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Date : 20140822


Dossier : IMM-3708-13

Référence : 2014 CF 820

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 août 2014

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

LIJIE DING

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Lijie Ding affirme être exposée à un risque en Chine parce qu’elle pratique le Falun Gong. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté sa demande d’asile, principalement pour des motifs relatifs à la crédibilité.

[2]               Madame Ding soutient qu’elle a été traitée injustement dans le cadre du processus de détermination du statut de réfugié parce que la Commission n’a pas tenu compte d’éléments de preuve présentés après l’audience et parce qu’elle s’est fondée sur un document qui ne figurait plus dans le cartable national de documentation sur la Chine. Madame Ding allègue également que la Commission a commis une erreur en exigeant qu’elle fournisse des éléments de preuve documentaires corroborant les faits qui l’ont incitée à présenter sa demande et en concluant qu’elle devrait satisfaire à une exigence de « bonne foi » dans le cadre de sa demande d’asile sur place.

[3]               Comme je l’expliquerai ci‑dessous, tout manquement à l’équité procédurale qui aurait été commis n’était aucunement déterminant quant à l’issue de l’affaire. La Commission n’a pas commis d’erreur en concluant que l’absence de documents corroborant des aspects importants de la demande de madame Ding minait la crédibilité de cette dernière. Bien que la Commission ait mal exposé le droit applicable aux demandes sur place, elle a par la suite analysé de façon adéquate ce volet de la demande de madame Ding. Par conséquent, la demande sera rejetée.

I.                   Les documents produits après l’audience

[4]               Madame Ding a été incapable de produire les originaux de certains documents d’identité lors de l’audience sur la demande d’asile, et ce, bien que des photocopies de ces documents aient été soumises à la Commission. Madame Ding a expliqué qu’elle avait perdu les originaux à la bibliothèque publique de Toronto la veille de l’audience sur la demande d’asile. Elle allègue avoir signalé la perte au personnel de la bibliothèque et à la police, mais elle n’a fourni aucun document pour corroborer son allégation. Il n’a nullement été question à l’audience de la possibilité que madame Ding dépose des documents après l’audience en lien avec cet enjeu ou tout autre enjeu.

[5]               L’après‑midi précédant la journée où la Commission a rendu sa décision, l’avocat de madame Ding a fait parvenir une lettre de deux lignes au greffier de la Commission dans laquelle il demandait à ce qu’une lettre de la bibliothèque publique de Toronto jointe à l’envoi soit transmise à la commissaire. La lettre de la bibliothèque confirmait que madame Ding avait signalé la perte d’un sac à la bibliothèque la veille de l’audience relative à la demande d’asile.

[6]               La lettre se trouve dans le dossier certifié du tribunal, mais il est difficile de savoir si la Commission a vu la lettre avant de rendre sa décision, puisqu’elle n’en a aucunement fait mention dans ses motifs.

[7]               Madame Ding reconnaît qu’elle n’a pas respecté la procédure prévue dans les règles de la Commission en matière de production d’éléments de preuve après l’audience, et aucune explication n’a été fournie à la Commission pour justifier la production tardive du document. Il ne ressort même pas clairement de la lettre de l’avocat qu’il souhaitait déposer le document à titre d’élément de preuve produit après l’audience. Dans les circonstances, je ne suis pas convaincue que, même si la Commission n’a pas tenu compte de la preuve en question, il y ait eu manquement à l’équité procédurale.

[8]               Même si je concluais que l’omission de la Commission de tenir compte de la lettre constituait un manquement à l’équité procédurale, le fait est que, en fin de compte, la Commission a reconnu que madame Ding est citoyenne chinoise et mariée, soit justement ce que le certificat de mariage et le Hukou étaient censés établir. La Commission a tiré une conclusion défavorable relativement à la crédibilité de madame Ding en raison de la perte de ses documents, mais il ne s’agissait là que d’une seule conclusion parmi de nombreuses autres conclusions défavorables relativement à la crédibilité que la Commission a tirées. Par conséquent, tout manquement à l’équité procédurale n’était aucunement déterminant quant à l’issue de l’affaire.

II.                Le fait que la Commission s’est fondée sur un document ne figurant pas dans le cartable national de documentation

[9]               Madame Ding allègue que le Bureau de la sécurité publique (le BSP), qui était à sa recherche, s’est rendu chez elle à huit reprises. Lorsqu’on lui a demandé si le BSP lui avait laissé une assignation chez elle, madame Ding a été incapable de répondre à la question et elle n’a produit aucune assignation lors de l’audience relative à la demande d’asile.

[10]           La Commission a souligné que le BSP laissait souvent des assignations auprès des membres de la famille de la personne recherchée. Bien qu’elle ait reconnu que ce ne soit pas toujours le cas, la Commission a conclu que, si le BSP s’était rendu chez madame Ding à huit reprises, cela donnerait à penser que le BSP avait plus qu’un simple intérêt à son égard. Dans ces circonstances, la Commission a conclu qu’on pourrait raisonnablement s’attendre à ce qu’une assignation soit laissée à la maison de la demanderesse.

[11]           À l’appui de cette conclusion la Commission a renvoyé à la Réponse à la demande d’information de 2004 portant sur le recours à des assignations par le BSP, et elle a souligné dans une note de bas de page dans sa décision que ce document ne figurait plus dans le cartable de documentation nationale sur la Chine. Madame Ding allègue qu’il y a eu atteinte à l’équité procédurale à son égard parce que la Commission s’est fondée sur des éléments de preuve qui étaient, en toutes fins pratiques, extrinsèques, et ce, sans lui donner l’occasion d’y répondre.

