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Date : 20140731


Dossier : T‑1332‑13

Référence : 2014 CF 763

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 31 juillet 2014

En présence de monsieur le juge Phelan

ENTRE :

AZADBIR SINGH BRAR

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Il est question en l’espèce d’une fraude en matière de passeport. La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle Passeport Canada a refusé de délivrer un passeport au demandeur (anciennement connu sous le nom de Parminder Singh Sidhu) et lui a interdit l’accès aux services de passeport pendant cinq ans à compter de novembre 2010.

[2]               L’intitulé de la cause doit aussi être modifié pour que seul le procureur général du Canada soit inscrit comme défendeur.

II.                Contexte

[3]               La décision en cause a été prise conformément à l’alinéa 9a) et à l’article 10.2 du Décret sur les passeports canadiens, TR/81‑86:

9. Sans que soit limitée la généralité des paragraphes 4(3) et (4), il est entendu que le ministre peut refuser de délivrer un passeport au requérant qui :

9. Without limiting the generality of subsections 4(3) and (4) and for greater certainty, the Minister may refuse to issue a passport to an applicant who

a) ne lui présente pas une demande de passeport dûment remplie ou ne lui fournit pas les renseignements et les documents exigés ou demandés

(a) fails to provide the Minister with a duly completed application for a passport or with the information and material that is required or requested

(i) dans la demande de passeport, ou

(i) in the application for a passport, or

(ii) selon l’article 8;

(ii) pursuant to section 8;

10.2 Le pouvoir de prendre la décision de refuser la délivrance d’un passeport ou d’en révoquer un en vertu du présent décret, pour tout motif autre que celui prévu à l’alinéa 9g), comprend le pouvoir d’imposer une période de refus de services de passeport.

10.2 The authority to make a decision to refuse to issue or to revoke a passport under this Order, except for the grounds set out in paragraph 9(g), includes the authority to impose a period of refusal of passport services.

[4]               Le demandeur a émigré de l’Inde en 1992 et est devenu citoyen canadien en 1998. Il a reçu un passeport canadien au nom de Parminder Singh Sidhu [Sidhu] en novembre 2004 et son passeport a été renouvelé en août 2010.

[5]               Le 18 novembre 2010, une demande de passeport [la demande de novembre 2010] au nom d’Azad Singh Brar [Azad Brar], accompagnée de photos d’une personne qui ressemblait au demandeur, a été présentée. La demande de novembre 2010 était en outre accompagnée d’une lettre de M. Brar autorisant Monique Raymond (présentée comme la conjointe de fait de M. Brar) à agir en son nom, d’une carte santé et d’un certificat de citoyenneté canadienne au nom de Brar.

[6]               Lorsque Monique Raymond a présenté la demande en question, un agent a déterminé que le certificat de citoyenneté canadienne était frauduleux. Il a été déterminé ultérieurement que les photos étaient celles du demandeur.

Le nœud de la présente affaire est que le demandeur nie avoir présenté la demande de novembre 2010.

[7]               Le 24 janvier 2011, le passeport du demandeur au nom de Sidhu a été endommagé. Le demandeur a demandé et obtenu un passeport de remplacement deux jours plus tard.

[8]               La GRC a ouvert une enquête concernant la demande de novembre 2010.

[9]               En 2012, le demandeur s’est rendu en Inde où, à ses dires, un astrologue lui a conseillé de changer son nom pour Azadbir Singh Brar (et non « Azad ») [souligné par la Cour]. Les présents motifs renvoient au nom d’Azadbir Brar. Le 2 novembre 2012, le demandeur a reçu un certificat de changement de nom en vertu de la Loi sur le changement de nom au nom d’Azadbir Brar.

[10]           Le demandeur a ensuite déposé une demande de passeport au nom d’Azadbir Singh Brar et a retourné celui portant le nom de Sidhu.

[11]           Des accusations au criminel ont été portées par la GRC contre le demandeur, mais celles‑ci ont été retirées.

[12]           Le 22 janvier 2013, un enquêteur de Passeport Canada a avisé le demandeur que Passeport Canada avait en sa possession des renseignements qui indiquaient qu’il avait fourni, au moment de la présentation de sa demande de passeport, des renseignements faux et trompeurs qui reposaient sur des documents frauduleux. Voici le détail des renseignements que Passeport Canada avait en sa possession :

                     Le 12 août 2010, le demandeur s’est rendu au bureau de Brampton pour présenter une demande de renouvellement de passeport au nom de Parminder Singh Sidhu. Le passeport a été délivré le 13 août 2010.

