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Date : 20140808


Dossier : T‑1666‑12

Référence : 2014 CF 699

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 août 2014

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

ALCON CANADA INC. et

ALCON RESEARCH, LTD.

demanderesses

et

APOTEX INC. et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS PUBLICS

(Jugement et motifs confidentiels rendus le 15 juillet 2014)


TABLE DES MATIÈRES

Page

I.             APERÇU.. 4

II.           INTRODUCTION.. 4

III.         LES PARTIES. 7

IV.         LE BREVET 287 EN GÉNÉRAL.. 8

V.           LA PREUVE.. 9

A.                     Pour la demanderesse, Alcon. 10

(1)               Kingsley Koo. 10

(2)               Peter Klimko. 10

(3)               Mitchell deLong. 10

B.                     Pour la défenderesse, Apotex. 11

(1)               Lisa Ebdon. 11

(2)               Manfred Wolff. 11

(3)               Thomas Mittag. 12

VI.         LES QUESTIONS EN LITIGE.. 12

A.                     La position générale d’Alcon. 13

B.                     La position générale d’Apotex. 15

VII.       L’AVIS D’ALLÉGATION.. 16

VIII.     LA CHARGE DE LA PREUVE.. 17

IX.         LA PERSONNE VERSÉE DANS L’ART. 19

X.           LE BREVET 287 DANS SES DÉTAILS. 21

XI.         L’INTERPRÉTATION DES REVENDICATIONS. 36

A.                     L’interprétation d’un brevet et de ses revendications : la jurisprudence et les principes applicables  37

B.                     Les revendications 12, 27, 35 et 46. 38

XII.       L’INVENTION.. 40

A.                     S’agit-il d’un brevet de sélection?. 40

B.                     Les brevets de sélection : la jurisprudence et les principes applicables. 42

C.                     Le brevet 287 n’est pas un brevet de sélection. 48

XIII.     L’IDÉE ORIGINALE.. 50

A.                     La position d’Alcon. 50

B.                     La position d’Apotex. 51

C.                     Que disent les experts?. 52

D.                     L’idée originale. 54

XIV.     L’UTILITÉ/LA PRÉDICTION VALABLE.. 54

A.                     La promesse du brevet : la jurisprudence et les principes applicables. 55

B.                     La position d’Alcon. 60

C.                     La position d’Apotex. 64

D.                     Que disent les experts?. 69

E.                     L’utilité promise a été valablement prédite. 75

XV.       L’ANTÉRIORITÉ.. 78

A.                     L’antériorité : la jurisprudence et les principes applicables. 78

B.                     La position d’Alcon. 83

C.                     La position d’Apotex. 91

D.                     Que disent les Experts?. 99

E.                     Le brevet 417 antériorise l’invention du brevet 287. 107

XVI.     L’ÉVIDENCE.. 114

A.                     L’évidence : la jurisprudence et les principes applicables. 115

B.                     La position d’Alcon. 118

C.                     La position d’Apotex. 122

D.                     Que disent les Experts?. 130

E.                     L’objet du brevet 287 était évident 138

XVII.   CONCLUSIONS ET DÉPENS. 144


 

I.                   APERÇU

[1]               Alcon a déposé la présente demande en vertu des dispositions du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133, dans sa version modifiée (le Règlement AC), en vue d’interdire au ministre de la Santé de délivrer à Apotex un avis de conformité concernant son produit générique (le produit d’Apotex) jusqu’à l’expiration du brevet canadien no 2,129,287 (le brevet 287) le 3 août 2014.

[2]               Pour les motifs qui suivent, je conclus que les allégations relatives à l’invalidité des revendications en litige pour cause d’antériorité et d’évidence sont fondées, mais non celles relatives à l’invalidité pour cause d’absence d’utilité.

[3]               La demande sera rejetée avec dépens en faveur de la défenderesse.

II.                INTRODUCTION

[4]               Le glaucome est une maladie oculaire caractérisée par une perte progressive de la vision en raison d’une élévation de la pression intraoculaire (la PIO), c’est‑à‑dire la pression de l’humeur aqueuse de l’œil. Le glaucome est incurable, mais traitable par la réduction de la PIO. Un tel traitement est permanent ou « chronique », en ce sens que le patient doit prendre des médicaments quotidiennement, et, de façon générale, pour le reste de sa vie, afin que la PIO demeure réduite.

[5]               Selon les inventeurs du brevet 287, il existait des médicaments pour traiter le glaucome et l’hypertension oculaire avant le brevet 287, mais ceux‑ci avaient des effets indésirables.

[6]               Témoignant à titre d’experts, MM. deLong et Wolff ont décrit les prostaglandines (PG) comme étant une grande classe de composés chimiques biologiquement actifs jouant de nombreux rôles dans l’organisme. L’on savait depuis au moins le milieu des années 1980 (et, selon M. deLong, même depuis 1977) que les PG, et en particulier la PGF, de même que leurs dérivés, abaissaient la PIO.

[7]               Bien que les prostaglandines naturelles aient été connues pour réduire la PIO, elles entraînaient des effets indésirables, notamment une irritation et une hyperémie (des yeux injectés de sang). L’on cherchait donc à mettre au point un composé pouvant réduire la PIO sans effets indésirables. Les prostaglandines de synthèse provoquaient aussi des effets indésirables, mais il était possible de recourir à diverses méthodes pour atténuer ou éliminer ces effets.

[8]               Le fluprosténol est une PG, et plus particulièrement un analogue synthétique d’une prostaglandine naturelle, la PGF. Alcon souligne que l’ester isopropylique du (+)‑fluprosténol, connu sous le nom de travoprost, est l’ingrédient actif de Travatan Z, un produit commercialisé par Alcon pour le traitement du glaucome. Apotex cherche à commercialiser son propre produit, Apo‑Travoprost, également pour traiter le glaucome.

[9]               Apotex allègue qu’elle ne contrefait pas les revendications du brevet en litige, le brevet 287, parce qu’elles sont invalides. Ce brevet, selon elle, est un brevet de sélection découlant du genre décrit dans la demande de brevet européen (EP 0 364 417, appelé le brevet 417), et il n’a pas tenu sa promesse de présenter des avantages considérables par rapport au brevet 417 et, plus précisément, son utilité n’a pas été démontrée ou valablement prédite. Subsidiairement, Apotex allègue que, si le brevet 287 n’est pas un brevet de sélection, mais un brevet d’espèce comme l’affirme Alcon, il n’est dans ce cas pas nouveau, car il ne fait que ce que le brevet 417 promettait, il est antériorisé par ce dernier et il est évident.

[10]           Apotex fait valoir qu’Alcon ne peut caractériser le brevet 287 comme un composé nouveau qui présente des avantages non exprimés, plutôt que comme un brevet de sélection, tout en se fondant sur ses avantages non exprimés pour étayer sa nouveauté. S’il est nouveau, il ne satisfera donc pas à l’exigence de la nouveauté, car il ne tient pas sa promesse.

[11]           Alcon reconnaît que le brevet 417 divulgue un énorme genre de composés et que ce genre englobe le travoprost de façon générique, mais fait valoir que le brevet 417 décrit ce qu’elle considère comme une [traduction] « exclusion fonctionnelle » de composés inutiles en raison de leurs effets indésirables. Le fluprosténol et ses esters (notamment le travoprost) étant exclus, ceux‑ci ne sont pas visés par le brevet 417, et l’on ne peut considérer que le brevet 417 les antériorise ou les rend évidents. Alcon fait également valoir que l’utilité promise du brevet 287 était valablement prédite.

[12]           L’interprétation des revendications en litige n’est pas contestée. Cependant, la décision concernant les allégations d’invalidité est subordonnée à la promesse du brevet ainsi qu’à l’idée originale des revendications, qui sont contestées.

III.             LES PARTIES

[13]           La demanderesse, Alcon, est une « première personne » au sens du Règlement AC. Elle a inscrit au registre le brevet 287, conformément au Règlement. Elle a obtenu du ministre de la Santé un avis de conformité (AC) en vue de vendre du travoprost, ce qu’elle fait sous la marque Travatan Z.

[14]           La demanderesse, Alcon, est la titulaire du brevet 287, et ce fait n’est pas contesté.

[15]           La défenderesse, Apotex, est une « seconde personne » au sens du Règlement AC. Pour pouvoir vendre une version générique du travoprost, comme Apo-Travoprost, elle doit recevoir un AC du ministre de la Santé. Conformément au Règlement AC, Apotex a signifié à Alcon un avis d’allégation (AA) daté du 25 juillet 2012.

[16]           Dans l’AA, Apotex allègue que les revendications 12, 27, 35 et 46 du brevet 287 ne seraient pas contrefaites et que le brevet est invalide pour cause d’antériorité, d’évidence et d’absence d’utilité (cause subsidiaire). Elle allègue également qu’elle ne contrefait aucune revendication valide en fabriquant, en construisant, en utilisant ou en vendant son produit.

[17]           La demanderesse fait valoir que les allégations d’Apotex ne concordent pas avec son AA. Cette question est analysée plus loin dans les présents motifs.

[18]           Le défendeur, le ministre de la Santé, qui assume diverses responsabilités sous le régime du Règlement AC, dont la délivrance d’un AC à une « seconde personne » telle qu’Apotex, n’a joué aucun rôle actif dans la présente instance.

IV.             LE BREVET 287 EN GÉNÉRAL

[19]           La demande relative au brevet canadien 2,129,287 a été faite au moyen d’une demande réputée avoir été déposée auprès du Bureau canadien des brevets le 2 août 1994. Le brevet est donc assujetti aux dispositions de la nouvelle Loi sur les brevets, LRC 1985 c P‑4, laquelle régit les brevets présentés après le 1er octobre 1989.

[20]           La demande a été déposée en vertu des dispositions du Traité de coopération en matière de brevets et elle revendique la priorité sur une première demande déposée au Bureau des brevets des États-Unis le 3 août 1993. Il s’agit là de la date par rapport à laquelle seront tranchées les questions d’antériorité et d’évidence.

[21]           La date du dépôt au Canada, soit le 2 août 1994, est celle par rapport à laquelle sera tranchée la question de la prédiction valable (utilité).

[22]           La date de publication, soit celle à laquelle le brevet a été mis à la disposition du public pour examen, est le 4 février 1995. Il s’agit là de la date à utiliser pour l’interprétation des revendications.

[23]           Le brevet 287 indique comme inventeurs Paul W. Zinke, Peter G. Klimko, John E. Bishop, Verney L. Sallee et Louis Desantis, fils, tous des États-Unis d’Amérique. Seul Peter Klimko a présenté des éléments de preuve dans le cadre de la présente instance.

[24]           Le brevet 287 a été délivré à Alcon Laboratories Inc., US.

[25]           La durée du brevet 287, sauf si ce dernier est déclaré invalide, expirera vingt ans après la date du dépôt de la demande au Canada, soit le 2 août 2014.

[26]           Le brevet 287 comporte 54 revendications, dont quatre sont en litige dans la présente instance (les revendications 12, 27, 35 et 46). L’interprétation des revendications et l’idée originale du brevet sont analysées ci-après.

V.                LA PREUVE

[27]           La preuve produite dans la présente instance a été présentée sous forme d’affidavits et de transcriptions de contre-interrogatoires d’experts, de pair avec leurs pièces. Tous les experts ont été contre-interrogés. Chaque partie a également présenté en preuve les affidavits de parajuristes en vue de verser des documents dans le dossier et d’attester certains faits.

[28]           La preuve au dossier comporte les éléments suivants :

A.                Pour la demanderesse, Alcon :

(1)               Kingsley Koo

[29]           Kingsley Koo est parajuriste au cabinet d’avocats d’Alcon. À son affidavit sont joints divers documents, comme le brevet 287, l’avis d’allégation d’Apotex, les références à l’art antérieur d’Apotex, de même que la monographie de produit concernant Travatan Z.

(2)               Peter Klimko

[30]           Peter G. Klimko est l’un des inventeurs du brevet 287. M. Klimko est chimiste médicinal chez Alcon Research, Ltd, à Fort Worth, au Texas. Il travaille chez Alcon depuis 1993, soit après avoir obtenu son doctorat en chimie organique de la Texas A&M University en mai 1992. Il a discuté des travaux d’Alcon ayant mené au dépôt du brevet 287, y compris des résultats des essais biologiques. Dans son affidavit, il reprend dans une large mesure des passages du brevet 287 et décrit le rôle qu’il a joué dans l’élaboration du brevet.

(3)               Mitchell deLong

[31]           Mitchell deLong est professeur auxiliaire au Département de chimie de l’Université Duke et détient un doctorat en chimie organique synthétique et médicinale. Il est vice-président de la division de chimie d’Aerie Pharmaceuticals Inc, une société spécialisée dans la mise au point de médicaments ophtalmiques. M. deLong compte 20 ans d’expérience dans le domaine de la chimie médicinale avec les prostaglandines et les traitements contre le glaucome. Il a occupé un poste de scientifique principal pendant 13 ans chez Procter & Gamble, de 1992 à 2005, et s’intéressait à l’utilisation de prostaglandines pour traiter un certain nombre de maladies.

[32]           M. deLong a été appelé par la demanderesse à passer en revue le brevet 287 et à fournir une opinion sur son interprétation, de même que sur l’utilité et le caractère nouveau. Ses propos sont détaillés : il décrit notamment la personne versée dans l’art, l’art antérieur, ainsi que la promesse du brevet. M. deLong explique également certaines notions de chimie et décrit les prostaglandines, leurs effets thérapeutiques et le type de médicament en cause en l’espèce.

B.                 Pour la défenderesse, Apotex :

(1)               Lisa Ebdon

[33]           Lisa Ebdon est parajuriste au cabinet d’avocats de la défenderesse, Apotex. À son affidavit sont joints divers documents, dont l’avis d’allégation d’Apotex, les références à l’art antérieur et une copie du brevet 287.

(2)               Manfred Wolff

[34]           Manfred E. Wolff est pharmacien et agent des brevets. Il détient un doctorat en chimie médicinale et est l’actuel président et chef de la direction d’Intellepharm Inc. M. Wolff a été invité à formuler des commentaires au sujet de la personne versée dans l’art, au sujet de ce que cette personne aurait considéré comme étant l’objet du brevet 287 et au sujet des revendications du brevet. M. Wolff examine également l’état de la technique et les connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art à la date pertinente, l’idée originale du brevet 287, ainsi que la différence entre ces deux éléments. Son affidavit est axé sur les questions d’antériorité et d’évidence. Il commente également la preuve des experts d’Alcon.

(3)               Thomas Mittag

[35]           Thomas W. Mittag est professeur émérite d’ophtalmologie et de pharmacologie à la Mount Sinai School of Medicine. M. Mittag a été invité à présenter un aperçu de l’état de la technique à la date pertinente, à expliquer comment le brevet aurait été compris le 4 février 1994 et à décrire la personne versée dans l’art. Il a également examiné l’idée originale des revendications du brevet 287, les différences entre l’état de la technique et l’idée originale à la date pertinente ainsi que la question de savoir si la personne versée dans l’art aurait considéré qu’il s’agissait d’un essai courant ou inventif. Son affidavit est axé sur les questions d’antériorité, d’évidence et d’utilité, sous la forme d’une prédiction valable.

VI.             LES QUESTIONS EN LITIGE

[36]           La principale question en litige consiste à savoir s’il y a lieu de rendre une ordonnance interdisant au ministre de la Santé d’accorder à Apotex un avis de conformité pour son produit générique (Apo-Travoprost) avant l’expiration du brevet 287. Cette décision dépend du fait de savoir si les allégations qu’Apotex a formulées à propos de l’invalidité du brevet 287 (et de la non-contrefaçon) sont justifiées.

[37]           Apotex allègue que le brevet 287 est invalide pour cause d’utilité, d’antériorité et d’évidence.

[38]           Le principal point de désaccord entre la demanderesse et la défenderesse (et auquel sont subordonnées les autres questions en litige) est le sens du brevet, c’est-à-dire : quelle est la promesse du brevet et quelle est l’idée originale (de chaque revendication)?

[39]           Les parties ne s’entendent pas non plus sur la caractérisation du brevet 287 en tant que « brevet de sélection ». La demanderesse, Alcon, n’affirme pas que le brevet 287 est un brevet de sélection découlant du genre décrit dans le brevet 417; elle fait plutôt valoir qu’il s’agit d’un composé nouveau ou d’une invention nouvelle dont l’utilité promise est d’être utile dans le traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire.

A.                La position générale d’Alcon

[40]           Alcon vend le produit Travatan Z, qui contient du travoprost, un composé qu’Alcon décrit comme étant l’ester isopropylique du (+)‑fluprosténol, à savoir une prostaglandine de type « 16‑phénoxy » sur le plan de la structure, pour le traitement du glaucome.

[41]           Les revendications en cause du brevet 287 (12, 27, 35 et 46) visent des esters pharmaceutiquement acceptables du fluprosténol pour le traitement du glaucome.

[42]           Alcon fait valoir que les revendications sont valides : elles n’étaient pas antériorisées par le brevet 417, elles n’étaient pas évidentes et l’utilité des esters du fluprosténol dans le traitement du glaucome était valablement prédite.

[43]           Alcon fait observer que le brevet 417 renvoie à un énorme genre comprenant 800 milliards de composés, mais que seuls 11 composés ont été évalués et que, parmi ceux‑ci, il n’y avait que le composé 4 qui était de type 16‑phénoxy (le composé le plus étroitement apparenté au fluprosténol, selon Alcon). Cette évaluation a révélé que le composé 4 présentait un profil thérapeutique inacceptable. Selon Alcon, le brevet 417 exclut de manière expresse de l’invention les composés qui ne présentent aucune utilité sur le plan thérapeutique. Par conséquent, le composé 4 n’est pas visé par le brevet 417, et le brevet 287 ne peut être antériorisé par un composé exclu. Alcon fait valoir que, pour la même raison, le brevet 287 ne saurait être considéré comme un brevet de sélection par rapport au brevet 417.

[44]           Alcon reconnaît que l’énorme genre de composés visé par le brevet 417 englobe le fluprosténol, mais précise que cette molécule n’est mentionnée d’aucune façon dans le brevet 417 et n’a pas été divulguée.

[45]           Alcon prétend que l’objet du brevet 287 n’est pas évident, parce qu’une personne moyennement versée dans l’art ne pourrait prédire quel serait le profil des effets indésirables de deux PG structurellement différentes sans d’abord vérifier l’utilité des esters du fluprosténol dans le traitement du glaucome. Ces essais n’ayant pas été réalisés, on ne saurait dire que cela était évident.

[46]           Alcon soutient que l’utilité du travoprost était valablement prédite, d’après les résultats d’essais du brevet 287, de pair avec les connaissances générales courantes; il y avait une hypothèse raisonnable, à savoir que le produit serait utile pour le traitement du glaucome chez l’humain.

B.                 La position générale d’Apotex

[47]           Apotex prétend que le brevet 287 présente toutes les caractéristiques d’un brevet de sélection. Le brevet 417 divulgue un genre de composés dont on dit qu’ils sont tous utiles dans le traitement du glaucome et la réduction de la PIO, et que ces composés ont des effets indésirables réduits. Le brevet 287 reconnaît que le genre de composés décrit dans le brevet 417 comprend le fluprosténol (travoprost). Le brevet 287 indique également que le travoprost présente des avantages considérables par rapport aux composés visés par le brevet 417. Bien qu’Alcon affirme le contraire, Apotex soutient que le brevet 287 semble être un brevet de sélection découlant du brevet 417.

[48]           Apotex soutient que, bien que le brevet 287 promette des avantages considérables par rapport au brevet 417, Alcon n’a pu démontrer ces avantages ou les prédire valablement à l’époque où elle a déposé la demande de brevet.

[49]           Apotex fait valoir qu’Alcon a avancé l’idée d’une [traduction] « exclusion fonctionnelle » réalisée dans le brevet 417 et a proposé une interprétation de la promesse du brevet et de l’idée originale afin d’éviter le fait qu’elle ne peut pas en démontrer les avantages. Cependant, s’il n’existe pas d’avantages considérables, le brevet 287 n’est pas nouveau et n’est essentiellement pas différent du brevet 417 – et il est antériorisé par ce dernier et évident.

[50]           Apotex ajoute que le brevet 287 ne satisfait pas à l’exigence de l’antériorité ou de l’évidence, ou alors, si l’idée originale et la promesse sont ses avantages considérables par rapport au brevet 417, il est invalide pour cause d’absence d’utilité valablement prédite.

[51]           Comme il a été signalé plus tôt, l’interprétation des revendications, de l’idée originale et de la promesse du brevet guidera l’analyse des allégations, et c’est cet aspect qui doit être tranché en premier.          

VII.          L’AVIS D’ALLÉGATION

[52]           Alcon soutient qu’Apotex, dans son AA, a affirmé que l’idée originale était les composés, les compositions et les utilisations revendiqués. Mais, subsidiairement, Apotex fait valoir que le brevet 287 est un brevet de sélection. Alcon signale également que l’AA comportait d’autres allégations qu’Apotex ne revendique plus.

[53]           Alcon prétend que l’exposé des arguments qu’Apotex a présenté en réponse à son avis de demande et son mémoire ne concorde pas avec son avis d’allégation. Apotex a changé d’optique et fait maintenant valoir que le brevet 287 doit être un brevet de sélection, sans quoi il serait invalide, et que, subsidiairement, s’il n’est pas un brevet de sélection, il est dans ce cas antériorisé par le brevet 417 et il était évident.

[54]           En l’espèce, l’absence de concordance entre l’AA et l’exposé des arguments n’est pas en litige. Un argument subsidiaire est simplement une option, et la totalité des arguments a été invoquée dans l’AA, ils ont été plaidés et ils seront examinés. Les allégations d’antériorité, d’évidence et d’inutilité seront examinées, que le brevet soit une sélection ou pas.

VIII.       LA CHARGE DE LA PREUVE

[55]           La jurisprudence établit clairement qui a la charge de prouver les allégations.

[56]           Comme point de départ, lorsque la validité d’un brevet est en litige, il est présumé que ce brevet est valide. Cependant, lorsqu’un fabricant de produits génériques (une seconde personne), Apotex en l’occurrence, soulève des allégations d’invalidité et produit des éléments de preuve capables d’établir l’invalidité du brevet, on dit que ce fabricant « fait jouer » la question en litige. C’est ensuite le fabricant de produits de marque ou la partie demanderesse (la première personne), Alcon en l’occurrence, qui a la charge d’établir selon la prépondérance des probabilités que la totalité des allégations d’invalidité sont injustifiées : voir Lundbeck Canada Inc c Ratiopharm Inc, 2009 CF 1102, [2009] ACF no 1466; Abbott Laboratories c Canada (Ministre de la Santé), 2007 CAF 153, [2007 ] ACF no 543, aux paragraphes 9 et 10; Pfizer c Canada (Ministre de la Santé), 2007 CAF 209, [2007] ACF no 767, au paragraphe 109; Allergan Inc c Canada (Ministre de la Santé), 2012 CF 767, au paragraphe 42, résultat conf. par 2012 CAF 308; Pfizer Canada Inc c Pharmascience Inc, 2013 CF 120, [2013] ACF no 111, aux paragraphes 24 à 27.

[57]           Le juge O’Reilly a décrit la voie à suivre pour ce qui est de la charge de la preuve dans la décision Pfizer Canada Inc c Apotex Inc, 2007 CF 26, [2007] ACF no 36 (conf. par 2007 CAF 195, demande de pourvoi no 32169 refusée (1er novembre 2007)), aux paragraphes 9 et 12, qualifiant la charge imposée à la défenderesse d’« obligation de présentation de preuve – une obligation de produire simplement une preuve d’invalidité ». La défenderesse se doit de produire des éléments de preuve pour donner à ses allégations un semblant de réalité et, si elle le fait, elle a « fait jouer » les questions en litige et la présomption de validité ne s’applique plus. La demanderesse doit alors s’acquitter, à la satisfaction du tribunal, de la charge de la preuve qui lui incombe juridiquement.

[58]           Si le fabricant de produits génériques (la seconde personne, Apotex) ne produit aucune preuve à l’égard d’un motif d’invalidité allégué, il s’ensuit que la présomption n’est pas réfutée. Dans le même ordre d’idées, si Apotex produit des éléments de preuve, mais que ceux‑ci sont insuffisants pour qu’elle s’acquitte de sa charge ou n’ont pas un « semblant de réalité », elle n’aura pas fait jouer les questions en litige, et Alcon continuera de se fonder sur la présomption de validité pour obtenir son ordonnance d’interdiction.

[59]           Toutefois, si Apotex présente une preuve suffisante pour donner à ses allégations un semblant de réalité, il s’ensuit que la présomption de validité est réfutée et que la question en litige devient celle de savoir si Alcon a établi que les allégations d’invalidité d’Apotex sont injustifiées.

[60]           Le fabricant de produits de marque (la première personne, Alcon) a la charge de la preuve quant aux allégations d’absence de contrefaçon. Les allégations d’absence de contrefaçon de revendications précises qui figurent dans l’avis d’allégation sont présumées véridiques. Il faut donc qu’Alcon démontre, selon la prépondérance des probabilités, que toute allégation d’absence de contrefaçon est injustifiée.

[61]           En l’espèce, Apotex a soulevé des allégations dans son AA et a produit une preuve suffisante au sujet de l’invalidité du brevet pour cause d’antériorité, d’évidence et d’absence d’utilité démontrée ou valablement prédite pour faire jouer ses questions. La demanderesse, Alcon, a la charge d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que ces allégations sont injustifiées.

[62]           Apotex allègue également qu’elle ne contrefera pas les revendications 12, 27, 35 et 46.

IX.             LA PERSONNE VERSÉE DANS L’ART

[63]           Comme je l’ai signalé dans la décision Hoffman‑La Roche Limited c Apotex Inc, 2013 CF 718, [2013] ACF no 844, aux paragraphes 65 et 66 :

[65]      La personne versée dans l’art (ou personne moyennement versée dans l’art) sert de référence lorsqu’il s’agit d’interpréter le brevet et d’apprécier les diverses questions qui se posent. Voici les précisions qu’a données le juge Hughes dans le jugement Pfizer Canada Inc. c Pharmascience Inc., 2013 CF 120, [2013] ACF 111 :

28        La personne versée dans l’art, décrite aussi parfois comme la personne moyennement versée dans l’art, est fictive; elle peut désigner plusieurs individus, du point de vue desquels un brevet doit être interprété et l’art antérieur envisagé. Cette personne imaginaire peut jouer un rôle pertinent quant à d’autres questions touchant les brevets soumis à l’examen de la Cour.

[66]      Dans le jugement Apotex Inc. c Sanofi-Aventis, 2011 CF 1486, [2011] ACF 1813, le juge Boivin a fait les observations suivantes :

[64]      Pour savoir ce qu’est l’hypothétique personne moyennement versée dans l’art, la Cour doit définir la personne ou le groupe de personnes auxquelles s’adresse le brevet 777. Cette personne n’est évidemment pas une personne réelle. Ainsi que l’expliquait le juge Hughes dans la décision Merck & Co c Pharmascience Inc, 2010 CF 510, 85 CPR (4th) 179, au paragraphe 42 : « Elle doit être dépourvue d’imagination, ce qui ne veut pas dire qu’elle soit lente d’esprit ou ait obtenu son diplôme (le cas échéant) de justesse. Elle n’est pas non plus la médaille d’or de la promotion. Cette personne est la personne moyenne du groupe. Tout comme la « personne raisonnable » est censée être raisonnable, la personne moyennement versée dans l’art est censée posséder des compétences moyennes dans l’art ».

[65]      La Cour suprême du Canada a considéré une telle personne dans l’arrêt Whirlpool, précité, au paragraphe 74, où le juge Binnie, s’exprimant pour la Cour, écrivait que la personne moyennement versée dans l’art s’entend de l’hypothétique « travailleur moyen » qui est raisonnablement diligent pour rester au fait des progrès accomplis dans le domaine auquel se rapporte le brevet.

[64]           En l’espèce, il n’y a aucun désaccord majeur sur la question de la personne versée dans l’art (aussi la « personne moyennement versée dans l’art »). La demanderesse et la défenderesse s’accordent pour dire que la personne versée dans l’art (une personne collective ou une équipe de personnes) comprend un médecin spécialisé dans le domaine des maladies de l’œil, de l’hypertension oculaire et du glaucome, ainsi que des personnes ayant une formation en pharmacologie, en chimie médicinale, en biochimie ou en chimie organique, détenant de préférence, au minimum, un baccalauréat ès sciences, et étant capables de comprendre la chimie des prostaglandines. Cette ou ces personnes auraient également une expérience ou une compréhension de l’évaluation préclinique de médicaments potentiels avec des animaux vivants.

