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Date : 20140626


Dossier : T-1226-10

Référence : 2014 CF 625

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

ACTION RÉELLE ET PERSONNELLE EN MATIÈRE D’AMIRAUTÉ

CONTRE LE NAVIRE « QE014226C010 »

ENTRE :

OFFSHORE INTERIORS INC.

demanderesse

et

WORLDSPAN MARINE INC., CRESCENT CUSTOM YACHTS INC., LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE « QE014226C010 » ET LE NAVIRE « QE014226C010 »

défendeurs

et

WOLRIGE MAHON LIMITED, EN SA QUALITÉ D’AGENT DÉSIGNÉ POUR LA CONSTRUCTION DU NAVIRE DÉFENDEUR « QE014226C010 », HARRY SARGEANT III, MOHAMMAD ANWAR FARID AL‑SALEH ET 642385 B.C. LTD.

intervenants

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE LAFRENIÈRE

[1]               La demanderesse, Offshore Interiors Inc. (Offshore), souhaite obtenir une ordonnance afin que le navire « QE014226C010 » (le navire) soit vendu sur-le-champ à 1005257 B.C. Ltd. (l’acheteuse) pour 5 000 000 $US.

[2]               La requête est appuyée par les intervenants, Mohammad Anwar Farid Al-Saleh et 642385 B.C. Ltd. (la locatrice). S’y opposent les intervenants, Harry Sargeant III (M. Sargeant) et la Comerica Bank (Comerica).

[3]               J’ai prononcé les motifs à l’audience et expliqué aux avocats pourquoi la requête de la demanderesse serait accordée. Les présentes explications succinctes servent simplement à coucher mes motifs par écrit.

[4]               L’instance sous‑jacente a une longue histoire. En bref, M. Sargeant et Worldspan Marine Inc. (Worldspan) ont passé le 29 février 2008 un contrat de construction de navire (le CCN), aux termes duquel Worldspan s’engageait à concevoir, à construire, à équiper, à mettre à l’eau et à finir le navire, un yacht de luxe sur mesure de 142 pieds, ainsi qu’à le vendre et à le livrer à M. Sargeant. La construction a commencé en mars 2008. Une hypothèque du constructeur a été inscrite sur le navire, en faveur de M. Sargeant, au registre maritime de Vancouver le 14 mai 2008. En août 2009, les paiements effectués par M. Sargeant ou en son nom à Worldspan totalisaient 11 064 525,38 $US.

[5]               Le 14 août 2009, M. Sargeant a conclu un contrat de prêt à la construction avec Comerica et d’autres parties pour un montant de 9 400 000 $US, afin de financer l’achèvement de la construction du navire. Les droits de M. Sargeant dans le CCN, le navire et l’hypothèque du constructeur ont été cédés à Comerica au moyen d’un contrat de cession de garantie et hypothèque portant la même date. Entre les mois d’août 2009 et de mars 2010, Comerica a versé à Worldspan, pour le compte de M. Sargeant, la somme de 9 387 398,67 $US. Au mois d’avril 2010, le montant total payé à Worldspan par M. Sargeant ou pour son compte relativement à la construction du navire s’élevait à 20 651 924,05 $US.

[6]               Un différend a pris naissance entre M. Sargeant et Worldspan à propos des coûts du projet. La construction du navire a cessé en avril ou en mai 2010. Offshore a intenté l’action sous-jacente le 20 juillet 2010 contre Worldspan, Crescent Custom Yachts Inc., les propriétaires du navire et toutes les autres personnes ayant un droit sur celui-ci, ainsi que le navire lui-même pour non-paiement de factures concernant des services et des matériaux fournis en lien avec la construction du navire. Le navire a été saisi le 28 juillet 2010 et il l’est encore aujourd’hui dans des lieux loués sur un bien appartenant à la locatrice, au 27222, route Lougheed, à Maple Ridge, en Colombie‑Britannique.

[7]               Le 27 mai 2011, par une requête présentée à la Cour suprême de la Colombie-Britannique, Worldspan et des entités liées ont demandé à se prévaloir du régime prévu par la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, LRC 1985, c C‑36 (l’instance engagée au titre de la LACC).

[8]               Le 31 mai 2011, un jugement par défaut a été rendu par la Cour en faveur d’Offshore contre les défendeurs, y compris le navire ou son cautionnement maritime, pour un montant de 273 754,58 $, plus les dépens.

[9]               Le 22 juillet 2011, le juge Pearlman de la Cour suprême de la Colombie-Britannique a rendu une ordonnance relative au processus de réclamation dans le cadre de l’instance engagée au titre de la LACC. Cette ordonnance exigeait que tous les créanciers produisent des preuves de réclamation au plus tard à la date de prescription des réclamations, soit le 9 septembre 2011, faute de quoi il leur serait à tout jamais interdit de déposer ou de faire valoir une réclamation quelconque. Elle prévoyait également que n’importe quel créancier qui déposait, dans le cadre de l’instance engagée au titre de la LACC, une preuve de réclamation faisant valoir une réclamation de nature réelle à l’encontre du navire pouvait poursuivre cette réclamation, en dehors de l’instance engagée au titre de la LACC, devant la Cour fédérale.

