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Date : 20140807


Dossier : T‑990‑12

Référence : 2014 CF 784

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 août 2014

En présence de monsieur le juge de Montigny

ENTRE :

HAYABUSA FIGHTWEAR INC.

demanderesse

et

SUZUKI MOTOR CORPORATION

défenderesse

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               La Cour est saisie de l’appel d’une décision par laquelle Céline Tremblay, membre de la Commission des oppositions des marques de commerce, agissant au nom du registraire des marques de commerce [le registraire], a refusé la demande d’enregistrement de marque de commerce canadienne no 1 288 553 déposée par Hayabusa Fightwear Inc. [la demanderesse ou requérante], en vue d’enregistrer la marque de commerce HAYABUSA [la Marque]. La demande a été refusée en application du paragraphe 38(8) de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985 c T‑13 [la Loi], le 22 mars 2012, à la suite de l’opposition par Suzuki Motor Corporation (la défenderesse ou l’opposante) à l’enregistrement de la Marque.

[2]               Pour les motifs qui suivent, j’arrive à la conclusion que le présent appel doit être accueilli.

I.                   Faits

[3]               La demanderesse est une entreprise canadienne spécialisée dans le domaine des arts martiaux mixtes (AMM). Elle conçoit et vend des vêtements et des accessoires spécialisés pour les sports de combat.

[4]               Le 3 février 2006, avant de commencer à vendre ses marchandises, la demanderesse a produit une demande d’enregistrement de la marque de commerce HAYABUSA (qui signifie en japonais « faucon pèlerin »), demande fondée sur un emploi projeté au Canada. Voici l’état déclaratif des marchandises de la demanderesse, modifié le 29 octobre 2010 :

Vêtements, nommément : tee‑shirts, polos, chandails sport, shorts, cuissards, chandails de compression, gilets, pulls d’entraînement, kimonos, costumes d’arts martiaux, ensembles d’entraînement, survêtements, maillots de corps, ceintures pour kimonos, sandales et chaussures d’arts martiaux.

[5]               Le ou vers le 13 juin 2007, la demande a été publiée dans le Journal des marques de commerce, et le 13 novembre 2007, la défenderesse a produit une déclaration d’opposition. La défenderesse emploie la marque de commerce déposée HAYABUSA no LMC 526,151, en liaison avec des motocyclettes et des accessoires de motocyclettes depuis 2000, et en liaison avec des chapeaux (plus particulièrement des casquettes) depuis 2005. Il est important de souligner que la marque de commerce HAYABUSA de la défenderesse (la Marque citée), est enregistrée en vue d’un emploi en liaison avec des motocyclettes et des accessoires de motocyclettes, mais non avec des casquettes.

[6]               Les motifs d’opposition invoqués peuvent se résumer comme suit :

a)                  La demande ne satisfait pas aux exigences de l’article 30 de la Loi parce qu’elle ne renferme pas d’état, dressé dans les termes ordinaires du commerce, des marchandises spécifiques en liaison avec lesquelles la marque de commerce sera employée, car certaines des marchandises énumérées ne répondent pas à la définition de « vêtements ».

b)                  La demande ne satisfait pas aux exigences de l’article 30 de la Loi parce que la demanderesse ne pouvait pas être convaincue qu’elle avait le droit d’employer la marque de commerce au Canada en liaison avec les marchandises décrites dans la demande, compte tenu de l’enregistrement antérieur de la marque de commerce HAYABUSA par la défenderesse, sous le numéro LMC 526,151.

c)                  La demande ne satisfait pas aux exigences de l’article 30 de la Loi parce que la demanderesse ne pouvait pas être convaincue qu’elle avait le droit d’employer la marque de commerce au Canada en liaison avec les marchandises décrites dans la demande, étant donné que la défenderesse employait déjà la marque de commerce HAYABUSA en liaison avec des vêtements depuis au moins le 1er janvier 2005.

d)                 La marque de commerce n’est pas enregistrable en ce qu’elle crée de la confusion avec la marque de commerce HAYABUSA no LMC 526,151 déposée par la défenderesse.

e)                  La demanderesse n’est pas la personne qui a droit à l’enregistrement de la marque de commerce en cause car, à la date de production de la demande, ladite marque créait de la confusion avec une marque de commerce antérieurement employée ou révélée au Canada par une autre personne, soit la marque de commerce HAYABUSA, qui était déjà employée ou révélée au Canada par la défenderesse.

f)                   La marque de commerce en cause n’est pas distinctive au sens de l’article 2 de la Loi en ce qu’elle ne distingue pas véritablement les marchandises en liaison avec lesquelles la demanderesse se propose de l’employer, des marchandises ou services de la défenderesse, nommément les motocyclettes et accessoires de motocyclettes, ainsi que les vêtements que la défenderesse vendait au Canada avant la date de production de la demande de la demanderesse.


[7]               La Marque et la Marque citée se présentent comme suit :

La Marque (la marque de la demanderesse)

La Marque citée (la marque de la défenderesse)

Description: HayabusaLogo_LargeWeb2

Description: brand

[8]               Le 11 janvier 2008, la demanderesse a produit une réponse à la déclaration d’opposition dans laquelle elle niait toutes les allégations de la défenderesse.

[9]               Le 14 juillet 2008, le registraire a accordé à la défenderesse l’autorisation de déposer une déclaration d’opposition modifiée dans laquelle le terme « vêtements », aux alinéas c), e) et f), avait été remplacé par « couvre‑chefs, nommément casquettes et chapeaux ».

[10]           Le 25 septembre 2009, la demanderesse a demandé que le délai prévu pour la production de la preuve à l’appui de sa demande soit prorogé de 3 mois; cependant, le 21 décembre 2009, la demanderesse a laissé savoir qu’elle ne produirait aucune preuve. Elle n’a pas non plus déposé d’observations écrites.

[11]           Le seul élément de preuve produit par la défenderesse est l’affidavit d’Andrew Chung (l’affidavit Chung), directeur national, Pièces et accessoires, pour Suzuki Canada Inc., souscrit le 11 août 2008. Dans son affidavit, M. Chung a déclaré ce qui suit :

                     La défenderesse a enregistré la Marque citée le 30 mars 2000 en liaison avec des motocyclettes et des accessoires de motocyclettes.

