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Date : 20140819


Dossier : IMM-6656-13

Référence : 2014 CF 805

Montréal (Québec), le 19 août 2014

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

PIERRE ARNAUD NDABEREYE

SAMIRA RUKARA

RITA MICHELLE NDABEREYE INEMA

SAMUEL HALLEY NDABEREYE MUGISHA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Au préalable

[1]               Adhéré à un enchaînement de présomptions dont le cumul rend un récit invraisemblable, contradictoire et avec de lacunes, en temps et lieu, mènerait à une conclusion déraisonnable, compte tenu de l’ensemble du dossier incluant une transcription de procès-verbal à l’appui.

II.                Introduction

[2]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], d’une décision rendue le 23 septembre 2013 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la SPR] rejetant la demande des demandeurs de se faire reconnaître la qualité de réfugiés ou de personnes à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR.

III.             Faits

[3]               Le demandeur principal, monsieur Pierre Arnaud Ndabereye (le demandeur), est un citoyen du Burundi, de même que son épouse, madame Samira Rukara, et leurs deux enfants, Rita et Samuel.

[4]               Le demandeur déclare qu’avant de venir au Canada, il travaillait au Burundi dans une entreprise nommée Bujumbura Garbage Collection [BGC] et faisait des audits et de l’expertise comptable comme travailleur autonome à contrat à temps partiel dans le Bureau d’ingénierie et de faisabilité économique [BIFE]. Il déclare ainsi avoir été un membre de l’Observatoire de la lutte contre la corruption et les malversations économiques [OLUCOME].

[5]               À partir de 2008, le BIFE aurait été chargé de préparer les listes de paie pour les sous-officiers et les hommes de troupe de l’armée et d’assurer leur paie. Le BIFE aurait trouvé des indices qu’il y avait possiblement un détournement de fonds à des policiers fictifs, mais le marché leur aurait été retiré en février 2009 en raison de soupçon d'une magouille financière.

[6]               Le BIFE aurait été contacté à la mi-février par l'inspecteur général de l'État pour travailler dans le cadre de leur enquête sur les salaires de la Police Nationale du Burundi [PNB]. Le BIFE aurait été mandaté à répertorier et chiffrer les sommes et la valeur de la dotation en matériel subtilisées.

[7]               L'OLUCOME aurait demandé au demandeur de lui fournir des informations sur les policiers fictifs. Le demandeur lui aurait indiqué verbalement où il pouvait enquêter afin de trouver les informations recherchées.

[8]               Le 9 avril 2009, le vice-président de l'OLUCOME, monsieur Ernest Manirumya, a été assassiné à son domicile et certains de ses dossiers auraient disparus.

[9]               Le 10 mai 2009, le demandeur explique que des individus en tenue policière auraient fait irruption chez lui. Ils auraient saccagé sa maison, battu le demandeur et agressé et menacé son épouse et ses enfants. Après n'avoir rien trouvé dans sa maison concernant les informations recherchées par l'OLUCOME, ils se seraient enfuis.

[10]           Le demandeur dit avoir dénoncé l'agression le lendemain à la police, mais elle n'aurait pas fourni la protection recherchée. Par la suite, le demandeur explique que des personnes auraient continué de l'appeler et de s'enquérir de lui sur son lieu de travail.

[11]           Le 16 mai 2009, trois hommes l'auraient appréhendé alors qu'il descendait d'un autobus pour rentrer à la maison. Ils auraient tenté de le forcer à monter dans une voiture, mais il aurait réussi à s'échapper. La nuit même, le demandeur et sa famille se sont enfuis chez son oncle.

[12]           Le 22 mai 2009, le demandeur a quitté son pays vers les États-Unis pour participer à un sommet de Business Initiative Direction [BID]. Il est arrivé au Canada le 24 mai 2009 et a demandé l'asile le même jour.

[13]           La demanderesse a obtenu un visa américain pour ses enfants et elle-même le 9 décembre 2009. Elle est arrivée au Canada le 18 janvier 2010, et a demandé l'asile le même jour.

IV.             Décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire

[14]           Dans sa décision, la SPR a conclu que les demandeurs ont rendu des témoignages non crédibles; leur témoignage révélant plusieurs incohérences, contradictions et omissions dans leur histoire. En particulier, la SPR a noté les problèmes suivants concernant les allégations des demandeurs :

a)      L'allégation principale du demandeur que la PNB l'aurait retracé par des informations retrouvées dans un dossier situé dans la maison du vice-président de l'OLUCOME qui a été assassiné est purement spéculative;

b)      Le niveau de hiérarchie détenu par le demandeur ne justifiait pas les agressions qu'il prétend avoir subies; il émettait des informations qui n'étaient absolument pas incriminantes à la PNB.

[15]           En somme, la SPR ne croyait pas que la PNB aurait vraisemblablement pu retrouver le demandeur et l'agresser pour des informations sans grande valeur. Pour croire aux allégations des demandeurs, la SPR a constaté qu'il faudrait adhérer à un enchaînement de présomptions dont le cumul rendait l'histoire invraisemblable.

[16]           La SPR a également constaté que le demandeur se contredisait quant à la période au cours de laquelle il a travaillé pour le BIFE, ce qui minait sa crédibilité concernant son affection au BIFE. De plus, malgré avoir été spécifiquement demandé par un agent d’immigration pour son contrat d’emploi avec le BIFE, et avoir disposé de quatre ans pour le déposer, le demandeur n’a jamais déposé son contrat, ceci malgré le fait qu’il est resté en contact avec son employeur.

