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Date : 20140806


Dossier : T-1643-11

Référence : 2014 CF 776

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 août 2014

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

SYNCRUDE CANADA LTD

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS


TABLE DES MATIÈRES

 

Paragraphe

I.          Introduction .................................................................................................            

1

II.        Contexte factuel............................................................................................

2

III.       Questions à trancher......................................................................................

10

IV.       Analyse..........................................................................................................

11

            A.        Validité constitutionnelle du RCR à l’égard de Syncrude...............

11

                        (1)        L’objet principal – le caractère véritable...............................

17

                                    (a)        L’objet du RCR........................................................

17

                                    (b)        L’effet du RCR.........................................................

40

                                    (c)        Conclusion concernant le caractère véritable............

54

                        (2)        Classification de la mesure législative : l’analyse des chefs de compétence...................................................................................             ...............................................................................................

55

                                    (a)        Pouvoir en matière de droit criminel.........................

56

                                    (b)        Conclusion sur la validité constitutionnelle...............

86

                                    (c)        Doctrine des pouvoirs accessoires.............................

87

                                                Les chefs de compétence..........................................

91

                                                La nature de la disposition........................................

93

                                                L’activité législative antérieure dans le domaine en cause..........................................................................

95

            B.        Validité législative du paragraphe 5(2) du RCR..............................

98

                        (1)        La condition préalable établie au paragraphe 140(2) a-t-elle été respectée??           

103

                        (2)        Une évaluation environnementale stratégique était-elle requise?..............................................................................................

119

                        (3)        Le RCR est-il incompatible avec l’objet de la LCPE?..........

124

            C.        Y a-t-il eu manquement aux principes d’équité procédurale?...........

138

                        (1)        Dépôt de l’avis d’opposition de Syncrude après le délai prescrit                                                                                                           

140

                        (2)        Il n’y a pas de devoir d’agir équitablement dans le cadre d’un processus législatif....................................................................

144

(3)        La décision de constituer ou non une commission de révision n’est pas de nature administrative.......................................

157

                        (4)        Conclusion concernant l’équité procédurale.........................

161

            D.        Interprétation du ministre des termes «danger » et « substance »....

162

            E.         Caractère raisonnable de la décision sur le fond...............................

166

V.        Conclusion.....................................................................................................                         ...........................................................................................................

179

Jugement

Annexe A

 


I.                   Introduction

[1]               En vertu de la réglementation fédérale, le carburant diesel produit au Canada doit contenir au moins 2 p. 100 de carburant renouvelable. Syncrude Canada Ltd. [ci-après, Syncrude] produit du carburant diesel sur ses sites d’exploitation des sables bitumineux en Alberta et l’utilise sur place dans ses véhicules et son matériel. Selon Syncrude, l’exigence réglementaire concernant la teneur minimale de 2 p. 100 en carburant renouvelable n’est pas valide et ne s’applique pas à elle.

II.                Contexte factuel

[2]               Les dispositions législatives en cause sont reproduites à l’annexe A.

[3]        En vertu du paragraphe 139(1) de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999), LC 1999, c 33 [LCPE], « [i]l est interdit de produire, d’importer ou de vendre un combustible non conforme aux normes réglementaires ». Le paragraphe 272(1) de la LCPE dispose que quiconque contrevient au paragraphe 139(1) commet une infraction. En cas de poursuite par mise en accusation, Syncrude serait passible, pour une première infraction, d’une amende d’au moins 500 000 $ et d’au plus 6 000 000 $ et, en cas de récidive, d’une amende d’au moins 1 000 000 $ et d’au plus 12 000 000 $ (paragraphe 272(3) de la LCPE).

[4]        Le paragraphe 140(1) de la LCPE prévoit que, sur recommandation du ministre, le gouverneur en conseil peut prendre « tout règlement d’application de l’article 139 ». En 2010,   la gouverneure en conseil a promulgué le Règlement sur les carburants renouvelables, DORS/2010-189 [RCR]. En vertu du paragraphe 5(2) du RCR, le carburant diesel produit, importé ou vendu au Canada doit contenir au moins 2 p. cent de carburant renouvelable en volume. Cette exigence est entrée en vigueur le 1er juillet 2011. Il est possible de satisfaire à cette exigence relative au carburant renouvelable en mélangeant le diesel et le biodiesel, un carburant fabriqué avec des déchets biologiques tels que l’huile à friture, ou à partir de matières premières biologiques telles que le canola, le soja ou d’autres cultures. Il est également possible de satisfaire à cette exigence en achetant des unités de conformité auprès de ceux dont le carburant diesel contient plus de 2 p. cent de carburant renouvelable. Par le passé, Syncrude a respecté l’exigence réglementaire en achetant des unités de conformité.

[5]        Syncrude produit du pétrole synthétique et d’autres substances en extrayant et en transformant les sables bitumineux dans la région des sables bitumineux de l’Athabasca, en Alberta. Le procédé consiste à extraire les sables bitumineux de mines à ciel ouvert, à séparer le bitume du sable, à transformer le bitume en composantes de pétrole brut, à valoriser et à adoucir les types de pétrole ainsi produits, à combiner les types de pétrole en pétrole synthétique, puis à remettre en état les zones d’extraction et d’exploitation.

[6]        Syncrude utilise un parc de matériel spécialisé pour mener à bien ses activités d’extraction. Pour alimenter ce matériel, elle achète du carburant diesel, mais produit aussi une grande partie de son propre carburant diesel sur place. Le carburant qu’elle produit sur place est utilisé uniquement par Syncrude et seulement dans la province de l’Alberta. En 2010, Syncrude a consommé dans le cadre de ses activités plus de 361 millions de litres de carburant diesel, dont plus de 204 millions de litres qu’elle a elle-même produits.

[7]        Le 26 avril 2011, soit après la promulgation du RCR, mais avant l’entrée en vigueur du paragraphe 5(2), Syncrude a déposé un avis d’opposition au projet de règlement et a demandé qu’une commission de révision soit constituée pour [traduction] « enquêter sur la nature et l’importance du danger que représente […] la substance visée par [le] projet de règlement d’application ».

[8]        Le ministre a répondu le 18 août 2011 qu’il rejetait la demande de Syncrude concernant la tenue d’une commission de révision :

[traduction] Vos observations ont été prises en compte lors de la préparation de la version finale du Règlement modifiant le Règlement sur les carburants renouvelables. Les réponses aux observations reçues ont été incluses dans le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation présenté avec la version finale du Règlement, publié dans la Gazette du Canada le 20 juillet [2011].

[9]        Syncrude conteste la validité constitutionnelle et la validité juridique du paragraphe 5(2) du RCR. Elle soutient également que le ministre a manqué aux principes d’équité procédurale en prenant la décision de ne pas constituer de commission de révision; de plus, elle affirme que la décision du ministre à cet égard était déraisonnable.

III.             Questions à trancher

[10]      Outre la question de la norme de contrôle applicable, la Cour doit examiner les questions suivantes :

1.                  Le Parlement a-t-il le pouvoir constitutionnel voulu pour appliquer l’exigence relative à la teneur en biodiesel prévue au paragraphe 5(2) du RCR au carburant diesel de Syncrude?

2.                  Le gouverneur en conseil a‑t‑il outrepassé ses pouvoirs réglementaires en vertu de l’article 140 de la LCPE en adoptant le RCR?

3.                  Le ministre a-t-il manqué aux principes d’équité procédurale en prenant la décision de ne pas constituer de commission de révision, en raison de son omission de fournir des motifs et de consulter Syncrude?

4.                  Le ministre a-t-il erronément interprété les mots « danger » et « substance » à l’article 333 de la LCPE?

5.                  La décision du ministre était-elle déraisonnable quant au fond?

IV.             Analyse

A.                Validité constitutionnelle du RCR à l’égard de Syncrude

[11]      La norme de la décision correcte s’applique aux questions se rapportant à la compétence constitutionnelle et à la répartition des pouvoirs entre une province et le gouvernement fédéral :  Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 58.

[12]      Le ministre signale avec raison dans son mémoire que [traduction] « Syncrude conteste uniquement la validité constitutionnelle du paragraphe 5(2) du RCR, et seulement en ce qui a trait à son application aux activités de Syncrude ». Il soutient que [traduction] « le paragraphe 5(2) constitue, de par son caractère véritable, une utilisation légitime du pouvoir fédéral de légiférer en matière de droit criminel en vue de lutter contre la pollution atmosphérique en imposant une teneur minimale de 2 p. cent en carburant renouvelable dans le carburant diesel produit ». Syncrude soutient que l’objet et l’effet principaux du paragraphe 5(2) du RCR sont la réglementation de ressources non renouvelables et la promotion des avantages économiques liés à la protection de l’environnement, et que, [traduction] « plus précisément, ce paragraphe a pour objet principal et pour effet principal de créer une demande pour les biocombustibles dans le marché canadien »; Syncrude fait valoir que toute interdiction de causer un préjudice qui découle du paragraphe n’est qu’accessoire.

[13]      Pour les motifs énoncés ci-dessous, je conclus que le gouvernement fédéral avait le pouvoir d’adopter le RCR; il s’agit d’un exercice valide de son pouvoir de légiférer en matière de droit criminel.

[14]      Dans l’arrêt Québec (Procureur général) c Canada (Procureur général), 2010 CSC 61, [2010] 3 RCS 457 [Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée], la Cour suprême du Canada établit le cadre devant servir à trancher les questions liées au partage des pouvoirs. Au paragraphe 16, la juge en chef signale que lorsque, comme en l’espèce, la contestation ne vise qu’une ou deux dispositions d’une loi ou d’un règlement, et non son ensemble, un tribunal peut examiner d’abord les dispositions visées, car si ces dernières n’empiètent pas sur la compétence en cause, il n’est alors plus nécessaire de poursuivre l’analyse. Toutefois, elle a ajouté que, pour circonscrire la portée des dispositions contestées, il se peut qu’il faille examiner le régime ou le règlement dans son ensemble, compte tenu de la nécessité « de considérer ces dispositions dans leur contexte ».   

[15]      Le paragraphe 5(2) du RCR, interprété de manière isolée et sans se rapporter à sa loi habilitante, est une mesure interdisant la production, l’importation ou la vente de carburant diesel qui contient moins de 2 p. cent de carburant renouvelable, si bien qu’il est possible d’avancer, comme le fait Syncrude, que ce paragraphe vise les travaux et entreprises d’une nature locale,  la propriété et les droits civils, les questions de nature purement locale ou privée, ou le développement des ressources naturelles non renouvelables – questions qui relèvent de la compétence des provinces, et non de la compétence fédérale. Toutefois, comme l’a noté la Cour suprême, il faut aller plus loin et se demander quel est l’objet et quel est l’effet de la disposition ainsi que quel rôle elle joue dans l’ensemble du régime de réglementation. Au paragraphe 19 de l’arrêt Ward c Canada (Procureur général), 2002 CSC 17, [2002] 1 RCS 569 [Ward], la juge en chef a déclaré que : « [l]a question n’est pas tant de savoir si le Règlement interdit la vente que de savoir pourquoi celle‑ci est interdite ». Pour répondre à cette question, il faut considérer le paragraphe dans son contexte, ce qui, en l’espèce, signifie qu’il faut examiner non seulement le RCR, mais aussi la LCPE. La Cour doit examiner le régime législatif dans son ensemble et décider s’il constitue un exercice valide de la compétence fédérale. Ensuite, elle doit se demander si le paragraphe en cause est valide lui aussi.

[16]      L’analyse de la validité se fait en deux étapes. D’abord, il déterminer l’objet principal – le caractère véritable – de la mesure législative. Ensuite, une fois ce caractère véritable ainsi établi, il faut décider s’il relève de l’un des chefs de compétence du gouvernement fédéral ou des provinces. Le caractère véritable d’une mesure législative est établi en examinant l’objet et l’effet de cette mesure. Comme l’a noté la juge en chef au paragraphe 22 de l’arrêt Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, qui citait un article de D.W. Mundell : « Il faut se demander ce [traduction] ‟[q]u’accomplit en fait la loi et dans quel dessein?” »

(1)               L’objet principal – le caractère véritable

(a)                L’objet du RCR

[17]      Étant donné que le RCR est une mesure législative subordonnée, il est pertinent de prendre en considération l’objet explicite de sa loi habilitante, la LCPE. Bien que l’objet de la LCPE ne soit pas un facteur déterminant pour établir le caractère véritable du RCR, il nous fournit des renseignements de base et une mise en contexte. Les extraits ci-dessous tirés du préambule de la LCPE sont instructifs et montrent que la LCPE vise entre autres à prévenir la dégradation de l’environnement, à protéger l’environnement et la santé humaine, et à assigner aux pollueurs les coûts et la responsabilité de la pollution. La LCPE prévoit que, lors de l’élaboration de lois visant à atteindre ces objectifs, divers intérêts seront pris en compte, notamment les questions d’environnement, de santé et d’ordre social, économique ou technique :

Attendu :

[…]

[que le gouvernement du Canada] s’engage à adopter le principe de la prudence, si bien qu’en cas de risques de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement;  

[…]

qu’il reconnaît l’importance de s’efforcer, en collaboration avec les gouvernements provinciaux et territoriaux et les autochtones, d’atteindre le plus haut niveau possible de qualité de l’environnement pour les Canadiens et de contribuer ainsi au développement durable;

[…]

qu’il reconnaît le rôle naturel de la science et le rôle des connaissances autochtones traditionnelles dans l’élaboration des décisions touchant à la protection de l’environnement et de la santé humaine et la nécessité de tenir compte des risques d’atteinte à l’environnement ou à la santé ainsi que de toute question d’ordre social, économique ou technique lors de cette élaboration;

qu’il reconnaît la responsabilité des utilisateurs et producteurs à l’égard des substances toxiques, des polluants et des déchets et a adopté en conséquence le principe du pollueur-payeur;

[…]

[Non souligné dans l’original.]

[18]      Le préambule du RCR, qui met l’accent sur la réduction de la pollution atmosphérique, est également instructif :

Attendu que la gouverneure en conseil estime que le projet de règlement pourrait contribuer sensiblement à prévenir ou à réduire la pollution atmosphérique résultant, directement ou indirectement, de la présence de carburant renouvelable dans l’essence, le carburant diesel ou le mazout de chauffage;

[…]

[19]      La Cour suprême a conclu sans équivoque que les tribunaux peuvent prendre en considération le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation [REIR] qui est joint à un règlement pour déterminer l’objet de ce règlement et son application envisagée : Bristol-Myers Squibb Co c Canada (Procureur général), 2005 CSC 26, [2005] 1 RCS 533, au paragraphe 157.

[20]      Les divers REIR qui ont été publiés relativement au RCR ont indiqué que les émissions de gaz à effet de serre [GES] étaient la principale préoccupation du ministre au moment où il a proposé le RCR.

[21]      En 2005, six GES ont été ajoutés à l’annexe 1 de la LCPE, qui dresse la liste des substances toxiques. Selon le REIR joint aux modifications apportées à l’annexe 1 en 2005 et publié dans la Gazette du Canada Partie II, vol. 139, no 24, à la page 2627, ces substances ont été inscrites sur la liste des substances toxiques parce qu’elles « ont des potentiels de réchauffement du globe (PRG) élevés, elles persistent pendant longtemps dans l’atmosphère, et constituent donc une préoccupation mondiale […] [et] ont le potentiel de contribuer substantiellement au changement climatique ». De plus, « les activités humaines, et en particulier la combustion des combustibles fossiles » ont entraîné une augmentation substantielle des concentrations atmosphériques des GES, ce qui pourrait entraîner une augmentation de la fréquence et de l’intensité des vagues de chaleur qui pourrait, à son tour « entraîner une augmentation des maladies et des décès » (page 2634).