[10]           Par ordonnance datée du 29 août 2011, j’ai établi un processus de réclamation à l’intention de tous les créanciers ayant une réclamation de nature réelle à l’égard du navire. Cette ordonnance prescrivait qu’avis soit donné à tous les créanciers de l’obligation de produire un affidavit donnant des précisions à l’appui de leur réclamation et quant à la nature de celle-ci, afin que la Cour puisse établir s’il s’agissait d’une réclamation de nature réelle et, le cas échéant, fixer son rang dans l’ordre de priorités. Elle exigeait aussi que les affidavits soient tous déposés 21 jours après réception de l’avis par les créanciers et prévoyait que toutes les questions relatives aux droits d’un créancier quelconque seraient tranchées, sur demande, par la Cour fédérale.

[11]           Le 9 février 2012, Offshore a déposé une requête en vue d’obtenir de la Cour une ordonnance déclarant que l’hypothèque du constructeur ne créait aucun privilège ni aucune garantie sur le navire, si ce n’était pour en garantir la livraison. J’ai rendu cette ordonnance le 5 mars 2013; toutefois l’ordonnance a été infirmée en appel par madame la juge Cecily Strickland le 19 décembre 2013. Offshore a interjeté appel et l’affaire est actuellement en délibéré devant la Cour d’appel fédérale.

[12]           Les faits qui précèdent fournissent les renseignements de base importants pour une compréhension contextuelle de la chronologie et de l’influence réciproque des requêtes récemment soumises à la Cour.

[13]           C’est la locatrice qui a tiré la première salve. Elle a demandé une ordonnance afin que le mandat de saisie du navire soit annulé ou, sinon, qu’il soit modifié pour autoriser la locatrice à enlever le navire des lieux et à l’entreposer dans sa cour extérieure ou à quelque autre endroit que choisirait la Cour.

[14]           M. Sargeant, à son tour, a déposé une requête pour déménager le navire dans le chantier naval de Richmond et pour obtenir un privilège prioritaire pour le déplacement du navire et le loyer futur. M. Sargeant soutient qu’il faut commencer immédiatement la préparation du navire pour le déplacement, car la fenêtre est très petite en raison des marées défavorables plus tard au cours de l’été.

[15]           Les deux requêtes pour obtenir de la Cour une réparation immédiate ont incité Offshore à déposer la présente requête pour l’approbation de la vente du navire à l’acheteuse.

[16]           Il faut préciser que ce n’est pas la première fois qu’Offshore demande l’aide de la Cour pour vendre le navire. Le 28 septembre 2011, Offshore a demandé l’autorisation de mettre le navire en vente. Monsieur le juge Sean Harrington a rendu une ordonnance, le 7 mai 2013, approuvant le processus de mise en marché et d’annonce concernant la vente du navire à un prix brut de 18 900 000 $US. Malgré de grands efforts de commercialisation et une prorogation de l’ordonnance de mise en marché, aucune offre satisfaisante n’a été reçue. Le navire demeure depuis dans les locaux de la locatrice, accumulant des frais de loyer et perdant de la valeur.

[17]           Inquiète de la perte de valeur et de la qualité vendable du navire, Offshore demande à la Cour qu’il y ait vente sur ordonnance judiciaire pour libérer le titre et créer un fonds permettant la distribution du produit après l’établissement des priorités. Maintenant, un particulier, dénommé JC Mas, a exprimé un vif intérêt à acquérir le navire par l’entremise d’une société à dénomination numérique. M. Mas ne semble pas manquer de fonds et a fait un dépôt de 200 000 $.

[18]           Offshore souhaite que la vente à M. Mas ait lieu. Toutefois, M. Sargeant et Comerica sont opposés à la vente et acceptent que le navire soit déplacé à un autre chantier naval et y soit entreposé jusqu’à ce que le processus de réclamation soit terminé.

[19]           Eu égard à l’ensemble des circonstances, il est juste, et conforme à l’intérêt de la justice, que le navire soit vendu. Toutes les parties conviennent que le navire doit être monétisé à un certain moment. En fait, les avocats de M. Sargeant et de Comerica ont reconnu à l’audience que le navire devait d’abord être vendu par ordonnance judiciaire avant de pouvoir être parachevé.

[20]           Lorsqu’un navire est protégé par un mandat de saisie, le rôle de la Cour est de protéger les intérêts de tous les créanciers, et non pas de certains d’entre eux seulement. À mon sens, il ne serait pas raisonnable de continuer à maintenir le navire sous saisie, à grands frais (pour le déménagement et le loyer futur) et pendant une période indéterminée. Il en résulterait un recouvrement moindre pour les réclamants, qu’ils détiennent ou non un droit garanti.