                     De plus, les casquettes HAYABUSA sont vendues au Canada par la défenderesse depuis janvier 2005. La défenderesse a également l’intention de vendre des vêtements. À cet égard, elle a déposé, le 6 décembre 2007, une demande visant à élargir la portée de l’enregistrement de sa marque de commerce afin de pouvoir l’employer en liaison avec des vêtements. Cette demande a été modifiée le 18 avril 2008 de façon à revendiquer un emploi de la marque HAYABUSA en liaison avec des couvre‑chefs seulement, nommément des casquettes et des chapeaux, depuis au moins janvier 2005, et un emploi projeté en liaison avec des vêtements, à savoir, des maillots, des chandails, des pulls d’entraînement et des tee‑shirts.

                     La défenderesse distribue ses produits par l’intermédiaire de sa filiale canadienne, Suzuki Canada, qui est autorisée à utiliser la Marque citée en liaison avec ses produits HAYABUSA.

                     La Marque citée est employée au Canada en liaison avec des motocyclettes et accessoires de motocyclettes depuis mars 2000. De 2000 à 2007, les ventes de motocyclettes ont atteint plus de 2 millions de dollars canadiens annuellement, et plus de 6 000 $ CA pour ce qui est des accessoires.

                     La Marque citée est apposée sur des casquettes et des chapeaux au Canada depuis janvier 2005. Les ventes de 2005 à 2008 se sont chiffrées à plus de 8 000 $ CA.

                     Le déposant mentionne diverses expositions dans le cadre desquelles il était possible de voir dans des catalogues et des brochures promotionnels les marchandises de la défenderesse sur lesquelles la Marque citée était apposée. Suzuki Canada possède aussi son propre site Web, sur lequel on trouve des renseignements sur ses produits, y compris les produits HAYABUSA.

                     Les motocyclettes et accessoires de motocyclettes et les chapeaux et casquettes HAYABUSA sont vendus au Canada par des détaillants Suzuki autorisés.

                     Depuis 2005, le budget de publicité télévisée et imprimée au Canada, pour tous les produits Suzuki, s’élève à plus de 2 millions de dollars canadiens. Environ 5 % de cette somme est consacrée à la publicité des produits HAYABUSA.

                     À la date de production de la demande (le 3 février 2006), le consommateur type était au courant que la défenderesse vendait des vêtements, des couvre‑chefs et des accessoires associés aux motocyclettes, et en particulier, qu’elle vendait des chapeaux et des casquettes HAYABUSA associés aux motocyclettes HAYABUSA. En outre, les gens qui connaissaient bien les motocyclettes et les casquettes HAYABUSA supposaient qu’il y avait un lien entre les casquettes de la défenderesse et les couvre‑chefs de la demanderesse, associés à la Marque et à la Marque citée.

[12]           Le 20 octobre 2008, la demanderesse a contre‑interrogé M. Chung sur son affidavit. Les principales parties de ce contre‑interrogatoire peuvent se résumer de la façon suivante :

                     M. Chung a précisé que, dans son affidavit, le terme « chapeau » était utilisé comme synonyme de « casquette » et qu’il ne faisait référence à aucun autre type de chapeau.

                     Puisque la vente de motocyclettes est saisonnière, de 90 à 95 % des détaillants autorisés de la défenderesse vendent d’autres marques en plus des produits de marque Suzuki.

                     Sur les motocyclettes, le mot Suzuki ou le logo « S » est toujours affiché quelque part, de même que la Marque citée. M. Chung a répondu « Je dirais oui » à la question de savoir si cela s’appliquait aussi aux casquettes.

                     Les accessoires affichant la Marque citée représentent environ 75 % du total des ventes d’accessoires.

                     Le coût unitaire approximatif des casquettes vendues par la défenderesse est de 20 $ CA.

                     Le sommaire des ventes de casquettes fourni par M. Chung décrit les ventes de casquettes aux détaillants autorisés. Aucun renseignement ne permet de savoir si des casquettes ont été vendues à des consommateurs.

                     On peut se procurer des catalogues et des brochures promotionnels surtout chez les détaillants, mais également à l’occasion d’événements liés aux motocyclettes, comme les foires commerciales.

                     Les casquettes HAYABUSA seraient affichées sur le site Web de la défenderesse depuis 2005.

                     Aucune publicité relative aux casquettes HAYABUSA n’a été diffusée à la télévision; par ailleurs, ces casquettes ne sont pas annoncées de façon distincte dans des publicités imprimées.

[13]           Le 22 mars 2012, le registraire a rejeté la demande de la demanderesse. Cette décision est publiée sous le numéro de référence 2012 COMC 47.


II.                La décision contestée

[14]           Après avoir examiné les faits à l’origine du présent appel, le registraire a rappelé le fardeau qui incombait à chacune des parties : alors que la demanderesse doit établir, selon la prépondérance des probabilités, que la demande est conforme aux exigences de la Loi relativement au caractère enregistrable et au caractère distinctif de la marque, la défenderesse doit produire suffisamment d’éléments de preuve pour étayer chacun des motifs d’opposition invoqués. Le registraire a également résumé la preuve de la défenderesse, à savoir l’affidavit de M. Chung.

[15]           Le registraire a ensuite formulé cinq observations préliminaires. En premier lieu, puisque la demande présentée par la défenderesse en vue d’étendre l’état déclaratif des marchandises de la Marque citée n’est pas visée par les motifs d’opposition et ne semble pas être contestée par la demanderesse, le registraire n’y a pas accordé d’importance. Le registraire a également estimé que la preuve produite suffisait à démontrer que la Marque citée avait été employée par Suzuki Canada en tant que licenciée de l’opposante. Ensuite, le registraire a rejeté l’argument de la défenderesse selon lequel les casquettes de la demanderesse étaient uniquement des articles promotionnels. Il a conclu que le fait que des casquettes HAYABUSA ont été vendues par Suzuki Canada aux détaillants autorisés permettait d’établir qu’il y avait bien eu des ventes dans la pratique normale du commerce. Le registraire a aussi rejeté l’argument de la demanderesse selon lequel la Marque citée était une marque secondaire puisqu’elle était toujours utilisée avec la marque de commerce SUZUKI ou le logo S, au motif que la Loi ne fait pas de distinction entre les marques primaires et les marques secondaires. Le registraire a ajouté que, indépendamment du fait que la Marque citée ne figure pas nécessairement à proximité immédiate du mot SUZUKI ou du logo S, la preuve montre également que la Marque citée elle‑même est apposée sur les casquettes. De plus, le registraire n’a pas jugé que les contradictions relevées entre les déclarations de M. Chung et les réponses aux engagements concernant la date à laquelle la défenderesse avait commencé à vendre des casquettes minaient la crédibilité du déposant.