[22]      En 2006, l’avis d’intention d’élaborer le RCR a été publié dans la Gazette du Canada Partie I, vol. 140, no 52. Selon cet avis :

L’utilisation de carburants renouvelables peut comporter d’importants avantages pour l’environnement, y compris des émissions réduites de gaz à effet de serre (GES), des incidences moins considérables sur les écosystèmes fragiles en cas de déversement en raison de leur biodégradabilité, et la réduction de certains gaz d’échappement, comme le monoxyde de carbone, le benzène, le 1,3-butadiène et les particules. Toutefois, l’utilisation d’éthanol peut accroître les émissions de composés organiques volatils, d’oxydes d’azote et d’acétaldéhyde.

[23]      Sous la rubrique « Raison d’agir », les auteurs de l’avis ont mis l’accent d’abord sur la réduction des GES :

L’utilisation de carburants renouvelables peut être avantageuse pour l’environnement en réduisant considérablement les émissions de gaz à effet de serre. Il est prévu que cet avantage à mesure que les matières premières et les technologies de la prochaine génération seront en ligne.

Si la quantité de carburant renouvelable représentait 5 % du stock de carburant utilisé pour les transports au Canada, il en résulterait une augmentation de carburant renouvelable utilisé de 1,9 milliard de litres par année, soit plus que les effets des règlements provinciaux déjà en place. Cela représente une augmentation des réductions des émissions de GES pendant le cycle de vie égale à 2,7 millions de tonnes annuellement (les émissions équivalentes à près de 675 000 véhicules).

[24]      L’avis comportait d’autres justifications pour le projet de règlement, notamment des avantages pour l’économie et les agriculteurs canadiens :

Une entrée rapide sur le marché des carburants renouvelables et dans la bioéconomie générale peut être avantageuse à court et à long terme pour l’économie canadienne et permettre aux agriculteurs de trouver de nouveaux débouchés, de compenser les pertes financières et de diversifier leurs sources de revenus.

La nouvelle bioéconomie mondiale permet de diversifier les revenus agricoles en créant des débouchés pour les agriculteurs canadiens étant donné que les pays industrialisés et les pays en développement abandonnent leur dépendance à l’égard des carburants fossiles pétroliers classiques en faveur de solutions plus durables. Le potentiel économique de la bioéconomie est important; d’ici 2050, le marché mondial des carburants renouvelables et de la bioénergie à lui seul augmentera probablement de 5 milliards de dollars par année à plus de 150 milliards de dollars annuellement.

[25]      Le projet de règlement reconnaissait que les provinces réglementaient aussi la teneur en carburant renouvelable et offraient des incitatifs fiscaux pour promouvoir la production et l’utilisation de carburants renouvelables. Toutefois, l’avis signalait qu’il était également souhaitable de mettre en place une réglementation fédérale pour « régler des incohérences créées par une mosaïque d’exigences provinciales » qui pourraient « nuire au commerce interprovincial, par exemple en favorisant l’utilisation de biocarburants produits dans une province donnée ».

[26]      En avril 2010, une version préliminaire du RCR a été publiée dans la Partie I de la Gazette du Canada. Le public a eu la possibilité de soumettre des observations ou des avis d’opposition. En septembre 2010, le RCR a été publié dans la Canada Gazette Partie II, vol. 144, no 18.

[27]      Le REIR joint au RCR [REIR de septembre 2010] affirme explicitement que l’enjeu visé est l’émission de GES :

Les gaz à effet de serre (GES) sont les principaux contributeurs aux changements climatiques. Les plus importantes sources d’émission de GES sont anthropogéniques et résultent principalement de la combustion de combustibles fossiles. Les émissions de GES ont augmenté de façon considérable depuis la révolution industrielle et cette tendance risque de se maintenir si aucune mesure n’est prise. […] Le gouvernement du Canada s’est engagé à réduire les émissions de GES totales du Canada de 17 % des niveaux d’émissions enregistrés en 2005 d’ici 2020.

Les initiatives existantes entreprises par le gouvernement du Canada visant l’utilisation de carburants renouvelables afin de réduire significativement les émissions de GES ont connu un succès mitigé. En raison des préoccupations environnementales que soulèvent les changements climatiques, des mesures supplémentaires sont requises afin de réduire davantage ces émissions.

[…]

[Le Règlement] a pour objectif de réduire les émissions de GES en imposant une teneur moyenne de 5 % en carburant renouvelable basée sur le volume d’essence, contribuant ainsi à la protection des Canadiens et de l’environnement des répercussions associées aux changements climatiques. […] Le Règlement permet de s’acquitter des engagements prévus dans la Stratégie sur les carburants renouvelables, laquelle vise à réduire les émissions de GES dues aux carburants liquides à base de pétrole et à créer une demande de carburants renouvelables au Canada.

[…]

[Le Règlement] permettra de promouvoir une approche cohérente et intégrée à l’échelle nationale et de contribuer sensiblement à réduire la pollution atmosphérique provenant des GES afin de protéger la santé et l’environnement des Canadiens.

[28]      Des explications très similaires ont été fournies dans le REIR joint aux modifications apportées au RCR en 2011, qui fixaient le 1er juillet 2011 comme date d’entrée en vigueur de l’exigence relative à la teneur en biodiesel de 2 p. cent prévue au paragraphe 5(2) du RCR : Gazette du Canada Partie I, vol. 145, no 9.

[29]      Comme nous l’avons vu, l’objet de la LCPE est de promouvoir la qualité de l’environnement, de faire face aux menaces de dommages environnementaux, d’atteindre le niveau le plus élevé de qualité de l’environnement pour tous les Canadiens et, au bout du compte, de contribuer au développement durable.

[30]      Le RCR est compatible avec tous ces objectifs. Les REIR joints au RCR et à sa modification qui fixait la date d’entrée en vigueur du paragraphe 5(2) énoncent clairement que les émissions de GES constituent une menace importante et durable pour l’environnement, ont des potentiels de réchauffement du globe élevés, et peuvent avoir une incidence directe sur la santé des Canadiens. Les REIR ajoutent que les carburants renouvelables contribuent de manière importante à la réduction des émissions de GES selon le principe du cycle de vie. Même si les provinces ont présentement des règlements qui imposent des exigences liées aux carburants renouvelables, le Parlement était d’avis que la réglementation fédérale serait complémentaire aux réglementations provinciales, et comblerait des lacunes et corrigerait des incohérences de ces dernières.

[31]      Il ne fait aucun doute que le RCR visait aussi à accroître la demande pour les carburants renouvelables et à créer de nouveaux débouchés commerciaux pour les producteurs agricoles et les communautés rurales – le REIR indique explicitement que cela fait partie du projet. Toutefois, le REIR précise également que ces retombées économiques s’inscrivent dans une Stratégie sur les carburants renouvelables qui compte quatre volets, dont un consiste à réduire les émissions de GES : Gazette du Canada Partie II, vol. 144, no 18, aux pages 1684-1685. Ces mêmes objectifs ont été exposés dans les Questions et réponses relatives au Règlement sur les carburants renouvelables, qui visent à expliquer le RCR.

[32]      Selon la jurisprudence canadienne, l’économie et l’environnement ne s’excluent pas mutuellement – ils sont étroitement liés. Au paragraphe 93 de l’arrêt Friends of Oldman River Society c Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 RCS 3, la Cour suprême du Canada a affirmé que : « L’environnement, dans son sens générique, englobe l’environnement physique, économique et social touchant plusieurs domaines de compétence attribués aux deux paliers de gouvernement. »  Au paragraphe 96, la Cour ajoute que « il ne serait pas logique d’affirmer que la Constitution ne permet pas au Parlement de tenir compte des vastes répercussions environnementales, y compris des préoccupations socio‑économiques, lorsqu’il légifère relativement à des décisions de cette nature ». Cela concorde avec le préambule de la LCPE selon lequel il faut « tenir compte des risques d’atteinte à l’environnement ou à la santé ainsi que de toute question d’ordre social, économique ou technique ».

[33]      Selon Syncrude, les dépenses importantes du gouvernement fédéral en vue de promouvoir l’industrie des carburants renouvelables démontrent que l’objet principal du RCR était la création d’un marché pour les carburants renouvelables. Par exemple, le gouvernement du Canada a accordé 200 millions de dollars pour les dépenses en immobilisations relatives à la construction ou à l’élargissement des installations de production de carburants renouvelables, 1,5 milliard de dollars sur une période de neuf ans pour soutenir la production de carburants renouvelables au Canada, 500 millions de dollars sur une période de huit ans pour la production de carburants renouvelables de la prochaine génération, et 10 millions de dollars sur une période de deux ans pour la recherche et l’analyse scientifiques.

[34]      À mon avis, Syncrude adopte une interprétation à courte vue du rôle du RCR en ce qui a trait au but ultime de réduire les émissions de GES. Un volet de la stratégie à long terme consistait à créer une demande pour les carburants renouvelables qui serait le moteur du développement des technologies de prochaine génération. Le Parlement s’attendait à ce que ces technologies de prochaine génération contribuent à des réductions plus importantes de GES à long terme. Toutefois, il devait créer [traduction] « les conditions nécessaires pour assurer la mise sur le marché de ces technologies de prochaine génération », dont l’établissement d’une demande pour les carburants renouvelables afin de [traduction] « donner à l’industrie la certitude requise pour obtenir des investissements et un approvisionnement en carburants renouvelables pour le marché canadien » : Questions et réponses relatives au Règlement sur les carburants renouvelables.

[35]      Par conséquent, la création d’une demande pour des carburants renouvelables était un volet essentiel de la stratégie globale de réduction des émissions de GES, mais elle n’en était pas l’objet principal. La raison pour laquelle le gouvernement voulait créer une demande pour ces carburants était de stimuler la réduction à long terme des émissions de GES.

[36]      Comme l’a affirmé le ministre de l’Environnement dans une entrevue le 23 mai 2006, [traduction] « la question que nous nous posons est, tout d’abord, de savoir si la technologie dans laquelle nous envisageons d’investir va assurer les meilleures possibilités de réduction des émissions » [non souligné dans l’original]. Dans la même entrevue, à la question de savoir s’il y aurait [traduction] « un bénéfice net pour l’environnement », le ministre a répondu : [traduction] « Oui. Et c’est la raison pour laquelle nous avons réuni ces trois volets. Nous ne pouvons pas mettre en place ce cadre sans les trois volets de l’énergie, de l’environnement et de l’agriculture » [non souligné dans l’original].

[37]      Le motif sous-jacent de la contribution aux coûts d’infrastructure, à la production de carburants renouvelables et à l’investissement dans les technologies de prochaine génération était de « procurer des bienfaits encore plus grands pour l’environnement (sur le plan de la réduction des GES) » : Gazette du Canada Partie I, vol. 145, no 9, à la page 699. La création de débouchés économiques et agricoles était un volet incontournable de la stratégie élaborée pour atteindre ces objectifs.

[38]      Au paragraphe 76 de son mémoire modifié des faits et du droit, Syncrude reconnaît qu’une partie de l’objectif du RCR était d’encourager la production de carburants renouvelables de prochaine génération et de mettre en place des incitatifs en matière d’immobilisations en vue de générer des possibilités pour les agriculteurs dans le secteur des biocombustibles. Elle note que ces incitatifs ainsi que d’autres génèrent collectivement une demande pour les biocombustibles. Ce que Syncrude néglige, c’est qu’il fallait créer la demande du marché pour des carburants renouvelables et des technologies de pointe liées aux carburants renouvelables en vue d’atteindre le but général consistant à réduire davantage les émissions de GES.

[39]      À mon avis, pour les motifs exposés ci-dessus, l’objet principal du RCR était d’apporter une contribution importante à la réduction de la pollution atmosphérique, sous la forme de réductions des émissions de GES.

(b)               L’effet du RCR

[40]      La deuxième étape de l’analyse du caractère véritable consiste à examiner l’effet de la mesure législative sur les personnes qui y sont assujetties. La Cour peut examiner à la fois son effet juridique et son effet pratique : Bande Kitkatla c Colombie-Britannique (Ministre des Petites et moyennes entreprises, du Tourisme et de la Culture), [2002] 2 RCS 146, au paragraphe 54.

[41]      Syncrude soutient que, au mieux, l’effet de la mesure législative d’un point de vue environnemental était inconnu au moment où le RCR a été mis en place. Il y avait des données contradictoires concernant la quantité réelle de réductions des émissions des GES que les carburants renouvelables généraient en comparaison avec les carburants traditionnels. Syncrude soutient qu’il y avait des données tendant à indiquer que la production et l’utilisation de carburants renouvelables généraient en fait plus d’émissions de GES que les combustibles traditionnels.

[42]      Le ministre soutient que l’analyse du caractère véritable ne s’attache pas à l’efficacité de la mesure législative ou à la question de savoir si cette dernière atteint véritablement ses objectifs – il s’agit là d’une préoccupation qu’il conviendrait de soumettre au Parlement.

[43]      Je suis d’accord avec le ministre qu’il n’incombe pas à la Cour d’évaluer l’efficacité de la mesure législative pour ce qui est d’atteindre son objet déclaré, comme l’a signalé la Cour suprême dans l’arrêt Ward, au paragraphe 18 :

L’analyse du caractère véritable n’est ni technique, ni formaliste. Il s’agit essentiellement d’une question d’interprétation. Les tribunaux examinent les termes employés dans la mesure législative attaquée, de même que le contexte et les circonstances dans lesquels cette mesure a été adoptée. Lorsqu’il procède à cette analyse, le tribunal ne devrait pas se préoccuper de l’efficacité de la loi ou de la question de savoir si elle permet de réaliser les objectifs du législateur [renvois omis et non souligné dans l’original].

[44]      L’effort de Syncrude en vue de présenter une preuve qui met en doute les conclusions quant aux réductions réelles d’émissions de GES obtenues grâce au recours aux carburants renouvelables est vain : l’efficacité de la mesure législative ou la question de savoir si elle permet de réaliser les objectifs du législateur n’est pas une considération pertinente. Comme l’a affirmé la Cour suprême dans l’arrêt Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu (Can), [2000] 1 RCS 783 [Renvoi sur les armes à feu], au paragraphe 18 : « l’efficacité n’est pas pertinente dans le cadre de l’analyse du partage des pouvoirs par notre Cour ».

[45]      Même si la Cour prenait en considération l’efficacité de la mesure législative, Syncrude n’a pas présenté de preuve convaincante démontrant que l’incorporation de carburants renouvelables n’aurait pas pour effet de « contribuer sensiblement à prévenir ou à réduire la pollution atmosphérique » (article 140 de la LCPE). Elle n’a pas présenté de preuve d’expert à l’appui de son affirmation selon laquelle les données mettent en doute la conclusion qu’il y aurait une contribution importante à la réduction de la pollution atmosphérique.

