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Date : 20140807


Dossier : IMM-8257-13

Référence : 2014 CF 781

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 août 2014

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

VOLODYMYR PUIDA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), visant la décision rendue le 9 décembre 2013 par un agent d’immigration (l’agent) de la section des visas de l’ambassade canadienne à Kiev, en Ukraine (l’ambassade), par laquelle le demandeur s’est vu refuser un permis d’études au Canada (la décision).

LE CONTEXTE

[2]               Le demandeur est âgé de 29 ans et est citoyen de l’Ukraine; il séjourne actuellement au Canada à titre de visiteur. Il détient un diplôme universitaire en technologie informatique de l’Ivano-Frankivsk University of Oil and Gas d’Ukraine. Le demandeur a été accepté sous condition au programme de gestion des affaires en technologie de l’information qui est offert à l’Institute of Technology de la Colombie‑Britannique (l’ITCB). Cependant, sa demande de permis d’études au Canada a été rejetée, et c’est cette décision de rejet qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

[3]               Le demandeur s’est marié en Ukraine en janvier 2012, et son épouse demeure en Ukraine. Sa mère vit au Canada, et, en novembre 2012, le demandeur est entré au Canada muni d’un visa de résident temporaire afin de lui rendre visite. Il est au Canada depuis ce temps : son visa de visiteur a été prolongé jusqu’au 31 mars 2014.

[4]               Pendant qu’il était au Canada, le demandeur a présenté une demande d’inscription à l’ITCB, et il a été accepté sous condition. En novembre 2013, il a présenté une demande de permis d’études au Canada. Sa demande a été traitée par le bureau des visas d’Immigration et Citoyenneté Canada (CIC) à l’ambassade de Kiev, et elle a été rejetée le 9 décembre 2013.

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE JUDICIAIRE

[5]               La lettre du 9 décembre 2013 de l’agent expose les exigences prévues par la Loi auxquelles les demandeurs de permis d’études doivent satisfaire, et on peut y lire ce qui suit :

[traduction]

Je ne suis pas convaincu que vous satisfaites aux exigences de la Loi et du Règlement. Je rejette donc votre demande.

[6]               La liste de contrôle jointe à la lettre énonce les motifs de cette décision :

[traduction]

Vous ne m’avez pas convaincu que vous quitteriez le Canada à la fin de votre séjour. J’ai examiné plusieurs facteurs pour en venir à la présente décision, notamment ceux qui suivent :

       vos liens familiaux au Canada et dans votre pays de résidence;

       la durée du séjour envisagé au Canada;

       l’objet du séjour;

       votre situation d’emploi actuelle;

       vos biens personnels et votre situation financière.

[7]               Les notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas de CIC (les notes du SMGC) fournissent des renseignements supplémentaires sur les motifs de la décision. Voici les notes, dans leur intégralité, que l’agent a consignées le 9 décembre 2013 :

[traduction]

Homme de 28 ans marié; aucun enfant; demande de permis d’études pour suivre le programme de gestion des affaires en technologie de l’information de janvier 2014 à mai 2015; le demandeur principal a obtenu un visa de résident temporaire en 2012 pour rendre visite à sa mère au Canada pendant une courte période, laissant derrière lui, en Ukraine, femme et emploi; le demandeur principal a demandé la prolongation de son statut de visiteur, puis a demandé un permis d’études au Canada qui a été rejeté; le demandeur principal ne semble plus avoir d’emploi en Ukraine; la mère du demandeur principal est prête à payer les coûts des études du demandeur principal, mais aucun renseignement quant à savoir si elle a un revenu élevé stable n’a été fourni; je ne suis pas convaincu que le demandeur principal respectera les exigences du visa de résident temporaire et qu’il retournera dans son pays à la fin du séjour autorisé; les liens du demandeur principal avec l’Ukraine sont très faibles; je soupçonne que le demandeur principal pourrait essayer de rester au Canada pour de bon; je ne suis pas convaincu que le demandeur principal respecterait la procédure établie; la demande est rejetée.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[8]               Le demandeur soulève les questions suivantes en l’espèce :

a.       La décision de l’agent était‑elle déraisonnable pour les motifs suivants :

                                                              i.      la décision était fondée sur de simples soupçons;

                                                            ii.      l’agent n’a pas tenu compte de la preuve produite;

                                                          iii.      l’agent n’a pas fourni une analyse suffisamment détaillée permettant au demandeur de comprendre le fondement de la décision?

b.      Y a‑t‑il eu manquement à l’équité procédurale envers le demandeur parce que l’agent ne lui a pas donné l’occasion de répondre à ses préoccupations?

