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Date : 20140808


Dossiers : T‑179‑13

T‑180‑13

Référence : 2014 CF 787

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 8 août 2014

 

En présence de monsieur le juge Russell

 

Dossier : T‑179‑13

ENTRE :

WILLIAM A. JOHNSON

demandeur

et

LE COMMISSAIRE DU SERVICE CORRECTIONNEL, REPRÉSENTÉ PAR ANNE KELLY, SOUS‑COMMISSAIRE PRINCIPALE

défendeur

Dossier : T‑180‑13

ET ENTRE :

WILLIAM A. JOHNSON

demandeur

et

LE COMMISSAIRE DU SERVICE CORRECTIONNEL, REPRÉSENTÉ PAR ANNE KELLY, SOUS‑COMMISSAIRE PRINCIPALE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie de deux demandes présentées en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, en vue d’obtenir le contrôle judiciaire de décisions datées respectivement du 18 et du 19 octobre 2012 (les décisions) par lesquelles la sous‑commissaire principale [la sous‑commissaire] du Service correctionnel du Canada [le SCC] a rejeté et confirmé en partie, respectivement, les griefs au troisième palier présentés par le demandeur dans le cadre du Processus de règlement des plaintes et des griefs des délinquants du SCC.

CONTEXTE

[2]               Le demandeur est détenu à l’Établissement de Warkworth [Warkworth], un pénitencier fédéral situé en Ontario. La présente affaire a commencé par une plainte portant sur l’évacuation des ordures à Warkworth, mais semble avoir peu à voir avec le problème actuel allégué. Le demandeur s’est contenté de faire allusion à ce problème dans les observations qu’il a présentées à la Cour.

[3]               Le litige porte en réalité sur la procédure de règlement des plaintes et des griefs comme telle. Il ressort à l’évidence du dossier que ce n’est pas la première fois que le demandeur soulève ce problème par le biais de la procédure de règlement des griefs. Il se plaint de la lenteur du processus et du fait que les personnes qui en sont responsables sont dispensées de rendre compte de leurs actes et que le processus est sujet à des retards arbitraires et à des abus de pouvoir. En plus de réclamer l’annulation des décisions en litige, le demandeur requiert également de la Cour qu’elle prononce une injonction précisant les délais impératifs à respecter pour donner suite aux griefs et qu’elle rende un jugement déclarant que certaines politiques et pratiques liées à la procédure de règlement des griefs sont invalides.

[4]               Le défendeur, pour sa part, reconnaît les problèmes qui existent en ce qui concerne la procédure de règlement des griefs, mais propose plusieurs façons de l’améliorer et de la renforcer. Le défendeur affirme que les décisions à l’examen sont parfaitement raisonnables et qu’il n’appartient pas à la Cour de façonner la procédure de règlement des griefs des détenus du SCC par le biais de ses ordonnances.

[5]               Les parties donnent un récit confus et fragmentaire de la façon dont ces deux décisions connexes et indissociables se sont retrouvées devant la Cour dans le cadre de la présente affaire, mais le dossier semble fournir quelques éclaircissements au sujet de la chronologie.

[6]               Le demandeur a déposé sa plainte au sujet du problème de l’évacuation des ordures le 10 juin 2011 et cette plainte s’est vue attribuer un numéro de dossier se terminant par 2709 (la plainte 2709). Il affirmait que les déchets provenant d’autres secteurs de la prison étaient déversés un peu partout autour de la benne à ordures située derrière l’unité 5 où il réside, ce qui créait des odeurs et du désordre et attirait des mouettes bruyantes, des mouffettes et d’autres animaux (voir la copie de la plainte 2709 versée au dossier du défendeur dans l’affaire T‑179‑13, à la page 47). Suivant les politiques et les procédures du SCC, il était censé recevoir une réponse à sa plainte au plus tard le 26 juillet 2011.

[7]               Le 27 juillet 2011, n’ayant reçu aucune réponse à sa plainte, le demandeur a formulé un grief au premier palier au sujet du retard et ce grief s’est vu attribuer un numéro de dossier se terminant par 3399 (le grief 3399). La réponse au premier palier au grief 3399 devait lui être donnée au plus tard le 28 août 2011.

[8]               Il semble que le SCC ait traité le grief 3399 comme une plainte, ce qui constitue l’étape antérieure au grief au premier palier. Le gestionnaire correctionnel, M. Gaignard, a répondu à la plainte le 7 septembre 2012 en rejetant la plainte au motif que le délai imparti pour répondre à la plainte avait été prorogé. Le bureau des plaintes de Warkworth a par la suite conclu que cette plainte aurait dû être traitée comme un grief au premier palier, et la réponse initiale a été remplacée par une réponse modifiée signée par le directeur par intérim Ryan Beattie, étant donné que les réponses aux griefs doivent être signées par le directeur de l’établissement. La date figurant sur la lettre de réponse est illisible, mais d’autres documents du SCC versés au dossier indiquent qu’elle était datée du 12 avril 2012 (voir le résumé du grief du délinquant (deuxième palier) [résumé du grief 3399 au second palier], dossier du défendeur dans l’affaire T‑179‑13, à la page 74).

[9]               Dans sa réponse, le directeur par intérim, M. Beattie, a fait droit au grief en expliquant que la date limite pour répondre à la plainte 2709 était expirée et que, contrairement à ce qui était indiqué dans la première réponse donnée par le gestionnaire correctionnel, M. Gaignard, le demandeur n’avait pas reçu de lettre prorogeant le délai de réponse. Le directeur par intérim, M. Beattie, a déclaré ce qui suit :

[traduction]

Compte tenu des renseignements qui précèdent, votre grief V40R00003399 est accueilli. Nous avons rappelé au personnel de respecter les délais prescrits pour répondre aux plaintes et aux griefs.

Dossier du défendeur dans l’affaire T‑179‑13, à la page 43.

[10]           Malheureusement, une autre erreur administrative a été commise relativement au grief au premier palier, car deux dossiers ont été créés avec deux numéros de dossier différents. Ainsi, outre le grief 3399 susmentionné, un dossier en double se terminant par 6395 a été créé (grief 6395). Deux accusés de réception ont été envoyés au demandeur et la même réponse au premier palier lui a été envoyée à deux reprises (voir le résumé du grief du délinquant (troisième palier) [résumé du grief 3399 au troisième palier], dossier du défendeur dans l’affaire T‑179‑13, à la page 53). Il semble que la réponse donnée au premier palier au grief 6395 ait été envoyée en premier lieu le 21 février 2012, et que la réponse modifiée concernant le grief 3399 ait été envoyée plus tard, le 12 avril 2012, après que l’on eut découvert l’erreur qui avait été commise au départ lorsqu’on avait considéré ce grief comme une plainte (le résumé du grief du délinquant (troisième palier) [résumé du grief 6395 au troisième palier], dossier du défendeur dans l’affaire T‑180‑13, aux pages 42 et 43).

[11]           Le demandeur a déposé un grief au second palier le 22 novembre 2011, mais à ce moment‑là, il n’avait pas encore reçu la réponse modifiée (au grief 3399) du directeur par intérim, M. Beattie, ni la réponse au premier palier au grief en double (au grief 6395). Il réagissait donc à la première réponse du gestionnaire correctionnel, M. Gaignard, et au rejet de sa « plainte ».

[12]           Même si le demandeur n’a présenté qu’un seul grief au second palier, celui‑ci a été traité comme deux griefs différents. Il semble que quelqu’un ait changé le numéro figurant sur le grief que le demandeur avait présenté en personne en inscrivant à la place le chiffre 6395 avant de le transmettre à l’Administration régionale du SCC [l’AR], mais qu’une copie portant le numéro de dossier original (se terminant par 3399) ait finalement été également transmise à l’AR.

[13]           Des retards importants ont commencé à s’accumuler à partir de ce moment-là. Le bureau des griefs de Warkworth a reçu le grief du demandeur le 23 novembre 2011, mais l’AR ne l’a reçu que le 21 février 2012 (en tant que grief 6395) et le 30 avril 2012 (en tant que grief 3399) : voir le grief 6095 au troisième palier, dossier du défendeur dans l’affaire T‑180‑13, à la page 43.

[14]           En tout état de cause, le grief 3399 et le grief 6395 sont tous les deux passés au second palier et deux personnes différentes y ont répondu. Ces deux personnes portaient le titre de sous-commissaires adjoints, Opérations en établissement (SCAOE). Ces deux griefs avaient été examinés par deux analystes différents (grief 3399 au troisième palier, dossier du défendeur dans l’affaire T‑179‑13, aux pages 53 et 54). Dans sa réponse du 9 mai 2012 au grief 3399, le SCAOE Mike Ryan a inscrit la mention [traduction] « accueilli en partie », tandis que dans sa réponse du 9 mars 2012 au grief 6395, le SCAOE par intérim Bruce Somers a indiqué [traduction] « aucune autre mesure n’est requise ».

[15]           Le SCAOE a répondu au grief 3399 en confirmant le volet concernant les erreurs et les retards qui avaient marqué le traitement des plaintes 2709 et 3399 au premier palier. Toutefois, le SCAOE a informé le demandeur des mesures correctives qui avaient été prises pour que l’Établissement de Warkworth se conforme aux politiques du SCC en concluant qu’aucune autre mesure n’était requise. Le SCAOE a rejeté les autres éléments du grief ou encore a déclaré qu’aucune autre mesure n’était nécessaire (ibid., aux pages 53 et 54; réponse au grief du délinquant (deuxième palier), grief 3399, dossier du défendeur dans l’affaire T‑179‑13, aux pages 80 à 83).

[16]           Le SCAOE qui a répondu au grief 6395 a rejeté le grief en faisant observer que les erreurs procédurales soulevées par le demandeur avaient déjà été reconnues au premier palier (réponse au grief du délinquant (deuxième palier), grief 6395, dossier du défendeur dans l’affaire T‑180‑13, aux pages 31 à 33).

[17]           Comme il avait reçu deux réponses distinctes à son grief au second palier, le demandeur a présenté deux griefs distincts au troisième palier (grief 3399 au troisième palier, dossier du défendeur dans l’affaire T‑179‑13, à la page 53), d’où les deux décisions distinctes faisant l’objet du présent contrôle judiciaire.

DÉCISIONS À L’EXAMEN

[18]           La même décideure, la sous‑commissaire principale Anne Kelly, a répondu aux griefs 3399 et 6395 au troisième palier les 18 et 19 octobre 2012 respectivement. Elle a estimé qu’aucune autre mesure n’était requise dans le cas du grief 3399 et elle a confirmé en partie le grief 6395.

[19]           La sous‑commissaire a énuméré les sept questions soulevées par le demandeur dans le grief 3399.

[20]           Premièrement, le demandeur se plaignait d’infractions répétées à la Directive du commissaire no 081, Plaintes et griefs des délinquants [la DC no 81] de la part du personnel de Warkworth ainsi que du fait qu’un membre du personnel avait obtenu une promotion malgré le fait qu’il avait commis plusieurs infractions à cette directive. La sous‑commissaire a estimé que le demandeur n’avait pas fourni suffisamment de renseignements pour permettre l’analyse de cette question et elle a rejeté ce volet de son grief.

[21]           Deuxièmement, le demandeur se plaignait des retards qu’accusait le traitement du grief 3399 lui-même. La sous‑commissaire a conclu que le demandeur avait subi un retard déraisonnable dans le traitement de son grief, puisqu’il avait dû attendre quatre mois et demi entre le moment où il l’avait déposé auprès de l’Établissement de Warkworth et celui où il avait été reçu par l’AR. Elle a fait observer que le grief avait été confirmé sur cette question au second palier et que Warkworth avait effectué des changements au sein du bureau des griefs de l’établissement pour réduire les délais et s’assurer que les politiques et les directives soient désormais respectées. Comme ce volet de la plainte se rapportait aux retards accumulés entre le premier et le second palier et que la question avait déjà été abordée au second palier, la sous-commissaire a estimé qu’aucune autre mesure n’était requise au troisième palier.

[22]           Troisièmement, le demandeur se plaignait du fait que l’estampillage des documents qu’il avait soumis au SCC [traduction] « avait corrompu [son] écriture ». La sous-commissaire a déduit que le demandeur faisait allusion au timbre portant la mention [traduction] « GRIEF DU DÉLINQUANT; À RETOURNER AU DÉLINQUANT ». Malgré le fait qu’un bulletin du SCC indiquait que les griefs étaient considérés comme étant la propriété du délinquant et que le personnel du SCC ne devait en aucun cas modifier les griefs des délinquants, la sous-commissaire a conclu que le timbre en question n’avait en rien modifié le fond ou la teneur de ce document, mais garantissait plutôt qu’il serait retourné au délinquant. La sous-commissaire a conclu que cette façon de procéder ne portait pas atteinte à l’intégrité des renseignements soumis et elle a par conséquent rejeté ce volet du grief.

[23]           Quatrièmement, le demandeur se plaignait du fait qu’on ne procédait pas systématiquement à des entrevues avec les délinquants et le personnel de l’établissement dans le cadre de la procédure de règlement des griefs, et que ces entrevues avaient lieu uniquement à la demande du délinquant. Le demandeur faisait valoir que cette façon de procéder, prévue au paragraphe 44 des Lignes directrices du commissaire no 081-1 (maintenant périmée) intitulées Processus de règlement des plaintes et griefs des délinquants [les Lignes directrices no 81‑1], était contraire au paragraphe 74(2) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92‑620 [le Règlement], qui énonce ce qui suit : « Les agents et le délinquant [...] doivent prendre toutes les mesures utiles pour régler la question de façon informelle. » La sous‑commissaire a estimé que le paragraphe 44 des Lignes directrices no 81‑1, qui prévoyait qu’« [i]l faut tenir une entrevue avec le délinquant si ce dernier en a fait la demande », s’accordait avec la fin visée au paragraphe 74(2) du Règlement et avec son objectif d’encourager la communication entre le personnel et les délinquants. La possibilité de participer à une entrevue était offerte sur le formulaire de présentation à chaque étape du processus, mais le délinquant devait préciser s’il souhaitait effectivement être reçu en entrevue, étant donné qu’aucune obligation en ce sens n’était prévue. La sous-commissaire a conclu que le droit de réclamer une entrevue ne contredisait aucun des droits du plaignant ou obligation de l’établissement. Ce volet du grief a par conséquent été rejeté.

[24]           Cinquièmement, le demandeur soutenait que [traduction] « toutes les entrevues doivent avoir lieu à l’intérieur des murs de l’établissement et être menées par un supérieur hiérarchique de la personne visée par la plainte ». La sous-commissaire en a déduit que le demandeur faisait allusion à l’erreur administrative à la suite de laquelle le grief 3399 avait été traité au départ comme une plainte et transmise au gestionnaire correctionnel, M. Gaignard. La sous‑commissaire a fait observer que, même si les Lignes directrices no 81‑1 ne prévoyaient pas explicitement cette exigence, l’argument du demandeur s’accordait avec la façon dont les quatre paliers de la procédure de règlement des griefs et des plaintes étaient énoncés au paragraphe 7 de la Directive en question. Elle a toutefois conclu que cette question avait été abordée de façon appropriée aux divers paliers de la procédure de règlement des griefs et qu’aucune autre mesure n’était requise.

