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Date : 20140805


Dossier : IMM-2756-13

Référence : 2014 CF 778

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 août 2014

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

YU XUAN WENG, MINEURE, REPRÉSENTÉE PAR SON TUTEUR À L’INSTANCE WU SEN WENG

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision, datée du 21 mars 2013, par laquelle un agent des visas (l’agent des visas) de la Section des visas du Consulat général du Canada à Hong Kong a décidé que, conformément au paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), il n’y avait pas assez de considérations d’ordre humanitaire (CH) pour octroyer à la demanderesse le statut de résidente permanente ou lever son exclusion de la catégorie du regroupement familial du fait de l’alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le RIPR).

Le contexte

[2]               La demanderesse est une enfant mineure, âgée de douze ans, qui est citoyenne de la Chine.

[3]               En février 2001, la mère de la demanderesse a présenté une demande de résidence permanente au Canada dans la catégorie des travailleurs qualifiés. Elle était ingénieure et son époux, le père de la demanderesse, comptable; tous deux étaient citoyens de la Chine et étaient au service d’entreprises d’État. Leur première fille, Angela, est née le 14 juillet 1999. La mère de la demanderesse est tombée de nouveau enceinte à l’automne de 2001, ce qui était contraire à la politique de l’enfant unique de la Chine. Ses parents ont pris des mesures pour cacher la grossesse, et la demanderesse est née le 20 juillet 2002. Le lendemain de sa naissance, ses parents se sont organisés pour la confier à une famille vivant dans un village éloigné, où elle est restée jusqu’à l’âge de 18 mois. Sa mère l’a ensuite emmenée vivre chez ses grands-parents maternels. Quand elle a eu trois ans, ses grands-parents paternels ont pris la relève. Ses parents ont enregistré sa naissance, mais n’ont pas changé leur hukou (certificat de résidence).

[4]               Les parents de la demanderesse ont immigré au Canada avec la sœur aînée le 12 juillet 2006. Ils prétendent que leur consultant en immigration leur a conseillé de ne pas mettre à jour leur demande de résidence permanente en y déclarant la naissance de la demanderesse, car ils pourraient la parrainer une fois qu’ils se trouveraient au Canada. Ils craignaient également que, s’ils faisaient la déclaration, le gouvernement chinois découvrirait sa naissance. Ils n’ont pas non plus déclaré la demanderesse en tant que personne à charge à leur arrivée au Canada en juillet 2006. Peu après l’atterrissage de leur avion, ils ont présenté une demande de parrainage de la demanderesse afin que celle-ci puisse les rejoindre au Canada. Après cinq ans, le 5 septembre 2011, la demande la concernant a été rejetée.

[5]               Dans l’intervalle, les parents ont eu un troisième enfant, un fils né au Canada le 10 janvier 2008. Le père et la sœur aînée de la demanderesse sont devenus citoyens canadiens. La mère souhaite aussi le devenir, mais les allers-retours qu’elle a faits entre le Canada et la Chine pour être auprès de la demanderesse l’en ont empêchée. La famille a rendu visite à la demanderesse à plusieurs reprises. Elle est retournée en Chine pour être auprès d’elle, y séjournant de 2009 à 2011. Les parents et la sœur de la demanderesse sont revenus au Canada en juin 2011 pour essayer de nouveau de régler la question du statut de la demanderesse. Sa mère et sa sœur sont retournées en Chine en août 2011 pour prendre soin d’elle.

[6]               En décembre 2011, le père de la demanderesse a présenté une seconde demande de parrainage en se fondant sur des CH. En mai 2012, on l’a informé qu’il n’était pas admissible à titre de répondant, parce qu’il n’avait pas déclaré la demanderesse dans sa propre demande de résidence permanente. Sa demande de parrainage ne serait prise en considération que si l’agent des visas décidait de traiter la demande de résidence permanente de la demanderesse en se fondant sur des CH. L’agent des visas a rejeté la demande CH le 21 mars 2013, et c’est sur cette décision que porte la présente demande de contrôle judiciaire.

La décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire

[7]               L’agent des visas s’est dit non convaincu qu’il existait suffisamment de CH pour lever l’exclusion prévue par l’alinéa 117(9)d) à l’endroit de la demanderesse. Les notes figurant dans le Système de soutien des opérations des bureaux locaux (SSOBL) font état du contexte factuel entourant le statut de la demanderesse et de sa famille ainsi que des raisons invoquées par ses parents pour n’avoir pas révélé son existence. L’agent des visas a déclaré que les parents de la demanderesse avaient été informés le 10 janvier 2006, par la lettre les invitant à venir chercher leurs visas, de l’importance d’aviser le bureau des visas de tout changement de leur statut familial avant de venir chercher leurs visas. De plus, comme la mère de la demanderesse avait une assez bonne connaissance de la langue anglaise, il était peu vraisemblable qu’elle n’ait pas été au courant de cette directive. L’agent des visas a fait remarquer que, si la section locale de la Commission de planification des naissances n’avait pas su ou approuvé la naissance de la demanderesse, ses parents n’auraient pas pu obtenir un certificat de naissance, ce qu’ils avaient fait dans les deux semaines suivant sa naissance. Avec un certificat de naissance, elle pouvait être enregistrée dans le hukou.

[8]               L’agent des visas a conclu qu’aucune preuve n’indiquait le degré de soutien financier qu’assurerait le répondant, qu’il n’y avait pas assez d’éléments de preuve pour établir que la demanderesse ne pouvait pas poursuivre ses études en Chine et qu’il n’y avait pas [traduction] « assez d’éléments de preuve […] pour démontrer que la demanderesse [s’exposait à ] des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives du fait d’être séparée du répondant ou du fait de sa résidence en RPC ». Il n’y avait non plus aucun obstacle évident au fait que la famille de la demanderesse rejoigne cette dernière en Chine et, en réalité, sa mère, sa sœur et son frère y étaient retournés en 2009. La demanderesse vit dans le pays où elle est née et a été élevée, et où elle a de la famille, dont ses grands-parents. L’agent des visas a déclaré qu’il n’y avait pas assez d’éléments de preuve pour démontrer que la demanderesse ne pouvait pas continuer de vivre chez des membres de sa famille en Chine. De plus, il avait passé en revue les observations CH de la demanderesse et avait tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, mais n’étant pas persuadé qu’il y avait suffisamment de CH pour faire droit à une demande de dispense et lever l’exclusion prévue par l’alinéa 117(9)d) du RIPR, il avait donc rejeté la demande.

Le contexte législatif

[9]               Aux termes du paragraphe 13(1) de la LIPR, un citoyen canadien ou un résident permanent peut, sous réserve des règlements, parrainer un étranger qui est membre de la catégorie du regroupement familial. L’alinéa 117(1)b) du RIPR dispose qu’un étranger qui est à la charge d’un répondant appartient à la catégorie du regroupement familial. Cependant, aux termes de l’alinéa 117(9)d), un ressortissant ne peut pas être considéré comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de sa relation avec le répondant si ce dernier est devenu résident permanent à la suite d’une demande à cet effet et si, à l’époque où cette demande a été faite, il était un membre de la famille du répondant qui n’accompagnait pas ce dernier et n’a pas fait l’objet d’un contrôle.

[10]           Selon le paragraphe 25(1) de la LIPR, le ministre peut, à la demande d’un étranger se trouvant hors du Canada qui demande le statut de résident permanent, étudier son cas et lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et des obligations applicables s’il est d’avis que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

Les questions en litige

[11]           Je formulerais les questions en litige en ces termes :

1.           La décision de l’agent des visas était-elle raisonnable?

2.           La demanderesse a-t-elle bénéficié de l’équité procédurale?

La norme de contrôle applicable

[12]           Il n’est pas nécessaire de procéder systématiquement à une analyse relative à la norme de contrôle. Au contraire, lorsque la norme de contrôle qui s’applique à une question particulière dont le tribunal est saisi est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut l’adopter (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 57; Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, au paragraphe 18 (Kisana)).

[13]           La norme de contrôle qui s’applique à la décision CH d’un agent des visas sur des questions mixtes de fait et de droit – et cela inclut le fait d’appliquer aux faits l’analyse relative à l’intérêt supérieur de l’enfant – est la raisonnabilité (Figueroa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 673, au paragraphe 24; Hurtado c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 552, au paragraphe 7; Husain c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 451, aux paragraphes 11 à 13 (Husain)).