[16]           Le registraire a ensuite analysé les motifs d’opposition. Il a tout d’abord rejeté le motif fondé sur la non‑conformité à l’alinéa 30i) de la Loi, car il y a en général manquement à cette disposition, qui oblige simplement le requérant à déclarer qu’il est convaincu qu’il a le droit d’utiliser la marque visée par la demande, dans les cas de mauvaise foi du requérant ou lorsque des dispositions législatives précises font obstacle à l’enregistrement de la marque, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

[17]           En ce qui concerne le motif d’absence de droit à l’enregistrement fondé sur l’alinéa 16(3)a), il incombe à la demanderesse de prouver qu’il n’y a aucune probabilité de confusion entre la Marque et la Marque citée à la date pertinente, en l’occurrence la date de la demande (le 3 février 2006). Dans l’examen de la probabilité de confusion, qui repose sur le critère « de la première impression et du souvenir imparfait », il faut tenir compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris des facteurs énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi.

[18]           Le registraire a d’abord examiné le degré de ressemblance (alinéa 6(5)e)) et a conclu que la Marque et la Marque citée étant identiques, ce facteur favorisait la défenderesse. En ce qui concerne le caractère distinctif inhérent (alinéa 6(5)a)), les deux marques étaient selon lui distinctives. Il a cependant conclu que, à la date pertinente, la Marque citée était devenue connue dans une certaine mesure au Canada, ce qui n’était pas le cas de la marque. En ce qui a trait à la période d’usage (alinéa 6(5)b)), la Marque citée était employée en liaison avec des motocyclettes et accessoires depuis l’année 2000, et en liaison avec des casquettes depuis l’année 2005, de sorte que ce facteur favorisait également la défenderesse.

[19]           En ce qui concerne le genre de marchandises (alinéa 6(5)c)) et la nature du commerce (alinéa 6(5)d)), le registraire a indiqué que la jurisprudence invoquée par les deux parties n’avait été d’aucune aide puisque ces affaires se distinguaient de la présente affaire et que chaque cas doit être tranché en fonction des faits qui lui sont propres. Il a conclu que le genre des marchandises associées à la Marque citée était différent du genre des marchandises associées à la marque (les motocyclettes par rapport aux vêtements); cependant, il a aussi conclu à l’existence d’un chevauchement avec les casquettes liées à la Marque citée, puisque les chaussures (sandales et chaussures d’arts martiaux), mentionnées dans l’état déclaratif des marchandises de la défenderesse, s’apparentent à des vêtements. Pour ce qui est de la nature du commerce, le registraire a déclaré que, même si l’état déclaratif des marchandises de l’opposante ne se limitait pas à une voie de commercialisation particulière, ce facteur n’était pas pertinent pour l’analyse de l’absence de droit à l’enregistrement (même si ce facteur serait pertinent dans le cadre d’une analyse du caractère non‑enregistrable). Le registraire a aussi conclu que le contre‑interrogatoire de M. Chung n’avait pas établi que les pratiques commerciales de la défenderesse avaient évolué, car elles n’avaient pas dépassé la vente à des détaillants autorisés.

[20]           Quant aux motifs fondés sur l’absence de droit à l’enregistrement, le registraire a conclu que la demanderesse ne s’était pas acquittée du fardeau de prouver, selon la prépondérance des probabilités, l’absence de confusion, puisque les probabilités de confusion étaient également réparties entre l’existence de confusion et l’absence de confusion. Même si les voies de commercialisation de la défenderesse étaient limitées, puisque la Marque citée est connue davantage pour des motocyclettes que pour des casquettes, ce facteur n’aurait pas suffi pour faire pencher la balance en faveur de la défenderesse. Le registraire a aussi répété que la demanderesse n’avait fourni aucun élément de preuve à l’appui de sa demande.

[21]           En ce qui concerne le motif d’opposition fondé sur le caractère distinctif au sens de l’article 2 de la Loi, la date pertinente est le 13 novembre 2007, soit la date de production de la déclaration d’opposition. Le registraire a conclu que la défenderesse avait produit suffisamment d’éléments de preuve démontrant que la Marque citée était devenue connue à la date pertinente, ce qui annulait donc le caractère distinctif de la Marque. Selon le registraire, l’analyse des facteurs énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi, en fonction de la date de production de la déclaration d’opposition, n’avait pas véritablement d’effet sur la conclusion tirée à l’issue de son analyse de l’absence de droit à l’enregistrement. Le motif fondé sur le caractère distinctif a donc été accueilli pour des raisons semblables à celles qui ont conduit le registraire à accueillir le motif fondé sur l’absence de droit à l’enregistrement.

[22]           Le registraire a décidé de ne pas examiner les motifs fondés sur l’alinéa 12(1)d) de la Loi (caractère non enregistrable), et sur l’alinéa 30a) (absence d’état dressé dans les termes ordinaires du commerce,), étant donné que la défenderesse avait déjà gain de cause relativement aux motifs fondés sur l’absence de droit à l’enregistrement et le caractère distinctif.

III.             Preuve additionnelle

[23]           Le 18 mai 2012, la demanderesse a déposé un avis d’appel de la décision du registraire. Elle a déposé en preuve l’affidavit de Craig Clement (l’affidavit Clement), coprésident et directeur financier d’Hayabusa Fightwear Inc. Dans son affidavit, M. Clement affirme ce qui suit :

                     Les activités commerciales de la demanderesse dans le domaine des arts martiaux mixtes (AMM) ont débuté en 2006.

                     Hayabusa Fightwear conçoit, met à l’essai et commercialise trois « catégories » de marchandises : des accessoires de combat, des vêtements de combat et des vêtements de loisir. La marque de commerce HAYABUSA apparaît toujours sur les produits Hayabusa.

                     Les marchandises sont vendues en ligne et sont offertes en vente dans des salons professionnels des AMM au Canada, dans des écoles de combat et auprès de détaillants spécialisés dans les accessoires et vêtements de combat AMM au Canada; elles sont parfois vendues dans des points de vente traditionnels et dans des boutiques électroniques spécialisées.

                     Le déposant fournit les dates des premières ventes au Canada et les revenus de l’exercice 2005‑2006 à l’exercice 2011‑2012. Les ventes ont connu une hausse chaque année.

                     En ce qui concerne la publicité et la promotion, le déposant explique que la demanderesse a commencé à faire de la publicité en 2006 et qu’elle le fait au moyen des médias traditionnels (salons professionnels, en ligne, magazines, etc.) et en parrainant des athlètes professionnels du domaine des AMM. Le déposant déclare également que la demanderesse a du matériel de promotion sur les lieux de vente, et il fournit des tableaux détaillés indiquant la répartition annuelle des dépenses de publicité et de promotion d’Hayabusa Fightwear depuis 2007.