[9]               En outre, le défendeur a soulevé une question préliminaire : certains éléments de preuve figurant dans le dossier de demande soumis à la Cour par le demandeur devraient‑ils être radiés du dossier parce que l’agent n’en avait pas été saisi lorsqu’il a rendu sa décision?

LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

[10]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (l’arrêt Dunsmuir), la Cour suprême du Canada a déclaré qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse visant à déterminer la norme de contrôle applicable. En fait, lorsque la norme de contrôle qui s’applique à la question en litige est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut l’adopter. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse ou que la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire que le tribunal procédera à l’examen des quatre facteurs de l’analyse visant à déterminer la norme de contrôle applicable (Agraira c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48).

[11]           Il n’est pas contesté que la décision de l’agent était de nature discrétionnaire et que son appréciation de la preuve et ses conclusions définitives sont susceptibles de contrôle selon la norme de la raisonnabilité : Adulateef c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 400, aux paragraphes 5 et 6. La question de savoir si l’agent a fait une analyse suffisante ou fourni des motifs suffisants ne permet pas à elle seule de déterminer si le contrôle judiciaire doit être accueilli, il s’agit plutôt d’un élément dont la Cour doit tenir compte dans l’évaluation globale de la raisonnabilité de la décision qui a été exposée ci‑dessus : voir Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, aux paragraphes 14 à 16.

[12]           Il n’est pas non plus contesté que les questions d’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte : voir Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79; Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, au paragraphe 100; Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, au paragraphe 53.

[13]           Lorsque la Cour effectue le contrôle d’une décision selon la norme de la raisonnabilité, son analyse tiendra « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59 (l’arrêt Khosa). Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[14]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Obligation à l’entrée au Canada

Obligation on entry

20. (1) L’étranger non visé à l’article 19 qui cherche à entrer au Canada ou à y séjourner est tenu de prouver :

20. (1) Every foreign national, other than a foreign national referred to in section 19, who seeks to enter or remain in Canada must establish,

[…]

[…]

b) pour devenir un résident temporaire, qu’il détient les visa ou autres documents requis par règlement et aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

(b) to become a temporary resident, that they hold the visa or other document required under the regulations and will leave Canada by the end of the period authorized for their stay.

[15]           Les dispositions suivantes du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement) s’appliquent en l’espèce :

Délivrance

Issuance

179. L’agent délivre un visa de résident temporaire à l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

179. An officer shall issue a temporary resident visa to a foreign national if, following an examination, it is established that the foreign national

[…]

[…]

b) il quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée qui lui est applicable au titre de la section 2;

(b) will leave Canada by the end of the period authorized for their stay under Division 2;

[…]

[…]

Catégorie

Class

210. La catégorie des étudiants est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent devenir résidents temporaires.

210. The student class is prescribed as a class of persons who may become temporary residents.

Qualité

Student

211. Est un étudiant et appartient à la catégorie des étudiants l’étranger autorisé à entrer au Canada et à y séjourner à ce titre.

211. A foreign national is a student and a member of the student class if the foreign national has been authorized to enter and remain in Canada as a student.

[…]

[…]

Permis d’études

Study permits

216. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), l’agent délivre un permis d’études à l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

216. (1) Subject to subsections (2) and (3), an officer shall issue a study permit to a foreign national if, following an examination, it is established that the foreign national

[…]

[…]

b) il quittera le Canada à la fin de la période de séjour qui lui est applicable au titre de la section 2 de la partie 9;

(b) will leave Canada by the end of the period authorized for their stay under Division 2 of Part 9;

[…]

[…]

 

ARGUMENTS

Le demandeur

[16]           Le demandeur affirme que la preuve qu’il a produite n’a aucunement été examinée et que l’agent a fondé sa décision sur de simples soupçons.