[25]           Sixièmement, le demandeur soutenait que le directeur et le personnel de Warkworth continuaient à refuser de se conformer aux politiques du SCC concernant les délais, citant un autre grief à titre d’exemple. La sous‑commissaire a conclu que le grief cité par le demandeur était alors à l’étape de l’examen de la plainte et que, si le demandeur avait des préoccupations au sujet des délais, il avait l’obligation de formuler un grief au palier le plus bas possible conformément à la DC no 81. Ce volet de son grief a par conséquent été rejeté.

[26]           Enfin, le demandeur a formulé des observations détaillées au sujet des retards qu’il avait subis dans le traitement de ses autres griefs, ajoutant que [traduction] « malgré les mesures correctives et les rappels donnés par l’AR et [par l’Administration centrale] au bureau de traitement des griefs de l’Établissement de Warkworth » en réponse à ses trois griefs précédents, [traduction] « il y a encore des retards ». La sous-commissaire a conclu qu’il n’était pas déraisonnable d’affirmer que les plans d’action mis en œuvre par suite de griefs qui avaient été accueillis en partie il y a respectivement deux et sept ans devaient certainement toujours être en place aujourd’hui. Elle a toutefois reconnu qu’[traduction] « il y a encore des retards, surtout au cours des dernières années » et elle a signalé plusieurs mesures récemment prises par le SCC pour améliorer l’efficacité générale du système de traitement des griefs, notamment les suivantes :

         L’examen externe exhaustif auquel le professeur David Mullan a procédé à la suite du mandat que le SCC lui a confié en 2010 a donné lieu à une série de recommandations dont le SCC s’est déjà inspiré pour prendre certaines mesures.

         Le projet pilote de mécanismes substitutifs de règlement des différends dans dix établissements à sécurité maximale ou moyenne recommandé par le professeur Mullan a jusqu’ici donné des résultats très positifs.

         La simplification de la procédure de règlement des griefs a été prévue par la suppression du deuxième palier, à la recommandation du professeur Mullan.

         Le SCC a également revu ses pratiques administratives et a cerné un certain nombre de points à améliorer en vue d’accroître l’efficacité et de réduire davantage les délais de traitement.

[27]           La sous‑commissaire a également fait observer qu’une quantité considérable de plaintes provenait d’un groupe restreint de détenus et qu’un projet de loi avait été déposé devant le Parlement pour accorder au SCC une plus grande souplesse afin de limiter le nombre de griefs déposés par des détenus quérulents.

[28]           La sous‑commissaire a poursuivi en déclarant ce qui suit :

[traduction]

Nous regrettons de ne pas avoir répondu à votre grief dans le délai prévu initialement et nous vous remercions de votre patience. Comme vous pouvez le constater, le SCC s’engage sérieusement à régler les griefs de manière efficace et travaille activement à réduire les délais.

Puisque le SCC a pris des mesures positives pour résoudre le problème que vous avez soulevé et que celles‑ci font l’objet d’un suivi continu, aucune autre mesure n’est nécessaire à cet égard. Cela ne veut pas dire que le Service ne déploiera aucun autre effort concernant cette question, mais bien que des mesures correctives sont prises en ce moment en vue de répondre à vos préoccupations.

[29]           Bien que, dans ses observations, le demandeur énumère sept « questions » qu’il souhaite faire aborder par le SCC, la sous‑commissaire a conclu que les renseignements soumis et les questions posées dans cette partie du grief ne constituaient pas un problème de grief. Il semblait qu’il s’agissait plutôt de l’expression d’un mécontentement général face à la procédure de règlement des griefs. La sous‑commissaire a conclu qu’aucune autre analyse n’était requise sur ces questions et elle a rejeté en bloc le grief.

[30]           En ce qui concerne le grief 6395, la sous‑commissaire a énuméré les trois questions soulevées par le demandeur.

[31]           En premier lieu, le demandeur se plaignait du fait que le numéro de dossier de son grief avait été modifié arbitrairement sans son consentement. La sous‑commissaire a conclu qu’une erreur administrative était survenue au premier palier et que cette erreur s’était traduite par un dédoublement de dossiers et qu’une modification manuscrite avait été apportée au grief au second palier du demandeur dont le numéro de référence du grief avait été modifié. Cette façon de procéder était contraire à la politique du SCC suivant laquelle le grief est considéré comme étant la propriété du délinquant et suivant laquelle le personnel du SCC ne doit aucunement modifier les griefs. Ce volet du grief a été accueilli.

[32]           En deuxième lieu, le demandeur se plaignait du fait que les membres du personnel qui ne respectaient pas les politiques et les procédures en matière de règlement des griefs ne faisaient l’objet d’aucune sanction disciplinaire autre que de simples rappels les invitant à s’y conformer. La sous-commissaire a répondu que, lorsque des préoccupations étaient exprimées au sujet du comportement du personnel, des mesures étaient prises conformément aux politiques du Conseil du Trésor. Toutefois, les renseignements concernant les sanctions disciplinaires infligées aux membres du personnel, et notamment la question de savoir si une sanction était justifiée ou non, n’étaient pas divulgués, conformément à l’article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Par conséquent, ce volet du grief a été rejeté.

[33]           Enfin, tout comme dans le cas du grief 3399, le plaignant se dénonçait le retard qu’accusaient les réponses à ces griefs dans le cadre de la procédure de règlement des griefs. La sous‑commissaire a, là encore, reconnu l’existence de délais, tout en signalant que des mesures avaient été prises pour améliorer l’efficacité et la rapidité de la procédure de règlement des griefs et elle a estimé qu’aucune autre mesure n’était requise.

[34]           De façon générale, le grief 6395 a été accueilli en partie. À titre de mesure corrective, la sous‑commissaire a déclaré que le sous‑commissaire régional devait s’assurer que l’on rappelle au personnel de ne pas modifier les griefs originaux des délinquants.

QUESTIONS EN LITIGE

[35]           Le demandeur a soumis plusieurs questions à l’examen de la Cour, mais j’estime qu’on peut les simplifier en les formulant de la façon suivante :

a)      Les délais prévus pour répondre aux plaintes et aux griefs par la DC no 81 et/ou les dispositions permettant la prorogation de ces délais vont‑ils à l’encontre de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 [la Loi] ou son règlement d’application, et sont‑ils par conséquent invalides?

b)      Les conclusions contenues dans les réponses au grief au troisième palier sont‑elles raisonnables?

c)      Existe‑t‑il un fondement juridique à l’injonction demandée par le demandeur et, dans l’affirmative, la Cour devrait‑elle accorder cette injonction?

NORME DE CONTRÔLE

[36]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a déclaré qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse relative à la norme de contrôle. En fait, lorsque la norme de contrôle applicable à une question particulière dont elle est saisie est établie de façon satisfaisante par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme. C’est uniquement lorsque cette recherche se révèle infructueuse ou que la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente des principes de common law en matière de contrôle judiciaire que la cour de révision applique les quatre facteurs qui forment l’analyse de la norme de contrôle (Agraira c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48).

[37]           Les parties s’entendent sur les normes de contrôle applicables en l’espèce. La question de savoir si la DC no 81 est conforme à la Loi et à son règlement d’application implique que l’on interprète l’attribution législative des pouvoirs permettant l’adoption de la Directive et cette question est assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte : McDougall c Canada (Procureur général), 2011 CAF 184, aux paragraphes 25 et 26 [McDougall]. Les conclusions que l’on trouve dans les décisions au troisième palier comportent elles-mêmes des questions mixtes de fait et de droit qui sont assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable : Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Gallant c Canada (Procureur général), 2011 CF 537, au paragraphe 14.

[38]           Lorsque la Cour effectue le contrôle de la décision selon la raisonnabilité, son analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 SCC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour devrait intervenir seulement si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[39]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent à la présente affaire :

But du système correctionnel

Purpose of correctional system

3. Le système correctionnel vise à contribuer au maintien d’une société juste, vivant en paix et en sécurité, d’une part, en assurant l’exécution des peines par des mesures de garde et de surveillance sécuritaires et humaines, et d’autre part, en aidant au moyen de programmes appropriés dans les pénitenciers ou dans la collectivité, à la réadaptation des délinquants et à leur réinsertion sociale à titre de citoyens respectueux des lois.

3. The purpose of the federal correctional system is to contribute to the maintenance of a just, peaceful and safe society by

(a) carrying out sentences imposed by courts through the safe and humane custody and supervision of offenders; and

(b) assisting the rehabilitation of offenders and their reintegration into the community as law‑abiding citizens through the provision of programs in penitentiaries and in the community.

Critère prépondérant

Paramount consideration

3.1 La protection de la société est le critère prépondérant appliqué par le Service dans le cadre du processus correctionnel.

3.1 The protection of society is the paramount consideration for the Service in the corrections process.

Principes de fonctionnement

4. Le Service est guidé, dans l’exécution du mandat visé à l’article 3, par les principes suivants :

[...]

f) ses décisions doivent être claires et équitables, les délinquants ayant accès à des mécanismes efficaces de règlement de griefs;

[...]

Principles that guide Service

4. The principles that guide the Service in achieving the purpose referred to in section 3 are as follows :

[...]

(f) correctional decisions are made in a forthright and fair manner, with access by the offender to an effective grievance procedure

[...]

Procédure de règlement

90. Est établie, conformément aux règlements d’application de l’alinéa 96u), une procédure de règlement juste et expéditif des griefs des délinquants sur des questions relevant du commissaire.

Grievance procedure

90. There shall be a procedure for fairly and expeditiously resolving offenders’ grievances on matters within the jurisdiction of the Commissioner, and the procedure shall operate in accordance with the regulations made under paragraph 96(u).

Accès à la procédure de règlement des griefs

91. Tout délinquant doit, sans crainte de représailles, avoir libre accès à la procédure de règlement des griefs.

Access to grievance procedure

91. Every offender shall have complete access to the offender grievance procedure without negative consequences.

Règlements

96. Le gouverneur en conseil peut prendre des règlements :

[...]

u) fixant la procédure de règlement des griefs des délinquants;

[...]

Regulations

96. The Governor in Council may make regulations

[...]

(u) prescribing an offender grievance procedure;

[...]

Règles d’application

97. Sous réserve de la présente partie et de ses règlements, le commissaire peut établir des règles concernant :

Rules

97. Subject to this Part and the regulations, the Commissioner may make rules

a) la gestion du Service;

(a) for the management of the Service;

b) les questions énumérées à l’article 4;

(b) for the matters described in section 4; and

c) toute autre mesure d’application de cette partie et des règlements.

(c) generally for carrying out the purposes and provisions of this Part and the regulations.

Nature

98. (1) Les règles établies en application de l’article 97 peuvent faire l’objet de directives du commissaire.

Commissioner’s Directives

98. (1) The Commissioner may designate as Commissioner’s Directives any or all rules made under section 97.

[40]           Les dispositions suivantes du Règlement, dans leur rédaction en vigueur au moment de la décision, s’appliquent à la présente instance :

74. (1) Lorsqu’il est insatisfait d’une action ou d’une décision de l’agent, le délinquant peut présenter une plainte au supérieur de cet agent, par écrit et de préférence sur une formule fournie par le Service.

74. (1) Where an offender is dissatisfied with an action or a decision by a staff member, the offender may submit a written complaint, preferably in the form provided by the Service, to the supervisor of that staff member.

(2) Les agents et le délinquant qui a présenté une plainte conformément au paragraphe (1) doivent prendre toutes les mesures utiles pour régler la question de façon informelle.

(2) Where a complaint is submitted pursuant to subsection (1), every effort shall be made by staff members and the offender to resolve the matter informally through discussion.

(3) Sous réserve des paragraphes (4) et (5), le supérieur doit examiner la plainte et fournir copie de sa décision au délinquant aussitôt que possible après que celui‑ci a présenté sa plainte.

(3) Subject to subsections (4) and (5), a supervisor shall review a complaint and give the offender a copy of the supervisor’s decision as soon as practicable after the offender submits the complaint.

(4) Le supérieur peut refuser d’examiner une plainte présentée conformément au paragraphe (1) si, à son avis, la plainte est futile ou vexatoire ou n’est pas faite de bonne foi.

(4) A supervisor may refuse to review a complaint submitted pursuant to subsection (1) where, in the opinion of the supervisor, the complaint is frivolous or vexatious or is not made in good faith.

(5) Lorsque, conformément au paragraphe (4), le supérieur refuse d’examiner une plainte, il doit fournir au délinquant une copie de sa décision motivée aussitôt que possible après que celui‑ci a présenté sa plainte.

(5) Where a supervisor refuses to review a complaint pursuant to subsection (4), the supervisor shall give the offender a copy of the supervisor’s decision, including the reasons for the decision, as soon as practicable after the offender submits the complaint.

75. Lorsque, conformément au paragraphe 74(4), le supérieur refuse d’examiner la plainte ou que la décision visée au paragraphe 74(3) ne satisfait pas le délinquant, celui‑ci peut présenter un grief, par écrit et de préférence sur une formule fournie par le Service :

75. Where a supervisor refuses to review a complaint pursuant to subsection 74(4) or where an offender is not satisfied with the decision of a supervisor referred to in subsection 74(3), the offender may submit a written grievance, preferably in the form provided by the Service,

a) soit au directeur du pénitencier ou au directeur de district des libérations conditionnelles, selon le cas;

(a) to the institutional head or to the director of the parole district, as the case may be; or

b) soit, si c’est le directeur du pénitencier ou le directeur de district des libérations conditionnelles qui est mis en cause, au responsable de la région.

(b) where the institutional head or director is the subject of the grievance, to the head of the region.

[...]

 

[...]

78. La personne qui examine un grief selon l’article 75 doit remettre copie de sa décision au délinquant aussitôt que possible après que le détenu a présenté le grief.

78. The person who is reviewing a grievance pursuant to section 75 shall give the offender a copy of the person’s decision as soon as practicable after the offender submits the grievance.

[...]

[...]

80. (1) Lorsque le délinquant est insatisfait de la décision rendue au sujet de son grief par le directeur du pénitencier ou par le directeur de district des libérations conditionnelles, il peut en appeler au responsable de la région.

80. (1) Where an offender is not satisfied with a decision of the institutional head or director of the parole district respecting the offender’s grievance, the offender may appeal the decision to the head of the region.

(2) Lorsque le délinquant est insatisfait de la décision rendue au sujet de son grief par le responsable de la région, il peut en appeler au commissaire.

(2) Where an offender is not satisfied with the decision of the head of the region respecting the offender’s grievance, the offender may appeal the decision to the Commissioner.

(3) Le responsable de la région ou le commissaire, selon le cas, doit transmettre au délinquant copie de sa décision motivée aussitôt que possible après que le délinquant a interjeté appel.

(3) The head of the region or the Commissioner, as the case may be, shall give the offender a copy of the head of the region’s or Commissioner’s decision, including the reasons for the decision, as soon as practicable after the offender submits an appeal.

[41]           Les paragraphes suivants de la DC no 81, dans sa rédaction en vigueur à l’époque de la décision, sont pertinents en l’espèce. Ils ont été soumis à la Cour en anglais seulement. En voici la version française :

Responsabilités

[...]

