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Date : 20140808


Dossier : IMM‑1651‑13

Référence : 2014 CF 785

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 août 2014

En présence de monsieur le juge de Montigny

ENTRE :

SANDORNE LAKATOS

RICHARD KEVIN LAKATOS

demandeurs

Et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), de la décision rendue par laquelle le commissaire Ken Atkinson de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (ci‑après, la SPR ou la Commission) a rejeté les demandes d’asile de Sandorne Lakatos (la demanderesse principale) et de son fils mineur, Richard Kevin Lakatos. La décision a été rendue le 6 février 2013.

[2]               Pour les motifs exposés ci‑dessous, j’arrive à la conclusion que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

I.                   Les faits

[3]               La demanderesse principale est une citoyenne de la Hongrie; elle est née en 1958. Elle est d’origine ethnique rom. Son fils, qui est lui aussi d’origine ethnique rom, est né en 1998. La demanderesse principale est aussi mère de trois autres enfants qui sont maintenant d’âge adulte et qui ne sont pas parties à la présente demande.

[4]               La demanderesse principale affirme qu’elle vivait depuis toujours dans la ville de Miskolc lorsque, en avril 2011, des agents de l’administration locale l’ont avisée qu’elle devait déménager à Kiss Tokaj le 10 juin 2011. Elle soutient que Kiss Tokaj avait été désignée comme ville où les Roms seraient déplacés pour réduire la population rom à Miskolc. La communauté rom s’est plainte, mais en vain. D’après la demanderesse principale, une famille rom voisine, qui avait reçu un avis d’éviction et qui n’avait pas quitté son domicile, avait été menottée et emmenée de force.

[5]               La demanderesse principale affirme que le 10 juin 2011, le lendemain de son arrivée au Canada, son fils Norbert, qui se trouvait encore en Hongrie (il est venu au Canada en octobre 2011), lui a dit que les autorités avaient enlevé les meubles de leur appartement et affiché un autre avis d’éviction sur la porte.

[6]               La demanderesse principale signale d’autres prétendus incidents de persécution découlant de l’ethnicité rom de sa famille. En 2009, soutient‑elle, son fils mineur a reçu des coups d’un de ses professeurs à l’école et a dû recevoir des soins médicaux; de plus, il était constamment victime d’intimidation en raison de son ethnicité. Chaque fois, la demanderesse principale s’est adressée aux autorités scolaires, mais ces démarches n’ont rien donné. Elle allègue que le directeur de l’école lui a même dit que, où qu’elle aille en Hongrie, personne ne la croirait parce qu’elle était une Rom.

[7]               Selon la demanderesse principale, à l’été 2010, son époux s’est adressé au gouvernement autonome rom pour signaler des problèmes avec des membres de la garde hongroise et des skinheads; toutefois, les autorités lui ont répondu qu’elles ne pouvaient rien faire. Il est allégué que, en septembre 2010, des membres armés de la garde hongroise se sont introduits par effraction chez eux, ont crié des propos racistes, ont brisé des meubles, ont menacé de tuer les enfants et ont agressé l’époux de la demanderesse principale, lui fendant le cuir chevelu (une blessure pour laquelle il a affirmé avoir reçu des soins médicaux). D’après la demanderesse principale, les membres de la garde hongroise leur ont également dit qu’ils disposaient de six mois pour déménager. En janvier 2011, l’époux de la demanderesse principale aurait été de nouveau agressé par les quatre mêmes hommes et aurait signalé l’agression à la police; toutefois, les policiers lui ont dit que, faute d’une identification individuelle des agresseurs, ils ne pouvaient rien faire.

[8]               L’époux de la demanderesse principale a quitté le pays pour le Canada en janvier 2011 et aurait présenté lui aussi une demande d’asile. Ils sont séparés depuis le départ de l’époux et n’ont pas l’intention de reprendre leur vie commune.

[9]               En ce qui a trait à la demanderesse principale, elle est arrivée au Canada avec son fils mineur, le 9 juin 2011, et a présenté une demande d’asile le même jour.