                     La demanderesse fait également la promotion de ses produits dans des magazines qui ciblent les amateurs d’AMM. Le déposant décrit une publicité type et présente une liste de magazines dans lesquels la demanderesse a annoncé ses produits de 2007‑2008 à 2010‑2011. Il fournit aussi des renseignements sur le tirage, la distribution et le lectorat de chacun de ces magazines.

                     Le déposant dresse la liste des athlètes professionnels qui ont été parrainés par la demanderesse, et explique l’influence de ce parrainage sur la visibilité de la marque lors d’événements liés aux AMM. Le déposant ajoute que la demanderesse a obtenu une grande visibilité grâce à la diffusion télévisée (à la carte) des événements de l’Ultimate Fighting Championship (UFC), où des athlètes parrainés par Hayabusa Fightwear étaient en vedette.

                     La demanderesse a aussi participé à des salons spécialisés faisant la promotion de sports liés aux AMM. La demanderesse a participé à deux expositions des AMM, qui ont eu lieu à Toronto en 2006 et en 2009. Elle participe également à l’Expo UFC Fan chaque année depuis sa création en 2009.

                     Depuis 2006, Hayabusa Fightwear gère le site HAYABUSA, dans lequel elle fait la promotion de la marque HAYABUSA et vend des produits HAYABUSA.

                     Hayabusa Fightwear a également profité de la visibilité acquise par sa marque par l’intermédiaire de jeux vidéo, dans lesquels on voit les athlètes de l’UFC porter des vêtements de combat affichant la Marque.

                     La demanderesse [traduction] « détient de 15 à 18 % de la part du marché mondial des accessoires et vêtements de combat au Canada et, plus précisément, elle est, dans le secteur haut de gamme, un chef de file de l’industrie représentant environ 50 % du marché des AMM ».

                     Aux États‑Unis, la Marque est enregistrée en liaison avec des vêtements et de l’équipement de sport pour la boxe et les arts martiaux. La Marque citée est également enregistrée aux États‑Unis en liaison avec des motocyclettes et des accessoires de motocyclettes, et en liaison avec des vêtements, nommément des vestes, des gants, des pulls d’entraînement, des vêtements molletonnés, des tee‑shirts, des chapeaux, des casquettes et des polos.

IV.             Questions en litige

[24]           Je conviens avec la défenderesse que les questions soulevées dans le cadre du présent appel peuvent être formulées comme suit :

a)                  La preuve additionnelle a‑t‑elle une incidence importante sur la décision du registraire à l’égard de chacun des motifs d’opposition?

b)                  La décision du registraire était‑elle raisonnable?

c)                  La Cour peut‑elle se prononcer sur les autres motifs d’opposition sur lesquels la Commission des oppositions des marques de commerce a choisi de ne pas se prononcer?

V.                Analyse

[25]           Les parties sont pour l’essentiel d’accord au sujet des principes qui régissent la norme de contrôle applicable. Conformément à une longue série de décisions commençant par l’arrêt Brasseries Molson c John Labatt Ltée, [2000] 3 CF 145, aux paragraphes 23 à 29 (CAF), il est maintenant bien établi que la norme de contrôle applicable aux appels fondés sur l’article 56 de la Loi est celle de la décision raisonnable, à moins que de nouveaux éléments de preuve ne soient déposés et que ces éléments auraient pu avoir un effet sur les conclusions du registraire : voir également Christian Dior, S.A. c Dion Neckwear Ltd. [2002] 3 CF 405, au paragraphe 8 (CAF); Shell Canada Ltd. c P.T. Sari Incofood Corp., 2008 CAF 279, au paragraphe 11; Maison Cousin (1980) Inc. c Cousins Submarines Inc., 2006 CAF 409. En raison de son expertise, le registraire a droit à une certaine déférence et ses décisions ne doivent pas être annulées à la légère. Lorsque de nouveaux éléments probants sont présentés, cependant, la Cour peut rendre sa propre décision et substituer son opinion à celle du registraire.

[26]           Dans l’examen de l’incidence des nouveaux éléments de preuve présentés, la qualité l’emporte sur la quantité : Hawke & Company Outfitters LLC c Retail Royalty Company and American Eagle Outfitters, Inc., 2012 CF 1539, au paragraphe 31. Tout élément additionnel déposé en vue de combler ou de corriger des lacunes relevées par le registraire sera généralement considéré comme important. D’autre part, tout nouvel élément qui reproduit simplement ce qui a déjà été déposé devant le registraire sans vraiment rien apporter de plus aux renseignements déjà déposés ne sera pas considéré comme suffisant pour justifier une révision selon la norme de la décision correcte. Comme l’affirme le juge Evans dans la décision Garbo Group Inc. c Harriet Brown & Co., [1999] ACF no 1763, aux paragraphes 37 et 38 :

Les conséquences à l’égard de la norme de contrôle qu’entraîne le dépôt en appel d’une preuve additionnelle seront largement fonction de la mesure dans laquelle cette autre preuve a une force probante plus grande que celle des éléments fournis au registraire. Si l’élément apporté a peu de poids et ne consiste qu’en une simple répétition des éléments déjà mis en preuve sans accroître la force probante de ceux‑ci, la présence de cet élément additionnel ne devrait avoir aucune incidence sur la norme de contrôle appliquée par la Cour en appel.

Par contre, lorsque la preuve additionnelle va au‑delà de ce qui a déjà été établi devant le registraire, la Cour doit alors se demander si, à la lumière de cette preuve, le registraire a rendu la mauvaise décision à l’égard de la question sur laquelle portent ces éléments de preuve et, peut‑être, si la décision au fond est elle‑même justifiée. Plus les éléments de preuve additionnels ont un poids important, plus la cour d’appel sera portée à tirer elle‑même une conclusion de fait.

A.                La preuve additionnelle a‑t‑elle une incidence importante sur la décision du registraire à l’égard de chacun des motifs d’opposition?

[27]           L’avocat de la demanderesse soutient que la preuve additionnelle aurait eu une incidence importante sur la décision du registraire puisqu’elle aurait remédié aux lacunes de la preuve relevées par le registraire. En ce qui concerne l’absence de droit à l’enregistrement, les nouveaux éléments font ressortir la spécificité du commerce exploité par la demanderesse et viennent donc confirmer que les voies de commercialisation des parties sont distinctes : la demanderesse vend ses marchandises à des commerçants spécialisés dans les arts martiaux mixtes (AMM) et la défenderesse vend ses casquettes uniquement à des détaillants autorisés.