6.         Les décideurs de tous les paliers veilleront à ce que les plaignants reçoivent, dans les délais prescrits, une réponse complète, étayée et compréhensible à toutes les questions soulevées dans leur plainte ou leur grief initial.

[...]

Paliers du processus de règlement des plaintes et griefs des délinquants

12.       Le processus de règlement des plaintes et des griefs comprend quatre paliers : plaintes écrites, griefs au premier, deuxième et troisième paliers.

13.       Lorsqu’un délinquant n’est pas satisfait de la mesure ou de la décision prise par un membre du personnel, il peut présenter une plainte écrite, de préférence à l’aide du formulaire fourni par le Service. Une plainte doit être présentée d’abord au palier des plaintes, à moins d’indication contraire dans la présente directive ou à moins que le surveillant de l’employé visé dans la plainte soit le directeur de l’établissement, le sous‑commissaire régional ou le commissaire.

[...]

15.       La décision du commissaire ou de son représentant constitue l’étape finale du processus de règlement des plaintes et griefs. Le plaignant qui n’est pas satisfait de la décision finale rendue au troisième palier du processus de règlement des plaintes et griefs peut faire une demande de révision judiciaire à la Cour fédérale dans les délais prescrits au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales.

[...]

Délais

[...]

18.       Les décideurs rendront une décision relativement aux plaintes et aux griefs dans les délais indiqués ci-après.

Plaintes, griefs au premier et au deuxième paliers

         Prioritaires – Dans les 15 jours ouvrables suivant la réception de la plainte ou du grief par le coordonnateur des griefs.

         Non prioritaires – Dans les 25 jours ouvrables suivant la réception de la plainte ou du grief par le coordonnateur des griefs.

Griefs au troisième palier

         Prioritaires – Dans les 60 jours ouvrables suivant la réception du grief par le coordonnateur des griefs.

         Non prioritaires – Dans les 80 jours ouvrables suivant la réception du grief par le coordonnateur des griefs.

19.       Lorsque le plaignant n’est pas satisfait de la décision rendue à tout palier de la procédure, il peut soumettre un grief au palier suivant, normalement dans les vingt (20) jours qui suivent.

20.       Si le directeur de l’établissement, le sous-commissaire régional ou le directeur, Recours des délinquants, juge qu’un délai plus long est nécessaire pour traiter adéquatement une plainte ou un grief, le plaignant doit être informé, par écrit, des raisons de la prolongation du délai et de la date à laquelle la décision sera rendue.

[...]

Plaintes ou griefs collectifs

23.       Une plainte ou un grief peut être déposé par un groupe de plaignants, mais la plainte ou le grief doit être signé par tous les membres du groupe. Un des plaignants doit être désigné pour recevoir la réponse au nom du groupe ainsi que toute correspondance relative à la plainte ou au grief.

[...]

Mesures correctives

45.       Lorsqu’une plainte ou un grief est accueilli en totalité ou en partie et que des mesures correctives sont justifiées, ces mesures seront prises dans les trente (30) jours ouvrables qui suivent. Le plaignant sera avisé de la complétion des mesures correctives. On inscrira clairement dans le dossier du grief et dans le Système de gestion des délinquant(e)s que les mesures correctives ont été prises.

46.       La personne chargée de prendre les mesures correctives remettra au décideur une confirmation écrite et les documents indiquant que les mesures correctives ont été prises conformément à la présente section.

47.       Un plaignant peut présenter un grief au palier suivant du processus de règlement des plaintes et griefs lorsque les mesures correctives n’ont pas été prises dans les délais prescrits. Dans le cas de mesures correctives exigées par le troisième palier, le plaignant peut présenter un grief au troisième palier sur ce point.

[42]           Les paragraphes suivants des Lignes directrices no 81-1, dans sa rédaction en vigueur à l’époque de la décision, sont pertinents en l’espèce. Ils ont été soumis à la Cour en anglais seulement. En voici la version française :

MESURES CORRECTIVES

23. Le décideur déterminera quelles sont les meilleures mesures correctives qui permettent de régler la plainte ou le grief et garantissent que des problèmes semblables ne se reproduisent pas. Voici quelques facteurs qui aideront à choisir et à mettre en application les mesures correctives :

la réparation demandée par le plaignant;

la gravité de l’inconduite alléguée et les mesures nécessaires pour y mettre fin;

la possibilité que les actes faisant l’objet de la plainte ou du grief soient répétés par d’autres membres du personnel;

ce qui est nécessaire pour assurer la conformité ultérieure aux lois et politiques pertinentes;

la personne chargée de mettre en application les mesures correctives.

[...]

ENTREVUES

[...]

44. Il faut tenir une entrevue avec le délinquant si ce dernier en a fait la demande, lorsque la plainte ou le grief au palier initial est d’abord reçu à l’établissement, au bureau de libération conditionnelle ou au centre correctionnel communautaire, sauf s’il y a des circonstances exceptionnelles qui ne le permettent pas ou si le délinquant refuse de s’y soumettre. Si le délinquant se trouve dans un établissement autre que celui où est menée l’enquête, il faut tout de même lui accorder une entrevue. Aux niveaux régional et national, une entrevue avec le délinquant peut avoir lieu si celle-ci est jugée essentielle à la tenue d’une enquête exhaustive.

[...]

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Le demandeur

[43]           Le demandeur requiert de la Cour qu’elle annule les deux décisions rendues au troisième palier, qu’elle déclare la DC no 81 invalide, qu’elle déclare invalide le défaut du SCC d’appliquer la Directive du commissaire – Code de discipline [la DC no 60] et qu’elle rende une injonction interdisant au défendeur :

         de permettre des délais de réponse aux plaintes qui dépassent deux jours ouvrables;

         de permettre des délais de réponse aux griefs de premier et de second paliers qui dépassent sept jours ouvrables;

         de permettre des délais de réponse aux griefs de troisième palier qui dépassent 14 jours;

         de permettre une prorogation de délai sans avoir obtenu le consentement du détenu;

         de faire fi de la DC no 60 et des exigences de transparence énoncées à la Directive no 001 du commissaire dans le cadre de l’alinéa 4f) et des articles 90 et 91 de la Loi lorsque des infractions au Code de discipline du SCC sont en cause.

[44]           Le demandeur affirme que la présente demande « s’inscrit dans la foulée » du jugement de notre Cour dans l’affaire Spidel c Canada (Procureur général), 2012 CF 958 [Spidel], dans lequel, pour reprendre les mots du demandeur, la juge Mactavish [traduction] « s’est montrée loin d’être impressionnée par la façon dont le SCC administrait actuellement la procédure de règlement des griefs dont le Parlement du Canada a fait une priorité nationale [à l’alinéa 4f) et aux articles 90 et 91 de la Loi] ».

[45]           Le demandeur signale que la procédure de règlement des griefs des détenus a également été sévèrement critiquée dans l’arrêt May c Établissement de Ferndale, 2005 CSC 82, [2005] 3 RCS 809, aux paragraphes 63 et 64 [May], ainsi que par l’enquêteur des Services correctionnels au fil des ans (ainsi qu’il en a été question dans le jugement Spidel, précité), par le professeur David Mullan dans son examen externe cité dans les décisions (voir le Rapport sur l'examen externe de la procédure de règlement des plaintes et des griefs des délinquants du Service correctionnel du Canada, 13 juillet 2010, dossier du défendeur dans l’affaire T‑179‑13, aux pages 92 à 144 [le rapport Mullan]), par la juge Louise Arbour dans le Rapport de la Commission d’enquête sur certains événements survenus à la prison des femmes de Kingston (le rapport Arbour) (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 1996), dans le jugement Spidel, précité, et dans la « Vérification ponctuelle » effectuée par le « Comité des détenus de l’Établissement de Warkworth » (voir Comité de bien-être des détenus, Vérification ponctuelle de la procédure de règlement des plaintes et des griefs, janvier 2010, dossier du demandeur, aux pages 254 à 292).

[46]           Le demandeur affirme que les deux décisions rendues au troisième palier sont truffées d’erreurs et qu’elles illustrent [traduction] « tout le problème que comporte la procédure de règlement des griefs du SCC, en l’occurrence, le défaut des hauts fonctionnaires du SCC de s’assurer de faire respecter le Code de discipline du SCC ».

[47]           Le demandeur affirme que les deux demandes ciblent, d’abord et avant tout, la DC no 81 ainsi que les délais dans lesquels on doit répondre aux plaintes et aux griefs selon cette Directive et qui, selon lui, contredisent le mot « expéditif » à l’article 90 de la Loi. Le demandeur affirme que la coutume des fonctionnaires du SCC de s’accorder à eux-mêmes des [traduction] « prorogations de délai arbitraires » sans le consentement du détenu qui a porté plainte contredit également cette disposition et contrevient aux droits à l’équité procédurale des détenus.

[48]           Ensuite, le demandeur affirme que les demandes ciblent [traduction] « le défaut des hauts fonctionnaires du SCC d’appliquer et de faire respecter le Code de discipline du SCC alors que, dans le cas du demandeur, les administrateurs du SCC censés résoudre les problèmes des détenus [...] se rendent eux-mêmes coupables d’infractions au Code de discipline du SCC [...] et même d’actes et d’omissions criminels, ce dont le demandeur fait par ailleurs état [dans ses griefs] ».

[49]           Le demandeur affirme que la DC no 81 est invalide parce qu’elle entre en conflit avec l’alinéa 4f) et les articles 90 et 91 de la Loi qui ont été adoptés par le législateur fédéral pour s’assurer que les problèmes des détenus soient réglés rapidement et équitablement en assurant par ailleurs la sécurité et la paix de chacun. Il affirme que les dispositions en question ont été adoptées dans la foulée des épisodes de violence importants qui ont éclatés dans les prisons dans les années 70 par suite de problèmes non réglés soulevés par les détenus et qu’elles visaient à faire régner le principe de la primauté du droit à l’intérieur des murs des pénitenciers : voir May, précité, aux paragraphes 25 et 72.

[50]           Le demandeur affirme que, lorsqu’on a prévu les délais de réponse au paragraphe 18 de la DC no 81, on a totalement fait fi du mot « expéditif » à l’article 90 de la Loi et qu’on ne le mentionne même pas. Il soutient que tout délai excédant deux semaines est une éternité pour les détenus, qui sont exposés à des risques de blessures ou de menaces à leur vie et que le traitement rapide des griefs conformément à la Loi et à son Règlement d’application constitue une question primordiale de sécurité. Les retards qu’accuse le traitement de ces griefs illustrent une [traduction] « culture bureaucratique sérieusement délinquante ».

[51]           Outre les [traduction] « délais discrétionnaires » énoncés à la DC no 81, le demandeur affirme que la coutume du personnel de SCC de s’accorder [traduction] « des prorogations de délai arbitraires pour s’accommoder eux-mêmes » comme le paragraphe 20 de la DC no 81 le leur permet, viole également l’alinéa 4f) et les articles 90 et 91 de la Loi. Comme il n’est pas nécessaire d’obtenir le consentement du détenu pour procéder à ces prorogations, le demandeur affirme que [traduction] « les bureaucrates du SCC peuvent proroger des délais à leur guise, ainsi que la preuve du demandeur le démontre de façon accablante ». Le demandeur affirme qu’il s’ensuit que les détenus se voient refuser : 1) un accès complet au processus (contrairement aux exigences de l’article 91 de la Loi); 2) l’équité procédurale dans le traitement de leurs plaintes (contrairement à ce qu’exigent l’alinéa 4f) et l’article 90 de la Loi ainsi que la common law) et 3) une procédure de règlement des griefs efficace et rapide (contrairement à ce qu’exigent l’alinéa 4f) et l’article 90 de la Loi). Il soutient que l’omission de consulter le détenu au sujet des prorogations de délai viole par ailleurs l’article 74 de la Loi.

[52]           Le demandeur affirme que le refus du défendeur de respecter les exigences du paragraphe 2 de la DC no 60 en ce qui concerne les mesures disciplinaires imposées au personnel dans le contexte de la procédure de règlement des griefs rend le processus fondamentalement inefficace et contraire à l’alinéa 4f) de la Loi. Il affirme que [traduction] « le système de valeurs » consacré au paragraphe 7 de la Directive du commissaire n001 [la DC no 1] exige la transparence, tandis que les fonctionnaires du SCC agissent dans le secret en ce qui concerne les mesures disciplinaires auxquelles les plaintes et les griefs peuvent donner lieu. Il affirme que le défendeur a tort d’invoquer la Loi sur la protection des renseignements personnels pour justifier le secret en ce qui concerne les mesures disciplinaires qui ont pu être prises lorsqu’une question concernant la conduite d’un membre déterminé du personnel est soulevée dans le cadre d’une plainte ou d’un grief. Le demandeur soutient que, dans ce contexte, le secret viole les exigences énoncées dans la Loi, suivant laquelle la procédure de règlement des griefs doit permettre aux détenus d’obtenir une véritable réparation.

[53]           En ce qui concerne les conclusions précises énoncées dans les décisions à l’examen, le demandeur qualifie de déraisonnables celles que la sous-commissaire a tirées en réponse aux première, quatrième, sixième et septième questions du grief 3399, ainsi que celles concernant les trois questions soulevées dans le grief 6395.

[54]           En ce qui concerne le grief 3399, le demandeur affirme ce qui suit :

         La réponse à la première question par laquelle la sous-commissaire affirme que le demandeur n’a pas fourni suffisamment de renseignements pour justifier que l’on procède à une analyse traduit un refus de prendre acte des éléments de preuve concernant les infractions répétées aux délais prévus par la DC no 81 par le personnel de Warkworth et d’examiner ces éléments de preuve.

         La réponse à la quatrième question, qui confirme la pratique de n’accorder une entrevue qu’à la demande du détenu, contredit directement le paragraphe 74(2) du Règlement, qui impose nettement au SCC l’obligation de prendre l’initiative en vue de coordonner toutes les mesures utiles pour régler la question.

         La réponse à la sixième question, suivant laquelle le demandeur doit aborder les questions concernant les délais qu’accuse le traitement d’une plainte distincte en formulant un grief au palier le plus bas possible dénote une mauvaise interprétation du problème en cause et constitue une réponse déraisonnable, compte tenu des arguments précités. Les délais qu’accuse le traitement de la plainte distincte n’ont été invoqués qu’à titre d’exemple.

         La réponse à la septième question, suivant laquelle des mesures ont déjà été prises pour régler le problème des retards qu’accuse la procédure de règlement des griefs et suivant laquelle aucune autre mesure n’est requise, repose sur les délais et les pratiques invalides prévus par la DC no 81.

[55]           En ce qui concerne le grief 6395, le demandeur affirme ce qui suit :

         Malgré le fait que son grief a été « accueilli » relativement au changement apporté au numéro de référence de son grief au second palier, aucune mesure concrète n’a été prise pour corriger la négligence avec laquelle sont traités les griefs des détenus.

         La réponse à la deuxième question concernant la non-divulgation des renseignements relatifs aux mesures disciplinaires découlant des plaintes et des griefs est déraisonnable compte tenu des arguments susmentionnés.

         La réponse à la troisième question est déraisonnable pour les mêmes raisons que celles énoncées relativement à la sixième question dans le grief 3399.