II.                La décision visée par le contrôle judiciaire

[10]           La SPR a reconnu que l’identité et l’ethnicité rom des demandeurs avaient été établies, mais n’était pas convaincue que la demanderesse principale avait été contrainte de quitter son appartement en raison de son origine ethnique. Bien que cette dernière ait affirmé qu’elle ne pouvait pas produire les avis d’éviction parce qu’elle les avait laissés à l’appartement, la SPR a conclu que l’allégation selon laquelle elle croyait avoir été évincée en raison de son origine ethnique n’était pas convaincante. De plus, la SPR a noté que, même si la demanderesse principale alléguait que son frère avait lui aussi été évincé par la suite, elle lui avait peu parlé depuis qu’elle était arrivée au Canada.

[11]           En ce qui a trait à la preuve des soins médicaux reçus par son époux à la suite de l’agression survenue à l’été 2010, la demanderesse principale allègue qu’elle a laissé le rapport du médecin dans son appartement et qu’il lui serait impossible d’en obtenir une copie auprès du médecin. De plus, elle affirme avoir laissé dans l’appartement le rapport du médecin sur les soins prodigués à son fils mineur après les coups donnés par son professeur. Aucune tentative n’a été faite pour obtenir une copie de ces rapports, parce que les médecins refuseraient, semble‑t‑il, de les envoyer.

[12]           D’après la SPR, la preuve documentaire contredit ces allégations : les médecins sont tenus d’aviser les policiers lorsqu’ils soignent une personne pour des blessures liées à un acte criminel et les victimes de violence peuvent obtenir un rapport médical. La SPR estime que, sans ses rapports, il est difficile de déterminer exactement la façon dont les événements se sont produits et le poids qu’il convient de leur attribuer.

[13]           La SPR se penche ensuite sur la question de la protection de l’État et conclut que la demanderesse principale n’a pas réfuté, au moyen d’éléments de preuve clairs et convaincants, la présomption selon laquelle un État est en mesure de protéger ses citoyens. Elle décrit ensuite le cadre juridique qui s’applique à la question de la protection de l’État :

                     il n’est pas nécessaire que la protection soit parfaite;

                     il est important d’examiner s’il existe un cadre législatif et procédural de protection;

                     l’État doit déployer des efforts sérieux pour assurer une protection réelle ou concrète à ses citoyens;

                     le fardeau d’établir l’absence de protection de l’État est directement proportionnel au degré de démocratie atteint chez l’État en cause;

                     l’omission de la part des autorités locales d’assurer la protection demandée ne signifie pas que l’État dans son ensemble est incapable de protéger ses citoyens.

[14]           Passant ensuite à la preuve documentaire sur la Hongrie, la SPR note que la Hongrie est une démocratie. Elle souligne également que le gouvernement a adopté une nouvelle loi fondamentale et plus de 20 lois cardinales en 2011 qui pourraient miner les institutions démocratiques du pays; elle souligne aussi qu’un certain nombre de documents soumis par la demanderesse principale indiquent que les nouvelles lois ne pas protègent les droits fondamentaux de la personne. Toutefois, d’autres éléments de preuve documentaire mettent en lumière que la Hongrie est bel et bien une démocratie.

[15]           Même s’il a été soutenu que la protection de l’État offerte aux Roms en Hongrie est inefficace, la SPR signale – en se reportant notamment au rapport de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance adopté en juin 2008 – que la preuve documentaire démontre que la Hongrie tente de mettre fin à cette discrimination. En fait, il y a eu des efforts en vue de limiter et d’interdire les activités des organisations politiques xénophobes d’extrême droite et de mettre fin aux abus commis par la police en intensifiant le recrutement de policiers roms et en créant le Comité indépendant d’examen des plaintes contre la police. La SPR signale aussi que le code criminel hongrois comporte des dispositions contre la violence motivée par la haine et que ces types de crimes sont passibles de peines sévères. De plus, en 2011, des opérations ont été menées en vue d’éliminer la corruption au sein des organismes d’application de la loi et un réseau de services juridiques a été mis en place pour lutter contre la discrimination, lequel offre de l’aide juridique aux Roms. Cependant, ces cliniques juridiques demeurent inaccessibles pour de nombreux Roms et des avocats du réseau ont refusé certains cas liés aux Roms.