[28]           En ce qui concerne le caractère distinctif, l’avocat de la demanderesse affirme que c’est à la défenderesse qu’incombe le fardeau de démontrer l’emploi suffisant de la Marque citée. La défenderesse ne s’est pas acquittée de ce fardeau puisque, comme nous l’avons vu, il n’existe aucune probabilité de confusion entre les deux marques du fait que les voies de commercialisation des deux parties sont distinctes et que les ventes des casquettes de la défenderesse sont modestes.

[29]           J’estime que ces arguments ne sont pas convaincants, essentiellement pour deux raisons. Tout d’abord, il est évident que des éléments de preuve portant sur des faits postérieurs à la date de production de la demande ne suffiront pas pour que la norme de contrôle applicable passe de la norme de la décision raisonnable à celle de la décision correcte. Dans le cas qui nous occupe, la date pertinente concernant l’absence de droit à l’enregistrement au titre du paragraphe 16(3) de la Loi est la date de dépôt de la demande, à savoir, le 3 février 2006. En ce qui concerne l’absence de caractère distinctif, la date pertinente, conformément à l’article 2 de la Loi, est la date de production de la déclaration d’opposition, à savoir le 13 novembre 2007.

[30]           L’affidavit de M. Clement fournit des renseignements sur la marque de commerce de la demanderesse et son utilisation, mais ces renseignements visent principalement l’emploi de la marque après les dates pertinentes. Il fallait s’y attendre puisque les activités commerciales de la demanderesse ont commencé en 2006. La pièce CC‑6 montre que les revenus bruts de la demanderesse pour les années 2005‑2006 et 2006‑2007 ont été modestes (1 000 $ et 8 000 $, respectivement), et la pièce CC‑7 montre que la publicité et la promotion par des athlètes n’ont commencé réellement qu’en 2008‑2009, les chiffres pour l’année 2007‑2008 étant très modestes (26 023 $ pour la publicité et la promotion et 19 468 $ pour la promotion par les athlètes). M. Clement affirme aussi que la demanderesse a participé à un salon à Toronto en 2006, mais la preuve démontre que la participation de la demanderesse à des foires commerciales était surtout importante à partir de 2009.

[31]           Sur ce seul fondement, j’estime que les nouveaux éléments de preuve présentés par M. Clement ne sont pas pertinents et n’auraient pas eu d’incidence importante sur la décision du registraire.

[32]           Il y a, cependant, une raison plus importante pour laquelle l’affidavit est en soi insuffisant pour que la norme de contrôle applicable soit celle de la raisonnabilité plutôt que celle de la décision correcte. Il est vrai que le registraire a souligné le fait qu’aucun élément de preuve n’avait été présenté quant aux voies de commercialisation associées à la Marque. Or, je ne vois pas comment la preuve de M. Clement aurait pu inciter le registraire à se prononcer en faveur de la demanderesse.

[33]           Il importe de signaler que le registraire a conclu que les marques étaient identiques et que la défenderesse était considérablement favorisée par ce facteur. Il est clair qu’il n’y a rien dans l’affidavit de M. Clement qui pourrait faire en sorte que le registraire parvienne à une conclusion différente. Il en va de même pour la question du caractère distinctif inhérent. Le registraire a reconnu que les deux marques présentaient un important caractère distinctif inhérent, mais a conclu que la marque de commerce de la défenderesse était déjà connue dans une certaine mesure au Canada, avant la date de production de la demande de la demanderesse, et encore plus à la date pertinente pour l’examen de l’absence de caractère distinctif. Je conviens avec la défenderesse que rien dans l’affidavit de M. Clement n’aurait pu influer sur les conclusions du registraire. En fait, le nombre minime de ventes et d’événements promotionnels qui ont eu lieu avant les dates pertinentes auraient seulement pu renforcer le point de vue du registraire selon lequel la marque de commerce de la demanderesse était beaucoup moins connue au Canada que la marque de commerce de la défenderesse.

[34]           Puisque la demande a été déposée sur le fondement d’un emploi projeté, il est évident que la période durant laquelle la marque de commerce visée par la demande a été employée par la demanderesse n’aura guère d’importance. En effet, le registraire a fait référence à ce facteur dans ses motifs, mais semble lui avoir donné peu de poids, voire aucun.

[35]           L’affidavit de M. Clement est principalement axé sur le genre des marchandises et les voies de commercialisation. Il en ressort que les produits de la demanderesse ne s’adressent généralement pas aux consommateurs moyens, mais ciblent de manière précise les amateurs d’AMM. Il s’agit donc d’un marché à créneaux, ce qui est étayé par le fait que ces produits ne sont généralement pas vendus dans les magasins de détail traditionnels, mais empruntent plutôt les voies commerciales spécialisées pour ce sport en particulier (sites en ligne, foires commerciales, écoles d’arts martiaux, magasins spécialisés en accessoires et en vêtements de combat pour les AMM).

[36]           Je partage l’avis de l’avocat de la demanderesse selon lequel l’examen de l’état déclaratif des marchandises doit viser à déterminer le genre probable d’entreprise ou de commerce envisagé par les parties plutôt qu’à répertorier tous les commerces susceptibles d’être visés par les termes employés : Pélican International Inc. c GSC Technologies LLC Corp., 2011 COMC 42, au paragraphe 52.

[37]           Je conviens également que les éléments de preuve relatifs à la nature du commerce véritablement exercé par les parties, même s’ils sont postérieurs aux dates pertinentes applicables, peuvent en quelque sorte être utiles pour confirmer le type probable d’entreprise ou de commerce envisagé. Cela dit, je ne pense pas que l’on puisse déduire, à partir de cette preuve limitée, que les marchandises de la demanderesse seront toujours vendues par l’intermédiaire de ces mêmes voies. La demanderesse est une société relativement jeune, et elle pourrait s’agrandir pour vendre ses produits par l’intermédiaire des réseaux généraux de vente au détail, p. ex. les magasins à grande surface ou les magasins de sport.

[38]           Or, là n’est pas la question. Ce qui importe surtout, c’est que le registraire a convenu avec la demanderesse que les marchandises associées à la marque de commerce de la défenderesse n’avaient été vendues que par l’intermédiaire des détaillants autorisés de la défenderesse, ce qui diminue le risque de confusion. En conséquence, le registraire a déjà statué en faveur de la demanderesse pour ce qui est de ce facteur, indépendamment du fait que cette dernière n’a déposé aucun élément de preuve quant aux voies de commercialisation associées à la Marque. Pour cette raison, je ne vois pas comment l’affidavit de M. Clement aurait pu avoir une incidence importante sur la décision du registraire à l’égard de ce facteur.