[56]           Le demandeur affirme que la Cour a pleinement compétence pour prononcer les deux jugements déclaratoires qu’il sollicite, de même que l’injonction qu’il réclame au paragraphe 42 pour forcer le SCC – un organisme créé par la loi qui n’existe qu’en vertu de la partie I de la Loi – à se conformer à l’alinéa 4f) et aux articles 90 et 91 de la Loi en ce qui concerne les droits des détenus à s’attendre à une procédure de règlement « juste et expéditif » (article 90) et « efficace » (alinéa 4f) des griefs). Il soutient que cette injonction est justifiée compte tenu des problèmes qu’il a exposés.

[57]           En plus d’interdire au défendeur d’autoriser des délais dépassant le nombre de jours précisés au paragraphe 42 susmentionné, le demandeur affirme que l’injonction devrait interdire au défendeur d’« analyser » les plaintes et les griefs comme il le fait présentement et que l’injonction devrait plutôt lui ordonner de trancher les plaintes et griefs en question de façon expéditive par souci d’économie des coûts en s’en tenant au dossier soumis au décideur. Le demandeur affirme que, de cette manière, il serait possible d’obtenir rapidement une réponse au premier palier en seulement quelques minutes et qu’il serait possible de répondre par courriel ou par télécopieur aux griefs au deuxième et au troisième palier. Dans l’état actuel des choses, les plaintes et les griefs sont analysés [traduction] « à outrance » d’une façon qui est non seulement peu efficace sur le plan des coûts et du temps, mais d’une manière qui a pour effet d’exclure les détenus du processus de prise de décisions, en plus de manquer de transparence et de violer les droits garantis aux détenus par la Loi et par l’article 7 de la Charte.

Le défendeur

[58]           Le défendeur s’oppose, au moyen d’une objection préliminaire, à l’inclusion des pièces D à S et Q jointes à l’affidavit du demandeur. La pièce D est l’affidavit d’un autre détenu qui a été joint à l’affidavit du demandeur, de sorte que le défendeur n’a pas eu l’occasion de contre-interroger l’auteur de cet affidavit sur la teneur de ce dernier. Le défendeur affirme que la Cour ne devrait accorder aucune valeur au contenu de ces affidavits, et notamment à la vérification ponctuelle du comité des détenus cité par le demandeur. Le défendeur s’oppose à la pièce Q pour les mêmes raisons et il s’oppose aux pièces D à S inclusivement parce qu’elles ne faisaient pas partie du dossier certifié du tribunal.

[59]           Le défendeur affirme que les demandes sont théoriques dans la mesure où elles contestent les délais prévus au paragraphe 18 de la DC no 81, étant donné que les délais en question ont depuis été modifiés par suite de la suppression du second palier du processus de règlement des plaintes et des griefs des détenus. Les délais s’en trouvent ainsi réduits d’au moins 15 à 25 jours.

[60]           À titre subsidiaire, le défendeur fait valoir, relativement à la contestation de la validité de la DC no 81 maintenant périmée, que la seule question à laquelle il convient de répondre est celle de savoir si l’attribution légale de pouvoirs permettait au commissaire d’adopter la directive en question. Les paragraphes 18 à 20 de la DC no 81 périmée et la directive dans son ensemble étaient valides et relevaient des pouvoirs prévus à l’alinéa 4f) et aux articles 90 et 91 de la Loi.

[61]           Le défendeur affirme que les directives du commissaire sont des « règlements » au sens du paragraphe 2(1) de la Loi d’interprétation, LRC 1985, c I‑21 (voir Mercier c Canada (Service correctionnel), 2010 CAF 167, au paragraphe 58, autorisation d’appel refusée [2011] CSCR no 31), et qu’elles bénéficient d’une présomption de validité (voir Katz Group Canada Inc c Ontario (Santé et Soins de longue durée), 2013 CSC 64, [2013] 3 RCS 810, au paragraphe 25 [Katz]). Ainsi que la Cour suprême l’a affirmé dans l’arrêt Katz, au paragraphe 24, « [p]our contester avec succès la validité d’un règlement, il faut démontrer qu’il est incompatible avec l’objectif de sa loi habilitante ou avec le cadre du mandat prévu par la Loi ». Voir également l’arrêt McDougall, précité, au paragraphe 29, qui concernait plus particulièrement une directive du commissaire.

[62]           La présomption de validité impose à celui qui conteste le Règlement le fardeau de démontrer qu’il est invalide et elle « favorise une méthode d’interprétation qui concilie le règlement avec sa loi habilitante de sorte que, dans la mesure du possible, le règlement puisse être interprété d’une manière qui le rend intra vires » (Katz, précité, au paragraphe 25). Le défendeur affirme que le Règlement devrait par conséquent être déclaré ultra vires uniquement dans un cas évident, lorsqu’il est « sans importance », qu’il est « non pertinent » ou qu’il est « complètement étranger à l’objet de la Loi » (ibid., au paragraphe 28). Cette analyse « ne comporte pas l’examen du bien‑fondé du règlement pour déterminer s’il est nécessaire, sage ou efficace dans la pratique” » (ibid., au paragraphe 27).

[63]           Le défendeur affirme que les délais prévus au paragraphe 18 de la DC no 81 périmée sont visés par l’exigence imposée par la Loi d’établir une procédure de règlement juste et expéditif des griefs des délinquants (article 90 de la Loi) et de répondre « aussitôt que possible après » que la plainte ou le grief a été soumis (paragraphes 74(3), 74(5) et 80(3) du Règlement). L’expression « aussitôt que possible » signifie que le commissaire a le pouvoir discrétionnaire de fixer le délai, compte tenu des exigences opérationnelles et du contexte précis du grief, et il convient de mettre cette expression en contraste avec d’autres dispositions du Règlement qui imposent des délais de réponse précis. De même, l’expression « aussitôt que possible » confère au commissaire le pouvoir d’accorder des prorogations de délai pour répondre aux griefs.

[64]           Le défendeur affirme que le demandeur se fonde à tort sur l’article 74 de la Loi pour affirmer que le SCC doit consulter le détenu avant de décider d’accorder une prorogation de délai, alors qu’en fait cet article ne s’applique qu’aux décisions concernant « tout ou partie de la population carcérale ». Le détenu qui recourt à la procédure de règlement des griefs ne constitue pas une « partie de la population carcérale » au sens de cette disposition.

[65]           En ce qui concerne les décisions elles-mêmes, le défendeur affirme que chacune des réponses appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit et que les décisions répondent à toutes les préoccupations soulevées par les arguments formulés au troisième palier. Les auteurs des décisions reconnaissent les problèmes auxquels le SCC est confronté en ce qui a trait à la procédure de règlement des griefs et elles fournissent des renseignements à ce sujet et mentionnent les mesures que le SCC prend pour régler ces problèmes. Le défendeur soutient qu’il s’agit d’une réponse raisonnable aux problèmes soulevés par le demandeur : Ouellette c Canada (Procureur général), 2012 CF 801, au paragraphe 35; Timm c Canada (Procureur général), 2011 CF 576, aux paragraphes 7 et 8 [Timm].

[66]           Le défendeur affirme en outre que les griefs du demandeur relèvent carrément de la catégorie des plaintes « vexatoires » qui, selon les constatations faites par le professeur Mullan dans le cadre de son examen externe, constitue un problème. Il s’agit de [traduction] « plaintes sur des plaintes » qui soulèvent des questions déjà abordées dans les plaintes précédentes et qui visent à obtenir des sanctions disciplinaires contre des membres du personnel chargés d’appliquer la procédure de règlement des griefs. Suivant le défendeur, le demandeur persiste à contester la procédure de règlement des griefs en ressassant ses mêmes vieux griefs, dont certains remontent à 2006.

[67]           Le défendeur affirme enfin que la demande d’injonction du demandeur est dépourvue de fondement juridique et qu’elle devrait être rejetée. L’injonction réclamée obligerait la Cour à s’écarter de son rôle juridictionnel et à créer une nouvelle procédure de règlement des griefs des détenus qui prévoirait des délais jugés appropriés par le demandeur (McDougall, précité, au paragraphe 46).

ANALYSE

Introduction

[68]           Le demandeur a saisi la Cour de deux demandes de contrôle judiciaire de deux décisions connexes portant sur des griefs. Il demande par ailleurs à la Cour d’examiner et d’évaluer ce qu’il considère être des problèmes systémiques entachant toute la procédure de règlement des plaintes et des griefs prévue par la Loi et par ses règlements d’application et ses directives. Il demande en fait à la Cour d’imposer par voie d’injonction des solutions aux problèmes que comporte selon lui la procédure de règlement des griefs. À son avis :

[traduction]

Les bureaucrates du SCC ont transformé ce processus en une procédure intéressée et bureaucratique par laquelle ils rationalisent et justifient leurs propres décisions en agissant à la fois comme procureurs, en faisant valoir des arguments intéressés contre le grief du détenu et, en fin de compte, comme juges, et ce, à leur propre profit.

[69]           Les problèmes et les frustrations persistants engendrés par le système de règlement des griefs ont été reconnus et étudiés et des réformes ont été adoptées pour régler certains des problèmes les plus flagrants, bien qu’il soit évident que le demandeur et d’autres détenus estiment toujours qu’il en faudrait davantage pour que le SCC s’acquitte des obligations que lui impose la Loi de prévoir une procédure permettant de résoudre rapidement et de façon expéditive les griefs des détenus.

[70]           Il vaut la peine de signaler dans le cadre des présentes demandes que l’auteur de l’une des décisions à l’examen a fait droit en partie le grief du demandeur et que l’autre a reconnu qu’il avait subi un délai déraisonnable (tout en concluant que des mesures correctives avaient déjà été prises et qu’aucune autre mesure n’était requise). Mais le demandeur est revenu à la charge parce qu’il estimait que les décisions en question n’allaient pas assez loin pour régler d’importants problèmes systémiques qui ont d’importantes conséquences sur la vie de l’ensemble des détenus. En particulier, il souhaiterait que des délais impératifs soient imposés pour que les griefs soient examinés rapidement et que le personnel du SCC ne puisse s’accorder unilatéralement des prorogations de délai arbitraires dans son propre intérêt. Il souhaite également que les membres du personnel qui abusent du système fassent l’objet de sanctions disciplinaires d’une manière transparente et conséquente pour les inciter à s’assurer d’examiner les plaintes et les griefs conformément à la Loi et à ses règlements d’application.

[71]           Les frustrations qu’éprouve le demandeur face au système sont compréhensibles. Il importe toutefois de signaler qu’il n’est pas le seul à éprouver des frustrations et des préoccupations. Lorsque le professeur Mullan a produit son rapport en 2010, il a notamment constaté que [traduction] « parmi ses reproches, mentionnons le gaspillage de ressources que constitue la procédure de règlement des plaintes et des griefs des délinquants, la quantité de plaintes et de griefs générés par un nombre relativement peu élevé de délinquants » et le fait que dans certains de ces cas, mais non dans la totalité, les détenus en question [traduction] « semblent chercher délibérément à faire dérailler le processus » (rapport Mullan, dossier du défendeur dans l’affaire T‑179‑13, à la page 124). Le défendeur estime que le demandeur est l’un de ces détenus. À mon avis, toutefois, les tentatives répétées visant à utiliser le système de traitement des plaintes et de griefs pour en faire ressortir les failles (après tout, de quel autre recours dispose un détenu?) ne peuvent être automatiquement assimilées à une conduite répréhensible de la part des détenus particuliers. Le gaspillage des ressources constitue de toute évidence l’un des principaux défis auxquels les deux parties sont confrontées, et l’un des problèmes que soulève la suggestion du demandeur quant à l’imposition de délais obligatoires est qu’il est loin d’être évident de savoir comment on pourrait atteindre cet objectif compte tenu des ressources dont dispose le SCC. Et la Cour n’est certes pas en mesure d’obliger le législateur à mettre les ressources nécessaires à la disposition du SCC pour s’assurer de donner suite à l’opinion défendue par le demandeur sur la façon dont la procédure de règlement des griefs et des plaintes prévue par la Loi devrait être mise en œuvre. Il s’ensuit que des délais impératifs plus courts ne feraient qu’exacerber les problèmes vécus présentement à l’échelle du système.

[72]           En fait, j’estime qu’il convient de déclarer d’entrée de jeu que le demandeur n’a pas invoqué de fondement probatoire ou juridique permettant de lui accorder l’injonction qu’il réclame. Bien sûr, il ne s’ensuit pas nécessairement que, pour répondre aux plaintes déposées par le demandeur, la sous-commissaire a tenu raisonnablement compte des aspects systémiques du grief du demandeur soulevés par les faits particuliers de l’espèce. Pour examiner les décisions en question, je dois de toute évidence être conscient de ces problèmes et déterminer dans quelle mesure ils ont une influence sur les faits particuliers des griefs du demandeur. Je ne puis toutefois condamner en bloc le système de traitement des plaintes et des griefs prévu par la Loi et par ces règlements d’application comme le demandeur semble y inviter la Cour à plusieurs endroits dans ses arguments.

T‑180‑13

DC no 081

[73]           Le demandeur souhaite que la Cour déclare que la DC no 81 maintenant périmée est « invalide » parce qu’elle n’est pas conforme à l’alinéa 4f), ainsi qu’aux articles 90 et 91 de la Loi. Par souci de commodité, je reproduis les dispositions en question :

Principes de fonctionnement

4. Le Service est guidé, dans l’exécution du mandat visé à l’article 3, par les principes suivants :

[...]

f) ses décisions doivent être claires et équitables, les délinquants ayant accès à des mécanismes efficaces de règlement de griefs;

[...]

Principles that guide Service

4. The principles that guide the Service in achieving the purpose referred to in section 3 are as follows :

[...]

(f) correctional decisions are made in a forthright and fair manner, with access by the offender to an effective grievance procedure

[...]

Procédure de règlement

90. Est établie, conformément aux règlements d’application de l’alinéa 96u), une procédure de règlement juste et expéditif des griefs des délinquants sur des questions relevant du commissaire.

Grievance procedure

90. There shall be a procedure for fairly and expeditiously resolving offenders’ grievances on matters within the jurisdiction of the Commissioner, and the procedure shall operate in accordance with the regulations made under paragraph 96(u).

Accès à la procédure de règlement des griefs

91. Tout délinquant doit, sans crainte de représailles, avoir libre accès à la procédure de règlement des griefs.

Access to grievance procedure

91. Every offender shall have complete access to the offender grievance procedure without negative consequences.

[74]           Dans la DC 81 (dans sa rédaction en vigueur au moment des décisions), le commissaire fixait le délai d’examen des griefs et des plaintes au paragraphe 18 :

Les décideurs rendront une décision relativement aux plaintes et aux griefs dans les délais indiqués ci‑après.

Plaintes, griefs au premier et au deuxième paliers

         Prioritaires – Dans les 15 jours ouvrables suivant la réception de la plainte ou du grief par le coordonnateur des griefs.

         Non prioritaires – Dans les 25 jours ouvrables suivant la réception de la plainte ou du grief par le coordonnateur des griefs.

Griefs au troisième palier

         Prioritaires – Dans les 60 jours ouvrables suivant la réception du grief par le coordonnateur des griefs.

