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Date : 20140808


Dossier : IMM-7701-13

Référence : 2014 CF 783

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 août 2014

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

ISILDA MARIA GRANDELA TEOFILIO

ET BERNARDO FRANCISCO TEOFILIO FERREIRA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 30 août 2013 par un agent principal d’immigration (l’agent), par laquelle ce dernier a rejeté la demande d’examen des risques avant renvoi que les demandeurs avaient présentée au titre de l’article 112 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi). Les demandeurs soutiennent que l’agent a commis des erreurs dans son analyse et ses conclusions relatives à la protection de l’État et que ces erreurs justifient l’intervention de la Cour.

[2]               Pour les motifs exposés ci‑dessous, je rejetterai la demande de contrôle judiciaire des demandeurs.

I.                   Le contexte

A.                L’arrivée des demandeurs au Canada et la demande d’asile rejetée

[3]               Les demandeurs sont mère et fils. Ils sont originaires du Portugal et ils sont arrivés au Canada en septembre 2009 en qualité de résidents temporaires. Quinze mois plus tard, à la fin de décembre 2010, ils ont demandé l’asile au titre des articles 96 et 97 de la Loi parce qu’ils étaient victimes de violence familiale de la part de l’ex‑époux et père et parce qu’ils ne pourraient pas obtenir une protection de l’État adéquate au Portugal.

[4]               Le 18 avril 2012, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR) a rejeté leur demande au motif que la preuve concernant certains aspects touchant le cœur de leur demande n’était appuyée sur rien de fiable et crédible ou, en ce qui concerne l’incapacité ou la réticence du Portugal à les protéger, n’était pas claire et convaincante.

[5]               La SPR a accepté que les demandeurs aient été victimes de certains types d’actes de violence familiale, mais elle a conclu que les demandeurs n’avaient pas présenté une preuve suffisante, indépendante et fiable démontrant qu’ils seraient exposés à l’avenir à un risque de préjudice grave par quelque agent de persécution que ce soit. En particulier, la SPR n’était pas convaincue que les allégations d’agressions et de tentatives d’agressions qui auraient eu lieu en juillet et en août 2009 étaient crédibles.

[6]               La SPR a aussi conclu que les demandeurs n’avaient pas établi que, dans les circonstances, il était justifié et raisonnable qu’ils soient retournés au Portugal à un moment crucial de leur demande d’asile, soit vers septembre 2009. La SPR a également estimé que les demandeurs n’avaient pas donné d’explication crédible pour justifier le fait qu’ils ont attendu quinze mois après leur arrivée au Canada pour présenter leur demande d’asile.

[7]               Enfin, la SPR a conclu que le prétendu refus de la police de les aider et de les protéger n’avait pas été démontré de façon crédible. En particulier, elle a estimé que, selon les documents sur la situation dans le pays, le Portugal faisait de sérieux efforts pour protéger ses citoyens contre le type de mauvais traitements allégués dans la demande des demandeurs, que ces derniers avaient eu la possibilité de se prévaloir de divers mécanismes de protection et de recours et que, de toute façon, le fait que la protection de l’État ne soit pas parfaite ne constitue pas un fondement adéquat pour accorder l’asile.

B.                 La décision de la SPR est confirmée parce qu’elle est raisonnable

[8]               En février 2013, la Cour a statué sur la demande de contrôle judiciaire présentée par les demandeurs à l’égard de la décision de la SPR et elle a conclu que rien ne justifiait de modifier les conclusions de la SPR (Teofilo c le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, IMM‑4901‑12, le 21 février 2013).

[9]               La Cour a notamment insisté sur le fait que, lorsqu’il est question d’une démocratie comme le Portugal, les demandeurs d’asile ont le lourd fardeau d’établir que la protection de l’État ne serait pas raisonnablement assurée. La Cour a également fait remarquer que la SPR disposait de nombreux documents sur la situation dans le pays qui démontraient que, bien que la violence familiale constitue encore un problème au Portugal, les demandeurs auraient pu obtenir la protection de la police s’ils l’avaient sollicitée.

C.                 La demande d’examen des risques avant renvoi et la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire

[10]           Le 11 juin 2013, les demandeurs ont présenté une demande d’examen des risques avant renvoi au ministre sur le fondement des mêmes risques que ceux qui ont invoqués dans leur demande d’asile, soit la crainte de préjudice grave de la part l’ex‑époux et père ainsi que l’absence de protection adéquate de la part de l’État.

[11]           La demande des demandeurs a été rejetée le 30 août 2013. L’agent, au nom du ministre, a tout d’abord fait remarquer qu’aucun nouveau renseignement ou élément de preuve indépendant et fiable n’avait été présenté à l’appui des allégations des demandeurs selon lesquelles ces derniers risquaient de subir un préjudice grave ou continueraient d’être pris pour cible ou d’être recherchés par l’ex‑époux et père au Portugal et qu’ils ne pourraient pas bénéficier d’une protection de l’État adéquate dans ce pays.