[46]      Syncrude fait renvoi à des éléments de preuve selon lesquels l’impact environnemental des changements dans l’utilisation des terres l’emporterait sur les avantages des carburants renouvelables. Dans certains pays, afin de permettre la culture des matières premières utilisées pour produire les carburants renouvelables, il doit y avoir des changements dans l’utilisation des terres. Certains éléments de preuve tendent à indiquer : que les changements dans l’utilisation des terres peuvent atténuer certains des avantages liés aux carburants renouvelables; que les impacts environnementaux découlant des changements dans l’utilisation des terres pourraient en fait l’emporter sur les avantages liés à la production de carburants renouvelables; et que les terres agricoles ne devraient pas être converties à la production de matières premières pour les biocombustibles. Toutefois, ces éléments de preuve ne s’appliquent pas au Canada parce qu’il n’est pas nécessaire de recourir ici à de tels changements dans l’utilisation des terres. Dans le REIR du 26 février 2011, il est précisé qu’« on ne s’attend pas à ce que les modifications proposées entraînent des changements en ce qui concerne l’utilisation des terres » : Gazette du Canada Partie I, vol. 145, no 9, à la page 719. De plus, les éléments de preuve sur lesquels se fondait Syncrude avaient trait à l’Union européenne, qui avait adopté des cibles plus élevées pour ce qui est de la teneur en carburant renouvelable, soit 10 p. cent, alors que les cibles canadiennes, sont de 2 p. cent pour le biodiesel et de 5 p. cent pour l’essence.

[47]      De plus, les observations de Syncrude négligent les éléments de preuve qui appuient la conclusion selon laquelle l’incorporation de carburants renouvelables aurait pour effet de réduire, selon le principe du cycle de vie, à la fois les émissions de GES et certaines autres émissions, dont l’acétaldéhyde (dans le cas du biodiesel), les composés organiques volatils [VOC] et les particules fines [PM2,5]. Ces questions étaient abordées dans le REIR joint au RCR. La réduction des GES n’est qu’un élément du but global consistant à réduire la « pollution atmosphérique ».

[48]      De plus, et conformément au préambule de la LCPE, le RCR reconnaît que le Parlement n’avait pas nécessairement une compréhension exhaustive des émissions de GES des divers types de carburants renouvelables, mais a signalé sa volonté d’apporter des rajustements aux exigences une fois que les données connexes deviendront disponibles : Gazette du Canada Partie II, vol. 144, no 18, à la page 1725. Il n’y a rien d’inconstitutionnel dans le fait que le Parlement a pris des mesures pour faire face à la menace des GES du mieux qu’il le pouvait, sur la base des renseignements dont il disposait à l’époque. La méthode scientifique repose sur l’hypothèse que le savoir d’aujourd’hui ne concorde pas nécessairement au savoir de demain. La LCPE reconnaît ce principe, particulièrement dans le contexte environnemental. Toutefois, comme l’affirme le préambule de la LCPE, le Parlement doit agir pour faire face aux menaces environnementales à la lumière des meilleurs renseignements dont il dispose pour le moment, et ne doit pas attendre la certitude scientifique. Il n’y a rien qui empêche le Parlement de modifier ou d’abroger le RCR si on lui présente des preuves concluantes que les carburants renouvelables ne réduisent pas les émissions de GES; toutefois, il s’agit d’une décision qui relève du Parlement, et non des tribunaux.

[49]      Syncrude a également soutenu que, étant donné que le RCR n’assurait pas l’effet voulu de réduire les émissions de GES, l’objet principal devait être la création d’une demande pour les carburants renouvelables et de débouchés pour les agriculteurs. Toutefois, elle n’a pas démontré que l’utilisation de carburants renouvelables n’a pas mené à une réduction des émissions de GES. Par conséquent, cet argument doit lui aussi être rejeté.

[50]      Enfin, Syncrude affirme que certains éléments donnent à penser qu’elle pourrait réaliser d’importantes réductions d’émissions de GES si le RCR ne s’appliquait pas à elle, car elle produit et utilise tout son propre diesel sur place, évitant ainsi les émissions de GES associées au transport du carburant. Indépendamment du fait que Syncrude n’a fourni aucun élément de preuve au ministre avant la promulgation du RCR pour signaler qu’il y aurait une augmentation des émissions de GES si le RCR s’appliquait à Syncrude, il s’agit tout simplement d’une tentative de reformuler l’argument relatif à l’efficacité. Au paragraphe 26 de l’arrêt Ward, la Cour suprême a affirmé que : « [o]n ne peut pas contester l’objet d’une mesure législative en proposant une autre méthode, qui serait meilleure, pour atteindre cet objet ».

[51]      Réduit à sa plus simple expression, l’argument fait valoir qu’étant donné que l’application du RCR à Syncrude ne permettrait pas d’atteindre l’objet déclaré, le RCR est inconstitutionnel. Encore une fois, il n’incombe pas à la Cour de juger si les moyens choisis par le Parlement sont efficaces ou adéquats. L’analyse des effets juridiques et pratiques d’une mesure législative est uniquement pertinente pour établir le caractère véritable de cette mesure législative. Comme l’a affirmé la Cour suprême du Canada au paragraphe 23 de l’arrêt Global Securities Corp c Colombie-Britannique (Securities Commission), [2000] 1 RCS 494, « [l]es effets de la mesure législative peuvent également être pertinents pour déterminer si elle est valide, dans la mesure où ils en révèlent le caractère véritable ». Même si Syncrude peut demander une exemption de l’application du RCR, la décision du ministre de ne pas accorder une telle exemption ne rend pas le RCR inconstitutionnel.

[52]      Toutefois, même si le RCR tel qu’il s’applique à Syncrude augmentait les émissions de GES de Syncrude, cela ne démontre pas que, de manière générale, le RCR ne réduirait pas les émissions de GES. Syncrude a présenté des éléments de preuve selon lesquels sa production jumelée à celle de Suncor représentait 12 p. cent de la production de distillat dans l’Ouest du Canada et la quantité utilisée sur place ne représentait que 3 p. cent de la production de distillat dans l’ouest du Canada. Même si on acceptait d’emblée les arguments de Syncrude, il serait exagéré de conclure que le RCR n’entraînera pas une réduction des émissions de GES même en tenant compte des prétendues émissions accrues de Syncrude.

[53]      Pour les motifs exposés ci-dessus, je conclus que l’effet du RCR est de réduire les émissions de GES en exigeant que des carburants renouvelables soient incorporés dans les carburants traditionnels.

(c)                Conclusion concernant le caractère véritable

[54]      La réduction des émissions de GES, et potentiellement d’autres types d’émissions, constitue le caractère véritable du RCR et du paragraphe 5(2). L’objet principal est de réduire les émissions de GES; les retombées pour l’économie et l’industrie des carburants renouvelables sont des volets incontournables mais secondaires du plan visant à réduire les émissions de GES, et constituent une étape intermédiaire pour la mise en place de technologies de prochaine génération qui assureront des réductions de GES encore plus importantes. L’effet du RCR est de réduire les émissions de GES selon le principe du cycle de vie à court et à long terme en incorporant des carburants renouvelables aux carburants traditionnels.

(2)               Classification de la mesure législative : l’analyse des chefs de compétence

[55]      Maintenant que le caractère véritable de la mesure législative est défini, la deuxième étape consiste à examiner les chefs de compétence dont relève cette mesure législative : Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, au paragraphe 19.

(a)                Pouvoir en matière de droit criminel

[56]      Le ministre soutient que le RCR et son paragraphe 5(2) relèvent du pouvoir fédéral de légiférer en matière de droit criminel visé au paragraphe 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867 [la Constitution].

[57]      Selon Syncrude, la promulgation du RCR en vertu du pouvoir en matière de droit criminel n’est pas valide, car le caractère véritable du RCR vise la réglementation de [traduction] « ressources non renouvelables (carburants à base de pétrole) » et la promotion des [traduction] « bénéfices découlant de la protection de l’environnement en créant une demande pour le biodiesel sur le marché canadien ». Selon cette analyse, le RCR relève des chefs de compétence provinciale touchant (1) les travaux et entreprises d’une nature locale, (2) la propriété et les droits civils, et (3) les matières d’une nature purement locale ou privée, visés aux paragraphes 92 (10), (13) et (16) de la Constitution respectivement, ainsi que le développement des ressources naturelles non renouvelables, visé à l’alinéa 92A(1)b).

[58]      Lorsque le chef de compétence fédérale en cause est le pouvoir en matière de droit criminel du Parlement visé au paragraphe 91(27) de la Constitution, le paragraphe 27 de l’arrêt Renvoi sur les armes à feu nous enseigne que la mesure est un exercice valide du pouvoir en matière de droit criminel s’il y a (1) un objet valide de droit criminel (2) assorti d’une interdiction et (3) d’une sanction.

[59]      Il ne fait aucun doute que les critères de l’interdiction et de la sanction ont été respectés. La question déterminante est celle de savoir si le RCR comportait un objet valide de droit criminel.

[60]      Pour qu’une mesure législative ait un objet valide de droit criminel, elle doit répondre à une préoccupation publique touchant la paix, l’ordre, la sécurité, la morale, la santé ou un objectif apparenté : Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, au paragraphe 43. Elle doit réprimer un mal ou protéger des intérêts menacés, tels que la paix publique, l’ordre, la sécurité, la santé ou la moralité, à l’exclusion d’une réglementation à visée purement économique : Reference re: Dairy Industry Act (Canada), s 5(a), [1949] RCS 1.

[61]      Se fondant sur l’arrêt Canada (Procureur général) c Hydro-Québec, [1997] 3 RCS 213 [Hydro] et le Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, le ministre soutient que le RCR a un objet valide de droit criminel parce qu’il vise à réprimer le mal causé par les émissions de GES nocives pour l’environnement [traduction] « étant donné que, selon le principe du cycle de vie, le carburant diesel non mélangé émet plus de GES que celui qui contient du carburant renouvelable ».

[62]      Par le passé, les interdictions ayant pour but de protéger le public contre les dangers environnementaux ont été considérées comme étant des objets valides de droit criminel – voir, par exemple, l’arrêt Hydro où la Cour suprême a estimé à l’unanimité (même si sa décision était partagée sur les autres questions) que « la protection d’un environnement propre est un objectif public […] qui est suffisant pour justifier une interdiction criminelle […] ou, en d’autres mots, la pollution est un mal que le Parlement peut légitimement chercher à supprimer » (paragraphe 123).

[63]      Au paragraphe 43 de l’arrêt Hydro, la Cour suprême a clairement affirmé ce qui suit :

Dans la mesure où il souhaite dissuader expressément de polluer l’environnement, par l’imposition de peines appropriées, le Parlement est libre de le faire sans avoir à démontrer que ces peines visent, en fin de compte, à atteindre l’un des objectifs « traditionnels » du droit criminel. La protection de l’environnement représente en soi une justification légitime d’une loi criminelle. [Non souligné dans l’original.]

[64]      Dans l’affaire Hydro, l’intimée contestait certaines dispositions de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, LRC 1985, c 16 (4e suppl.) concernant la désignation et la réglementation des substances toxiques ainsi qu’une disposition qui autorisait le ministre à prendre un arrêté d’urgence ordonnant qu’une substance soit inscrite temporairement sur la liste des substances toxiques et réglementant cette substance, lorsque le ministre était d’avis qu’une intervention immédiate était requise.

[65]      Les juges dissidents ont accepté que la protection de l’environnement était un objectif public légitime, mais ont conclu que les dispositions contestées étaient davantage une tentative de réglementer la pollution environnementale que de l’interdire. En particulier, les juges dissidents ont conclu que les interdictions étaient accessoires au régime de réglementation, et non l’inverse. Ils ont également conclu que les dispositions contestées visaient non pas à interdire les substances toxiques, mais plutôt à réglementer et à contrôler la façon dont elles pourront interagir avec l’environnement. Enfin, ils ont noté la portée apparemment illimitée des dispositions contestées en raison de la définition large des termes « substance toxique » et « substance » dans la Loi.

[66]      Les juges majoritaires ont conclu qu’« il n’y a pas lieu d’aborder les lois sur la protection de l’environnement avec la même rigueur que celles qui traitent de questions moins complexes, en appliquant la théorie de l’imprécision établie en vertu de l’art. 7 de la Charte » en rapport avec des affaires de droit criminel, et qu’« [e]xiger une plus grande précision aurait pour effet de faire échouer la législature dans sa tentative de protéger le public contre les dangers découlant de la pollution ». Les juges majoritaires ont été d’accord avec les juges dissidents pour dire que, dans certains cas, une interdiction particulière « pourrait être générale ou globale au point d’être considérée, de par son caractère véritable, comme visant réellement à réglementer un domaine relevant des provinces et non pas exclusivement à protéger l’environnement », mais ont conclu au bout du compte que les dispositions cernaient un nombre restreint de substances. Ainsi, la Loi interdisait l’utilisation de ces substances d’une manière contraire au règlement et il s’agissait d’un ciblage précis de certaines substances, sans recours à des interdictions inutilement larges.

[67]      De prime abord, le RCR semble être davantage de nature réglementaire que de nature prohibitive. Toutefois, comme les juges majoritaires dans l’arrêt Hydro, je suis d’avis que la répression de ce mal particulier – les émissions de GES issus de la combustion de combustibles fossiles – se prête mal à des interdictions expresses. Par exemple, le fonctionnement de notre société mise beaucoup sur la consommation de combustibles fossiles et il ne faut pas s’attendre à ce que le Parlement interdise entièrement l’utilisation de combustibles fossiles en vue d’atteindre des objectifs progressifs en matière de réduction des émissions de GES.

[68]      De plus, il ne faut pas s’attendre à ce que le Parlement adopte des interdictions plus précises contre les composants du diesel ou de l’essence; par exemple, il serait extrêmement coûteux d’établir quels hydrocarbures (parmi les nombreux composants du diesel et de l’essence) contribuent en particulier aux émissions de GES. Il serait encore plus coûteux pour l’industrie de se conformer à des interdictions aussi précises et pour le ministre de surveiller un tel régime d’interdictions.

[69]      Il en va de même pour les composants des carburants renouvelables. La question a été abordée expressément dans les Questions et réponses relatives au Règlement sur les carburants renouvelables, publiées en septembre 2010 :

[Question]  Le Règlement ne comprend pas d’exigences selon lesquelles les carburants renouvelables utilisés doivent produire moins d’émissions de gaz à effet de serre que les carburants classiques. Pourquoi?

[Réponse]  Les répercussions d’un carburant renouvelable sur les émissions de gaz à effet de serre varient selon la matière première et les processus utilisés pour produire le carburant et l’endroit où il est produit par rapport à l’endroit où il est utilisé. Il existe une importante controverse au sujet des méthodes servant à évaluer les émissions du cycle de vie des carburants renouvelables. Le gouvernement a décidé que, pour l’instant, le Règlement ne contiendra pas ce genre d’exigence explicite. Cependant, la situation pourrait être révisée dans l’avenir, lorsque plus de données à cet effet seront disponibles.

[70]      De plus, au paragraphe 150 de l’arrêt Hydro, les juges majoritaires ont accepté que les règlements « prescrivant ou imposant des exigences concernant la quantité ou la concentration d’une substance inscrite sur la liste de l’annexe I, qui peut être rejetée dans l’environnement seule ou avec d’autres substances provenant de quelque source que ce soit », étaient valides [non souligné dans l’original]. En l’espèce, le RCR est structuré de la même manière – il impose des exigences quant à la concentration de carburants renouvelables dans les mélanges de combustibles fossiles et, de cette façon, contrôle « la manière et les conditions du rejet » des émissions de GES (selon le principe du cycle de vie) qu’entraînerait autrement l’utilisation de combustibles fossiles sans carburant renouvelable.

[71]      Je note que la structure du RCR est différente dans la mesure où le RCR ne réduit pas explicitement la concentration des combustibles fossiles dans le mélange de carburants – il parvient à sa fin en exigeant seulement l’ajout d’un carburant de remplacement, si bien qu’il réduit implicitement la concentration du carburant ciblé. À mon avis, il s’agit d’une différence négligeable puisque l’effet ultime est le même – l’utilisation de combustibles fossiles sera réduite de la proportion de carburants renouvelables incorporés. Autrement dit, le RCR interdit l’utilisation de diesel ou d’essence à 100 p. cent pour le stock de distillat total moyen pour chaque période de conformité.