         Non prioritaires – Dans les 80 jours ouvrables suivant la réception du grief par le coordonnateur des griefs.

[75]           Le demandeur soutient essentiellement que la DC no 81, qui fixe certains délais, ne saurait être considérée comme assurant le traitement « juste », « efficace » ou « expéditif » des plaintes et des griefs comme l’exige la Loi, surtout lorsque le SCC recourt systématiquement et unilatéralement à des prorogations de délai.

[76]           En vertu de la DC no 81 périmée, les décisions portant sur les griefs prioritaires devaient être rendues dans les 15 jours de la réception de la plainte, du grief au premier palier ou du grief au second palier. Les décisions portant sur un grief non prioritaire devaient être rendues dans un délai de 25 jours. Au troisième palier, les réponses aux griefs prioritaires devaient être données dans les 60 jours de la réception du grief par le coordonnateur des griefs et, dans un délai de 80 jours, dans le cas des griefs non prioritaires.

[77]           Ainsi que le demandeur le souligne, il s’agit de jours ouvrables, de sorte que par 15 jours ouvrables, il faut entendre trois semaines, tandis que dans le cas de 25 jours ouvrables, il s’agit davantage d’un mois, dans le cas de 60 jours ouvrables, de près de trois mois et, dans le cas de 80 jours ouvrables, de presque quatre mois. On ne saurait à son avis qualifier ce processus d’expéditif.

[78]           Le paragraphe 20 de la DC no 81 portait sur les prorogations de délai :

Si le directeur de l’établissement, le sous-commissaire régional ou le directeur, Recours des délinquants, juge qu’un délai plus long est nécessaire pour traiter adéquatement une plainte ou un grief, le plaignant doit être informé, par écrit, des raisons de la prolongation du délai et de la date à laquelle la décision sera rendue.

[79]           Le demandeur affirme que l’on fait arbitrairement abstraction du consentement du détenu à une prorogation de délai, de sorte qu’il suffit pour le personnel du SCC de proroger le délai à sa convenance. En pratique, cette façon de procéder se traduit par un refus d’accès, par un refus d’équité procédurale et par un refus d’accorder une procédure de règlement efficace et expéditif des griefs. Suivant le demandeur, il s’ensuit également que la DC no 81 n’est pas conforme à la volonté du législateur exprimée à l’alinéa 4f) ainsi qu’aux articles 90 et 91 de la Loi et à l’article 74 du Règlement. Le demandeur affirme qu’il s’ensuit également que le commissaire a outrepassé les pouvoirs que lui confère l’article 97 de la Loi en matière de formulation et de publication de directives.

[80]           Le défendeur affirme qu’il n’y a aucun litige actuel au sujet du paragraphe 18 de la DC no 81 étant donné que le Règlement a récemment été modifié pour supprimer la procédure de règlement des griefs au second palier, ce qui réduit d’au moins 15 à 25 jours les délais qu’aurait nécessités l’examen du grief au second palier.

[81]           Il me semble toutefois que la suppression du second palier de traitement des griefs ne répond pas aux reproches adressés par le demandeur au sujet des délais abusifs ou du fait que les prorogations unilatérales minent l’ensemble de la procédure de règlement des griefs.

[82]           Le demandeur soutient en fin de compte que les directives du commissaire sur les délais ne fonctionnent tout simplement pas et qu’elles se traduisent en pratique par un système de règlement des griefs dysfonctionnel, comme l’illustre la présente situation. Toutefois, même si la Cour devait abonder dans le sens du demandeur et convenir avec lui que les directives n’ont pas permis d’obtenir un système de règlement des griefs efficace, rien ne permet de penser que les paragraphes 18 et 20 contestés de la DC no 81 ne relèvent pas du mandat législatif prévu aux articles 90 et 91 et à l’alinéa 4f). Ainsi qu’il ressort à l’évidence du rapport du professeur Mullan, le régime de règlement des griefs dysfonctionnel s’explique par plusieurs causes, et notamment par la façon dont les détenus s’en servent. Le fait de réduire les délais ne supprimera ou ne diminuera pas nécessairement le mauvais usage qui est fait du système. En fait, cette solution pourrait aisément exacerber le problème si le SCC était forcé de répondre rapidement dans un contexte dans lequel il ne dispose pas des ressources nécessaires pour répondre. On assisterait alors au dépôt d’autres griefs pour cause de retards et on se retrouverait avec un système encore plus problématique que celui qui existe actuellement. Les arguments du demandeur ne tiennent compte que du point de vue du détenu. Le demandeur souhaite une réponse presque immédiate (deux jours ouvrables pour les plaintes, sept jours ouvrables pour les griefs au premier et au second palier et quatorze jours ouvrables pour les griefs au troisième palier) et il ne dit rien au sujet de la façon dont on pourrait respecter de tels délais dans le cas de plaintes et de griefs dont la complexité varie d’un cas à l’autre et dont certains peuvent nécessiter une enquête approfondie. Il ne précise pas non plus comment des délais aussi courts permettraient d’améliorer un système qui croule déjà sous le poids du nombre de griefs déposés. Le demandeur demande simplement à la Cour de supposer que tous les problèmes que comporte le système s’expliquent par la mauvaise foi du commissaire et du personnel du SCC. La preuve dont je dispose, et notamment le rapport du professeur Mullan, donne à penser autrement.

[83]           Du point de vue juridique, le demandeur n’a pas abordé la question de savoir dans quelle mesure la Cour peut effectivement se substituer au commissaire, dont les directives constituent des règlements au sens du paragraphe 2(1) de la Loi d’interprétation. Le demandeur souhaiterait démontrer à la Cour que la DC no 81 et la DC no 60 contredisent les objectifs de la Loi et du Règlement. Pour ce faire, il doit franchir la première étape précisée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Canada (Commission canadienne du blé), 2009 CAF 214, au paragraphe 46 :

La première étape d’une analyse de la validité consiste à identifier la portée et l’objet du pouvoir conféré par la loi en vertu duquel le décret contesté a été publié. Un tel exercice exige que le paragraphe 18(1) soit examiné dans le contexte de la Loi dans son ensemble. La deuxième étape consiste à déterminer si le pouvoir conféré par la loi permet cette législation par délégation particulière (Jafari c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 2 C.F. 595, par. 14).

[84]           Ainsi que le défendeur le souligne (aux paragraphes 44 à 51 de son mémoire dans le dossier T‑179‑13) :

[traduction]

Les règlements jouissent d’une présomption de validité. Dans l’arrêt récent Katz Group Canada Inc. c Ontario, la Cour suprême du Canada a expliqué que cette présomption comporte deux aspects :

1.      « [...] elle impose à celui qui conteste le règlement le fardeau de démontrer que celui‑ci est invalide, plutôt que d’obliger l’organisme réglementaire à en justifier la validité [...] »;

2.      « ensuite, la présomption favorise une méthode d’interprétation qui concilie le règlement avec sa loi habilitante de sorte que, dans la mesure du possible, le règlement puisse être interprété d’une manière qui le rend intra vires ».

Ainsi, un règlement ne devrait être invalidé que dans les « cas flagrants » – le règlement contesté doit être « sans importance », « non pertinent » ou « complètement étranger » à l’objet de la Loi. De plus, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit :

a)      Cette analyse ne comporte pas l’examen du bien‑fondé du règlement pour déterminer s’il est « nécessaire, sage et efficace dans la pratique » [...];

b)      Les raisons qui ont motivé la prise du règlement ne sont pas pertinentes;

c)      L’analyse ne s’attache pas aux considérations sous‑jacentes « d’ordre politique, économique ou social [ni à la recherche, par les gouvernements, de] leur propre intérêt »;

d)     La validité d’un règlement ne dépend pas non plus de la question de savoir si, de l’avis du tribunal, il permettra effectivement d’atteindre les objectifs visés par la loi.

Les paragraphes 18 et 20 contestés ainsi que la DC no 81 périmée relèvent carrément dans l’ensemble du mandat législatif des articles 90 et 91 et de l’alinéa 4f). Le demandeur n’a pas démontré qu’ils sont « sans importance », « non pertinents » ou « complètement étrangers » à l’objet de la loi visé par les articles 90 et 91 et l’alinéa 4f).

L’article 90 a pour objet d’imposer au SCC l’obligation légale d’établir une procédure de règlement juste et expéditif des griefs des délinquants « conformément aux règlements d’application de l’alinéa 96u) ». Cette obligation découle du principe directeur énoncé à l’alinéa 4f), en l’occurrence que les « décisions [du Service] doivent être claires et équitables, les délinquants ayant accès à des mécanismes efficaces de règlement des griefs ». À cette fin, l’article 91 garantit à tout délinquant un libre accès à la procédure de règlement des griefs, sans crainte de représailles.

Les délais prévus au paragraphe 18 de la DC no 81 périmée tombent sous le coup de l’obligation imposée par la Loi suivant laquelle le processus de règlement des griefs doit être « efficace et expéditif ». La Loi est muette sur ce qui constitue un délai acceptable pour répondre aux griefs. Toutefois, dans l’exercice du pouvoir de prendre des règlements que lui confère l’alinéa 96u) de la Loi, le gouverneur en conseil a prescrit au SCC de répondre « aussitôt que possible après » que le délinquant a porté plainte ou fait appel.

À notre humble avis, l’expression « aussitôt que possible » signifie que le commissaire a le pouvoir discrétionnaire de fixer les délais, en tenant compte des exigences opérationnelles et du contexte spécifique de chaque grief. Ce libellé doit être mis en contraste avec les autres dispositions de la Loi, par exemple celui employé dans le cas des transfèrements volontaires à l’article 15 qui prévoit des délais de réponse précis.

La Directive respecte l’obligation imposée par la Loi en ce qui a trait au traitement expéditif des griefs; il prévoit un délai plus court pour répondre aux griefs prioritaires par opposition aux plaintes non prioritaires; il exige la mise en place de mécanismes alternatifs de règlement des différends pour faciliter le règlement informel des plaintes et des griefs. Il prévoit également que le personnel doit tout mettre en œuvre pour régler les problèmes en recourant à ces mécanismes.

De même, l’expression « aussitôt que possible » confère au commissaire le pouvoir de proroger les délais de réponse aux griefs.

[85]           En termes courants, cela signifie que, même si la Cour est d’accord avec le demandeur pour dire que la procédure de règlement des plaintes et des griefs ne fonctionne pas comme elle le devrait et même si la Cour devait être d’accord avec lui pour dire que des délais plus courts devraient être avantageux, il ne s’ensuit pas pour autant que la Cour peut imposer sa conception de la méthode qui à son avis permettrait d’atteindre les objectifs prévus par la Loi pour régler les griefs sous le régime du Règlement. Pour tirer une telle conclusion, il faudrait nécessairement évaluer la justesse des politiques et s’arrêter aux aspects pratiques que comporte l’atteinte des objectifs de la Loi. De toute évidence, comme la Cour suprême du Canada l’a déclaré dans l’arrêt Katz, précité, la Cour ne peut jouer ce rôle. Il s’agit d’un arrêt récent et unanime dans lequel la Cour suprême a bien précisé que les circonstances dans lesquelles une législation déléguée peut être invalidée en raison de son incompatibilité avec l’objet ou les objectifs de sa loi habilitante sont effectivement très rares :

[28] ...La validité d’un règlement ne dépend pas non plus de la question de savoir si, de l’avis du tribunal, il permettra effectivement d’atteindre les objectifs visés par la loi (CKOY Ltd. c. La Reine, [1979] 1 R.C.S. 2, à la page 12; voir également Jafari, p. 602; Keyes, p. 266). Pour qu’il puisse être déclaré ultra vires pour cause d’incompatibilité avec l’objet de la loi, le règlement doit reposer sur des considérations « sans importance », doit être « non pertinent » ou être « complètement étranger » à l’objet de la loi (Alaska Trainship Corà la page c. Administration de pilotage du Pacifique, [1981] 1 R.C.S. 261; Re Doctors Hospital and Minister of Health (1976), 12 O.R. (2d) 164 (Cour div.); Produits Shell Canada Ltée c. Vancouver (Ville), [1994] 1 R.C.S. 231, p. 280; Jafari, p. 604; Brown et Evans, 15:3261). En réalité, bien qu’il soit possible de déclarer un règlement ultra vires pour cette raison, comme le juge Dickson l’a fait observer, « seul un cas flagrant pourrait justifier une pareille mesure » (Thorne’s Hardware, p. 111).

[Non souligné dans l’original.]

[86]           Le demandeur n’a pas démontré, conformément à la jurisprudence applicable, que la DC no 80 déborde, sous quelque rapport, des pouvoirs que la Loi confère au commissaire. Il n’a pas non plus démontré que, ce qu’il qualifie en l’espèce de problèmes systémiques découlant des délais a empêché que sa plainte et son grief initial soient examinés conformément au Règlement. La plainte initiale du demandeur (la plainte 2709) portait sur le déversement d’ordures à l’extérieur de son unité. N’ayant pas reçu de réponse à la date prévue (le 26 juillet 2011), le demandeur a formulé un grief au sujet de ce délai et son grief a été accueilli. On a rappelé au personnel de respecter les délais.

[87]           Je suis également d’accord avec le défendeur pour dire que l’article 74 de la Loi n’aide pas le demandeur. Bien que le demandeur considère qu’il représente une « partie de la population carcérale » qui dépose des plaintes et des griefs, ce sont les griefs individuels qu’il a déposés qui sont soumis à l’examen de la Cour. Rien n’empêche le demandeur de soulever les problèmes systémiques qui l’ont empêché d’obtenir une réparation juste et de manière expéditive. Tous les détenus peuvent en faire autant en formulant des griefs à titre individuel.

[88]           L’article 74 de la Loi dispose :

Participation aux décisions

Inmate input into decisions

74. Le Service doit permettre aux détenus de participer à ses décisions concernant tout ou partie de la population carcérale, sauf pour les questions de sécurité.

74. The Service shall provide inmates with the opportunity to contribute to decisions of the Service affecting the inmate population as a whole, or affecting a group within the inmate population, except decisions relating to security matters.

[89]           Le sens courant des mots « concernant tout ou partie de la population carcérale » est clair et le demandeur ne m’a cité aucun précédent qui m’autoriserait à m’écarter de ce sens courant. Le demandeur ne représente pas « tout ou partie de la population carcérale » et la décision de proroger le délai imparti pour rendre une décision portant sur ses griefs ne le touche que lui. L’article 74 de la Loi visait de toute évidence à faciliter la participation des détenus aux décisions concernant des groupes de détenus et non des détenus en particulier. Ainsi que le juge O’Reilly l’a fait observer dans le jugement Spidel c Canada (Procureur général), 2012 CF 1245, le commissaire a prévu à la DC no 083 une structure permettant au représentant des comités des détenus la possibilité de donner leur avis au sujet du fonctionnement des établissements carcéraux. C’est le type de participation au processus de décision qu’envisage l’article 74 de la Loi.