[16]           La demanderesse principale a affirmé que son époux et elle n’avaient pas signalé l’agression survenue en 2010 parce que les agresseurs leur avaient dit qu’ils le sauraient s’ils allaient voir la police. Toutefois, elle a soutenu que son époux avait signalé l’incident de 2011, mais n’avait pas tenté d’obtenir une copie du rapport de police étant donné qu’elle ne croyait pas que les policiers en aient rédigé un. La SPR a rejeté cette preuve par ouï‑dire et a conclu qu’aucune preuve convaincante ne démontrait que la demanderesse principale ou sa famille a vraiment communiqué avec la police. Pour tous les motifs exposés ci‑dessus, la SPR a conclu que la demanderesse principale n’avait pas réfuté la présomption de la protection de l’État.

[17]           Bien que la SPR ait mentionné que l’accès à l’éducation est en général plus restreint pour les enfants roms et que les installations scolaires destinées aux Roms sont dans un état nettement inférieur à celui des installations majoritairement fréquentées par des élèves non roms, elle a conclu qu’aucune preuve convaincante ne démontrait que la demanderesse principale s’est vu refuser l’accès à l’éducation en raison de son origine ethnique rom.

[18]           La SPR a aussi examiné la preuve documentaire sur les possibilités d’emploi pour les Roms et a souligné que le taux de chômage chez les Roms est élevé. Toutefois, des programmes visant à atténuer le chômage ont été mis en œuvre au cours des dernières années. Par conséquent, la SPR a conclu qu’il n’existait aucune preuve convaincante tendant à démontrer que la demanderesse principale n’a pu travailler en raison de son origine ethnique.

[19]           Enfin, de nombreuses lois et résolutions ont été adoptées récemment et de nombreuses mesures ont été prises en vue de lutter contre la discrimination raciale dans des domaines tels que l’emploi, la sécurité sociale, la santé et l’éducation. Bien que certains critiques mettent en doute l’efficacité réelle de ces mesures, une baisse des taux de criminalité et certaines tendances relevées au pays donnent à penser que la protection de l’État est efficace.

[20]           La SPR conclut que même si la Hongrie a eu de la difficulté dans le passé à lutter contre la discrimination à l’endroit des Roms, la preuve documentaire indique que, bien qu’elle ne soit pas parfaite, la protection de l’État offerte en Hongrie est adéquate et efficace. Par conséquent, la demanderesse principale n’a pas réfuté la présomption de la protection de l’État et ne saurait être considérée comme une réfugiée ou une personne à protéger. La même conclusion s’applique au fils mineur de la demanderesse principale.

III.             Les questions à trancher

[21]           Il y a deux questions à trancher dans le cadre de la présente demande :

A.                La SPR a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la demanderesse principale n’était pas crédible?

B.                 La conclusion de la SPR concernant la protection de l’État était‑elle déraisonnable?

IV.             Analyse

[22]           Il est bien établi que la norme de la décision raisonnable s’applique aux conclusions concernant la crédibilité, car la SPR a eu l’occasion de voir et d’entendre le témoignage de la demanderesse principale et d’examiner la preuve qu’elle a présentée. Ainsi, la Cour doit faire preuve d’une grande retenue en examinant ces conclusions.

[23]           Pour ce qui est de la protection de l’État, il est également bien établi que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable étant donné qu’il s’agit d’une question mixte de fait et de droit.

[24]           Par conséquent, la Cour n’interviendra pas si la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

A.                La SPR a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la demanderesse principale n’était pas crédible?

[25]           La demanderesse principale soutient que la SPR a commis une erreur en mettant en doute sa crédibilité essentiellement en raison d’un manque de corroboration et de preuves à l’appui. Citant un certain nombre de décisions, l’avocat de la demanderesse a fait valoir que l’absence de documentation ne suffit pas, à elle seule, pour tirer une conclusion défavorable concernant la crédibilité.