[39]           Pour tous les motifs qui précèdent, j’estime que les nouveaux éléments de preuve soumis à la Cour par la demanderesse sont insuffisants pour écarter la norme déférente du caractère raisonnable. Par conséquent, la Cour n’interviendra que si la décision du registraire n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190. Il est clair que cette norme déférente du caractère raisonnable ne s’appliquerait pas si l’erreur commise par le registraire portait sur une question de droit ne relevant pas de son domaine d’expertise, auquel cas la norme de la décision correcte s’appliquerait : Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, au paragraphe 18, [2011] 3 RCS 471; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, au paragraphe 30, [2011] 3 RCS 654.


B.                 La décision du registraire était‑elle raisonnable?

[40]           Une marque de commerce doit évoquer, dans l’esprit du consommateur moyen, un lien entre un produit et sa source. Le paragraphe 6(2) de la Loi prévoit que l’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce « lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale ».

[41]           Le point de vue qu’il faut adopter pour apprécier la probabilité d’une conclusion erronée est celui du consommateur mythique, souvent appelé « [traductionl’acheteur ordinaire pressé » : Mattel Inc. c 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, au paragraphe 56, [2006] 1 RCS 772. En d’autres termes, le test en matière de confusion est celui de la première impression que laisse les marques dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé qui ne s’arrête pas pour réfléchir à la question en profondeur, pas plus que pour examiner de près les ressemblances et les différences entre les marques : Veuve Clicquot Ponsardin Maison Fondée en 1772 c Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, au paragraphe 20, [2006] 1 RCS 824.

[42]           Dans l’application du test relatif à la confusion, le registraire doit tenir compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris les facteurs énoncés au paragraphe 6(5) de la Loi, soit : a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus; b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage; c) le genre de marchandises, services ou entreprises; d) la nature du commerce; e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent.

[43]           Dans ses motifs, le registraire a examiné chacun des facteurs susmentionnés et il a conclu que la demanderesse n’avait pas prouvé que l’absence de confusion était plus probable que son existence. Il est utile de citer le paragraphe des motifs qui résume les conclusions du registraire à l’égard du motif d’opposition fondé sur l’alinéa 16(3)a) de la Loi.

[45] S’agissant du test en matière de confusion, je l’ai considéré comme une affaire de première impression et de souvenir imparfait. Après examen de toutes les circonstances, je suis d’avis que les probabilités de confusion entre la Marque, employée pour des vêtements, et la Marque citée, employée pour des casquettes, étaient, au 3 février 2006, sensiblement égales aux probabilités d’absence de confusion. Outre le fait que la Marque est identique à la Marque citée, j’ai accordé une importance particulière, pour conclure de la sorte, à la période durant laquelle la Marque citée avait été employée et à la mesure dans laquelle elle était devenue connue au Canada. Même si je reconnais que la Marque citée était sans doute davantage connue pour des motocyclettes que pour des casquettes, il reste qu’elle avait été employée en liaison avec des casquettes, lesquelles se superposent ou se rapportent aux marchandises visées par la demande. Une fois tous ces facteurs pris en compte, le fait que les voies de commercialisation de l’Opposante s’étaient limitées aux détaillants autorisés Suzuki ne suffit pas selon moi à faire bénéficier la Requérante de la prépondérance des probabilités.

[44]           Il convient de signaler que, après examen de toutes les circonstances de l’espèce, le registraire a conclu que les probabilités de confusion entre la Marque, employée pour les vêtements, et la Marque citée, employée pour des casquettes, étaient, au 3 février 2006, « sensiblement égales » aux probabilités d’absence de confusion. Cela est très étonnant, car il avait déjà conclu que les marques en cause étaient identiques et que l’opposante était donc considérablement favorisée par ce facteur. Au final, il a conclu que le motif d’opposition concernant l’absence de droit à l’enregistrement devait être accueilli, essentiellement parce qu’il incombait à la demanderesse de démontrer que la Marque n’était pas raisonnablement susceptible de créer de la confusion avec la Marque citée. La demanderesse ne s’étant pas acquittée de ce fardeau, le registraire n’avait d’autre choix que de rejeter la demande.

[45]           Étant donné que la Marque citée était mieux connue pour les motocyclettes que pour les casquettes, comme l’a reconnu le registraire, la période durant laquelle les marques de commerce en cause ont été en usage n’a guère d’importance lorsque la demande est fondée sur l’emploi projeté. L’emploi de la Marque citée en liaison avec des casquettes est relativement récent, et le nombre et la valeur de ces casquettes qui ont été vendues au Canada, de janvier 2005 à mars 2008, semblent être relativement faibles (environ 400 casquettes pour une valeur totale approximative de 8 000 $). De toute évidence, les voies commerciales respectivement empruntées par les marchandises de la défenderesse et par celles de la demanderesse étaient d’une importance capitale et, à mon avis, c’est là que le registraire a fait une erreur susceptible de contrôle qui appelle la norme de la décision raisonnable.

[46]           Je partage l’avis de l’avocat de la demanderesse qui affirme que, dans l’examen de la probabilité de confusion entre deux marques de commerce, la manière d’aborder la question diffère grandement selon que la comparaison est faite par rapport à une marque déposée ou à une marque non déposée. Lorsqu’il s’agit d’une marque déposée, il faut tenir compte non seulement de la portée des droits conférés par l’enregistrement, mais aussi de l’emploi potentiel de la marque aussi bien que son emploi réel : Masterpiece Inc. c Alavida Lifestyles Inc., 2011 CSC 27, au paragraphe 59, [2011] 2 RCS 387. La comparaison sera beaucoup plus étroite si l’on compare la marque en cause avec une marque non déposée, et se limitera à l’emploi réel de cette marque, comme l’a confirmé la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Marlboro Canada Limited c Philip Morris Products S.A., 2012 CAF 201, aux paragraphes 55 et 56 :

Le juge Marshall Rothstein, écrivant au nom de la Cour suprême, a bien précisé que la marche à suivre dans l’examen du degré de ressemblance entre des marques n’est pas la même selon que celles‑ci sont ou non déposées.

S’agissant de marques non déposées, le tribunal ne devrait prendre en considération que la manière dont elles ont été réellement employées. Mais pour ce qui concerne les marques déposées, le tribunal doit s’attacher aux termes mêmes de l’enregistrement de manière à prendre en compte toute la portée des droits qu’il confère.