                     Le 18 novembre 2010, une demande de passeport au nom d’Azad Singh Brar a été présentée au bureau de Mississauga pour son compte. À l’appui de demande, on avait présenté un certificat de citoyenneté canadienne frauduleux et, en conséquence, aucun passeport n’a été délivré à ce nom.

                     Le 24 janvier 2011, le demandeur a présenté une demande de passeport de remplacement au nom de Parminder Singh Sidhu. À la suite de cette demande, un nouveau passeport a été délivré au nom de Parminder Singh Sidhu, le 26 janvier 2011.

                     Le 31 décembre 2012, le demandeur a présenté une demande de passeport au nom d’Azadbir Singh Brar, accompagnée de son ancien passeport et de son ancienne carte de citoyenneté canadienne (tous les deux au nom de Parminder Singh Sidhu) ainsi que d’un certificat autorisant un changement légal de nom qui attestait qu’il avait changé son nom, Parminder Singh Sidhu, pour un nouveau nom, Azadbir Singh Brar.

                     La technologie de comparaison de photos a confirmé que les photos jointes aux demandes de passeport aux noms de Parminder Singh Sidhu et d’Azadbir Singh Brar et à la demande de novembre 2010 étaient de la même personne.

[13]           La lettre de l’enquêteur, datée du 22 janvier 2013, donnait la possibilité au demandeur d’y répondre et le mettait en garde contre les conséquences de la présentation de documents contenant des renseignements faux et trompeurs.

[14]           À la suite à cette lettre, l’enquêteur a communiqué avec un agent de la GRC, qui l’a informé que le demandeur avait admis [traduction] « avoir fait une erreur ». 

[15]           Dans sa réponse à la lettre de l’enquêteur, le demandeur affirme que l’astrologue, qui était au courant de son changement de nom, lui avait conseillé de changer de nom à nouveau. Le demandeur n’a pas nié avoir déposé la demande de novembre 2010, mais a déclaré qu’il n’était pas une mauvaise personne.

L’enquêteur a constaté l’évidence : la demande de novembre 2010 au nom d’Azad Brar a été déposée avant la rencontre avec l’astrologue.

[16]           En mars 2013, l’enquêteur a écrit au demandeur pour l’aviser que, selon les dossiers du bureau de l’état civil de l’Ontario, la demande de changement de nom du 2 novembre 2012 ne se limitait pas à un simple changement de nom. En effet, elle contenait une autre date de naissance et un autre lieu de naissance, une adresse domiciliaire et une profession différentes, et les renseignements au sujet de la conjointe étaient aussi différents. L’enquêteur a conclu que le demandeur avait tenté d’obtenir un passeport sous une identité entièrement nouvelle.

[17]           Cette fois, dans sa réponse à l’enquêteur, le demandeur a soutenu qu’il n’avait pas présenté la demande de novembre 2010 pour l’obtention d’un passeport et qu’il n’a appris l’existence de cette demande que lorsque la GRC l’en a avisé.

[18]           Plus tard, dans une lettre, le demandeur a nié avoir commis une infraction et a soutenu que la GRC avait mal interprété ses déclarations; il a aussi nié toute implication dans un processus frauduleux concernant la demande de novembre 2010.

[19]           Le 10 juillet 2013, le directeur des programmes de passeport a rendu sa décision dans laquelle il a refusé la délivrance d’un passeport au motif que le demandeur avait fourni des renseignements faux et trompeurs.

[20]           Le directeur a exposé les facteurs pris en compte pour rendre sa décision :

                     Selon les dossiers de Passeport Canada, le demandeur a présenté le 12 août 2010 une demande au nom de Parminder Singh Sidhu, à la suite de laquelle le passeport canadien WG207393 a été délivré.

                     Le 18 novembre 2010, une demande de passeport a été présentée au nom d’Azad Singh Brar. Cette demande contenait une date de naissance, un lieu de naissance, une adresse domiciliaire et une profession différents de ceux contenus dans la demande présentée au nom de Parminder Singh Sidhu. La demande de novembre 2010 indiquait qu’aucun passeport n’avait été délivré au demandeur au cours des cinq dernières années. Elle était accompagnée d’un certificat de citoyenneté canadienne et d’une photo du demandeur ainsi que de deux photos de format passeport.