[12]           L’agent a donc conclu que les demandeurs n’avaient pas qualité de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

[13]           Après avoir tiré cette conclusion, l’agent s’est penché sur la situation actuelle dans le pays. Il a souligné que le Portugal est une démocratie constitutionnelle qui respecte en général les droits de la personne de ses citoyens grâce à un régime juridique bien défini dont l’application est assurée par les forces de police et de sécurité ainsi que par l’appareil judiciaire, qui est indépendant.

[14]           L’agent a également fait remarquer que la violence familiale est illégale et passible de sanctions pénales dans ce pays, mais qu’elle constitue toujours un grave problème en raison des mentalités qui imprègnent la société : on décourage les victimes de s’adresser au système judiciaire portugais. À cet égard, il a conclu que le gouvernement portugais luttait contre ce problème en incitant les victimes à porter plainte contre les présumés agresseurs et en faisant de sérieux efforts, grâce à diverses initiatives, pour protéger les victimes de violence familiale.

D.                La mesure de renvoi et le sursis

[15]           Le 18 décembre 2013, les demandeurs ont reçu signification d’une convocation les enjoignant de se présenter pour leur renvoi du Canada, qui devait avoir lieu le 12 janvier 2014.

[16]           La Cour a ordonné qu’il soit sursis à l’exécution de la mesure de renvoi jusqu’à l’issue de la présente demande de contrôle judiciaire.

E.                 La contestation de la décision de l’agent par les demandeurs

[17]           Les demandeurs ne contestent pas la conclusion de l’agent selon laquelle ils ne se sont pas acquittés du fardeau de produire des éléments de preuve réfutant les conclusions de la SPR relativement aux prétendus risques de violence familiale et à la protection de l’État.

[18]           Les demandeurs allèguent plutôt que l’agent, même s’il n’était pas tenu de le faire, s’est penché sur la situation actuelle dans le pays et qu’il devait donc tirer une conclusion raisonnable à cet égard, ce qu’il n’a pas fait. Voilà pourquoi, selon les demandeurs, la décision de l’agent doit être annulée.

II.                La question en litige et la norme de contrôle applicable

[19]           Voici la question en litige qui découle de la contestation de la décision par les demandeurs : l’agent a‑t‑il commis une erreur susceptible de contrôle dans son analyse et ses conclusions relatives à la situation actuelle au Portugal?

[20]           Il est bien établi que les décisions rendues dans le cadre des examens des risques avant renvoi, y compris les décisions relatives à la question de la protection de l’État, commandent la retenue parce qu’elles sont en grande partie fondées sur un examen des faits et que le ministre et ses délégués ont une expertise dans ce domaine. Ces décisions sont donc susceptibles de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (Pozos Martinez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 31, au paragraphe 18; Navarro Canseco c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 73, au paragraphe 11 (la décision Navarro Canseco).

[21]           Autrement dit, à moins que l’agent chargé de l’examen ait omis de prendre en considération des facteurs pertinents ou qu’il ait tenu compte de facteurs non pertinents, l’appréciation de la preuve relève du ministre et de ses délégués et n’est normalement pas susceptible de contrôle judiciaire (Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385, au paragraphe 10 (l’arrêt Raza)).

[22]           Cependant, à mon avis, une question encore plus fondamentale doit d’abord être tranchée : est‑il loisible aux demandeurs de contester les conclusions de l’agent sur la situation actuelle dans le pays sans même contester sa conclusion principale selon laquelle ils n’ont pas produit d’éléments de preuve réfutant les conclusions de la SPR – lesquelles ont d’ailleurs été subséquemment confirmées par la Cour – relativement aux prétendus risques de violence familiale ainsi qu’à la protection de l’État, dans l’éventualité où les demandeurs sollicitaient pareille protection.

[23]           Autrement dit, si l’on tient pour acquis que l’agent a commis une erreur dans son analyse d’une question qu’il n’était plus nécessaire de trancher puisqu’il avait déjà conclu que les demandeurs n’avaient pas qualité de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi, sa décision peut‑elle être tout de même annulée sans que sa conclusion principale ne soit contestée?

[24]           À mon avis, il faut répondre à cette question par la négative.

III.             Analyse

A.                L’omission de contester la conclusion principale de l’agent porte un coup fatal à la demande des demandeurs

[25]           La position des demandeurs est très claire. Ils concèdent que l’agent n’était pas tenu de se pencher sur la question de la situation actuelle dans le pays, mais que, puisqu’il l’a fait, ses conclusions à cet égard devaient être raisonnables. Les demandeurs soutiennent que ces conclusions n’étaient pas raisonnables et qu’elles vicient l’ensemble de la décision.