[17]           La conclusion de l’agent selon laquelle il n’était pas convaincu que le demandeur quitterait le Canada à la fin de son séjour autorisé était simplement fondée sur des soupçons, comme le révèle l’extrait suivant des notes du SMGC : « le demandeur principal pourrait essayer de rester au Canada pour de bon ». L’agent a mentionné dans la liste de contrôle que plusieurs facteurs avaient été examinés, mais deux de ces facteurs, soir les liens familiaux et la situation d’emploi, n’ont été soulignés que de manière superficielle dans les notes du SMGC.

[18]           En ce qui concerne la situation d’emploi du demandeur, l’agent a écrit ce qui suit : « le demandeur principal ne semble plus avoir d’emploi en Ukraine ». Selon le demandeur, il s’agit encore là de soupçons. L’observation de l’agent selon laquelle « aucun renseignement quant à savoir si [la mère du demandeur principal] a un revenu élevé stable n’a été fourni » était également erronée.

[19]           En ce qui concerne les liens familiaux, le demandeur affirme que l’agent a, de façon injustifiée, déclaré que le demandeur avait laissé son épouse et son emploi en Ukraine, sans renvoyer à quelque élément de preuve que ce soit et sans tirer de conclusion expresse. Sur le fondement de ce commentaire injustifié, l’agent a par la suite conclu que « les liens du demandeur principal avec l’Ukraine sont très faibles ». Selon le demandeur, ces observations constituent de la médisance à son égard, et elles devraient être examinées.

[20]           Le demandeur soutient que, lorsqu’il a dit à son employeur que sa demande de permis d’études avait été rejetée et qu’il avait été conclu qu’il n’avait plus d’emploi en Ukraine, son employeur a en été étonné et il a proposé de fournir au demandeur la preuve que ce dernier avait encore un bon emploi stable en Ukraine. Le demandeur affirme que son épouse a aussi été très affectée par la conclusion selon laquelle ses liens avec l’Ukraine étaient très faibles. Les époux sont restés en étroite communication, et l’épouse du demandeur continue de lui offrir son appui indéfectible et de l’encourager.

[21]           Selon le demandeur, l’affaire Serrudo Sempertegui c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1176, serait semblable à la présente affaire. Dans cette décision, la Cour a conclu que « [l]es doutes de l’agente des visas n’étaient pas fondés sur des inférences raisonnables tirées des faits connus », que la « décision n’[avait] aucun fondement objectif », et que la décision était donc déraisonnable. Le demandeur invoque dans le même sens les décisions suivantes : Groohi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 837, au paragraphe 14 (l’agente des visas n’a pas procédé à une véritable analyse de la preuve); Thomas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1038, aux paragraphes 13 à 17 (pour parvenir à une conclusion appartenant aux issues raisonnables, l’agent devait tout d’abord analyser la preuve pertinente). Selon le demandeur, il doit y avoir des raisons objectives pour douter de la motivation d’un demandeur. Le demandeur affirme que, à l’instar de l’agent dans l’affaire Cao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 941, l’agent en l’espèce n’a pas vraiment tenté d’établir la solidité de ses liens avec l’Ukraine, il n’a pas tenu compte des observations du demandeur au sujet de ces liens et il ne les a pas examinés au regard de l’ensemble de la preuve. Bien que les notes du SMGC fassent état du fondement de la décision, elles ne fournissent pas une analyse suffisamment détaillée, car elles ne permettent pas d’établir que les facteurs appropriés ont été examinés et elles ne révèlent pas pourquoi l’agent en est arrivé à sa décision : Rudder c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 689, aux paragraphes 32 à 34; Alem c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 148, aux paragraphes 13, 14 et 18 à 20 (la décision Alem). La décision était vague et subjective, et elle ne permettait pas au demandeur de prendre quelque mesure que ce soit pour le futur.

[22]           En outre, selon le demandeur, l’agent en l’espèce ne s’est pas posé la bonne question, comme l’agent dans l’affaire Murai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 186, au paragraphe 16:

L’agent en question a mal formulé la question qu’il devait trancher. Au lieu de se demander « va‑t‑elle quitter le Canada une fois autorisée à y entrer? », comme il l’a fait (voir l’affidavit de Gregory Chubak, paragraphe 4), il aurait dû suivre le guide relatif aux aides familiaux résidants et se demander « cette personne demeurera‑t‑elle illégalement au Canada si elle n’est pas acceptée dans ce programme? » En se fondant sur les antécédents de la demanderesse, une personne raisonnable aurait répondu : « Non, elle ne restera pas au Canada illégalement. »

[23]           Le demandeur allègue que l’erreur commise par l’agent était donc, au vu du dossier, une erreur de droit : De La Cruz c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] ACF no 111, au paragraphe 16, 26 FTR 285.