[65]           L’expert d’Alcon a souligné que, si la personne en question détenait un diplôme inférieur, elle aurait une expérience pratique pertinente. La personne versée dans l’art aurait une certaine expérience de la chimie des prostaglandines et saurait dans une certaine mesure comment déterminer l’utilité thérapeutique potentielle des prostaglandines, notamment en menant des essais dans des modèles.

X.                LE BREVET 287 DANS SES DÉTAILS

[66]           Le titre du brevet est « Emploi du cloprosténol, du fluprosténol et de leurs analogues pour le traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire ».

[67]           On trouve, au début du brevet, une section « Contexte de l’invention » (« Background of the Invention ») , dans laquelle on peut lire ce qui suit :

[traduction]
La présente invention concerne le traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire. Elle concerne plus particulièrement l’utilisation du cloprosténol, du fluprosténol, de leurs analogues et de leurs sels et esters pharmaceutiquement acceptables pour le traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire.

Le cloprosténol et le fluprosténol, deux composés connus, sont des analogues synthétiques de la PGF, une prostaglandine (PG) naturelle de la série F.

[68]           On trouve ensuite, dans le brevet, une représentation de la structure chimique de la PGF, du cloprosténol et du fluprosténol.

[69]           Le brevet indique également le nom chimique du cloprosténol et du fluprosténol et mentionne que ces deux molécules se distinguent du produit naturel par la présence d’un atome d’oxygène enchâssé dans la chaîne inférieure (oméga).

[70]           La section « Contexte de l’invention » se poursuit ainsi à la page 2 :

[traduction]

Les prostaglandines naturelles sont connues pour abaisser la pression intraoculaire (PIO) après une instillation oculaire, mais elles provoquent généralement une inflammation et une irritation à la surface de l’œil se caractérisant par une hyperémie et un œdème conjonctivaux. Bon nombre de prostaglandines de synthèse réduisent également la pression intraoculaire, mais elles provoquent elles aussi les effets indésirables précités. Diverses méthodes ont été employées pour tenter d’éliminer les effets indésirables associés aux prostaglandines. Stjernschantz et al. (brevet européen 364 417 A1) ont synthétisé des dérivés ou des analogues de prostaglandines naturelles en vue d’exclure de façon sélective les effets indésirables tout en conservant l’effet hypotensif sur la PIO. D’autres, comme Ueno et al. (brevet européen 330 511 A2) et Wheeler (brevet européen 435 682 A2), ont tenté de créer des complexes entre les prostaglandines et diverses cyclodextrines.

L’article de Stjernschantz et al. présente un intérêt particulier, car on y démontre que certains analogues synthétiques de la PGF2α conservent l’effet hypotensif sur la PIO de la molécule mère (l’ester isopropylique de la PGF2α) tout en entraînant une hyperémie conjonctivale de moindre ampleur. La seule modification apportée à la structure de la PG par les auteurs de cet article concerne la chaîne oméga, qui comporte de 4 à 13 atomes de carbone, qui est [traduction] « facultativement interrompue par, de préférence, au plus deux hétéroatomes (O, S ou N) », et qui comporte un cycle phénylique (substitué ou non) à son extrémité (voir de la page 3, ligne 44, à la page 4, ligne 7). Stjernschantz et al. présentent deux sous‑classes pour exemplifier cette définition : 1) chaînes oméga composées uniquement d’atomes de carbone [l’exemple est suivi d’une illustration] et 2) chaînes oméga interrompues par des hétéroatomes [l’exemple est suivi d’une illustration].

Plus particulièrement, l’analogue 17-phényl-18,19,20-trinor de l’ester isopropylique de la PGF2α (formule 1, n = 2) présentait une séparation supérieure de ses activités désirables et indésirables. De plus, l’analogue 13,14-dihydro de l’ester isopropylique de la 17-phényl-18,19,20-trinor-PGF2α présentait une séparation encore plus favorable de ces activités. Tant la 17‑phényl-PGF que son congénère 13,14-dihydro appartiennent à la sous‑classe précitée (formule 1; chaîne oméga composée uniquement de carbone). D’autres analogues synthétiques comportant un groupe phényle à l’extrémité de la chaîne oméga ont été utilisés pour étudier les effets de l’allongement de la chaîne, du raccourcissement de la chaîne et de substitutions réalisées au niveau du cycle phénylique. Ces analogues n’étaient toutefois associés à aucune amélioration thérapeutique apparente par rapport à la formulation privilégiée, à savoir l’ester isopropylique de la 13,14-dihydro-17-phényl-18,19,20-trinor-PGF2α.

Étant donné que la chaîne oméga du cloprosténol et du fluprosténol est interrompue par un hétéroatome (O), ces deux composés appartiennent de façon générique à la sous‑classe définie par la formule 2 de Stjernschantz et al. Cependant, aucun de ces composés n’est mentionné expressément par les auteurs de cet article, et la divulgation concerne principalement des chaînes oméga comportant uniquement des atomes de carbone. Le seul exemple de composé comportant une chaîne oméga interrompue par un hétéroatome qui est divulgué par Stjernschantz et al. est celui de l’ester isopropylique de la 16‑phénoxy-17,18,19,20-tétranor-PGF (voir la formule 2, n = 1). Les données relatives à la PIO divulguées par Stjernschantz et al. pour l’ester isopropylique de la 16-phénoxy-17,18,19,20-tétranor-PGF (voir Stjernschantz et al., page 17, tableau V) révèlent qu’il y a une augmentation initiale de la PIO (de 1 à 2 heures après l’administration), puis une diminution de celle‑ci. De plus, ce composé est associé à un degré inacceptable d’hyperémie (voir Stjernschantz et al., tableau IV, ligne 40). En bref, les données de Stjernschantz et al. montrent que la sous‑classe de composés dont la chaîne oméga est interrompue par un atome d’oxygène (voir la formule 2) est associée à un profil thérapeutique inacceptable.

[Souligné dans l’original.]

RÉSUMÉ DE L’INVENTION

Il a été inattendu de découvrir que le cloprosténol, le fluprosténol et leurs sels et esters pharmaceutiquement acceptables permettent une réduction de la PIO largement supérieure à celle que permettaient les composés auxquels s’étaient intéressés Stjernschantz et al., tout en étant associés à un profil d’effets indésirables similaire ou meilleur. Il semble plus particulièrement que l’addition d’un atome de chlore ou d’un groupe trifluorométhyle en position méta, dans le cycle phénoxy de l’extrémité de la chaîne oméga, fait en sorte que le composé résultant permet une excellente réduction de la PIO, sans les importants effets indésirables associés à d’autres composés étroitement apparentés.

Par ailleurs, il a également été inattendu de découvrir que certains analogues nouveaux du cloprosténol et du fluprosténol étaient utiles dans le traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire. Plus particulièrement, l’application topique de compositions ophtalmiques à base d’analogues nouveaux du cloprosténol et du fluprosténol a provoqué une diminution considérable de la PIO.

[71]           Outre diverses références à l’article de Stjernschantz et al., et la seule référence aux articles d’Ueno et de Wheeler, le brevet ne mentionne aucun autre document de l’art antérieur.

[72]           Aux pages 5 et 6 figure une description détaillée de la formule (IV) des composés utiles de l’invention.

[73]           À la page 6 figure une description des sels et des esters privilégiés.

[74]           À la page 7 figure une énumération des composés privilégiés, lesquels comprennent l’ester isopropylique du cloprosténol (tableau 11, composé A) et l’ester isopropylique du fluprosténol (composé B), et une énumération d’un certain nombre d’analogues du cloprosténol et du fluprosténol.

[75]           Le brevet précise : [traduction] « Les composés de la formule (IV) sont utiles pour abaisser la pression intraoculaire et sont par conséquent utiles dans le traitement du glaucome. »

[76]           Aux pages 7 et 8 du brevet figurent : une mention selon laquelle la voie d’administration privilégiée est la voie topique; l’intervalle de doses; des détails relatifs à la formulation; une énumération de divers ingrédients souhaitables, notamment des agents de conservation, des cosolvants et des agents de viscosité.

[77]           Le tableau 1, à la page 9, décrit les composés 5 à 8.

[78]           Les exemples 1 à 4 détaillent la synthèse des composés, lesquels sont décrits aux pages 10 à 27.

[79]           Les exemples 5 à 9 comparent l’activité hypotensive pour la PIO et les effets indésirables de cinq composés, notamment l’ester isopropylique du cloprosténol (composé A), l’ester isopropylique du fluprosténol (composé B), l’ester isopropylique de la 16‑phénoxy-17,18,19,20-tétranor-PGF (composé C), l’ester isopropylique de la 17‑phényl-18,19,20-trinor-PGF (composé D) et l’ester isopropylique de la 13,14‑dihydro-17-phényl-18,19,20-trinor-PGF (latanoprost) (composé E).

[80]           Le tableau 2, à la page 29, décrit la structure de ces composés (A à E). Les analyses comparent le cloprosténol (A) et le fluprosténol (B) à trois composés qui ont été étudiés dans le brevet 417 et dont on dit qu’ils [traduction] « ne présentent que de légères différences sur le plan de la structure » (brevet, page 30), soit le composé 16-phénoxy (C), le composé 17-phényl-trinor (D) et le latanoprost (E).

[81]           Il est indiqué à la page 30 du brevet que, à la lumière des exemples, des variations même légères sur le plan de la structure entre des composés similaires ont une incidence très différente sur l’effet hypotensif de ces composés à l’égard de la PIO et sur le degré d’hyperémie qu’ils provoquent.

[82]           L’exemple 5 visait à étudier l’hyperémie chez le cobaye. Le brevet précise que ce modèle est utilisé comme méthode primaire de détection du risque qu’une prostaglandine donnée provoque une hyperémie conjonctivale chez l’humain.

[83]           Les essais relatifs à l’hyperémie et à l’abaissement de la PIO comparent généralement l’ester isopropylique du cloprosténol et l’ester isopropylique du fluprosténol aux trois composés étudiés par Stjernschantz et al. (brevet 417).

[84]           À la page 32, les résultats qui sont présentés montrent que l’hyperémie induite par le composé A (le cloprosténol) et par le composé B (le fluprosténol) se situe entre l’hyperémie induite par le composé D (latanoprost) et celle induite par le composé E, mais qu’il s’agit toujours d’une hyperémie légère, qui ne peut être distinguée de celle qui est associée au composé E (le latanoprost).

[85]           L’exemple 6 visait à étudier l’effet hypotensif sur la PIO chez le macaque de Buffon; les résultats sont présentés dans les tableaux 4 et 5 (aux pages 33 et 34). Le brevet révèle que les composés A, B, C et D provoquent un abaissement similaire de la PIO à une dose de 0,3 µg, mais que le composé E est inactif à cette dose. Le tableau 5 ne présente que des données relatives aux composés A et E, et révèle que le composé A est plus puissant et est associé à un effet hypotensif maximal plus important que le composé E.

[86]           L’exemple 7 visait à étudier la contraction de l’iris chez le chat. L’exemple 8 visait à étudier l’effet hypotensif d’un seul composé (6) sur la PIO chez le singe. L’exemple 9 présente diverses formulations pour les compositions de l’invention destinées à abaisser la pression intraoculaire en application topique.

[87]           Le brevet 287 se termine par 54 revendications. Je présenterai ci‑après uniquement les revendications en cause et celles dont elles dépendent.

[traduction]

         Revendication 1 – L’utilisation d’une quantité thérapeutiquement efficace d’un composé (de la formule illustrée et décrite, désignée par le chiffre IV) pour le traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire.

         Revendication 12 – L’utilisation de la revendication 9, où le composé de la formule (IV) est choisi parmi le groupe des esters pharmaceutiquement acceptables du fluprosténol.

(La revendication 9 dépend de la revendication 8, laquelle dépend à son tour de la revendication 1. La revendication 9 concerne l’utilisation de la revendication 8, où le composé de la formule (IV) est choisi parmi le groupe des esters pharmaceutiquement acceptables du cloprosténol et du fluprosténol.)

         Revendication 27 – La composition de la revendication 24, où le composé de la formule (IV) est choisi parmi le groupe des esters pharmaceutiquement acceptables du fluprosténol.

(La revendication 24 dépend de la revendication 16, qui concerne une composition ophtalmique destinée à une administration par voie topique pour le traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire, comprenant une quantité thérapeutiquement efficace d’un composé de la formule décrite (VI).)

         Revendication 35 – L’utilisation de la revendication 34, où, pour le composé (IV), Z = CF3.

(La revendication 34 dépend de la revendication 33, laquelle revendique l’utilisation d’une quantité thérapeutiquement efficace d’un composé présentant la configuration stéréochimique absolue de la formule suivante (VI) (qui est décrite et illustrée) et qui est essentiellement exempt de l’énantiomère de ce composé.)

         Revendication 46 – La composition de la revendication 45, où, pour le composé (IV), Z = CF3.

(La revendication 45 dépend de la revendication 44, laquelle revendique une composition ophtalmique destinée à une administration par voie topique pour le traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire, comprenant un vecteur acceptable sur le plan ophtalmique et une quantité thérapeutiquement efficace d’un composé présentant la configuration stéréochimique absolue de la formule suivante (VI) (telle qu’elle est décrite et illustrée) et qui est essentiellement exempt de l’énantiomère de ce composé.)

[88]           Je constate que les experts ont des opinions divergentes sur certains aspects de la divulgation, notamment sur le résumé de l’invention, sur l’utilité promise, sur la question de savoir si les références à l’article de Stjernschantz et al. en ce qui concerne le composé 16‑phénoxy sont trompeuses et sur la question de savoir si le fluprosténol est racémique. Je traiterai de chacun de ces sujets dans les motifs ci‑après.

[89]           M. deLong expose son opinion au sujet des revendications aux paragraphes 141 à 154 de son affidavit.

[90]           Sa preuve est, pour l’essentiel, semblable à celle de M. Wolff.

[91]           M. deLong souligne que la revendication 12 concerne l’utilisation d’esters pharmaceutiquement acceptables du fluprosténol pour le traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire.

[92]           La revendication 27 revendique une composition ophtalmique destinée à une administration par voie topique pour le traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire, qui comprend une quantité thérapeutiquement efficace d’un composé de la formule (IV), où ce composé de la formule (IV) est choisi parmi le groupe [traduction] « des esters pharmaceutiquement acceptables du fluprosténol ».

[93]           La revendication 35 revendique l’utilisation de la revendication 34, laquelle revendique l’utilisation de la revendication 33 avec certaines restrictions en ce qui concerne les substituants. Au paragraphe 150 de son affidavit, M. deLong présente les substitutions de la formule (IV) qui découlent de la lecture des revendications 33 et 35.

[94]           La revendication 46 revendique la composition visée par la revendication 44 et ajoute des restrictions supplémentaires quant aux substituants. M. deLong écrit : [traduction] « Lorsqu’on lit la revendication 46 en association avec les revendications 45 et 44 et que l’on effectue les substitutions appropriées, on voit qu’elle décrit les composés de la revendication 35 et les composés pour lesquels R1 est le cation d’un sel. »

[95]           Il convient de noter que M. deLong explique le sens du terme fluprosténol dans les revendications 12 et 27. Au paragraphe 158, il indique que le lecteur versé dans l’art comprendrait que le terme fluprosténol (dans les revendications 12 et 27, et, plus généralement, dans le brevet) désigne le (+)‑fluprosténol, c’est‑à‑dire un seul stéréoisomère. M. deLong justifie son opinion aux paragraphes 158 à 170.

[96]           M. deLong explique notamment que l’utilisation de la PGF signifie que la stéréochimie absolue est identique à celle des prostaglandines naturelles, qu’il n’y a aucune indication dans le brevet 287 selon laquelle les composés sont racémiques, et qu’il y a plusieurs indications selon lesquelles les composés consistent en un seul isomère.

[97]           Comme il est indiqué ci‑après, selon la preuve de M. Wolff, la personne versée dans l’art comprendrait que, dans les revendications 12 et 27, le terme « fluprosténol » désigne à la fois les formes racémique et énantiomérique. M. Wolff fait observer que rien dans le brevet n’indique qu’il est question du (+)‑fluprosténol, que le brevet n’apporte aucune précision d’ordre stéréochimique qu’une personne versée dans l’art utiliserait couramment pour décrire la stéréochimie absolue d’un composé, et que, si telle avait été l’intention des inventeurs, ceux-ci l’auraient indiqué.

[98]           Pour des raisons similaires, les deux experts parviennent à une conclusion différente. Cependant, Apotex admet qu’il ne s’agit pas d’une question substantielle. Étant donné qu’il ne s’agit pas d’un facteur qui entre en compte dans la détermination des allégations d’invalidité, l’interprétation des revendications englobera à la fois les formes racémique et énantiomérique.

[99]           Dans le résumé de ses opinions, M. Wolff affirme que le brevet 287 divulgue une classe de composés définis par la formule (IV) dont on dit qu’ils sont utiles dans le traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire, sans provoquer d’effets indésirables importants au niveau des yeux. Pour la personne versée dans l’art, la formule (IV) du brevet 287 comprendrait les formes racémiques du composé. Il ajoute au paragraphe 32 que la portée de chacune des revendications en cause [traduction] « englobe l’ester isopropylique du fluprosténol ou l’ester isopropylique de l’un ou l’autre des énantiomères du [sic] du fluprosténol ».

[100]       En ce qui concerne l’interprétation des revendications, M. Wolff expose son opinion à partir du paragraphe 97 de son affidavit :

[traduction]

La revendication 1 concerne l’utilisation d’une quantité thérapeutiquement efficace d’un composé de la formule (IV) [illustré] pour le traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire. La revendication 1 comprend une définition des divers substituants associés à la formule (IV). Fait important pour ce qui est des opinions que je présenterai ci‑après, l’ester isopropylique du fluprosténol est l’un des composés englobés par la formule (IV) de la revendication 1.

[101]       M. Wolff fait observer que les revendications 2, 3, 7 à 9 et 12 à 15 dépendent toutes de la revendication 1. Il précise par ailleurs que les revendications 2, 3 et 7 à 9 rétrécissent la portée des composés de la formule (IV), mais que l’ester isopropylique du fluprosténol est visé par chacune de ces revendications.

[102]       La revendication 12, l’une des revendications en litige, dépend de la revendication 9, qui dépend à son tour des revendications 8, 7, 2 et 1. M. Wolff fait observer qu’elle est plus limitée parce que les composés sont choisis parmi le groupe des esters pharmaceutiquement acceptables du fluprosténol. L’ester isopropylique du fluprosténol est visé par la revendication 12.

[103]       M. Wolff explique, au paragraphe 110, pourquoi il est d’avis que la personne versée dans l’art comprendrait que la formule (IV) englobe les formes racémiques.

[104]       Il présente la conclusion suivante au paragraphe 112 :

[traduction]

Par conséquent, la personne versée dans l’art comprendrait que la revendication 12 englobe certains esters du fluprosténol, ce fluprosténol étant sous une forme énantiopure ou racémique. Ainsi, la portée de la revendication 12 englobe le travoprost, à savoir la forme énantiopure de l’ester isopropylique du fluprosténol.

[105]       M. Wolff fait remarquer que les revendications 17, 18, 22 à 24, et 27 à 30 dépendent toutes de la revendication 16.

[106]       Il ajoute que la revendication 27, soit l’une des revendications en litige, est plus limitée parce que les composés sont choisis parmi le groupe des esters pharmaceutiquement acceptables du fluprosténol. L’ester isopropylique du fluprosténol est visé par la revendication 27.

[107]       M. Wolff précise au paragraphe 117 que la personne versée dans l’art comprendrait de la revendication 27 qu’elle englobe certains esters du fluprosténol, sous forme de racémique ou d’énantiomère unique, et que la revendication 27 vise des compositions contenant du travoprost, soit l’ester isopropylique d’une forme énantiopure du fluprosténol.

[108]       Aux paragraphes 119 à 127, M. Wolff explique qu’il ne partage pas l’avis de M. deLong au sujet de la question de savoir si, à la lecture des revendications 12 et 27, on comprendrait que le fluprosténol désigne le (+)‑fluprosténol. Parmi les raisons qu’il fournit pour justifier son point de vue, il précise que ce terme est absent du brevet, que le brevet ne comporte aucune désignation d’ordre stéréochimique qu’une personne versée dans l’art utiliserait normalement pour décrire la stéréochimie absolue d’un composé, et que, si telle avait été l’intention des inventeurs, ceux-ci l’auraient indiqué.

[109]       M. Wolff conclut en faisant remarquer que la personne versée dans l’art comprendrait que le terme « fluprosténol », dans les revendications 12 et 27, désigne à la fois les formes racémique et énantiomérique.

[110]       En ce qui concerne les revendications 34 à 37 et 41 à 43, M. Wolff fait valoir qu’elles dépendent de la revendication 33. Chacune des revendications 34 à 37 restreint la portée des composés visés par la formule (IV), mais, dans chaque cas, l’un des énantiomères de l’ester isopropylique du fluprosténol est inclus dans la revendication.

[111]       Il ajoute que la revendication 35 dépend de la revendication 34, laquelle dépend à son tour de la revendication 33. M. Wolff indique que la personne versée dans l’art comprendrait que la revendication 35 concerne l’utilisation d’une petite classe d’esters essentiellement exempte de l’énantiomère opposé. L’un des composés revendiqués est le travoprost et, par conséquent, [traduction] « la portée de la revendication 35 englobe l’utilisation du travoprost, un ester d’un composé énantiopur dont les substituants correspondent à ceux du fluprosténol ».

[112]       De façon analogue, il explique que les revendications 45 à 48 et 52 à 54 dépendent toutes de la revendication 44. La revendication 44 est une revendication indépendante qui concerne une composition ophtalmique topique pour le traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire. Chacune des revendications 45 à 48 restreint la portée des composés visés par la formule (IV), mais, dans chaque cas, l’un des énantiomères de l’ester isopropylique du fluprosténol est inclus dans la revendication.

[113]       M. Wolff fait remarquer, au paragraphe 136 de son affidavit, que l’on comprendrait que la revendication 46 vise les compositions contenant une petite classe d’esters essentiellement exempte de l’énantiomère opposé. L’un des composés revendiqués dans la revendication 46 est le travoprost et, par conséquent, [traduction] « la portée de la revendication 46 englobe une composition contenant du travoprost, un ester d’un composé énantiopur dont les substituants correspondent à ceux du fluprosténol ».

[114]       Plus loin dans son affidavit, M. Wolff écrit que la description de la formule (IV) donnée dans le brevet 287 n’indique pas la stéréochimie des composés de façon claire et que la personne versée dans l’art comprendrait que le brevet 287 englobe la forme racémique du composé (c.‑à‑d. qu’il serait formé de parts égales de chaque énantiomère).

[115]       M. Mittag expose son opinion au sujet de la divulgation du brevet 287 aux paragraphes 82 à 124 de son affidavit, et son interprétation des revendications, aux paragraphes 147 à 150.

[116]       Il convient de noter que, au paragraphe 94, M. Mittag commente la mention, dans le brevet 287, de données présentées dans le brevet 417 selon lesquelles il y avait d’abord une augmentation puis une baisse de la PIO. M. Mittag est d’avis que le lecteur versé dans l’art considérerait que cet énoncé est trompeur, et il explique son raisonnement en se fondant sur les résultats des essais qui sont divulgués.

[117]       M. Mittag fait également valoir que les données n’appuient pas le Résumé de l’invention et que la personne versée dans l’art ne considérerait pas comme étant juste l’affirmation selon laquelle les composés du brevet 287 permettent d’abaisser la PIO d’une façon beaucoup plus importante que ceux du brevet 417. Cela est dû au fait qu’il ne peut y avoir de comparaison entre des résultats relatifs à la PIO qui ont été obtenus avec un protocole consistant à appliquer une dose unique du produit sur les yeux de singes sains et des résultats obtenus avec un protocole consistant à appliquer quatre doses du produit sur les yeux de singes atteints de glaucome (voir le paragraphe 103).

[118]       En ce qui concerne l’interprétation des revendications, M. Mittag écrit ce qui suit :

[traduction]

147.     L’avocat a indiqué que, lorsqu’il est difficile de distinguer l’idée originale du brevet des revendications elles‑mêmes, il est acceptable de lire le mémoire descriptif du brevet pour déterminer quelle est l’idée originale du brevet.

148.     Il existe un groupe de revendications parmi celles en litige qui concernent l’utilisation d’une quantité thérapeutiquement efficace des composés pour le traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire. Il s’agit des revendications 1 à 3, 7 à 9, 12 à 15, 33 à 37 et 41 à 43. À mon avis, l’idée originale de ces revendications est l’utilisation de ce groupe de composés, qui inclut le travoprost et dont le profil thérapeutique est acceptable pour le traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire.

149.     Il existe un second groupe de revendication parmi celles en litige, qui concernent des compositions ophtalmiques topiques contenant une quantité thérapeutiquement efficace de composés pour le traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire. Il s’agit des revendications 16 à 18, 22 à 24, 27 à 30, 44 à 48 et 52 à 54. À mon avis, l’idée originale de ces revendications est une composition ophtalmique topique contenant ce groupe de composés, qui inclut le travoprost et dont le profil thérapeutique est acceptable pour le traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire.

150.     Pour que le profil thérapeutique soit acceptable, comme le veut l’idée originale de chacune des revendications en litige, il doit y avoir un écart acceptable entre la dose‑réponse associée à l’effet thérapeutique escompté (un abaissement de la pression intraoculaire) et la dose‑réponse associée aux effets indésirables (p. ex. une irritation oculaire ou une hyperémie).

XI.             L’INTERPRÉTATION DES REVENDICATIONS

[119]       Bien qu’il n’y ait pas de litige important entre les parties quant à l’interprétation des revendications, cette interprétation demeure l’apanage de la Cour. J’ai donc pris en considération les principes qui entrent en jeu dans l’interprétation des revendications.

A.                L’interprétation d’un brevet et de ses revendications : la jurisprudence et les principes applicables

[120]        Les principes qui régissent l’interprétation des revendications sont bien établis et, en l’espèce, cette interprétation n’est pas contestée.

[121]       Le juge Hughes a présenté un résumé utile des principes applicables après avoir examiné la totalité de la jurisprudence dans la décision Pfizer Canada Inc c Pharmascience Inc, 2013 CF 120, [2013] ACF no 111 :

[64]      Les cours de justice ont formulé de nombreuses directives sur l’interprétation d’une revendication. Pour résumer :

•           il faut d’abord interpréter la revendication avant d’envisager les questions de validité et de contrefaçon;

•           sur le plan du droit, seule la Cour peut se charger de l’interprétation;

•           la Cour doit interpréter la revendication du point de vue de la personne versée dans l’art à qui le brevet est destiné;

•           la Cour peut se faire aider par des experts pour élucider le sens de phrases ou de mots particuliers, ou s’informer de l’état de la technique à la date à laquelle la revendication a été publiée;

•           la Cour doit lire la revendication dans le contexte général du brevet, ce qui inclut la description et les autres revendications;

•           la Cour doit éviter de faire siennes les prétentions trop avantageuses de la description;

•           la Cour ne doit pas limiter la revendication aux exemples spécifiques cités dans le brevet;

•           la Cour doit s’efforcer d’interpréter la revendication d’une manière qui donne corps à l’intention de l’inventeur;

•           la Cour doit s’efforcer d’appuyer une invention méritoire.

B.                 Les revendications 12, 27, 35 et 46

[122]       Il n’est pas contesté que, pour les besoins de la présente demande, les revendications 35 et 46 visent le travoprost. Apotex ne considère toutefois pas que les revendications 12 et 27 visent le travoprost (c.‑à‑d. l’ester isopropylique du (+)‑fluprosténol), mais elle indique que ce désaccord est sans importance et n’aura aucune incidence sur l’issue de la présente demande : l’interprétation englobera les deux formes.

[123]       L’examen des revendications du brevet de façon éclairée et téléologique, du point de vue de la personne versée dans l’art, tout en tenant compte du brevet dans son ensemble, de la preuve présentée par les experts et des observations des parties, mènerait aux interprétations suivantes :

         La revendication 1 concerne l’utilisation d’une quantité thérapeutiquement efficace d’un composé de la formule (IV) pour le traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire. L’ester isopropylique du fluprosténol est l’un des composés visés par la formule (IV) dans la revendication 1.

         La revendication 12 concerne l’utilisation d’un composé de la formule (IV) choisi parmi le groupe des esters pharmaceutiquement acceptables du fluprosténol, et plus particulièrement parmi les esters du fluprosténol pour lesquels la composante fluprosténol est sous forme énantiopure ou racémique, pour le traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire. La portée de la revendication 12 englobe le travoprost, soit la forme énantiopure de l’ester isopropylique du fluprosténol.

