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Date : 20140808


Dossier : IMM-3086-13

Référence : 2014 CF 790

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 8 août 2014

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

SUBITHA THIRESA XAVIER DE SILVA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi].

[2]               La contestation porte sur une décision par laquelle un agent des visas a conclu comme suit : [traduction] « Je ne suis pas convaincu que vous n’êtes pas interdite de territoire comme l’exige le paragraphe 11(1), et votre demande est par conséquent refusée ». La demanderesse affirme qu’elle aurait dû être admise au Canada. Elle soutient qu’il ne suffisait pas que l’agent des visas déclare qu’il n’était pas [traduction] « convaincu qu’elle n’était pas interdite de territoire ». Elle soutient plutôt que l’agent des visas devait la déclarer interdite de territoire pour pouvoir refuser sa demande.

[3]               Dans ses observations écrites, la demanderesse mentionnait qu’elle sollicitait des brefs de mandamus et de prohibition. Toutefois, dans les réparations sollicitées dans sa conclusion, la demanderesse se borne à solliciter une ordonnance prescrivant que l’affaire soit jugée de nouveau, vraisemblablement par un autre agent des visas. C’est en fonction de cette conclusion que la Cour se prononcera.

I.                   Les faits

[4]               Madame Xavier de Silva cherche à obtenir le statut de résidente permanente au Canada après avoir été sélectionnée par la province de Québec dans la catégorie des investisseurs. Elle a obtenu un certificat de sélection du Québec. Malgré ce certificat, elle a été refusée par Immigration Canada. La décision datée du 7 février 2013 énonce plusieurs raisons pour lesquelles le visa qu’elle réclame lui est refusé. À l’appui de cette décision, on trouve par ailleurs une quantité importante de notes versées au Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (le STIDI) qui complètent les motifs invoqués pour justifier le refus.

[5]               Dans la lettre de décision du 7 février 2013, on reproche à la demanderesse de ne pas avoir exposé avec suffisamment de précisions, de détails et de clarté ses antécédents personnels, notamment en ce qui concerne les trois aspects suivants. En premier lieu, bien que la demanderesse affirme avoir travaillé pour une société, il a été impossible, en raison de ses contradictions et de ses réponses évasives et malgré plusieurs questions précises qui lui ont été posées au sujet de son emploi, de savoir avec précision à quel moment la demanderesse avait travaillé pour cette société. De plus, les renseignements communiqués par la demanderesse au sujet de l’emploi qu’elle aurait exercé à la Bank of Credit and Commerce International [BCCI] étaient très nébuleux. Interrogée par l’agent des visas au sujet de la date à laquelle elle avait joint les rangs de cette société, les postes qu’elle avait occupés et la nature des fonctions qu’elle avait exercées, la demanderesse s’est contentée de répondre qu’elle avait suivi une formation dans divers domaines. Enfin, la demanderesse n’a pas clairement et sans hésitation donné les diverses adresses où elle avait habité.

[6]               La juridiction de révision ne peut utiliser les notes versées au STIDI que pour compléter au besoin les motifs de la décision qui a été rendue (Veryamani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1268; Ziaei c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1169; Toma c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 779; Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1298). Les notes STIDI comptent plusieurs pages dans le cas qui nous occupe. Lorsqu’on les lit au complet, on a la nette impression qu’il y a eu de nombreux échanges entre Immigration Canada et la demanderesse. De plus, leur lecture permet de comprendre la motivation derrière plusieurs des questions qui ont été posées. On lit par exemple ce qui suit :

[traduction

a)                  L’intéressée devra communiquer tous les détails de l’emploi qu’elle a exercé à la Bank of Credit and Commerce International (BCCI) de 1978 à 1986 : la date de son entrée en fonction, les postes qu’elle a occupés et les fonctions qu’elle a exercées pour chacun des postes en question, les promotions qu’elle a obtenues, les bureaux, succursales et filiales où elle a travaillé et leur adresse, la question de savoir si l’un ou l’autre des volets internationaux de BCCI lui a déjà prêté de l’argent, les raisons pour lesquelles elle a quitté BCCI en 1986, et la question de savoir si elle a été contactée, interrogée, assignée à comparaître, poursuivie (au civil ou au criminel) ou si elle a de toute autre manière joué un rôle dans des procédures réglementaires, de liquidation ou criminelles concernant les sociétés BCCI ou ses administrateurs ou employés. (Notes du 2 août 2012)

b)                  En ce qui concerne le poste qu’elle a déjà occupé à la Bank of Credit and Commerce International (BCCI), cette institution est bien connue pour ses activités illégales un peu partout dans le monde, y compris aux États‑Unis, en Europe, au Moyen‑Orient et en Asie du Sud (y compris au Sri Lanka) jusqu’à ce qu’elle ferme ses portes et soit dissoute à compter de 1992. Bien que l’intéressée ait indiqué la Bank of Credit and International Commerce comme employeur sur les formulaires qu’elle a remplis, elle n’a pas corrigé le fait que j’avais identifié BCCI comme étant son employeur et a continué à parler de BCCI comme étant son employeur dans ses réponses, de sorte que je suis convaincu qu’elle a effectivement travaillé pour BCCI au Sri Lanka. Compte tenu des problèmes bien connus entourant BCCI, je lui ai posé des questions précises dans ma lettre du 27 août 2012 pour savoir la date à laquelle elle avait commencé à travailler pour cette société, les postes qu’elle avait occupés, les fonctions qu’elle avait exercées, etc. Ces réponses sont vagues et n’offrent aucun des détails réclamés. Elle se contente de mentionner qu’elle a suivi une formation dans divers domaines, ajoutant « etc. » à la fin, et elle évite d’aborder plusieurs des sujets soulevés. (Notes du 12 octobre 2012)