[72]      Le fait que les entreprises seraient autorisées à utiliser du diesel ou de l’essence à 100 p. cent durant les mois d’hiver et à compenser en utilisant des teneurs plus élevées de carburants renouvelables durant les mois d’été ou en achetant des unités de conformité n’est pas incompatible avec l’interdiction. Il existe des unités de conformité parce que quelqu’un a incorporé davantage de carburants renouvelables, contrebalançant ainsi les émissions d’un autre utilisateur, si bien que l’effet net est le même.

[73]      De plus, les inquiétudes des juges minoritaires dans l’arrêt Hydro ne s’appliquent pas ici. Premièrement, les interdictions ne sont pas accessoires au régime de réglementation. La partie 7 de la LCPE a trait au contrôle de la pollution et à la gestion des déchets. À la partie 7, la section 4 vise expressément la pollution et les déchets créés par les combustibles. L’essence et le diesel – les précurseurs des émissions de GES – sont réglementés en interdisant les utilisations qui contreviennent au règlement, à l’image de la réglementation des substances toxiques dans l’affaire Hydro.

[74]      Syncrude ne soutient pas que la définition de la « pollution atmosphérique » au paragraphe 140(2) de la LCPE est trop large. De toute manière, l’article 140 est suffisamment précis et n’est pas trop large étant donné que la « pollution atmosphérique » en question doit résulter directement ou indirectement « du combustible ou d’un de ses composants » ou « des effets du combustible sur le fonctionnement, la performance ou l’implantation de technologies de combustion ou d’autres types de moteur ou de dispositifs de contrôle des émissions ». Il s’agit d’une formulation encore plus précise que la définition de « substance » et de « substance toxique » dans l’arrêt Hydro, que les juges majoritaires ont trouvé suffisamment précise. Par conséquent, les règlements pris en application de l’article 140 n’auraient pas une portée illimitée.

[75]      Enfin, si l’argument de Syncrude est maintenu, il s’applique à l’ensemble de la section 4 qui vise à réglementer les combustibles de manière générale. Toutefois, Syncrude ne conteste pas le paragraphe 5(2) du RCR, ni le RCR dans son ensemble et encore moins la totalité de la section 4 de la LCPE. En fait, il reconnaît que d’autres interdictions adoptées en vertu des articles 139 et 140 de la LCPE (par exemple, le Règlement sur le soufre dans le carburant diesel, DORS/2002-254, qui limite les concentrations de soufre dans le carburant diesel) constituent des exercices valides du pouvoir discrétionnaire accordé en vertu de ces dispositions. À mon avis, il n’y a pas de distinction entre une interdiction visant la concentration de soufre et l’imposition d’une certaine teneur en carburant renouvelable. Les deux ont pour but d’empêcher l’émission de substances toxiques (dioxyde de souffre et les émissions de GES) ou la pollution atmosphérique. Comme je l’ai signalé précédemment, je ne suis pas convaincu qu’une interdiction directe et une interdiction indirecte soient suffisamment différentes pour justifier un traitement différent.

[76]      Les Questions et réponses relatives au Règlement sur les carburants renouvelables, publiées en septembre 2010, se penchent également sur la différence entre le RCR et le Règlement sur le soufre :

[Question]  Pourquoi le Règlement prévoit-il des limites moyennes plutôt que des limites par litre, comme le prévoit le Règlement sur le soufre dans le carburant diesel?

[Réponse]  Le Règlement sur les carburants renouvelables vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre, un problème environnemental mondial. C’est la quantité totale de carburant à base de pétrole remplacée par des carburants renouvelables qui présente un avantage du point de vue des émissions de gaz à effet de serre […]

[77]      En résumé, la protection de l’environnement est en soi un objet valide de droit criminel et, en l’espèce, il existe des interdictions et des sanctions suffisamment précises. Autrement dit, on ne peut conclure que le RCR est une utilisation invalide du pouvoir en matière de droit criminel du fait que c’est la quantité totale de combustibles déplacés qui présente un avantage du point de vue des émissions de gaz à effet de serre.

[78]      De façon accessoire, Syncrude soutient que le paragraphe 5(2) du RCR ne soulève pas d’appréhension raisonnée de préjudice dans la présente affaire. Elle soutient que la production et la consommation de carburants à base de pétrole ne sont pas dangereuses et ne présentent pas de risque pour la santé humaine ou la sécurité. Syncrude reconnaît que la réglementation de substances telles que les BPC et le soufre qui sont dangereuses et qui posent un risque pour la santé humaine constitue un exercice valide du pouvoir en matière de droit criminel.

[79]      De l’avis de Syncrude, il n’y a pas de mal à réprimer et, même s’il y en avait un, le paragraphe 5(2) du RCR ne fait rien pour interdire l’émission de substances nocives dans l’environnement. Syncrude soutient que, si le paragraphe 5(2) constituait un exercice valide du pouvoir en matière de droit criminel, il conférerait au droit criminel la « définition sans balises » rejetée par les juges dissidents de la Cour suprême dans l’arrêt Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, aux paragraphes 239-240.

[80]      Premièrement, « l’appréhension raisonnée de préjudice » est une notion issue de lois criminelles adoptées dans le but de protéger la santé publique. Comme le démontre la jurisprudence, la protection de l’environnement est en soi un objet valide de droit criminel et, par conséquent, il n’est pas nécessaire de justifier le RCR à la lumière des mêmes contraintes ou notions applicables à un but lié à la santé publique.

[81]      Deuxièmement, je ne souscris pas à l’avis de Syncrude selon lequel le paragraphe 5(2) aurait pour effet d’abolir les balises du pouvoir en matière de droit criminel. Comme je l’ai signalé précédemment, la manière dont le paragraphe 5(2) est formulé est conforme à un exercice valide du pouvoir en matière de droit criminel, bien que le paragraphe soit présenté sous la forme de l’obligation d’incorporer une substance au lieu de l’interdiction d’une autre substance.

[82]      Troisièmement, les observations des juges dissidents dans l’arrêt Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée ne sont d’aucune aide parce que ces observations avaient trait à l’évaluation de la moralité, et non à la santé. Les juges dissidents ont signalé que, dans une société multiculturelle, il faut tenir compte d’attitudes divergentes lors de l’examen de « problèmes moraux ».

[83]      Quatrièmement, même en tenant compte des préoccupations des juges dissidents, il existe un véritable mal et une véritable appréhension raisonnée de préjudice dans la présente affaire. Le mal du changement climatique mondial et l’appréhension du préjudice découlant de la contribution au changement climatique par la combustion de combustibles fossiles ont fait l’objet de nombreux échanges et débats sur la scène internationale. Contrairement à l’argument de Syncrude, il s’agit d’un mal concret et mesuré, et le préjudice est bien documenté.

[84]      De plus, le conseil de la Cour suprême aux paragraphes 55 et 56 du Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée est instructif. Il n’y a pas de degré de préjudice servant de critère constitutionnel limitant l’aptitude du Parlement à cibler un comportement qui cause ces maux, pourvu que le Parlement puisse démontrer une appréhension raisonnable de préjudice. Surtout, le Parlement est en droit de cibler un comportement qui accroît le risque de préjudice pour les citoyens, même si ce risque ne se concrétise pas toujours.

[85]      Pour les motifs exposés ci-dessus, je conclus que l’objet principal et l’effet principal du paragraphe 5(2) du RCR consistent à apporter une contribution significative à la réduction de la pollution atmosphérique, sous la forme d’une réduction des émissions de GES. Pour ce faire, le Parlement a choisi d’utiliser son pouvoir de légiférer en matière de droit criminel. La protection de l’environnement est en soi un objet valide de droit criminel et la disposition contestée crée une interdiction valide accompagnée d’une sanction, même si l’interdiction ne se présente pas sous la forme d’une interdiction directe, ciblée et restrictive.

(b)               Conclusion sur la validité constitutionnelle

[86]      Par conséquent, je conclus que le RCR est dans les limites des pouvoirs du gouvernement fédéral et est valide sur le plan constitutionnel.

(c)                Doctrine des pouvoirs accessoires

[87]      Ayant conclu que le RCR est constitutionnel en vertu du pouvoir du Parlement de légiférer en matière de droit criminel, il n’est pas nécessaire d’examiner la doctrine des pouvoirs accessoires à laquelle Syncrude a consacré une part importante de son argumentation. Toutefois, même si j’avais conclu que le paragraphe 5(2) du RCR n’était pas un exercice valide du pouvoir du Parlement en matière de droit criminel, j’aurais conclu qu’il est légitimé par la doctrine des pouvoirs accessoires.

[88]      La doctrine des pouvoirs accessoires permet de maintenir des dispositions administratives ou réglementaires même s’il se peut que, de par leur caractère véritable, les dispositions ne relèvent pas de la compétence du gouvernement qui les a adoptées. De telles dispositions peuvent être maintenues si elles ont un lien avec un régime législatif valide et favorisent l’atteinte de l’objet de la loi : Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, au paragraphe 126.

[89]      Pour évaluer la validité des dispositions, le tribunal doit décider si la disposition a un lien rationnel et fonctionnel avec le régime législatif. La disposition doit compléter sur le plan fonctionnel les autres dispositions du régime législatif et doit combler des lacunes du régime législatif qui, sinon, pourraient donner lieu à de l’incohérence, de l’incertitude ou de l’inefficacité; de plus, il n’est pas nécessaire d’établir que, sans les dispositions accessoires, le régime serait voué à l’échec : Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, au paragraphe 138.

[90]      Les paragraphes 129 et 130 du Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée énoncent les trois facteurs qu’il faut normalement prendre en considération dans le cadre d’une analyse fondée sur la doctrine des pouvoirs accessoires, bien qu’il ne s’agisse pas d’une liste exhaustive :

1.                  la portée des chefs de compétence en jeu, à savoir si elle est grande ou non;

2.                  la nature de la disposition contestée;

3.                  l’activité législative antérieure dans le domaine en cause.

 

Plus une disposition accessoire empiète sur la compétence d’un autre ordre de gouvernement, plus le critère pour son maintien sur la base de la doctrine des pouvoirs accessoires sera exigeant.

Les chefs de compétence

[91]      Les chefs de compétence de grande portée se prêtent davantage aux chevauchements : lorsque la mesure législative est adoptée en vertu d’un chef de compétence de grande portée, l’empiètement est moins grave. Lorsqu’il vise un chef de compétence étendu, l’empiètement est moins grave.

[92]      En l’espèce, le chef de compétence fédérale est le pouvoir de légiférer en matière de droit criminel, soit une compétence étendue. Les chefs de compétence provinciale signalés par Syncrude sont : (1) les travaux et entreprises d’une nature locale; (2) la propriété et les droits civils; (3) les matières d’une nature purement locale ou privée nature; et (4) le développement des ressources naturelles non renouvelables. Les trois premiers chefs de compétence provinciale sont étendus, mais le quatrième est relativement restreint. Toutefois, je ne suis pas convaincu que la disposition empiète sur le développement des ressources naturelles non renouvelables; elle porte plutôt sur leur utilisation. Par conséquent, l’empiètement est « moins grave » à la lumière de l’ensemble des facteurs.

La nature de la disposition

[93]      Dans la présente affaire, le paragraphe 5(2) du RCR vise à créer une norme minimale à l’échelle des provinces pour ce qui est de l’utilisation du biodiesel. Les REIR joints aux versions préliminaire et finale du règlement reconnaissent que les provinces ont déjà légiféré dans le domaine dans une certaine mesure et qu’un des buts du RCR consiste à régler des incohérences créées par une mosaïque de lois provinciales. En l’espèce, Syncrude signale qu’en vertu de mesures législatives albertaines, soit la Oil Sands Conservation Act, RSA 2000, c O-7 et le Renewable Fuels Standard Regulation, Alta Reg 29/2010, elle serait exempte de l’exigence liée aux carburants renouvelables qui s’applique aux producteurs, importateurs et vendeurs de combustibles.

[94]      Même si l’intention générale est de compléter les mesures législatives provinciales, l’exemple de Syncrude démontre que le paragraphe 5(2) aura priorité et empiétera sur certains éléments de la réglementation provinciale dans ce domaine, et cela tend à indiquer qu’il s’agit d’un empiètement plus grave.

L’activité législative antérieure dans le domaine en cause

[95]      Par le passé, le Parlement a adopté des mesures législatives en vue de protéger l’environnement. Dans l’arrêt Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, les juges majoritaires ont noté l’activité législative antérieure du Parlement dans les domaines de la moralité, de la santé et de la sécurité; ils ont aussi noté que le Parlement avait invoqué son pouvoir de légiférer en matière de droit criminel pour faire valider des régimes de réglementation, en donnant comme exemples le Renvoi sur les armes à feu et Hydro. De l’avis des juges majoritaires, ces comparaisons historiques tendaient à indiquer que les dispositions accessoires n’empiétaient que peu sur les pouvoirs provinciaux.

[96]      En l’espèce, le Parlement a déjà légiféré en vue de protéger l’environnement et, pour ce faire, il a déjà utilisé son pouvoir en matière de droit criminel. Toutefois, en ce qui a trait à l’utilisation de carburants renouvelables, les provinces ont également légiféré sur cette question. Par conséquent, à mon avis, ce facteur n’est pas neutre.

[97]      Dans l’ensemble, j’estime que si j’avais conclu que le gouvernement fédéral avait outrepassé sa compétence en adoptant le RCR, l’empiètement des dispositions accessoires sur les pouvoirs provinciaux ne serait pas assez grave pour justifier l’annulation du règlement. Le règlement a été adopté en vertu de chefs de compétence de grande portée et n’empiète que sur d’autres chefs de compétence de grande portée. Bien qu’il prime sur certains éléments de la législation provinciale, à de nombreux égards, il cherche à la compléter. Enfin, le Parlement a déjà légiféré en vue de protéger l’environnement et, même si les provinces ont déjà légiféré dans une certaine mesure sur la question des carburants renouvelables, cela est insuffisant à mon avis pour démontrer que l’empiètement sur les pouvoirs provinciaux est grave.

B.                 Validité législative du paragraphe 5(2) du RCR

[98]      Syncrude soutient que le RCR est ultra vires ou invalide parce qu’il découle de l’exercice non valide du pouvoir de réglementation du gouverneur en conseil conféré par la LCPE.

[99]      Le RCR a été promulgué en vertu du paragraphe 140(1) de la LCPE et les parties semblent convenir que le règlement a été pris au titre d’un ou de plusieurs des alinéas suivants de ce paragraphe :

a) la quantité ou la concentration de tout élément, composant ou additif dans un combustible;

b) les propriétés physiques ou chimiques du combustible;

c) les caractéristiques du combustible établies conformément à une formule liée à ses propriétés ou à ses conditions d’utilisation;

c.1) le mélange de combustibles;

d) les méthodes de transfert et de manutention du combustible.

[100]    Le paragraphe 140(2) du RCR établit une condition préalable à la prise d’un règlement visant un des éléments exposés aux alinéas 140(1)a) à d) :

(2) Le gouverneur en conseil peut prendre un règlement au titre des alinéas (1)a) à d) s’il estime qu’il pourrait contribuer sensiblement à prévenir ou à réduire la pollution atmosphérique résultant : 

a) directement ou indirectement, du combustible ou d’un de ses composants;

b) des effets du combustible sur le fonctionnement, la performance ou l’implantation de technologies de combustion ou d’autres types de moteur ou de dispositifs de contrôle des émissions.