         La revendication 27 concerne l’utilisation d’une composition ophtalmique topique destinée au traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire, qui englobe plus particulièrement certains esters du fluprosténol sous forme de racémique ou d’énantiomère, et qui comprend notamment des compositions à base de travoprost, un ester isopropylique du fluprosténol.

         La revendication 35 concerne l’utilisation, pour le traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire, d’une quantité thérapeutiquement efficace d’un composé contenant une petite classe d’esters essentiellement exempte de l’énantiomère opposé. La portée de la revendication 35 englobe l’utilisation du travoprost, un ester isopropylique du fluprosténol.

         La revendication 46 concerne les compositions ophtalmiques topiques destinées au traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire qui contiennent une petite classe d’esters essentiellement exempte de l’énantiomère opposé. La portée de la revendication 46 englobe une composition contenant du travoprost, un ester isopropylique du fluprosténol.

[124]       À mon avis, les revendications en litige sont les suivantes, dans leur forme la plus simple et la plus facile à comprendre :

  • Les revendications 12 et 35 revendiquent l’utilisation d’un composé contenant une quantité thérapeutiquement efficace d’un ester pharmaceutiquement acceptable du fluprosténol (c.‑à‑d. de travoprost) pour le traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire.

         Les revendications 35 et 46 revendiquent l’utilisation d’une composition ophtalmique topique contenant une quantité thérapeutiquement efficace d’un ester pharmaceutiquement acceptable du fluprosténol (c.‑à‑d. de travoprost) pour le traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire.

XII.          L’INVENTION

A.                 S’agit-il d’un brevet de sélection?

[125]       Alcon n’affirme pas que le brevet 287 est une sélection opérée à partir du genre décrit dans le brevet 417. Elle soutient que le brevet 287 ne divulgue ou ne revendique pas les avantages spéciaux que présente le composé choisi par rapport au genre décrit dans le brevet 417.

[126]       Apotex convient qu’un brevet de sélection doit faire clairement état de ses avantages par rapport au genre en vue d’obtenir et de conserver son monopole, et elle soutient qu’il se pourrait fort bien que le brevet 287 soit un brevet de sélection, car il est décrit dans les termes classiques d’un tel brevet, avec la promesse claire que les composés de l’invention présentent des avantages considérables particuliers par rapport aux composés du brevet 417.

[127]       Apotex soutient qu’Alcon a décidé de ne pas faire valoir le brevet 287 en tant que brevet de sélection afin d’éviter d’avoir à démontrer ou à prédire valablement les avantages considérables qui sont énoncés.

[128]       Apotex allègue que, si l’on retient la position d’Alcon, à savoir que le brevet 287 n’est pas une sélection parce qu’il ne présente aucun avantage spécial et ne promet qu’une utilité thérapeutique, Alcon ne peut se fonder sur les avantages non énoncés pour en étayer la validité et qu’elle ne satisfera pas aux exigences de l’antériorité ou de l’évidence (essentiellement parce que ce brevet ne fait rien de plus que le brevet 417). Apotex soutient qu’en l’absence d’avantages considérables, un brevet qui est une sélection ne peut pas être délivré valablement parce qu’il ne procure au public rien de nouveau et de non évident par rapport au genre.

[129]       Apotex attire l’attention sur les [traduction] « termes classiques des brevets de sélection » qui figurent dans le brevet 287 :

[traduction]

Il a été inattendu de découvrir que le cloprosténol, le fluprosténol et leurs sels et esters pharmaceutiquement acceptables permettent une réduction de la PIO largement supérieure à celle que permettaient les composés [du brevet 417] tout en étant associés à un profil d’effets indésirables similaire ou meilleur.

[130]       On dit de ces composés qu’ils permettent [traduction] « une excellente réduction de la PIO, sans les importants effets indésirables associés à d’autres composés étroitement apparentés ».

[131]       Le brevet 287 précise également que ces [traduction] « analogues nouveaux du cloprosténol et du fluprosténol [provoquent] une diminution considérable de la PIO ».

[132]       Il est établi par la jurisprudence qu’un brevet de sélection est semblable à tous les autres brevets; les principes qui s’appliquent sont les mêmes. Cependant, la caractérisation éclairera l’analyse de l’antériorité et de l’évidence ainsi que, en particulier, de l’utilité. Les affirmations de la demanderesse et de la défenderesse quant à la question de savoir s’il s’agit d’une sélection ne sont pas déterminantes.

[133]       Ce sont les principes applicables de la jurisprudence qui guideront l’appréciation consistant à savoir si le brevet 287 est un brevet de sélection; c’est-à-dire : s’agit-il d’une sélection faite à partir de la catégorie des composés qui sont mentionnés dans le brevet 417, et quels avantages spéciaux possède-t-il et révèle-t-il en plus de ceux du brevet 417?

B.                 Les brevets de sélection : la jurisprudence et les principes applicables

[134]       Dans l’arrêt Pfizer c Canada (Ministre de la Santé) et Ratiopharm Inc, 2006 CAF 214, [2006] ACF no 894, la Cour d’appel a décrit les deux catégories de brevets, en faisant remarquer ce qui suit :

3          Il existe deux catégories générales de brevets de produit chimique : les « brevets d’origine », qui portent sur une invention source comportant la découverte d’une nouvelle réaction ou d’un nouveau composé, et les « brevets de sélection », qui supposent un choix entre des composés connexes procédant du composé original qui ont été décrits en termes généraux et revendiqués dans le brevet d’origine (voir In the Matter of I.G. Farbenindustrie A.G.’s Patents, (1930) 47 R.P.C. 283, p. 321, juge Maugham).

4          Il y a peu de jurisprudence canadienne sur la question des brevets de sélection, mais la décision I.G. Farbenindustrie a bien défini les principaux éléments de ce type de brevets, et lord Diplock l’a citée en l’approuvant dans une affaire de la Chambre des lords où il a statué que [traduction] « l’étape inventive dans un brevet de sélection consiste en la découverte qu’un ou plusieurs éléments d’une catégorie de produits antérieurement connue offre certains avantages spéciaux à une fin particulière, lesquels n’auraient pu être prévus avant que cette découverte ne soit faite » (voir Beecham Group Ltd. c. Bristol Laboratories International S.A., [1978] R.P.C. 521, p. 579). Tous les éléments de la catégorie connue qui sont revendiqués doivent posséder les avantages spéciaux, lesquels doivent différer des avantages qu’une personne versée dans l’art se serait attendue à trouver dans un grand nombre d’éléments de la catégorie antérieurement divulguée (c.‑à‑d. une qualité d’une nature particulière) (voir I.G. Farbenindustrie, p. 323).

5          Les brevets de sélection encouragent les chercheurs à continuer d’exercer leur génie inventif de façon à découvrir de nouveaux avantages à des composés appartenant à la catégorie connue. Ils peuvent être demandés pour une sélection opérée dans une catégorie comportant des milliers d’éléments ou n’en comportant que deux (voir, par exemple, I.G. Farbenindustrie, p. 323 et E.I. Dupont de Nemours & Co (Witsiepse’s) Application, [1982] F.S.R. 303 (C.L), p. 310).

[135]       La Cour d’appel a signalé en 2006 qu’il existait peu de jurisprudence canadienne sur les brevets de sélection, et les passages précités reflètent encore le droit applicable, mais il existe aujourd’hui une jurisprudence importante sur les brevets de sélection : de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Apotex Inc c Sanofi‑Synthelabo Inc, 2008 CSC 61, [2008] 3 RCS 265 (Plavix), de la Cour d’appel fédérale et de la Cour fédérale.

[136]       Dans l’arrêt Plavix, précité, le juge Rothstein a fait siennes les conditions que requiert un brevet de sélection, telles qu’énoncées par le juge Maugham dans l’arrêt In re I G Farbenindustrie AG’s Patents (1930), 47 RPC 289 (Ch D) (Farbenindustrie), et qui, a-t-il signalé, sont un point de départ utile pour l’analyse :

[9]        La description classique du brevet de sélection figure dans l’arrêt In re I. G. Farbenindustrie A. G.’s Patents (1930), 47 R.P.C. 289 (Ch. D.), où le juge Maugham explique à la p. 321 que les brevets portant sur des produits chimiques (dont bien sûr les composés pharmaceutiques) se divisent souvent en deux [traduction] « catégories nettement distinctes ». La première, celle des brevets d’origine, formée des brevets protégeant une invention source, à savoir la découverte d’une nouvelle réaction ou d’un nouveau composé. La seconde catégorie, celle des brevets visant une sélection des composés décrits en termes généraux et revendiqués dans le brevet d’origine. Le juge Maugham précise que les composés sélectionnés ne doivent pas avoir été réalisés auparavant, sinon le brevet de sélection [traduction] « ne satisfait pas à l’exigence de nouveauté ». Cependant, le composé sélectionné qui est « nouveau » et qui « possède une propriété particulière imprévue » remplit l’exigence de l’étape inventive. Le juge Maugham ajoute à la p. 322 que le brevet de sélection [traduction] « ne diffère pas en soi de tout autre brevet ».

[10]      Le juge Maugham ne définit pas le brevet de sélection de manière exhaustive, mais il énonce trois conditions essentielles à sa validité (p. 322-323).

1.        L’utilisation des éléments sélectionnés permet d’obtenir un avantage important ou d’éviter un inconvénient important.

2.        Tous les éléments sélectionnés (« à quelques exceptions près ») présentent cet avantage.

3.        La sélection vise une qualité particulière propre aux composés en cause. Une recherche plus poussée révélant qu’un petit nombre de composés non sélectionnés présentent le même avantage ne permettrait pas d’invalider le brevet de sélection. Toutefois, si la recherche démontrait qu’un grand nombre de composés non sélectionnés présentent le même avantage, la qualité du composé revendiqué dans le brevet de sélection ne serait pas particulière.

[137]       Dans l’arrêt Eli Lilly Canada Inc c Novopharm Limited, 2010 CAF 197, [2010] ACF no 951 (Olanzapine), au paragraphe 27, la juge Layden‑Stevenson a conclu que le fait qu’un brevet ne réponde pas aux conditions de validité d’un brevet de sélection n’est pas un motif distinct de contestation ou d’invalidité, mais que cela guide l’analyse d’autres motifs d’invalidité : « Les conditions de validité d’un brevet de sélection servent plutôt à définir le brevet et, par conséquent, à guider l’analyse des motifs de validité prévus dans la Loi — nouveauté, évidence, suffisance et utilité. Bref, un brevet de sélection peut être contesté pour les motifs prévus dans la Loi. » Au paragraphe 28, elle ajoute : « Il va de soi qu’avant d’entreprendre une analyse des critères de la nouveauté, de l’évidence, de la suffisance et de l’utilité, il faudrait connaître la nature du brevet que l’on doit examiner. »

[138]       Les avantages spéciaux ou les propriétés spéciales d’un brevet de sélection ont été mis en lumière aux paragraphes 46 et 57 :

[46]      Dans Sanofi, le juge Rothstein affirme clairement que, dans le cas d’un brevet de sélection valide, le composé revendiqué a été valablement prédit au moment de l’obtention du brevet de genre, mais il n’avait pas été réalisé et ses avantages particuliers n’étaient pas connus. Après avoir cité le passage où lord Wilberforce fait remarquer dans l’arrêt E.I. du Pont que [traduction] « c’est l’absence de découverte des avantages particuliers, ainsi que la non‑réalisation, qui permettent à ces personnes de faire une invention liée à un élément de la catégorie », le juge Rothstein conclut qu’« on ne saurait refuser un brevet à celui qui, le premier, réalise le composé et découvre ses avantages particuliers » (paragraphe 31).

[…]

[57]      Dans le cas d’un brevet de sélection, l’analyse de l’évidence porte sur les propriétés spéciales du composé, ainsi que sur ses avantages allégués, décrits dans la divulgation du brevet de sélection, car c’est là que le caractère inventif de la sélection y est défini.

[139]       Pour ce qui est de l’idée originale, l’une des questions en litige en l’espèce, la juge Layden‑Stevenson a fait remarquer (aux paragraphes 78 et 79) :

[78]      Dans le cas des brevets de sélection, le caractère inventif réside dans la fabrication du composé sélectionné, en combinaison avec l’avantage ou les avantages qu’il procure par rapport au brevet de genre. Le brevet de sélection doit offrir plus que le brevet de genre, en ce sens qu’il doit procurer un avantage ou éviter un désavantage. Le mémoire descriptif doit définir clairement l’avantage ou la nature de la caractéristique que possède le composé sélectionné (Sanofi, paragraphe 114). En d’autres termes, le brevet de sélection doit promettre un avantage, si bien que, si tel n’est pas le cas, le titulaire du brevet ne sera pas en mesure d’invoquer l’avantage à l’appui de la validité du brevet.

[79]      Par ailleurs, il n’y a aucune exigence quant au nombre d’avantages requis. Un seul avantage peut être suffisant, ou un nombre quelconque d’avantages apparemment moins importants (lorsqu’on les considère individuellement) peut être suffisant si on les considère cumulativement, pourvu que, dans l’un et l’autre des cas, l’avantage soit substantiel. Il est également important de comprendre qu’il existe une distinction entre l’avantage promis et les données sur lesquelles il est fondé. […]

[140]        Il ressort de la jurisprudence que les brevets de sélection encouragent les chercheurs et les inventeurs à recourir à leurs compétences en vue de découvrir de nouveaux avantages à des composés faisant partie d’une catégorie connue. Cependant, pour qu’un ou plusieurs composés sélectionnés soient brevetables, le second brevet – ou brevet d’espèce – doit révéler quelque chose de nouveau, d’utile et de non évident.

[141]       Le caractère inventif « réside dans la fabrication du composé sélectionné, en combinaison avec l’avantage ou les avantages qu’il procure par rapport au brevet de genre » ou dans la découverte qu’un ou plusieurs composés faisant partie du genre possèdent un avantage spécial à une fin particulière.

[142]       Il n’y a pas de nombre prescrit d’avantages – un seul avantage considérable peut être suffisant, ou l’effet cumulatif et marqué de plusieurs avantages de moindre importance. Les composés ou les membres sélectionnés doivent avoir une qualité d’un caractère spécial qui est propre au groupe sélectionné. Pour que l’inventeur réalise une invention fondée sur la sélection, il ne faut pas que les composés sélectionnés aient été fabriqués et que leurs avantages spéciaux soient connus.

[143]       Le brevet de sélection doit énoncer clairement ses avantages. Si l’avantage n’est pas promis, le breveté ne peut faire valoir les avantages spéciaux pour en étayer la nouveauté (Olanzapine, précité).

[144]       Les brevets de genre peuvent englober de nombreux millions, sinon plus, de composés qui n’ont été ni fabriqués ni mis à l’essai. Il est possible que les composés faisant partie du genre présentent des niveaux d’utilité variables. Il est possible aussi que le breveté détienne un monopole sur chacun de ces composés – même s’ils ne sont pas expressément mentionnés ou s’ils n’ont jamais été fabriqués ou mis à l’essai.

[145]       Conclure que le brevet est une sélection opérée parmi les éléments d’un genre n’en détermine pas la validité; cela guide plutôt l’analyse des allégations d’invalidité. Un brevet de sélection (l’espèce) peut être nouveau (non antériorisé) si l’espèce n’a pas déjà été réalisée antérieurement et si le breveté découvre des avantages antérieurement inconnus (c’est‑à‑dire, nouveaux) qui n’ont pas été révélés dans le brevet de genre. Un brevet de sélection peut être non évident si les avantages antérieurement connus de l’invention n’avaient pas été évidents en soi (c’est-à-dire, qu’il ne serait pas évident). Un brevet de sélection peut répondre à la condition de l’utilité si le breveté démontre ou a un fondement valable pour prédire que ce brevet produirait les avantages antérieurement inconnus. Il est possible de répondre à l’exigence de la divulgation si le brevet d’espèce décrit de manière exacte et complète l’invention; c’est‑à‑dire s’il décrit les avantages considérables qui étaient antérieurement inconnus.

C.                 Le brevet 287 n’est pas un brevet de sélection

[146]       L’une des caractéristiques distinctives d’un brevet de sélection est un énoncé clair de la promesse qu’offrent les avantages spéciaux du composé sélectionné par rapport au genre. Même s’il semble y avoir une promesse dans le résumé de l’invention du brevet 287, à savoir que la diminution de la PIO sera nettement supérieure et que les effets indésirables seront semblables ou moindres par rapport aux composés du brevet 417, comme il est indiqué ci-après, il ne s’agit pas là de l’idée originale du brevet. L’idée originale des revendications et la promesse du brevet ne sont pas que le brevet 287 possède des qualités de nature spéciale ou des avantages considérables par rapport au brevet 417.

[147]       Bien que les avantages avancés par Alcon pour répondre aux allégations d’antériorité et d’évidence (décrits de façon plus détaillée ci‑après) n’aient pas été divulgués dans le brevet 417, ces avantages ne sont pas clairement énoncés dans les revendications en litige du brevet 287. Les revendications du brevet 287 ne promettent aucun avantage par rapport à l’ensemble des composés du brevet 417, ni même par rapport aux composés du brevet 417 ayant été soumis à des essais. On peut lire, dans le Résumé de l’invention, que le cloprosténol et le fluprosténol permettent une diminution considérable de la PIO et provoquent des effets indésirables semblables ou moindres et, dans le paragraphe suivant, que certains analogues du cloprosténol et du fluprosténol sont utiles dans le traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire.

[148]       Bien que, en décrivant le brevet, Alcon utilise dans une certaine mesure la terminologie classique associée aux brevets de sélection, les revendications, tel qu’elles sont interprétées, ne promettent rien de plus qu’une efficacité thérapeutique dans le traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire.

[149]       Si la promesse ne consiste qu’en une utilité ou en l’offre d’un traitement efficace contre le glaucome chez l’humain, il n’y a aucun avantage particulier par rapport au brevet 417 et l’on ne saurait dire qu’il s’agit d’un brevet de sélection. Les allégations d’antériorité, d’évidence et d’inutilité seront examinées en partant du principe que le brevet 287 concerne un composé nouveau, c’est‑à‑dire qu’il s’agit d’un brevet d’espèce.

[150]       Alcon fait également valoir qu’il y a deux aspects à la promesse, ainsi que deux aspects à son utilité (spécifique et générale), mais elle se fonde aussi sur l’utilité générale et la promesse d’utilité dans le traitement du glaucome chez l’humain.

[151]       À l’instar d’autres aspects de la présente demande, il y a des arguments subsidiaires et des interprétations contradictoires qui, dans certains cas, découlent légitimement du libellé incohérent du brevet 287 (ce qui pourrait être soit délibéré, soit involontaire).

[152]       Il serait possible de caractériser le brevet 287 comme un brevet de sélection, mais, compte tenu de l’interprétation des revendications en litige et du contexte du brevet dans son ensemble, je conclus qu’il ne s’agit pas d’un brevet de sélection, mais d’un brevet d’espèce.

[153]       Cependant, s’il avait été conclu que le brevet était une sélection découlant du brevet 417, la décision concernant les allégations d’absence d’utilité, d’antériorité et d’évidence aurait été la même.

XIII.       L’IDÉE ORIGINALE

[154]       Comme il a été indiqué, la détermination de l’idée originale et de la promesse du brevet/de l’utilité promise guideront l’analyse de l’antériorité, de l’évidence et de l’utilité.

A.                La position d’Alcon

[155]       Comme il a été mentionné plus tôt, Alcon soutient que l’idée originale est liée aux composés, aux compositions et aux utilisations qui sont énoncés dans les revendications. Elle n’affirme pas que le brevet 287 est une sélection du brevet 417 qui présente des avantages supérieurs à ceux de ce dernier.

[156]       Alcon fait valoir que l’idée originale des revendications 12, 27, 35 et 46 présente deux aspects :

i)          les résultats inattendus concernant la diminution de la PIO et les effets indésirables causés par le travoprost, obtenus dans le cadre d’essais menés dans un modèle animal aigu, en particulier par rapport au composé 4 de type 16‑phénoxy donné en exemple dans le brevet 417;

ii)         l’utilité thérapeutique prévue (chronique et chez l’humain) du travoprost et d’esters apparentés dans le traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire.

[157]       Alcon réitère plus loin cette promesse à deux volets dans le contexte de ses observations sur l’utilité : une utilité précise et une utilité générale.

[158]       Alcon laisse entendre que les experts d’Apotex ne semblent pas diverger d’opinion sur l’idée originale, exception faite de l’allégation subsidiaire d’Apotex selon laquelle il s’agit d’un brevet de sélection.

B.                 La position d’Apotex

[159]       Apotex conteste l’idée originale à deux volets que propose Alcon.

[160]       Apotex allègue que l’idée originale est l’utilisation du travoprost ou d’une composition ophtalmique contenant du travoprost pour le traitement du glaucome avec un profil thérapeutique acceptable, ce qui signifie qu’il doit y avoir un écart acceptable entre la dose permettant d’obtenir un abaissement de la PIO et la dose à laquelle se manifestent les effets indésirables, comme l’irritation oculaire et l’hyperémie.

C.                 Que disent les experts?

[161]       L’expert d’Alcon, M. deLong, est d’avis qu’il y a deux aspects à l’idée originale ainsi qu’à l’utilité promise. Au paragraphe 155 de son affidavit, il écrit :

[traduction]

155.     Comme il est expliqué plus en détail ci‑après, l’idée originale des revendications 12, 27, 35 et 46, semble avoir deux aspects, nommément : i) les résultats inattendus concernant la diminution de la PIO et les effets indésirables causés par certains composés étudiés dans Stjernschantz, et ii) l’utilité thérapeutique prévue (chronique et chez l’humain) dans le traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire.

[162]       Au paragraphe 189, il émet la même opinion à propos de la promesse de l’invention :

[traduction]

[…] De plus, le lecteur comprendrait que les composés revendiqués soumis à des essais présentaient d’excellentes propriétés en ce qui concerne l’abaissement de la PIO, ainsi qu’un profil amélioré ou semblable concernant les effets indésirables (selon que la comparaison est faite avec un composé de la formule 1 ou de la formule 2) par rapport aux composés à l’étude dans Stjernschantz. Ces deux aspects sont l’utilité divulguée et l’invention du brevet 287.

[163]       Lors de son contre-interrogatoire, il reconnaît (en réponse à la question 509) qu’il est indiqué que les composés divulgués permettent une diminution de la PIO largement supérieure à celle que permettaient les composés du brevet 417 et que, par rapport aux composés de ce brevet, les effets indésirables des composés divulgués sont semblables ou moindres. (Il précise toutefois, dans son affidavit, qu’il parle des composés du brevet 417 ayant été soumis à des essais.)

[164]       M. Mittag résume son opinion au sujet de l’idée originale des revendications en litige aux paragraphes 26 et 27 de son affidavit :

[traduction]

26.       Dans le cas des revendications 1 à 3, 7 à 9, 12 à 15, 33 à 37 et 41 à 43, l’idée originale est l’utilisation de ce groupe de composés, qui inclut le travoprost et dont le profil thérapeutique est acceptable pour le traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire.

27.       Dans le cas des revendications 16 à 18, 22 à 24, 27 à 30, 44 à 48 et 52 à 54, l’idée originale est une composition ophtalmique topique contenant ce groupe de composés, qui inclut le travoprost et dont le profil thérapeutique est acceptable pour le traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire.

[165]       M. Mittag précise également que l’expression « profil thérapeutique acceptable », qui fait partie de l’idée originale, signifie [traduction] « qu’il doit y avoir un écart acceptable entre la dose‑réponse associée à l’effet thérapeutique escompté (un abaissement de la pression intraoculaire) et la dose‑réponse associée aux effets indésirables (p. ex. une irritation oculaire ou une hyperémie).

[166]       M. Wolff résume son opinion de l’idée originale de la façon suivante au paragraphe 35 de son affidavit : [traduction] « une classe d’esters de prostaglandines ayant pour effet d’abaisser la PIO, qui inclut le travoprost et dont le profil d’effets indésirables est acceptable, de même que leurs compositions et leurs utilisations ». Il ajoute les précisions suivantes au paragraphe 196 :

[traduction]

196.     À mon avis, l’idée originale des revendications en litige du brevet 287 concerne une classe d’esters de prostaglandines ayant pour effet d’abaisser la PIO, qui inclut le travoprost et dont le profil d’effets indésirables est acceptable, de même que leurs compositions et leurs utilisations. Comme je l’ai décrit précédemment, la portée de chacune des revendications en litige englobe l’ester isopropylique du fluprosténol ou l’un des énantiomères de cet ester isopropylique du fluprosténol.

D.                L’idée originale

[167]       Bien qu’il soit indiqué dans le résumé de l’invention que le brevet 287 présente certains avantages par rapport au brevet 417, ce n’est pas le cas dans les revendications. En regardant le brevet dans son ensemble, les revendications en litige et le libellé de ces revendications, et en tenant compte de la preuve présentée par les experts, lesquels s’entendent tous, y compris M. Mittag, au sujet de l’idée originale des revendications en litige, je juge que l’idée originale est une quantité thérapeutiquement efficace de travoprost ou une composition ophtalmique contenant une quantité thérapeutiquement efficace de travoprost pour le traitement du glaucome avec un profil d’effets indésirables acceptable.

XIV.       L’UTILITÉ/LA PRÉDICTION VALABLE

[168]       Si une promesse est faite, le breveté se doit de la tenir. Quand un breveté décrit l’invention en disant qu’elle possède un niveau d’utilité particulier, il est lié par cette promesse. Sinon, la moindre parcelle d’utilité suffira.

[169]       Apotex affirme qu’Alcon se devait de faire une promesse [traduction] « supérieure » pour obtenir le brevet et, l’ayant fait, il fallait qu’elle la tienne, ce qui n’est pas le cas. Apotex ajoute que la validité du brevet 287 n’a pas été démontrée et qu’on n’a pas prédit valablement qu’il est meilleur que le brevet 417 pour le traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire chez l’humain.

[170]       Subsidiairement, Apotex soutient que, si l’utilité promise n’est rien de plus qu’une utilité ou une efficacité thérapeutiques chez l’humain, sans avantages comparatifs, le brevet 287 serait antériorisé par le brevet 417 ou évident.

[171]       Apotex allègue qu’Alcon a fait valoir l’existence d’une promesse ou d’une idée originale qui comporte deux aspects. Alcon réitère ensuite cette approche à deux volets dans ses observations sur l’utilité; c’est-à-dire qu’il existe à la fois une utilité précise liée aux résultats démontrés dans l’essai mené avec des modèles animaux, de même qu’une utilité générale liée à l’utilité ou à l’efficacité thérapeutiques prédites chez l’humain.

[172]       Alcon cherche seulement à se fonder sur l’utilité générale de l’invention pour répondre aux allégations d’inutilité.

[173]       La question est, là encore, ce qui a été promis. L’utilité démontrée ou valablement prédite ne peut être appréciée que par rapport à la promesse explicite ou, en l’absence d’une telle promesse, sa simple utilité.

A.                La promesse du brevet : la jurisprudence et les principes applicables

[174]       Dans l’arrêt Olanzapine, précité, la juge Layden‑Stevenson a fait remarquer qu’il était établi en droit que « lorsque le mémoire descriptif exprime clairement une promesse, l’utilité sera appréciée en fonction de cette promesse ». Elle a ensuite indiqué de quelle manière la Cour devrait vérifier la promesse du brevet, signalant qu’il s’agissait là d’une question de droit que la Cour devait trancher :

[80]      La promesse du brevet doit être définie. Tout comme dans le cas des revendications, l’interprétation de la promesse du brevet est une question de droit. De façon générale, il s’agit d’une analyse qui exige l’aide de témoins experts : Apotex Inc. c. Bristol‑Myers Squibb Co., 2007 CAF 379, au paragraphe 27. Il en va ainsi parce que la promesse doit être bien définie, dans le contexte du brevet dans son ensemble, du point de vue de la personne versée dans l’art, par rapport à l’état d’avancement de la science et aux données disponibles au moment du dépôt du brevet.

[175]       La Cour d’appel a écrit plus récemment, dans l’arrêt Apotex Inc c Sanofi‑Aventis, 2013 CAF 186, [2013] ACF no 856, au paragraphe 54 :

[54]      L’inventeur dont l’invention est décrite dans un brevet qui serait par ailleurs valide, peut néanmoins promettre plus que ce qu’exige la Loi, et rendre ainsi son brevet invalide. En pareil cas, il ne peut s’en prendre qu’à lui-même : voir Free World Trust c. Électro Santé Inc., 2000 CSC 66, [2000] 2 R.C.S. 1024, au paragraphe 51. Cependant, les tribunaux ne devraient pas s’évertuer à trouver des moyens de mettre en échec des brevets par ailleurs valides. […]

[176]       La Cour d’appel a ensuite signalé, en se reportant à l’arrêt Consolboard Inc c MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Limited, [1981] 1 RCS 504, que les tribunaux devraient s’efforcer d’interpréter les revendications du brevet de manière à étayer l’invention, quand on peut raisonnablement considérer, d’après le libellé du brevet, que c’est le cas.