Il semble qu’une question aussi simple que les diverses adresses où la demanderesse aurait habité a causé des difficultés. Voici ce qu’on lit dans l’extrait suivant des notes :

[traduction

c)                  J’ai également remarqué, en examinant le formulaire prévu à l’annexe A qu’elle venait de soumettre, que la liste des adresses où elle aurait habité a sensiblement été modifiée, qu’elle a ajouté avoir résidé aux États‑Unis au cours de la période précédant la première demande. Malgré le fait que nous avons appris que l’intéressée avait habité aux États‑Unis, il est clair qu’elle n’a pas révélé comme elle le devait ce fait au moment où elle a soumis sa demande en 2010. (Notes du 12 octobre 2012)

[7]               On trouve également une analyse plus détaillée de la demande dans les notes versées au dossier de la STIDI du 12 octobre 2012 :

[traduction

La Loi oblige la demanderesse à répondre complètement et véridiquement aux questions qui lui sont posées lors de son interrogatoire. Or, j’estime que jusqu’ici, ses réponses ne satisfont pas à cette exigence, malgré le fait qu’on lui a amplement donné l’occasion de le faire. Comme on ignore toujours les détails entourant les postes qu’elle a occupés au sein d’une banque qui est une institution criminelle bien connue, et compte tenu également des détails contradictoires et confus qu’elle a donnés au sujet de ses autres expériences de travail et des diverses adresses où elle a résidé, je ne suis pas convaincu qu’elle n’est pas interdite de territoire comme l’exige le paragraphe 11(1) de la Loi. Sa demande est par conséquent refusée.

II.                Prétentions et moyens des parties

[8]               La demanderesse conteste cette décision en faisant valoir que l’agent des visas devait la déclarer interdite de territoire. À son avis, le simple fait de « ne pas être convaincu qu’elle était interdite de territoire » ne suffit pas. L’agent des visas devait franchir une étape de plus et expliquer les raisons pour lesquelles elle était « interdite de territoire ».

[9]               La demanderesse soutient essentiellement que l’agent des visas pouvait uniquement la déclarer interdite de territoire pour l’un des motifs énumérés à la section 4 de la partie 1 de la Loi (articles 33 à 43). Or, aucune conclusion en ce sens n’a été tirée dans le cas qui nous occupe.

[10]           La demanderesse trouve un appui à l’alinéa 12b) de l’Accord Canada–Québec conclu le 5 février 1991 (Accord Canada-Québec relatif à l’immigration et à l’admission temporaire des aubains, Hull (Québec), Emploi et Immigration Canada, 1991 [l’Accord ou l’Accord Canada-Québec]). Cette disposition est ainsi libellée :

Les immigrants

Immigrants

12. Sous réserve des articles 13 à 20 :

12. Subject to sections 13 to 20,

a) Le Québec est seul responsable de la sélection des immigrants à destination de cette province et le Canada est seul responsable de l’admission des immigrants dans cette province.

(a) Québec has sole responsibility for the selection of immigrants destined to that province and Canada has sole responsibility for the admission of immigrants to that province.

b) Le Canada doit admettre tout immigrant à destination du Québec qui satisfait aux critères de sélection du Québec, si cet immigrant n’appartient pas à une catégorie inadmissible selon la loi fédérale.

(b) Canada shall admit any immigrant destined to Québec who meets Québec’s selection criteria, if the immigrant is not in an inadmissible class under the law of Canada.

c) Le Canada n’admet pas au Québec un immigrant qui ne satisfait pas aux critères de sélection du Québec.

(c) Canada shall not admit any immigrant into Québec who does not meet Québec’s selection criteria.

[11]           L’Accord Canada-Québec porte sur la sélection des personnes qui souhaitent résider de façon temporaire ou permanente au Québec et sur leur admission au Canada. Ainsi qu’il ressort de l’alinéa 12b) de l’Accord, le Québec est chargé de la sélection des immigrants, mais ceux‑ci ne doivent pas être interdits de territoire au Canada.

[12]           Compte tenu du fait que l’Accord parle de « catégorie inadmissible », la demanderesse affirme que le Canada ne peut exclure que les personnes appartenant à une catégorie inadmissible, c’est‑à‑dire les personnes visées à la section 4.

[13]           À titre subsidiaire, Mme Xavier de Silva soutient que les divergences, les omissions et les difficultés que le défendeur a obtenues en réponse à ses demandes de renseignements ne constituent pas des conclusions permettant raisonnablement de conclure à l’interdiction de territoire. L’analyse de l’arrêt Dunsmuir en matière de raisonnabilité s’applique.

[14]           Comme on pouvait s’y attendre, le défendeur adopte le point de vue suivant lequel la décision de l’agent des visas doit être confirmée. Les « lettres d’équité » adressées à la demanderesse le 27 juillet 2012 et le 27 août 2012 lui accordaient la possibilité de répondre entièrement aux questions soulevées et elles étaient assez explicites. Le défaut de la demanderesse de répondre pleinement contrevient à son obligation de répondre véridiquement aux questions qui lui étaient posées lors du contrôle au sens de l’article 16 de la Loi. Par conséquent, l’agent des visas a employé les termes mêmes du paragraphe 11(1) de la Loi et a rendu la seule décision qu’il pouvait rendre en l’occurrence. Cette décision est raisonnable. De plus, il ressort à l’évidence des renseignements demandés que l’agent des visas était préoccupé par ce qui était qualifié dans le mémoire d’« interdiction de territoire pour cause de criminalité ». L’agent des visas n’était pas expressément tenu de conclure à l’interdiction de territoire et, suivant le défendeur, la version des faits de la demanderesse comportait tellement d’incohérences que c’est à bon droit que l’agent a conclu qu’il ne disposait pas d’un tableau assez complet de la situation de la demanderesse.