[26]           Il ne fait aucun doute que, dans une audience de la SPR, il faut présumer que les demandeurs disent la vérité : voir, par exemple, Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, aux paragraphes 6 à 8. Ainsi, le fait de ne pas produire de preuve corroborante ne suffira pas normalement pour mettre en doute la crédibilité d’un demandeur, bien qu’il s’agisse d’un facteur qui peut être pris en considération. Cela étant dit, la situation sera différente si la SPR n’accepte pas les explications données par un demandeur pour ne pas avoir produit une preuve alors qu’il était raisonnable de s’attendre à ce qu’il le fasse. Comme l’a affirmé mon collègue le juge Zinn dans la décision Ryan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 816, au paragraphe 19 :

En outre, bien qu’un témoignage fait sous serment soit présumé vrai et ne puisse pas être affaibli par l’absence d’une preuve corroborante, il y a une exception. Celle‑ci s’applique lorsqu’un tribunal n’accepte pas les explications données par un demandeur pour ne pas avoir produit une preuve alors qu’il était raisonnable de s’attendre à ce qu’il le fasse […]

Voir également : Del Carmen Gonzalez Cabrera c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1445, au paragraphe 44; Rojas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 849, au paragraphe 6.

[27]           Il s’agit exactement de la situation que nous constatons en l’espèce. Premièrement, il était raisonnable de la part de la Commission de s’attendre à ce que les demandeurs aient l’avis d’éviction pour corroborer leurs allégations selon lesquelles ils avaient été contraints de déménager en raison de leur origine ethnique. Après tout, le fils de la demanderesse principale se trouvait à l’appartement après le départ de cette dernière pour le Canada et la demanderesse principale a encore de la famille en Hongrie. Faute de toute documentation, l’allégation selon laquelle la demanderesse a déménagé parce que sa famille est d’origine rom n’est qu’une simple supposition et la Commission était en droit de conclure qu’il n’y avait aucune preuve convaincante à l’appui de son allégation.

[28]           Il en est de même pour ce qui est de la conclusion de la Commission concernant l’absence de documentation médicale. La demanderesse principale a déclaré que les rapports du médecin ayant trait aux blessures de son époux et de son fils ont été laissés dans l’appartement. Elle a ajouté qu’elle ne savait pas qu’elle aurait besoin de ces documents et qu’elle n’avait fait aucun effort en vue d’en obtenir une copie parce que les médecins ne les lui auraient pas envoyés. De plus, elle estimait que le médecin n’aurait pas avisé la police des blessures subies par son époux. Pourtant, comme l’a signalé la Commission, la preuve documentaire objective dont nous disposons précise clairement que les médecins sont tenus d’aviser la police lorsqu’ils soignent une personne pour des blessures liées à un acte criminel, de rédiger un rapport et de le remettre à la police. En outre, la Commission a noté que, d’après la preuve documentaire, les hôpitaux et les cliniques conservent les dossiers médicaux pour une période de 30 à 50 ans, et que les patients peuvent présenter une demande écrite ou autoriser un tiers à obtenir une copie du dossier en leur nom. Dans de telles circonstances, il était raisonnable de la part de la Commission de rejeter les explications fournies par la demanderesse principale et de conclure qu’il était difficile de déterminer exactement la façon dont les événements s’étaient produits et la manière dont les blessures avaient été subies. Les demandeurs n’ont pas fourni de documents acceptables ou d’explication raisonnable pour justifier l’absence de tels documents.


B.                 La conclusion de la SPR concernant la protection de l’État était‑elle déraisonnable?

[29]           Les demandeurs soutiennent que la SPR a appliqué le mauvais critère étant donné qu’elle a omis d’analyser l’efficacité réelle et le succès des efforts consentis par les autorités hongroises. De plus, la demanderesse principale soutient que la SPR s’est contentée de preuves générales et d’une analyse standard, et a omis de prendre en considération des éléments de preuve contraires et la situation particulière de la demanderesse principale. D’après les demandeurs, les conclusions de la Commission concernant le niveau de démocratie en Hongrie vont à l’encontre de la preuve documentaire et d’un certain nombre de décisions rendues par la Cour où cette dernière a conclu que les Roms ne peuvent compter sur la protection des autorités de l’État. La demanderesse principale fait également valoir que la Commission a commis une erreur en décidant d’écarter son témoignage par ouï‑dire selon lequel son époux avait fait un signalement à la police, sans fournir de motifs raisonnables à cet égard.