[12]           Je suis d’accord avec madame Ding : il était injuste que la Commission se fonde sur le document en question. Les cartables nationaux de documentation ont justement pour but premier de faire en sorte que toutes les parties aient accès aux renseignements pertinents sur la situation dans le pays et que les demandeurs d’asile soient au fait des documents sur lesquels la Commission se fiera. Il était loisible à la Commission de tenir compte du document en question, mais la Commission, en toute équité, était tenue d’en aviser madame Ding et de lui donner l’occasion de répondre au document, si cette dernière l’estimait nécessaire.

[13]           Cela étant dit, madame Ding n’a soulevé aucune différence importante entre le document de 2004 sur lequel la Commission s’est fiée et celui qui l’a remplacé et qui figure à l’heure actuelle dans le cartable national de documentation sur la Chine. Par conséquent, encore une fois, tout manquement à l’équité procédurale qui a été être commis n’était aucunement déterminant quant à l’issue de la présente affaire.

III.             L’absence de preuve corroborante

[14]           Madame Ding soutient que la Commission a commis une erreur en faisant reposer sa conclusion défavorable relativement à la crédibilité sur l’absence de documents corroborant sa demande.

[15]           La Cour a souvent conclu que, malgré la présomption selon laquelle la déclaration sous serment doive être tenue pour véridique et qu’elle ne peut être minée par l’absence d’élément de preuve corroborant, il existe une exception à ce principe : une conclusion défavorable peut être tirée à l’égard d’un demandeur d’asile si la Commission n’accepte pas l’explication que ce dernier a donnée pour justifier l’omission de produire un élément de preuve alors qu’il était raisonnable de s’attendre à ce qu’il le fasse. Voir, par exemple, Rojas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 849, au paragraphe 6, [2011] ACF no 1048. C’est ce qui s’est produit en l’espèce, et aucune erreur n’a été établie à cet égard.

IV.             La question de la « bonne foi »

[16]           Madame Ding affirme qu’elle a pratiqué le Falun Gong tant en Chine qu’au Canada et que le fait qu’elle ait pratiqué le Falun Gong dans son pays d’origine lui donnait le droit de présenter une demande sur place. Après avoir conclu que madame Ding n’était pas une adepte du mouvement Falun Gong lorsqu’elle était en Chine, la Commission s’est penchée sur la question de savoir si madame Ding avait vraiment pratiqué le Falun Gong au Canada.

[17]           Dans le cadre de l’examen de cette question, la Commission a tout d’abord souligné qu’« il est raisonnable de s’attendre à de la « bonne foi » dans le cadre de la présentation d’une demande d’asile ». La Commission a ensuite avancé qu’en l’absence d’une exigence de bonne foi, les demandeurs d’asile pourraient unilatéralement créer des conditions qui mèneraient nécessairement à l’octroi du statut de réfugié : décision de la Commission, au paragraphe 33.

[18]           Les parties conviennent qu’il s’agit d’une interprétation erronée du droit canadien en matière d’immigration et qu’il n’existe aucune exigence de bonne foi dans le cadre des demandes d’asile sur place : Ghasemian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1266, [2003] ACF no 1591.

[19]           Un demandeur d’asile peut se livrer à des activités – par exemple, dénoncer publiquement l’État visé après être arrivé au Canada – dans le seul but de donner du poids à sa demande d’asile. Or, même si le demandeur agit de la sorte, la Commission est tout de même tenue d’établir si ces activités pourraient faire en sorte que le demandeur ait raison de craindre d’être persécuté à l’avenir dans son pays d’origine : Yang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 849, [2012] ACF no 961.

[20]           Cela étant dit, le fait que le demandeur a manipulé sa situation pour pouvoir revendiquer le statut de réfugié peut quand même constituer un facteur pertinent lorsqu’il s’agit d’évaluer sa crédibilité : Ghasemian, précitée, paragraphe 32.

[21]           Bien que la Commission ait mal exposé le droit en ce qui a trait à la question de la bonne foi au début de son analyse, il ressort de la décision, interprétée dans son ensemble, que la Commission n’a pas imposé l’exigence de bonne foi à madame Ding dans le cadre sa demande sur place. Elle a plutôt examiné l’ensemble de la preuve dont elle était saisie afin d’établir si madame Ding pratiquait vraiment le Falun Gong au Canada.

[22]           La Commission avait de nombreux et sérieux doutes relativement à la crédibilité du récit de madame Ding. Ces doutes visaient notamment le fait que cette dernière ait tardé à présenter sa demande d’asile, l’absence de document corroborant ses allégations et le fait que son époux a été capable de vivre en sécurité et d’exploiter son entreprise en Chine malgré que madame Ding soit, selon ses dires, une adepte du Falun Gong.

[23]           La Commission avait le droit de tenir compte de ses conclusions défavorables relativement à la crédibilité dans le cadre de l’examen de la demande sur place de madame Ding : Jiang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1067, au paragraphe 27, [2012] ACF no 1149. Puisqu’elle avait remis en question l’intégrité générale de madame Ding, la Commission a conclu que cette dernière n’avait pas établi qu’elle pratiquait vraiment le Falun Gong au Canada ou qu’elle serait exposée à un risque si elle retournait en Chine. Vu le dossier dont elle était saisie, il était loisible à la Commission de tirer cette conclusion.

V.                Conclusion

[24]           Pour les motifs exposés ci‑dessus, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Je conviens avec les parties que la présente affaire ne soulève aucune question aux fins de certification.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Anne L. Mactavish »

Juge

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3708-13

 

INTITULÉ :

LIJIE DING c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 AOÛT 2014

 

jugEment ET MOTIFS :

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :

LE 22 AOÛT 2014

 

COMPARUTIONS :

M. Nkunda I. Kabateraine

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

M. Nicholas Dodokin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nkunda I. Kabateraine

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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