III.             Norme de contrôle

[15]           La demanderesse affirme que la norme de contrôle applicable à la première question est celle de la décision correcte, étant donné que cette question porte sur l’interprétation qu’il convient de donner à des lois et à des règlements. Le seul précédent qu’elle a cité est l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]. Elle admet que la seconde question est assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable.

[16]           Le défendeur affirme que la première question porte sur l’absence de compétence de refuser une demande au motif que l’intéressé a été sélectionné comme investisseur dans la catégorie des entrepreneurs par la province de Québec. La norme de contrôle de la décision correcte est celle qui convient à son avis. Les parties s’entendent pour dire que la seconde question est assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable.

IV.             Analyse

[17]           La première question à aborder est celle de la norme de contrôle applicable. Les parties s’entendent pour dire que la question de savoir si les faits allégués étayent la décision relative à l’interdiction de territoire de la demanderesse devrait être contrôlée selon la norme de la décision raisonnable. Je suis de cet avis. Les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit commandent la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir, au paragraphe 51).

[18]           Toutefois, la première question doit également être examinée selon la norme de contrôle de la décision raisonnable, contrairement à ce que les parties ont affirmé. À mon avis, l’arrêt Dunsmuir établissait déjà que quatre catégories des questions de droit commandent le contrôle judiciaire selon la norme de la décision correcte. Ma collègue la juge Gleason a offert une analyse utile de la jurisprudence de la Cour suprême du Canada depuis l’arrêt Dunsmuir dans le jugement Diabate c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 129. Il vaut la peine de reproduire intégralement les paragraphes 11 à 14 de ses motifs :

[11]           Cependant, d’après la jurisprudence récente de la Cour suprême du Canada, lorsque, comme c’est le cas ici, un décideur interprète sa loi constitutive, c’est la norme de la décision raisonnable qui devrait s’appliquer (voir les arrêts suivants : Celgene Corp c Canada (Procureur général), 2011 CSC 1, au paragraphe 34, [2011] 1 RCS 3 [Celgene]; Alliance Pipeline Ltd c Smith, 2011 CSC 7, au paragraphe 28, [2011] 1 RCS 160 [Smith]; Dunsmuir, au paragraphe 54; Canada (Procureur général) c Mowat, 2011 CSC 53, au paragraphe 16, [2011] 3 RCS 471 [Mowat]; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers Association, 2011 CSC 61, au paragraphe 30, 339 DLR (4th) 428 [Alberta Teachers]. Voir aussi le raisonnement suivi par ma collègue la juge Mactavish dans la décision Commission canadienne des droits de la personne c Canada (Procureur général), 2012 CF 445, aux paragraphes 231 à 241, 215 ACWS (3d) 439 [Société de soutien]).

 

[12]           Plus précisément, depuis l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême reconnaît que « [l]orsqu’un tribunal administratif interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie, la déférence est habituellement de mise » (au paragraphe 54). Ce propos a été réitéré dans l’arrêt Khosa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CSC 12, au paragraphe 44, [2009] 1 RCS 339 [Khosa], une affaire qui relevait de la LIPR : « Selon l’arrêt Dunsmuir […], un décideur spécialisé ne commet pas d’erreur de droit justifiant une intervention si son interprétation de sa loi constitutive ou d’une loi étroitement liée est raisonnable. » L’affaire Khosa mettait en cause une décision discrétionnaire de la Section d’appel de l’immigration [la SAI] concernant le point de savoir s’il convenait d’envisager une dispense CH dans un cas de renvoi pour cause de criminalité. La décision qu’avait rendue la SAI était d’une nature très semblable à celle dont il s’agit ici – et la Cour suprême a jugé que la norme de la décision raisonnable était la norme applicable.

 

[13]           Dans l’arrêt Celgene, la Cour suprême du Canada mettait à nouveau en question la notion antérieure selon laquelle c’est la norme de la décision correcte qui devrait s’appliquer à l’interprétation que donne de sa loi constitutive un tribunal spécialisé :

 

34        Nous sommes en présence d’un tribunal expert qui interprète sa propre loi habilitante. La déférence est habituellement de mise dans de telles circonstances […] Ce n’est donc que dans les cas où la décision du Conseil est déraisonnable qu’elle est annulée. Comme l’a dit notre Cour dans Dunsmuir, pour être jugée déraisonnable la décision contestée ne doit pas faire partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (par. 47). En l’espèce, je considère que, loin de se situer à l’extérieur de l’éventail de ces issues, la décision du Conseil est inattaquable, quelle que soit la norme de contrôle appliquée.