[21]           En me fondant sur les éléments de preuve déposés par affidavit au nom d’Offshore, qui n’a pas fait l’objet d’un contre‑interrogatoire ni été contredite par M. Sargeant et Comerica, et sur l’évaluation préparée par Aegis Marine Surveyors Ltd. à la demande de la locatrice le 17 mai 2013, je conclus qu’il y a eu dépréciation considérable de la valeur du navire depuis la saisie et qu’il atteint le point de désuétude. L’offre d’achat de 1005257 B.C. Ltd. constitue à un mon avis une juste valeur pour le navire et son équipement.

[22]           Le prix d’achat est nettement inférieur au montant que demandent les créanciers garantis, M. Sargeant et Comerica. Toutefois, ils n’ont pu prouver qu’il était possible d’obtenir dans un avenir prévisible une meilleure offre servant les intérêts ou les avantages des réclamants.

[23]           Le temps est venu de vendre le navire pour les motifs suivants :

a)                  premièrement, le navire est sous saisie depuis quatre ans;

b)                  deuxièmement, le navire faisait l’objet d’une ordonnance de mise en marché rendue par monsieur le juge Harrington le 7 octobre 2011, prorogée par monsieur le juge Hughes le 4 juin 2012, et qui n’a suscité aucune offre raisonnable;

c)                  troisièmement, le déplacement du navire de l’établissement de la locatrice comporterait des risques de dommages et aucune assurance sur le navire n’a été souscrite à l’avantage des créanciers;

d)                 quatrièmement, le navire n’étant pas terminé, le marché est limité;

e)                  cinquièmement, le navire a considérablement baissé de valeur depuis la saisie et un retard supplémentaire augmentera sa dépréciation;

f)                   sixièmement, des coûts supplémentaires, notamment les coûts de déplacement et de loyer futur, devront être engagés si le navire demeure sous saisie;

g)                  septièmement, la locatrice a convenu de renoncer à sa demande de saisie‑exécution des articles prescrits aux annexes de l’offre d’achat afin que la vente puisse être conclue sans qu’il soit nécessaire de tenir d’autres audiences et, éventuellement, sans les litiges en matière de priorités pour faire valoir les droits de la locatrice, ce qui est précieux pour toutes les parties concernées.

[24]           Eu égard à l’ensemble des circonstances, il est évident qu’il ne serait en aucun cas possible, maintenant ou dans un avenir immédiat, de réaliser une meilleure valeur par de plus grands efforts de commercialisation. En fait, selon toute éventualité, si le navire n’est pas vendu, il continuera de se détériorer et perdra encore de la valeur. Bref, je suis convaincu qu’un prix de 5 000 000 $US constitue une valeur marchande équitable pour le navire et qu’il y va des intérêts des réclamants dans leur ensemble que le navire soit vendu immédiatement.

[25]           Offshore a préparé, diffusé et déposé un projet d’ordonnance donnant effet à ma décision orale; toutefois, Comerica a contesté certaines des conditions de l’ordonnance. Il est enjoint à Comerica de présenter sans délai une lettre accompagnée d’un projet d’ordonnance qui sera soumis à l’examen de la Cour.

« Roger R. Lafrenière »

Juge responsable de la gestion de l’instance

Ottawa (Ontario)

Le 26 juin  2014

Traduction certifiée conforme

C. Laroche


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

T-1226-10

 

INTITULÉ :

OFFSHORE INTERIORS INC c

WORLDSPAN MARINE INC, CRESCENT CUSTOM YACHTS INC, LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE « QE014226C010 »

ET LE NAVIRE « QE014226C010 » ET AUTRES

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE‑bRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 23 juin 2014

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE PROTONOTAIRE LAFRENIÈRE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 26 juin 2014

 

COMPARUTIONS :

W. Gary Wharton

 

POUR LA DEMANDERESSE

OFFSHORE INTERIORS INC.

 

Dionysios Rossi

Graham Walker

 

POUR L’INTERVENANT

MOHAMMAD ANWAR FARID AL-SALEH

 

John Bromley

Kaitlin McKinnon

 

POUR L’INTERVENANT

HARRY SARGEANT III

James MacInnis

POUR L’INTERVENANTE

642385 B.C. LTD.

John I. McLean, c.r.

POUR L’INTERVENANTE

COMERICA BANK


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bernard LLP,

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

OFFSHORE INTERIORS INC.

 

Borden Ladner Gervais LLP

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR L’INTERVENANT

MOHAMMAD ANWAR FARID AL‑SALEH

 

Bull Housser & Tupper LLP

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR L’INTERVENANT

HARRY SARGEANT III

 

Nathanson Schachter & Thompson LLP

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR L’INTERVENANTE

642385 B.C. LTD.

 

Gowling Lafleur Henderson LLP

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR L’INTERVENANTE

COMERICA BANK

 

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