[24]           Le demandeur soutient également que le fait que l’agent ne lui a pas donné l’occasion de répondre à ses préoccupations constitue un manquement à la justice naturelle : Bonilla c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 20, au paragraphe 27. L’agent était tenu de permettre au demandeur de répondre aux préoccupations relatives à la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité des renseignements qu’il avait fournis : Hassani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1283, au paragraphe 24 (la décision Hassani). La demande du demandeur était complète et étayée par de nombreux documents; or, l’agent a conclu que le demandeur ne voulait pas vraiment devenir étudiant, et ce, même si la preuve révélait le contraire. Selon le demandeur, puisque la preuve n’a aucunement été examinée, on ne peut pas affirmer que les préoccupations qui ont mené l’agent à rejeter sa demande de permis d’études découlaient directement de la Loi.

[25]           Le demandeur soutient que l’agent n’avait aucun doute quant à sa crédibilité ou quant à l’authenticité de ses documents. L’agent avait l’obligation d’expliquer pourquoi la demande a été rejetée et d’exposer les éléments qui ont milité contre la demande, il ne pouvait pas se contenter de fournir une litanie de facteurs : Alem, précitée, au paragraphe 14. Il fallait en outre veiller à ce que les notes du SMGC reflètent clairement le processus qui a été suivi pour prendre la décision, à ce qu’elles ne renferment aucun commentaire non pertinent et à ce que le demandeur puisse répondre à toute préoccupation que soulevaient des éléments de preuve extrinsèques : Jesuorobo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1092, aux paragraphes 8 à 10, 14 et 15.

Le défendeur

[26]           Le défendeur a soulevé une question préliminaire : à son avis, les éléments de preuve supplémentaires qui ont été déposés par le demandeur à l’appui de la présente demande devraient être radiés du dossier et toute prétention fondée sur ces éléments de preuve devrait être écartée. Dans le cadre des contrôles judiciaires, la Cour se penche sur la décision contestée en fonction des renseignements dont le décideur disposait et elle décide si l’annulation de la décision est justifiée. Par conséquent, les seuls éléments de preuve qui peuvent être examinés sont ceux dont le décideur disposait, sans quoi, le processus de contrôle judiciaire pourrait se transformer en audition de novo : Abbot Laboratories Ltd c Canada (Procureur général), 2008 CAF 354, aux paragraphes 35 à 38 (l’arrêt Abbott Laboratories Ltd). Il existe des exceptions à cette règle, notamment lorsque les éléments de preuve sont pertinents quant à une question de partialité ou de manquement à l’équité procédurale, mais, en l’espèce, ce n’est pas le cas des éléments de preuve joints à l’affidavit du demandeur. Par conséquent, dans la présente affaire, il ne faudrait tenir compte que des éléments de preuve dont disposaient le demandeur, soit ceux qui figurent dans le dossier certifié du tribunal : Spidel c Canada (Procureur général), 2011 CF 601, aux paragraphes 9 à 13 (la décision Spidel).

[27]           Le défendeur affirme que rien ne justifierait de modifier les conclusions de fait de l’agent ou sa décision. L’agent a examiné la demande au regard des critères pertinents et a raisonnablement conclu que le demandeur ne satisfaisait pas aux exigences liées au visa demandé.

[28]           Le demandeur de visa a le fardeau de démontrer qu’il quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée, et l’agent des visas doit examiner et apprécier la preuve produite pour établir si, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur s’est acquitté de son fardeau : Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 619, aux paragraphes 13 et 14; Tran c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1377, au paragraphe 4. En outre, jusqu’à preuve du contraire, le décideur est présumé avoir pesé et pris en compte toute la preuve : Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598, (CA) (l’arrêt Florea), au paragraphe 1.

