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Date : 20140821


Dossier : IMM-6108-13

Référence : 2014 CF 814

Montréal (Québec), le 21 août 2014

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

JOSE ANTONIO MENENDEZ PARRA

MARIA JOSE MADRIGAL DE MENENDEZ

MARCO JAVIER MENENDEZ MADRIGAL

DIEGO ENRIQUE MENENDEZ MADRIGAL

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Au préalable

[1]               La décision de première instance manque une logique inhérente, donc, la décision est non raisonnable. Les faits au dossier ont été pris entièrement hors contexte; la chronologie et la constitution des faits n’ont pas été du tout comprises.

II.                Introduction

[2]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], d’une décision rendue le 12 août 2013 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la SPR] rejetant la demande des demandeurs de se faire reconnaître la qualité de réfugiés ou de personnes à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR.

III.             Faits

[3]               Les demandeurs d'asile sont citoyens de l'El Salvador. Le demandeur principal, monsieur Jose Parra, travaillait pour une compagnie de télécommunications nommée Telesis, qui se spécialisait dans les communications radios. Elle est parmi les compagnies les plus importantes dans ce domaine dans le pays.

[4]               Le demandeur principal était responsable des ventes et des systèmes de sécurité à Telesis.

[5]               En juin 2011, Telesis par l’entremise du demandeur principal ont réussi à obtenir un contrat avec l'unité spéciale luttant le crime organisé de la police nationale du Salvador (DECO). Le demandeur principal aurait aussi conclu un contrat de radio communication avec une compagnie nommée Hotesa en février 2012. Le propriétaire de cette compagnie, monsieur Jose Adan Salazar Umana [Salazar], et ses associés auraient offert au demandeur principal 250 000 $ pour obtenir accès aux systèmes de la police nationale. Ce dernier aurait refusé de collaborer avec Salazar et on l'aurait agressé en mars 2012 vu son défaut de collaborer.

[6]               En avril 2012, le demandeur principal aurait été informé par un inspecteur de police qu'un de ses collègues aurait été assassiné en lien avec le contrat avec Hotesa. Le demandeur principal et sa famille seraient enfuis immédiatement à l'extérieur de la ville.

[7]               Le 28 avril 2012, deux individus non identifiés auraient tenté de kidnapper le fils du demandeur principal, mais il aurait été sauvé grâce à des gardes de sécurité qui sont intervenus.

[8]               Les demandeurs ont quitté l'El Salvador le 30 avril 2012, sont entrés illégalement au Canada le 7 mai 2012 et ont demandé l'asile le lendemain de leur arrivée.

IV.             Décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire

[9]               La SPR a conclu que les demandeurs n'étaient pas crédibles. La SPR a constaté qu'il était, entre autres, invraisemblable que le demandeur principal ou nulle personne dans la compagnie Telesis ne sût que Salazar était un des criminels les plus importants et notoires en El Salvador. La SPR ne croyait pas qu'une compagnie d'une telle réputation d'affaire sur la fiabilité et la sécurité de son système de communication aurait pris comme client un tel client. Salazar était déjà depuis un nombre d'années l'objet d'enquête par la police nationale. Puisque la SPR ne croyait donc pas à l'existence du contrat avec Hotesa, elle a constaté qu'elle ne pouvait pas conséquemment prendre pour crédible que le demandeur principal avait fait l'objet de pression de Salazar.

[10]           La SPR nota également que le demandeur principal se contredisait sur la durée qu'il est resté à la maison après l'attaque qu'il a subie en mars 2012. Le demandeur a confirmé à plusieurs reprises durant l'audience qu'il est resté à la maison pendant 2 semaines sans sortir. Cependant, la preuve au dossier indiqua que le demandeur principal avait déposé une plainte à la police le lendemain après son attaque. La SPR n'a pas jugé suffisante l'explication du demandeur principal justifiant cette contradiction: « Yes, maybe… when I was recuperating…She (my wife) took me but I wasn’t there long » (au para 23). Elle a constaté que le demandeur principal ne pouvait pas relater spontanément le fil des évènements après son séjour à l'hôpital suivant son attaque. Ceci minait à nouveau sa crédibilité.

[11]           Enfin, la SPR a constaté que le demandeur avait omis de mentionner son séjour à l'hôpital dans son Formulaire de renseignements personnels [FRP]. La SPR a tiré une inférence négative de crédibilité de cette omission importante, qui, cumulée avec les autres constats de crédibilité, l'a mené à conclure que les demandeurs n'étaient pas crédibles. La SPR a donc conclu que les demandeurs n'avaient pas établi les éléments essentiels au soutien de leur demande d'asile.

V.                Point en litige

[12]           La SPR a-t elle erré en concluant que les demandeurs n'étaient pas crédibles?

VI.             Dispositions législatives pertinentes

[13]           Les articles 96 et 97 de la LIPR s'appliquent en l'espèce :

Définition de « réfugié »

Convention refugee

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

Personne à protéger

Person in need of protection

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

VII.          Position des parties

[14]           Les demandeurs allèguent que la SPR s'est trompée sur plusieurs faits dans leur histoire et n'a pas tenu compte des éléments de preuve qui corroboraient leur histoire. Ils déclarent que la SPR n’avait aucune raison de ne pas croire aux contrats conclus par Telesis avec DECO, ainsi qu’avec Hotesa.

[15]           De plus, les demandeurs prétendent que la SPR a erré en essayant de piéger le demandeur principal à se contredire sur la durée qu'il est resté à la maison après l'attaque en mars 2012. Le demandeur principal soutient que la SPR pouvait facilement voir la copie de la plainte à la police qui avait été présentée dans la preuve pour confirmer s’il avait quitté la maison. Le demandeur principal n'essayait pas de cacher le fait qu'il s'était déplacé.