[177]       Lorsqu’aucune promesse explicite n’est faite, la simple utilité suffira.

[178]       Dans l’arrêt Mylan Pharmaceuticals ULC c AstraZeneca Canada Inc, 2012 CAF 109, [2012] ACF no 422, la Cour d’appel fédérale a fait référence au critère « peu exigeant » qui s’applique à l’utilité en l’absence d’une promesse précise, au paragraphe 7 :

[7]        Le critère de l’utilité auquel il faut répondre lorsque le mémoire descriptif ne promet pas un résultat précis est peu exigeant. L’inventeur n’a pas l’obligation de faire une telle promesse. Toutefois, lorsque le mémoire descriptif exprime une promesse, l’invention qui ne fait pas ce que le brevet promet manque d’utilité au sens de l’article 2 (Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Limited, [1981] 1 R.C.S. 504, à la page 525 (Consolboard); Eli Lilly Canada Inc. c. Novopharm Limited, 2010 CAF 197, 85 C.P.R. (4th) 413 au paragraphe 76 (Eli Lilly)).

[179]       Le juge Hughes a passé en revue la jurisprudence sur les revendications pharmaceutiques dans la décision Pfizer Canada Inc c Pharmascience Inc, 2013 CF 120, [2013] ACF no 111, au paragraphe 159, et il en a résumé les principes de base : l’utilité particulière doit être énoncée dans le mémoire descriptif; l’utilité particulière ne doit être énoncée dans la revendication que lorsque le composé est un composé antérieurement connu pour lequel l’invention est une nouvelle utilisation; le mémoire descriptif doit divulguer des renseignements permettant de confirmer l’utilité ou de faire une prédiction valable à son sujet; lorsqu’il y a débat autour de l’utilité, la Cour peut examiner si cette utilité avait été établie ou avait fait l’objet d’une prédiction valable à la date pertinente.

[180]       Dans la présente affaire, l’invention n’est pas une utilisation nouvelle d’un composé antérieurement connu. Il n’est donc pas nécessaire d’indiquer l’utilité précise dans la revendication. Si elle n’est pas indiquée dans la revendication, le mémoire descriptif doit divulguer des informations à partir desquelles il est possible de confirmer l’utilité ou de faire une prédiction valable à son sujet. Dans le cas présent, les revendications promettent seulement d’être thérapeutiquement efficaces pour le traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire.

[181]       Dans la décision Fournier Pharma Inc c Canada (Ministre de la Santé), 2012 CF 741, [2012] ACF no 901 (Fournier), au paragraphe 126, le juge Zinn a fait remarquer que lorsque les revendications expriment clairement la promesse – qui est l’utilité revendiquée – les autres énoncés devraient être considérés comme « un simple énoncé d’avantage ».

[182]       Le juge Zinn a ajouté qu’il faudrait mettre l’accent sur les revendications, faisant remarquer au paragraphe 127 :

[127]    L’interprétation devrait porter sur les revendications parce que l’inventeur n’est pas tenu de revendiquer un monopole sur tout élément nouveau, ingénieux et utile qui est divulgué dans le mémoire descriptif. Si, comme c’est le cas en l’espèce, les revendications mentionnent la promesse de façon certaine et sans ambigüité, il n’est pas nécessaire d’examiner la divulgation à la loupe pour trouver d’autres promesses qui ne sont pas visées par le monopole revendiqué par l’inventeur.

[183]       Dans la décision Pfizer Canada Inc c Mylan Pharmaceuticals ULC, 2014 CF 38, [2014] ACF no 126, le juge Harrington a convenu que les revendications ont préséance au moment de déterminer ce qui est promis :

[67]      Les revendications ne mentionnent nullement la réduction des effets indésirables. Ce qui n’est pas revendiqué fait généralement l’objet d’une renonciation. Les revendications ont préséance sur la partie du mémoire descriptif relative à la divulgation, qui permet de saisir le sens d’un mot employé dans les revendications, mais non d’en élargir ou d’en rétrécir la portée.

[184]       Le juge Harrington a cité l’arrêt Apotex Inc c Sanofi‑Aventis, précité, au paragraphe 67, où la Cour d’appel avait relevé la distinction qui existait dans le droit entre l’utilisation potentielle d’une invention et une promesse explicite d’atteindre un résultat précis et avait cité en y souscrivant l’opinion exprimée par la Cour fédérale dans la décision AstraZeneca Canada Inc c Mylan Pharmaceuticals ULC, 2011 CF 1023, [2011] ACF no 1262 (Arimidex 2011), au paragraphe 61 : « ce ne sont pas toutes les déclarations que l’on trouve dans un brevet au sujet des avantages qui peuvent être considérées comme une promesse. Un objectif n’est pas nécessairement une promesse. » [Non souligné dans l’original.]

[185]       En l’espèce, il n’est pas fait mention dans les revendications d’une diminution des effets indésirables. Les revendications ne font référence qu’à l’efficacité thérapeutique et aux effets indésirables acceptables.

[186]       En ce qui concerne la prédiction valable d’utilité, la Cour suprême du Canada a établi les principes applicables dans l’arrêt Apotex Inc c Wellcome Foundation Ltd, 2002 CSC 77, [2002] 4 RCS 153 (Apotex c Wellcome Foundation), au paragraphe 70. Il existe trois éléments : la prédiction doit avoir un fondement factuel; il doit y avoir un raisonnement clair et valable qui permette d’inférer du fondement factuel le résultat souhaité; il doit y avoir divulgation suffisante. Cette divulgation est normalement suffisante si le mémoire descriptif explique d’une manière complète, claire et exacte la nature de l’invention ainsi que la façon de la mettre en pratique.

B.                 La position d’Alcon

[187]       Alcon signale que le droit est clair; il doit y avoir une promesse explicite, un objectif n’est pas une promesse, et si le brevet ne formule pas une promesse explicite, la moindre parcelle d’utilité suffira.

[188]       Alcon soutient que la question consiste à savoir s’il y avait une promesse que le travoprost, si on l’utilisait pour traiter le glaucome, serait meilleur que tous les composés du brevet 417. Elle répond qu’il ne s’agissait pas là de la promesse; celle-ci était que le travoprost serait utile ou thérapeutiquement efficace pour le traitement chez l’humain, mais pas qu’il était meilleur que tous les composés du brevet 417.

[189]       Alcon fait valoir que le Résumé de l’invention énonce une utilité à deux volets :

[traduction]

i)          une utilité particulière à la lumière des résultats des composés soumis à des essais, à savoir l’excellente capacité du travoprost à abaisser la PIO, sans effets indésirables notables, en particulier en comparaison avec le composé 4 de type 16‑phénoxy du brevet 417 (le composé C dans le brevet 287), dans les modèles animaux d’exposition aiguë énoncés dans le brevet 287;

ii)         une utilité générale concernant l’utilisation du travoprost dans le traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire, ce que l’on pourrait interpréter comme signifiant une utilisation chronique chez l’humain, et ce qui était valablement prédit à la date de dépôt.

[190]       Alcon souligne que l’utilité des esters du fluprosténol revendiqués est limitée aux résultats des essais menés dans des modèles animaux présentés dans le brevet 287 et à leur utilité prévue dans le traitement du glaucome.

[191]       Alcon avance que, selon les connaissances générales courantes, il n’était pas possible de prédire l’utilité thérapeutique chez l’humain de façon raisonnable sans les résultats d’essais menés dans des modèles animaux. Le brevet 287 n’indique ni ne laisse entendre que l’ensemble des composés du brevet 417 a fait l’objet d’essais comparatifs, et la personne versée dans l’art comprendrait que de telles comparaisons n’avaient pas été faites et qu’il n’y avait aucune promesse à cet effet. La personne versée dans l’art comprendrait plutôt que l’utilité concerne les essais décrits dans le brevet 287 et une prédiction générale d’utilité chez l’humain.

[192]       Alcon fait valoir que l’allégation d’inutilité d’Apotex est fondée sur l’interprétation de la promesse proposée par cette dernière, qui est d’ailleurs contestée, selon laquelle la promesse du brevet 287 comporte deux volets : i) que les composés visés par les revendications en litige ne causeront pas les effets indésirables importants associés aux autres composés étroitement apparentés, et ii) qu’ils permettront d’abaisser la PIO de façon beaucoup plus importante que l’ensemble des composés visés par le brevet 417 et que les effets indésirables seront similaires ou moindres, par rapport à tous ces composés, dans le traitement du glaucome.

[193]       Alcon fait valoir qu’Apotex ne peut se fonder sur la monographie de produit pour affirmer que le travoprost n’a pas d’utilité parce qu’il provoque des effets indésirables inacceptables. Selon la monographie, l’hyperémie est légère et se résorbe d’elle‑même. Alcon fait également valoir que l’utilisation du travoprost est autorisée au Canada et qu’Apotex ne chercherait pas à obtenir une autorisation de commercialisation si le produit n’avait aucune utilité.

[194]       Alcon soutient également que l’attaque d’Apotex au sujet de l’utilité est fondée sur une interprétation erronée. Alcon conteste l’interprétation de M. Mittag, expert pour le compte d’Apotex, qui a décrit (au paragraphe 173 de son affidavit) la promesse comme présentant deux volets : un abaissement de la PIO supérieur à celui provoqué par l’ensemble des composés du brevet 417, et un profil d’effets indésirables semblable à celui des composés de la formule 1 et supérieur à celui des composés de la formule 2, pour le traitement chronique du glaucome chez l’humain. Alcon fait aussi remarquer que, lors de son contre‑interrogatoire, M. Mittag a précisé qu’il aurait dû mentionner qu’il parlait des composés du brevet 417 qui avaient été soumis à des essais.

[195]       Alcon reconnaît qu’il était possible de prédire de façon valable que les composés visés par les revendications 12, 27, 35 et 46 pourraient être utilisés dans le traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire malgré le fait que leur utilité n’avait pas été démontrée; il s’agissait d’une hypothèse ou d’une théorie scientifique valable à la date du dépôt. Le fondement factuel de la prédiction valable se trouve dans le brevet 287, notamment dans les renseignements généraux au sujet des PG, dans les références du brevet 417, dans les essais relatifs à l’hyperémie et à la PIO menés avec divers composés, dont le travoprost, et dans les connaissances générales courantes. Stjernschantz et al. ont mené des expériences avec des modèles animaux, et l’on savait pertinemment, dans le domaine, quels modèles animaux étaient les meilleurs indicateurs de bons résultats chez l’humain. Selon les connaissances courantes pertinentes, les modèles animaux mentionnés dans le brevet 287, et en particulier celui consistant à étudier l’effet sur la PIO dans l’œil de singe traité par laser, sont les meilleurs modèles que l’on pouvait utiliser pour prédire qu’il y aurait un abaissement de la PIO, y compris chez l’humain. Cela a été corroboré par M. Wolff, expert pour le compte d’Apotex. Le modèle cobaye était un modèle privilégié en ce qui a trait aux effets indésirables, et il s’agissait du meilleur prédicteur d’hyperémie et d’autres effets indésirables chez l’humain, y compris en cas d’utilisation chronique.

[196]       La personne versée dans l’art accepterait comme hypothèse raisonnable que, étant donné son excellente capacité à abaisser la PIO et son profil supérieur en ce qui concerne les effets indésirables dans les modèles animaux privilégiés, le travoprost serait utile pour le traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire chez l’humain.

[197]       Alcon soutient qu’il s’agit d’un raisonnement valable permettant d’inférer du fondement factuel l’utilité de l’invention. À la lumière du brevet 287 et des connaissances générales courantes, l’utilité thérapeutique promise associée aux revendications en litige, soit l’abaissement de la PIO et un profil acceptable d’effets indésirables en utilisation chronique chez l’humain, était valablement prédite.

[198]       La prédiction d’une utilisation chronique (c.‑à‑d. de longue durée) était appuyée par les connaissances générales courantes, notamment en ce qui concerne le latanoprost et la PGF, dont on savait qu’ils s’étaient révélés efficaces dans le cadre d’essais d’utilisation chronique. Alcon fait remarquer que M. Mittag, expert pour le compte d’Apotex, a reconnu que les résultats présentés dans le brevet 287 corroboraient la prédiction valable de l’utilisation du latanoprost dans le traitement chronique du glaucome. Alcon allègue qu’il n’y avait aucune raison de ne pas faire de prédiction correspondante à l’égard des esters du fluprosténol dans le brevet 287. En se fondant sur les connaissances générales courantes, la personne versée dans l’art comprendrait que tous les esters auraient l’utilité prévue.

[199]       Alcon avance que les enseignements du brevet 417 offrent une hypothèse raisonnable concernant l’utilisation chez l’humain. Selon celle-ci, les essais relatifs à l’hyperémie chez le cobaye sont le meilleur prédicteur de l’hyperémie chez l’humain, et les essais relatifs à la PIO menés chez le singe constituent le fondement factuel, le raisonnement valable et, partant, la prédiction valable d’une utilité chez l’humain.

C.                 La position d’Apotex

[200]       Apotex soutient qu’un niveau particulier d’utilité a été promis, mais que le breveté ne l’a pas démontré ou prédit valablement avant la date du dépôt (août 1994) et que, comme les revendications du brevet ne correspondent pas à l’utilité promise, elles sont invalides.

[201]       Apotex fait valoir qu’il y a une promesse explicite à deux volets : une promesse concernant la pression intraoculaire (PIO) et une promesse concernant les effets indésirables.

[202]       La promesse concernant la PIO est que le fluprosténol et ses esters [traduction] « permettent une réduction de la PIO largement supérieure à celle que permettaient les composés [du brevet 417] », qu’ils sont « utiles dans le traitement du glaucome » et que leur administration par voie topique « provoqu[e] une diminution considérable de la PIO ».

[203]       Apotex soutient que la personne versée dans l’art comprendrait que la promesse du brevet 287 est que le fluprosténol entraînera une réduction de la PIO largement supérieure à celle qu’entraînaient les composés des deux sous-classes décrites dans le brevet 417 en ce qui a trait au traitement chronique du glaucome chez l’humain.

[204]       La promesse concernant les effets indésirables est que le fluprosténol et ses esters auront [traduction] « un profil d’effets indésirables similaire ou meilleur » par rapport aux composés du brevet 417 et permettront « une excellente réduction de la PIO, sans les importants effets indésirables associés à d’autres composés étroitement apparentés ».

[205]       Apotex soutient que la personne versée dans l’art comprendrait que le brevet 287 promet, au minimum, que le fluprosténol et ses esters auront un profil d’effets indésirables supérieur à celui de l’ensemble des composés de la formule 2 du brevet 417, notamment à celui du composé 16‑phénoxy, car ce sont des « composés étroitement apparentés », et qu’ils auront un profil d’effets indésirables semblable à celui de l’ensemble des composés de la formule 1 du brevet 417 (p. ex. le latanoprost) en ce qui a trait au traitement chronique du glaucome chez l’humain.

[206]       Apotex soutient que la preuve d’expert étaye cette interprétation, y compris la preuve de M. Mittag et de l’expert d’Alcon, M. deLong.

[207]       Par exemple, lors de son contre‑interrogatoire (en réponse à la question 509), M. deLong reconnaît qu’il est indiqué que les composés divulgués permettent une diminution de la PIO largement supérieure à celle que permettaient les composés du brevet 417 et que, par rapport aux composés de ce brevet, les effets indésirables des composés divulgués sont semblables ou moindres. Il reconnaît également que le brevet 287 indique que le profil thérapeutique serait supérieur à celui des composés du brevet 417. Il précise par ailleurs que les composés du brevet 287 sont destinés à une utilisation chez l’humain.

[208]       Apotex conteste l’interprétation d’Alcon selon laquelle la seule promesse explicite concerne uniquement une comparaison avec le composé 16‑phénoxy et avec les modèles animaux mentionnés dans le brevet. Apotex allègue que cette promesse n’est pas ce qu’indique le libellé clair du brevet. Le brevet 287 renvoie à de multiples « composés étroitement apparentés » et ne se limite pas au composé 16‑phénoxy.

[209]       Selon Apotex, l’interprétation d’Alcon ne tient pas compte des avantages énoncés dans le brevet 287 et demande que la personne versée dans l’art consulte d’abord les tableaux renfermant les résultats des essais menés avec les modèles animaux, qu’elle ne tienne aucun compte des comparaisons entre le travoprost et le cloprosténol, le composé 17‑phényl-trinor ou le latanoprost, et qu’elle concentre ensuite son attention uniquement sur les résultats de l’analyse comparant le travoprost et le composé 16‑phénoxy.

[210]       Apotex soutient également que la promesse, tel qu’elle est caractérisée par Alcon, serait inférieure à la promesse qui avait été faite dans le brevet 417 (c.‑à‑d. qu’il s’agirait d’une rétractation) parce qu’il était promis, dans le brevet 417, que les composés visés pourraient être utilisés dans le traitement du glaucome chez l’humain et que la promesse d’Alcon est limitée à la prédiction d’une excellente réduction de la PIO et d’un profil d’effets indésirables amélioré uniquement dans les modèles animaux décrits dans le brevet 287.

[211]       Apotex soutient qu’Alcon a inventé cette promesse particulière pour mettre l’accent sur les comparaisons avec le composé 16‑phénoxy parce qu’il s’agit du seul composé par rapport auquel Alcon peut revendiquer un avantage.

[212]       Cependant, si l’utilité promise est une prédiction générale d’utilité thérapeutique chez l’humain, il s’agit alors de la même utilité thérapeutique qui est promise dans le brevet 417.

[213]       En ce qui concerne la question de savoir si les revendications correspondaient avec l’utilité qui y était promise, Apotex soutient qu’il n’y avait aucune démonstration ni aucune prédiction valable d’une utilité thérapeutique particulière ou générale pour le traitement du glaucome chez l’humain (comme l’alléguait Alcon).

[214]       Apotex soutient également qu’il n’y avait aucune démonstration ni aucune prédiction valable d’une utilité en ce qui concerne la promesse relative à la PIO ou la promesse relative aux effets indésirables, ce qui est, selon Apotex, l’utilité promise.

[215]       La divulgation du brevet 287 établissait uniquement qu’il était impossible de voir une différence entre les composés à l’étude (fluprosténol, 16‑phénoxy et 17‑phényl-trinor) pour ce qui est de l’abaissement de la PIO. La diminution de la PIO causée par le fluprosténol n’était pas plus importante que celle qui était causée par les autres composés. En fait, selon M. Wolff, la diminution la plus prononcée de la PIO a été observée avec le composé 17‑phényl-trinor.

[216]       Selon Apotex, il ne peut y avoir de prédiction valable que la diminution de la PIO causée par le fluprosténol et ses esters sera supérieure à celle causée par les composés du brevet 417 dans le traitement chronique du glaucome chez l’humain.

[217]       En ce qui a trait à la promesse concernant les effets indésirables, Apotex avance que le brevet 287 promet que le fluprosténol et ses esters auront un profil d’effets indésirables supérieur à celui de l’ensemble des composés de la formule 2 (ce qui comprend le composé 16‑phénoxy) et semblable à celui de l’ensemble des composés de la formule 1 (p. ex. le latanoprost).

[218]       Apotex soutient cependant que, selon les données, le travoprost entraîne davantage d’effets indésirables que le latanoprost.

[219]       Apotex avance par ailleurs que les essais réalisés avec les modèles animaux ne sont pas suffisants pour prédire les effets indésirables qui surviendraient en cas d’administration chronique (de longue durée). Dans le cas des essais relatifs à l’hyperémie, seule une dose des composés à l’étude avait été appliquée, ce qui n’est pas représentatif de ce qui surviendrait après l’administration de doses multiples d’un médicament destiné à une utilisation de longue durée et devant être pris sur une longue période.

[220]       Par exemple, M. Mittag affirme (au paragraphe 97 de son affidavit) que la survenue d’effets indésirables après l’administration d’une dose unique et la gravité de ceux‑ci ne sont pas représentatives de ce qui se produirait après l’administration de doses multiples.

[221]       Apotex allègue qu’Alcon cherche à contourner le libellé du brevet. Elle ne pouvait prédire que le travoprost aurait des effets indésirables moins importants parce que le travoprost avait des effets indésirables inacceptables.

[222]       Selon Apotex, Alcon devait faire une promesse pour obtenir le brevet, mais elle n’a pu tenir ni sa promesse concernant la PIO, ni sa promesse concernant les effets indésirables, et il n’y avait aucune prédiction valable d’une quelconque supériorité par rapport au brevet 417 quant au traitement du glaucome chez l’humain.

[223]       Pour Apotex, l’interprétation de l’utilité offerte par Alcon, voulant qu’il y ait une utilité particulière et une utilité générale, est axée sur les résultats. Si la promesse n’est qu’une utilité thérapeutique chez l’humain, sans avantage par rapport à un autre produit, cela signifie que l’objet du brevet 287 est antériorisé et/ou évident puisqu’une telle utilité a déjà été indiquée dans le brevet 417.

D.                Que disent les experts?

[224]       M. deLong, aux paragraphes 181 à 189 de son affidavit, donne son opinion sur l’interprétation de chaque phrase du Résumé de l’invention qui figure dans le brevet 287. Il conclut au paragraphe 189 qu’à son avis (comme il a été mentionné plus tôt), pour ce qui est de l’idée originale, tant l’idée originale que l’utilité promise comportent deux aspects :

[traduction]

Par conséquent, le lecteur versé dans l’art comprendrait à la lecture du brevet 287 que les inventeurs prédisent que les composés revendiqués auront une utilité thérapeutique dans le traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire. Le lecteur comprendrait que le traitement du glaucome serait de nature chronique. Celui‑ci comprendrait également que les composés revendiqués ayant été soumis à des essais ont une excellente capacité à abaisser la PIO, ainsi qu’un profil d’effets indésirables supérieur ou semblable (selon que la comparaison se fait par rapport à des composés de la formule 1 ou à des composés de la formule 2) à celui des composés étudiés dans Stjernschantz. Ces deux aspects constituent l’utilité divulguée et l’invention du brevet 287.

[225]       Plus tôt dans son affidavit, au paragraphe 185, M. deLong renvoie à la deuxième phrase du résumé de l’invention et indique qu’elle signifie seulement que [traduction] « les composés A et B, lorsqu’ils sont comparés aux composés de la formule 2 donnés en exemple dans Stjernschantz, entraînent une bonne réduction de la PIO, sans les importants effets indésirables observés avec les composés étroitement apparentés de la formule 2 cités dans Stjernschantz ». [Non souligné dans l’original.]

[226]       Comme le souligne Apotex, M. deLong, expert pour le compte d’Alcon, reconnaît lors de son contre‑interrogatoire, en réponse à la question 509, qu’il est indiqué que les composés divulgués ont une capacité considérablement supérieure à abaisser la PIO et que, en ce qui concerne le profil d’effets indésirables, celui‑ci est identique ou meilleur que celui des composés du brevet 417. M. deLong reconnaît également que le brevet 287 indique que le profil thérapeutique est supérieur à celui des composés du brevet 417. Il indique par ailleurs que les composés du brevet 287 sont destinés à une utilisation chez l’humain. Cependant, il est clair que M. deLong parle d’une comparaison par rapport aux composés du brevet 417 qui ont fait l’objet d’essais, et non par rapport à l’ensemble des composés.

[227]       M. deLong fait remarquer que le fluprosténol et le cloprosténol ont été comparés avec les composés de la formule 2 du brevet 417 qui avaient fait l’objet d’essais, c’est‑à-dire que les composés du brevet 287 ayant fait l’objet d’essais ont été comparés avec les composés du brevet 417 ayant fait l’objet d’essais.

[228]       M. deLong reprend ce point plus loin dans son affidavit, au paragraphe 219, où il écrit ce qui suit : [traduction] « La seule utilité qui soit démontrée en ce qui concerne les revendications 12, 27, 35 et 46 est l’excellente capacité à abaisser la PIO et le profil d’effets indésirables similaire ou supérieur du composé B par rapport aux composés soumis à des essais dans Stjernschantz, au moyen des modèles animaux décrits dans le brevet. » [Non souligné dans l’original.]

[229]       M. deLong témoigne aussi de l’importance des modèles animaux comme indicateurs des effets chez l’humain pour appuyer le raisonnement valable.

[230]       En ce qui a trait à la prédiction valable d’Alcon concernant l’utilité du travoprost, M. deLong écrit ce qui suit au paragraphe 236 :

[traduction]

Par conséquent, la personne versée dans l’art comprendrait que la prédiction d’une utilité thérapeutique dans le traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire, à la lumière de résultats d’essais montrant une bonne diminution de la PIO et un taux acceptable d’hyperémie dans les modèles animaux, est une hypothèse ou une théorie scientifique valable. La personne versée dans l’art comprendrait également que les modèles animaux décrits dans le brevet 287 seraient vraisemblablement les meilleurs pouvant être utilisés à l’époque pertinente. Le composé B est l’ester isopropylique du fluprosténol. La personne versée dans l’art comprendrait enfin que le fait de déduire, par extrapolation, que les autres esters revendiqués dans les revendications 12, 27, 35 et 46 pourraient présenter les mêmes propriétés que le composé B est une hypothèse scientifique valable, fondée sur les résultats présentés dans le brevet 287 et les connaissances générales courantes. En effet, il était généralement admis que des esters apparentés seraient aussi vraisemblablement efficaces chez l’humain.

[231]       M. deLong ajoute ce qui suit (au paragraphe 237) : [traduction] « [p]lus particulièrement, les résultats des essais portant sur l’abaissement de la PIO et l’hyperémie ainsi que les connaissances générales courantes appuient la théorie raisonnable selon laquelle il y aurait une efficacité thérapeutique chez l’humain. »

[232]       Lors de son contre‑interrogatoire, M. deLong a reconnu que, en ce qui concerne la revendication 12, le lecteur versé dans l’art saurait que le glaucome est une affection chronique et qu’un traitement chronique serait donc privilégié chez l’humain, même si les termes « chronique » et « humain » étaient absents de la revendication.

[233]       En réponse aux questions 1340 à 1344, M. deLong reconnaît que la diminution de la PIO observée avec les esters isopropyliques du cloprosténol et du fluprosténol était comparable à celle observée avec le composé C (c.‑à-d. le composé 16‑phénoxy, soit le composé 4 dans le brevet 417). Il admet également que l’on ne peut affirmer que, à la dose indiquée, l’abaissement de la PIO provoqué par les composés A et B est supérieur à celui qui était provoqué par les composés du brevet 417.

[234]       M. Mittag appuie la position d’Apotex, selon laquelle la promesse comporte deux volets : une promesse concernant la PIO et une promesse concernant les effets indésirables.

[traduction]

168.     Tout d’abord, il est indiqué que les composés « permettent une réduction de la PIO largement supérieure à celle que permettaient les composés [du brevet 417] ». […] La personne versée dans l’art comprendrait que cela signifie que les composés du brevet 287 provoquent une diminution de la pression intraoculaire qui est largement supérieure à celle que provoquerait l’ensemble des composés du brevet 417, notamment les composés des deux sous‑classes (c.‑à-d. les composés de la formule 1, dont la chaîne oméga est composée uniquement de carbone, et les composés de la formule 2, dont la chaîne oméga est interrompue par des hétéroatomes) […].

169.     Ensuite, le brevet 287 indique que les composés sont « associés à un profil d’effets indésirables similaire ou meilleur » par rapport aux composés du brevet 417 […].

[235]       M. Mittag résume son opinion au paragraphe 173 de la façon suivante :

[traduction]

En bref, je suis d’avis que la personne versée dans l’art comprendrait que les composés visés par le brevet 287 permettent une diminution de la pression intraoculaire qui est largement supérieure à celle que permettrait l’ensemble des composés du brevet 417 (ceux de la formule 1 et ceux de la formule 2), qu’ils auraient un profil d’effets indésirables semblable à celui des composés de la formule 1 du brevet 417, dont le latanoprost, et un profil d’effets indésirables meilleur par rapport aux composés de la formule 2 du brevet 417, dont l’ester isopropylique de la 16‑phénoxy-17,18,19,20-tétranor-PGF. Étant donné qu’il est écrit, dans le brevet 287, que les composés revendiqués traitent le glaucome et l’hypertension (en page 1, à la ligne 7), la personne versée dans l’art comprendrait que les composés peuvent être utilisés pour le traitement chronique du glaucome chez l’humain.

[236]       Je souligne que, lors de son contre‑interrogatoire (en réponse aux questions 548 et 549), il précise son opinion et indique que les comparaisons concernaient les composés du brevet 287 ayant été soumis à des essais et les composés du brevet 417 ayant été soumis à des essais, et non l’ensemble des composés du brevet 417.