[29]           En l’espèce, selon le défendeur, l’agent a estimé que la demande ne satisfaisait pas aux exigences établies dans le Règlement parce qu’elle ne démontrait pas que le demandeur quitterait le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. Cette conclusion était fondée sur de nombreux facteurs, dont les suivants :

         les liens du demandeur avec l’Ukraine sont faibles;

         le demandeur est un homme marié de 28 ans sans enfant;

         il a obtenu un visa de résident temporaire en 2012 pour venir voir sa mère;

         lorsqu’il est venu au Canada en 2012, son épouse est restée en Ukraine où il avait un emploi;

         le statut de résident temporaire du demandeur au Canada a été prolongé;

         le demandeur ne semble plus avoir d’emploi en Ukraine;

         la mère du demandeur est prête à payer les coûts de ses études;

         le demandeur n’a fourni aucun renseignement quant à l’emploi ou quant au revenu de sa mère.

[30]           Ces conclusions témoignent de la faiblesse des liens du demandeur avec l’Ukraine et de sa capacité à financer les études qu’ils envisageaient de faire au Canada, et elles justifiaient le rejet de la demande.

[31]           Le défendeur soutient que le demandeur a résumé le droit applicable et la preuve dans les observations qu’il a présentées à la Cour, mais qu’il n’a pas précisé pourquoi les conclusions ou la décision de l’agent étaient déraisonnables. En outre, rien ne donne à penser que l’agent n’a pas tenu compte de l’ensemble de la preuve produite par le demandeur, et la production de nouveaux éléments de preuve après coup ne peut pas rendre la décision déraisonnable : Spidel, précitée, au paragraphe 10.

[32]           Le demandeur souhaite que la Cour soupèse à nouveau la preuve examinée par l’agent, et il ne s’agit pas d’un motif justifiant l’intervention de la Cour : Khosa, précité, aux paragraphes 61 et 64; Front des artistes canadiens c Musée des beaux‑arts du Canada, 2014 CSC 42, au paragraphe 30.

[33]           En ce qui concerne la question de l’équité procédurale soulevée par le demandeur, le défendeur allègue que l’agent n’avait nullement l’obligation de donner au demandeur l’occasion de répondre à ses préoccupations. Les demandeurs de visa bénéficient d’un degré d’équité procédurale qui se situe à l’extrémité inférieure du registre, car aucun droit substantiel n’est en litige puisque les demandeurs n’ont pas le droit d’entrer au Canada : Obeta c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 2012 CF 1542, au paragraphe 15 (la décision Obeta); Wang c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 2006 CF 1298, au paragraphe 20. Il incombe aux demandeurs de fournir tous les éléments de preuve documentaires pertinents, et l’agent des visas n’est pas tenu de les aviser de quelque lacune que ce soit. Ce n’est pas simplement parce que la demande est « complète » que l’obligation sera transférée à l’agent des visas; le demandeur a l’obligation de présenter une demande qui est non seulement complète, mais aussi pertinente, convaincante et non ambiguë. Lorsque les préoccupations de l’agent découlent directement des exigences du Règlement, celui-ci n’est nullement tenu de faire part de ses doutes ou de ses préoccupations au demandeur : Obeta, précitée, aux paragraphes 25 et 26, citant entre autres Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 526, au paragraphe 52; Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 526, au paragraphe 52; Hassani, précitée, au paragraphe 24.

[34]           Selon le défendeur, dans la présente affaire, la demande du demandeur semblait complète, mais non convaincante quant aux exigences prévues dans le Règlement. La crédibilité des éléments de preuve produits n’était aucunement remise en question; la preuve, selon la prépondérance des probabilités, ne satisfaisait tout simplement pas aux exigences. Dans ces circonstances, l’agent n’était nullement tenu de donner au demandeur l’occasion de répondre.

La réponse du demandeur

[35]           Le demandeur soutient que les notes du SMGC de l’agent doivent être étayées par une preuve par affidavit, et qu’en l’absence d’une telle preuve la décision doit être annulée : Pan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 220, aux paragraphes 12 à 14.