[14]           La norme de contrôle qui s’applique aux questions d’équité procédurale est la décision correcte (George c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1240, au paragraphe 30; Hamza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 264, au paragraphe 13; Kinobe c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 845, au paragraphe 25).

Les positions des parties

La position de la demanderesse

[15]           La demanderesse soutient, notamment, que l’agent des visas a omis de tenir compte de son intérêt supérieur ainsi que de celui de sa sœur et de son frère, qu’il a rendu une décision déraisonnable sans égard à la preuve ou aux objectifs législatifs de la LIPR et qu’il n’a pas respecté les principes de l’équité procédurale.

[16]           Plus précisément, ajoute-t-elle, l’agent des visas ne s’est pas montré réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur des trois enfants en cause dans la présente affaire et a omis de prendre en compte leurs besoins particuliers ou les éléments de preuve présentés par la famille. En outre, l’agent des visas a appliqué erronément le « critère des difficultés excessives » pour apprécier l’intérêt supérieur des enfants et il n’a pas examiné s’il était dans l’intérêt supérieur de la demanderesse de venir au Canada rejoindre sa famille, ou le droit des enfants canadiens de rester au Canada. Il n’a pas non plus examiné la preuve de la famille de la demanderesse ou les rapports relatifs aux droits de la personne à propos des difficultés auxquelles s’exposent les « enfants illégaux » en Chine. Il s’est plutôt concentré exagérément sur la non-divulgation de la demanderesse dans les demandes de résidence permanente de ses parents, en faisant abstraction du fait que ces derniers n’avaient rien à gagner de cette non-divulgation et que, s’ils avaient fait état de son existence, ils auraient quand même pu immigrer au Canada. Il y a eu aussi un manquement à l’équité procédurale, car l’agent des visas a mis en doute l’authenticité du certificat de naissance, mais a omis d’évoquer cette question auprès des parents de la demanderesse.

La position du défendeur

[17]           Aux dires du défendeur, il n’existe aucune preuve que la demanderesse a déjà eu de la difficulté à fréquenter l’école en Chine, pas plus qu’il serait interdit à sa sœur ou à son frère, qui, a-t-il été allégué, seraient considérés comme des étrangers en Chine, de fréquenter l’école dans ce pays. En outre, bien que les parents ainsi que la sœur et le frère de la demanderesse préfèrent vivre au Canada, les parents ont pris la décision personnelle de retourner en Chine afin d’être plus proches de la demanderesse. Quoique ses parents aient affirmé que le fait de ne pas accorder une mesure spéciale pour CH déchirerait la famille, cette dernière vit de son plein gré en Chine, et il n’est donc pas nécessaire de prendre une telle mesure. En outre, l’agent des visas n’a pas conclu que la crainte qu’avaient les parents d’avoir enfreint la politique de l’enfant unique était digne de foi et, de ce fait, les circonstances ne justifiaient pas la levée de l’exclusion prévue par l’alinéa 117(9)d).

[18]           Le défendeur soutient, notamment, que, bien que des difficultés injustifiées ne soient peut‑être pas un critère qui convient pour apprécier des questions liées à l’intérêt supérieur de l’enfant, ce que le défendeur ne concède pas, de telles considérations doivent répondre à un certain seuil de difficulté pour qu’il soit justifié de prendre une mesure spéciale. Quoi qu’il en soit, l’agent des visas a apprécié les difficultés auxquelles la demanderesse s’exposerait en Chine par rapport aux avantages dont elle pourrait bénéficier si elle obtenait la résidence permanente au Canada, ce qui montre donc qu’une analyse relative à l’intérêt supérieur de l’enfant a été faite, comme la loi l’exige. Par ailleurs, l’agent des visas n’était pas tenu d’examiner s’il était dans l’intérêt supérieur de la demanderesse de venir au Canada, car celle-ci n’est pas citoyenne du Canada. La question est de savoir si les facteurs relatifs à l’intérêt supérieur militeraient en faveur de sa venue au Canada et si ces facteurs atteignent le seuil de difficulté qui convient pour justifier la prise d’une mesure spéciale CH. L’analyse de l’agent des visas n’a donné lieu à aucune erreur susceptible de contrôle.