[Non souligné dans l’original.]

[101]    Syncrude conteste la validité législative du RCR en se fondant sur trois motifs. Il soutient que :

1.                  la gouverneure en conseil n’a pas formulé l’avis requis au paragraphe 140(2) de la LCPE, condition préalable à la promulgation du RCR. De plus, Syncrude soutient que, contrairement au [traduction] « sens » de l’article 333 de la LCPE, le ministre a omis d’évaluer les impacts environnementaux du RCR en constituant une commission de révision avant de présenter sa recommandation à la gouverneure en conseil;

2.                  le ministre a omis de réaliser une évaluation environnementale stratégique [EES] du RCR avant son adoption, dérogeant ainsi à la Directive du Cabinet sur l’évaluation environnementale des projets de politiques, de plans et de programmes [Directive du Cabinet];

3.                  le RCR est incompatible avec l’objectif de la LCPE visant la protection de l’environnement.

[102]    Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas convaincu du bien-fondé des motifs de contestation et je conclus que le RCR est valide sur le plan législatif.

(1)               La condition préalable établie au paragraphe 140(2) a-t-elle été respectée?

[103]    Lorsqu’une condition préalable prévue par la loi n’est pas respectée, le règlement est invalide : Katz Group Canada Inc c Ontario (Santé et Soins de longue durée, 2013 CSC 64, [2013] 3 RCS 810 [Katz], aux paragraphes 24 et 27.

[104]    La détermination de la validité d’un règlement en fonction des principes de droit administratif est assujettie à la norme de la décision correcte : Mercier, aux paragraphes 78 et 79.

[105]    Syncrude soutient que la LCPE prévoit une condition préalable à la promulgation d’un règlement. Avant d’édicter le RCR, la gouverneure en conseil doit formuler l’avis que ce règlement pourrait contribuer sensiblement « à prévenir ou à réduire la pollution atmosphérique ».

[106]    Syncrude affirme que le ministre n’a pris en compte qu’un [traduction] « examen préliminaire » réalisé en 2006, qui mettait l’accent sur les émissions de GES. Selon elle, il aurait fallu que le ministre effectue une évaluation approfondie des émissions de polluants atmosphériques autres que les GES créées par l’exigence relative à une teneur minimale de 5 p. cent en carburant renouvelable, car de telles émissions sont nocives pour la santé humaine et aucune étude n’a été réalisée à ce sujet. Syncrude signale entre autres que le ministre savait en septembre 2010 que, selon les estimations de la United States Environmental Protection Agency, l’utilisation de biocombustibles causerait 245 décès prématurés aux États-Unis en raison de leur effet nocif sur la qualité de l’air. Selon Syncrude, le désintérêt du ministre pour la prise en compte des autres impacts des carburants renouvelables est démontré par le refus de constituer une commission de révision, qui aurait pu évaluer l’impact global du RCR sur les polluants atmosphériques et déterminer les répercussions environnementales sur les terres et les eaux.

[107]    Bref, Syncrude soutient qu’étant donné que le ministre a omis de prendre en compte les polluants autres que les GES et n’a pas tenu compte d’éléments de preuve indiquant que le RCR ne pourrait pas contribuer sensiblement à prévenir ou à réduire la pollution atmosphérique, la gouverneure en conseil n’était pas en mesure de formuler l’avis requis en vertu de l’article 140 de la LCPE, si bien que le règlement est invalide.

[108]    Le ministre reconnaît que l’avis du gouverneur en conseil est une condition préalable à la prise d’un règlement valide en vertu de la LCPE. Il soutient que la création d’une commission de révision n’est pas une condition préalable à l’élaboration d’un règlement et n’a par ailleurs aucune pertinence pour la question soulevée. Le ministre soutient que la gouverneure en conseil a respecté la condition préalable et qu’il n’appartient pas à la Cour de faire des conjectures à ce sujet. Le ministre fait valoir que le tribunal doit tout simplement confirmer que l’avis requis a été formulé : Mercier c Canada, 2010 CAF 167, 2010 Carswell Nat 1960 [Mercier], au paragraphe 80; autorisation de pourvoi refusée, 417 NR 390 (CSC).

[109]    Je suis d’accord avec le ministre pour dire que la constitution d’une commission de révision en vertu du paragraphe 333(1) de la LCPE n’est pas une condition préalable à la prise d’un règlement valide. De plus, cela est à mon avis entièrement sans rapport avec la question à l’étude.

[110]    L’alinéa 333(1)a) prévoit notamment que : « En cas de dépôt de l’avis d’opposition […] le ministre, seul ou avec le ministre de la Santé, peut constituer une commission de révision chargée d’enquêter sur la nature et l’importance du danger que représente la substance visée […] par la décision ou le projet de règlement, décret ou texte du gouverneur en conseil […] » [non souligné dans l’original.]

[111]    Syncrude soutient que, malgré l’utilisation du mot « peut », qui indique un pouvoir discrétionnaire, à l’alinéa 333(1)a), la constitution d’une commission de révision est obligatoire et était voulu voulue par le législateur. Je ne suis pas d’accord. L’avis de Syncrude n’est pas étayé par le libellé explicite que le Parlement a choisi d’utiliser à l’article 333.

[112]    L’article 333 comporte six paragraphes, chacun prévoyant la constitution d’une commission de révision dans des circonstances précises :

(1) En cas de dépôt de l’avis d’opposition mentionné aux paragraphes 77(8) ou 332(2), le ministre, seul ou avec le ministre de la Santé, peut constituer une commission de révision chargée d’enquêter sur la nature et l’importance du danger que représente la substance visée soit par la décision ou le projet de règlement, décret ou texte du gouverneur en conseil, soit par la décision ou le projet d’arrêté ou de texte des ministres ou de l’un ou l’autre.

(2) En cas de dépôt de l’avis d’opposition mentionné aux paragraphes 9(3) ou 10(5), le ministre peut constituer une commission de révision chargée d’enquêter sur l’accord en cause et les conditions de celui-ci.

(3) En cas de dépôt, dans le délai précisé, de l’avis d’opposition mentionné au paragraphe 332(2), le ministre constitue une commission de révision chargée d’enquêter sur la nature et l’importance du danger que représente le rejet dans l’atmosphère ou dans l’eau de la substance visée par un projet de règlement d’application des articles 167 ou 177.

(4) En cas de dépôt, dans le délai précisé, de l’avis d’opposition mentionné au paragraphe 332(2) à l’égard d’un projet de règlement d’application de la partie 9 ou de l’article 118, le ministre constitue une commission de révision chargée d’enquêter sur la question soulevée par l’avis.

(5) En cas de dépôt, dans le délai précisé, de l’avis d’opposition mentionné à l’article 134, le ministre peut constituer une commission de révision chargée d’enquêter sur la question soulevée par l’avis.

(6) Lorsqu’une personne dépose un avis d’opposition auprès du ministre en vertu de l’article 78 pour défaut de décision sur la toxicité d’une substance, le ministre constitue une commission de révision chargée de déterminer si cette substance est effectivement ou potentiellement toxique.

[113]    Dans les circonstances précises prévues aux paragraphes 1, 2 et 5, il est indiqué que « le ministre peut constituer une commission de révision »; cependant, dans les circonstances précises établies aux paragraphes 3, 4 et 6, il est indiqué que « le ministre constitue une commission de révision » [non souligné dans l’original]. Il ne fait aucun doute que le Parlement souhaitait établir une distinction entre les circonstances où le ministre est tenu de mettre sur pied une commission de révision et celles où il a le choix de mettre sur pied ou pas une commission de révision. En l’espèce, les circonstances ne justifiaient pas la mise sur pied d’une commission de révision.

[114]    La seule condition préalable à la prise du RCR est celle exposée au paragraphe 140(2) de la LCPE : le gouverneur en conseil peut prendre un règlement « s’il estime qu’il pourrait contribuer sensiblement à prévenir ou à réduire la pollution atmosphérique ».

[115]    Le préambule du RCR, publié le 23 août 2010 dans la Gazette du Canada, Partie II, indique que la gouverneure en conseil avait formulé l’avis requis. Il est rédigé comme suit :

Attendu que la gouverneure en conseil estime que le projet de règlement pourrait contribuer sensiblement à prévenir ou à réduire la pollution atmosphérique résultant, directement ou indirectement, de la présence de carburant renouvelable dans l’essence, le carburant diesel ou le mazout de chauffage.

[116]    Selon Syncrude, [traduction] « rien dans le dossier volumineux de la présente demande ne permet de conclure que le Règlement contribue sensiblement à réduire la pollution atmosphérique lorsqu’on tient compte de tous les contaminants atmosphériques (et pas seulement des GES) » [souligné dans l’original]. Syncrude fait valoir que la gouverneure en conseil ne pouvait pas avoir formulé l’avis requis en raison de l’insuffisance des données disponibles pouvant justifier un tel avis. Bref, elle demande à la Cour d’évaluer après coup l’avis de la gouverneure en conseil.

[117]    La Cour doit présumer que le RCR a été validement édicté et le fardeau de prouver le contraire incombe à Syncrude : Katz, aux paragraphes 25 et 26. Rien ne permet de conclure que la gouverneure en conseil n’avait pas effectivement formulé l’avis qu’elle a énoncé. En réalité, ce que Syncrude conteste ce n’est pas la formulation de l’avis, mais sa validité. Toutefois, comme le fait valoir le ministre, [traduction] « il n’appartient pas à la Cour de se pencher sur la validité de l’avis de la gouverneure en conseil selon lequel le RCR pourrait contribuer à réduire la pollution atmosphérique, à savoir si la gouverneure en conseil a formulé son avis sur la base de renseignements exacts ou trompeurs, ou si l’avis est fondé ou pas » : voir Thorne’s Hardware Ltd c La Reine, [1983] 1 RCS 106, au paragraphe 13; Canada (Attorney General) c Hallet & Carey Ltd, [1952] AC 427 (PC), au paragraphe 12; Reference re Regulations in Relation to Chemicals, [1943] SCR 1, au paragraphe 22; Teal Cedar Products (1977) Ltd c Canada, [1989] 2 CF 158 [Teal], au paragraphe 16, autorisation de pourvoi refusée, 100 NR 320 (CDC); et Conseil canadien pour les réfugiés c Canada, 2008 CAF 229, aux paragraphes 78 à 80, autorisation de pourvoi refusée, (2009) 395 NR 387 (note).

[118]    Syncrude n’a présenté aucun élément de preuve pour établir que l’avis requis n’a pas été formulé et, comme l’a affirmé la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Teal, « [s]i le gouverneur en conseil a jugé le décret en conseil nécessaire à ces fins, il n’importe pas que son opinion soit juste ou erronée ». Voilà une réponse exhaustive à l’argument de Syncrude selon lequel la condition préalable n’a pas été respectée.

(1)               Une évaluation environnementale stratégique était-elle requise?

[119]    Selon Syncrude, la Directive du Cabinet impose au ministre l’obligation de s’assurer qu’une EES est réalisée avant la mise en œuvre de tout projet de règlement qui pourrait entraîner d’importantes répercussions environnementales, qu’elles soient positives ou négatives. Syncrude soutient que la Directive du Cabinet est une condition légale préalable qui n’a pas été respectée et que, par conséquent, le règlement n’est pas valide.

[120]    Syncrude fait valoir que la Directive du Cabinet est un « règlement » établi par la gouverneure en conseil ou sous son autorité, exigeait la réalisation d’une EES, faisait partie du processus de réglementation en vertu de la LCPE et constitue une condition préalable découlant de cette loi.

[121]    L’alinéa 2(1)b) de la Loi d’interprétation, LRC 1985, c I-21, s’avère crucial pour cet argument. Il est rédigé comme suit :

« règlement » Règlement proprement dit, décret, ordonnance, proclamation, arrêté, règle judiciaire ou autre, règlement administratif, formulaire, tarif de droits, de frais ou d’honoraires, lettres patentes, commission, mandat, résolution ou autre acte pris :

a) soit dans l’exercice d’un pouvoir conféré sous le régime d’une loi fédérale;

b) soit par le gouverneur en conseil ou sous son autorité.

[122]    Premièrement, la Directive du Cabinet en cause en l’espèce est une politique administrative d’application générale, adoptée sous l’autorité du Cabinet et non sous celle du gouverneur général, contrairement à l’exigence de la Loi d’interprétation. Au paragraphe 14 de la décision Independent Contractors and Business Association of British Columbia c British Columbia (1995), 6 BCLR (3d) 177, [1995] BCJ No 777, le juge Scarth a examiné une directive du Cabinet, adoptée par le Cabinet provincial. Pour paraphraser l’analyse du juge Scarth en l’adaptant à la sphère fédérale, une directive du Cabinet n’est pas censée avoir été adoptée grâce à l’exercice d’un pouvoir conféré par une loi; il n’est aucunement indiqué qu’une telle directive est prise soit par le gouverneur en conseil ou sous son autorité, ou que tout décret en conseil est approuvé par le gouverneur général, sur recommandation du Cabinet. La Directive du Cabinet est tout simplement une politique établie par le Cabinet et ne correspond pas à la définition d’un « règlement » aux termes de l’article 1 de la Loi d’interprétation.

[123]    De toute manière, il est évident à la lumière du dossier que, peu importe si elle était [traduction] « requise » ou pas, une EES a été réalisée et présentée au Cabinet. L’EES est jointe à un affidavit déposé par Leif Stephanson et est intitulée [traduction] « L’impact d’un règlement fédéral exigeant l’utilisation de carburants renouvelables sur la pollution atmosphérique ». Par conséquent, même si on supposait que l’EES était une condition préalable, il serait faux d’affirmer que cette condition n’a pas été respectée.

(2)               Le RCR est-il incompatible avec l’objet de la LCPE?

[124]    Syncrude soutient que le RCR ne concorde pas avec l’objet de la LCPE, car le RCR ne protège pas l’« environnement » suivant la définition de ce terme au paragraphe 3(1) de la LCPE. Voici les éléments pertinents du paragraphe 3(1) :

« environnement » Ensemble des conditions et des éléments naturels de la Terre, notamment :

a) l’air, l’eau et le sol;

b) toutes les couches de l’atmosphère;

c) toutes les matières organiques et inorganiques ainsi que les êtres vivants;

d) les systèmes naturels en interaction qui comprennent les éléments visés aux alinéas a) à c).

[125]    Syncrude met l’accent sur la formulation « l’air, l’eau et le sol » et soutient que les règlements pris en vertu de la LCPE doivent protéger l’environnement dans son ensemble – pas seulement l’air, mais aussi l’eau et le sol – en raison de la formulation utilisée. Elle soutient que la gouverneure en conseil a omis de tenir compte des répercussions du RCR sur l’eau et le sol et que, par conséquent, le règlement n’est pas valide.

[126]    Pour contester la validité d’un règlement, il faut démontrer qu’il est incompatible avec l’objectif de sa loi habilitante ou encore qu’il déborde le cadre du mandat prévu par la Loi : Katz, au paragraphe 24. En raison de la présomption de validité du règlement, il incombe à Syncrude de démontrer que le règlement n’est pas valide. Comme je l’ai signalé précédemment, il n’appartient pas à la Cour d’examiner le bien‑fondé du règlement pour déterminer s’il est « nécessaire, sage et efficace dans la pratique ».