[90]           L’article 20 de la DC no 81 prévoit que, lorsque le délai imparti pour rendre une décision doit être prorogé, le plaignant doit « être informé, par écrit, des raisons du délai et de la date à laquelle la décision sera rendue ». La Loi et la DC no 81 n’exigent pas de consulter au préalable le demandeur. Au vu du dossier qui m’a été soumis, la question posée au premier et au second paliers portait sur le fait que les délais n’avaient pas été respectés et non sur le fait que des prorogations de délai avaient été accordées de façon arbitraire. Au troisième palier, des prorogations de délai avaient été demandées et le demandeur avait été informé par écrit des motifs du délai, en l’occurrence [traduction] « une enquête plus approfondie est nécessaire pour procéder à une analyse approfondie des questions soulevées dans votre exposé » (dossier du demandeur dans l’affaire T‑180‑13, aux pages 170 et 171, concernant le grief 3399, et aux pages 208 et 209 concernant le grief 6395).

DC no 60

[91]           Dans le cadre de son grief, le demandeur a demandé que la DC no 60 soit appliquée contre les membres du personnel qui ne se sont pas conformés à la DC no 81. La DC 60 est la directive du commissaire correspondant au code de discipline du personnel du SCC. Il est possible de soutenir, par exemple, que le défaut de respecter les délais prévus à la DC no 81 devrait constituer une infraction à l’article 6 de la DC no 60. L’alinéa g) dispose que commet une infraction l’employé qui « omet de respecter ou d’appliquer une loi, un règlement, une directive du commissaire, un ordre permanent ou une autre directive quelconque ayant trait à ses fonctions ». Selon le demandeur, il ne suffit pas de se contenter de rappeler au personnel d’observer les délais. Le demandeur affirme que l’on devrait conserver un registre de toutes les infractions en question et que l’on devrait tenir les membres du personnel responsables de ces retards. Il estime qu’une telle mesure permettrait d’améliorer le régime de règlement des plaintes et des griefs.

[92]           Au second palier, on a répondu que le mandat de la Division des recours des délinquants se limitait à la procédure de règlement des griefs et qu’elle n’englobait pas l’imposition de sanctions disciplinaires au personnel. La réponse donnée au troisième palier au grief 6395 précisait que les mesures prises pour répondre aux préoccupations exprimées au sujet du comportement du personnel étaient conformes aux politiques du Conseil du Trésor et que, selon la Loi sur la protection des renseignements personnels, les renseignements concernant les sanctions disciplinaires infligées à des membres du personnel ne pouvaient être divulgués. L’argument essentiel était que les mesures disciplinaires concernant le personnel ne faisaient pas partie du système de règlement des griefs.

[93]           La DC no 60 ne renferme elle-même aucun mécanisme de répression des infractions, bien qu’elle prévoie, dans le cas de mauvais traitements ou de harcèlements des détenus, un processus qui ne s’applique pas ici, compte tenu des faits de l’espèce. Les sanctions disciplinaires infligées au personnel du SCC soulèvent les questions de relations de travail et concernent les politiques du Conseil du Trésor ainsi que des questions qui intéressent le syndicat et la direction. Il semblerait qu’il n’existe aucune façon de faire respecter la DC no 60 dans le cadre de la procédure de règlement des griefs.

[94]           D’ailleurs, le paragraphe 2 de la DC no 60 précise qu’« il incombe à la direction du Service de veiller [...] à prendre de manière prompte et impartiale les mesures correctives qui s’imposent, lorsqu’il y a lieu ». Les détenus ne jouent aucun rôle direct dans ce processus. On peut imaginer de nombreuses raisons de principe valables pour expliquer cette situation. La direction du SCC doit gérer une dynamique délicate, entre le personnel des établissements et les détenus, qui pourrait être affectée négativement si les décisions disciplinaires étaient diffusées dans le grand public ou si l’on permettait aux délinquants de jouer un rôle trop direct dans le processus disciplinaire, sans parler des problèmes de respect de la vie privée évoqués par la sous‑commissaire. La procédure de règlement des griefs permet essentiellement aux délinquants de forcer le SCC à examiner les allégations d’inconduite du personnel et d’y répondre lorsqu’ils s’estiment lésés par de telles inconduites sans aller pour autant jusqu’à contrôler ou contester les décisions prises par la suite en matière de sanctions disciplinaires.

[95]           Les auteurs des décisions ne disent pas qu’aucune mesure disciplinaire n’a été prise. La décision qui a été rendue en réponse au grief 6395 précise que des mesures sont prises lorsqu’elles sont justifiées en conformité avec les politiques du Conseil du Trésor et que ces mesures ne sont pas divulguées aux détenus. À mon avis, cette façon de procéder est conforme aux responsabilités que la DC no 60 attribue à la direction, et le demandeur n’a pas démontré qu’elle contredit les obligations imposées par la Loi, le Règlement ou la DC no 80. Le demandeur voudrait que la Cour réexamine la sagesse de cette approche, ce que je refuse de faire.

[96]           Le demandeur n’a pas démontré qu’il est sans recours s’il a des reproches à formuler au sujet du comportement des membres du personnel. Toutefois, la question de savoir si des mesures correctives s’imposent pour répondre à son grief est distincte de celle de savoir si des mesures disciplinaires doivent être prises pour aborder la question du comportement du personnel. Le demandeur ne peut exiger la prise de mesures disciplinaires contre le personnel carcéral par le biais de la procédure de règlement des griefs.

[97]           Je le répète, le demandeur invite la Cour à conclure de façon systémique qu’il existe de la part du personnel du SCC un mépris généralisé à l’égard de la DC no 81 et des délais qui y sont prévus et que l’on devrait aborder ce problème dans le cadre de la procédure de règlement des griefs. Dans les présentes demandes, la Cour n’est toutefois pas chargée de contrôler l’ensemble de la procédure de règlement des plaintes et des griefs. Le professeur Mullan s’est récemment attaqué à cette tâche et son rapport a conduit à des changements et à des tentatives en vue de résoudre certains de ces problèmes. Il n’appartient pas à la Cour d’ordonner que la conduite du personnel (c.‑à‑d. le non‑respect des délais dont sont assortis les griefs et les plaintes) fasse partie du système de règlement des griefs lui-même.

[98]           À mon avis, la méthode actuelle est conforme au paragraphe 2 de la DC no 60 et il n’a pas été démontré qu’elle était incompatible avec les exigences de l’alinéa 4f) et des articles 90 et 91 de la Loi et de l’article 12 de la Loi d’interprétation.

Décision au troisième palier – Caractère raisonnable

[99]           En plus de ses observations générales au sujet des problèmes systémiques de délais et de reddition de comptes des membres du personnel qui ne respectent pas les délais en question, le demandeur conteste également les réponses données au troisième palier par le commissaire à certains des problèmes qu’il a soulevés dans son grief.

Première question : Modification du numéro de son grief sans son consentement

[100]       Le demandeur affirme que, malgré le fait que son grief a été accueilli, cette décision ne s’est traduite par aucune mesure concrète pour corriger la négligence avec laquelle les griefs des détenus sont traités.

[101]       Cette question concerne en partie la DC no 60 que j’ai déjà examinée. Dans un sens général, je ne vois pas en quoi la réponse donnée à cette question au troisième palier était déraisonnable. On a expliqué au demandeur qu’une erreur administrative était survenue à la suite de laquelle deux griefs avaient été créés et que le commissaire régional rappellerait aux membres du personnel de ne pas modifier les griefs soumis par les détenus. Le demandeur a tenté de faire passer ces erreurs administratives pour des erreurs systématiques qui nécessiteraient d’infliger des sanctions disciplinaires plutôt que de simples rappels aux membres du personnel. Rien ne permet de penser que de telles mesures se justifient ou que la réponse donnée était déraisonnable.

Deuxième question : Mesures disciplinaires infligées au personnel

[102]       Le demandeur affirme que la réponse à la deuxième question était déraisonnable et que l’on devrait ordonner au commissaire de répondre aux paragraphes 1 à 3 de son grief au troisième palier.

[103]       À mon avis, la décision répondait raisonnablement aux questions soulevées aux paragraphes 1 à 3 du grief 6395 : elle expliquait comment le numéro de grief avait été modifié; elle expliquait la raison pour laquelle la DC no 60 ne pouvait être appliquée par le biais de la procédure de règlement du grief et elle fournissait des renseignements sur les mesures en cours pour améliorer la procédure de règlement des griefs dans son ensemble.

Troisième question : Rapidité des réponses données dans le cadre de la procédure de règlement des griefs

[104]       Dans la mesure où cette question concerne la DC no 81 et le respect des délais, je tiens à signaler que j’ai déjà examiné cette question et que la réponse donnée était raisonnable. Je ne suis également pas d’accord avec le demandeur pour dire que la réponse n’était rien de plus qu’une [traduction] « diatribe non pertinente » sur les lacunes que comporte la procédure de règlement des griefs. Le traitement tardif du grief 2709 et du grief 3399 du demandeur a été reconnu et des mesures ont été prises. Le demandeur a choisi de poursuivre son grief pour faire examiner ce qu’il considérait être des problèmes systémiques. Dans sa réponse, la sous-commissaire explique les mesures prises pour régler les problèmes systémiques. Il n’y a rien de déraisonnable dans cette façon de procéder.

T‑179‑13

[105]       Le demandeur soulève de nouveau les questions relatives à la DC no 81 et à la DC no 60 déjà analysées au sujet du dossier T‑180‑13. Il n’y a rien de nouveau à signaler dans le cas du dossier T‑179‑13. Par conséquent, je n’examinerai que les aspects des arguments invoqués par le demandeur au sujet de la décision effectivement rendue au sujet du grief 3399 qui concerne le caractère raisonnable de cette dernière.

Décision au troisième palier – Caractère raisonnable

Première question : Infractions répétées par les membres du personnel de l’établissement

[106]       Le demandeur affirme que le commissaire n’a pas pris acte ou examiné les éléments de preuve concernant les infractions répétées qu’il avait mentionnées aux paragraphes 8 à 19 de son grief au second palier.

[107]       Les réponses données au deuxième et au troisième paliers doivent être examinées conjointement en ce qui concerne cette question. Les griefs formulés par le demandeur au troisième palier renferment plusieurs allégations générales contre M. Gaignard, mais le demandeur a fourni des détails au sujet des infractions commises par le personnel dans ses griefs au second palier. Comme le résumé administratif le démontre à l’évidence, les allégations formulées par le demandeur contre le personnel ont été examinées au second palier :

[traduction

Comme nous l’avons déjà signalé, le grief au premier palier de M. Johnson V40R00003399 concernant les infractions relatives au respect des délais et au traitement des griefs dans le grief V40R00002709 a été accueilli. Il a choisi de faire examiner de nouveau ses préoccupations au second palier. Monsieur Johnson est insatisfait des mesures correctives prises au premier palier, en l’occurrence le rappel fait au personnel des établissements de respecter les délais lorsqu’ils répondent aux plaintes et aux griefs. Monsieur Johnson est d’avis que la procédure de règlement des griefs est dysfonctionnelle et il demande que l’on respecte la directive du commissaire no 60(le Code de discipline) et que le personnel soit tenu de rendre des comptes.

Il réclame un examen de la situation des membres du personnel ayant commis des infractions répétées et documentées et qui sont présentement récompensés pour leur inconduite pour s’assurer de leur trouver un poste qui leur convient davantage et pour éviter qu’ils continuent de se livrer à des abus de pouvoir. À l’appui, il a fourni des détails au sujet des infractions relatives au non-respect des délais et au traitement des griefs et des plaintes à partir de 2006.

Il ressort de l’examen au second palier que les problèmes soulevés par M. Johnson au sujet des infractions au Code de discipline et des abus de pouvoir dans le cadre de la procédure de règlement des griefs ont déjà été examinés au second palier lors de l’examen au second palier des griefs numéros V40R00006395 et V40R00002640. Il est documenté que M. Johnson a été informé que la Division des Recours des délinquants ne s’occupe pas de discipliner les membres du personnel. Cette réparation a déjà été refusée conformément aux Lignes directrices no 081‑1.

Comme nous l’avons déjà souligné, cette question a déjà été examinée et, par conséquent, il est recommandé qu’il soit décidé de répondre à cette question en expliquant qu’aucune autre mesure n’est requise.

[108]       Voici le passage pertinent de la réponse donnée au second palier que l’on trouve aux pages 23 et 24 du dossier du demandeur dans l’affaire T‑179‑13 :

[traduction

Comme nous l’avons déjà signalé, votre grief au premier palier V40R00003399 concernant les infractions relatives au respect des délais et au traitement des griefs dans le grief V40R00002709 a été accueilli. Vous avez choisi de faire examiner de nouveau vos préoccupations au second palier. Vous êtes insatisfait des mesures correctives prises au premier palier, en l’occurrence le rappel fait au personnel des établissements de respecter les délais lorsqu’ils répondent aux plaintes et aux griefs. Vous êtes d’avis que la procédure de règlement des griefs est dysfonctionnelle et vous demandez que l’on respecte la directive du commissaire no 60 (le Code de discipline) et que le personnel soit tenu de rendre des comptes. Vous réclamez un examen de la situation des membres du personnel ayant commis des infractions répétées et documentées et qui sont présentement récompensés pour leur inconduite pour s’assurer de leur trouver un poste qui leur convient davantage et pour éviter qu’ils continuent de se livrer à des abus de pouvoir. À l’appui, vous avez fourni des détails au sujet des infractions relatives au non-respect des délais et au traitement des griefs et des plaintes à partir de 2006.

Il ressort de l’examen au second palier que les problèmes que vous avez soulevés au sujet des infractions au Code de discipline et des abus de pouvoir dans le cadre de la procédure de règlement des griefs ont déjà été examinés au second palier dans les griefs au second palier numéros V40R00006395 et V40R00002640. Il est documenté que vous avez été informé que la Division des Recours des délinquants ne s’occupe pas de discipliner les membres du personnel. Cette réparation a déjà été refusée.

L’extrait suivant de la politique s’applique :

[extraits des Lignes directrices no 81-1 concernant les situations dans lesquelles aucune autre mesure n’est requise]

Comme nous l’avons déjà souligné, cette question a déjà été examinée et, par conséquent, aucune autre mesure n’est requise.

[109]       La question a également été abordée au second palier dans le grief 6395 :

[traduction

Monsieur Johnson, vous demandez que la Directive du commissaire no 060 (Code de discipline) soit appliquée à la place des rappels constants réclamés à titre de mesures correctives. Vous réclamez également un examen de la situation des membres du personnel récidivistes afin d’assurer qu’on leur trouve un poste qui leur convient davantage et pour éviter qu’ils continuent de se livrer à des abus de pouvoir.

La Division des Recours des délinquants a pour mission d’assurer le respect du principe de la primauté du droit et des droits des délinquants en leur assurant un accès à un mécanisme de réparation juste et efficace et en recommandant des mesures correctives dans les cas de mauvais traitements ou d’injustice et de s’assurer que les problèmes, les préoccupations et les attentes des délinquants soient portés à l’attention des cadres hiérarchiques et des cadres fonctionnels du service en fournissant des renseignements axés sur les griefs sur les tendances et sur des questions précises.

Nous améliorons, adaptons et communiquons constamment des outils qui peuvent être mis en œuvre et nous nous assurons d’améliorer constamment la procédure de règlement des griefs et de l’adapter aux nouvelles tendances et au milieu opérationnel.