[19]           Le défendeur ajoute qu’on n’a pas non plus commis d’erreur en ne tenant pas compte de l’intérêt supérieur de la sœur et du frère canadiens, car ces derniers ne sont pas directement visés par la demande. Ils peuvent retourner au Canada en tout temps. Quoi qu’il en soit, l’appréciation des facteurs relatifs à l’intérêt supérieur de la demanderesse s’applique tout autant à sa sœur et à son frère. En outre, la demanderesse a peut-être bien affirmé qu’elle serait exposée à des difficultés, mais elle n’en a produit aucune preuve correspondante.

[20]           L’agent des visas n’a pas fait abstraction de la preuve documentaire concernant les enfants non enregistrés; cette preuve ne lui a plutôt pas été présentée. Et, en tout état de cause, l’agent des visas n’a pas accepté l’idée que la demanderesse ne pouvait pas être enregistrée en Chine. Le défendeur fait valoir qu’on ne peut pas blâmer l’agent des visas pour avoir pris en considération la raison pour laquelle les parents avaient exclu la demanderesse de leur demande de résidence permanente, car cette raison est pertinente à l’égard du bien-fondé des difficultés excessives pour ce qui est de la légitimité de la décision et du fait de savoir si la décision de le faire résultait de facteurs indépendants de la volonté de la demanderesse. Quand aux objectifs de réunification familiale de la LIPR, cet argument est rejeté, car la famille tout entière réside en Chine, et la question de l’unité familiale n’est donc pas en litige. Quant à l’équité procédurale, l’agent des visas n’a pas eu de doutes au sujet de l’authenticité du certificat de naissance et n’était donc pas tenu d’en faire état.

L’analyse

Première question : La décision de l’agent des visas était‑elle raisonnable?

[21]           À mon avis, l’agent des visas a peut-être appliqué le mauvais critère juridique, sur le plan du fond et de la forme, en exigeant des difficultés qu’elles soient « inhabituelles et injustifiées ou excessives », plutôt que d’apprécier quel était réellement l’intérêt supérieur de la demanderesse et de soupeser cet intérêt par rapport aux autres facteurs CH. Cependant, il est évident que l’agent des visas est arrivé à une décision sans tenir compte de la preuve dont il disposait et que, de plus, il a omis de tenir compte de l’effet de cette décision sur la sœur et le frère de la demanderesse.

[22]           Selon le défendeur, il convient de soumettre le critère de l’intérêt supérieur de l’enfant à une analyse des difficultés auxquelles cet enfant s’expose, c’est-à-dire de se demander si, en l’occurrence, les difficultés que suscite le fait d’obtenir un visa depuis l’étranger causerait à la demanderesse des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives. C’est là la norme générale qui s’applique à une demande CH (Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, au paragraphe 23, autorisation de pourvoi à la CSC refusée : [2002] CSCR no 220; voir aussi Phyang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 81, au paragraphe 17 (Phyang)).

[23]           Cependant, il ressort de la jurisprudence qu’il est déraisonnable de recourir à une analyse relative aux difficultés au moment d’examiner l’intérêt supérieur de l’enfant (Phyang, précitée, au paragraphe 29; Sinniah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1285, aux paragraphes 59 à 63; Hawthorne c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475, au paragraphe 9 (Hawthorne)). Comme la Cour l’a fait remarquer dans l’arrêt Hawthorne, précité, au paragraphe 9 : « [l]es enfants méritent rarement, sinon jamais, d’être exposés à des difficultés ». Il est décrit dans cet arrêt que le critère approprié est le fait d’être réceptif, attentif et sensible à la situation de l’enfant. Dans un certain nombre de décisions de la Cour, le fait d’intégrer le seuil des « difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives » à l’analyse relative à l’intérêt supérieur de l’enfant a été qualifié comme une erreur de droit (Arulraj c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 529; Williams c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 166 (Williams)).

[24]           Cela dit, le fait qu’un agent emploie le terme « difficultés » ne veut pas forcément dire qu’une analyse préliminaire a été appliquée. La cour de révision doit examiner le fond de la décision afin de déterminer si l’agent a analysé le critère des difficultés de façon inacceptable (Kisana, précité, au paragraphe 30, Williams, précitée; Webb c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1060, au paragraphe 11).