 

[14]           Dans l’arrêt Smith, précité, les juges majoritaires sont arrivés à la même conclusion. Le juge Fish y rappelait l’arrêt Dunsmuir, en affirmant que l’interprétation, par un organisme administratif, de sa loi constitutive « entraîne généralement l’application de la norme de contrôle de la décision raisonnable », suivant l’arrêt Dunsmuir et la jurisprudence qui l’a suivi (au paragraphe 28). Pareillement, dans l’arrêt Mowat, la Cour suprême faisait observer que, « lorsqu’il s’agit d’interpréter et d’appliquer sa propre loi, dans son domaine d’expertise et sans que soit soulevée une question de droit générale, la norme de la décision raisonnable s’applique habituellement, et le Tribunal a droit à la déférence » (au paragraphe 24). Finalement, dans l’arrêt Alberta Teachers Association, au paragraphe 30, les juges majoritaires de la Cour suprême écrivaient ce qui suit à propos de l’interprétation, par un organisme, de sa loi constitutive :

 

[…] Suivant la jurisprudence, « [l]orsqu’un tribunal administratif interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie, la déférence est habituellement de mise » […] Le principe ne vaut cependant pas lorsque l’interprétation de la loi constitutive relève d’une catégorie de questions à laquelle la norme de la décision correcte demeure applicable, à savoir les « questions constitutionnelles, [les] questions de droit qui revêtent une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et qui sont étrangères au domaine d’expertise du décideur, [les] questions portant sur la “délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents” [et] les questions touchant véritablement à la compétence » […]

[Renvois omis.]

[19]           Encore plus récemment, la Cour suprême a estimé que les questions concernant l’interprétation des lois étaient assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable (McLean c Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 RCS 895). Après avoir précisé que son analyse n’avait rien de nouveau et qu’elle « vise à favoriser la prévisibilité et la clarté en la matière » (au paragraphe 20), le juge Moldaver explique, au nom d’une Cour suprême unanime :

[32]      En clair, une disposition législative fera parfois l’objet de plusieurs interprétations raisonnables, car le législateur ne s’exprime pas toujours de manière limpide et les moyens d’interprétation législative ne garantissent pas toujours l’obtention d’une seule solution précise (Dunsmuir, par. 47; voir également Construction Labour Relations c. Driver Iron Inc., 2012 CSC 65, [2012] 3 R.C.S. 405). Tel est effectivement le cas en l’espèce, comme je l’explique ci‑après. Il faut donc se demander à qui il appartient de choisir entre ces interprétations divergentes raisonnables.

 

(Voir, de façon générale, « Wither the Correctness Standard of Review? Dunsmuir six years later », Wihak, Lauren J. (2014) 27 CJALP 173.)

[20]           La norme de contrôle applicable dans un cas donné est importante. Ainsi que la Cour l’a jugé dans l’arrêt Dunsmuir, (précité) :

[50]      […] La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.

[21]           Comme on le sait bien, la norme de la décision raisonnable suppose une certaine déférence face à la décision qui a été rendue. Et la déférence est une notion qui a un sens en droit. Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour a proposé les directives suivantes :

[48]      […] Que faut‑il entendre par déférence dans ce contexte? C’est à la fois une attitude de la cour et une exigence du droit régissant le contrôle judiciaire. Il ne s’ensuit pas que les cours de justice doivent s’incliner devant les conclusions des décideurs ni qu’elles doivent respecter aveuglément leurs interprétations. Elles ne peuvent pas non plus invoquer la notion de raisonnabilité pour imposer dans les faits leurs propres vues. La déférence suppose plutôt le respect du processus décisionnel au regard des faits et du droit. Elle « repose en partie sur le respect des décisions du gouvernement de constituer des organismes administratifs assortis de pouvoirs délégués » : Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554, p. 596, la juge L’Heureux‑Dubé, dissidente. Nous convenons avec David Dyzenhaus que la notion de [traduction] « retenue au sens de respect » n’exige pas de la cour de révision [traduction] « la soumission, mais une attention respectueuse aux motifs donnés ou qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision » : « The Politics of Deference : Judicial Review and Democracy », dans M. Taggart, dir., The Province of Administrative Law (1997), 279, p. 286 (cité avec approbation par la juge L’Heureux‑Dubé dans l’arrêt Baker, par. 65; Ryan, par. 49).

[22]           L’analyse à laquelle procède la juridiction de révision, qu’elle soit axée principalement sur des questions de fait ou sur des questions de fait et droit ou sur des questions de droit de la nature d’une interprétation de la loi constitutive d’un tribunal administratif ou d’une loi étroitement liée à son mandat « tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47).

[23]           Par conséquent, les deux questions posées dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable en faisant preuve d’une certaine déférence envers la décision qui a été rendue.

[24]           Selon la demanderesse, il ressort de l’effet combiné des articles 9 et 11 de la Loi et de l’article 12 de l’Accord que l’agent doit conclure à l’interdiction de territoire relativement à une catégorie déterminée. La demanderesse soutient que la conclusion tirée dans son cas n’était pas suffisamment explicite.

[25]           L’examen de toute question portant sur l’interprétation d’une disposition législative doit évidemment débuter avec l’examen de la loi habilitante. L’article 9 de la Loi prévoit un partage des responsabilités entre deux ordres de gouvernement lorsqu’un accord fédéro-provincial a été conclu au sens de l’article 8. La personne sélectionnée par une province doit se voir octroyer le statut de résident permanent sauf si elle est interdite de territoire. Le rôle du fédéral se borne à se prononcer sur l’interdiction de territoire. La sélection des candidats relève des provinces, mais le gouvernement fédéral conserve le devoir de décider de leur interdiction de territoire. L’alinéa 9(1)a) dispose :

Responsabilité provinciale exclusive : résidents permanents

Sole provincial responsibility — permanent residents

9. (1) Lorsqu’une province a, sous le régime d’un accord, la responsabilité exclusive de sélection de l’étranger qui cherche à s’y établir comme résident permanent, les règles suivantes s’appliquent à celui-ci sauf stipulation contraire de l’accord :

 