[16]           Similairement, le demandeur principal soutient que la SPR a erré en le blâmant d'avoir omis de mentionner son séjour à l'hôpital dans son FRP. Le demandeur principal insiste sur le fait qu'il n'a pas fait attention à son FRP lorsqu'il l'a rempli, et que ceci n'est pas une raison pour déterminer qu'il n'est pas crédible.

[17]           Le défendeur soutient que la SPR a raisonnablement déterminé que les importantes invraisemblances au dossier minaient sévèrement à la crédibilité du demandeur principal. Le défendeur affirme qu'il est tout à fait invraisemblable que le demandeur principal ne soit pas au courant des affiliations de son cocontractant, Salazar, qui faisait l'objet d'une couverture médiatique particulièrement révélatrice sur ces activités. Or, le défendeur souligne qu'il est aussi invraisemblable que le gouvernement salvadorien aurait compromis ses communications en laissant Telesis passer une entente avec le chef d'un des plus importants cartels du pays.

[18]           En ce qui concerne les circonstances entourant l'agression que le demandeur principal aurait subie en mars 2012, le défendeur soutient que la SPR lui a donné plusieurs opportunités d'expliquer sa situation. Ce n'est que lorsqu'on l'a confronté avec le fait qu'il est sorti déposé une plainte à la police le lendemain de son attaque qu'il spécifie qu'il voulait seulement dire qu'il n'avait pas sortie de la maison pour des raisons sociales, comme aller magasiner, ou pour aller travailler. Le défendeur soutient que ces explications, ex post facto, vise manifestement à ajuster son histoire. La SPR pouvait amplement conclure qu'il y avait une contradiction qui minait la crédibilité du demandeur principal et de son récit.

[19]           Finalement, le défendeur soutient que la SPR était justifiée de juger que l'omission du séjour du demandeur principal dans son FRP minait davantage sa crédibilité. Le FRP indiquait clairement qu'il devait mentionner tous les soins qu'il avait reçus en lien avec les incidents à la base de sa demande d'asile.

VIII.       Question en litige

[20]           Est-ce que la décision de la SPR est raisonnable à l’égard du manque de crédibilité du demandeur principal sur lequel les autres demandeurs ont basé leur cas?

IX.             Analyse

[21]           Suite à certaines constatations de la SPR, clairement erronées selon le récit au dossier, qui ont été faites sans aucune compréhension du dossier dans son ensemble, cette Cour n’a pas de choix, mais que de renvoyer le dossier à être entendu de nouveau par un tribunal autrement constitué.

[22]           La SPR semble être restée fixée sur le point que le demandeur principal a quitté sa maison après l’attaque à sa personne; et, la SPR a manqué à sa tache de raisonnablement évaluer les facteurs dans leur ensemble.

[23]           Telesis, la compagnie pour laquelle le demandeur principal travaillait, n’est pas une entreprise de « sécurité » mais plutôt une compagnie de télécommunication. Hotesa est une compagnie possédant des hôtels. Telesis a eu des liens d’affaires avec Hotesa et non avec Salazar directement.

[24]           Les relations entre le demandeur principal et Salazar ne ressortent pas du tout de la façon décrites dans la décision de la SPR; d’ailleurs, les constatations de la SPR sont entièrement hors contexte du récit et en dehors de la logique inhérente du cas.

[25]           Le récit du demandeur principal n’a pas été compris d’une façon compréhensive.

[26]           La SPR a fait des erreurs à l’égard de sa compréhension à l’égard du contrat entre Telesis et Hotesa avec qui le demandeur principal a eu des problèmes.

[27]           Une erreur a été également faite concernant la compréhension de Telesis à l’égard de ses activités; c’est-à-dire que Telesis a eu à vérifier le « record de crédit » de l’entreprise avec laquelle Telesis a fait affaires et non pas les actionnaires de l’entreprise; en plus de ceci, Telesis a déjà eu la compagnie Hotesa comme cliente.

[28]           Ce n’est pas uniquement les relations entre les deux compagnies qui n’ont pas été comprises; mais, les compagnies en eux-mêmes, comme entités et leurs affaires n’ont pas été comprises du tout par la SPR.

[29]           Également, la plainte à la police est une preuve en elle-même; ceci a été mal compris par la SPR.

[30]           Il apparaît que le demandeur principal a été piégé par les questions qui ont été posées pendant l’audition.

[31]           Le cas semble en soi même avoir été compris hors contexte de logique selon la chronologie et la constitution des faits.

X.                Conclusion

[32]           Pour toutes les raisons ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire des demandeurs est accueillie et l’affaire est retournée pour examen à nouveau par un panel autrement constitué.

Obiter

[33]           À titre d’exemple, ce n’est pas nécessaire d’aller plus loin qu’à regarder les recommandations de la Commission Cliche pour voir comment les personnes peuvent être aveuglées sans comprendre la situation dans laquelle ils se retrouvent dans le contexte de leur travail. Souvent, la forêt entière n’est pas vue à cause des arbres individuels qui bloquent la vue des vérités les plus évidentes qui deviennent connues qu’après le coup plutôt que pendant que la situation corrompue se déroule.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire des demandeurs soit accueillie et l’affaire soit retournée pour examen à nouveau par un panel autrement constitué avec aucune question d’importance générale à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6108-13

 

INTITULÉ :

JOSE ANTONIO MENENDEZ PARRA, MARIA JOSE MADRIGAL DE MENENDEZ, MARCO JAVIER MENENDEZ MADRIGAL, DIEGO ENRIQUE MENENDEZ MADRIGAL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 août 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 21 août 2014

 

COMPARUTIONS :

Jorge Colasurdo

 

Pour les demandeurs

 

Alain Langlois

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jorge Colasurdo

Avocat

Montréal (Québec)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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