                     Passeport Canada a vérifié la demande de novembre 2010 auprès de Citoyenneté et Immigration Canada. C’est ainsi qu’il a été déterminé que le certificat de citoyenneté canadienne présenté à l’appui de la demande était frauduleux.

                     Le 24 janvier 2011, le demandeur a présenté une demande au nom de Parminder Singh Sidhu. Les renseignements fournis dans cette demande correspondaient à ceux contenus dans les demandes précédentes au nom de Sidhu. Le passeport canadien WG265258 a été délivré.

                     Le 31 décembre 2012, le demandeur a présenté une demande de passeport au nom d’Azadbir Singh Brar à laquelle étaient jointes deux photos. La demande était accompagnée d’une déclaration écrite expliquant que le demandeur avait changé de nom et d’un certificat de changement légal de nom.

                     À la suite des vérifications effectuées à l’aide de la technologie de comparaison de photos de Passeport Canada, il a été déterminé que les photos jointes à la demande pour l’obtention du passeport canadien WG207393 au nom de Parminder Singh Sidhu étaient de la même personne que celle qui apparaissait sur les photos jointes à la demande de novembre 2010.

                     Dans un courriel envoyé le 21 février 2013, le demandeur a expliqué qu’il avait changé de nom à la suite d’un séjour en Inde en 2012 après qu’un astrologue lui eut conseillé de changer son nom pour Azadbir Singh Brar. Ce voyage en Inde a été fait après la présentation de la demande de passeport de novembre 2010.

                     Dans un courriel daté du 25 mars 2013, le demandeur a déclaré ne pas comprendre la poursuite de l’enquête de Passeport Canada étant donné que les accusations au criminel avaient été retirées.

                     Le directeur a résumé le contenu du courriel du demandeur daté du 8 mai 2013.

[21]           Le directeur a en outre fait remarquer que la demande de novembre 2010 était accompagnée de photos qui, après vérification, correspondaient à la personne figurant dans les documents d’identité de Sidhu et d’un certificat de citoyenneté frauduleux au nom d’Azad Brar. Le directeur a également souligné que le demandeur a déclaré ne rien savoir au sujet de la demande de novembre 2010 et que le demandeur a changé son nom pour un nom très semblable.

[22]           En plus de refuser de délivrer le passeport, le directeur a interdit au demandeur l’accès aux services de passeport, sous réserve de circonstances urgentes et impérieuses appelant des considérations d’ordre humanitaires.

III.             Analyse

[23]           Malgré la complexité des faits, les questions en litige sont assez simples. 

[24]           Les questions en litige sont les suivantes :

1.                  La décision du directeur était‑elle raisonnable?

2.                  Y a‑t‑il eu manquement à l’équité procédurale?

3.                  La décision portait‑elle atteinte aux droits garantis par les articles 6 ou 7 de la Charte?

A.                Le caractère raisonnable de la décision

[25]           Les décisions de Passeport Canada de refuser ou de révoquer les services de passeport ou de retenir un passeport sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Villamil c Canada (Procureur général), 2013 CF 686, au paragraphe 30).

[26]           À mon avis, le dossier d’enquête contenait suffisamment d’éléments de preuve pour qu’on puisse conclure, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur a été impliqué dans un processus frauduleux relativement à la demande de novembre de 2010. Les éléments cruciaux qui appuient le caractère raisonnable de la conclusion du directeur sont les suivants :

                     la demande de novembre 2010 a été présentée par une femme pour le compte de son conjoint;

                     la demande de novembre 2010 était appuyée par des photos qui, selon un programme informatique, étaient celles du demandeur;  

                     la demande de novembre 2010 était appuyée par un certificat de citoyenneté canadienne frauduleux et accompagnée d’une photo qui, selon un programme informatique, était celle du demandeur;

                     la GRC a déposé des accusations contre le demandeur à l’égard de la demande de novembre de 2010. Ces accusations ont finalement été retirées;

                     l’un des agents de la GRC qui s’est occupé du dépôt des accusations criminelles a témoigné que, après le retrait des accusations, le demandeur n’avait pas nié son comportement criminel et qu’il lui a dit [traduction] « avoir fait une erreur »;

                     le demandeur a fait légalement changer son nom pour un nom étonnamment semblable à celui figurant sur la demande de novembre 2010;

                     le demandeur a nié avoir été impliqué dans un processus frauduleux concernant la demande de novembre 2010;

                     Aux dires du demandeur, un astrologue lui aurait recommandé de changer son nom, mais la rencontre avec l’astrologue aurait eu lieu après la présentation de la demande de novembre de 2010.