Comme vous le constaterez à la lecture du mandat et des objectifs susmentionnés de la Division des Recours des délinquants, notre service n’a pas pour rôle de discipliner les membres du personnel. Nous continuerons à adresser des rappels aux membres du personnel de l’Établissement de Warkworth s’ils ne respectent pas les politiques en ce qui concerne les méthodes à suivre en matière de traitement des griefs. Toutefois, comme vous le savez déjà, le personnel de l’Établissement de Warkworth doit composer avec de nombreuses difficultés chaque jour en ce qui a trait à la sécurité opérationnelle, aux contraintes budgétaires et au roulement du personnel. Tous ces éléments peuvent avoir des effets négatifs et nuire au respect de la procédure de règlement des griefs. Bien que les autorités du second palier soient conscientes du fait que le personnel de l’Établissement de Warkworth ne respecte pas toujours la procédure de règlement des griefs, il ne s’agit pas toujours d’abus de pouvoir et il peut s’agir simplement d’obstacles administratifs qui font partie intégrante de tout cadre institutionnel.

De plus, l’Administration régionale ainsi que l’Administration centrale continuent à établir des rapports concernant une vaste gamme de statistiques en matière de griefs pour suivre l’évolution des tendances en matière de griefs et pour mettre en œuvre des méthodes améliorées visant à aider les établissements à donner suite aux préoccupations formulées par les détenus.

Cette question est refusée.

Dans l’ensemble, votre grief au second palier est rejeté.

[110]       Lorsqu’il a présenté ses plaintes au troisième palier relativement au grief 3399, le demandeur a omis des détails et n’a fourni qu’un résumé du type et du nombre d’infractions qu’il croyait que les membres du personnel avaient commises.

[111]       Il ressort de l’ensemble du dossier que le demandeur a obtenu une réponse complète sur cette question.

Quatrième question : Obligation pour les détenus de demander une entrevue

[112]       Cette question porte sur l’argument du demandeur suivant lequel des entrevues entre les détenus et les membres du personnel devraient avoir lieu systématiquement. Une réponse complète et raisonnable a été donnée à cette question. Le demandeur n’est peut-être pas d’accord avec la réponse qui lui a été donnée, mais il n’a fait valoir aucune raison convaincante justifiant d’écarter cette réponse comme déraisonnable. La sous-commissaire a expliqué que la possibilité de demander une entrevue existait à chaque stade du processus, mais que le délinquant devait s’en prévaloir parce qu’il n’est pas obligé de participer. Je tiens notamment à signaler que le formulaire de plainte comporte, à la première étape du processus, une case indiquant « je demande une entrevue » (voir le dossier du défendeur dans l’affaire T‑180‑13, à la page 38). Or, le demandeur n’a pas coché cette case lorsqu’il a déposé sa première plainte, ni lorsqu’il a formulé son grief au premier palier relativement au retard qu’accusait la réponse à cette plainte (voir le dossier du demandeur dans l’affaire T‑179‑13, aux pages 220 et 221). Il est difficile d’ajouter foi à l’argument du demandeur que le défaut d’accorder systématiquement une entrevue constitue un obstacle systémique au règlement informel des différends encouragé par le paragraphe 74(2) du Règlement alors même qu’il n’a pas pris les mesures les plus élémentaires pour se prévaloir lui-même de cette possibilité.

Sixième question : Délai dans le traitement du grief V40R00006761

[113]       Le demandeur affirme qu’il n’a obtenu aucune réponse au sujet des paragraphes 2, 3 et 4 de son grief au troisième palier. Il affirme qu’il a signalé le retard qu’accusait les réponses à l’un de ses autres griefs, celui portant le numéro V40R00006761 – simplement pour illustrer les problèmes systémiques qui existent et le fait que la sous-commissaire était passée à côté de la question lorsqu’elle avait répondu qu’il devait soulever le problème au « palier le plus bas possible » en tant que grief au premier palier. Toutefois, suivant la lecture que je fais de la réponse donnée au troisième palier, celle‑ci porte sur les infractions répétées commises par le personnel du SCC en rapport avec la première question, en l’occurrence le retard qu’accusait la réponse au grief 3399 qui avait été porté au second palier relativement à la deuxième question, et les problèmes systémiques que comportaient les réponses aux griefs au premier palier relativement à la septième question, dont nous avons déjà parlé. La sous-commissaire a parlé de l’utilisation du tampon [traduction] « grief du délinquant » apposé sur les griefs soumis par le demandeur lorsqu’elle a abordé la troisième question. Les réponses qui ont été données à chacune de ces questions étaient raisonnables et la décision doit être lue comme un tout. Le fait qu’à la sixième question, la sous-commissaire a choisi de retenir l’exemple de retard donné par le demandeur dans le cas du grief V40R00006761 et qu’elle a conclu que le demandeur devait exposer cette question séparément ne signifie pas qu’elle est passée à côté de la question ou qu’elle n’a pas abordé les questions systémiques soulevées.

Septième question : Retards généraux en ce qui concerne le grief au premier palier

[114]       Cette question concerne le retard dans le traitement des griefs du demandeur. Ainsi qu’il ressort du dossier, le traitement tardif dans le cas des griefs 2709 et 3399 a été reconnu et les griefs accueillis sur cet aspect. Les préoccupations que le demandeur a soulevées au sujet des problèmes systémiques sont examinées à fond dans la réponse donnée à la septième question. Je ne trouve rien de déraisonnable dans cette réponse.

Spidel

[115]       Le demandeur table beaucoup sur la décision rendue par la juge Mactavish dans le jugement Spidel, précité, et il explique qu’il se fonde sur ce jugement dans ses présentes demandes.

[116]       Bon nombre des questions soulevées par le demandeur dans les présentes demandes avaient été soulevées par M. Spidel devant la juge Mactavish. Une des conclusions essentielles tirées par Mme la juge Mactavish dans ce jugement était le fait que, lorsqu’il avait examiné le grief de M. Spidel, le commissaire adjoint n’avait pas pleinement saisi et traité les problèmes de retard systémique que comportait la procédure de règlement des griefs elle-même, ce qui permettait de remettre en question les conclusions du commissaire adjoint suivant lesquelles aucune autre mesure corrective n’était requise pour répondre au grief :

[63]           Dans le grief qu’il a déposé, M. Spidel alléguait que toute la procédure de règlement des griefs du SCC présentait de graves problèmes systémiques. Outre les retards importants qu’il avait lui‑même subis lors du traitement de ses divers griefs, M. Spidel a parlé des graves problèmes que présentait depuis longtemps la procédure de règlement des griefs des contrevenants du SCC en soumettant au commissaire adjoint un dossier fouillé documentant ces problèmes. Ces problèmes remontaient à des dizaines d’années et ne se limitaient aucunement à la Région du Pacifique du SCC.

 

[64]           Je relève que le défendeur n’a pas contesté la capacité des prisonniers de formuler un grief en ce qui concerne les présumés problèmes systémiques du SCC. Le défendeur se contente plutôt d’affirmer que la décision prise par le commissaire adjoint en l’espèce était raisonnable.

 

[65]           Le commissaire adjoint a nettement reconnu le caractère systémique du grief présenté par M. Spidel, ainsi que le démontre le passage suivant de sa décision [traduction] « vous affirmez que les retards qu’accuse la procédure de règlement des griefs sont un problème systémique ». Le résumé préparé en rapport avec la décision confirme aussi cette conclusion.

 

[66]           S’agissant de l’aspect systémique du grief de M. Spidel, le commissaire adjoint déclare, dans sa décision : [traduction] « Depuis quelques années, le Service correctionnel du Canada (le SCC) doit composer avec une hausse importante du volume et de la complexité des plaintes et des griefs, ce qui a eu pour effet de retarder les réponses aux griefs ».

 

[67]           Compte tenu du caractère systémique du grief formulé par M. Spidel, il était, à mon avis, déraisonnable de la part du commissaire adjoint de refuser d’examiner les affidavits dans lesquels trois autres détenus racontaient leur expérience récente personnelle avec la procédure de règlement des griefs du SCC au motif que les détenus en question n’avaient pas présenté de grief collectif. Ces individus ne réclamaient aucune sorte de réparation personnelle; ils cherchaient simplement à corroborer les allégations formulées par M. Spidel au sujet des retards généralisés du SCC. Il était évidemment loisible au commissaire adjoint d’attribuer à ces affidavits la valeur qu’il souhaitait, mais il n’était pas raisonnable de sa part de refuser ne serait‑ce que de les examiner.

 

[68]           Cela dit, je ne suis pas convaincu qu’une erreur grave a été commise, compte tenu du fait que le commissaire adjoint a reconnu que la procédure de règlement des griefs accusait des retards systémiques du moins dans la Région du Pacifique du SCC depuis quelques années. Son refus d’examiner les affidavits en question témoigne toutefois de son défaut d’élargir le cadre de son analyse au‑delà de la seule situation personnelle de M. Spidel et de s’engager pleinement dans un examen des questions systémiques plus larges soulevées par le grief de M. Spidel.

 

[69]           Comme nous l’avons déjà signalé, le commissaire adjoint a confirmé le grief dans la mesure où ce dernier se rapportait à l’expérience personnelle vécue par M. Spidel en rapport avec la procédure de règlement des griefs. Le commissaire adjoint a examiné le temps de traitement des griefs précédents de M. Spidel et a accepté le fait que le délai de réponse dépassait celui prescrit par la directive du commissaire dans le cas de cinq des griefs en question.

 

[70]           Le commissaire adjoint ne s’est jamais véritablement penché sur l’aspect systémique du grief de M. Spidel et il n’a pas répondu à cet aspect de son grief. Les préoccupations soulevées par M. Spidel au sujet du caractère systémique des retards ne constituaient pas simplement un aspect secondaire de son grief, mais bien un élément central de toute sa thèse. D’ailleurs, comme nous l’avons déjà signalé, M. Spidel a soumis au commissaire adjoint des centaines de pages d’éléments de preuve pour tenter de démontrer les lacunes systémiques très graves et les problèmes d’efficacité de la procédure de règlement des griefs des contrevenants du SCC.

 

[71]           M. Spidel affirmait qu’en raison des lacunes en question, le SCC avait fait défaut de respecter l’obligation que la Loi lui fait d’assurer aux détenus une procédure de règlement des griefs efficace. M. Spidel contestait également la pratique du SCC de rédiger systématiquement des lettres « types » de prorogation en faisant valoir que le Manuel des griefs ne permettait des prorogations de délai que dans des « circonstances exceptionnelles ».

 

[72]           Le commissaire adjoint n’a même pas essayé d’aborder ces questions de façon sérieuse dans sa décision.

 

[73]           Dans sa décision, le commissaire adjoint ne traite d’aucune façon de la décision de M. Spidel de contester la présumée pratique du SCC d’envoyer systématiquement des lettres de prorogation. Malgré le fait que l’article 37 de la Directive 081 oblige les décideurs à répondre de façon détaillée à toutes les questions soulevées dans les plaintes et les griefs, le commissaire adjoint a tout simplement négligé d’aborder cet aspect du grief de M. Spidel. J’estime qu’il manque à cet aspect de la décision du commissaire adjoint la justification, la transparence et l’intelligibilité exigées pour qu’on puisse considérer qu’il s’agit d’une décision raisonnable.

 

[74]           On ne trouve dans la décision aucune allusion aux éléments de preuve présentés au sujet des retards systémiques, hormis les éléments de preuve se rapportant aux griefs antérieurs de M. Spidel. Tout en acceptant qu’il y avait des problèmes de retard, le commissaire adjoint tranche l’aspect systémique du grief dans un seul paragraphe en qualifiant la question de problème qui n’existe que [traduction] « depuis quelques années » et imputable à une augmentation récente du volume et de la complexité des plaintes et des griefs formulés par les prisonniers dans la Région du Pacifique.

 

[75]           En d’autres termes, le commissaire adjoint semble considérer le problème comme une « simple hausse » récente du nombre de cas dans la Région du Pacifique plutôt que comme un phénomène systémique et profondément enraciné existant depuis très longtemps comme l’indiquaient le grief de M. Spidel ainsi que le dossier documentaire qu’il avait soumis.

 

[76]           Ayant ainsi perçu la nature et l’ampleur du problème de cette façon, le commissaire adjoint a estimé qu’aucune autre mesure corrective n’était requise en rapport avec les allégations de retard systémiques de la procédure de règlement des griefs de M. Spidel, étant donné que le SCC avait adopté [traduction] « un plan d’action pour venir à bout de l’arriéré et des retards » qu’accusait le traitement des griefs des détenus dans la Région du Pacifique.

 

[77]           Avant d’examiner le caractère raisonnable de la conclusion du commissaire adjoint suivant laquelle aucune mesure corrective n’était nécessaire en ce qui concerne le grief formulé par M. Spidel, je tiens à signaler que le SCC a déposé à l’appui de la présente demande de contrôle judiciaire un affidavit souscrit par le directeur général de la Direction des droits, des recours et des résolutions du SCC. Dans cet affidavit, il est question du « plan d’action » visant à réduire l’arriéré dans la Région du Pacifique. On y trouve des statistiques sur les résultats de la mise en place du plan.

 

[78]           Les demandes de contrôle judiciaire sont normalement jugées en fonction du dossier dont disposait l’auteur de la décision initiale. Des éléments de preuve supplémentaires peuvent être admis dans certaines circonstances lorsque, par exemple, des questions d’équité procédurale ou de compétence se posent (Ordre des architectes de l’Ontario c. Assn. of Architectural Technologists of Ontario, 2002 CAF 218, [2003] 1 C.F. 331, au paragraphe 30).

 

[79]           Le défendeur reconnaît que le commissaire adjoint ne disposait pas des renseignements statistiques qui se trouvaient dans l’affidavit du directeur général lorsqu’il a rendu sa décision en réponse au grief de M. Spidel. Ces nouveaux éléments de preuve ne portent par ailleurs pas sur une question d’équité procédurale ou de compétence. Je souscris d’ailleurs à l’observation, formulée par le juge Harrington à l’occasion d’une décision préliminaire rendue dans la présente affaire, suivant laquelle l’affidavit en question semble plutôt avoir simplement pour but d’« étayer » la décision du commissaire adjoint (Spidel c. Canada (Procureur général), 2011 CF 1449, au paragraphe 17). Par conséquent, je ne suis pas disposé à tenir compte de ces renseignements statistiques pour rendre ma décision.

 

[80]           En ce qui concerne la décision du commissaire adjoint, je reconnais que celui‑ci n’avait pas l’obligation de mentionner chacun des éléments de preuve versés au dossier et qu’on présume qu’il a tenu compte de l’ensemble de la preuve dont il disposait (voir, par exemple, l’arrêt Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 147 N.R. 317, 36 A.C.W.S. (3d) 635 (C.A.F.)).

 

[81]           Cela dit, plus les éléments de preuve que le tribunal administratif a omis de mentionner ou d’analyser explicitement dans sa décision sont importants, plus la Cour sera disposée à conclure que le tribunal n’en a pas tenu compte (Cepeda‑Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1998), 157 F.T.R. 35, [1998] A.C.F. no 425 (QL), aux paragraphes 14 à 17).