9. (1) Where a province has, under a federal-provincial agreement, sole responsibility for the selection of a foreign national who intends to reside in that province as a permanent resident, the following provisions apply to that foreign national, unless the agreement provides otherwise:

a) le statut de résident permanent est octroyé à l’étranger qui répond aux critères de sélection de la province et n’est pas interdit de territoire;

(a) the foreign national, unless inadmissible under this Act, shall be granted permanent resident status if the foreign national meets the province’s selection criteria;

[26]           Pour obtenir le statut de résident permanent, l’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, avoir obtenu un visa. C’est le paragraphe 11(1) qui s’applique en pareil cas :

Visa et documents

Application before entering Canada

11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

La Loi exige que l’agent soit convaincu que l’étranger n’est pas interdit de territoire. La version française parle de la délivrance d’un visa sur preuve que l’étranger n’est pas interdit de territoire. Par conséquent, le paragraphe 11(1) démontre que c’est à l’étranger qu’il incombe de démontrer qu’il n’est pas interdit de territoire.

[27]           La Loi impose à l’auteur de la demande l’obligation de répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées :

Obligation du demandeur

Obligation — answer truthfully

16. (1) L’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visa et documents requis.

16. (1) A person who makes an application must answer truthfully all questions put to them for the purpose of the examination and must produce a visa and all relevant evidence and documents that the officer reasonably requires.

[28]           La demanderesse affirme qu’il existe une certaine contradiction entre les articles en question. En toute déférence, je ne relève aucune discordance entre l’alinéa 9(1)a) et le paragraphe 11(1). La version française de ces deux dispositions est identique : la condition à respecter est de ne pas être interdit de territoire. La version anglaise de l’alinéa 9(1)a) emploie la formule « unless inadmissible under this Act », tandis que le paragraphe 11(1) recourt à une formulation plus alambiquée en proposant le critère suivant : « the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible ». Mais le sens est le même. Peu importe la décision prise par la province s’agissant de la sélection des candidats, le processus fédéral continue à s’appliquer pour tout ce qui concerne l’interdiction de territoire du candidat qui a été sélectionné.

[29]           Dans l’arrêt R c Quesnelle, 2014 CSC 46, la Cour suprême a récemment réaffirmé qu’« [u]ne règle d’interprétation législative veut que lorsque l’une des deux versions peut avoir deux sens dont un seul correspond à celui de l’autre version, il convient de retenir le sens commun (R. c. Daoust, 2004 CSC 6, [2004] 1 R.C.S. 217, par. 28) ». Dans le cas qui nous occupe, on ne voit pas comment on pourrait attribuer un autre sens au paragraphe 11(1). Il ressort uniquement de la formulation plus alambiquée que c’est au demandeur qu’il incombe de convaincre l’agent qu’il n’est pas interdit de territoire; la version française exprime le même sens : « délivrer sur preuve […] que l’étranger n’est pas interdit de territoire ». La demanderesse ne s’est pas acquittée de ce fardeau en l’espèce, étant donné que l’agent des visas n’était pas convaincu qu’elle n’était pas interdite de territoire. Aux termes du paragraphe 11(1), il suffit que le fardeau de la preuve n’ait pas été acquitté.

[30]           La demanderesse affirme que l’interprétation de l’alinéa 9(1)a) n’est pas complète sans renvoi à l’Accord Canada-Québec, en raison des mots « sauf stipulation contraire de l’Accord » au paragraphe 9(1). En ce qui concerne le partage des responsabilités entre les deux ordres de gouvernement, c’est l’article 12 de l’Accord Canada-Québec qui s’applique. Comme on le verra, l’article 12 parle du refus du Canada d’admettre l’immigrant qui « n’appartient pas à une catégorie admissible selon la loi fédérale ». Pour la demanderesse, il faut en conclure qu’elle peut être admise parce qu’elle n’appartient pas à une catégorie inadmissible.

[31]           Toutefois, l’examen de l’article 12 n’est pas complet sans renvoi à l’annexe D de l’Accord Canada-Québec, qui en fait partie suivant son article 34. C’est l’alinéa 3a) de l’annexe D qui s’applique. Il prévoit : « [D]ans la mesure où un immigrant investisseur satisfait aux exigences du Règlement québécois sur la sélection des ressortissants étrangers […], le Canada donnera une suite favorable à la sélection positive du Québec sous réserve des exigences statutaires d’admission du Canada. » Ainsi, bien que l’article 12 mentionne que l’étranger ne doit pas appartenir à une catégorie inadmissible, l’annexe parle des exigences légales à remplir pour pouvoir être admis au Canada.

[32]           Que doit faire l’agent des visas face à ces exigences? La demanderesse a‑t‑elle démontré que sa décision était déraisonnable? De toute évidence, l’agent des visas n’était pas convaincu par les réponses qu’il avait reçues aux questions légitimes auxquelles la demanderesse avait l’obligation de répondre véridiquement. L’article 40 de la Loi explique qu’emporte interdiction de territoire non seulement le fait de faire une présentation erronée sur un fait important, mais également les réticences sur ces faits. Voici le libellé de l’alinéa 40(1)a) de la Loi :

Fausses déclarations

Misrepresentation

40. (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

40. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

[…]

Manquement à la loi

Non-compliance with Act

41. S’agissant de l’étranger, emportent interdiction de territoire pour manquement à la présente loi tout fait — acte ou omission — commis directement ou indirectement en contravention avec la présente loi et, s’agissant du résident permanent, le manquement à l’obligation de résidence et aux conditions imposées.

