux faits lorsque la requête en intervention a été déposée. L’affidavit de Mme Eren avait fait l’objet de contre‑interrogatoires en septembre et en février 2007. Le rapport sur l’historique de l’affaire que M. Crosier affirme avoir personnellement obtenu de la Cour supérieure de l’Ontario porte la date imprimée du 10 janvier 2008.

 

  • [12] Par conséquent, il est évident que les faits figurant dans l’affidavit de M. Crosier auraient pu être connus en faisant preuve de diligence raisonnable et être présentés à la protonotaire. Si les appelants avaient faire davantage en présentant une requête en vue de contre‑interroger à nouveau Mme Eren, ils le pouvaient puisque le délai fixé par l’officier taxateur n’était pas encore expiré lorsqu’ils ont obtenu le rapport sur l’historique de l’affaire.

 

  • [13] Quoi qu’il en soit, il est difficile de savoir si la nouvelle preuve proposée est pertinente. À mon avis, elle n’établit pas la fraude. Tout au plus, elle permet de formuler certaines hypothèses au sujet des connaissances et de l’intention qu’avait Mme Eren au moment où elle a rédigé son affidavit. Elle ne serait d’aucune utilité pour régler une question de fait ou de droit reliée à la taxation, étant donné qu’il a déjà été tenu compte de l’erreur dans le montant réclamé.

 

  • [14] La norme de contrôle applicable aux décisions discrétionnaires d'un protonotaire a été énoncée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada c Aqua‑Gem Investments Ltd (CA.). [1993] 2 CF 425, et reformulée dans l’arrêt Merck & Co. c Apotex Inc., 2003 CAF 88, 315 N.R. 175 de la façon suivante :

Le juge saisi de l’appel interjeté à l’encontre de l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :

 

a) l’ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue de la cause,

 

b) l’ordonnance est entachée d’erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits.

 

  • [15] La seule autre question à trancher dans la présente action est le montant que la demanderesse doit verser aux défendeurs Avery. Les appelants n’ont pas soutenu, dans leurs observations écrites, que les questions soulevées par la requête étaient déterminantes au sens de l’arrêt Aqua‑Gem. Ils soutiennent plutôt que la protonotaire a commis une erreur dans l’application des principes juridiques qui jouent un rôle dans les parties inhérentes à une action. Ils soutiennent que la jurisprudence invoquée ne s’applique pas [traduction] « lorsque le statut d’intervenant demandé vise uniquement la taxation des dépens et que les intervenants proposés sont personnellement responsables de ces dépens et ont donc un intérêt financier direct à leur endroit ». Aucune décision n’a été citée à l’appui de cette affirmation et je ne vois aucune raison d’écarter la jurisprudence régissant l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’autoriser une intervention.

 

  • [16] À l’audience, les appelants n’ont pas soutenu que la protonotaire Milczynski avait commis une erreur dans le choix du critère juridique applicable, tel que précisé dans l’arrêt SCFP, précité, pour décider s’il y avait lieu d’autoriser l’intervention. Ils soutiennent en fait qu’elle a commis une erreur dans l’application du critère et dans l’interprétation des faits. Je ne suis pas de cet avis. J’estime que les conclusions qu’elle a tirées sur chacun des facteurs pertinents étaient appuyées sur le dossier qui lui avait été soumis.

 

  • [17] La personne qui demande l’autorisation d’intervenir aux termes de l’article 109 des Règles doit établir en quoi sa participation aidera à la prise d’une décision sur une question de fait ou de droit se rapportant à l’instance. Les appelants se sont contentés de laisser Netbored s’occuper des questions en litige dans la présente action, jusqu’à ce qu’il semble que le voile corporatif risquait d’être soulevé. Ils soutiennent maintenant que Netbored Inc. n’a plus de fonds et ne sera pas en mesure de demander que soit limité le plus possible le montant des dépens, aussi vigoureusement qu’ils le feraient, s’ils étaient autorisés à intervenir. Ils soutiennent en outre qu’ils ont maintenant un intérêt financier dans la présente action en raison de l’action intentée en Ontario.