[30]           Je conviens avec les demandeurs que l’analyse de la Commission se rapportant à la protection de l’État n’est pas dépourvue d’ambiguïté et semble mettre l’accent sur les « efforts sérieux » consentis par les autorités hongroises et sur les mesures prises sur les plans législatifs et opérationnels en vue de protéger les Roms. Pourtant, il est maintenant bien établi que les bonnes intentions et les efforts ne suffisent pas pour assurer un niveau de protection raisonnable. Résumant l’évolution de la jurisprudence sur cette question, ma collègue la juge Strickland a affirmé ce qui suit dans Beri c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 854, aux paragraphes 35 et 36 :

[35] La protection de l’État n’a pas à être parfaite, mais elle doit être suffisante, et l’omission du demandeur de s’adresser à l’État pour obtenir sa protection fera échouer sa revendication seulement dans le cas où la protection de l’État [traduction] « aurait pu raisonnablement être assurée » (Ward, précité, au paragraphe 49; Da Souza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1279 (Da Souza), aux paragraphes 15 et 18). Une protection de l’État adéquate nécessite davantage que de faire de « sérieux efforts » en vue de résoudre les problèmes et de protéger les citoyens (Garcia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 79, [2007] 4 RCF 385 (CF)).

[36] La SPR doit plutôt porter son attention sur ce qui se passe concrètement dans un pays, c’est‑à‑dire, sur la preuve démontrant l’existence d’une protection réelle ou concrète, et non sur les efforts déployés par un État pour la mettre en place. Comme il a été mentionné dans la décision Hercegi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 250 (Hercegi), au paragraphe 5, au sujet des demandeurs hongrois d’origine ethnique rom dans cette affaire :

[5]        […] Ce n’est pas suffisant de dire que des mesures sont prises en vue d’offrir un jour une protection suffisante de l’État. C’est la protection concrète, actuellement offerte qui compte. La preuve établit de façon accablante en l’espèce que la Hongrie est actuellement incapable d’offrir une protection suffisante à ses citoyens Roms. Je reprends les propos que j’ai tenus dans l’arrêt Lopez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1176, aux paragraphes 8 à 11 :

8                    Une autre erreur de droit a trait à la nature de la protection de l’État qui doit être prise en compte. En l’espèce, le commissaire a conclu que le Mexique « fait de sérieux efforts » pour résoudre le problème. Ce n’est pas là le critère. Ce qui doit être pris en compte est l’efficacité réelle de la protection.

[…]

Voir également : Orgona c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1438, au paragraphe 11; Majoros c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 421, au paragraphe 18; Gulyas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 254, au paragraphe 46; Budai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 552, au paragraphe 19; Olah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 606.

[31]           Par souci d’équité, la SPR a reconnu qu’il y avait des éléments de preuve qui allaient à l’encontre de sa conclusion générale concernant le caractère adéquat de la protection. Par exemple, elle a cité un certain nombre de documents d’organisations non gouvernementales ainsi que des réponses à des demandes d’information qui laissent entendre : que la nouvelle loi fondamentale et les lois cardinales ne protègent pas les droits fondamentaux de la personne (paragraphe 25); que la discrimination et les préjugés au sein de la police sont considérés comme un problème général qui continuera jusqu’à ce qu’il y ait des réformes structurelles (paragraphe 27); que les cabinets juridiques du réseau de services juridiques pour la lutte contre la discrimination se trouvent dans les grandes villes et sont inaccessibles pour les Roms vivant dans une extrême pauvreté (paragraphe 33); que les tribunaux utilisent de plus en plus la disposition du code criminel portant sur le racisme pour condamner des Roms (paragraphe 34); que les élèves roms étudient souvent dans des classes ségréguées et/ou sont placés dans des écoles moins équipées (paragraphe 37); et que le taux de chômage est plus élevé chez les Roms (paragraphe 39).