[17]           La SPR a ainsi noté que le demandeur se contredisait quant à la date qu'il est devenu membre de l'OLUCOME. Il se contredisait aussi sur la question de savoir s’il possédait une preuve de son adhésion à l’organisation. Dans un premier temps, il déclara à un agent d'immigration qu'il possédait les preuves de son adhésion dans son pays et pouvait les fournir, et par la suite, a témoigné devant la SPR qu'il ne pouvait pas les obtenir, car il n'y avait personne pour l'aider. Ceci minait davantage la crédibilité du demandeur.

[18]           Étant donné que les motifs allégués par la demanderesse et ses enfants reposaient sur les allégations du demandeur, que la SPR a jugé non crédible, elle les a aussi jugés non crédibles.

V.                Point en litige

[19]           La SPR a-t-elle erré en concluant que les demandeurs n'étaient pas crédibles?

VI.             Dispositions législatives pertinentes

[20]           Les articles 96 et 97 de la LIPR s'appliquent en l'espèce :

Définition de « réfugié »

Convention refugee

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

Personne à protéger

Person in need of protection

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

VII.          Norme de contrôle

[21]           La jurisprudence de cette Cour établit que les conclusions de la SPR sur la crédibilité sont des questions de fait et sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Aguebor c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 NR 315 (CAF)).

VIII.       Analyse

[22]           Les demandeurs avancent que la SPR a commis deux erreurs principales dans la présente affaire : 1) la SPR a violé les règles de justice naturelle en renvoyant l'audience plusieurs fois à une date ultérieure; et 2) la SPR a mal interprété la preuve.

[23]           Après avoir révisé le dossier, la Cour juge qu’il n’y a pas eu manquement de justice naturelle ou d’équité procédurale causé par le renvoi de l'audience. Bien que la preuve démontre que la SPR a dû renvoyer l’audience à quelques reprises au cours des dernières années, les demandeurs n’ont pas établi en quoi cela aurait violé les règles de justice naturelle. Ils expliquent que certaines audiences ont été renvoyées parce qu’il n’y avait pas de commissaire ou le commissaire ne pouvait pas terminer l’audience (en raison de maladie), et d’autres parce que la SPR exigeait plus d’information concernant l’identité des enfants et l’authenticité du mariage des demandeurs majeurs. La Cour ne trouve pas que ceux-ci sont des raisons injustes ou arbitraires pour renvoyer une audience. Ils sont tout à fait raisonnables. De plus, les demandeurs ne paraissent pas avoir été affectés négativement par ces renvois; au contraire, ils sont restés en sécurité au Canada pour près de 4 ans. Le fait que ces renvois ont frustré le demandeur ne justifie pas l’intervention de la Cour.

[24]           À propos de la deuxième question soulevée en l’espèce, il est évident que les demandeurs sont en désaccord avec la majorité des conclusions tirées par la SPR. Cependant, plutôt que d’établir l’existence d’erreurs dans la décision de la SPR, les demandeurs ont tenté de plaider de nouveau leur cause, demandant à la Cour de réévaluer la preuve de manière à en arriver à une conclusion différente que la SPR. Ils ne démontrent pas que ces conclusions, eu égard à la preuve au dossier, sont déraisonnables, arbitraires ou absurdes.

[25]           Cette Cour a récemment rappelé dans l'affaire Ayala Sosa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 428 :

[25]      Les conclusions relatives à la crédibilité sont de nature factuelle, propres au cas particulier et fondées sur l’évaluation que fait le décideur de plusieurs facteurs, entre autres l’observation des témoins et leurs réponses aux questions posées. La Commission est en droit de tirer des conclusions fondées sur les invraisemblances, le bon sens et la raison (Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 NR 315, [1993] ACF no 732 (CAF), au paragraphe 4). Étant donné que la Commission exerce le rôle de juge des faits, ses conclusions quant à la crédibilité appellent une retenue considérable (Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1052, au paragraphe 13, [2008] ACF no 1329; Fatih c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 857, au paragraphe 65, 415 FTR 82).

[La Cour souligne.]

[26]           Par conséquent, les conclusions quant à la crédibilité appellent une retenue considérable (Sosa, ci-dessus).

[27]           La Cour juge que la SPR a bien examiné la preuve qui lui était soumise et a raisonnablement conclu que les demandeurs n’étaient pas crédibles en raison de nombreuses incohérences, contradictions et omissions dans leur histoire; lesquelles demeurent largement inexpliquées. À l'avis de la Cour, les doutes de la SPR concernant la crédibilité des demandeurs l’ont menée à une conclusion qui appartient aux issues possibles acceptables.

[28]           Pour toutes les raisons ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire des demandeurs est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire des demandeurs soit rejetée sans aucune question d’importance générale à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6656-13

 

INTITULÉ :

PIERRE ARNAUD NDABEREYE, SAMIRA RUKARA, RITA MICHELLE NDABEREYE INEMA, SAMUEL HALLEY NDABEREYE MUGISHA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 AOÛT 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS:

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 19 aoÛt 2014

 

COMPARUTIONS :

Alain Vallières

 

Pour les demandeurs

 

Charles Jr. Jean

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Alain Vallières

Avocat

Montréal (Québec)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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