 

  • [18] Les appelants n’ont pas présenté d’élément de preuve établissant que Netbored Inc. ne sera pas en mesure de défendre adéquatement ses intérêts. En réalité, le dossier révèle que l’avocat retenu par le mandant de Netbored, à savoir M. Crosier, a consacré quatre jours aux contre‑interrogatoires concernant l’affidavit de Mme Eren. Quoi qu’il en soit, il ne suffit pas d’affirmer que la société n’a pas les ressources nécessaires pour défendre ses propres intérêts. Ceux qui souhaitent intervenir doivent être en mesure d’apporter un point de vue différent qui aiderait la Cour. En l’espèce, les appelants ne feraient qu’invoquer le même intérêt. Les appelants ne peuvent exiger de participer aussi tardivement, ce qui entraînerait de nouvelles productions et contre‑interrogatoires qui ne feraient que retarder la taxation des dépens.

 

  • [19] Il a été mentionné que Mme Ridley et sa société, Tyne and Wear Inc., ne se trouvent pas dans la même situation que M. Crosier, qui contrôle Netbored Inc., et qu’ils devraient être autorisés à intervenir pour contester toute taxation qui pourrait être contraire à leurs intérêts. Toutefois, à l’heure actuelle, aucun appelant n’a un intérêt direct dans l’issue de la présente action. Il n’a pas encore été donné suite aux allégations formulées contre les appelants dans l’action intentée en Ontario étant donné que le tribunal ne s’est pas encore prononcé sur les faits et qu'il n'a pas tiré de conclusion concernant la responsabilité.

 

  • [20] L’intérêt des appelants dépend, au mieux, d’allégations dont ils devraient établir le bien‑fondé par la suite. Ils se déclarent inquiets de devoir faire face à une préclusion ou à l’autorité de la chose jugée dans l’action intentée en Ontario s’ils ne sont pas autorisés à intervenir dans l’instance introduite devant la Cour fédérale. Mais ni les parties ni les questions en litige ne sont les mêmes. Une conclusion sur le montant des dépens dus par Netbored découlant de la taxation n’empêcherait pas les appelants d’interroger les défendeurs Avery et de présenter leurs moyens de défense pour répondre aux allégations présentées dans l’action intentée en Ontario. C’est sur ce point qu’ils devraient concentrer leur attention. Les efforts qu’ils ont déployés pour intervenir dans la taxation des dépens sont inopportuns.

 

  • [21] Par conséquent, je ne vois aucune raison de modifier la décision de la protonotaire.

 

  • [22] Je constate que la protonotaire Milczynski a attribué des dépens d’un montant de 2 000 $, payable immédiatement aux défendeurs Avery et que le paiement a été effectué. À mon avis, l’appel est mal fondé et a retardé indûment l’achèvement du processus de taxation. Les tentatives afin d’introduire une nouvelle preuve constituent un effort ultime pour renforcer des arguments peu solides. De graves allégations de fraude ont été portées sans qu’elles soient suffisamment fondées. Je conviens avec les défendeurs que cela devait entraîner certaines conséquences. Par conséquent, j’imposerai des dépens d’un montant de 3 000 $ payable immédiatement aux défendeurs, en plus des dépens imposés par la protonotaire.

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. L’affidavit d’Allan Crosier, daté du 9 juin 2008, n’est pas admissible en preuve dans la présente requête et doit être radié du dossier;
  2. La requête en appel de l’ordonnance de la protonotaire Milczynski, datée du 30 avril 2008, est rejetée et la Cour refuse d’autoriser les requérants à intervenir dans la taxation des dépens dans la présente action;
  3. Des dépens d’un montant de 3 000 $ s’ajoutant à ceux qui ont été imposés dans la requête sont payables immédiatement aux défendeurs par les requérants/appelants.

 

 

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


 

 

 

 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :  T-2289-03

 

INTITULÉ :  NETBORED INC.

c

AVERY HOLDINGS INC., SEAN EREN, SUSAN EREN, SUSAN KATZ, COREY KATZ et BINARY ENVIRONMENTS LTD.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :  Le 16 juin 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :  LE JUGE MOSLEY

 

DATE DE L’ORDONNANCE :  Le 8 juin 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Joel Vale

POUR LA DEMANDERESSE

Antonio Turco

POUR LES DÉFENDEURS

Arthur Birnbaum

POUR L’INTERVENANT

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Joel Vale

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Blake, Cassels & Graydon LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS

Arthur Birnbaum

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR L’INTERVENANT

 

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