 

[82]           Dans le cas qui nous occupe, le commissaire adjoint a négligé de s’attaquer à une grande partie de la preuve qui lui avait été soumise. Le fait qu’il a déclaré que le problème des retards qu’accusait le procédure de règlement des griefs dans la Région du Pacifique du SCC était récent permet de penser qu’il n’a pas tenu compte du dossier qui lui avait été soumis. Pour reprendre le commentaire formulé par la juge Arbour, il a fait défaut d’apprécier la portée juridique des questions soulevées par M. Spidel.

 

[83]           J’admets que le SCC doit composer avec de nombreuses priorités divergentes et qu’il doit s’acquitter de ses obligations légales avec des ressources limitées. Je reconnais également que le personnel de direction du SCC sera normalement mieux placé que notre Cour pour évaluer, en principe, quelles sont les meilleures façons de faire face aux défis administratifs auxquels est confronté cet organisme en respectant ses contraintes budgétaires. Pour cette raison, il n’appartient pas à notre Cour de se prononcer sur le caractère raisonnable du plan d’action élaboré pour la Région du Pacifique du SCC en vue de régler le problème de l’arriéré de la procédure de règlement des griefs.

 

[84]           Cela étant dit, le défaut du commissaire adjoint de bien saisir et de bien aborder la nature et l’ampleur du problème des retards systémiques qu’accuse la procédure de règlement des griefs dont M. Spidel a traité dans son grief permet d’emblée de s’interroger sur le caractère raisonnable de sa conclusion suivant laquelle aucune autre mesure corrective n’était nécessaire pour répondre au grief.

 

[85]           De toute évidence, la personne qui ne saisit pas bien la nature ou la portée du problème qui lui est soumis n’est pas en mesure de juger de façon raisonnable si une solution particulière sera suffisante pour régler le problème.

 

Conclusion

 

[86]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision du commissaire adjoint, Politiques, est annulée. À mon avis, la réparation appropriée consiste à renvoyer l’affaire au commissaire adjoint, Politiques, du Service correctionnel du Canada pour qu’il rende une nouvelle décision en conformité avec les présents motifs.

[117]       Je suis d’accord avec la juge Mactavish pour dire qu’il n’appartient pas à la Cour de déterminer quel serait le meilleur plan d’action pour régler le problème des retards systémiques que comporte la procédure de règlement des plaintes et des griefs des délinquants afin de permettre au SCC de se conformer à l’obligation que lui impose la Loi d’assurer une procédure de règlement juste, expéditif et efficace des griefs des délinquants. Dans des circonstances appropriées, la Cour pourrait légitimement offrir un recours en cas de défaut de la part du SCC de remplir cette obligation et dans le cas où le SCC n’a pas pris des mesures correctives appropriées. Toutefois, à la différence de l’affaire Spidel, j’estime que le SCC a répondu de façon appropriée tant aux problèmes des retards spécifiques vécus par le demandeur que par les problèmes systémiques qu’il a soulevés dans ses griefs en rapport avec les retards spécifiques en question.

[118]       Le demandeur se plaint plus précisément du retard qu’accuse la réponse à sa plainte 2709. Cette préoccupation est aggravée par les problèmes qu’a connu le traitement du grief lui-même, notamment par le fait que la réponse au premier palier a été donnée par la personne dont le défaut de respecter les délais fait l’objet du grief formulé par le demandeur, et par le fait qu’au moment où le grief a atteint le second palier, un grief faisant double emploi avait de façon inexplicable été créé et des retards importants avaient été accumulés. Voici comment la réponse au second palier au grief 3399 a répondu à ces problèmes (dossier du défendeur dans l’affaire T‑179‑13, à la page 23) :

[traduction]

Il ressort de l’examen au second palier que l’Établissement de Warkworth ne s’est pas conformé aux politiques concernant le respect des délais et le traitement des plaintes lors de l’examen de vos griefs numéros V40R00002709 et V40R00003399. Nous reconnaissons les problèmes vécus à l’établissement à l’époque où vos plaintes et vos griefs étaient actifs et les autorités continuent à prendre des mesures pour accorder leurs méthodes avec les politiques et la loi. Les plaintes et les griefs en question ont depuis été traités et des mesures ont été mises en œuvre pour assurer une meilleure conformité à l’avenir.

Au nom du Service correctionnel du Canada, je tiens à vous présenter mes excuses pour le traitement déficient de vos griefs. Votre grief au second palier est accueilli. Comme il a déjà été précisé, aucune autre mesure corrective n’est requise.

[119]       Lorsque le grief a atteint le troisième palier, la sous-commissaire s’est dite d’avis que les problèmes de traitement du grief au premier palier et les retards qu’avait accusé le traitement du grief au deuxième palier avaient déjà été adéquatement abordés dans la réponse au second palier. Elle a conclu que le retard dans le traitement des griefs du demandeur avait été déraisonnable parce que quatre mois et demi s’étaient écoulés entre le moment où le grief au second palier du demandeur avait été déposé auprès de l’Établissement de Warkworth et le moment où il avait été transmis à l’AR. Elle a conclu que cette question avait déjà été abordée au second palier, mais elle a également souligné que d’autres consultations avaient eu lieu au troisième palier pour s’assurer que des mesures correctives soient prises :

[traduction]

Vous avez déjà formulé un grief au sujet de ce problème au second palier et ce volet de votre grief a été accueilli. Dans la réponse que vous avez reçue au second palier, il était précisé que l’Établissement de Warkworth ne s’était pas conformé à la politique concernant le respect des délais de réponse aux griefs et que l’établissement « continue à prendre des mesures pour accorder ces méthodes avec les politiques et la loi ». À la suite de consultations plus poussées avec des membres du personnel de l’Établissement de Warkworth, il a été constaté que des changements avaient été effectués au sein du bureau de traitement des griefs de l’établissement en vue de réduire les délais et de s’assurer que l’on se conforme à l’avenir aux politiques.

Comme ce volet de votre grief concerne les retards accumulés entre le premier et le second palier, et comme cette question a déjà été abordée et que votre grief a été accueilli au second palier, aucune autre mesure n’est requise au troisième palier.

[120]       Comme la réponse n’allait pas plus loin, le demandeur pourrait légitimement faire valoir que, comme dans l’affaire Spidel, l’auteur de la décision n’avait pas saisi que les problèmes vécus en l’espèce s’inscrivaient dans le cadre d’une problématique plus large, en l’occurrence le défaut de respecter les délais de réponse aux griefs conformément à la DC no 80, une problématique que le demandeur avait signalée dans ses griefs au second palier en citant par exemple des griefs antérieurs qui n’avaient pas reçu de réponse dans les délais prévus. Dans ses griefs au troisième palier, le demandeur avait ajouté, en se référant aux deux réponses en ce sens qu’il avait reçues en 2005 et en 2010, que ce n’était pas la première fois que le SCC n’avait pas répondu aux plaintes formulées au sujet des problèmes systémiques en répondant que des « plans d’action » avaient été adoptés.

[121]       En réalité, la sous‑commissaire avait toutefois répondu de façon détaillée à cette question au point 7 de sa réponse au troisième palier au grief 3399. Il semble que cette réponse passe à côté de la question en ne mentionnant pas les plans d’action déjà adoptés et qu’elle ne soit pas entièrement satisfaisante. La sous-commissaire a conclu qu’il était déraisonnable de s’attendre à ce que les mêmes plans soient toujours en vigueur sept ans et deux ans plus tard respectivement alors qu’en fait, le demandeur cherchait à démontrer que la mention des « plans d’action » en question n’était qu’une « fausse piste » qui n’avait apporté aucune solution concrète, étant donné que les mêmes problèmes persistaient. Néanmoins, la sous-commissaire a poursuivi en reconnaissant les problèmes systémiques qui existaient et en soulignant que certaines mesures avaient été prises pour améliorer l’efficacité du système de règlement des griefs et notamment les mesures suivantes :

         L’examen externe exhaustif auquel le professeur David Mullan a procédé à la suite du mandat que le SCC lui a confié en 2010 a donné lieu à une série de recommandations dont le SCC s’est déjà inspiré pour prendre certaines mesures.

         Le projet pilote de mécanismes substitutifs de règlement des différends dans dix établissements à sécurité maximale ou moyenne recommandé par le professeur Mullan a jusqu’ici donné des résultats très positifs.

         La simplification de la procédure de règlement des griefs a été prévue par la suppression du deuxième palier, à la recommandation du professeur Mullan.

         Le SCC a également revu ses pratiques administratives et a cerné un certain nombre de points à améliorer en vue d’accroître l’efficacité et de réduire davantage les délais de traitement.

  • Des changements ont été apportés à la loi pour aborder le problème des plaignants quérulents.

[122]       Elle a poursuivi en concluant comme suit sur cette question :

[traduction]

Nous regrettons de ne pas avoir répondu à votre grief dans le délai prévu initialement et nous vous remercions de votre patience. Comme vous pouvez le constater, le SCC s’engage sérieusement à régler les griefs de manière efficace et travaille activement à réduire les retards.

Puisque le SCC a pris des mesures positives pour résoudre le problème que vous avez soulevé et que celles‑ci font l’objet d’un suivi continu, aucune autre mesure n’est nécessaire à cet égard. Cela ne veut pas dire que le Service ne déploiera aucun autre effort concernant cette question, mais bien que des mesures correctives sont prises en ce moment en vue de répondre à vos préoccupations.

[Non souligné dans l’original.]

[123]       À mon sens, la sous-commissaire reconnaissait ainsi que la procédure de règlement des plaintes et des griefs des délinquants comportait des problèmes systémiques graves tant au sein de l’Établissement de Warkworth qu’ailleurs et expliquait que, selon le SCC, il fallait une réponse systémique qui était en cours d’adoption, mais qui n’était pas encore complétée. Cette réponse était parfaitement raisonnable. Si les problèmes sont de nature systémique, la solution appropriée ne consiste pas à élaborer un plan d’action distinct pour répondre à chaque grief individuel illustrant les problèmes en question, mais bien à élaborer une stratégie globale pour résoudre ces problèmes systémiques. Le problème qui était soulevé dans l’affaire Spidel était qu’il était loin d’être clair que l’auteur de la décision était conscient de la nature systémique des problèmes et de leur lien avec les délais spécifiques faisant l’objet des griefs. Par conséquent, la Cour a conclu que les réponses données n’avaient tout simplement pas répondu aux problèmes systémiques qui avaient été soulevés malgré le fait que l’article 37 de la DC no 81 (dans sa rédaction en vigueur à l’époque) obligeait les décideurs à répondre de façon détaillée à toutes les questions soulevées dans les plaintes et les griefs. On ne décèle pas la même erreur dans les réponses à l’examen en l’espèce. Comme dans l’affaire Timm, précitée, citée par le défendeur, et contrairement à l’affaire Spidel, une réponse complète et raisonnable a effectivement été donnée dans le cas qui nous occupe.

[124]       Le véritable argument du demandeur est que les mesures correctives mentionnées dans les réponses qu’il a reçues n’ont pas été efficaces par le passé et qu’elles ne sauraient l’être maintenant. Au lieu d’un simple rappel, le demandeur souhaite que des mesures disciplinaires soient prises contre les membres du personnel. Au lieu d’un plan d’action, il souhaite que la Cour impose des délais beaucoup plus courts que ceux prévus dans l’ancienne version de la DC no 81 ou dans sa version actuelle.

[125]       Le problème que comporte cette position est que le demandeur sollicite une réparation que ni les personnes chargées d’appliquer la procédure de règlement des griefs ni la Cour ne sont autorisés à accorder. Le Règlement et les Directives du commissaire n’exigent ni ne permettent d’infliger des sanctions disciplinaires au personnel du SCC par le biais de la procédure de règlement des griefs des délinquants. Il n’appartient pas à la Cour de remettre en question ce choix de politique qui semble de toute façon parfaitement légitime. La Cour ne peut pas non plus imposer les délais que le demandeur réclame pour les motifs qui ont déjà été exposés.

[126]       Il y a lieu de faire observer que les autorités ont fait preuve d’un degré remarquable d’incompétence dans la façon dont elles ont traité le grief du demandeur jusqu’au moment où il a finalement été porté devant l’AR pour une réponse au second palier. Par conséquent, on ne saurait douter que le SCC ne s’est pas acquitté de l’obligation que la Loi lui impose d’assurer une procédure de règlement juste, expéditif et efficace des griefs.

[127]       Toutefois, le demandeur a obtenu une réponse complète à son grief spécifique ainsi qu’aux problèmes systémiques qu’il a signalés tant au deuxième qu’au troisième paliers et il n’a signalé aucune réparation appropriée que les décideurs ne lui auraient pas accordée ou que la Cour aurait pu lui accorder dans les circonstances. J’estime par conséquent que les demandes devraient être rejetées.

Questions de preuve

[128]       Le défendeur s’oppose à ce que les affidavits de MM. Creelman et Pengelly soient joints aux affidavits du demandeur sous la cote D et Q respectivement, au motif que le défendeur ne peut contre-interroger les auteurs d’un affidavit joint à titre de pièce à un affidavit et qu’aucun de ces affidavits n’avait été porté à la connaissance du commissaire qui a rendu les décisions à l’examen.

[129]       Il me semble qu’aucun des affidavits ou pièces en question n’a été régulièrement déposé au dossier de la Cour. Ils n’avaient pas été portés à la connaissance du commissaire et ils ne relèvent d’aucune des exceptions reconnues à la règle fondamentale suivant laquelle la Cour examine une décision en fonction du dossier dont disposait l’auteur de la décision : Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, aux paragraphes 16 à 20; Première Nation Tl’Azt’En c Joseph, 2013 CF 767, aux paragraphes 16 et 17; International Relief Fund for the Afflicted and Needy (Canada) c Canada (Revenu national), 2013 CAF 178, aux paragraphes 9 et 10.

[130]       Le défendeur s’oppose également à la tentative faite par le demandeur en vue de déposer un affidavit renfermant des éléments de preuve complémentaires à la veille de l’audience que j’ai présidée. Le défendeur n’a pas eu le temps de répondre à ces éléments de preuve qui portent sur des documents qui n’avaient pas été portés à la connaissance du commissaire lorsque les décisions en question ont été rendues. Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que ce nouvel affidavit ne peut être régulièrement présenté à la Cour et qu’il ne devrait pas être admis en preuve.

 


JUGEMENT

LA COUR :

1.                   REJETTE les deux demandes et ADJUGE les dépens au défendeur;

2.                  REFUSE que l’affidavit souscrit par William A. Johnson le 2 avril 2014 et les pièces jointes à cet affidavit soient versés au dossier.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑179‑13

 

INTITULÉ :

WILLIAM A. JOHNSON c COMMISSAIRE AUX SERVICES CORRECTIONNELS, REPRÉSENTÉ PAR ANNE KELLY, SOUS‑COMMISSAIRE PRINCIPALE

 

ET DOSSIER :

T‑180‑13

 

INTITULÉ :

WILLIAM A. JOHNSON c COMMISSAIRE AUX SERVICES CORRECTIONNELS, REPRÉSENTÉ PAR ANNE KELLY, SOUS‑COMMISSAIRE PRINCIPALE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 AVRIL 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 8 AOÛT 2014

 

COMPARUTIONS :

William A. Johnson

 

PoUR Le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Ayesha Laldin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William A. Johnson

 

PoUr Le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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