41. A person is inadmissible for failing to comply with this Act

 

(a) in the case of a foreign national, through an act or omission which contravenes, directly or indirectly, a provision of this Act; and

 

(b) in the case of a permanent resident, through failing to comply with subsection 27(2) or section 28.

[33]           Le seul argument de la demanderesse est que l’interdiction de territoire doit se rapporter à une catégorie non admissible. Je suis d’accord avec elle pour dire que la question de l’interdiction de territoire doit être tranchée en fonction de la section 4. À mon avis, c’est là le lien commun entre l’article 12 de l’Accord Canada-Québec et les articles 9 et 11 de la Loi.

[34]           Toutefois, la lettre de décision officielle du 7 février 2013 ainsi que les notes versées au STIDI démontrent que l’agent des visas n’était pas convaincu que la demanderesse n’était pas interdite de territoire, comme l’exige le paragraphe 11(1), parce qu’en ne répondant pas véridiquement à des questions, elle a dans les circonstances de l’espèce manifesté une réticence sur des faits importants. Il s’agit là d’un motif d’interdiction de territoire permettant de conclure que « cet immigrant n’appartient pas à une catégorie inadmissible selon la loi fédérale » au sens de l’article 12 de l’Accord Canada-Québec. Il me semble que l’article 12 ait pour objet de s’assurer que la seule raison pour laquelle un candidat qui a été sélectionné par la province de Québec pourrait par ailleurs être exclu est que ce candidat est interdit de territoire parce qu’un facteur non prévu par la Loi le rend interdit de territoire en raison de son appartenance à une catégorie inadmissible au sens de la Loi. L’article 12 limite la portée des motifs invoqués pour exclure un candidat.

[35]           L’agent des visas a pour tâche de se prononcer sur l’admissibilité d’un candidat sélectionné. L’agent doit appliquer le paragraphe 11(1) de la Loi. Comme le candidat a déjà été sélectionné par la province, l’agent doit procéder à cet examen en fonction des catégories d’interdiction de territoire énumérées à la section 4.

[36]           L’agent des visas a estimé que les réticences sur des faits importants justifiaient la conclusion suivant laquelle il n’était pas convaincu que la demanderesse n’était pas interdite de territoire, ce qui est le critère prévu par la Loi. Je ne trouve rien dans le dossier qui permette de penser que la demanderesse n’appartiendrait pas à une catégorie non admissible. En fait, suivant le dossier, cette conclusion se défend. Cette interprétation est encore plus solide lorsqu’on tient compte du fait que l’annexe D de l’Accord Canada-Québec mentionne uniquement les « exigences statutaires d’admission du Canada ». En fin de compte, les dispositions en question prévoient que c’est le Canada qui se prononce sur l’admission. C’est ce que l’agent des visas a fait en s’en tenant au libellé même de la Loi (« sur preuve […] que l’étranger n’est pas interdit de territoire ») pour en arriver à sa conclusion.

[37]           Le libellé du paragraphe 11(1) sert à confirmer que c’est à l’étranger qu’il incombe de convaincre l’agent qu’il n’est pas interdit de territoire. Dans le cas d’un étranger qui a été sélectionné par une province, la seule question qui se pose au niveau fédéral est de vérifier si cette personne n’est pas interdite de territoire, c’est‑à‑dire si elle n’est pas visée par les dispositions de la section 4. La personne qui manifeste une réticence sur des faits importants est interdite de territoire pour fausses déclarations. Il en va de même à l’article 41 de la Loi, qui déclare qu’emporte interdiction de territoire le fait de contrevenir à la Loi.

[38]           La demanderesse se fonde jusqu’à un certain point sur le jugement Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 41. À titre incident, ainsi que lui-même l’a reconnu, le juge Kelen a déclaré sans se livrer à une analyse en ce sens, que le fait de ne pas être convaincu que le demandeur n’est pas interdit de territoire ne revient pas au même que le fait de déclarer qu’il est effectivement interdit de territoire. Le juge Kelen a estimé que l’agent des visas aurait pu déclarer le demandeur interdit de territoire en vertu des articles 40 et 41, ce qui n’avait pas été fait officiellement. Cela est quelque peu étonnant, compte tenu du fait que, dans sa décision, l’agent des visas avait, dans cette affaire, mentionné expressément les articles 11, 16 et 34 à 42 de la Loi.

[39]           De nos jours, on ne s’attend pas à ce que les tribunaux administratifs motivent parfaitement leurs décisions. D’ailleurs, le fait qu’une décision ne soit pas suffisamment motivée ne suffit pas à elle seule pour conclure qu’une décision n’est pas raisonnable. En tout état de cause, cette opinion incidente n’est guère persuasive, compte tenu du fait qu’il n’y a aucune analyse ou aucun raisonnement pour l’appuyer.

[40]           À l’audience, la demanderesse s’est opposée aux motifs invoqués par l’agent des visas qu’elle estime insuffisants. Ce motif ne suffit pas à lui seul dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Cette question a carrément été abordée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), [2011] 3 RCS 708, 2011 CSC 62 [Nurses’ Union]. Il me semble que la Cour ne pourrait guère être plus claire lorsqu’elle écrit ce qui suit, au paragraphe 14 :

[14]      Je ne suis pas d’avis que, considéré dans son ensemble, l’arrêt Dunsmuir signifie que l’« insuffisance » des motifs permet à elle seule de casser une décision, ou que les cours de révision doivent effectuer deux analyses distinctes, l’une portant sur les motifs et l’autre, sur le résultat (Donald J. M. Brown et John M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), §§12:5330 et 12:5510). Il s’agit d’un exercice plus global : les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles. Il me semble que c’est ce que la Cour voulait dire dans Dunsmuir en invitant les cours de révision à se demander si « la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité » (par. 47).