[25]           Dans le contexte de l’examen de l’analyse relative à l’intérêt supérieur de l’enfant, la présente affaire est quelque peu inusitée du point de vue factuel, car les parents, la sœur et le frère de la demanderesse sont tous citoyens canadiens ou résidents permanents, et il n’y a aucune mesure de renvoi en jeu (Rezki c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2014 CF 492). Cependant, comme l’a décrit le juge Zinn dans la décision Ali c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 469, quel qu’en soit le cas, le degré de difficultés auxquelles l’enfant serait exposé doit être apprécié et soupesé :

[10]      Par conséquent, lorsque l’agent détermine l’intérêt supérieur des enfants, une partie de sa tâche est d’apprécier le degré de vraisemblance des difficultés auxquelles l’enfant serait exposé si ses parents étaient renvoyés du Canada. Lorsque l’enfant aussi fait l’objet de la mesure de renvoi, l’agent doit également examiner les difficultés que l’enfant subirait s’il était renvoyé avec ses parents. Lorsque l’enfant a un statut lui permettant de rester au Canada, comme c’était le cas dans l’arrêt Hawthorne, mais contrairement à la présente espèce, l’agent doit aussi tenir compte des difficultés si l’enfant part avec ses parents. Quel qu’en soit le cas, la question qui se pose à l’agent est d’apprécier le degré de difficulté auxquelles l’enfant serait exposé, et de soupeser ces difficultés compte tenu des autres facteurs pertinents, le but ultime étant de décider quel est l’intérêt supérieur de cet enfant. À cette étape, l’intérêt supérieur de l’enfant devrait être soupesé compte tenu de tous les autres facteurs examinés afin de décider si le renvoi constitue des « difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives ».

[Non souligné dans l’original.]

[26]           À mon avis, indépendamment du critère que l’agent des visas a appliqué, l’erreur cruciale en l’espèce a été l’omission de prendre en compte des éléments de preuve pertinents, figurant dans le dossier, qui contredisaient directement les conclusions de l’agent des visas sur l’intérêt supérieur de la demanderesse.

[27]           À cet égard, il est vrai qu’un décideur n’est pas tenu de mentionner la totalité des éléments de preuve dans sa décision. Cependant, plus les éléments de preuve non mentionnés sont importants, plus le tribunal peut être disposé à déduire que l’on a tiré une conclusion de fait erronée sans égard à la preuve (Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425, aux paragraphes 16 et 17).

[28]           En l’espèce, le seul élément de preuve mentionné par l’agent des visas est le certificat de naissance de la demanderesse. Il a conclu que, comme cette dernière avait un certificat de naissance, rien ne s’opposait à l’enregistrement de son hukou. La preuve n’était donc pas suffisante pour montrer qu’elle ne pourrait pas aller à l’école. L’agent des visas a également déclaré qu’il n’y avait pas assez d’éléments de preuve pour montrer que la demanderesse s’exposerait à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives si elle était séparée de sa famille, que rien n’empêchait sa famille de la rejoindre en Chine et qu’il n’y avait aucune preuve que la demanderesse ne continuerait pas de vivre chez des membres de sa famille en Chine.

[29]           Il y a toutefois dans le dossier une preuve qui semble contredire manifestement les constatations de l’agent des visas et les conclusions qui en ont découlé. Par exemple, ce dernier n’a fait mention de la déclaration sous serment du père de la demanderesse ou des lettres de la demanderesse et de sa sœur. La preuve du père de la demanderesse contredisait directement les conclusions de l’agent des visas selon lesquelles la demanderesse pouvait s’inscrire pour son hukou, que rien n’empêchait la famille de vivre ensemble en Chine et qu’il n’y avait aucune preuve que la demanderesse ne pourrait pas continuer de vivre chez des membres de sa famille en Chine. Cette preuve faisait aussi état de l’intention de la famille de revenir au Canada, d’y rejoindre le père de la demanderesse et d’y vivre de façon permanente. La lettre de la sœur de la demanderesse, Angela, explique que celle-ci avait de la difficulté à s’adapter à la vie en Chine, qu’elle souhaitait revenir au Canada pour y suivre des études secondaires, mais qu’elle ne pouvait pas le faire seule; la lettre traitait également des difficultés que présente le fait d’avoir une famille divisée. L’agent des visas n’a pas fait référence non plus aux lettres de la demanderesse et de sa mère.