[27]           La décision de suspendre l’accès aux services de passeport pendant cinq ans est également raisonnable. Il s’agit d’une sanction normalement associée à des déclarations frauduleuses en matière de passeport et, puisque la sanction a pris effet rétroactivement en novembre 2010, il s’agit en fait d’une suspension de deux ans à compter de la date de la décision rendue en juillet 2013.

B.                 Équité procédurale

[28]           La question de l’équité procédurale a trait à la partialité dont aurait fait preuve l’enquêteur. Cette question doit être tranchée suivant la norme de la décision correcte.

[29]           Je souligne que dans Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, 174 DLR (4th) 193, au paragraphe 45, il est déclaré qu’une allégation de partialité peut être valablement formulée à l’encontre des subordonnés du décideur.

 L’équité procédurale exige également que les décisions soient rendues par un décideur impartial, sans crainte raisonnable de partialité. L’intimé soutient que le juge Simpson a eu raison de conclure que les notes de l’agent Lorenz ne peuvent pas donner lieu à une crainte raisonnable de partialité, parce que le vrai décideur était l’agent Caden, qui a simplement fait une revue de la recommandation préparée par son subalterne. L’obligation d’agir équitablement et, en conséquence, d’une façon qui ne donne pas lieu à une crainte raisonnable de partialité, s’applique, à mon avis, à tous les agents d’immigration qui jouent un rôle significatif dans la prise de décision, qu’ils soient des agents de réexamen subalternes, ou ceux qui rendent la décision finale. L’agent subordonné joue un rôle important dans le processus, et si une personne ayant un rôle aussi central n’agit pas de façon impartiale, la décision elle‑même ne peut pas être considérée comme ayant été rendue de façon impartiale. En outre, comme je le dis au paragraphe précédent, les notes de l’agent Lorenz constituent les motifs de la décision, et si elles donnent lieu à une crainte raisonnable de partialité, la décision elle‑même en est viciée.

(Non souligné dans l’original.)

[30]           Cependant, le critère relatif à la partialité est exigeant, comme il est indiqué dans Committee for Justice and Liberty c Canada (L’Office national de l’énergie), [1978] 1 RCS 369.

[31]           Le rôle de l’enquêteur diffère de celui du directeur : l’enquêteur recherche des faits et examine de façon approfondie la preuve et les incohérences, le cas échéant. Le fait de mettre en doute les réponses de l’une des parties n’est pas nécessairement synonyme de partialité; il s’agit plutôt d’un examen approfondi nécessaire qui fait dûment partie du rôle d’un enquêteur. En l’espèce, l’enquêteur devait transmettre le dossier au directeur dès lors que des éléments de preuve tendaient à indiquer que la délivrance d’un passeport devait être refusée. (Voir le Manuel de la politique des passeports, articles 5 et 6)

[32]           L’enquêteur est tenu d’aller au‑delà des faits pour déterminer si les éléments de preuve présentés sont corroborés. Ni cela ni le fait d’exposer les allégations et de donner à l’intéressé l’occasion d’y répondre ne pourraient être considérés comme un fondement pour une allégation de partialité.

[33]           Le fait que l’enquêteur ait tenu compte d’un article traitant d’un autre individu portant un nom similaire (Sidhu) qui devait être extradé vers les États­Unis ne constituait pas une preuve de partialité : il s’agissait d’un suivi naturel dans le cadre d’une enquête. L’article n’a joué aucun rôle dans la décision de renvoyer l’affaire au directeur ni, ce qui est encore plus important, dans la décision définitive.

[34]           Rien n’appuie la prétention que le directeur peut imposer uniquement des sanctions à la personne dont le nom est utilisé dans la demande de passeport. Une telle interprétation de la compétence du directeur (question qui doit être tranchée suivant la norme de la décision correcte) ferait obstacle à l’ensemble du processus d’obtention d’un passeport et limiterait la capacité d’application de la loi contre ceux qui utilisent des pseudonymes ou des faux noms (voir Mikhail c Canada (Procureur général), 2013 CF 724).

C.                 Droits garantis par la Charte

[35]           La question des droits garantis par la Charte est une « diversion ». Le demandeur soutient que les sanctions prévues pour une demande de passeport frauduleuse violent ses droits à la libre circulation, comme s’il avait le droit d’exercer ces droits sur la base d’un document frauduleux.