Les juridictions de révision doivent tenir compte du dossier ainsi que des arguments et de la procédure. Il vaut la peine de reproduire le paragraphe 18 de l’arrêt Nurses’ Union :

[18]      Dans Société canadienne des postes c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CAF 56, [2011] 2 R.C.F. 221, le juge Evans précise, dans des motifs confirmés par notre Cour (2011 CSC 57, [2011] 3 R.C.S. 572), que l’arrêt Dunsmuir cherche à « [éviter] qu’on [aborde] le contrôle judiciaire sous un angle trop formaliste » (par. 164). Il signale qu’« [o]n ne s’atten[d] pas à de la perfection » et indique que la cour de révision doit se demander si, « lorsqu’on les examine à la lumière des éléments de preuve dont il disposait et de la nature de la tâche que la loi lui confie, on constate que les motifs du Tribunal expliquent de façon adéquate le fondement de sa décision » (par. 163). J’estime que la description de l’exercice que donnent les intimées dans leur mémoire est particulièrement utile pour en décrire la nature :

 

                        [traduction]  La déférence est le principe directeur qui régit le contrôle de la décision d’un tribunal administratif selon la norme de la décision raisonnable. Il ne faut pas examiner les motifs dans l’abstrait; il faut examiner le résultat dans le contexte de la preuve, des arguments des parties et du processus. Il n’est pas nécessaire que les motifs soient parfaits ou exhaustifs. [par. 44]

 

 

[41]           En fait, les juges saisis d’une demande de contrôle judiciaire ne sont pas à l’affût d’imperfections, de contradictions ou de raisons de ne pas être d’accord avec l’auteur de la décision. Au contraire, ils sont invités à d’abord chercher à les compléter avant de tenter de les contrecarrer. L’extrait suivant de l’important ouvrage du professeur Dyzenhaus, « The Politics of Deference : Judicial Review and Democracy », cité par la Cour dans l’arrêt Nurses’ Union a été repris dans l’arrêt Sattva Capital Corp c Creston Moly Corp, 2014 CSC 53, au paragraphe 110 :

[traduction] Le « caractère raisonnable » s’entend ici du fait que les motifs étayent, effectivement ou en principe, la conclusion. Autrement dit, même si les motifs qui ont en fait été donnés ne semblent pas tout à fait convenables pour étayer la décision, la cour de justice doit d’abord chercher à les compléter avant de tenter de les contrecarrer. Car s’il est vrai que parmi les motifs pour lesquels il y a lieu de faire preuve de retenue on compte le fait que c’est le tribunal, et non la cour de justice, qui a été désigné comme décideur de première ligne, la connaissance directe qu’a le tribunal du différend, son expertise, etc., il est aussi vrai qu’on doit présumer du bien‑fondé de sa décision même si ses motifs sont lacunaires à certains égards. [Soulignement ajouté par la juge Abella; par. 12.]

(Citation de D. Dyzenhaus, « The Politics of Deference :  Judicial Review and Democracy », dans M. Taggart, dir., The Province of Administrative Law (1997), 279, p. 304.)

 

 

Dans le cas qui nous occupe, c’est le type même d’analyse qui amène la Cour à conclure que la décision est raisonnable. Certes, la décision aurait pu être plus explicite. Mais son manque de précision n’enlève rien au fait qu’une véritable décision a été prise : la demanderesse n’a pas convaincu l’agent des visas qu’elle n’était pas interdite de territoire en raison de sa réticence sur des faits importants se rapportant à une question pertinente.

[42]           C’est à l’agent des visas qu’il appartenait d’appliquer l’article 11 de la Loi. On ne peut guère lui reprocher d’avoir repris le libellé employé par le législateur. La conclusion de l’agent ne contredit pas l’article 9 de la Loi. Il convient de rapprocher l’article 9 et l’article 11 de la Loi. Pour interpréter une loi, on ne doit pas présumer que celle‑ci comporte des lacunes et des contradictions, mais plutôt que [traduction] « [...] les dispositions de la loi se combinent pour former un ensemble cohérent et plausible » (Ruth Sullivan, Sullivan and Driedger on The Construction of Statutes, 4e éd. (Markham : LexisNexis Butterworths Canada, 2002), à la page 283). Cette manière de voir est illustrée de façon éloquente dans le jugement Melnychuk c Heard (1963), 45 WWR 257, à la page 263 :

[traduction]

Le tribunal doit tenir compte non pas uniquement d’un seul article, mais de tous les articles d’une loi, y compris la relation d’un article avec les autres, la relation d’un article avec l’objet général que vise la loi en cause, l’importance de l’article, la portée entière de la loi et l’intention véritable de l’autorité qui l’a adoptée.

[43]           La seconde question soulevée concerne l’importance des fausses déclarations alléguées qui, pour reprendre les paroles de la demanderesse, pourraient plus exactement être qualifiées de réticences à communiquer des renseignements par un refus de répondre à des questions légitimes.

[44]           Il incombe, là encore, à la demanderesse de démontrer que les conclusions qui ont été tirées sont déraisonnables. Or, elle n’a pas fait cette démonstration. Celui qui souhaite immigrer au Canada en qualité de membre de la catégorie des investisseurs doit s’attendre à ce qu’on lui pose des questions au sujet de ses placements et de son emploi. Dans le jugement Kasisavanh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1090, notre Cour a qualifié de légitimes ce genre de questions. La Cour d’appel fédérale a tiré la même conclusion dans l’arrêt Biao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 43, en répondant par la négative à la question certifiée suivante :

[1]        Nous sommes d’avis que cet appel doit être rejeté avec dépens et qu’il y a lieu de répondre par la négative à la présente question certifiée par le juge des requêtes :

Does the Canada-Quebec Accord limit the jurisdiction of the visa officer to question the source of funds of a Quebec-destined applicant for permanent residence in Canada, in order to establish the applicant’s admissibility?