[36]           Le demandeur répond aussi à la prétention du défendeur selon laquelle certains éléments de preuve joints à son affidavit devraient être radiés. Il affirme que certaines pièces avaient été soumises à l’agent (les pièces A à G). Les pièces I à L sont importantes parce que, comme le défendeur le concède, des éléments de preuve supplémentaires peuvent être produits en lien avec des questions d’équité procédurale et de compétence (McConnell c Canada (Commission canadienne des droits de la personne), 2004 CF 817). En l’espèce, l’agent n’a traité que de manière superficielle la question des liens familiaux et de la situation d’emploi actuelle. Les pièces I à K sont importantes parce que l’agent a violé les principes de la justice naturelle en fondant son analyse concernant la situation d’emploi actuelle du demandeur sur des soupçons. La pièce L est importante parce que l’agent a manqué à son obligation d’équité procédurale en fondant son analyse sur les liens familiaux dans le pays de résidence sur des soupçons. Dans la décision Chowdhury c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 43 Imm LR (2d) 291, 1998 CanLII 7505 (CF), la Cour a déclaré que les agents des visas ne doivent pas faire preuve de timidité lorsqu’ils font état de leurs doutes; ils agissent comme interrogateur et juge et doivent donc exposer scrupuleusement les doutes qu’ils ont.

[37]           Le demandeur répète que l’agent n’a pas analysé les documents qu’il a soumis, et qu’il a simplement énuméré une liste de facteurs puis tiré une conclusion. L’agent s’est subjectivement forgé l’opinion, non étayée par la preuve, que le demandeur ne retournerait pas en Ukraine. L’agent des visas est assujetti à un lourd fardeau lorsqu’il justifie sa décision : Hameed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] ACF no 10, au paragraphe 22, 268 NR 185 (CAF). L’agent est tenu de renvoyer à la preuve, de l’examiner et d’expliquer pourquoi il accorde plus de poids à un élément de preuve plutôt qu’à un autre quant à la question en litige : Syed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1404.

[38]           Selon le demandeur, la Cour doit intervenir parce qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale : Guan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 274, au paragraphe 21. L’agent a l’obligation de préciser par écrit dans ses notes les motifs de ses préoccupations et de donner au demandeur l’occasion d’y répondre : Menon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1273, aux paragraphes 16 et 17.

[39]           Le demandeur affirme que les observations du défendeur rappellent celles formulées dans l’affaire Karami c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 788 (la décision Karami), où il avait été allégué que l’agent n’était pas obligé d’aviser le demandeur des préoccupations qu’il avait concernant la demande sauf s’il s’appuyait sur un élément de preuve extrinsèque, et que l’agent n’était pas tenu de donner l’occasion au demandeur d’y répondre avant de conclure son évaluation. Le demandeur soutient que cet argument n’a pas été retenu dans l’affaire Karami parce que des exigences procédurales de base doivent être respectées avant que ces principes trouvent application : le défendeur doit démontrer que l’agent a vraiment examiné et apprécié l’ensemble de la preuve. En l’espèce, tout comme dans l’affaire Karami, c’est l’appréciation de la preuve par l’agent qui pose problème. Comme dans cette affaire, nous en savons très peu sur la façon dont l’agent a apprécié la preuve et en est arrivé à sa conclusion (voir également Nadarasa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1112, aux paragraphes 26 et 29).

ANALYSE

[40]           Le demandeur affirme qu’il a été privé de son droit à l’équité procédurale, que la décision n’est pas intelligible et que les conclusions qui y ont été tirées ne sont pas étayées par la preuve. Le demandeur a également, dans le cadre de la présente demande, tenté de soumettre à la Cour des éléments de preuve dont l’agent ne disposait pas. Il affirme que ces éléments de preuve étayent son allégation ayant trait à l’équité procédurale, mais ce n’est pas le cas. Pour les motifs habituels, la Cour ne peut examiner que les éléments de preuve dont le décideur disposait. Aucune des exceptions à la règle habituelle ne trouve application en l’espèce. Voir l’arrêt Abbott Laboratories Ltd, précité, aux paragraphes 35 à 38. Tous les éléments de preuve joints à l’affidavit du demandeur et toute partie de l’affidavit qui ne se trouvait pas dans le dossier soumis à l’agent doivent être radiés du dossier; il en va de même pour toutes les observations fondées sur ces éléments de preuve.