[237]       M. Mittag exprime l’opinion selon laquelle les deux promesses ne pouvaient être valablement prédites.

[238]       Lorsqu’on lui a demandé si, en l’absence d’un énoncé dans le brevet indiquant que les composés avaient fait l’objet d’essais chez l’humain, le lecteur versé dans l’art croirait que l’efficacité de l’invention chez l’humain ne serait que potentielle, M. Mittag a dit ce qui suit (en réponse aux questions 229 à 231) : [traduction] « Oui, mais cette efficacité potentielle est plutôt probable si l’essai est réalisé chez le singe, chez les primates. »

[239]       On a demandé à M. Mittag si le brevet 287 appuierait une prédiction selon laquelle le latanoprost serait utile chez l’humain. M. Mittag indique (en réponse aux questions 557 à 561) que c’est possible, et il reconnaît qu’il s’agirait d’une prédiction valable, en ce sens que l’hypothèse voulant que le latanoprost puisse être utilisé dans le cadre d’un traitement chronique chez l’humain est raisonnable.

[240]       En répondant aux questions 565 à 571 au sujet du caractère prévisible de certains composés, M. Mittag précise que le profil d’effets indésirables est imprévisible et qu’il dépend de la nature des substituants et de leur position dans le cycle aromatique. Il reconnaît qu’il faudrait mener des essais pour déterminer les effets indésirables des divers composés.

E.                 L’utilité promise a été valablement prédite

[241]       L’utilité promise de l’invention revendiquée par le brevet 287 n’est que l’utilité générale; le travoprost sera thérapeutiquement efficace pour le traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire chez l’humain.

[242]       Bien qu’Apotex ait invoqué des arguments crédibles, à savoir que le brevet promet davantage et que l’utilité promise, pour ce qui est de la PIO et des effets indésirables, n’a pas été valablement prédite, l’idée originale des revendications et l’utilité promise, dans le cas présent, sont cohérentes.

[243]       Une promesse doit être explicite et, en l’espèce, les parties ont avancé des interprétations différentes qui dépendent de l’allégation d’invalidité. Comme il a été signalé plus tôt, si on lit les revendications en litige de pair avec le mémoire descriptif, en accordant du poids au libellé clair des revendications, je ne puis conclure qu’il y a eu une promesse d’utilité à deux volets, explicite et supérieure, comme l’avance Apotex.

[244]       Comme l’a signalé le juge Zinn dans la décision Fournier, précitée, l’utilité que l’inventeur revendique et exprime dans les revendications du brevet devrait être considérée comme la promesse et il faudrait présumer que les autres énoncés sont « un simple énoncé d’avantages ». Dans le même ordre d’idées, comme il a été signalé dans la décision Arimidex 2011, précitée, ce ne sont pas tous les énoncés d’avantages qui atteignent le niveau d’une promesse et un objectif n’est pas nécessairement une promesse.

[245]       Ayant jugé que l’idée originale est une quantité thérapeutiquement efficace de travoprost ou une composition ophtalmique contenant une quantité thérapeutiquement efficace de travoprost pour le traitement du glaucome avec un profil d’effets indésirables acceptable, je juge que l’utilité promise est que le travoprost sera efficace dans le traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire. L’utilité doit être examinée en fonction de cette utilité générale (c.‑à-d. l’utilité prévue du travoprost dans le traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire chez l’humain). Les autres énoncés concernant des avantages ou des buts n’atteignent pas le niveau d’une promesse explicite.

[246]       Pour ce qui est du critère à trois volets énoncé dans l’arrêt Apotex c Wellcome Foundation, précité, et eu égard à la preuve d’expert mentionnée plus tôt, je conclus qu’il y avait un fondement factuel pour la prédiction de l’efficacité thérapeutique du travoprost.

[247]       Je suis d’accord avec Alcon pour dire que le fondement factuel de la prédiction valable réside dans l’association du brevet 287 avec la connaissance générale courante, confirmée par tous les experts, selon laquelle les modèles animaux utilisés constituent des prédicteurs des effets touchant l’humain. La prédiction relative à une utilisation chronique (c.‑à-d. de longue durée) était également appuyée par les connaissances générales courantes, y compris en ce qui concerne le latanoprost. M. Mittag, expert pour le compte d’Apotex, a reconnu que les résultats des essais présentés dans le brevet 287 appuyaient une prédiction valable d’utilité pour le latanoprost dans le traitement chronique du glaucome. Je souligne qu’Apotex s’est fondée sur cette même prédiction pour faire valoir ses arguments au sujet de l’évidence. Je suis aussi d’avis que la personne versée dans l’art inférerait que les autres esters seraient utiles ou efficaces sur le plan thérapeutique chez l’humain.

[248]       Par ailleurs, j’estime valable le raisonnement sur lequel on s’est appuyé pour passer du fondement factuel, et en particulier des résultats et de l’invention du brevet 417, à des résultats semblables dans le brevet 287, qui ne promettaient qu’une efficacité thérapeutique pour le traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire chez l’humain, et non des résultats précis ou meilleurs par rapport au brevet 417.

[249]       Il y avait aussi une divulgation suffisante; le mémoire descriptif du brevet 287 comportait une description complète de la nature de l’invention et de la manière de la réaliser.

[250]       En conséquence, l’allégation d’absence d’utilité valablement prédite est injustifiée.

XV.          L’ANTÉRIORITÉ

[251]       Alcon fait valoir que le brevet 287 concerne un composé nouveau, qui n’était pas antériorisé par le brevet 417, principalement parce qu’on avait, dans ce dernier brevet, exclu les composés qui n’étaient pas utiles sur le plan thérapeutique et que le composé dont la structure était la plus semblable à celle du fluprosténol avait été exclu de l’invention du brevet 417.

[252]       Apotex conteste cette approche dite « d’exclusion ». Elle fait valoir qu’il est difficile de déterminer exactement ce qui est exclu du brevet 417 et que les composés désignés comme étant thérapeutiquement inacceptables dans le brevet 287 n’étaient pas inacceptables à la lumière des résultats des essais. Ces composés ne seraient par conséquent pas exclus. Apotex soutient que le brevet 287 est antériorisé parce que le brevet 417 divulgue des composés, les propriétés de ces composés et leur l’utilité, et que les revendications invoquées du brevet 287 divulguent les mêmes éléments.

[253]       Les arguments plus détaillés des parties suivent l’examen de la jurisprudence applicable.

A.                L’antériorité : la jurisprudence et les principes applicables

[254]       D’entrée de jeu, il est utile de signaler les distinctions qui existent lorsqu’on apprécie des allégations d’antériorité et des allégations d’évidence. Dans la décision Laboratoires Abbott c Canada (Ministre de la Santé), 2008 CF 1359, [2009] 4 RCF 401, conf. par 2009 CAF 94, [2009] ACF no 345 (Abbott), le juge Hughes a clarifié ces distinctions, en notant au paragraphe 59 :

[…] En bref, l’antériorité et l’évidence sont toutes deux des questions de fait; l’antériorité peut être prise en considération à l’égard des deux, mais les critères doivent être appliqués de manière différente. Pour ce qui est de l’antériorité, c’est un document unique – ou, dans le cas des brevets datant d’après octobre 1989, une divulgation unique – qui doit être pris en considération, car il serait examiné par une personne versée dans l’art à la date pertinente afin de déterminer si l’invention revendiquée aurait été divulguée et aurait permis à cette personne de mettre à exécution ce qui avait été divulgué à ce moment‑là. Si oui, l’invention revendiquée est antériorisée. Pour ce qui est de l’évidence, s’il y a des différences entre ce qui a été divulgué, restait‑il de la place pour qu’une personne réalise une contribution inventive? Si ce qui n’a pas été divulgué était une chose qu’une personne versée dans l’art, à la date pertinente, aurait censément réalisée sans exercer une ingéniosité inventive, cela signifie que l’invention revendiquée est évidente.

[255]        Le juge Hughes a de plus fait remarquer, au paragraphe 76, qu’« [i]l faut garder clairement à l’esprit l’invention revendiquée, car c’est sur l’invention, telle que revendiquée, que doit porter l’examen de l’antériorité. » [Souligné dans l’original.]

[256]       Dans l’arrêt Plavix, précité, la Cour suprême du Canada a établi le critère de l’antériorité – qui comporte maintenant deux volets : la divulgation et le caractère réalisable (aux paragraphes 30 à 32). La Cour a dressé une liste non exhaustive de facteurs à prendre en compte pour déterminer si le brevet comporte une « divulgation permettant la réalisation » (voir les paragraphes 31 à 37).

[257]       La Cour suprême, dans Plavix, traitait de brevets de sélection, mais elle a conclu que son analyse de l’antériorité et de l’évidence s’appliquerait aux brevets qui sont soumis de façon plus générale aux restrictions que prévoit la Loi sur les brevets (au paragraphe 28).

[258]       Le droit qui était en vigueur avant l’arrêt Plavix prévoyait un critère plus strict pour l’antériorité et, jugeait-on, exigeait que l’invention soit décrite de manière exacte dans l’art antérieur.

[259]       Dans la décision Abbott, précitée, aux paragraphes 67 et 69, le juge Hughes a résumé le critère à deux volets qui est énoncé dans l’arrêt Plavix :

[67]      La divulgation antérieure signifie que le brevet antérieur (publication, utilisation ou autre divulgation) doit divulguer ce qui, une fois réalisé, contreferait nécessairement le brevet (la revendication en litige). La personne versée dans l’art qui examine la divulgation est censée tenter de comprendre ce que signifiait le brevet antérieur (ou l’autre divulgation). Les essais successifs sont exclus; l’antériorité doit être simplement lue à des fins de compréhension.

[68]      La seconde condition est celle du caractère réalisable : la personne versée dans l’art aurait pu réaliser ce qui a été divulgué. À ce stade, on suppose que cette personne est disposée à procéder par essais successifs pour arriver à l’invention. […]

[260]       Alcon fait valoir que la première partie du critère de l’antériorité demeure stricte et requiert que la divulgation amène la personne versée dans l’art à [traduction] « contrefaire nécessairement » ou mènerait inévitablement à une contrefaçon.

[261]       Dans la décision Abbott, le juge Hughes a examiné le droit applicable au Royaume-Uni qui a abouti à ce que la Cour suprême du Canada a examiné dans l’arrêt Plavix. Il a fait remarquer que la condition selon laquelle la divulgation, si elle était exécutée, mènerait forcément à une contrefaçon était un critère strict et qu’il faut la considérer dans le contexte du fardeau de preuve applicable – la prépondérance des probabilités.

[262]       Le juge Hughes a ensuite présenté un résumé du droit régissant l’antériorité, un résumé qui a été cité dans plusieurs affaires ultérieures (voir Lundbeck Canada Inc c Canada (Ministre de la Santé), 2009 CF 146, aux paragraphes 44 et 46; Eli Lilly Canada Inc c Novopharm Limited, 2009 CF 301, [2009] ACF no 675, au paragraphe 67; Schering‑Plough Canada Inc c Pharmascience Inc, 2009 CF 1128, [2009] ACF no 1703, au paragraphe 87; AstraZeneca Canada Inc c Apotex Inc, 2010 CF 714, [2010] ACF no 1014, au paragraphe 122; Merck & Co c Canada (Ministre de la Santé), 2010 CF 1042, [2010] ACF no 1322, au paragraphe 24, Hoffman‑LaRoche Limited c Apotex Inc, 2013 CF 718, [2013] ACF no 844, au paragraphe 209) :

[75]      Pour résumer les exigences juridiques en matière d’antériorité, dans le contexte des circonstances de l’espèce :

a.         Pour qu’il y ait antériorité, il doit y avoir à la fois divulgation et caractère réalisable de l’invention revendiquée.

b.         Il n’est pas obligatoire que la divulgation soit une [traduction] « description exacte » de l’invention revendiquée. La divulgation doit être suffisante pour que, lorsqu’elle est lue par une personne versée dans l’art qui est disposée à comprendre ce qui est dit, il soit possible de la comprendre sans devoir procéder par essais successifs.

c.         Si la divulgation est suffisante, ce qui est divulgué doit permettre à une personne versée dans l’art de l’exécuter. Il est possible de procéder à une certaine quantité d’essais successifs du type de ceux auxquels on s’attendrait habituellement.

d.         La divulgation, lorsqu’elle est exécutée, peut l’être sans qu’une personne reconnaisse nécessairement ce qui est présent ou ce qui se passe.

e.         Si l’invention revendiquée est axée sur une utilisation différente de celle qui a été divulguée antérieurement et réalisée, alors cette utilisation revendiquée n’est pas antériorisée. Cependant, si l’utilisation revendiquée est la même que l’utilisation antérieurement divulguée et réalisée, il y a alors antériorité.

f.          La Cour est tenue de se prononcer sur la divulgation et la réalisation en se fondant sur la norme de preuve habituelle de la prépondérance des probabilités, et non sur une norme plus stricte, comme une norme quasi criminelle.

g.         Si une personne exécutant la divulgation antérieure contrefaisait la revendication, alors cette dernière est antériorisée.

[263]       Dans l’arrêt Olanzapine, précité, la juge Layden‑Stevenson a appliqué les principes que la Cour suprême du Canada avait énoncés dans l’arrêt Plavix. Cette affaire avait trait à la question de savoir si le brevet était une sélection, mais les principes régissant l’antériorité s’appliquent aux brevets de façon plus générale :

[44]      En ce qui a trait à la divulgation, l’article 28.2 de la Loi est la disposition pertinente. Celle‑ci exige notamment que l’objet de l’invention n’ait pas fait l’objet d’une communication « qui l’a rendu accessible au public au Canada ou ailleurs » plus d’un an avant le dépôt de la revendication. Même si l’arrêt Sanofi aborde la question de la divulgation dans le contexte de la loi antérieure, les principes qui y sont énoncés demeurent applicables. La personne versée dans l’art lit le brevet antérieur pour déterminer s’il divulgue l’invention subséquente. La preuve dont il faut tenir compte se compose uniquement des brevets antérieurs, tels que la personne versée dans l’art les comprendrait. Aucun essai n’est permis.

[45]      Lorsqu’il y a eu divulgation, le second élément établissant l’antériorité, soit le caractère réalisable, exige que la personne versée dans l’art soit en mesure de réaliser l’invention. Le caractère réalisable est apprécié en tenant compte du brevet antérieur dans son ensemble. Le brevet antérieur doit renfermer suffisamment de renseignements pour permettre à la personne versée dans l’art d’exécuter le brevet sans trop de difficultés, tout en faisant appel à ses connaissances générales courantes. Si l’invention relève d’un domaine technique où les essais sont monnaie courante, les essais courants sont admis.

B.                 La position d’Alcon

[264]       La demanderesse, Alcon, a décrit l’art antérieur en cause, et nul ne conteste que ces références sont pertinentes. Cependant, les parties ne s’entendent pas sur les enseignements de certains éléments de l’art antérieur, notamment Stjernschantz et Woodward.

[265]       Alcon a fait valoir ce qui suit en tant qu’enseignements pertinents de l’art antérieur :

  • Binder, 1974 – Divulgue une certaine activité biologique non liée à l’œil pour l’acide libre du fluprosténol, et divulgue que l’activité réside dans l’énantiomère présentant la même configuration chimique absolue que la PG naturelle.

         Stern, 1982 – Écrit que la PGF a réduit la PIO chez le singe, que l’on s’attend à ce que les PG aient également un effet hypotensif sur l’œil humain, et que la PGF et/ou ses analogues peuvent représenter une nouvelle approche quant au traitement du glaucome.

         Bito, 1984 – Conclut que les esters de la PGF sont des substances hautement lipophiles dont on peut s’attendre à ce qu’elles traversent la barrière épithéliale de la cornée plus facilement que toutes les PG naturelles, et indique que les effets hypotensifs aigus sur la PIO et les effets indésirables potentiels des dérivés de PG devraient faire l’objet d’études en vue d’une utilisation éventuelle pour le traitement de longue durée du glaucome.

         Woodward, 1989 – Examine la capacité des dérivés de la PGF, dont le fluprosténol, à réduire la PIO et conclut : i) que le fluprosténol est inactif, ii) que l’abaissement de la PIO survenant après l’exposition à la PGF ne peut être attribué à une stimulation des récepteurs FP et iii) que le composé 16‑phénoxy à l’étude est plus actif que le fluprosténol et provoque une réaction hypertensive transitoire chez le chat.

         Alm, 1989 – Examine l’utilisation d’esters isopropyliques de la PGF chez l’humain et conclut que ces molécules abaissent la PIO, mais provoquent des effets indésirables cliniquement inacceptables.

         Bito, 1989 – N’observe, après l’administration de doses multiples de PG à des macaques de Buffon, aucun signe de tolérance aux effets hypotensifs et conclut que les PG sont des agents hypotenseurs efficaces pouvant provoquer une diminution importante et soutenue de la PIO chez les mammifères, à l’exception toutefois du lapin.

         Brevet européen 0 364 417 (brevet 417), 1990 – Renvoie à un genre comprenant au moins 800 milliards de composés chimiques, dont 11 sont divulgués et soumis à des essais, notamment le latanoprost (composé 9), un composé (16‑phénoxy) comprenant [traduction] « un hétéroatome d’oxygène » (composé 4) et un phényle « substitué » (composé 8). L’invention est décrite comme étant limitée à [traduction] « des dérivés thérapeutiquement efficaces et physiologiquement acceptables » et exclut expressément les composés qui sont [traduction] « inutiles en raison des effets indésirables qu’ils provoquent » (ce qu’Alcon décrit comme étant une [traduction] « exclusion fonctionnelle »); le composé 1 est donc exclu de la portée de l’invention.

         Woodward, 1993 – Étudie six composés, dont l’acide libre du fluprosténol, et constate qu’ils ont un puissant effet hypotenseur sur la PIO chez le chien et le singe, ce qui laisse entendre que la PIO est régulée par divers sous‑types de récepteurs. Il ne cherche toutefois pas à déterminer quels sont les effets indésirables.

[266]       Alcon a également décrit les connaissances générales courantes de personnes versées dans l’art en cause en date du 3 août 1993, ce qui n’est pas fondamentalement contesté, dont le fait que :

  • l’abaissement de la PIO était accepté comme étant l’approche rationnelle à adopter dans le traitement du glaucome;

         on savait que les PG et leurs analogues pouvaient abaisser la PIO;

         l’objectif était de trouver une PG qui serait associée à un profil d’effets indésirables et à un profil thérapeutique global acceptables;

         les experts s’entendaient sur le fait que des changements mêmes minimes dans la structure d’une PG pouvaient provoquer une variation importante de l’activité de la PG ou des effets indésirables qu’elle provoque;

         il serait impossible pour la personne versée dans l’art de prédire le profil d’effets indésirables de PG structurellement différentes;

         l’hyperémie observée dans les modèles animaux ayant subi une exposition aiguë était généralement considérée comme une prédiction raisonnable du profil d’effets indésirables général chez les animaux et l’humain, y compris dans le cas de composés administrés de façon chronique;

         il y avait un consensus au sujet du fait qu’un grand nombre d’esters de promédicaments amélioreraient la biodisponibilité.

[267]       Pour ce qui est du critère à deux volets de l’antériorité, Alcon convient que la question consiste à savoir si l’art antérieur divulguait l’invention revendiquée par le brevet 287 – le volet « caractère réalisable » du critère n’est pas en cause.

[268]       Alcon fait valoir que le brevet 417 n’antériorise pas le brevet 287 pour deux raisons :

1)         bien que le brevet 417 divulgue un genre comprenant des milliards de composés, les esters du travoprost ou du fluprosténol ne sont pas divulgués de manière expresse, et rien dans ce brevet ne fait allusion à ces composés;

2)         les essais menés avec le composé 16‑phénoxy (le composé 4) dans le brevet 417, à savoir le composé dont la structure est la plus semblable à celle du fluprosténol, ont donné des résultats médiocres. L’invention du brevet 417 est limitée aux dérivés thérapeutiquement efficaces et physiologiquement acceptables et exclut les composés qui ne sont pas utiles en raison de leurs effets indésirables.

[269]       En ce qui a trait à son premier argument, Alcon allègue que la personne versée dans l’art qui tenterait de réaliser l’invention divulguée dans le brevet 417 ne parviendrait pas aux esters du fluprosténol revendiqués, parce que ces esters ne seraient pas perçus parmi les milliards de composés divulgués dans le brevet 417 et qu’on ne saurait pas exactement lesquels des composés de type 16‑phénoxy seraient visés par le brevet 417. De plus, il faudrait mener des essais sur des animaux pour déterminer l’utilité thérapeutique dans le traitement du glaucome, ce qui va au‑delà du volet de la divulgation en ce qui concerne le critère de l’antériorité.

[270]       Alcon fait valoir que la Cour suprême du Canada a exprimé clairement que le critère applicable en matière d’antériorité est celui de la « contrefaçon nécessaire », c’est‑à-dire que la divulgation du brevet 417 fait en sorte que ce brevet serait nécessairement contrefait par quiconque réaliserait l’invention du brevet 287, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

[271]       Dans le brevet 287, il est écrit que le brevet 417, également désigné par Stjernschantz et al. ou plus simplement par Stjernschantz, présente un intérêt particulier. Alcon souligne que Stjernschantz a divulgué qu’il y avait moyen de contrer les effets indésirables problématiques des PG, comme il est indiqué en page 3 du brevet 417 :

[traduction]

Nous avons découvert une solution aux difficultés précitées, à savoir l’utilisation de certains dérivés des prostaglandines A, B, D, E et F, dans lesquels la chaîne oméga est modifiée de façon à comprendre une structure cyclique, pour le traitement du glaucome ou de l’hypertension oculaire.

[272]       Alcon souligne que le brevet 287 énonce clairement que : [traduction] « […] le cloprosténol et le fluprosténol sont inclus de façon générique dans la sous‑classe correspondant à la formule 2 de Stjernschantz et al. Cependant, aucun des composés n’est mentionné expressément dans Stjernschantz et al., et la divulgation concerne essentiellement des chaînes oméga ne contenant que du carbone. » Alcon fait valoir que les avantages du brevet 287, lesquels ont deux aspects, ne pouvaient être déterminés avant la fabrication du produit.

[273]       Alcon renvoie au paragraphe 52 de l’arrêt Olanzapine, précité, où la Cour d’appel fédérale a noté que le genre visait 15 billions de composés. L’olanzapine n’avait pas été divulguée et, bien qu’elle ait été l’un des membres d’une classe importante de composés plus privilégiés, décrits en fonction de plusieurs critères, elle n’avait pas été fabriquée, et ses avantages ne pouvaient être déterminés jusqu’à ce qu’elle soit fabriquée.

[274]       Selon Alcon, la personne versée dans l’art comprendrait que le brevet 417 révèle que l’utilité du composé ne serait pas connue sans la réalisation préalable d’essais. Le brevet 417 divulguait par ailleurs que certains composés n’étaient pas utiles et étaient donc exclus.

[275]       Alcon fait valoir que la personne versée dans l’art n’y verrait pas une divulgation claire de l’utilité du fluprosténol. L’opinion des experts est que, de façon générale, on ignore quels composés sont visés et quels composés ne sont pas visés par le brevet 417. Même si la personne versée dans l’art choisissait le fluprosténol à partir du brevet 417, elle devrait le soumettre à des essais. Si l’utilité du composé ne peut être déterminée qu’après la réalisation d’essais, il n’y a pas de divulgation.

[276]       Alcon soutient donc que le brevet 417 n’avait pas divulgué de façon claire ou précise que les esters du fluprosténol (travoprost) seraient utiles dans le traitement du glaucome, ce qui les aurait rendus [traduction] « accessibles au public ».

[277]       Selon Alcon, il est indiqué dans le brevet 417 que le composé 4, un composé 16‑phénoxy, a fait l’objet d’essais et que les résultats de ces essais étaient médiocres, ce qui aurait éloigné la personne versée dans l’art de l’utilisation du fluprosténol (c.‑à-d. du travoprost), qui est également un composé 16‑phénoxy. Il ne serait donc pas clair pour la personne versée dans l’art si le composé 16‑phénoxy (le composé 4, soit le travoprost) est visé, et il n’y a aucune divulgation de l’utilité de ce composé.

[278]       Alcon indique que ses chercheurs ont examiné les essais réalisés par Stjernschantz et al., qu’ils ont modifié des composés de type 16‑phénoxy et qu’ils ont découvert des composés utiles sur le plan thérapeutique. Alcon précise que ses chercheurs ont synthétisé au moins 27 composés, dont le travoprost, avant 1994. Ces composés avaient fait l’objet d’essais in vitro, puis dans des modèles animaux (chat, lapin, cobaye), et certains d’entre eux avaient fait l’objet d’essais chez le singe.

[279]       Alcon fait remarquer que le résumé de l’invention du brevet 287 mentionne les découvertes inattendues de ses chercheurs, mais en ce qui concerne les allégations d’antériorité, elle fait valoir que la promesse est une utilité dans le traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire, et non une plus grande utilité dans le traitement de ces affections.

[280]       En ce qui concerne le deuxième argument, Alcon avance que les dérivés de la PG qui ne sont pas thérapeutiquement efficaces ou physiologiquement acceptables sont exclus du brevet 417. Autrement dit, de tels dérivés sont exclus de l’invention. Les dérivés du fluprosténol et les composés qui y sont étroitement apparentés font partie de ce groupe de composés exclus et ne sont pas divulgués dans le brevet 417; par conséquent, l’invention du brevet 287 n’est pas antériorisée par le brevet 417.

[281]       Alcon renvoie au passage suivant du brevet 417 :

[traduction]

Ainsi, l’invention concerne l’utilisation de certains dérivés de la PGA, de la PGB, de la PGD, de la PGE et de la PGF dans le traitement du glaucome ou de l’hypertension oculaire. Il a été constaté que certains des dérivés précités provoquaient une irritation, n’étaient pas optimaux ou étaient inutiles en raison des effets indésirables qu’ils provoquaient. Ces composés ont été exclus, de sorte que le groupe précité des dérivés de la prostaglandine se limite aux seuls dérivés qui sont thérapeutiquement efficaces et physiologiquement acceptables. Par exemple, (1) l’ester isopropylique de la 16‑phényl-17,18,19,20-tétranor-PGF provoque une irritation, laquelle peut toutefois être éliminée si l’on remplace le cycle phénylique par un groupe méthoxy. On obtient alors la formule (8), qui correspond à un composé présentant une plus grande utilité sur le plan thérapeutique.

[Non souligné dans l’original.]

[282]       Alcon souligne que le brevet 417 vise 800 milliards de composés, mais qu’elle n’a mené d’essais qu’avec 11 de ces composés. Les essais réalisés avec le composé 16‑phénoxy (dont on dit qu’il est le plus étroitement apparenté au fluprosténol sur le plan de la structure) ont révélé une augmentation initiale de la PIO, suivie d’une diminution après six heures.

[283]       Alcon renvoie également à la page 4 du brevet 287, où l’on peut lire ce qui suit :

[traduction]

Les données relatives à la PIO divulguées par Stjernschantz et al. pour l’ester isopropylique de la 16-phénoxy-17,18,19,20-tétranor-PGF (voir Stjernschantz et al., page 17, tableau V) révèlent qu’il y a une augmentation initiale de la PIO (de 1 à 2 heures après l’administration), puis une diminution de celle‑ci. De plus, ce composé est associé à un degré inacceptable d’hyperémie (voir Stjernschantz et al., tableau IV, ligne 40). En bref, les données de Stjernschantz et al. montrent que la sous‑classe de composés dont la chaîne oméga est interrompue par un atome d’oxygène (voir la formule 2) est associée à un profil thérapeutique inacceptable.

[284]       Apotex soutient que [traduction] l’« exclusion fonctionnelle » est l’indication la plus forte ou la plus claire du fait que le brevet 417 n’antériorise pas le brevet 287. Selon Alcon, bien des composés visés par le brevet 417, voire la majorité d’entre eux, ne sont pas utiles. Alcon reconnaît que les experts ne peuvent s’entendre sur la question de savoir quels composés sont visés par le brevet 417 et quels composés en sont exclus, mais elle avance qu’il n’est pas clair si le brevet 417 divulgue le fluprosténol en vue du traitement du glaucome.

[285]       En résumé, Alcon fait valoir que la personne versée dans l’art qui chercherait à réaliser la divulgation du brevet 417 ne parviendrait pas à l’invention revendiquée, parce qu’il lui serait impossible de la percevoir parmi les milliards de composés visés par le brevet 417, parce qu’elle ne pourrait savoir exactement quels composés de type 16‑phénoxy sont visés et parce qu’elle devrait mener des essais dans des modèles animaux pour en déterminer l’utilité thérapeutique (ce qui n’est pas permis par les critères d’antériorité).