Il nous apparaît évident qu’il n’y a pas d’incompatibilité au niveau des pouvoirs et des fonctions des deux signataires de l’Accord Canada-Québec relatif à l’immigration au Québec. L’article 12 de cet Accord énonce que le gouvernement fédéral est le titulaire de l’autorité pour admettre des immigrants au Québec et que le gouvernement du Québec est celui qui a la responsabilité et les pouvoirs de sélection des immigrants qui demandent à s’installer au Québec. Il va sans dire que la sélection par les autorités québécoises se fait et s’exerce parmi les immigrants admissibles.

La Cour d’appel fédérale a d’ailleurs précisé sa pensée en expliquant ce qui suit :

[2]        Quant au mérite même de l’appel, nous croyons que le juge des requêtes n’a commis aucune erreur lorsqu’il a conclu que l’agent des visas était justifié de refuser la demande de résidence permanente au Canada faite par l’appelant au motif que ce dernier n’a pas fourni les documents nécessaires pour établir que son admission au Canada ne contreviendrait pas à la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, tel qu’amendée et à ses règlements, le tout tel que requis les articles 8 et 9 de ladite loi.

[45]           L’obligation de répondre ne fait aucun doute. Il ressort à l’évidence du dossier que la demanderesse a choisi de ne pas répondre. Il est difficile d’imaginer qu’une personne qui souhaite immigrer au Canada en qualité de membre de la catégorie des investisseurs puisse raisonnablement éviter d’informer l’agent des visas de son rôle, pendant huit ans, au sein d’une institution financière « bien connue pour ses activités illégales un peu partout dans le monde ». De même, il n’était pas difficile de répondre aux questions posées au sujet de l’emploi et des lieux de résidence. Compte tenu des circonstances de la présente affaire, il était raisonnable de poser des questions et, en dépit des tentatives répétées de la demanderesse de justifier ses refus de répondre, l’agent était justifié de conclure qu’il n’était pas convaincu que la demanderesse n’était pas interdite de territoire. La demanderesse ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait.

[46]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[47]           Les parties ont soumis deux questions différentes à certifier. La demanderesse a retiré la question qu’elle avait d’abord soumise et en a proposé une autre. Ce que le défendeur propose, pour sa part, est que la question que la demanderesse avait à l’origine proposée soit celle qui soit certifiée. Dans un cas comme dans l’autre, les parties ont défendu leur cause en partant du principe qu’elle était assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte et, par conséquent, qu’il n’y avait qu’une seule bonne réponse. Ce n’est pas sous cet angle que la Cour aborde la question.

[48]           Suivant la Cour d’appel fédérale, « [l]orsqu’il certifie une question sous le régime du paragraphe 83(1), le juge des requêtes doit être d’avis que cette question transcende les intérêts des parties au litige, qu’elle aborde des éléments ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale [...] et qu’elle est aussi déterminante quant à l’issue de l’appel » (Liyanagamage c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1994), 176 NR 4). À mon avis, la présente affaire ne satisfait pas aux exigences de ce critère. Les faits de la présente affaire sont particuliers, et je ne vois pas comment on pourrait dire qu’elle porte sur des éléments qui sont de portée générale. D’ailleurs, les questions proposées ne transcendent pas les intérêts des parties au litige. Il s’agit d’une situation dans laquelle l’agent des visas a choisi de s’exprimer en reprenant le libellé de la Loi. Vu l’ensemble du dossier, l’agent des visas ne pouvait en arriver qu’à la conclusion qu’il a tirée, en l’occurrence que la demanderesse avait fait une réticence sur des faits importants, ce qui constitue une fausse déclaration au sens de l’article 40 de la Loi, qui prévoit qu’« emporte interdiction de territoire pour fausses déclarations le fait pour un étranger de faire une réticence sur un fait important ».

[49]           C’est la décision qui a été rendue compte tenu des faits de la présente affaire et de ce dossier particulier. Vu la norme de contrôle de la décision raisonnable et l’ensemble du dossier, la Cour estime que les motifs expliquent suffisamment dans le cas qui nous occupe la raison d’être de la décision. Voici comment la Cour explique la question dans l’arrêt Nurses’ Union :

[14]      […] Il s’agit d’un exercice plus global : les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles. Il me semble que c’est ce que la Cour voulait dire dans Dunsmuir en invitant les cours de révision à se demander si « la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité » (par. 47).

[50]           C’est la raison pour laquelle la présente affaire ne transcende pas les intérêts des parties. Il était raisonnable de la part de l’agent des visas, au vu du dossier, de tirer la conclusion à laquelle il en est arrivé.


JUGEMENT

LA COUR REJETTE la demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’est certifiée.

« Yvan Roy »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3086-13

 

INTITULÉ :

SUBITHA THIRESA XAVIER DE SILVA c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 MARS 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS:

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 8 AOÛT 2014

 

COMPARUTIONS :

Stéphanie Riccio

Ingrid Emanuela Mazzola

 

pour la demanderesse

 

Lyne Prince

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rochefort et associés

Avocats

Montréal (Québec)

 

PoUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

PoUR LE défendeur

 

 

 

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