[41]           On peut constater à la lecture de l’ensemble de la décision au regard du dossier dont l’agent disposait que ce dernier, lorsqu’il a assumé les obligations et exercé les pouvoirs prévus à l’article 179 du Règlement, s’est livré à l’examen habituel et a cerné et pondéré les facteurs démontrant que le demandeur quitterait le Canada à la fin de sa période de séjour autorisé; or, ces facteurs donnaient à penser que le demandeur ne quitterait peut‑être pas le Canada. Après avoir apprécié la preuve, l’agent a conclu que le demandeur n’avait pas démontré qu’il quitterait le Canada. On peut facilement comprendre pourquoi l’agent en est arrivé à cette conclusion. Le demandeur est venu au Canada muni d’un visa de visiteur pour voir sa mère, mais il a prolongé son séjour, et ce, malgré qu’il ait dit qu’il avait un emploi et une épouse en Ukraine. Dans le cadre de la demande de permis d’études, l’agent a conclu que « le demandeur principal ne semble plus avoir d’emploi en Ukraine ». Le demandeur affirme qu’il n’y a aucun élément de preuve étayant cette conclusion et il renvoie à la partie sur ses antécédents professionnels où l’on peut voir qu’il est [traduction] « gestionnaire de vente de produits médicaux » pour une entreprise ukrainienne appelée « Med-Invest Agency Ltd. ». Le demandeur a toutefois omis de souligner que ce même document montre qu’il a cessé de travailler pour cette entreprise en novembre 2012.

[42]           Compte tenu de ces renseignements et de la preuve qui démontre que le demandeur a prolongé son séjour au Canada, on peut facilement comprendre pourquoi l’agent a fait remarquer que le demandeur ne semblait plus avoir d’emploi en Ukraine.

[43]           À mon avis, les conclusions de l’agent sont amplement fondées sur la preuve. La décision est justifiée, transparente et intelligible et elle appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47.

[44]           Le demandeur en a contre l’emploi du verbe « soupçonne » à la fin des notes du SMGC et il prétend que la décision est fondée sur de simples soupçons. Il faut toutefois interpréter les mots en fonction du contexte et, lorsqu’on tient compte de l’ensemble de la décision et du dossier, il est clair que la conclusion de l’agent était fondée sur des éléments de preuve solides et que le verbe « soupçonne » était simplement un raccourci pour « j’en suis venu à la conclusion ». Il ne fait aucun doute que l’agent applique l’article 179 du Règlement lorsqu’il dit « je ne suis pas convaincu que le demandeur principal respectera les exigences du visa de résident temporaire et qu’il retournera dans son pays à la fin du séjour autorisé. Rien ne permet de réfuter la présomption selon laquelle l’agent a examiné l’ensemble de la preuve ou qu’il a omis de pondérer comme il se doit les facteurs positifs et négatifs. La Cour ne peut pas apprécier à nouveau la preuve et tirer une conclusion différente en faveur du demandeur. Voir l’arrêt Florea, précité, au paragraphe 1.

[45]           L’agent n’était pas tenu de donner au demandeur l’occasion de répondre à ses préoccupations. Il incombait au demandeur de fournir tous les éléments de preuve documentaires pertinents. Le demandeur doit présenter une demande complète et convaincante. Lorsque les préoccupations de l’agent découlent directement des exigences du Règlement, comme c’était le cas en l’espèce, l’agent n’est nullement tenu de faire part de ses préoccupations au demandeur. Voir la décision Obeta, précitée, aux paragraphes 25 et 26. L’agent n’avait aucune préoccupation relativement à la crédibilité. La demande était complète, mais l’agent n’était tout simplement pas été convaincu que le demandeur quitterait le Canada à la fin de la période de séjour autorisé.

[46]           À mon avis, aucune erreur susceptible de contrôle n’a été commise dans la décision.

[47]           Le demandeur était manifestement déçu de la décision, et les conclusions que j’ai tirées le décevront peut‑être tout autant. Cependant, il doit garder à l’esprit qu’on ne l’accuse pas d’être malhonnête ou de s’être livré à des manigances. Il se peut très bien qu’il ait eu l’intention de retourner en Ukraine à la fin de ses études. L’agent a examiné la demande et non pas le demandeur et la Cour ne peut pas intervenir et substituer son opinion à celle de l’agent.

[48]           Les avocats s’entendent pour dire qu’il n’y a aucune question à certifier, et la Cour en convient.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.      Il n’y a aucune question à certifier.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-8257-13

 

INTITULÉ :

VOLODYMYR PUIDA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 JUILLET 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 7 AOÛT 2014

 

COMPARUTIONS :

Leonides F. Tungohan

 

POUR LE DEMANDEUR

VOLODYMYR PUIDA

 

Timothy E. Fairgrieve

 

POUR LE DÉFENDEUR

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Learlaw Tungohan & Company

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

VOLODYMYR PUIDA

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

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