[36]           Comme chauffeur de camion, il ne fait aucun doute que ses droits à la libre circulation sont touchés puisqu’il lui est interdit de voyager à l’étranger. Dans un monde moderne, un passeport est un document essentiel. Cependant, l’argument invoqué par le demandeur contre les sanctions ressemble au cas d’une personne reconnue coupable d’un crime grave qui fait valoir que l’incarcération est inadmissible parce qu’elle porte atteinte à ses droits à la libre circulation.

[37]           Les droits garantis par l’article 6 de la Charte sont limités par le refus de délivrer un passeport, comme l’ont conclu le juge Décary dans Kamel c Canada (Procureur général) (CAF), 2009 CAF 21, [2009] 4 RCF 449, et le juge Zinn dans Abdelrazik c Canada (Ministre des Affaires étrangères), 2009 CF 580, [2010] 1 RCF 267.

[38]           Concernant l’allégation de violation des droits garantis par l’article 7, j’ai déjà formulé des observations sur les conflits ou les chevauchements possibles entre les droits garantis par les articles 6 et 7 aux paragraphes 74 et 75 de Khadr c Canada (Procureur général), 2006 CF 727, [2007] 2 RCF 218 :

74        Il ressort toutefois clairement de l’arrêt Godbout, précité, que le droit à la liberté garanti par l’article 7 vise uniquement les questions qui peuvent à juste titre être qualifiées de fondamentalement ou d’essentiellement personnelles et qui impliquent, par leur nature même, des choix fondamentaux participant de l’essence même de ce que signifie la jouissance de la dignité et de l’indépendance individuelles.

75        La capacité de voyager quand et où on le désire à l’extérieur du Canada ne participe pas de cette valeur fondamentale de la dignité et de l’indépendance individuelles. Je l’affirme parce qu’on a consacré à l’article 6 de la Charte le droit au choix de sortir du Canada. Or, si une disposition de la Charte porte sur une liberté particulière, il y a lieu de présumer que les autres dispositions de la Charte ne visent pas cette même liberté. Il y a une présomption à l’encontre de la redondance dans la législation. Le refus de délivrer un passeport, s’il restreint le droit de sortir du Canada, n’équivaut pas à emprisonner l’intéressé dans son propre pays. À ce titre, je ne considère pas que le droit de sortir du Canada constitue un droit à la liberté garanti par l’article 7.

[39]           À mon avis, les droits garantis par l’article 6 sont en cause en l’espèce, mais en l’absence d’une interdiction complète de l’accès aux services de passeport, les droits garantis par l’article 7 ne sont pas engagés ou, s’ils le sont, ils doivent être traités avec la question relative à l’article 6.

[40]           Dans la mesure où il y a eu une violation des droits garantis par la Charte par suite de l’imposition de sanctions par le directeur, je conclus que cette violation est justifiée au regard de l’article premier.

[41]           Conformément au raisonnement de la juge Abella dans Doré c Barreau du Québec, 2012 CSC 12, [2012] 2 RCS 395 [Doré], aux paragraphes 55 et 56, 1’analyse fondée sur l’article premier (arrêt Oakes) peut être remplacée, dans le contexte administratif, par une analyse de la « proportionnalité ».

[42]           Ayant conclu que la décision et les sanctions étaient raisonnables, j’estime que la gravité de l’atteinte aux droits garantis par la Charte est atténuée par l’accès aux services de passeport dans des circonstances particulières.

Cette conclusion trouve appui dans Kamel c Canada (Procureur général), 2011 CF 1061, 397 FTR 42 (décision rendue avant l’arrêt Doré), où il a été statué que ces types de sanction passent l’ensemble du critère établi dans l’arrêt Oakes.

[43]           Par conséquent, il n’y a aucune violation des droits garantis par la Charte qui ne serait pas par ailleurs justifiée au regard de l’article premier.

IV.             Conclusion

[44]           Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée avec dépens.

 


JUGEMENT

LA COUR REJETTE avec dépens la demande de contrôle judiciaire.

« Michael L. Phelan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1332‑13

 

INTITULÉ :

AZADBIR SINGH BRAR c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 février 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE Juge PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 31 JUILLET 2014

 

COMPARUTIONS :

Arjun Vishwanth

 

POUR LE DEMANDEUR

 

David Joseph

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Vishwanths Law

Avocats

Mississauga (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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