[47]           Dans la présente affaire, la Marque citée de la défenderesse n’a pas été enregistrée en liaison avec des casquettes. C’est pourquoi je conviens avec l’avocat de la demanderesse qu’il était impératif de tenir compte de ce que la défenderesse faisait en réalité avec ses casquettes jusqu’à la date pertinente, par opposition à ce qu’elle pourrait avoir fait. Sur ce point, la preuve de M. Chung est la suivante :

                     De plus, les casquettes de la défenderesse portant la Marque citée affichaient toujours bien en vue la marque de commerce SUZUKI ou le logo S, ou bien les deux. Dans ses motifs, le registraire cite M. Chung, qui a répondu « Je dirais oui » à la question de savoir si le nom de Suzuki ou le logo S figuraient toujours sur les casquettes elles‑mêmes. Lors de l’audience, l’avocat de la défenderesse a souligné (comme l’a fait le registraire) que le nom de Suzuki ou le logo S ne sont pas toujours à proximité immédiate de la Marque citée, car ils peuvent être à l’intérieur, à l’extérieur ou à l’arrière de la casquette. Cela n’enlève rien au fait que la Marque citée et la marque de commerce SUZUKI et/ou le logo S figurent sur le même produit, et que la Marque citée n’apparaît jamais seule sur les casquettes. En outre, il ressort du dossier de la demanderesse (à la page 103) que toutes les casquettes vendues par la défenderesse sont associées à un modèle de motocyclette particulier vendu par la défenderesse.

                     Les casquettes de la défenderesse n’ont été vendues au Canada que par des détaillants Suzuki autorisés, dont le nombre est d’environ 250.

                     De janvier 2005 à mars 2008, la défenderesse a vendu à ses détaillants autorisés (par opposition au consommateur final) des casquettes pour une valeur inférieure à 8 000 $.

                     Les casquettes de la défenderesse n’ont pas été annoncées à la télévision et aucune publicité imprimée n’a été faite pour les casquettes uniquement.

[48]           À mon avis, le registraire n’a pas suffisamment tenu compte de ces éléments de preuve lorsqu’il a examiné la probabilité de confusion. La manière précise dont la défenderesse a employé sa marque de commerce dans l’exercice de son véritable commerce, et la voie commerciale dont elle s’est servie pour vendre ses casquettes auraient dû se voir accorder plus de poids, surtout à la lumière de la conclusion du registraire selon laquelle le contre‑interrogatoire de M. Chung « ne montre pas une évolution dans les méthodes de vente de l’Opposante ». Même si le registraire avait pu tenir compte des autres voies de commercialisation potentielles des casquettes de la défenderesse, il était très peu probable que celle‑ci vende ses casquettes par l’intermédiaire d’autres voies que celle des détaillants Suzuki. La décision de la Commission des oppositions des marques de commerce dans Société Guy Laroche, Société Anonyme c Boutique L’Ensemblier Inc. (1993), 53 CPR(3d) 86, aux pages 94 et 95, est pertinente à cet égard, bien que dans cette affaire, les marques de commerce de la requérante et de l’opposante présentaient peu de ressemblance dans la présentation des et aucune ressemblance au niveau des idées qu’elles suggéraient :

Lorsqu’il envisage la question de la confusion eu égard aux motifs d’opposition concernant l’absence de droit et l’absence de caractère distinctif, le registraire doit tenir compte des marchandises de l’opposante ainsi que des canaux de distribution associés à ces marchandises. Ainsi, bien que les marchandises visées par la demande de la requérante et les vêtements vendus par l’opposante à son distributeur au Canada soient essentiellement les mêmes, les canaux de distribution associés aux marchandises des parties ne se chevaucheraient pas. En particulier, la preuve de l’opposante confirme que ses vêtements GUY LAROCHE sont vendus presque exclusivement dans les Boutiques Guy Laroche, qui vendent uniquement les marchandises de l’opposante aux consommateurs canadiens. En conséquence, les marchandises de la requérante ne seraient pas vendues dans des boutiques exploitées par les distributeurs canadiens de l’opposante.

[49]           Il ressort clairement de la preuve que les casquettes vendues par la défenderesse, même si ce n’est pas à titre promotionnel à proprement parler, puisqu’elles sont vendues à des détaillants autorisés, seraient très probablement achetées par des consommateurs qui connaissent les motocyclettes Suzuki et qui en ont une ou souhaiteraient en avoir une. Ces casquettes sont vendues par l’intermédiaire d’une seule voie commerciale et à une clientèle cible (c.‑à‑d., à des détaillants de motocyclettes Suzuki et, au final, à des consommateurs de motocyclettes Suzuki). Combiné au fait que le registraire n’a donné aucun poids à la déclaration de M. Chung selon laquelle la défenderesse avait l’intention de vendre une gamme de vêtements HAYABUSA au Canada, il s’agit là d’un facteur important. Cela veut dire qu’il ne peut y avoir aucun chevauchement entre la voie commerciale utilisée par la défenderesse pour vendre ses casquettes et les voies commerciales servant habituellement à la vente de vêtements, et encore moins avec les voies commerciales spécialisées utilisées par la demanderesse pour vendre ses marchandises. Par conséquent, il est difficile de concevoir qu’il puisse y avoir probabilité de confusion entre la Marque citée et la Marque.

[50]           L’avocat de la défenderesse a soutenu que la demanderesse avait annoncé ses marchandises dans des magazines qui comprenaient également des publicités pour des véhicules, ce qui démontrait que les fabricants de véhicules annoncent leurs produits dans le même média que la demanderesse et ciblent ainsi les mêmes consommateurs. À mon avis, cet argument n’est pas convaincant. Seules deux publicités du genre ont été vues dans plus de 1 000 pages de magazines, dans lesquels la demanderesse fait la promotion de ses marchandises, et ont été produites en guise de réponses aux engagements souscrits à la suite du contre‑interrogatoire de Craig Clement. Plus important, le fait que la demanderesse et la défenderesse s’adressent parfois aux mêmes consommateurs ne veut pas dire qu’il y aurait confusion chez les consommateurs quant à la source ou à l’origine de leurs marchandises respectives.

[51]           En bref, j’estime que la question des voies de commercialisation différentes employées pour les produits de la demanderesse et pour ceux de la défenderesse était un facteur crucial qui aurait dû faire pencher la balance en faveur de la demanderesse. Le registraire ne pouvait pas raisonnablement conclure, selon les éléments de preuve soumis, que ce facteur n’était pas suffisant pour faire pencher la balance des probabilités en faveur de la demanderesse. Si, comme il l’a constaté, les probabilités de confusion entre la Marque employée en liaison avec des vêtements et la Marque citée associée aux casquettes étaient sensiblement égales, le fait qu’il est pratiquement impossible de trouver ces marchandises dans les mêmes voies de commercialisation aurait dû être déterminant.