[32]           Néanmoins, la SPR a conclu que « bien qu’elle ne soit pas parfaite, la protection de l’État offerte en Hongrie est adéquate et […] ce pays fait des changements sur le plan opérationnel pour remédier au problème du racisme à l’endroit des Roms » (paragraphe 44). Cette conclusion générale semble reposer sur les efforts consentis et les mesures prises, plutôt que sur l’efficacité réelle. Par exemple, la Commission affirme (au paragraphe 26) que la Hongrie tente de mettre fin à sa discrimination historique contre les Roms et prend des mesures en vue de limiter et d’interdire les activités des organisations politiques d’extrême droite; toutefois, il n’y a aucune preuve démontrant que ces initiatives ne se limitent pas à de simples efforts ou qu’elles portent fruit. Elle signale également (aux paragraphes 28, 30 et 31) que des efforts ont été consentis en vue de mettre fin aux abus commis par la police en intensifiant le recrutement de policiers roms, en créant le Comité indépendant d’examen des plaintes contre la police et en offrant une formation sur les droits de la personne; toutefois, aucune preuve ne démontre que ces mesures ont contribué à réduire le comportement discriminatoire des policiers à l’endroit des Roms. La Commission signale (aux paragraphes 29 et 41) que le code criminel contient des dispositions contre la violence motivée par la haine, que des lois adoptées en 2010 ont élargi la gamme d’opinions dont l’expression est illégale, et que d’importantes lois ont été adoptées pour lutter contre la discrimination raciale; mais, encore une fois, il n’y a pas un seul mot sur l’efficacité ou les répercussions de ces mesures législatives. Enfin, la Commission décrit (aux paragraphes 42 et 43) un certain nombre de mesures prises par le gouvernement pour éradiquer la discrimination dans divers domaines (l’éducation, la santé, l’emploi, le logement, etc.); toutefois, elle n’indique pas si ces mesures ont entraîné des changements importants sur le terrain.

[33]           Malgré ces lacunes, je ne peux trancher en faveur des demandeurs. Il ne suffit pas pour les demandeurs d’invoquer uniquement une preuve documentaire faisant état des lacunes du système de protection de l’État s’ils n’ont pris aucune mesure pour se prévaloir de la protection dont ils disposaient. Les demandeurs doivent demander la protection de leur État dans les cas où la protection peut raisonnablement être assurée et ce n’est que dans les cas d’un effondrement complet de l’appareil étatique que cette exigence peut être écartée : Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, à la page 754. Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Flores Carillo, 2008 CAF 94, la demanderesse n’a pas réussi à réfuter la présomption de la protection de l’État en signalant une tentative infructueuse de demander la protection de policiers locaux. Dans le cas qui nous occupe, la Commission pouvait raisonnablement conclure que les demandeurs n’avaient pas pleinement démontré l’inadéquation des mécanismes de protection de l’État à leur disposition. La demanderesse principale a déclaré qu’elle et son époux n’avaient pas communiqué avec la police après la prétendue agression commise dans leur appartement par quatre membres de la garde hongroise à l’été 2010. En ce qui a trait à la prétendue agression contre son époux, la demanderesse principale pouvait seulement affirmer que son époux lui avait dit qu’il avait signalé l’incident à la police. Cela était nettement insuffisant pour démontrer que la protection ne pouvait pas raisonnablement être assurée, malgré les lacunes relevées dans la protection de l’État en Hongrie.

V.                Conclusion

[34]           Pour tous les motifs exposés ci‑dessus, j’estime que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. La Commission pouvait raisonnablement conclure que les demandeurs ne sont pas crédibles et n’avaient pas démontré qu’ils avaient été persécutés en raison de leur origine ethnique. Elle pouvait également décider, subsidiairement, que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de la protection de l’État, malgré certaines lacunes dans son analyse de cette notion.

[35]           Les avocats n’ont proposé aucune question à certifier et aucune ne sera certifiée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Yves de Montigny »

Juge

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1651‑13

 

INTITULÉ :

SANDORNE LAKATOS, RICHARD KEVIN LAKATOS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 AVril 2014

 

jUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 8 AOÛT 2014

 

COMPARUTIONS :

Daniel M. Fine

 

POUR LES demandeURS

 

Manuel Mendelzon

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Daniel M. Fine

Avocat

Toronto (Ontario)

 

pour LES demandeURS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUr

 

 

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