[26]           L’examen des risques avant renvoi trouve son fondement à l’article 112 de la Loi. Cette disposition donne au ministre ou à son délégué le pouvoir de décider si une personne visée par une mesure de renvoi doit être protégée. Cette décision est prise sur le fondement des motifs énoncés aux articles 96 et 97 de la Loi, qui sont reproduits en annexe à la présente décision.

[27]           Comme la Cour d’appel fédérale nous l’a rappelé dans l’arrêt Raza, précité, la justification, au niveau des politiques, de l’examen des risques avant renvoi se trouve dans les engagements nationaux et internationaux du Canada en faveur du principe de non‑refoulement. Au titre de ce principe, les demandeurs ne peuvent être renvoyés du Canada dans un pays où ils risqueraient d’être persécutés, torturés, tués ou soumis à des traitements ou peines cruels ou inusités. (Raza, au paragraphe 10).

[28]           Cependant, la personne sollicitant la protection du Canada doit démontrer qu’elle satisfait aux conditions énoncées aux articles 96 et 97 de la Loi (Adetunji c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 708, au paragraphe 19; Ferguson c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1067, au paragraphe 22).

[29]           L’examen de la structure de ces deux dispositions révèle que la personne qui sollicite la protection du Canada doit tout d’abord démontrer qu’elle serait exposée à l’un des risques énoncés dans celles-ci si elle retournait dans son pays d’origine. Si la preuve en est faite, la personne doit ensuite établir qu’elle ne pourrait pas réclamer la protection de ce pays ou, en raison du risque allégué, qu’elle hésiterait à la réclamer. À l’inverse, si la personne n’établit pas qu’elle serait vraisemblablement exposée à pareils risques, alors la question de savoir si elle pourrait obtenir la protection de l’État n’est plus pertinente.

[30]           En l’espèce, la SPR était prête à accepter que les demandeurs avaient été victimes de certains types d’actes de violence familiale de la part de l’ex‑époux et père, mais elle a conclu que les demandeurs n’avaient pas démontré qu’ils seraient exposés à l’un des risques énoncés aux articles 96 et 97 de la Loi s’ils étaient renvoyés au Portugal.

[31]           Lorsqu’ils ont comparu devant l’agent après le rejet de leur demande d’asile et de leur demande de contrôle judiciaire, les demandeurs n’ont produit aucun nouveau renseignement ou élément de preuve indépendant et fiable à l’appui des allégations soumises à la SPR.

[32]           Il n’en fallait pas plus pour que l’agent conclût, dans le cadre de leur demande d’examen des risques avant renvoi, que les demandeurs n’avaient pas qualité de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi. Plus important encore, cette conclusion était suffisante pour trancher la demande des demandeurs. Ces derniers en conviennent et ils ne contestent pas la conclusion de l’agent à cet égard.

[33]           Le fait que l’agent se soit par la suite penché sur la situation actuelle dans le pays, probablement par souci d’exhaustivité, ne change en rien – et ne devrait rien changer – quant à la validité de sa conclusion principale, laquelle, il convient de le répéter, tranchait la demande des demandeurs.

[34]           Dans un tel contexte, l’analyse sur la situation actuelle dans le pays ne peut être qualifiée que d’obiter dictum ou de conclusion incidente relativement à la question qui a déjà été tranchée. Il m’est impossible de voir comment, même en tenant pour acquis que l’agent a commis une erreur dans son analyse, cette conclusion incidente pourrait avoir une incidence sur la conclusion principale de l’agent et sur la décision dans son ensemble.

[35]           Dans l’arrêt Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c Flores Carrillo, 2008 CAF 94 (l’arrêt Carrillo), la Cour d’appel fédérale a estimé qu’il était regrettable que le juge saisi du contrôle judiciaire n’ait pas examiné la conclusion principale de la SPR, car, s’il l’avait fait, le litige aurait dès lors pris fin, ce qui aurait empêché la tenue d’un appel sur un motif subsidiaire du rejet de la demande d’asile (Carrillo, aux paragraphes 14 et 15) et Ortega c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 182, au paragraphe 26).

[36]           En l’espèce, les demandeurs n’ont pas contesté le motif principal sur lequel l’agent s’est fondé pour rejeter leur demande d’examen des risques avant renvoi. En termes simples, les demandeurs n’ont pas démontré qu’ils sont exposés à un risque. À mon avis, cette conclusion justifie à elle seule le rejet de la présente demande de contrôle judiciaire.

[37]           De toute façon, je suis d’avis que les demandeurs n’ont pas établi que les conclusions de l’agent relativement à la situation actuelle au Portugal sont déraisonnables.