[52]           Étant donné que l’analyse de l’absence de caractère distinctif est essentiellement la même que celle de l’absence de droit à l’enregistrement (sauf pour ce qui est de la date pertinente du 13 novembre 2007, par opposition au 3 février 2006), et puisque le registraire a conclu que le motif d’opposition fondé sur le caractère distinctif était accueilli pour les mêmes raisons que celles exprimées pour le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 16(3)a), mes observations précédentes concernant le fait que le registraire n’a pas accordé l’importance voulue aux différentes voies de commercialisation par lesquelles sont vendues les marchandises de la demanderesse et celles de la défenderesse s’appliquent de la même manière. Compte tenu du nombre limité de casquettes vendues par la défenderesse entre les années 2005 et 2008, rien ne permet de conclure que la Marque citée de la défenderesse aurait été mieux connue en novembre 2007 qu’elle ne l’était un an et demi auparavant.


C.                 La Cour peut‑elle se prononcer sur les autres motifs d’opposition sur lesquels la Commission des oppositions des marques de commerce a choisi de ne pas se prononcer?

[53]           Les deux parties ont demandé à la Cour d’examiner les motifs d’opposition sur lesquels le registraire ne s’est pas prononcé, à savoir celui du caractère enregistrable fondé sur l’alinéa 12(1)d) de la Loi et celui de la non‑conformité à l’alinéa 30a) de la Loi. Je le ferai brièvement. L’avocat de la défenderesse n’a présenté aucune observation à l’égard de ces deux motifs d’opposition, ni par écrit ni oralement.

[54]           Dans sa déclaration d’opposition modifiée, la défenderesse allègue que la demande ne satisfait pas aux exigences de l’alinéa 30a) de la Loi, car elle ne contient aucun état dressé dans les termes ordinaires du commerce des marchandises spécifiques en liaison avec lesquelles la marque sera employée. Plus particulièrement, la défenderesse allègue que l’état déclaratif des marchandises fait référence à des « vêtements », alors que certaines des marchandises mentionnées dans cette définition (p. ex. des chapeaux, des casquettes et des chaussures) ne sont pas des vêtements.

[55]           Cet argument est sans fondement. Bien que le registraire n’ait pas examiné expressément ce motif d’opposition, il a indiqué, au paragraphe 42 de sa décision, que les chaussures s’apparentaient à des vêtements. On peut en dire autant des couvre‑chefs. En fait, le dictionnaire Merriam‑Webster en ligne donne du mot « vêtement » la définition suivante : [traduction« objets que les gens portent pour couvrir leur corps ». Il importe également de souligner que l’énumération qui suit le mot « vêtements » dans l’état descriptif des marchandises commence par le mot « nommément », ce qui indique clairement que la liste ne doit pas être interprétée comme étant exhaustive. Pour ces raisons, ce motif d’opposition doit être rejeté.

[56]           Pour ce qui est du motif d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)d) de la Loi, il doit également être rejeté, essentiellement pour les mêmes raisons que celles concernant le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 16(3)a) de la Loi. Même si la date pertinente est différente (soit celle de la décision du registraire, le 8 mars 2012), il est évident que ce qui était vrai en 2006 l’était tout autant (sinon plus) six ans plus tard. Lorsqu’on examine le genre des marchandises et la nature du commerce de la défenderesse, et qu’on les compare avec le genre des marchandises de la demanderesse et la nature de son commerce, il ne fait aucun doute que les deux parties ont recours à des voies de commercialisation entièrement différentes pour vendre leurs marchandises et qu’elles ciblent des publics spécialisés et distincts qui sont peu susceptibles de se chevaucher.

[57]           En outre, je suis d’accord avec l’avocat de la demanderesse qui affirme que, dans le contexte du motif d’opposition fondé sur l’absence de droit à l’enregistrement, les motocyclettes et accessoires (qui sont les seules marchandises visées par la marque de commerce de la défenderesse LMC 526,151) diffèrent considérablement des marchandises visées par la demande de la demanderesse. Les motocyclettes et accessoires de la défenderesse sont vendus uniquement au Canada par l’intermédiaire des détaillants autorisés de celle‑ci, et la publicité associée à ces produits paraît principalement dans des magazines sur les motocyclettes. Lorsque les détaillants annoncent les motocyclettes et accessoires de la défenderesse dans des journaux locaux, c’est la marque principale de la défenderesse, SUZUKI, qui est bien en vue, par opposition à la Marque citée. Voilà qui contraste nettement avec les activités de la demanderesse et ses voies de commercialisation.

[58]           Je conviens en outre avec la demanderesse que le registraire a commis une erreur en écartant des affaires telles que Piaggio Veicoli Europei S.p.A. c Ghislaine Anex Benain, [1997] COMC 287, 84 CPR (3d) 102 (COMC) et Standard Knitting Ltd. c Toyota Jidosha Kabushiki Kaisha, 2003 CarswellNat 4953 (COMC). Il est sans doute vrai que dans ces deux cas, la marque de l’opposante n’était pas associée à des vêtements, comme c’est le cas en l’espèce. Dans l’affaire qui nous occupe, toutefois, les casquettes vendues par la défenderesse en liaison avec la Marque citée sont étroitement liées à ses motocyclettes. Quoi qu’il en soit, cette distinction ne permettait pas à mon avis d’écarter le principe général établi par ces décisions : lorsque quelqu’un emploie une marque de commerce pour vendre des véhicules et des pièces, le fait qu’une autre personne emploie une marque de commerce semblable pour vendre des marchandises différentes par l’intermédiaire de voies de commercialisation différentes ne crée habituellement pas de confusion (en l’absence de preuve à l’effet contraire).

VI.             Conclusion

[59]           Pour les motifs qui précèdent, l’appel est accueilli, et la décision du registraire est annulée. Les dépens sont adjugés à la demanderesse.


JUGEMENT

LA COUR STATUE QUE l’appel est accueilli et que la décision du registraire est annulée. Les dépens sont adjugés à la demanderesse.

« Yves de Montigny »

Juge

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

T‑990‑12

 

INTITULÉ :

HAYABUSA FIGHTWEAR INC. c SUZUKI MOTOR CORPORATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 3 mars 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE :

Le 7 août 2014

 

COMPARUTIONS :

François Guay

 

POUR la demanderesse

 

Michael Adams

 

POUR la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Smart et Biggar

Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR la demanderesse

 

Riches, McKenzie & Herbert

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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