C.                 La position d’Apotex

[286]       Selon Apotex, étant donné qu’Alcon n’a pas établi que le brevet 287 est un brevet de sélection, les allégations d’invalidité pour cause d’antériorité doivent être étudiées en partant du principe que le brevet 287 est un brevet d’espèce. Par conséquent, Alcon ne peut se fonder sur les avantages considérables auparavant inconnus du travoprost par rapport aux composés visés par le brevet 417 pour étayer le caractère nouveau du brevet 287.

[287]       Si l’utilité promise par Alcon ou l’idée originale avancée par celle-ci ne tiennent qu’à une simple utilité dans le traitement du glaucome, et non aux avantages précisés dans le brevet 287, Apotex fait valoir que l’objet de ce brevet est à la fois antériorisé et évident.

[288]       La question, selon Apotex, est donc de savoir si le brevet 417 divulguait et rendait possible l’utilisation du travoprost dans le traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire (c.‑à-d. sans avantage par rapport au brevet 417).

[289]       Il est indiqué, dans le brevet 287, que le fluprosténol et ses esters (c.‑à-d. le travoprost) sont visés par le brevet 417. Apotex souligne que cette déclaration lie le breveté, à savoir la société Alcon.

[290]       Apotex avance que la position d’Alcon relativement à l’antériorité est fondée sur une position juridique incorrecte et périmée, et soutient que l’arrêt Plavix, précité, rendu par la Cour suprême du Canada, s’applique. De plus, l’argument d’Alcon selon lequel le brevet 417 exclut certains composés, dont le travoprost, pour des motifs d’ordre fonctionnel n’est pas corroboré par la preuve.

[291]       Apotex a examiné le brevet 287 en détail et affirme que c’est l’inventeur de ce brevet, à savoir Alcon, qui a caractérisé le brevet 417 en fonction de deux sous‑classes : les inventeurs du brevet 417 n’avaient pas établi une telle distinction et étaient d’avis que les deux sous‑classes faisaient partie de la même invention et présentaient un profil thérapeutique identique ou comparable.

[292]       Dans le brevet 287, il est indiqué que deux sous‑classes d’analogues de prostaglandines avaient fait l’objet d’essais dans le cadre du brevet 417 : des composés de la formule 1, dont la chaîne oméga ne comprend que du carbone, et des composés de la formule 2, dont la chaîne oméga est interrompue par un ou des hétéroatomes.

[293]       Apotex fait valoir que, selon cette catégorisation du brevet 417, le brevet 287 indique, en ce qui concerne la formule 1, que le composé 17‑phényl-trinor [traduction] « présentait un écart supérieur entre ses activités désirables et indésirables » et que, dans le cas de l’analogue 13,14‑dihydro (le latanoprost), l’écart entre ces activités était encore plus favorable. En ce qui concerne la formule 2, le brevet 287 indique que le cloprosténol et le fluprosténol appartiennent de façon générique à la sous-classe définie par cette formule; que le composé 16‑phénoxy a provoqué une augmentation initiale de la PIO, suivie d’une diminution, ainsi qu’un [traduction] « degré inacceptable d’hyperémie »; que les composés présentent un profil thérapeutique inacceptable.

[294]       Selon Apotex, la personne versée dans l’art considérerait ces énoncés du brevet 287 comme étant trompeurs. Apotex fait valoir que le brevet 417 ne décrit pas de formule 2 et ne laisse nullement entendre que les composés qui correspondraient à une telle formule seraient inacceptables. Bien que l’administration du composé 16‑phénoxy provoque initialement une augmentation de la PIO, Apotex affirme que, selon les experts, il ne s’agit pas d’un problème puisque le but ultime est d’abaisser la PIO.

[295]       En ce qui concerne le premier argument d’Alcon, voulant que le brevet 417 ne divulgue pas les esters du fluprosténol et le travoprost de manière expresse et que rien dans le brevet ne fasse allusion à ces composés, Apotex avance que l’on avait décrit, dans le brevet 417, que l’utilisation de prostaglandines provoquait une irritation, qu’il y était indiqué que le profil thérapeutique des composés existants n’était pas acceptable et que l’on y alléguait que l’invention revendiquée constituait une solution.

[296]       L’invention du brevet 417 divulgue l’utilisation, dans des compositions ophtalmiques destinées au traitement du glaucome, d’analogues de prostaglandines dont la chaîne oméga a été modifiée de façon à comporter une structure cyclique. Onze (11) composés distincts, tous des esters isopropyliques, ont été soumis à des essais dans le cadre du brevet 417. Trois de ces composés ont fait l’objet d’essais dans le cadre du brevet 287 : le composé 17‑phényl-trinor (désigné [traduction] « composé 2 » dans le brevet 417 et [traduction] « composé D » dans le brevet 287); le latanoprost (désigné [traduction] « composé 9 » dans le brevet 417 et [traduction] « composé E » dans le brevet 287); le composé 16‑phénoxy (désigné [traduction] « composé 4 » dans le brevet 417 et [traduction] « composé C » dans le brevet 287).

[297]       Le passage suivant figure dans la conclusion du brevet 417, en page 10 :

[traduction]

Ainsi, la modification de la chaîne oméga et le remplacement d’un atome de carbone de cette chaîne par une structure cyclique confèrent des qualités complètement nouvelles, inattendues et avantageuses à des prostaglandines naturelles […].

[298]       Apotex fait valoir que, tant dans les essais menés chez le singe que dans ceux menés chez le chat, les composés avaient tous provoqué une diminution notable de la PIO à au moins un moment. Dans les essais menés chez l’humain, tous les composés, et notamment le composé 17‑phényl-trinor et le latanoprost, avaient provoqué une diminution considérable de la PIO, n’avaient eu aucun effet irritant notable et n’avaient entraîné aucune hyperémie, ou tout au plus une hyperémie légère.

[299]       En réponse à l’argumentation d’Alcon selon laquelle on ne peut prédire les effets indésirables d’une PG donnée sur le plan ophtalmique sans mener d’essai chez des animaux, selon laquelle le fait d’attribuer une utilité thérapeutique à des PG n’ayant pas fait l’objet d’essais serait déraisonnable et selon laquelle l’utilité de l’invention n’avait donc pas été divulguée dans le brevet 417, Apotex souligne que le brevet 417 divulgue que les composés visés, dont le travoprost, sont utiles contre le glaucome. Apotex avance que la personne versée dans l’art ne présumerait pas, à la lecture d’un brevet de genre, que les composés n’ayant pas fait l’objet d’essais sont dépourvus d’utilité lorsque le libellé de la divulgation et des revendications indique le contraire.

[300]       En ce qui concerne l’argument relatif à l’exclusion, Apotex fait valoir qu’il s’agit une fois de plus d’un argument inventé par Alcon, fondé sur un raisonnement qu’Apotex conteste, selon lequel :

  • l’invention du brevet 417 exclut les composés qui ne sont pas utiles en raison de leurs effets indésirables;
  • les données associées au composé 16‑phénoxy révèlent que ce composé n’est pas utile en raison de ses effets indésirables;
  • étant donné que le composé 16‑phénoxy est celui qui est le plus étroitement apparenté au travoprost sur le plan de la structure, la personne versée dans l’art déduirait que le travoprost est exclu de l’invention du brevet 417.

[301]       Apotex fait valoir que le seul composé de la formule 2 ayant fait l’objet d’essais dans le brevet 417 (le composé 16‑phénoxy) avait produit de bons résultats. En ce qui concerne l’hyperémie, le composé 16‑phénoxy avait produit des résultats identiques à ceux du composé 7 du brevet 417, dont on disait qu’il était l’un des quatre dérivés les plus privilégiés parmi les composés revendiqués. Apotex fait également valoir que le composé 16‑phénoxy avait été administré à une dose cinq fois plus élevée que les autres composés étudiés, mais que les résultats associés à l’irritation étaient sensiblement les mêmes ou meilleurs qu’avec l’ensemble des autres composés. En ce qui concerne la diminution de la PIO, il était écrit dans le brevet 417 que le composé 16‑phénoxy avait provoqué une diminution de la PIO chez le chat.

[302]       Apotex souligne que, dans le brevet 287, les essais associés à l’hyperémie et à l’abaissement de la PIO comparaient généralement le cloprosténol et le fluprosténol aux trois composés soumis à des essais du brevet 417.

[303]       L’exemple 5 révélait que le cloprosténol et le fluprosténol entraînaient une hyperémie intermédiaire entre celle produite par le composé 17‑phényl-trinor et celle produite par le latanoprost. Il est indiqué à la page 32 du brevet que le degré d’hyperémie est également léger et qu’il est impossible de voir une différence par rapport à l’hyperémie induite par le latanoprost.

[304]       L’exemple 6, où il est question d’essais menés chez le singe, révèle qu’à l’exception du latanoprost, l’ensemble des composés provoque une diminution semblable de la PIO.

[305]       Le brevet 417 indique que l’invention se limite à [traduction] « des dérivés thérapeutiquement et physiologiquement acceptables ». Toutefois, ce brevet indique que le composé 1 (l’ester isopropylique de la 16‑phényl-17,18,19,20-tétranor‑PGF, qui serait un composé de la formule 1 selon la caractérisation présentée dans le brevet 287) provoque une irritation. Apotex souligne en outre qu’il est indiqué, dans le brevet 417, qu’en effectuant une certaine substitution chimique dans le composé 1, on obtient le composé 8, qui présente une plus grande utilité thérapeutique.

[306]       Apotex fait remarquer que seul le composé 1 est expressément exclu : il n’est écrit nulle part dans le brevet 417 qu’un composé de la formule 2, le composé 16‑phénoxy ou le travoprost sont exclus.

[307]       Apotex souligne qu’Alcon a sans cesse fait valoir que l’on ne savait pas exactement ce qui était inclus dans le brevet 417 et ce qui en était exclu, et soutient qu’il est impossible d’exclure quoi que ce soit en raison de ce manque de clarté. Apotex fait valoir qu’aucune exclusion ne peut être déduite.

[308]       En ce qui concerne la question de savoir si le composé 16‑phénoxy était inacceptable et si le brevet 417 éloignait le lecteur de ce composé, Apotex soutient que la personne versée dans l’art saurait que les effets indésirables sont fonction de la dose administrée.

[309]       Si l’administration d’une dose élevée provoque initialement une augmentation de la PIO, il y a moyen de réduire la dose. Apotex souligne que le but était d’abaisser la PIO à long terme; Alcon le reconnaît, et les experts ainsi que l’art antérieur le confirment (voir Bito, par exemple). Apotex fait remarquer que M. deLong a convenu, lors de son contre-interrogatoire, que ce phénomène était très courant. Étant donné que le but est de faire en sorte que la PIO diminue à long terme, une élévation initiale ne constitue pas un problème.

[310]       Comme le composé 16‑phénoxy est le seul composé dont la chaîne oméga est interrompue par un atome d’oxygène (un soi-disant composé de la formule 2) qui avait fait l’objet d’essais dans le brevet 417, Apotex allègue qu’il n’est pas crédible que l’inventeur du brevet 417 produise le composé 16‑phénoxy, le soumette à des essais et le décrive de façon positive pour ensuite l’exclure des composés qu’il revendique, avec tous les autres composés de la formule 2, ce qui pourrait représenter la moitié des quelque 800 milliards de composés.

[311]       Apotex affirme que le brevet 417 divulgue l’objet des revendications invoquées : le brevet 417 divulgue un groupe d’analogues de la PGF englobant le travoprost, décrit leur utilisation dans des compositions ophtalmiques pour le traitement du glaucome, et divulgue que ces composés, dont le travoprost, provoquent une diminution notable de la PIO tout en causant des effets indésirables localisés réduits (hyperémie et irritation).

[312]       Apotex soutient que le fait de mettre simplement à l’essai un composé particulier dans un genre connu et de confirmer qu’il a les mêmes propriétés n’est pas une invention nouvelle. De ce fait, le brevet 417 divulguait l’objet des revendications invoquées.

D.                Que disent les Experts?

[313]       M. deLong, expert pour le compte d’Alcon, explique que, à son avis, la divulgation du brevet 417 exclut les composés qui ne sont pas utiles. Il écrit notamment ce qui suit au paragraphe 74 :

[traduction]

De plus, Stjernschantz précise ensuite davantage la description et limite son invention aux [traduction] « dérivés thérapeutiquement efficaces et physiologiquement acceptables ». En conséquence, la référence exclut expressément les composés qui [traduction] « ne sont pas utiles en raison de leurs effets indésirables ». Ainsi, le composé 1 peut être exclu de la portée de l’invention (en notant que le composé 8, qui présente une substitution para‑méthoxy, peut s’avérer plus utile sur le plan thérapeutique). (M. deLong reprend les lignes 31 à 37 de la page 4 dans son affidavit.)

[314]       Au paragraphe 85, M. deLong fait remarquer que Stjernschantz n’a soumis à des essais qu’un seul composé dont la chaîne oméga était interrompue par un atome d’oxygène (le composé 4). Selon lui, ce composé [traduction] « a provoqué ce qui semble être un degré inacceptable d’hyperémie et n’a pas été étudié plus avant ».

[315]       Aux paragraphes 193 et 194, il ajoute ce qui suit :

[traduction]

Stjernschantz ne divulgue qu’un très grand genre de composés, qui comprend le fluprosténol. Le fluprosténol n’est pas expressément identifié ou divulgué. Le composé donné en exemple qui est le plus étroitement apparenté au fluprosténol est le composé 16‑phénoxy, et les résultats associés à ce composé pour ce qui est de l’hyperémie étaient relativement médiocres. Stjernschantz a exclu les composés en utilisant un libellé très général, de sorte qu’il est malaisé de déterminer si le composé 16‑phénoxy était considéré comme adéquat, et même s’il était inclus. Quoi qu’il en soit, la personne versée dans l’art qui lirait Stjernschantz ne conclurait vraisemblablement pas que le composé 16‑phénoxy (ou que le fluprosténol, qui lui était apparenté sur le plan de la structure) possède un profil thérapeutique acceptable (c.‑à-d. que l’écart entre les effets escomptés et les effets indésirables est acceptable). Autrement dit, la personne versée dans l’art pourrait conclure que le composé 16‑phénoxy n’est pas visé par les revendications de Stjernschantz, auquel cas quiconque réaliserait les enseignements de cette référence ne se trouverait pas forcément à contrefaire les revendications 12, 27, 35 et 46 du brevet 287.

[316]       Au paragraphe 194, M. deLong conclut que [traduction] « [p]ar conséquent, Stjernschantz ne dévoile pas l’utilité de l’ester isopropylique du fluprosténol ou des esters apparentés qui sont divulgués et revendiqués dans le brevet 287 ».

[317]       Lors de son contre-interrogatoire, M. deLong a convenu, en réponse à la question 1147, que les inventeurs du brevet 287 avaient reconnu que les composés phénoxy, le cloprosténol et le fluprosténol figuraient parmi les composés divulgués dans le brevet 417.

[318]       En ce qui concerne les affirmations d’Alcon selon lesquelles certains composés étaient associés à des résultats inacceptables ou médiocres relativement à la PIO, M. deLong convient, en réponse aux questions 1209 et 1210, que M. Bito avait attribué l’augmentation initiale de la PIO à l’administration d’une dose excessive de PG. M. deLong indique qu’il s’agissait [traduction] « d’une cause qui était très courante ».

[319]       En ce qui concerne la notion d’exclusion, lorsqu’on lui a demandé si le paragraphe concernant l’exclusion était ambigu au point qu’il serait difficile de déterminer ce qui serait inclus, M. deLong exprime son accord en répondant ainsi à la question 1090 :

[traduction]

Oui, je suis d’avis qu’il est difficile, en ne lisant que cela, de déterminer quels composés devraient être exclus et lesquels ne devraient pas l’être.

[320]       M. Wolff résume son opinion au sujet de la divulgation du brevet 287 au paragraphe 31 de son affidavit, où il écrit ce qui suit : [traduction] « Une classe de composés définis par la formule (IV) dont on dit qu’ils sont utiles dans le traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire, sans provoquer d’effets indésirables importants au niveau des yeux. »

[321]       En ce qui concerne l’opinion détaillée de M. Wolff au sujet de la question de savoir si le brevet 417 divulguait et permettait la réalisation de l’objet des revendications en litige du brevet 287, M. Wolff analyse le brevet 417 et la formule des dérivés qui y figurent. Aux paragraphes 146 à 154 de son affidavit, il indique que la personne versée dans l’art comprendrait que le travoprost est inclus dans le groupe de composés visés par le brevet 417 lorsque certains critères sont respectés, notamment lorsque la PG choisie est une PGF et que le groupe R1 est un groupe isopropyle. Il est également d’avis que le brevet 417 enseigne comment fabriquer ces composés.

[322]       Quant à la question de savoir si le composé 16‑phénoxy était moins irritant, M. Wolff cite les données du tableau 11 concernant l’irritation oculaire au paragraphe 150 et écrit ce qui suit :

[traduction]

[…] Le composé 4, à savoir l’ester isopropylique (EI) de la 16‑phénoxy-17,18,19,20-tétranor-PGF, était associé à un score d’irritation de seulement 0,3 à une dose de 5 µg, soit une dose cinq fois supérieure à la dose standard utilisée avec l’ester isopropylique de la PGF, ce qui montre la valeur de la modification 16‑phénoxy pour ce qui est de l’atténuation de l’irritation oculaire.

[323]       M. Wolff conclut l’énoncé de son opinion au paragraphe 156 en indiquant que [traduction] « Stjernschantz et al. ont expliqué que les composés, et notamment le travoprost, provoquent une diminution notable de la PIO tout en causant des effets indésirables localisés réduits, comme une hyperémie et une irritation ».

[324]       Lors de son contre-interrogatoire, M. Wolff convient que Stjernschantz et al., aux lignes 31 à 37, excluent certains composés parce qu’ils peuvent être irritants ou autrement non optimaux. Lorsqu’on lui pose la question de savoir s’il s’agit d’une forme d’exclusion fonctionnelle par rapport à la classe, il répond par l’affirmative et convient que cette exclusion est fondée sur les résultats des essais. En répondant aux questions 389 à 391, M. Wolff souligne le fait que, à part le composé 1, Stjernschantz et al. n’indiquent pas quels composés sont exclus en raison de leurs effets indésirables.

[325]       Il ajoute ensuite ce qui suit en réponse à la question 394 : [traduction] « Il élimine les composés inutiles, mais certains de ces composés peuvent être récupérés si l’on en modifie la structure de façon appropriée. »

[326]       M. Wolff est d’accord avec la proposition qu’on lui présente à la question 395, selon laquelle un composé est inclus s’il fonctionne et exclu s’il ne fonctionne pas.

[327]       M. Mittag présente un résumé de son opinion au paragraphe 25, où il écrit que [traduction] « […] le brevet 417 révèle le travoprost et en permet la réalisation et l’utilisation dans une composition ophtalmique topique destinée à abaisser la pression intraoculaire pour traiter le glaucome ».

[328]       Aux paragraphes 126 à 144, il présente une opinion détaillée et justifie sa conclusion.

[329]       Au paragraphe 128, M. Mittag écrit que la personne versée dans l’art comprendrait que les inventeurs du brevet 417 indiquent qu’une modification visant à introduire une structure cyclique dans la chaîne oméga de prostaglandines mène à la formation de dérivés présentant un meilleur profil d’effets indésirables. De plus, aux paragraphes 129 à 131, il indique que les inventeurs du brevet 417 définissent une classe de composés dont on dit qu’ils abaissent la PIO tout en ayant un meilleur profil d’effets indésirables. Il explique ce qui est inclus dans cette classe et conclut, en se fondant sur la structure du travoprost, qu’il s’agit d’un exemple de composé qui appartiendrait à cette classe.

[330]       M. Mittag souligne que le brevet 417 est également décrit comme concernant l’utilisation de ces composés dans [traduction] « des compositions ophtalmologiques destinées au traitement du glaucome ou de l’hypertension oculaire ». Il fait état de la réalisation d’essais avec des composés dans le cadre du brevet 417, de la réalisation d’essais avec trois de ces mêmes composés dans le cadre du brevet 287 et des résultats de ces essais.

[331]       M. Mittag indique au paragraphe 135 de son affidavit que chacun de ces trois composés (c.‑à-d. ceux qui ont été soumis à des essais à la fois dans le cadre du brevet 417 et du brevet 287) a fait l’objet d’essais portant sur l’irritation oculaire chez le chat, et il présente les résultats de ces essais.

[332]       Aux paragraphes 138 à 140, M. Mittag cite les résultats des essais menés dans le cadre du brevet 417, qui ont porté sur les effets de 11 composés sur la pression intraoculaire et ont été menés chez le chat ou le macaque de Buffon. M. Mittag fait remarquer que, dans le modèle singe, les deux composés comportant une substitution phényle ont provoqué une diminution statistiquement significative de la PIO à des doses de 3,2 µg et de 10,4 µg, respectivement, après trois ou quatre heures.

[333]       Il conclut l’exposé de son opinion au paragraphe 142, où il écrit ce qui suit :

[traduction]

Le groupe de composés divulgués dans le brevet 417 englobe le travoprost. On dit de ces composés, et notamment du travoprost, qu’ils sont efficaces pour abaisser la pression intraoculaire lorsqu’ils sont appliqués sur les yeux, et qu’ils causent des effets indésirables de moindre ampleur, comme une irritation et une hyperémie. Le brevet 417 enseigne également comment fabriquer ces composés, comment préparer des compositions pharmaceutiques les contenant et comment s’en servir pour abaisser la pression intraoculaire et traiter le glaucome.

[334]       Lors de son contre-interrogatoire, M. Mittag offre son interprétation de ce qui était exclu du brevet 417. Malgré un interrogatoire poussé, M. Mittag n’est pas d’avis que le composé 16‑phénoxy serait exclu en raison de ses résultats médiocres, faisant remarquer qu’il faut examiner à la fois l’effet sur la PIO et l’hyperémie. M. Mittag a seulement convenu que le composé 1 serait exclu (mais en précisant que le composé 8 découle d’une modification du composé 1).

[335]       Au paragraphe 216 de son affidavit, M. Mittag indique que le brevet 417 ne précise aucune limite quant au degré d’hyperémie qui est considéré comme étant thérapeutiquement acceptable. Lors de son contre-interrogatoire, il précise qu’il ne parlait que de l’hyperémie et, en réponse à des questions ultérieures, il répète que le degré d’hyperémie qui est considéré comme acceptable n’est pas précisé. En répondant à la question 648, il ajoute que c’est l’association des deux effets indésirables (l’hyperémie et l’irritation) qui est cruciale pour déterminer s’il vaut la peine d’étudier plus avant un composé donné.

[336]       En ce qui concerne l’augmentation initiale de la PIO, M. Mittag affirme ce qui suit en réponse à la question 2086 : [traduction] « cela ne préoccuperait pas la personne versée dans l’art parce qu’on observe fréquemment une augmentation initiale de la PIO après l’administration d’un médicament. S’il s’agissait d’une augmentation statistiquement significative, ce qui n’est pas le cas, ce serait préoccupant. Le second point que j’aimerais soulever est que cette augmentation s’estompe au bout d’une heure, soit après trois heures. » En réponse à la question 289, M. Mittag précise qu’une augmentation de courte durée ne provoquerait pas de lésion permanente.

[337]       M. Mittag ne partage pas l’avis selon lequel le composé 16‑phénoxy n’a pas été étudié plus avant chez l’humain en raison de ses effets indésirables, soulignant que les inventeurs du brevet 417 n’ont jamais affirmé une telle chose et qu’il y a diverses raisons pour lesquelles on peut décider de ne pas mener d’essais avec un composé donné chez l’humain.

[338]       En répondant aux questions 621 et 622, M. Mittag convient que le brevet 417 n’est pas suffisamment clair quant à l’inclusion et à l’exclusion des composés, sauf en ce qui concerne le composé 1, qui est exclu.

[339]       M. Mittag reconnaît qu’il est difficile de prédire les effets indésirables de PG différentes. Il affirme également, en répondant à la question 566, qu’il est impossible de prédire le profil d’effets indésirables de composés chimiques dont la structure est différente et qu’il faudrait mener des essais.

[340]       Selon la preuve globale de M. Mittag, le composé 16‑phénoxy fait partie de l’invention du brevet 417 (c.‑à-d. qu’il n’est pas exclu).

[341]       En ce qui concerne la position d’Alcon, selon laquelle les résultats des essais menés avec le composé C (le composé 4 ou le composé 16‑phénoxy) étaient médiocres, la preuve présentée par les experts, qui comprend les opinions fondées sur les essais réalisés dans le cadre du brevet 287, est contradictoire. En ce qui concerne l’antériorité, il s’agit de la seule divulgation formulée dans le brevet 417 qui soit pertinente.

E.                 Le brevet 417 antériorise l’invention du brevet 287

[342]       Pour examiner les allégations d’antériorité, la Cour doit se pencher sur une seule divulgation — en l’espèce, le brevet 417 — et déterminer si la personne versée dans l’art qui lirait la divulgation du brevet 417 avec un esprit désireux de la comprendre serait capable de la réaliser ou de l’effectuer et, le cas échéant, si le résultat constituerait, selon la prépondérance des probabilités, une contrefaçon du brevet 417. L’objet divulgué doit être tel que, s’il était réalisé, il constituerait une contrefaçon de l’invention revendiquée, sans être nécessairement une description exacte de l’invention.

[343]       Après avoir passé en revue l’ensemble de la preuve présentée par les experts et les principes pertinents de la jurisprudence, je juge que, selon la prépondérance des probabilités, l’invention du brevet 287 est antériorisée par le brevet 417.

[344]       Le point de départ est l’idée originale ou la promesse du brevet 287. J’ai jugé, plus tôt dans les présents motifs, que l’idée originale est une quantité thérapeutiquement efficace de travoprost ou une composition ophtalmique contenant une quantité thérapeutiquement efficace de travoprost pour le traitement du glaucome avec un profil d’effets indésirables acceptable.

[345]       J’ai également jugé que l’utilité promise est l’utilité générale exprimée sous sa forme la plus simple, c’est-à-dire que le travoprost sera efficace dans le traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire.

[346]       Je partage l’avis d’Apotex : si la promesse du brevet 287 est uniquement une utilité ou une efficacité thérapeutique contre le glaucome et l’hypertension oculaire, et non que cette efficacité thérapeutique sera supérieure à celle revendiquée dans le brevet 417 en ce qui concerne la diminution de la PIO ou des effets indésirables, alors le brevet 287 promet les mêmes avantages que le brevet 417. L’objet de l’invention est le même.

[347]       Comme l’indique le juge Hughes dans la décision Abbott, précitée, au paragraphe 75 : « Si l’invention revendiquée est axée sur une utilisation différente de celle qui a été divulguée antérieurement et réalisée, alors cette utilisation revendiquée n’est pas antériorisée. Cependant, si l’utilisation revendiquée est la même que l’utilisation antérieurement divulguée et réalisée, il y a alors antériorité. »

[348]       La question est donc de savoir si le brevet 417 avait divulgué le fluprosténol ou le travoprost au point d’antérioriser l’invention pour cette même utilité revendiquée.

[349]       Alcon fait valoir que l’invention, bien que visée de manière générique par le brevet 417, n’avait pas été l’objet d’une divulgation expresse. Alcon fait valoir également que le brevet 417 excluait les composés qui n’étaient pas thérapeutiquement utiles, dont le composé 16‑phénoxy, c’est-à-dire que le brevet 417 ne divulguait pas que l’invention était efficace dans le traitement du glaucome. Alcon fait valoir que rien dans le brevet 417 ne rendait le travoprost clairement accessible au public.

[350]       Apotex affirme le contraire, à savoir que le brevet 417 divulgue des prostaglandines, dont le travoprost, et décrit leur utilisation pour le traitement du glaucome et l’abaissement de la PIO tout en en mentionnant les effets indésirables réduits.

[351]       En ce qui concerne le premier argument d’Alcon, selon lequel le brevet 417 divulguait des milliards de composés sans toutefois divulguer expressément le travoprost ou les esters du fluprosténol, et selon lequel rien ne faisait allusion au travoprost ou aux esters du fluprosténol, la preuve présentée par les experts n’appuie pas cette proposition.

[352]       Selon M. deLong, le brevet 417 divulgue un important genre de composés qui englobe le fluprosténol, mais cette dernière molécule ne fait pas l’objet d’une divulgation expresse. Cependant, lors de son contre-interrogatoire, M. deLong a convenu que les inventeurs du brevet 287 avaient reconnu que les composés phénoxy, le cloprosténol et le fluprosténol, figuraient parmi les composés divulgués dans le brevet 417.

[353]       M. Wolff indique que la personne versée dans l’art comprendrait que le travoprost fait partie du groupe de composés visés par le brevet 417 lorsque la PG choisie est la PGF et un ester isopropylique, en plus des autres critères qui étaient mentionnés.