[127]    Au paragraphe 28 de l’arrêt Katz, la Cour suprême du Canada a donné plus de précisions sur la question :

L’analyse ne s’attache pas aux considérations sous‑jacentes « d’ordre politique, économique ou social [ni à la recherche, par les gouvernements, de] leur propre intérêt » (Thorne’s Hardware Ltd. c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 106, p. 113).  La validité d’un règlement ne dépend pas non plus de la question de savoir si, de l’avis du tribunal, il permettra effectivement d’atteindre les objectifs visés par la loi (CKOY Ltd. c. La Reine, [1979] 1 R.C.S. 2, p. 12; voir également Jafari, p. 602; Keyes, p. 266).  Pour qu’il puisse être déclaré ultra vires pour cause d’incompatibilité avec l’objet de la loi, le règlement doit reposer sur des considérations « sans importance », doit être « non pertinent » ou être « complètement étranger » à l’objet de la loi (Alaska Trainship Corp. c. Administration de pilotage du Pacifique, [1981] 1 R.C.S. 261; Re Doctors Hospital and Minister of Health, (1976), 12 O.R. (2d) 164 (Cour div.); Produits Shell Canada Ltée c. Vancouver (Ville), [1994] 1 R.C.S. 231, p. 280; Jafari, p. 604; Brown et Evans, 15:3261).  En réalité, bien qu’il soit possible de déclarer un règlement ultra vires pour cette raison, comme le juge Dickson l’a fait observer, « seul un cas flagrant pourrait justifier une pareille mesure » (Thorne’s Hardware, p. 111). [Non souligné dans l’original.]

[128]    Au moyen de nombreuses citations tirées du dossier, Syncrude a tenté de démontrer que l’utilisation des terres n’avait pas été prise en compte de manière appropriée, qu’il n’y aurait pas de réduction nette des émissions de GES, ou qu’il y aurait une augmentation de la pollution atmosphérique, ce qui entraînerait plus de répercussions négatives pour le sol et l’eau que pour l’air. Bien que ses observations soient approfondies, je ne suis pas convaincu que Syncrude s'est acquittée de son fardeau de démontrer que le RCR et l’exigence relative aux biocombustibles reposent sur des considérations sans importance ou sont non pertinents ou complètement étrangers à l’objet de la LCPE. Il s’agit d’un fardeau très lourd.

[129]    Selon le ministre, si la position de Syncrude était acceptée, la Cour serait contrainte de conclure que tous les règlements pris en vertu de la LCPE ne sont pas valides à moins qu’ils ne protègent toutes les composantes de l’« environnement » suivant la définition au paragraphe 3(1) de la LCPE, bien que cette dernière soit divisée en parties et en sections qui portent sur des composantes précises de l’environnement.

[130]    Le ministre soutient que la LCPE ne justifie pas une telle interprétation. Lors de la plaidoirie, Syncrude a signifié son désaccord et a fait valoir que certains règlements pouvaient avoir un effet neutre sur certaines facettes de l’environnement et avoir un effet positif sur d’autres, ce qui serait acceptable. Elle soutient que les règlements de la LCPE ne peuvent pas avoir d’effets nuisibles pour l’environnement.

[131]    Bien que j’hésite à affirmer qu’un règlement de la LCPE puisse améliorer une certaine facette de l’environnement au détriment d’autres facettes, je suis d’accord avec le ministre pour dire que la structure de la LCPE ne justifie pas une interprétation selon laquelle tous les facteurs de l’environnement doivent être pris en compte dans chaque règlement pris en vertu de la LCPE.

[132]    Premièrement, même si Syncrude a choisi de mettre l’accent sur l’élément a) de la définition du terme « environnement », son argument est que toutes les facettes de l’environnement doivent être prises en compte en tout temps dans tous les règlements pris en vertu de la LCPE. Cela engloberait les éléments b), c) et d), soit :

b) toutes les couches de l’atmosphère;

c) toutes les matières organiques et inorganiques ainsi que les êtres vivants;

d) les systèmes naturels en interaction qui comprennent les éléments visés aux alinéas a) à c).

[133]    Il serait extrêmement coûteux et presque impossible de tenir compte de l’effet d’un règlement sur tous les facteurs susmentionnés dans chacun des règlements pris en vertu de la LCPE. À mon avis, imposer un tel fardeau au ministre aurait pour effet de contrecarrer les objectifs de la LCPE, au lieu de les favoriser.

[134]    Deuxièmement, l’organisation de la LCPE en parties et en sections n’étaye pas la position de Syncrude. Par exemple, la partie 7 porte sur le « contrôle de la pollution et [la] gestion des déchets  » et la section 4 vise expressément les « combustibles ». À la partie 7, la section 2 vise la « protection du milieu marin contre la pollution de source tellurique »; la section 3 vise l’« immersion en mer »; la section  5, les « émissions des véhicules, moteurs et équipements »; la section 6, la « pollution atmosphérique internationale »; et la section 7, la « pollution internationale des eaux ». Les pouvoirs de réglementation sont répartis dans des secteurs précis afin de restreindre les facteurs à examiner ou à prendre en compte pour prendre un règlement dans un but précis.

[135]    Troisièmement, le titre de la partie 7 lui-même met en doute l’interprétation de Syncrude selon laquelle aucun règlement ne peut permettre un effet nuisible sur une des facettes de l’environnement. Le titre « Contrôle de la pollution et gestion des déchets » laisse entendre qu’un certain niveau de pollution et de déchets est inévitable et que le but est de réduire la pollution et les déchets dans la mesure du possible, plutôt que de les éliminer. Cela implique nécessairement qu’il faut permettre certains effets nuisibles sur une facette ou une autre de l’environnement.

[136]    Enfin, en lisant les REIR, il est clair que certaines répercussions sur les sols et les eaux ont été prises en considération. Par exemple, il y a eu des études consacrées à l’impact d’un déversement ou d’une fuite sur les sols, à l’impact sur la qualité des eaux dans le secteur agricole et à l’utilisation d’engrais. De plus, la gouverneure en conseil estimait que la menace des changements climatiques s’appliquait aux trois secteurs de l’« environnement » – l’air, le sol et l’eau. Le REIR de décembre 2006 précise que « [l]’utilisation de carburants renouvelables peut comporter d’importants avantages pour l’environnement, y compris des émissions réduites de gaz à effet de serre (GES), des incidences moins considérables sur les écosystèmes fragiles en cas de déversement en raison de leur biodégradabilité [...] ». La prise en considération de l’impact du RCR sur les écosystèmes implique nécessairement la prise en considération de toutes les facettes de l’environnement pour ces écosystèmes.

[137]    Pour conclure que le législateur a outrepassé son pouvoir de réglementation conféré par la LCPE en adoptant le RCR, il faudrait d’abord conclure que le règlement est étranger à l’objet global de la LCPE, et le fardeau de le démontrer incombe à Syncrude. Je suis convaincu que le règlement est conforme à l’objet global de la LCPE, si bien que Syncrude ne s’est pas acquittée de son fardeau. Par conséquent, le RCR relevait bel et bien du pouvoir de réglementation conféré à la gouverneure en conseil.

C.                 Y a-t-il eu manquement aux principes d’équité procédurale?

[138]    Syncrude allègue que, après avoir reçu son avis d’opposition et sa demande d’établir une commission de révision, le ministre avait un devoir d’équité procédurale envers Syncrude. Elle soutient que la décision du ministre était de nature administrative et « touch[ait] les droits, privilèges ou biens d’une personne ». Par conséquent, cette décision est assujettie au devoir d’agir équitablement : Cardinal c Directeur de l’Établissement Kent, [1985] 2 RCS 643, [1985] ACS no 78 [Cardinal], au paragraphe 14. Syncrude soutient que le ministre a manqué à l’équité procédurale en omettant de donner les motifs de sa décision de ne pas constituer de commission de révision et en omettant de consulter Syncrude.

[139]    L’argument principal du ministre est que le pouvoir discrétionnaire de constituer une commission de révision est une décision prise dans le cadre du processus législatif et qu’il n’y a pas de devoir d’équité procédurale lorsque la décision contestée est de nature législative. Subsidiairement, le ministre soutient qu’il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale parce que les motifs de la décision ont été fournis à la fois dans une lettre à Syncrude et dans le REIR. Étant donné que les motifs ont été fournis, même s’ils s’avèrent inadéquats, il ne s’agit pas d’un motif qui, à lui seul, peut justifier l’annulation d’une décision en raison de son caractère déraisonnable.

(1)               Dépôt de l’avis d’opposition de Syncrude après le délai prescrit

[140]    Même si le ministre n’a pas soulevé la lacune et ne se fonde pas sur elle, et même s’il ne s’agit pas du motif pour lequel la Cour rejette la demande de Syncrude, la Cour note que l’avis d’opposition de Syncrude a été déposé après le délai prescrit.

[141]    Le 30 décembre 2006, le projet de règlement a été exposé pour la première fois dans la Gazette du Canada Partie I. Ensuite, le 10 avril 2010, le ministre a publié une version préliminaire du RCR dans la Gazette du Canada Partie I et, à ce moment-là, les membres du public avaient la possibilité de soumettre des observations et de présenter des avis d’opposition demandant la constitution d’une commission de révision. Le 1er septembre 2010, le RCR a été publié dans la Gazette du Canada Partie II, y compris le paragraphe 5(2) exigeant une teneur minimale de 2 p. cent en carburant renouvelable dans le carburant diesel. Toutefois, aucune date n’était fixée pour l’entrée en vigueur du paragraphe 5(2) du RCR. Cette date a été fixée par le Règlement modifiant le Règlement sur les carburants renouvelables exposé dans la Gazette du Canada Partie I le 26 février 2011. Syncrude a déposé son avis d’opposition le 26 avril 2011.

[142]    Syncrude devait déposer son avis d’opposition dans un délai de 60 jours après le 10 avril 2010, date à laquelle le ministre a publié la version préliminaire du RCR et a invité les membres du public à déposer leurs observations et avis d’opposition. En 2010, 114 personnes ont déposé des avis d’opposition et demandé la constitution d’une commission de révision. Syncrude n’était pas de ce nombre.

[143]    L’opposition de Syncrude n’a été déposée qu’à l’égard de la modification au RCR qui fixe la date à laquelle le paragraphe 5(2) doit entrer en vigueur. La modification ne modifie pas la substance du paragraphe 5(2). Syncrude ne soulève aucune objection concernant la date d’entrée en vigueur, mais s’oppose plutôt à la substance du paragraphe 5(2). À la différence du grand nombre d’observations et d’avis d’opposition reçus en 2010, Environnement Canada a reçu 39 lettres d’observations en réponse à la modification de 2011. La lettre de Syncrude était la seule qui demandait une commission de révision. À mon avis, cela confirme davantage que Syncrude a tout simplement manqué sa chance de déposer son avis d’opposition dans le délai prescrit.

(2)               Il n’y a pas de devoir d’agir équitablement dans le cadre d’un processus législatif

[144]    Je suis d’avis que, même si Syncrude avait déposé un avis d’opposition dans le délai prescrit, le ministre n’avait pas de devoir d’agir équitablement quant à sa décision de constituer ou pas une commission de révision parce qu’il existe une règle générale selon laquelle les obligations et protections procédurales habituelles ne s’appliquent pas dans le contexte législatif.

[145]    Dans l’arrêt Association canadienne des importateurs réglementés c Canada (Procureur général), [1994] 2 CF 247, [1994] ACF no 1, aux paragraphes 18 à 21 [Association canadienne], la Cour d’appel fédérale a passé en revue la jurisprudence de la Cour suprême et a conclu qu’« [e]n général, les règles de justice naturelle ne s’appliquent pas aux décisions législatives ou politiques ». En particulier, elle a souligné des observations tirées de l’arrêt Martineau c Comité de discipline de l’Institution de Matsqui, [1980] 1 RCS 602, à la page 628, où le juge Dickson a déclaré : « [u]ne décision purement administrative, fondée sur des motifs généraux d’ordre public, n’accordera normalement aucune protection procédurale à l’individu, et une contestation de pareille décision devra se fonder sur un abus de pouvoir discrétionnaire. De même, on ne pourra soumettre à la surveillance judiciaire les organismes publics qui exercent des fonctions de nature législative. »

[146]    Au paragraphe 59 de l’arrêt Wells c Terre-Neuve, [1999] 3 RCS 199, la Cour suprême a conclu que « la prise d’une décision législative ne fait l’objet d’aucun devoir d’équité connu. Les législatures sont assujetties à des exigences constitutionnelles pour que l’exercice de leur pouvoir de légiférer soit valide, mais à l’intérieur des limites que leur impose la constitution, elles peuvent faire ce que bon leur semble. » Plus récemment, au paragraphe 41 de l’arrêt Authorson c Canada (Procureur général), 2003 CSC 39, [2003] 2 RCS 40, la Cour suprême a déclaré que « [l]e droit à l’application régulière de la loi ne peut entraver le droit de l’organe législatif d’établir sa propre procédure ». Elle a ajouté : « Selon notre longue tradition parlementaire, il est clair que tout ce qu’un citoyen canadien peut exiger, sur le plan procédural, c’est qu’un projet de loi fasse l’objet de trois lectures à la Chambre des communes et au Sénat et qu’il reçoive la sanction royale. Une fois ce processus mené à terme, les mesures législatives prises par le Parlement dans les limites de sa compétence sont inattaquables. »

[147]    Toutefois, le Parlement peut imposer des procédures obligatoires qu’il sera lui-même tenu de respecter dans le cadre du processus législatif. En fait, dans l’arrêt Association canadienne, la Cour d’appel a affirmé ce qui suit :

En l’espèce, les intimés cherchent essentiellement à ce qu’un processus de consultation publique soit imposé au ministre alors que le législateur ne l’a pas prévu. Il y a des lois dont les règlements ou les politiques ne peuvent entrer en vigueur sans que le public soit avisé et consulté […] La Loi sur les licences d’exportation et d’importation ne contient aucune disposition législative semblable, ce que le législateur aurait pu ajouter s’il avait voulu qu’un avis soit donné et que le public soit consulté. [Non souligné dans l’original.]

[148]    Le Parlement peut établir les limites du processus législatif, particulièrement en ce qui a trait aux règlements. Toutefois, à l’intérieur de ces limites, il est libre de dicter son propre processus. En l’espèce, le paragraphe 332(1) de la LCPE impose des exigences que le ministre est tenu de respecter avant d’édicter un règlement :

Le ministre fait publier dans la Gazette du Canada les projets de décret, d’arrêté ou de règlement prévus par la présente loi; le présent paragraphe ne s’applique pas aux listes visées aux articles 66, 87, 105 ou 112 ou aux arrêtés d’urgence pris en application des articles 94, 163, 173, 183 ou 200.1.

[Non souligné dans l’original.]

[149]    De plus, en vertu du paragraphe 332(2), quiconque peut « présenter au ministre des observations ou un avis d’opposition motivé demandant la constitution de la commission de révision prévue à l’article 333 » dans les 60 jours suivant la publication, en application du paragraphe 332(1), d’un projet de décret ou de règlement dans la Gazette du Canada.

[150]    Si un avis d’opposition est déposé, le paragraphe 333(1) stipule que « le ministre, seul ou avec le ministre de la Santé, peut constituer une commission de révision chargée d’enquêter sur la nature et l’importance du danger que représente la substance visée […] par la décision ou le projet de règlement, décret ou texte […] » [non souligné dans l’original].