[30]           Comme l’agent des visas a entièrement omis de traiter de ces éléments de preuve, la décision est déraisonnable pour ce motif (Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 314, aux paragraphes 18 et 19; Park c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 564, au paragraphe 23; Joe c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 116, au paragraphe 30). Il convient également de signaler que le guide OP‑4 de Citoyenneté et Immigration Canada, intitulé Traitement des demandes présentées en vertu de l’article 25 de la LIPR, souligne que les agents sont tenus de prendre en considération la totalité des preuves liées à l’intérêt supérieur de l’enfant que l’on produit dans le cas d’une demande CH.

[31]           À mon avis, l’agent des visas a aussi omis de traiter de l’intérêt supérieur de la sœur et du frère de la demanderesse. La jurisprudence de la Cour au sujet des enfants exclus par ailleurs de la catégorie de la famille par l’alinéa 117(9)d) donne à penser que l’agent des visas se doit de prendre en compte le scénario de la famille réunie au Canada au moment d’analyser l’intérêt supérieur de l’enfant (Kobita c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1479, au paragraphe 53 (Kobita); Phyang, précitée, au paragraphe 20). Dans la décision Husain, précitée, au paragraphe 21, la juge Heneghan a fait remarquer que l’un des objectifs de la LIPR, tels qu’ils sont énoncés à l’alinéa 3(1)d), est la réunification des familles au Canada. Par conséquent, dans cette affaire, où l’enfant était exclu par l’application de l’alinéa 117(9)d) du RIPR, il aurait fallu que l’agent des visas traite de la possibilité que la demanderesse – une enfant – et ses parents soient réunis au Canada (Husain, précitée, aux paragraphes 18 à 22). Ces décisions concordent avec l’arrêt Kisana, précité, une affaire dans laquelle la Cour d’appel fédérale était saisie du cas d’un enfant exclu par l’alinéa 117(9)d) et où elle a indiqué qu’un agent doit décider si l’intérêt supérieur de l’enfant, par rapport à d’autres facteurs CH, devrait lui permettre d’entrer au Canada (Kisana, précité, au paragraphe 38).

[32]           De plus, dans les cas où il y a plusieurs enfants directement touchés, l’agent doit prendre en compte leurs intérêts et leurs besoins distincts (Momcilovic c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 79, au paragraphe 53). En l’espèce, la sœur et le frère de la demanderesse sont tous deux Canadiens et, à mon avis, ils sont directement touchés par la présence de leur sœur en Chine. En tant que citoyens canadiens contraints de retourner en Chine avec leurs parents, leur situation est nettement différente de celle de leur sœur. Ils sont des enfants à charge, âgés d’environ 14 ans et 6 ans, et ils ne peuvent pas déménager au Canada en tout temps, comme le sous-entend le défendeur. Angela a passé la majeure partie de ses années formatrices au Canada, et il ressort de la preuve qu’elle a des difficultés en Chine, qu’elle souhaite revenir au Canada et que le fait d’être séparée de sa sœur est difficile pour elle et sa famille. Mais l’agent des visas n’a pas mentionné cette preuve. Pas plus qu’il n’a mentionné son frère, Bryan, dans la décision. Il n’existe de plus aucune preuve qui étaye l’affirmation du défendeur selon laquelle les enfants canadiens connaissaient bien la langue et la culture chinoises, en particulier le cadet, qui était né au Canada. La preuve n’étaye pas non plus la manière dont le défendeur décrit le redéménagement d’une partie de la famille en Chine, qu’il qualifie de décision volontaire et personnelle.

[33]           À mon avis, l’agent des visas aurait dû se servir de l’éventuelle vie de la demanderesse au Canada comme point de comparaison au moment d’analyser son intérêt supérieur (Hawthorne, précité, au paragraphe 41). Au lieu de cela, il n’a pris en compte que le statu quo de la vie de la demanderesse en Chine et s’il y avait un obstacle quelconque au fait qu’elle y demeure.