[354]       M. Mittag indique également que le groupe de composés visés par le brevet 417 englobe le travoprost et que l’on dit de ces composés qu’ils sont efficaces pour abaisser la PIO tout en provoquant des effets indésirables de moindre ampleur.

[355]       Étant donné qu’une description exacte n’est pas nécessaire aux fins de l’analyse du critère d’antériorité, il appert que les experts partagent tous l’avis selon lequel le travoprost ou le fluprosténol figure parmi les composés visés par le brevet 417.

[356]       En ce qui concerne l’argument d’Alcon selon lequel le brevet 417 aurait éloigné du fluprosténol la personne versée dans l’art, les résultats des essais présentés dans le brevet 417 n’appuient pas cette affirmation de façon convaincante, et, comme le fait valoir Apotex, en tant qu’énoncé général, l’énoncé figurant dans le brevet 287 selon lequel les résultats des essais présentés dans le brevet 417 indiquent que certains composés étaient inacceptables sur le plan thérapeutique est trompeur.

[357]       Les résultats des essais présentés dans le brevet 417 n’éloigneraient pas la personne versée dans l’art du composé 16‑phénoxy de façon si franche. Bien que les essais réalisés avec le composé 16‑phénoxy n’aient pas révélé qu’il s’agissait du meilleur composé, et bien que la preuve présentée par les experts ait été contradictoire, cela ne signifie pas pour autant que le composé 16‑phénoxy est thérapeutiquement inacceptable et qu’il ne valait pas la peine de s’y intéresser plus avant.

[358]       Au dire de MM. Mittag et Wolff, le composé 16‑phénoxy était associé à de bons résultats dans les essais divulgués dans le brevet 417, et ces résultats étaient notamment meilleurs que ceux des quatre composés les plus privilégiés.

[359]       Si cela avait été si inacceptable, comme le fait valoir Alcon, pourquoi Alcon aurait-elle exploré cette voie plus avant?

[360]       En ce qui concerne l’argument d’Alcon selon lequel le brevet 417 excluait les composés qui n’étaient pas thérapeutiquement efficaces, dont le composé 16‑phénoxy (qu’Alcon désignait tantôt par l’appellation « travoprost », tantôt par l’appellation « fluprosténol »), et selon lequel le brevet 217 ne pouvait, par conséquent, être antériorisé par des composés exclus, je suis une fois de plus d’avis que la preuve ne soutient pas cette théorie.

[361]       Aucun des experts n’a pu déterminer ce qui était expressément exclu du brevet 417, si tant est que quelque chose en ait été exclu, sauf peut-être le composé 1; mais encore là, il y avait toujours moyen de rendre ce composé thérapeutiquement efficace. M. deLong, expert pour le compte d’Alcon, avait plusieurs réserves lors de son témoignage et de son contre-interrogatoire, et a convenu que le libellé était vague et qu’il comportait des expressions floues, comme [traduction] « pourrait vraisemblablement » ou [traduction] « peut ».

[362]       M. deLong affirme qu’en raison du libellé vague relativement aux composés exclus, [traduction] « […] il est malaisé de déterminer si le composé 16‑phénoxy était considéré comme adéquat, et même s’il était inclus » et que [traduction] « la personne versée dans l’art qui lirait Stjernschantz ne conclurait vraisemblablement pas que le composé 16‑phénoxy (ou que le fluprosténol, qui lui était apparenté sur le plan de la structure) possède un profil thérapeutique acceptable (c.‑à-d. que l’écart entre les effets escomptés et les effets indésirables est acceptable) ». Il ajoute ensuite ce qui suit : [traduction] « Autrement dit, la personne versée dans l’art pourrait conclure que le composé 16‑phénoxy n’est pas visé par les revendications de Stjernschantz, auquel cas quiconque réaliserait les enseignements de cette référence ne se trouverait pas forcément à contrefaire les revendications 12, 27, 35 et 46 du brevet 287. »

[363]       Lors de son contre-interrogatoire, il admet qu’il est difficile de déterminer quels composés doivent être exclus.

[364]       M. Wolff reconnaît, lorsqu’on lui présente la théorie relative à l’exclusion, que le brevet 417 cherchait à exclure certains composés, mais il affirme que le brevet 417 n’indique pas quels composés sont exclus en raison de leurs effets indésirables, sauf en ce qui concerne le composé 1.

[365]       M. Mittag a une opinion similaire : il n’est pas d’avis que le composé 16‑phénoxy ait été exclu et ajoute qu’il fallait disposer de résultats relatifs à la fois à la PIO et à l’hyperémie pour déterminer le profil d’effets indésirables. Selon lui, seul le composé 1 était clairement exclu.

[366]       La preuve de M. deLong, expert pour le compte d’Alcon, voulant qu’un composé soit inclus s’il fonctionne et exclu s’il ne fonctionne pas, n’est aucunement utile pour ce qui est d’étayer l’argument d’Alcon selon lequel certains composés sont expressément exclus et que le composé 16‑phénoxy, ou le travoprost, est l’un de ces composés exclus.

[367]       Le libellé du brevet 417 n’est pas suffisamment clair pour qu’il soit possible d’interpréter de manière cohérente ce qui est exclu. On ne peut se fonder sur une telle absence de clarté pour éviter une allégation d’antériorité lorsque l’art antérieur divulgue un grand nombre de composés, en soumet 11 à des essais, dont le composé 16‑phénoxy, et promet que les résultats seront les mêmes qu’avec l’invention revendiquée.

[368]       Par conséquent, je ne suis pas d’avis que le fluprosténol, ou le travoprost, ait été exclu du brevet 417 parce qu’il était thérapeutiquement inacceptable pour le traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire. Aux fins de l’analyse du critère d’antériorité, la question demeure celle de savoir si l’invention du brevet 287 était divulguée dans le brevet 417.

[369]       Comme l’a fait remarquer le juge Hughes, l’application des principes énoncés dans l’arrêt Plavix n’exige pas que l’on décrive l’antériorité de manière exacte.

[370]       La question dont il faut traiter consiste à savoir si, d’après la preuve des experts, la personne moyennement versée dans l’art examinerait la divulgation antérieure du brevet 417 et conclurait qu’elle était suffisante pour comprendre que l’objet divulgué était identique à l’objet des revendications invoquées dans le brevet 287 et que, s’il était exécuté, selon la prépondérance des probabilités, les revendications du brevet 287 seraient contrefaites.

[371]       Étant donné que le brevet 417 divulguait bel et bien le travoprost, même si ce produit n’était pas expressément nommé ou réalisé, je conclus que l’objet a été divulgué dans le même but que l’invention revendiquée par le brevet 287. Une personne exécutant la divulgation antérieure du brevet 417 contreferait, selon la prépondérance des probabilités, les revendications du brevet 287 qui sont en litige.

[372]       En conséquence, l’allégation d’antériorité est justifiée.

XVI.       L’ÉVIDENCE

[373]       Comme il est indiqué précédemment, Alcon soutient que le brevet 287 n’est pas un brevet de sélection et n’allègue aucun avantage particulier par rapport au brevet 417 pour ce qui est du traitement du glaucome ou de l’hypertension oculaire chez l’humain, mais promet que l’invention est thérapeutiquement efficace. Alcon se fonde à la fois sur la promesse relative au travoprost uniquement en ce qui concerne les résultats des essais en comparaison avec certains composés visés par le brevet 417, et sur la promesse générale d’une efficacité thérapeutique prévue chez l’humain. Alcon fait valoir que l’invention n’était pas évidente.

[374]       Apotex fait valoir que, si l’idée originale est la simple affirmation du fait que le travoprost est thérapeutiquement efficace, cela n’a rien d’inventif et il n’y a aucune différence notable entre cette invention et celle du brevet 417; aucune inventivité n’était nécessaire pour parvenir au travoprost, ce qui signifie que l’invention était évidente.

[375]       Comme il a été mentionné précédemment, j’ai jugé que l’idée originale des revendications en litige était l’utilisation d’une quantité thérapeutiquement efficace de travoprost ou d’une composition ophtalmique contenant une quantité thérapeutiquement efficace de travoprost pour le traitement du glaucome avec un profil d’effets indésirables acceptable.

[376]       Il est à noter que, dans leur forme la plus simple, les revendications en litige telles qu’elles ont été interprétées ci-dessus sont les suivantes :

  • Les revendications 12 et 35 revendiquent l’utilisation d’un composé contenant une quantité thérapeutiquement efficace d’un ester pharmaceutiquement acceptable du fluprosténol (ou de travoprost) pour le traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire.

         Les revendications 35 et 46 revendiquent l’utilisation d’une composition ophtalmique topique contenant une quantité thérapeutiquement efficace d’un ester pharmaceutiquement acceptable du fluprosténol (ou de travoprost) pour le traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire.

[377]       Les observations des parties au sujet des allégations d’évidence, comme il est indiqué ci‑après, portent sur leurs divers arguments subsidiaires concernant l’idée originale et l’utilité promise (c’est-à-dire, avant que la Cour tranche ces questions).

A.                L’évidence : la jurisprudence et les principes applicables

[378]       La jurisprudence guide clairement l’analyse de l’évidence.

[379]       La Cour suprême du Canada a fait état du droit actuellement en vigueur sur l’évidence au Canada dans l’arrêt Plavix, précité, aux paragraphes 67 à 69. Le juge Rothstein a suivi la démarche en quatre étapes qui a pris naissance dans l’arrêt Windsurfing International Inc c Tabur Marine (Great Britain) Ltd, [1985] RPC 59 (CA), et qui a été mise à jour dans l’arrêt Pozzoli SPA c BDMO SA, [2007] FSR 37, [2007] EWCA Civ 588 (BAILII). Les quatre étapes ou questions sont les suivantes :

  1. identifier la « personne versée dans l’art » théorique, c’est-à-dire la personne moyennement versée dans l’art, ainsi que les connaissances générales pertinentes de cette personne à la date de la revendication (le 3 août 1993, en l’occurrence);
  2. définir l’idée originale de la revendication en cause ou, si cela ne peut pas être fait facilement, par voie d’interprétation;
  3. recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de l’« état de la technique » et l’idée originale qui sous-tend la revendication ou son interprétation;
  4. déterminer si ces différences, abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, constituent des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou si elle dénote une inventivité quelconque.

[380]       Le juge Rothstein a de plus signalé que, dans certains domaines d’activité, y compris les inventions dans le secteur pharmaceutique où des structures chimiques semblables peuvent avoir des réactions différentes, le critère de l’« essai allant de soi » était peut-être approprié. Il a dressé une liste non exhaustive de facteurs pertinents pour la quatrième étape – s’il serait évident de faire un essai – au paragraphe 69 :

1.         Est-il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux? Existe-t-il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art?

2.         Quels efforts – leur nature et leur ampleur – sont requis pour réaliser l’invention? Les essais sont-ils courants ou l’expérimentation est-elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?

3.         L’antériorité fournit-elle un motif de rechercher la solution au problème qui sous-tend le brevet?

[381]       Le juge Rothstein a ajouté qu’il pouvait y avoir d’autres facteurs pertinents, dont l’historique de l’invention, le fait de savoir si l’inventeur est parvenu à l’invention rapidement et facilement compte tenu de l’art antérieur et des connaissances générales courantes, de même que les compétences particulières des inventeurs par rapport à celles de la personne versée dans l’art (aux paragraphes 70 et 71).

[382]       Dans l’arrêt Apotex Inc c Pfizer Canada Inc, 2009 CAF 8, [2009] ACF no 66, la Cour d’appel fédérale a conclu que de simples possibilités ou hypothèses n’étaient pas le critère, ni l’expression « valant d’être tenté »; l’invention doit aller plus ou moins de soi. Le juge Noël a écrit, au paragraphe 29 :

29        Le critère reconnu est celui de l’« essai allant de soi », où l’expression « allant de soi » signifie « très clair ». Suivant ce critère, une invention n’est pas rendue évidente par le fait que l’état de la technique aurait éveillé la personne versée dans l’art à la possibilité que quelque chose valait d’être tenté. L’invention doit aller plus ou moins de soi. La question à trancher dans le présent appel est de savoir si le juge de la Cour fédérale a ou n’a pas appliqué ce critère.

[383]       Dans la décision Alcon Canada Inc c Cobalt Pharmaceuticals Company, 2014 CF 149, [2014] ACF no 175, la juge Gleason a décrit en ces termes l’aspect « allant de soi » du quatrième volet du critère de l’évidence :

[79]      La jurisprudence reconnaît que pour qu’une invention « aille de soi », la solution doit être évidente pour la personne versée dans l’art à qui le brevet s’adresse; en d’autres termes, il ne suffit pas que les antériorités indiquent simplement que la découverte de l’invention est envisageable ou qu’il peut être profitable d’effectuer les expériences qui y ont mené (voir p. ex. Sanofi‑Synthelabo, aux paragraphes 61 à 71; Pfizer c Apotex (2009 CAF 8), aux paragraphes 22 à 29; Ratiopharm Inc. c Pfizer Ltd, 2010 CAF 204, au paragraphe 15, 87 CPR (4th) 185; Pfizer Canada Inc. c Pharmascience Inc., 2013 CF 120, au paragraphe 187, 111 CPR (4th) 88). Par ailleurs, selon la jurisprudence, que c’est une erreur de chercher à déterminer avec le recul si une invention allait de soi, car une invention peut très bien paraître évidente après le fait. Comme le notait le juge Hugessen dans l’arrêt Beloit Canada Ltée/Ltd c Valmet Oy (1986), 8 CPR (3d) 289, 64 NR 287, au paragraphe 21 :

Une fois qu’elles ont été faites, toutes les inventions paraissent évidentes, et spécialement pour un expert du domaine. Lorsque cet expert a été engagé pour témoigner, l’infaillibilité de sa sagesse rétrospective est encore plus suspecte. Il est si facile de dire, une fois que la solution préconisée par le brevet est connue : « J’aurais pu faire cela » : avant d’accorder un poids quelconque à cette affirmation, il faut obtenir une réponse satisfaisante à la question : « Pourquoi ne l’avez‑vous pas fait? »

[384]       Comme il a été signalé plus tôt, dans la décision Abbott, au paragraphe 59, le juge Hugues nous rappelle qu’en ce qui concerne l’évidence :

[…] s’il y a des différences entre ce qui a été divulgué, restait‑il de la place pour qu’une personne réalise une contribution inventive? Si ce qui n’a pas été divulgué était une chose qu’une personne versée dans l’art, à la date pertinente, aurait censément réalisée sans exercer une ingéniosité inventive, cela signifie que l’invention revendiquée est évidente.

B.                 La position d’Alcon

[385]       Alcon soutient que l’invention n’était pas évidente, surtout parce que son essai n’allait pas de soi, compte tenu des données figurant dans le brevet 417 ainsi que des connaissances générales courantes.

[386]       En l’espèce, les connaissances générales étaient qu’avant la mise à l’essai du composé, la personne moyennement versée dans l’art ignorerait si l’invention mènerait aux résultats promis. L’efficacité et les effets indésirables n’étaient pas prévisibles; il était nécessaire de faire des essais pour apprécier ces deux aspects.

[387]       Alcon signale que le profil des effets indésirables n’a jamais été étudié avant les années 1990. Elle avance que s’il avait été évident que l’invention serait utile dans le traitement du glaucome, d’autres l’auraient découverte avant qu’elle commence à faire l’essai de composés et à les modifier au début des années 1990, pour découvrir qu’elle avait un profil thérapeutique utile.

[388]       Alcon signale qu’il a été établi dans l’arrêt Plavix, précité, au paragraphe 64, qu’il doit aller plus ou moins de soi que ce que l’on met à l’essai devrait fonctionner; c’est-à-dire qu’il doit être évident que l’invention fonctionnerait et qu’un inventeur ne peut pas tout simplement tenter de mettre à l’essai diverses possibilités dans l’espoir de connaître le succès.

[389]       En ce qui concerne l’idée originale, selon Alcon, malgré les résultats médiocres obtenus dans le cadre des essais menés avec le composé 16‑phénoxy, soit le composé 4, et malgré l’exclusion fonctionnelle réalisée dans le brevet 417, les inventeurs du brevet 287 ont soumis le travoprost à des essais et ont obtenu des résultats dans des modèles animaux montrant que le travoprost avait étonnamment un meilleur profil d’effets indésirables que le composé 16‑phénoxy (le composé 4).

[390]       Quant aux différences entre l’« état de la technique » et l’idée originale de la revendication, ou la revendication telle qu’elle était interprétée, Alcon soutient qu’elles sont au nombre de deux :

i)          la découverte surprenante que le travoprost entraînait, dans certains modèles animaux, une excellente diminution de la PIO sans les effets indésirables importants associés au composé de l’art antérieur, à savoir le composé 16‑phénoxy, ou le composé 4;

ii)         l’utilité prévue des esters pharmaceutiquement acceptables du fluprosténol dans le traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire.

[391]       En ce qui concerne la question de savoir si ces différences, lorsqu’on les examine sans aucune connaissance de l’invention alléguée telle qu’elle est revendiquée, constituent des étapes qui auraient été évidentes pour la personne versée dans l’art ou si elles auraient nécessité un certain degré d’inventivité, Alcon soutient que les revendications en litige n’auraient pas été évidentes pour plusieurs raisons, notamment les suivantes :

  • sans mener d’essais, il était impossible de prédire l’efficacité et le profil d’effets indésirables des PG;

         le (+)‑fluprosténol était un composé que l’on connaissait depuis un certain temps et dont on savait qu’il abaissait la PIO, mais le profil avantageux du travoprost au chapitre des effets indésirables est demeuré inconnu pendant de nombreuses années, jusqu’à ce qu’Alcon le découvre. M. Woodward, un éminent chercheur spécialisé dans le domaine, n’a pas tenté de déterminer quels étaient les effets indésirables du fluprosténol;

         rien dans le brevet 417 (ou, plus généralement, dans l’art antérieur) ne fait allusion au fluprosténol ou au travoprost : il n’y avait aucun résultat d’essai ni aucun fondement permettant d’en prédire l’utilité. Alcon fait valoir que les résultats des essais réalisés avec le composé 16‑phénoxy (le composé 4) étaient médiocres et que ce composé n’a pas été soumis à des essais chez l’humain. Alcon avance également que le brevet 417 était axé sur les composés phénylés;

         il y avait de nombreuses pistes à explorer en ce qui concerne le traitement du glaucome, car on connaissait déjà beaucoup de PG au milieu des années 1990. Alcon fait remarquer que, en 1989, on avait déjà synthétisé plus de 10 000 PG et on comptait déjà plus de 40 000 articles publiés sur ces molécules.

[392]       Alcon soutient que l’essai de l’invention que représentent les revendications en litige n’allait pas de soi. Pour ce qui est des facteurs énoncés dans l’arrêt Plavix, Alcon ajoute qu’il n’allait pas plus ou moins de soi que ce qui était essayé devait fonctionner. Sans essais positifs sur des modèles animaux en vue de déceler des effets indésirables, la personne versée dans l’art ne pouvait pas prédire qu’une PG structurellement différente serait utile pour le traitement du glaucome.

[393]       Alcon soutient aussi qu’il a fallu faire des efforts considérables pour réaliser l’invention. Les essais réalisés à l’aide de modèles animaux vivants particuliers étaient relativement nouveaux au début des années 1990; ils prenaient du temps et coûtaient cher. Alcon soutient qu’en l’absence d’une motivation précise, la personne versée dans l’art n’aurait pas mené ce genre d’essais.

[394]       En ce qui concerne une motivation, dans l’art antérieur, à trouver une solution aux préoccupations relatives aux effets indésirables, Alcon fait valoir que, bien qu’il y ait eu une motivation générale à trouver des analogues de PG pour les utiliser dans le traitement du glaucome, il n’y avait aucune motivation à soumettre expressément le travoprost à des essais en raison des résultats médiocres qui étaient présentés dans le brevet 417 et qui, selon Alcon, auraient éloigné du travoprost la personne versée dans l’art. La forme biologiquement active du fluprosténol était connue depuis les années 1970, mais son profil d’effets indésirables n’avait jamais été étudié avant qu’Alcon ne s’y intéresse dans les années 1990.

C.                 La position d’Apotex

[395]       Bien qu’Apotex soit d’avis qu’étant donné qu’Alcon n’a pas fait valoir le brevet 287 comme un brevet de sélection, il y a lieu d’examiner les allégations d’invalidité pour cause d’évidence en tenant pour acquis que le brevet 287 est un brevet d’espèce.

[396]       Apotex conteste que l’idée originale, pour ce qui est d’apprécier l’évidence, est celle qu’Alcon propose – c’est-à-dire que le travoprost présentait un profil d’effets indésirables étonnamment meilleur que le 16‑phénoxy dans les essais menés avec des modèles animaux. Apotex soutient qu’Alcon ne peut se fonder sur cet avantage particulier comme étant l’idée originale, pas plus que sur n’importe quel avantage antérieurement inconnu et non exprimé du travoprost, pour étayer son inventivité dans le but de répondre aux allégations d’évidence.

[397]       Apotex fait remarquer que, selon Alcon, à d’autres fins, l’idée originale des revendications est le traitement du glaucome (c.‑à-d. une efficacité thérapeutique), sans plus. La question est donc de savoir si l’utilisation du travoprost pour traiter le glaucome et l’hypertension oculaire était inventive. Selon Apotex, à la lumière de l’état de la technique, et notamment du brevet 417, l’utilisation du travoprost ne témoigne pas d’un esprit inventif.

[398]       En ce qui concerne la démarche à quatre volets énoncée dans l’arrêt Plavix, Apotex soutient qu’il n’y a pas de divergence d’opinions au sujet de la personne versée dans l’art.

[399]       Apotex a également décrit les connaissances générales courantes et l’état de la technique, lesquels ne semblent pas être contestés et sont décrits de façon similaire par Alcon dans ses observations relatives à l’antériorité (bien qu’il y ait eu certaines différences d’interprétation relativement à M. Woodward). Apotex a fait remarquer que les connaissances générales courantes englobaient le fait qu’il était connu que l’administration topique de PGF et de ses analogues abaissait la PIO chez l’humain, mais qu’il y avait des effets indésirables inacceptables, notamment une irritation et une hyperémie. Au début des années 1980 (ou, selon certains experts, dès 1977), on a adopté une stratégie « promédicament » et on a converti les PG en esters, ce qui avait pour effet d’en réduire les effets indésirables. L’ester isopropylique a été privilégié.

[400]       Publié dans les années 1990, le brevet 417 enseignait à la personne versée dans l’art comment contrecarrer les effets indésirables en incorporant une structure cyclique (un groupe phényle ou phénoxy) à l’extrémité de la chaîne oméga. Dès 1992–1993, des essais cliniques avaient été menés avec certains analogues.

[401]       Le fluprosténol était connu depuis les années 1970, et l’on savait que le (+)‑fluprosténol était un agent puissant qui provoquait une diminution de la PIO. Apotex souligne que le brevet 287 indiquait que, en 1989, M. Woodward avait divulgué le fait que l’administration topique de fluprosténol provoquait une forte réaction myotique chez le chat et qu’une telle réaction était généralement reconnue comme étant un indicateur d’une diminution de la PIO. Apotex fait remarquer que M. Woodward avait signalé que le (+)‑fluprosténol avait provoqué un abaissement important de la PIO chez le chien et que la molécule était également active chez le singe. Il est à noter que l’œil de singe était le modèle animal le plus pertinent à l’époque pour l’étude des effets sur l’œil humain et qu’il s’agissait d’une référence reconnue pour ce qui était de l’abaissement de la PIO, selon le brevet 287 (autrement dit, M. Woodward a découvert que le fluprosténol entraînait une diminution importante de la PIO).

[402]       En 1993, M. Woodward avait mené des essais chez le chien et le singe. Apotex fait remarquer que tous les experts s’entendent pour dire que les essais réalisés chez le singe sont les plus pertinents en ce qui a trait à l’œil humain. Selon Apotex, les experts sont d’avis que l’article de M. Woodward, publié en 1993, est significatif relativement à l’abaissement de la PIO chez l’humain.

[403]       Bien qu’Alcon fasse valoir que les travaux de M. Woodward ne portaient pas sur le glaucome et que celui-ci n’avait pas cherché à déterminer quels étaient les effets indésirables, Apotex fait valoir que la personne versée dans l’art aurait su que M. Woodward cherchait des médicaments pouvant traiter le glaucome et attire l’attention de la Cour sur la preuve livrée par M. deLong lors de son contre-interrogatoire.

[404]       Apotex soutient que l’on savait que les PG abaissaient la PIO et que certaines PG avaient un effet plus important que d’autres. Il s’agirait d’un indicateur clair pour la personne versée dans l’art, c’est-à-dire que cette dernière concentrerait ses efforts sur une PG qui abaisserait la PIO. Quant au problème des effets indésirables, tous les experts ont souligné le fait qu’une stratégie « promédicament », soit l’utilisation d’esters, était l’approche privilégiée pour obtenir un médicament capable de pénétrer l’œil tout en évitant d’éventuels effets indésirables.

[405]       Apotex renvoie à la preuve de M. Mittag, selon laquelle on savait, en 1974, que le fluprosténol permettait d’obtenir une très bonne diminution de la PIO. Apotex fait également remarquer qu’il n’y avait aucune donnée expérimentale donnant à penser que le fluprosténol provoquait une hyperémie ou une irritation oculaire. Apotex souligne également le fait que, lors de son contre-interrogatoire, M. deLong a indiqué que M. Woodward avait constaté que le fluprosténol était plus puissant que les autres composés.

[406]       Quant à la caractérisation de l’idée originale, comme il est indiqué précédemment, Apotex soutient maintenant que l’idée originale ne peut être que ce qui est énoncé dans les revendications, à savoir que le composé est utile dans le traitement du glaucome, comme divers autres composés. Si tel est le cas, il n’y a aucune différence entre l’état de la technique et l’idée originale.

[407]       Apotex souligne que la démarche énoncée dans l’arrêt Plavix exige que l’on oppose les connaissances générales courantes et l’état de la technique à l’idée originale des revendications invoquées pour faire ressortir les différences (et non que l’on examine les différences entre l’état de la technique et la divulgation en général).

[408]       Apotex soutient qu’il n’y a aucune différence. L’art antérieur enseignait que l’ester isopropylique du (+)‑fluprosténol (c.‑à-d. le travoprost) était utile contre le glaucome et qu’il provoquait moins d’effets indésirables. La seule différence possible est que le travoprost n’avait pas été fabriqué comme tel pour être ensuite soumis à des essais.

[409]       Apotex fait remarquer que, lors de l’analyse de l’évidence, si un document donné de l’art antérieur ne constitue pas véritablement une antériorisation, il est toujours possible de démontrer que l’invention était évidente si la personne versée dans l’art pouvait combler les lacunes sans esprit inventif (p. ex. en se fondant sur le brevet 417 et les connaissances générales courantes). Bien qu’Apotex soutienne qu’il n’y avait aucune lacune à combler en raison du brevet 417 et des connaissances générales courantes, les enseignements de M. Woodward seraient pertinents.

[410]       Apotex fait remarquer que, s’il y avait des différences, il n’y avait pas pour autant d’inventivité, parce que les essais visaient simplement à confirmer que les effets indésirables étaient moindres. Apotex soutient que les essais de confirmation ne constituent pas une activité inventive.

[411]       La preuve présentée par les experts confirme qu’il aurait été évident et facile pour la personne versée dans l’art de fabriquer et d’analyser le travoprost afin d’en confirmer l’utilité dans le traitement du glaucome avec un profil thérapeutique acceptable.

[412]       Apotex soutient subsidiairement que, même si l’idée originale avait été les résultats des essais comparant le travoprost au composé 16‑phénoxy (comme l’affirme Alcon), la différence par rapport à l’art antérieur, si tant est qu’il y en ait une, n’aurait pas été suffisante pour rendre le brevet 287 inventif. Apotex fait remarquer qu’il n’y a aucun avantage à choisir un composé et à affirmer qu’il est meilleur qu’un seul des composés visés par le brevet 417.

[413]       Apotex souligne qu’Alcon manque de cohérence parce qu’elle a fait valoir, dans ses observations relatives à l’antériorité, que le profil d’effets indésirables du composé 16‑phénoxy était problématique, c’est-à-dire que les résultats des essais étaient médiocres et que le composé pouvait avoir été exclu de l’invention du brevet 417.

[414]       Apotex fait remarquer qu’Alcon a fait valoir que la ressemblance du travoprost au composé 16‑phénoxy sur le plan de la structure fait en sorte que les résultats positifs des essais sont [traduction] « surprenants », [traduction] « inattendus » et inventifs. Cependant, si tel était le cas, le travoprost n’offrirait qu’une amélioration par rapport à un composé du même genre qui est moins efficace ou exclu, et il n’offrirait rien de plus que les autres composés visés par le brevet 417. Selon Apotex, cela n’aurait rien d’inventif.