[151]    Par contre, tel qu’il a été signalé précédemment, en vertu des paragraphes 333(3), (4) et (6), le ministre doit établir une commission de révision lorsqu’un avis d’opposition est déposé relativement à un projet de règlement en vertu des articles 118 (rejet de substances nutritives dans l’eau), 167 (rejet dans l’air des substances qui créent la pollution atmosphérique) ou 177 (rejet dans l’eau des substances qui créent la pollution de l’eau), ou en vertu de la partie 9 de la LCPE, ou lorsque le ministre omet de déterminer si une substance est toxique. En ce qui a trait aux règlements pris en vertu de l’article 139, contrairement aux circonstances décrites ci-dessus, il n’y a pas de disposition similaire prévoyant que la constitution d’une commission de révision est obligatoire. La décision de constituer ou non une commission de révision est de nature discrétionnaire.

[152]    Cette décision discrétionnaire a lieu dans le contexte du processus législatif. Le dépôt d’observations ou d’un avis d’opposition est un mécanisme formel permettant au public de participer à ce processus et de communiquer avec le législateur. Toutefois, à l’intérieur de ce contexte, la jurisprudence indique clairement que « la prise d’une décision législative ne fait l’objet d’aucun devoir d’équité connu » : Authorson, au paragraphe 39.

[153]    De plus, Syncrude et d’autres parties concernées ont eu droit à d’autres protections procédurales, y compris la publication du REIR. Comme l’ont signalé Van Harten, Heckman, et Mullan dans Administrative Law: Cases, Text, and Materials, 6e édition (Toronto: Emond Montgomery Publications Limited, 2010) à la page 653, le REIR [traduction] « sert à identifier l’objet du projet de règlement, à fournir une analyse de ses coûts et avantages, et à expliquer pourquoi un projet de réglementation est jugé nécessaire […] [ainsi qu’] à décrire le règlement et son impact prévu, les solutions de rechange envisagées, la conformité aux obligations internationales et l’ampleur des consultations qui ont eu lieu avant la conception du règlement ».

[154]    En l’espèce, les REIR révèlent que le projet de règlement a été proposé en 2006. Il y a eu une invitation à déposer des observations et des avis d’opposition en avril 2010. Le ministre a proposé de consulter les provinces, les territoires, les intervenants et les représentants de l’industrie, et les a consultés en mai 2010.

[155]    Des sections du RCR ont été remaniées à la lumière des commentaires reçus par le ministre et la version modifiée a été publiée en septembre 2010. Il était prévu de rendre compte du rendement du RCR dans un rapport annuel, dans le rapport de la LCPE, dans le rapport sur les plans et priorités d’Environnement Canada et dans les rapports ministériels sur le rendement, ainsi que dans le cadre des obligations du Canada en matière de présentation de rapports en vertu de la Loi de mise en œuvre du Protocole de Kytoto : Gazette du Canada Partie II, vol. 144, no 18, à la page 1738.

[156]    Il s’agit des éléments du processus législatif qui assurent l’application régulière de la loi dans le contexte de la prise de règlements. La LCPE établit une autre voie pour assurer l’application régulière de la loi et la participation démocratique en permettant le dépôt d’observations et d’avis d’opposition, mais l’obligation du ministre à l’égard de tout citoyen individuel se limite à la réception de ces documents déposés, sauf dans les circonstances prévues aux paragraphes 333(3), (4) ou (6).

(3)               La décision de constituer ou non une commission de révision n’est pas de nature administrative

[157]    Je rejette l’argument selon lequel le ministre devait, après avoir reçu les avis d’opposition de Syncrude, prendre une décision de nature administrative qui touchait « les droits, privilèges ou biens d’une personne ». La tâche de la commission de révision n’est pas de se prononcer sur les droits, privilèges ou biens d’un membre du public, mais d’examiner les observations ou objections soulevées dans le contexte de l’application générale du projet de règlement.

[158]    L’article 333 de la LCPE esquisse le mandat d’une commission de révision, advenant qu’une commission soit constituée. Il consiste à enquêter sur « la nature et l’importance du danger que représente la substance visée […] par la décision ou le projet de règlement, décret ou texte ». Il n’y a rien dans le mandat d’une commission de révision qui soit de nature individuelle. Il est encore plus faible de soutenir que la décision discrétionnaire du ministre de constituer ou non une telle commission, qui n’est pas appelée à trancher sur les droits, privilèges ou biens individuels de quiconque, est de nature administrative.

[159]    De plus, l’avis d’opposition de Syncrude visait principalement une exemption expresse de l’application du RCR à ses activités. La demande d’une commission de révision était une solution de rechange à la demande d’exemption. En fait, ses observations exposaient de manière détaillée ses propres activités, des préoccupations d’ordre technique (telles que l’incidence des températures froides sur la capacité opérationnelle) qui avaient déjà été soulevées par d’autres intervenants et examinées par le ministre, des préoccupations d’ordre logistique propres à Syncrude, des prévisions quant à l’effet réel sur les émissions de GES de Syncrude si le RCR s’appliquait à ses activités, ainsi que le fait que les émissions de GES en Alberta étaient déjà assujetties à une réglementation provinciale.

[160]    Comme il est expliqué ci-après relativement au caractère raisonnable de la décision sur le fond, toutes les questions soulevées par Syncrude ayant trait à l’application du RCR de manière générale étaient déjà connues du ministre. Les questions propres aux activités de Syncrude reflétaient sa principale demande visant une exemption du RCR, au lieu de mettre de l’avant les motifs justifiant la constitution d’une commission de révision.

(4)               Conclusion concernant l’équité procédurale

[161]    Pour les motifs exposés ci-dessus, je conclus que le ministre n’avait pas de devoir d’équité procédurale envers Syncrude. L’article 332 de la LCPE, qui permet à quiconque de déposer un avis d’opposition à la suite de la publication d’un règlement dans la Gazette du Canada, fait partie d’un processus législatif auquel n’est attachée aucune obligation d’équité procédurale. Le dépôt d’un avis d’opposition n’a pas lancé de processus décisionnel administratif sur les droits, privilèges ou biens de Syncrude. Le mandat d’une commission de révision est d’enquêter sur la nature et l’importance du danger que représente la substance visée par le règlement en cause; autrement dit, le mandat est d’examiner l’impact de l’application du règlement de manière générale. Une commission n’est pas chargée de rendre une décision sur le fond concernant l’application du règlement à des personnes en particulier.

D.                Interprétation du ministre des termes «danger » et « substance »

[162]    De plus, Syncrude soutient que le ministre a sans doute adopté une interprétation trop étroite du terme « danger » et n’a sans doute pas considéré que les préoccupations soulevées par Syncrude constituaient des « dangers ». Syncrude soutient que la substance en cause n’était pas les émissions de GES, mais le biodiesel.

[163]    Je rejette les arguments de Syncrude. Premièrement, Syncrude présume que le ministre doit constituer une commission de révision pour enquêter sur la nature et l’importance du danger que représente la substance visée par le règlement promulgué en vertu de l’article 139 de la LCPE. Comme je l’ai conclu précédemment, la décision de constituer une commission de révision dans ce contexte est de nature discrétionnaire. Par conséquent, le ministre n’était pas tenu de formuler un avis concernant la portée du terme « danger ». Ce rôle incombait à une commission de révision, si une telle commission était constituée – comme l’a fait, par exemple, la commission de révision établie pour enquêter sur le décaméthylcyclopentasiloxane [siloxane D5]. Dans le cadre de sa révision, la commission s’est penchée sur la portée du terme « danger » à l’article 333 de la LCPE. Il incombe à la commission de déterminer la portée du « danger » qu’elle est chargée d’examiner. Le rôle du ministre est simplement de décider s’il y a lieu de constituer une commission de révision.

[164]    Même s’il incombait au ministre de déterminer l’ampleur du danger que la commission de révision est chargée d’examiner, Syncrude ne présente aucun élément de preuve, mais seulement des suppositions, pour démontrer que le ministre a interprété ce terme d’une manière trop étroite en l’espèce.

[165]    Bien que je sois d’accord avec Syncrude pour dire que la « substance » en cause qu’une commission de révision aurait à examiner serait le biodiesel et non les émissions de GES, encore une fois, il n’y a tout simplement aucun élément de preuve attestant que le ministre pensait que la substance en cause était les GES plutôt que le biodiesel. Syncrude se contente d’affirmer que c’est ce qui est arrivé.

E.                 Caractère raisonnable de la décision sur le fond

[166]    Enfin, Syncrude conteste le caractère raisonnable de la décision du ministre de ne pas constituer une commission de révision. Syncrude met de l’avant six arguments principaux : (1) rien dans le dossier du tribunal certifié [DTC] n’indique que le ministre a pris en considération les objections de Syncrude; (2) les résultats des essais réalisés par Ressources naturelles Canada [RNCan] ne peuvent être appliqués au matériel des usines d’extraction des sables bitumineux en raison de la nature spécialisée de ce matériel; (3) le ministre n’a pas pris en considération l’impact environnemental associé au fait que Syncrude doit utiliser des camions pour approvisionner ses installations en biodiesel; (4) le modèle GHGenius servant à évaluer l’effet de l’exigence relative au biodiesel sur les émissions de GES produit des résultats imprécis; (5) la moyenne canadienne des émissions de GES ne s’applique pas à Syncrude, dont les activités n’apportent qu’une contribution marginale aux émissions de GES; et (6) les notes manuscrites du personnel du ministre indiquent que Syncrude avait de bonnes raisons de demander une commission de révision ou d’obtenir une exemption.

[167]    Je conclus que la décision du ministre de ne pas constituer une commission de révision était raisonnable pour les motifs qui suivent.

[168]    Même si la réponse du ministre à Syncrude était brève, il ne s’ensuit pas qu’il a omis de prendre en considération les objections présentées. Il y a des éléments de preuve au dossier qui indiquent que les questions soulevées par Syncrude avaient déjà été examinées à des étapes précédentes du processus de réglementation. Il incombait à cette dernière de soulever de nouvelles questions qui n’avaient pas été prises en compte précédemment. Le ministre n’est pas tenu de réexaminer des questions qui ont déjà été examinées.

[169]    Il ressort du dossier que le ministre était conscient de toutes les préoccupations de Syncrude qui étaient d’application générale (c’est-à-dire celles qui ne s’appliquaient pas uniquement à Syncrude). Par exemple, l’affidavit de Neeta Adams indique les préoccupations de Syncrude concernant le modèle GHGenius étaient déjà dans la mire du ministre à la suite des consultations avec les représentants de l’industrie en mars 2007. De plus, il ressort clairement que Suncor – une autre société minière ayant des activités en Alberta, qui a eu des échanges avec le ministre durant le processus de consultation – a avisé le ministre qu’il fallait examiner attentivement le contexte de l’exploitation des sables bitumineux.

[170]    Il ressort de l’affidavit de l’ingénieur Leif Stephanson, chef de la Section des carburants au sein de Division du pétrole, du gaz et de l’énergie de remplacement chez Environnement Canada, que les questions liées au rendement en hiver avaient été soulevées par Impériale et Shell en juin 2010. Shell avait même signalé que 95 p. cent du marché canadien du diesel se situe dans ce que l’Europe désigne comme étant les [traduction] « zones de l’Extrême Arctique » où aucune incorporation de biodiesel ne doit se faire durant les mois d’hiver en raison des points de trouble plus élevés. Syncrude signale avec raison que le rapport de RNCan fait état d’essais sur le biodiesel jusqu’à des températures de - 37°C; toutefois, compte tenu de la preuve indiquant le biodiesel produit avec les meilleures matières premières se trouble à des températures inférieures à -10°C, le fait que RNCan n’a pas effectué d’essais jusqu’à des températures de -44°C semble peu pertinent. De toute manière, il est clair que les observations de Shell avaient signalé au ministre qu’une partie importante du Canada ne pourrait pas utiliser des mélanges en hiver, peu importe que la température la plus froide soit de -37°C ou de -44°C.

[171]    Il ressort également du dossier que, dans son avis d’opposition et la présentation connexe, Suncor avait informé le ministre qu’il n’était pas possible d’incorporer le biodiesel à des températures entre -43°C et -34°C.

[172]    Par conséquent, la stratégie de conformité de Syncrude, comme celles de Shell, de Suncor et d’Impériale, consisterait à incorporer des quantités suffisantes de biodiesel durant les mois d’été pour être en mesure de ne pas utiliser de mélange de biodiesel durant les mois d’hiver. Il n’y a rien d’unique dans la situation de Syncrude qui puisse justifier une enquête par une commission de révision.

[173]    En ce qui a trait au caractère unique du matériel d’extraction des sables bitumineux, je note que, selon le dossier, Shell est également un [traduction] « acteur de premier plan dans le secteur des sables bitumineux, ayant son propre processus pour la fabrication du bitume et de pétroles bruts non conventionnels ». De plus, Suncor a demandé une exemption pour le carburant destiné à l’autoconsommation que, comme Syncrude, elle produit sur place dans ses installations d’exploitation des sables bitumineux. Syncrude n’est pas crédible quand elle affirme que son matériel d’exploitation minière est si unique que le ministre aurait dû se pencher spécifiquement sur l’application du RCR au matériel de Syncrude. Même si le matériel de cette dernière était unique, Syncrude n’a pas démontré qu’une commission de révision, qui examine l’application générale du RCR, aurait dû être constituée pour enquêter sur la nature et l’importance du danger que représente le biodiesel. Il n’est pas clair que le caractère unique de tout matériel qui consomme du biodiesel peut être un facteur dans l’enquête d’une commission de révision sur la nature et l’importance du danger que représente une substance.

[174]    Pour ce qui est du modèle GHGenius servant à prévoir les réductions de GES découlant de la mise en œuvre du RCR, il est clair qu’il y a des divergences d’avis concernant la méthodologie pour une telle modélisation : le ministère l’a reconnu dans les Questions et réponses relatives au Règlement sur les carburants renouvelables. Toutefois, le ministère a toujours fait valoir qu’il s’agit du meilleur modèle à sa disposition. Compte tenu de la complexité des sciences et de la modélisation environnementales, le gouvernement a droit à une certaine déférence pour ce qui est du choix d’un modèle sur lequel fonder ses décisions.

[175]    Enfin, pour ce qui est des questions soulevées par Syncrude qui ont trait à l’application du RCR à Syncrude en particulier, on ne peut s’attendre à ce que le ministre constitue une commission de révision pour confirmer les prévisions de Syncrude elle-même concernant l’effet néfaste du RCR sur les émissions de GES en raison de son application à Syncrude. Comme je l’ai déjà signalé, tel n’est pas le mandat d’une commission de révision et, à mon avis, ces objections sont sans rapport avec la question de savoir si la décision du ministre de constituer ou non une commission de révision était raisonnable. Cela répond également à l’argument de Syncrude concernant les notes manuscrites de certains agents du ministère.

[176]    À l’audience, en rapport avec son argument constitutionnel, Syncrude a soutenu que le ministre n’avait pas adéquatement pris en compte la facette économique du RCR à titre d’outil pour la réduction des émissions de GES. Il n’appartient pas à la cour de révision d’évaluer l’efficacité des mesures que le Parlement a en fin de compte choisies pour atteindre ses objectifs. Aux fins de l’analyse du caractère raisonnable,  il suffit qu’il y ait des éléments de preuve au dossier attestant que les préoccupations soulevées par Syncrude avaient déjà été soulevées par d’autres intervenants et que le ministre les avait prises en considération. À cet égard, l’avis d’opposition de l’Impériale avait également signalé que le RCR s’avérait une initiative relativement coûteuse pour assurer une réduction des GES et enjoignait le ministre à tenir compte des coûts additionnels liés aux changements dans l’utilisation des terres. Par conséquent, même les questions d’ordre économique soulevées par Syncrude étaient déjà connues du ministre.