[34]           Enfin, je signale que la jurisprudence citée par la demanderesse confirme que, lorsqu’un demandeur est exclu du fait de l’alinéa 117(9)d) du RIPR, l’agent qui accorde un poids excessif à une fausse déclaration commet une erreur (Aggrey c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1425, aux paragraphes 8 et 9; Kobita, précitée, au paragraphe 35; Phung c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 585, aux paragraphes 34 à 36 (Phung)). Dans la décision Sultana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 533, au paragraphe 25 (Sultana), le juge de Montigny a signalé qu’il est important d’examiner en détail les facteurs CH lorsqu’un demandeur est exclu par l’application de l’alinéa 117(9)d) du RIPR :

[25]      […] il a été conclu que l’article 25 de la LIPR visait à protéger contre le non-respect des instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire en raison de l’alinéa 117(9)d) : De Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 436, aux paragraphes 102 à 109. Pour donner un sens à cette disposition, les agents d’immigration doivent non seulement répondre superficiellement aux facteurs d’ordre humanitaire invoqués par le demandeur, mais ils doivent bien les évaluer pour déterminer s’ils sont suffisants pour contrebalancer la disposition draconienne 117(9)d). Comme mon collège le juge Kelen a fait remarquer dans Hurtado c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 552, au paragraphe 14, « […] si la fausse indication donnée par le demandeur constituait le seul facteur à considérer, le ministre n’aurait plus aucun pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 25 de la Loi ». Cette directive a effectivement été reconnue dans le Guide OP 4 sur le traitement des demandes à l’étranger, à l’annexe F, où l’on rappelle que l’agent doit s’assurer « que son évaluation CH ne fait pas qu’expliquer pourquoi le demandeur est visé au R117(9)d) pour tenir compte des facteurs favorables présentés par le demandeur à l’appui de sa demande de dispense de l’application du R117(9)d) ».

[35]           L’agent des visas n’a pas eu tort de tenir compte des motifs de la non-divulgation lors de l’examen des CH, mais sa décision donne à penser que l’« élément déterminant » a été l’omission de déclarer un membre de la famille (Sultana, précitée, aux paragraphes 30 et 31). Plus de la moitié des motifs ne font qu’énumérer les faits expliquant pourquoi les parents de la demanderesse n’ont pas fait état de cette dernière dans leurs demandes. Et, comme il a été mentionné plus tôt, l’agent des visas a fait abstraction de la preuve qui étayait les aspects clés de la demande de la demanderesse et ensuite conclu que la preuve relative aux difficultés était insuffisante. À mon avis, dans ces circonstances, comme dans l’affaire Phung, précitée, au paragraphe 36, et l’affaire Sultana, précitée, la fixation de l’agent des visas sur ce facteur l’a empêché d’apprécier véritablement les facteurs CH que la demanderesse avait invoqués.

[36]           L’agent des visas a également conclu que l’explication de la mère de la demanderesse, quant à la raison pour laquelle ils avaient omis de déclarer leur fille à l’aéroport après leur atterrissage, était peu plausible, car la connaissance moyenne qu’avait la mère de l’anglais était suffisante pour avoir compris qu’elle se devait de le faire. Cela semble être une conclusion relative à la crédibilité qui, bien qu’elle ne soit pas décisive dans le cas présent, montre par ailleurs que l’agent des visas s’est concentré sur les motifs pour lesquels les parents n’avaient pas déclaré la demanderesse plutôt que sur des facteurs CH.

[37]           Compte tenu de mes constatations qui précèdent ainsi que de la conclusion selon laquelle la décision est déraisonnable, il n’est nul besoin d’examiner les autres questions que les parties ont soulevées dans leurs observations.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.      la demande de contrôle judiciaire est accueillie, et la décision est renvoyée à un autre agent des visas pour nouvel examen;

2.      aucune question de portée générale à certifier n’a été proposée ou ne se pose.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

C. Laroche


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2756-13

 

INTITULÉ :

YU XUAN WENG, MINEURE, REPRÉSENTÉE PAR SON TUTEUR À L’INSTANCE WU SEN WENG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 juin 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

 

LE 5 août 2014

COMPARUTIONS :

Avvy Yao-Yao Go

 

pour la demanderesse

 

Martin Anderson

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avvy Yao-Yao Go

Avocat

Toronto (Ontario)

 

pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE défendeur

 

 

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