[415]       Apotex soutient qu’il était évident de tenter de réaliser l’invention : la fabrication du travoprost et la réalisation d’essais pour en déterminer l’utilité dans le traitement du glaucome allaient de soi, et il existait une attente plus que raisonnable du fait que le profil thérapeutique du composé serait acceptable. Apotex souligne que la démarche énoncée dans l’arrêt Plavix n’exige pas un degré de certitude absolu, mais seulement une prédiction raisonnable de succès.

[416]       MM. Mittag et Wolff ont affirmé que la personne versée dans l’art s’attendrait à ce qu’il y ait de fortes chances que le travoprost ait un profil thérapeutique acceptable, ou le saurait. Bien qu’il s’agisse d’une prédiction et qu’il n’y ait aucune certitude jusqu’à ce que les essais soient réalisés, ces essais ne seraient effectués qu’à des fins de confirmation.

[417]       Apotex répond à l’argument d’Alcon que, sans essais, il était impossible de prédire que le profil thérapeutique ne correspondrait pas aux enseignements du brevet 417. Il était indiqué dans le brevet 417 que les résultats des essais réalisés avec le composé 16‑phénoxy étaient positifs, alors la personne versée dans l’art se serait attendue à ce que le travoprost ait un profil d’effets indésirables favorable, ou pour le moins acceptable.

[418]       Apotex répond également à l’affirmation d’Alcon que rien n’indique que les résultats associés au fluprosténol ou au travoprost ne correspondent pas à ceux observés dans les travaux de M. Woodward. M. Woodward avait déjà indiqué que le fluprosténol entraînait une diminution importante de la PIO. De plus, le brevet 417 enseignait que les composés visés (dont le travoprost) avaient un profil d’effets indésirables amélioré et soulignait que les esters isopropyliques étaient les esters privilégiés. Il aurait donc été surprenant que le fluprosténol (c.‑à-d. le travoprost) n’ait pas eu un profil thérapeutique acceptable.

[419]       De façon analogue, il faut remettre en contexte l’affirmation d’Alcon selon laquelle les travaux de Zajacz éloignaient du fluprosténol la personne versée dans l’art. La personne versée dans l’art saurait que, dans les travaux de Zajacz, la substance avait été administrée par voie intraveineuse pour une tout autre raison (pour provoquer un avortement) et que ces résultats ne seraient pas représentatifs des effets qu’aurait la substance sur l’œil.

[420]       Apotex soutient que, même si l’art antérieur n’offrait aucune direction précise, le simple fait de choisir un composé parmi le genre présenté dans le brevet 417 et de confirmer que ce composé présente le même profil thérapeutique que celui qui est décrit dans le brevet 417 ne constitue pas une activité inventive. On a seulement mené des essais courants pour déterminer quelles étaient les caractéristiques de composés connus.

[421]       Apotex soutient par ailleurs que le fait qu’Alcon ait commencé à étudier les effets indésirables du travoprost dans les années 1990, malgré que le fluprosténol ait été connu depuis les années 1970, ne signifie pas qu’il s’agit d’une activité inventive, car le brevet 417, qui enseignait que le travoprost avait un profil d’effets indésirables acceptable, n’a été publié qu’en 1990.

[422]       Apotex fait valoir également que les efforts, de même que la nature et l’ampleur de ceux‑ci, qui étaient minimes, appuient une conclusion d’évidence. Apotex renvoie à la preuve présentée par M. Klimko, l’un des inventeurs, indiquant qu’il a fallu à Alcon moins d’une semaine pour synthétiser le travoprost et que celle-ci n’a effectué qu’un seul essai relativement à la capacité du travoprost à abaisser la PIO chez le singe, et ce, à une seule dose. L’essai en question n’a duré que trois jours. Alcon n’a mené que deux essais relativement à l’hyperémie chez le cobaye, et chacun de ces essais n’a duré qu’une journée.

[423]       Apotex traite ensuite de la motivation à trouver une solution aux préoccupations concernant les effets indésirables. La personne versée dans l’art se concentrerait sur le genre de composés présenté dans le brevet 417, lequel divulguait une solution pour les effets indésirables localisés et divulguait le latanoprost (qui faisait l’objet d’essais cliniques). Le brevet 417 et les travaux de M. Woodward fournissent la motivation à trouver une solution, avec des chances raisonnables que le travoprost soit utile contre le glaucome et ait un profil thérapeutique acceptable. Apotex fait également remarquer que, bien qu’Alcon laisse entendre que de nombreuses PG auraient pu être utilisées à des fins thérapeutiques, M. Mittag a indiqué que la personne versée dans l’art se concentrerait sur le brevet 417.

[424]       Apotex signale que dans l’arrêt Plavix la Cour a convenu que l’on peut prendre en compte les efforts réels qu’ont faits les inventeurs pour évaluer si l’objet breveté était évident, dans le cadre du volet de l’« essai allant de soi ». Alcon n’a fourni aucune preuve de la part de l’inventeur, M. Klimko, au sujet de l’historique de l’invention, quoique ce dernier ait fourni un affidavit. Apotex laisse entendre que l’on peut tirer de ce fait une inférence défavorable.

D.                Que disent les Experts?

[425]       La preuve des experts au sujet de l’évidence doit être prise en considération dans le contexte de la façon dont chacun a examiné l’idée originale des revendications.

[426]       M. deLong exprime son opinion sur l’évidence aux paragraphes 196 à 208 de son affidavit et il conclut, au paragraphe 208, que l’idée originale des revendications 12, 27, 35 et 46 n’aurait pas été évidente aux yeux de la personne moyennement versée dans l’art.

[427]       L’opinion de M. deLong découle de son interprétation de l’idée originale, à savoir que celle-ci comporte deux aspects.

[428]       Il décrit, au paragraphe 200, les différences entre l’art antérieur et l’idée originale, qui étaient les deux différences mentionnées par Alcon précédemment, au paragraphe 39 : les résultats des essais menés dans le modèle animal et la prédiction d’une utilisation du composé dans le traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire.

[429]       Aux paragraphes 201 et 202, il exprime l’opinion selon laquelle ces différences ne seraient pas évidentes en soi.

[430]       Au paragraphe 204, M. deLong écrit que [traduction] « [l]es essais in vivo concernant les effets indésirables et l’abaissement de la PIO menés avec des prostaglandines chez des animaux sont chronophages et coûteux » et que, par conséquent, « étant donné l’absence de direction précise […], il n’y aurait vraisemblablement pas de justification ou de motivation à mener de tels essais, sans but ».

[431]       Aux paragraphes 205 et 206, M. deLong indique que, bien qu’il y ait eu une motivation à trouver des prostaglandines pour traiter le glaucome, une maladie répandue, et bien qu’il y ait des avantages commerciaux à trouver un médicament efficace, la motivation à étudier les composés phénoxy était minime, voire inexistante.

[432]       Au paragraphe 207, il apporte les précisions suivantes :

[traduction]

Il n’aurait pas été évident pour la personne versée dans l’art d’entreprendre les travaux décrits dans le brevet 287, qui ont mené à des résultats inattendus et à une prédiction d’utilité thérapeutique. En effet, il n’y avait aucune information dans les documents de l’art antérieur qui aurait pu mener la personne versée dans l’art à l’ester isopropylique du fluprosténol. Les enseignements relatifs à l’utilisation des composés phénoxy étaient limités et n’étaient pas encourageants (voir l’analyse précédente sur Scjternschantz [sic] et le composé 92 de Syntex). Comme il a été mentionné, on s’intéressait également peu à réaliser une substitution trifluorométhyle au niveau du groupe phényle. Les résultats produits par certains modèles animaux étaient toujours déroutants ou trompeurs. De façon générale, il était entendu qu’il ne serait pas possible de prédire avec exactitude les résultats des essais menés avec une prostaglandine donnée. Par conséquent, il n’était pas évident en soi que l’ester isopropylique du fluprosténol produirait les résultats précis décrits dans le brevet 287 ou qu’il serait utile sur le plan thérapeutique, comme l’avaient raisonnablement prédit les inventeurs.

[433]       Il fait également remarquer ce qui suit au paragraphe 203 : [traduction] « Il y avait un très grand nombre d’analogues de prostaglandines qui pouvaient faire l’objet d’essais, mais ce ne serait qu’en menant les essais animaux décrits dans le brevet 287 que l’on saurait si les composés à l’étude donneraient les mêmes résultats que ceux mentionnés par les inventeurs du brevet 287. »

[434]       À son avis, [traduction] « étant donné les documents de l’art antérieur, il y avait peu ou pas de motivation à effectuer des essais avec des prostaglandines de type phénoxy ». Il ne tient pas compte des travaux de M. Woodward, car ce dernier [traduction] « semble s’être intéressé à l’acide libre essentiellement dans le cadre de ses travaux de recherche sur les récepteurs. »

[435]       Relativement aux travaux de M. Woodward, M. deLong souligne également, au paragraphe 195, que :

[traduction]

M. Woodward semble effectivement indiquer que l’acide libre du fluprosténol peut abaisser la PIO dans le contexte de travaux de recherche portant sur l’activité de récepteurs, mais il ne mentionne ni ne divulgue aucun ester ni aucun profil d’effets indésirables et, partant, ne divulgue aucun profil thérapeutique acceptable relativement au traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire chez l’humain ni aucun des résultats d’essais divulgués dans le brevet 287. Je constate que, aux pages 21 et 22 de la lettre d’Apotex, il ne semble pas y avoir d’allégation du fait que Woodward antériorise les revendications 12, 27, 35 et 46 du brevet 287.

[436]       Lors de son contre-interrogatoire, M. deLong reconnaît que M. Woodward menait des travaux de recherche portant sur le glaucome.

[437]       Au paragraphe 36 de son affidavit, M. Wolff émet l’opinion selon laquelle les différences entre l’idée originale et l’état de la technique, si tant est qu’il y en ait, étaient évidentes et allaient de soi. Pour émettre cette opinion, il se fonde sur les connaissances générales courantes décrites précédemment par Apotex. M. Wolff souligne également le fait que l’on connaissait la structure et les propriétés pharmacologiques du fluprosténol et du cloprosténol et que l’on savait comment synthétiser ces molécules.

[438]       M. Wolff commente les enseignements du brevet 417 au paragraphe 209, en abordant la question de l’approche utilisée pour caractériser les effets indésirables. M. Wolff indique que M. Stjernschantz avait fourni un enseignement considérable pour surmonter l’obstacle en utilisant des dérivés de prostaglandines.

[439]       Au paragraphe 211, il souligne qu’il y avait, en plus du fluprosténol et du cloprosténol, d’autres composés de la classe décrite dans le brevet 417 dont la personne versée dans l’art se serait attendue à ce qu’ils possèdent un profil d’effets indésirables similaire. Il ajoute que la personne versée dans l’art aurait été motivée à préparer du fluprosténol et aurait su comment s’y prendre.

[440]       Au paragraphe 216, M. Wolff affirme que toute différence significative entre l’état de la technique et l’idée originale des revendications en litige aurait été évidente ou serait allée de soi pour la personne versée dans l’art. Il indique que [traduction] « […] [le travoprost] aurait été évident ou serait allé de soi pour la personne versée dans l’art cherchant un composé pour traiter le glaucome et l’hypertension oculaire par voie topique en août 1993. À cette époque, l’état de la technique était tel que le travoprost avait déjà été divulgué dans Stjernschantz et al. […] et cela aurait de toute façon été évident pour la personne versée dans l’art. »

[441]       M. Mittag exprime aussi l’avis que n’importe quelle différence entre l’état de la technique et l’idée originale des revendications aurait été évidente.

[442]       Il a résumé son opinion au paragraphe 28 de son affidavit :

[traduction]

À mon avis, étant donné les nombreux enseignements figurant, en date du 3 août 1993, dans les documents de l’art concernant les esters de la PGF, le fluprosténol et, plus particulièrement, l’ester isopropylique de la 16‑phénoxy-17,18,19,20-tétranor-PGF, le moyen de réaliser l’idée originale des revendications en litige du brevet 287 aurait été évident et serait allé de soi pour la personne versée dans l’art, dans la mesure où il est question du travoprost.

[443]       Au paragraphe 153, M. Mittag précise [traduction] « [qu’il] n’y a aucune différence importante entre l’art antérieur et l’idée originale des revendications en litige du brevet 287, dans la mesure où il est question du travoprost. Le travoprost fait partie de la classe de composés présentée dans le brevet 417 dont on dit qu’ils abaissent la pression intraoculaire tout en ayant un profil d’effets indésirables acceptable. Cela est identique à l’idée originale des revendications en litige du brevet 287, dans la mesure où il est question du travoprost. »

[444]       M. Mittag ajoute au paragraphe 154 que, s’il y a une différence, [traduction] « c’est que la préparation du promédicament du (+)‑fluprosténol, nommément le travoprost, et les essais correspondants n’avaient pas été effectués avant août 1993 ».

[445]       Au paragraphe 155, M. Mittag indique encore que les différences par rapport à l’idée originale des revendications en litige, dans la mesure où il est question du travoprost et à la lumière des documents de l’art antérieur, seraient évidentes ou iraient de soi. Il précise que [traduction] « l’article de Woodward avait déjà expliqué que le fluprosténol abaissait la pression intraoculaire, tant chez les non‑primates que chez les primates. De plus, il était écrit dans le brevet 417 que l’ester isopropylique de la 16‑phénoxy-17,18,19,20-tétranor-PGF, un composé apparenté sur le plan de la structure, abaissait la pression intraoculaire tout en ayant un profil d’effets indésirables thérapeutiquement acceptable ».

[446]       M. Mittag précise les raisons pour lesquelles il s’est forgé cette opinion aux paragraphes 156 à 166. Au paragraphe 165, il répète que le composé 16‑phénoxy est le composé le plus semblable au fluprosténol sur le plan de la structure et qu’il présente un ensemble souhaitable de propriétés. Il indique également que, à la lumière des enseignements du brevet 417, la personne versée dans l’art s’attendrait à ce que le fluprosténol (le travoprost) ait un profil d’effets indésirables comparable, ou autrement dit, à ce que ce profil soit acceptable en vue d’une utilisation thérapeutique.

[447]       En ce qui concerne l’argument d’Alcon, selon lequel il était impossible de prédire les résultats sans mener d’essais et que cela n’était pas évident, étant donné que les résultats n’allaient pas de soi, M. Mittag a indiqué lors de son contre-interrogatoire, en réponse aux questions 147 à 150, que, si l’on ne menait pas d’essais, il n’y aurait aucune garantie, mais il serait tout de même possible de faire une prédiction. Quant au profil d’effets indésirables, il souligne qu’il aurait été difficile de faire une prédiction. M. Mittag indique également en réponse aux questions 516 et 517 que, bien qu’il soit impossible de faire une prédiction exacte et qu’il faille mener un essai en guise de suivi, le degré de certitude associé à cette prédiction serait suffisant pour qu’une personne (c.‑à-d. la personne versée dans l’art) effectue ces essais.

[448]       M. Wolff admet également que de légers changements pourraient amener des résultats différents.

[449]       En ce qui concerne l’argument d’Alcon selon lequel l’article de Woodward ne mènerait pas la personne versée dans l’art au fluprosténol, M. deLong convient, lors de son contre‑interrogatoire, que M. Woodward étudiait le fluprosténol dans des modèles animaux en 1993 parce qu’il abaissait la PIO (questions 976 à 979). M. deLong croit également que la personne versée dans l’art aurait su que M. Woodward cherchait des médicaments contre le glaucome et qu’il menait des essais à cette fin.

[450]       Lors du contre-interrogatoire de M. deLong, on lui a posé des questions au sujet des articles de M. Woodward publiés en 1989 et en 1993. M. deLong a reconnu que M. Woodward avait mené des essais chez des chiens et sur des yeux normotensifs de singes et qu’il avait indiqué que le fluprosténol provoquait, à certains moments, une importante diminution de la PIO dans les modèles animaux, mais qu’à d’autres moments, il y avait une augmentation de la PIO ou un effet nul sur celle-ci (question 1007).

[451]       M. deLong reconnaît également que, en se fondant sur les résultats de ses travaux, M. Woodward avait conclu que le fluprosténol avait un puissant effet hypotensif sur la PIO, tout comme certains autres composés qu’il étudiait.

[452]       Il admet également, en réponse à la question 1025, qu’une personne intéressée lisant l’article de M. Woodward ne serait pas surprise de ces résultats et serait au courant de ceux‑ci.

[453]       Quant à la question de savoir si le fluprosténol provoquait des effets indésirables inacceptables, M. deLong reconnaît lors de son contre-interrogatoire, en réponse aux questions 1325 et 1326, qu’il n’y avait aucune donnée en août 1993 qui aurait mené la personne versée dans l’art à croire que le fluprosténol provoquait soit une hyperémie, soit une irritation oculaire. Il convient également que, à la lumière du brevet 417, la personne versée dans l’art savait que le fait de modifier la chaîne oméga atténuerait les effets indésirables.

[454]       En ce qui a trait à la question de savoir si le brevet 417 prédit l’utilité du travoprost ou du fluprosténol, M. Mittag indique, en réponse aux questions 139 et 140, que le brevet 417 ne prédit l’utilité que pour un composé étroitement apparenté, à savoir le composé 16‑phénoxy. Il précise ensuite que les essais confirmeraient si les prédictions sont justes et que l’on pouvait prédire que les résultats pharmacologiques seraient similaires, mais qu’il serait plus difficile de prédire les effets indésirables.

[455]       Au sujet de l’affirmation d’Apotex selon laquelle Alcon a dû déployer peu d’efforts pour réaliser l’invention, M. Klimko indique dans son affidavit, auquel sont jointes ses notes de laboratoire ainsi que la page couverture du rapport d’une étude réalisée en laboratoire, que des essais ont été menés sur des yeux de singe traités par laser entre le 3 et le 5 juin 1993. L’expérience a duré trois jours. Les essais menés chez le cobaye ont été réalisés deux fois, soit le 31 mars et le 14 juin 1993.

E.                 L’objet du brevet 287 était évident

[456]       À la lumière des présentations des deux parties et de la preuve des experts, l’application du critère énoncé dans l’arrêt Plavix m’amène à conclure que l’objet du brevet 287 était évident.

[457]       La personne versée dans l’art a été identifiée précédemment.

[458]       Les connaissances générales courantes ont été énoncées par Alcon et Apotex et ne sont pas, pour l’essentiel, contestées.

[459]       En l’espèce, l’analyse de l’évidence repose sur l’idée originale présentée dans les revendications. Pour répondre aux allégations d’évidence, Alcon soutient que l’idée originale comporte deux aspects. M. deLong, expert pour le compte d’Alcon, appuie l’approche à deux aspects, et sa preuve est axée sur les résultats étonnants par rapport au composé 16‑phénoxy des essais menés dans les modèles animaux; il considère que ces résultats ne sont pas évidents, ne vont pas de soi et demandent que l’on effectue un nombre relativement élevé d’essais pour déterminer si le profil d’effets indésirables et la diminution de la pression intraoculaire sont supérieurs par rapport au composé 16‑phénoxy.

[460]       Il ne s’agit toutefois pas de l’idée originale. La preuve de M. deLong doit faire l’objet d’un examen minutieux, parce que celui-ci se concentre sur les résultats des essais effectués dans des modèles animaux.

[461]       Comme je l’ai jugé précédemment, l’idée originale est l’utilisation d’une quantité thérapeutiquement efficace de travoprost ou d’une composition ophtalmique contenant une quantité thérapeutiquement efficace de travoprost pour le traitement du glaucome avec un profil d’effets indésirables acceptable. Autrement dit, l’invention est le fait que le travoprost sera efficace dans le traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire.

[462]       L’efficacité thérapeutique ou un profil thérapeutique acceptable ne signifient pas que la diminution de la PIO doit être considérablement supérieure à celle observée avec les composés étudiés dans le cadre du brevet 417 tout en entraînant des effets indésirables moindres, mais plutôt que la diminution doit être acceptable, ou tout aussi acceptable que celle observée dans le brevet 417.

[463]       Les différences entre l’« état de la technique » et cette idée originale sont ce sur quoi repose l’analyse de l’évidence.

[464]       La position d’Alcon est que les résultats des essais menés avec le composé 16‑phénoxy étaient médiocres, qu’ils auraient éloigné la personne versée dans l’art de ce composé et que la découverte des avantages du travoprost était donc surprenante.

[465]       Comme il a été mentionné précédemment au sujet de l’analyse des allégations d’antériorité, la preuve était contradictoire quant aux essais menés avec le composé 16‑phénoxy qui étaient mentionnés dans le brevet 417. Quant aux allégations d’évidence, la preuve des experts au sujet des essais mentionnés dans le brevet 417 et dans les autres documents de l’art antérieur de même que les connaissances générales courantes ne m’ont pas convaincue que le profil était inacceptable ou que cela aurait éloigné la personne versée dans l’art, bien que les essais n’aient pas révélé qu’il s’agissait du meilleur composé parmi ceux qui étaient à l’étude.

[466]       Cependant, si les résultats associés au composé 16‑phénoxy étaient aussi médiocres que le soutient Alcon, je me demande pourquoi cette dernière l’a soumis à des essais et pourquoi elle a décrit les résultats surprenants de façon aussi restrictive.

[467]       La preuve présentée par M. deLong, expert pour le compte d’Alcon, au paragraphe 207 de son affidavit était liée à son opinion selon laquelle l’idée originale était la promesse restreinte des résultats des essais. Il a pris soin de préciser que [traduction] « [p]ar conséquent, il n’allait pas de soi que les résultats des essais menés avec l’ester isopropylique du fluprosténol correspondraient à ceux qui étaient présentés dans le brevet 287 ou que le composé serait utile à des fins thérapeutiques, comme l’avaient prévu de façon raisonnable les inventeurs ».

[468]       Il pourrait bien en être ainsi, mais l’idée originale n’est pas la série de résultats surprenants ou précis que l’on a obtenus dans le cadre des essais réalisés sur des animaux.

[469]       L’idée originale est uniquement l’efficacité thérapeutique, et, en ce sens, il n’y a aucune différence par rapport à l’état de la technique.

[470]       À la lumière de la preuve présentée par MM. Mittag et Wolff en qualité d’experts, qui avaient compris que l’idée originale était l’utilisation d’une quantité thérapeutiquement efficace de travoprost ou d’une composition ophtalmique contenant une quantité thérapeutiquement efficace de travoprost pour le traitement du glaucome avec un profil d’effets indésirables acceptable, il n’y a aucune différence entre l’état de la technique, les connaissances générales courantes et l’invention telle qu’elle est revendiquée.

[471]       Selon la preuve qu’ils présentent, et que j’accepte, bien qu’il n’y ait eu aucune certitude que le travoprost serait efficace pour traiter le glaucome et l’hypertension oculaire et qu’il aurait un profil thérapeutique acceptable, la personne versée dans l’art ferait cette prédiction en ayant des attentes relativement élevées quant aux chances de succès.

[472]       Cette position est fondée sur les enseignements du brevet 417 et, s’il est besoin de l’étayer davantage, sur les travaux de M. Woodward. Le brevet 417 révélait des résultats d’essais acceptables pour le composé 16‑phénoxy, de sorte que la personne versée dans l’art s’attendrait à ce que le travoprost ait un profil d’effets indésirables favorable ou, à tout le moins, acceptable.

[473]       Bien que, en 1993, M. Woodward n’ait pas cherché à caractériser les effets indésirables, les experts se sont tous entendus pour dire qu’il cherchait des médicaments contre le glaucome. Il était également notoire qu’il fallait tenir compte des préoccupations relatives aux effets indésirables dans le cas des médicaments visant à traiter le glaucome.

[474]       Il était évident de tenter de fabriquer le travoprost. Comme il a été mentionné précédemment, il allait plus ou moins de soi que cela fonctionnerait. Bien qu’il ne se soit pas agi d’une certitude absolue, cela était bien plus que quelque chose « valant d’être tenté », étant donné les résultats présentés dans le brevet 417, l’état de la technique et les connaissances générales courantes.

[475]       Bien qu’il y ait eu d’autres PG qui faisaient l’objet d’essais relativement au traitement du glaucome, les experts se sont entendus pour dire que le brevet 417 était au centre de l’attention et qu’il avait divulgué comment résoudre la question des effets indésirables.

[476]       Je partage l’avis d’Apotex selon lequel les différences entre les composés visés par le brevet 287 et le brevet 417 pour le traitement du glaucome avec un profil thérapeutique acceptable n’étaient pas inventives, mais simplement confirmatives.

[477]       Alcon demande pourquoi, si les efforts qu’elle a déployés pour mettre au point le travoprost n’étaient pas inventifs, d’autres ne l’ont pas inventé avant elle, étant donné que le fluprosténol était connu depuis les années 1970. Comme le souligne Apotex, le brevet 417 a été publié en 1990, et non dans les années 1970, et M. Woodward a publié ses observations en 1989 et en 1993. Par conséquent, la période la plus pertinente en ce qui concerne l’état de la technique est celle du début des années 1990.

[478]       La preuve ne corrobore pas l’affirmation d’Alcon voulant que cela n’allait pas de soi et qu’il avait fallu déployer des efforts et mener des essais considérables pour réaliser l’invention. La suggestion d’Alcon selon laquelle le fait de mener des essais dans divers modèles animaux vivants était relativement nouveau au début des années 1990, était chronophage et était onéreux n’est pas convaincante, étant donné que d’autres chercheurs, notamment MM. Stjernschantz et Woodward, avaient déjà effectué des essais sur des animaux.

[479]       L’affidavit de M. Klimko indique que les essais avaient été effectués relativement rapidement, sur une période de quelques jours; cela ne semble pas onéreux du tout.

[480]       Bien que les essais puissent être coûteux, cela n’est pas nécessairement dissuasif pour une grande société pharmaceutique.

[481]       Il semble donc que les essais que devait mener Alcon étaient courants, tout comme le feraient d’autres inventeurs en ayant de bonnes attentes quant aux chances de succès pour confirmer que le travoprost est utile dans le traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire.

[482]       Les inventeurs avaient un motif de chercher une solution aux effets indésirables associés aux prostaglandines : le brevet 417 divulguait une solution; des essais cliniques sur le latanoprost étaient en cours; M. Woodward avait publié les résultats de ses études, quoique sans données précises sur les effets indésirables; le fluprosténol était bien connu. Ces faits, conjugués aux connaissances générales courantes, motiveraient la personne versée dans l’art à mettre au point le travoprost, et elle obtiendrait les mêmes résultats que ceux présentés dans le brevet 417, c’est‑à‑dire une efficacité thérapeutique contre le glaucome et l’hypertension oculaire.

[483]       En conclusion, je suis d’avis que les allégations d’évidence sont justifiées.

XVII.    CONCLUSIONS ET DÉPENS

[484]       L’examen que j’ai fait des positions des deux parties et du volumineux dossier de preuve a été étayé par les observations des avocats, qui ont défendu de manière claire et détaillée leurs positions respectives, de même que par leurs observations sur le droit et la science. J’ai également apprécié les éléments de preuve bien structurés qui ont été présentés sous la forme de journaux et de recueils.

[485]       Pour les motifs énoncés ci‑dessus, j’ai conclu que les allégations d’invalidité pour cause d’antériorité et d’évidence étaient justifiées. L’allégation d’absence d’utilité démontrée ou valablement prédite est injustifiée.

[486]       En définitive, la demande d’interdiction sera rejetée.

[487]       Pour ce qui est des dépens, la défenderesse Apotex a droit à ceux qui sont prévus au milieu de la colonne IV du tarif B.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                   La demande de la demanderesse en vue d’obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer à Apotex un avis de conformité pour son produit (Apo‑Travoprost) jusqu’à l’expiration du brevet canadien 287, soit le 3 août 2014, est rejetée.

2.                   Les défendeurs ont droit aux dépens dans le cadre de la présente demande.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

 

C. Laroche


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1666‑12

 

INTITULÉ :

ALCON CANADA INC ET ALCON RESEARCH, LTD c

APOTEX INC ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE

LES 12 ET 13 MAI 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS PUBLICS :

LA JUGE KANE

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 8 août 2014

 

COMPARUTIONS :

Gunars Gaikis

Sheldon Hamilton

Tracey Stott

 

POUR LES demanderesseS

ALCON CANADA INC. ET AUTRE

Andrew Brodkin

Dino Clarizio

Jordan Scopa

 

POUR LA défenderesse

APOTEX INC.

Nul n’a comparu

POUR LE DÉFENDEUR

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Smart & Biggar LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES demanderesseS

ALCON CANADA INC. ET AUTRE

 

Goodman’s LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA défenderesse

APOTEX INC.

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

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