[177]    À la lumière de tout ce qui précède, il n’y a rien au dossier qui permette de conclure que le ministre a omis d’examiner les questions soulevées par Syncrude dans son avis d’opposition; de plus, il y a des éléments de preuve attestant que toutes les questions soulevées en rapport avec la décision de constituer ou pas une commission de révision avaient déjà été soumises au ministre.

[178]    La décision du ministre de ne pas constituer de commission de révision était nettement de nature discrétionnaire et il faut faire preuve d’une grande retenue à son égard. À mon avis, il était raisonnable de conclure que Syncrude n’avait pas soulevé de nouvelles questions pouvant justifier une enquête par une commission de révision, car d’autres parties avaient déjà soulevé les mêmes questions, ou encore les préoccupations soulevées étaient propres à la situation de Syncrude, si bien qu’elles échappent au mandat d’une commission de révision.

V.                Analyse

[179]    En résumé, je conclus que le RCR est valide sur le plan constitutionnel et qu’il a été pris dans les limites du pouvoir de réglementation conféré par la LCPE. Même en supposant qu’il y avait un devoir d’équité procédurale, la décision du ministre de ne pas constituer de commission de révision a été prise d’une manière équitable. Enfin, la décision du ministre était raisonnable. Par conséquent, la Cour rejette la demande de contrôle judiciaire présentée par Syncrude.

[180]    Le ministre a droit à ses dépens. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur le montant, les dépens du ministre pourront être taxés selon le milieu de la fourchette prévue à la colonne IV.

[181]    La Cour remercie tous les avocats pour leurs observations écrites et orales détaillées et très utiles sur un sujet complexe.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande est rejetée avec dépens.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


ANNEXE A

 

Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999) (L.C. 1999, ch. 33)

Canadian Environmental Protection Act, 1999 (S.C. 1999, c. 33)

139. (1) Il est interdit de produire, d’importer ou de vendre un combustible non conforme aux normes réglementaires

139. (1) No person shall produce, import or sell a fuel that does not meet the prescribed requirements.

140. (1) Sur recommandation du ministre, le gouverneur en conseil peut prendre tout règlement d’application de l’article 139 et, par règlement, régir :

140. (1) The Governor in Council may, on the recommendation of the Minister, make regulations for carrying out the purposes of section 139 and may make regulations respecting

a) la quantité ou la concentration de tout élément, composant ou additif dans un combustible;

(a) the concentrations or quantities of an element, component or additive in a fuel;

b) les propriétés physiques ou chimiques du combustible;

(b) the physical or chemical properties of a fuel;

c) les caractéristiques du combustible établies conformément à une formule liée à ses propriétés ou à ses conditions d’utilisation;

(c) the characteristics of a fuel, based on a formula related to the fuel’s properties or conditions of use;

c.1) le mélange de combustibles;

(c.1) the blending of fuels;

d) les méthodes de transfert et de manutention du combustible;

(d) the transfer and handling of a fuel;

e) la tenue des livres et registres par les producteurs, importateurs, vendeurs ou mélangeurs de combustible;

(e) the keeping of books and records by persons who produce, sell or import fuel or blend fuels;

f) la vérification des livres et registres et la remise de rapports de vérification et de copies des livres et registres;

(f) the auditing of the books and records and the submission of audit reports and copies of the books and records;

g) la transmission par les producteurs, importateurs, vendeurs ou mélangeurs de combustible de renseignements concernant :

(g) the submission by persons who produce, sell or import fuel or blend fuels of information regarding

(i) le combustible et tout élément, composant ou additif présent dans le combustible,

(i) the fuel and any element, component or additive contained in the fuel,

(ii) les propriétés physiques et chimiques du combustible ou de toute autre substance devant y servir d’additif,

(ii) any physical or chemical property of the fuel or any substance intended for use as an additive to the fuel,

(iii) les effets nocifs de l’utilisation du combustible, ou de tout additif présent dans celui-ci, sur l’environnement ou sur la vie ou la santé humaines, ainsi que sur les technologies de combustion ou les dispositifs de contrôle des émissions,

(iii) the adverse effects from the use of the fuel, or any additive contained in the fuel, on the environment, on human life or health, on combustion technology and on emission control equipment, and

(iv) les techniques de détection et de mesure des éléments, composants et additifs et des propriétés physiques et chimiques;

(iv) the techniques that may be used to detect and measure elements, components, additives and physical and chemical properties;

h) l’échantillonnage, l’analyse, l’essai, la mesure ou la surveillance du combustible et d’additifs et la transmission des résultats;

(h) the conduct of sampling, analyses, tests, measurements or monitoring of fuels and additives and the submission of the results;

i) la transmission des échantillons;

(i) the submission of samples of fuels and additives;

j) les conditions, procédures d’essai et pratiques de laboratoire auxquelles il faut se conformer pour l’échantillonnage, l’analyse, l’essai, la mesure ou la surveillance;

(j) the conditions, test procedures and laboratory practices to be followed for conducting sampling, analyses, tests, measurements or monitoring; and

k) la présentation de rapports concernant la quantité de combustible produit, importé ou vendu pour exportation.

(k) the submission of reports on the quantity of fuel produced, imported or sold for export.

(2) Le gouverneur en conseil peut prendre un règlement au titre des alinéas (1)a) à d) s’il estime qu’il pourrait contribuer sensiblement à prévenir ou à réduire la pollution atmosphérique résultant :

(2) The Governor in Council may make a regulation under any of paragraphs (1)(a) to (d) if the Governor in Council is of the opinion that the regulation could make a significant contribution to the prevention of, or reduction in, air pollution resulting from

a) directement ou indirectement, du combustible ou d’un de ses composants;

(a) directly or indirectly, the fuel or any of its components; or

b) des effets du combustible sur le fonctionnement, la performance ou l’implantation de technologies de combustion ou d’autres types de moteur ou de dispositifs de contrôle des émissions.

(b) the fuel’s effect on the operation, performance or introduction of combustion or other engine technology or emission control equipment.

(3) Sur recommandation du ministre, le gouverneur en conseil peut, par règlement, soustraire à l’application du paragraphe 139(1) un producteur ou un importateur en ce qui concerne tout combustible qu’il produit ou importe, selon le cas, dans une quantité inférieure à 400 mètres cubes par an.

(3) The Governor in Council may, on the recommendation of the Minister, make regulations exempting from the application of subsection 139(1) any producer or importer in respect of any fuel that they produce or import in quantities of less than 400 m3 per year.

(4) Avant de recommander la prise de tout règlement visé au paragraphe (1), le ministre propose de consulter les gouvernements provinciaux ainsi que les membres du comité qui sont des représentants de gouvernements autochtones; il peut aussi consulter tout ministère, organisme public ou peuple autochtone, tout représentant de l’industrie, des travailleurs et des municipalités ou toute personne concernée par la qualité de l’environnement.

(4) Before recommending a regulation to the Governor in Council under subsection (1), the Minister shall offer to consult with the government of a province and the members of the Committee who are representatives of aboriginal governments and may consult with a government department or agency, aboriginal people, representatives of industry and labour and municipal authorities or with persons interested in the quality of the environment.

(5) Après les soixante jours suivant la date de la proposition de consultation faite en application du paragraphe (4), le ministre peut recommander au gouverneur en conseil la prise d’un règlement conformément au paragraphe (1) si le gouvernement d’une province ou les membres du comité qui sont des représentants de gouvernements autochtones n’acceptent pas l’offre.

(5) At any time after the 60th day following the day on which the Minister offers to consult in accordance with subsection (4), the Minister may recommend a regulation to the Governor in Council under subsection (1) if the offer to consult is not accepted by the government of a province or members of the Committee who are representatives of aboriginal governments.

(6) Il y aurait lieu, dans l’année suivant l’entrée en vigueur du présent paragraphe et par la suite tous les deux ans, que le comité soit du Sénat, soit de la Chambre des communes, soit mixte, que le Parlement ou la chambre en question, selon le cas, désigne ou constitue à cette fin, procède à un examen approfondi des aspects environnementaux et économiques de la production de biocombustibles au Canada.

(6) Within one year after this subsection comes into force and every two years thereafter, a comprehensive review of the environmental and economic aspects of biofuel production in Canada should be undertaken by such committee of the Senate, of the House of Commons or of both Houses of Parliament as may be designated or established by the Senate or the House of Commons, or by both Houses of Parliament, as the case may be, for that purpose.

(7) Il y aurait lieu, dans l’année suivant le début de son examen, que le comité visé au paragraphe (6) présente au Parlement un rapport où sont consignées ses conclusions ainsi que ses recommandations quant à la production de biocombustibles au Canada.

(7) The committee referred to in subsection (6) should, within one year after a review is undertaken pursuant to that subsection, submit a report on the review to Parliament, including a statement of any recommendations that the committee makes in respect of biofuel production in Canada.

332. (1) Le ministre fait publier dans la Gazette du Canada les projets de décret, d’arrêté ou de règlement prévus par la présente loi; le présent paragraphe ne s’applique pas aux listes visées aux articles 66, 87, 105 ou 112 ou aux arrêtés d’urgence pris en application des articles 94, 163, 173, 183 ou 200.1.

332. (1) The Minister shall publish in the Canada Gazette a copy of every order or regulation proposed to be made by the Minister or the Governor in Council under this Act, except a list, or an amendment to a list, referred to in section 66, 87, 105 or 112 or an interim order made under section 94, 163, 173, 183 or 200.1.

(2) Quiconque peut, dans les soixante jours suivant la publication dans la Gazette du Canada des projets de décret, d’arrêté, de règlement ou de texte — autre qu’un règlement — à publier en application du paragraphe 91(1), présenter au ministre des observations ou un avis d’opposition motivé demandant la constitution de la commission de révision prévue à l’article 333.

(2) Within 60 days after the publication of a proposed order or regulation in the Canada Gazette under subsection (1) or a proposed instrument respecting preventive or control actions in relation to a substance that is required by section 91 to be published in the Canada Gazette, any person may file with the Minister comments with respect to the order, regulation or instrument or a notice of objection requesting that a board of review be established under section 333 and stating the reasons for the objection.

(3) Ne sont pas visés par l’obligation de publication les projets de décret, d’arrêté, de règlement ou de texte — autre qu’un règlement — déjà publiés dans les conditions prévues au paragraphe (1), qu’ils aient ou non été modifiés.

(3) No order, regulation or instrument need be published more than once under subsection (1), whether or not it is altered after publication.

333. (1) En cas de dépôt de l’avis d’opposition mentionné aux paragraphes 77(8) ou 332(2), le ministre, seul ou avec le ministre de la Santé, peut constituer une commission de révision chargée d’enquêter sur la nature et l’importance du danger que représente la substance visée soit par la décision ou le projet de règlement, décret ou texte du gouverneur en conseil, soit par la décision ou le projet d’arrêté ou de texte des ministres ou de l’un ou l’autre.

333. (1) Where a person files a notice of objection under subsection 77(8) or 332(2) in respect of

 

(a) a decision or a proposed order, regulation or instrument made by the Governor in Council, or

 

(b) a decision or a proposed order or instrument made by either or both Ministers,

 

the Minister or the Ministers may establish a board of review to inquire into the nature and extent of the danger posed by the substance in respect of which the decision is made or the order, regulation or instrument is proposed.

(2) En cas de dépôt de l’avis d’opposition mentionné aux paragraphes 9(3) ou 10(5), le ministre peut constituer une commission de révision chargée d’enquêter sur l’accord en cause et les conditions de celui-ci.

(2) Where a person files a notice of objection under subsection 9(3) or 10(5) in respect of an agreement or a term or condition of the agreement, the Minister may establish a board of review to inquire into the matter.

(3) En cas de dépôt, dans le délai précisé, de l’avis d’opposition mentionné au paragraphe 332(2), le ministre constitue une commission de révision chargée d’enquêter sur la nature et l’importance du danger que représente le rejet dans l’atmosphère ou dans l’eau de la substance visée par un projet de règlement d’application des articles 167 ou 177.

(3) Where a person or government files with the Minister a notice of objection under subsection 332(2) with respect to regulations proposed to be made under section 167 or 177 within the time specified in that subsection, the Minister shall establish a board of review to inquire into the nature and extent of the danger posed by the release into the air or water of the substance in respect of which the regulations are proposed.

(4) En cas de dépôt, dans le délai précisé, de l’avis d’opposition mentionné au paragraphe 332(2) à l’égard d’un projet de règlement d’application de la partie 9 ou de l’article 118, le ministre constitue une commission de révision chargée d’enquêter sur la question soulevée par l’avis.

(4) Where a person files with the Minister a notice of objection under subsection 332(2) with respect to regulations proposed to be made under Part 9 or section 118 within the time specified in that subsection, the Minister shall establish a board of review to inquire into the matter raised by the notice.

(5) En cas de dépôt, dans le délai précisé, de l’avis d’opposition mentionné à l’article 134, le ministre peut constituer une commission de révision chargée d’enquêter sur la question soulevée par l’avis.

(5) Where a person files with the Minister a notice of objection under section 134 within the time specified in that section, the Minister may establish a board of review to inquire into the matter raised by the notice.

(6) Lorsqu’une personne dépose un avis d’opposition auprès du ministre en vertu de l’article 78 pour défaut de décision sur la toxicité d’une substance, le ministre constitue une commission de révision chargée de déterminer si cette substance est effectivement ou potentiellement toxique.

(6) Where a person files with the Minister a notice of objection under section 78 in respect of the failure to make a determination about whether a substance is toxic, the Minister shall establish a board of review to inquire into whether the substance is toxic or capable of becoming toxic.

Règlement sur les carburants renouvelables (DORS/2010-189)

Exigences Relatives à L’Essence, au Carburant Diesel et au Mazout de Chauffage –

Quantités prescrites de carburant renouvelable :

Renewable Fuels Regulations (SOR/2010-189)

Requirements Pertaining to Gasoline, Diesel Fuel and Heating Distillate Oil -

Prescribed Quantities of Renewable Fuel:

5. (1) Pour l’application de l’article 139 de la Loi, la quantité de carburant renouvelable, correspondant à un volume exprimé en litres et calculée conformément au paragraphe 8(1), ne peut être inférieure à 5 % du volume, exprimé en litres, des stocks d’essence du fournisseur principal au cours de chaque période de conformité visant l’essence.

5. (1) For the purpose of section 139 of the Act, the quantity of renewable fuel, expressed as a volume in litres, calculated in accordance with subsection 8(1), must be at least 5% of the volume, expressed in litres, of a primary supplier’s gasoline pool for each gasoline compliance period.

(2) Pour l’application de l’article 139 de la Loi, la quantité de carburant renouvelable, correspondant à un volume exprimé en litres et calculée conformément au paragraphe 8(2), ne peut être inférieure à 2 % du volume, exprimé en litres, des stocks de distillat du fournisseur principal au cours de chaque période de conformité visant le distillat.

(2) For the purpose of section 139 of the Act, the quantity of renewable fuel, expressed as a volume in litres, calculated in accordance with subsection 8(2), must be at least 2% of the volume, expressed in litres, of a primary supplier’s distillate pool for each distillate compliance period.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1643-11

 

INTITULÉ :

SYNCRUDE CANADA LTD c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEUX DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE‑ BritANNIQUE) et

OTTAWA (ONTARIO)

 

DATES DE L’AUDIENCE :

vancouver (c.-b) – 25 NovembrE 2013

ottawa (onT.)       – 24, 25, 26 ET 27 fÉV. 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

26 AOÛt 2014

 

COMPARUTIONS :

Bernard J. Roth and

Joshua A. Jantzi

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Kerry E.S. Boyd

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

DENTONS CANADA LLP

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

WILLIAM F. PENTNEY

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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