B.                 La conclusion incidente de l’agent relativement à la situation actuelle dans le pays est, de toute façon, raisonnable

[38]           Il convient ici de répéter qu’il s’agit de demandeurs d’asile déboutés qui ont contesté, sans succès, les conclusions de la SPR, y compris celles portant sur la protection de l’État et la situation dans le pays. Comme la juge Snider l’a affirmé en rejetant la contestation par les demandeurs de la décision de la SPR, il est bien établi que, dans un état démocratique, les demandeurs d’asile ont le lourd fardeau d’établir que la protection de l’État ne serait pas raisonnablement assurée. Autrement dit, plus les institutions de l’État sont démocratiques, plus le demandeur d’asile doit avoir cherché à épuiser tous les recours qui s’offrent à lui (Navarro Canseco, précitée, au paragraphe 15).

[39]           Ce principe découle de la présomption de protection de l’État, laquelle, comme le juge Laforest l’a énoncé dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, « sert à renforcer la raison d’être de la protection internationale à titre de mesure auxiliaire qui entre en jeu si le demandeur ne dispose d’aucune solution de rechange » (Ward, au paragraphe 51; Carrillo, précité, au paragraphe 25).

[40]           Le demandeur d’asile provenant d’un pays démocratique, comme le Portugal, devra donc s’acquitter « d’un lourd fardeau pour démontrer qu’il n’était pas tenu d’épuiser tous les recours dont il pouvait disposer dans son pays avant de demander l’asile » (Carrillo, précité, au paragraphe 26). Concrètement, cela veut dire que la personne qui veut réfuter la présomption de la protection de l’État doit produire une preuve « pertinente, digne de foi et convaincante qui démontre au juge des faits, selon la prépondérance des probabilités, que la protection accordée par l’État en question est insuffisante » (Carrillo, précité, au paragraphe 30).

[41]           Lorsque des demandeurs d’asile déboutés, comme les demandeurs, atteignent l’étape de l’examen des risques avant renvoi, ils n’ont pas qualité d’appelants, il ne s’agit pas d’un appel de la décision de la SPR. Dans l’arrêt Raza, précité, la Cour d’appel fédérale a déclaré que la demande d’examen des risques avant renvoi présentée par un demandeur d’asile débouté ne constitue pas un appel ni un réexamen de la décision de la SPR de rejeter la demande (Raza, au paragraphe 12).

[42]           Bien qu’un tel examen puisse nécessiter l’analyse de quelques‑unes ou de la totalité des questions de fait ou de droit qui ont été examinées dans le cadre de la demande d’asile, l’article 13 de la LIPR atténue le risque évident de multiplication inutile, voire abusive, des recours en limitant les éléments de preuve qui peuvent être présentés au délégué du ministre. Selon l’interprétation de la juge Sharlow dans l’arrêt Raza, précité, cette limite repose sur l’idée que « l’agent d’ERAR doit prendre acte de la décision de la SPR de rejeter la demande d’asile, à moins que des preuves nouvelles soient survenues depuis le rejet, qui auraient pu conduire la SPR à statuer autrement si elle en avait eu connaissance » (Raza, aux paragraphes 12 et 13) (non souligné dans l’original).

[43]           Ces « preuves nouvelles » ne peuvent être que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce que le demandeur d’asile les ait présentés (Yousef c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 864, 296 FTR 182, au paragraphe 20).

[44]           Comme il a été mentionné précédemment, la juge Snider, lorsqu’elle a rejeté demande de contrôle judiciaire présentée par les demandeurs relativement à la décision de la SPR, a estimé qu’il était raisonnable pour la SPR, compte tenu des nombreux documents sur la situation dans le pays dont elle disposait, de conclure que, bien que la violence familiale constitue encore un problème au Portugal, les demandeurs auraient pu obtenir la protection de la police s’ils l’avaient sollicitée.

[45]           Les demandeurs concèdent qu’ils n’ont produit aucun nouvel élément de preuve à l’appui de leurs allégations selon laquelle ils ne pourraient pas bénéficier de la protection de l’État s’ils étaient renvoyés au Portugal. Cette concession, en soi, serait suffisante pour justifier le rejet de leur contestation de la conclusion de l’agent relativement à la situation actuelle dans le pays dans la mesure où cette conclusion porte sur la protection de l’État dont peuvent bénéficier les victimes de violence familiale.

[46]           Mais ce n’est pas tout. Les observations des demandeurs à ce sujet ne sauraient être retenues.

[47]           Les demandeurs allèguent que l’agent ne pouvait pas se contenter de dire que le gouvernement du Portugal faisait de « sérieux efforts » pour protéger les victimes de violence familiale. Ils soutiennent que l’agent devait plutôt être convaincu que ces efforts se sont traduits par des mesures concrètes et que, pour ce faire, il faut que ce soit la police qui offre cette protection et non pas des organismes gouvernementaux qui ne sont pas responsables de l’application de la loi.

[48]           Cependant, la décision de l’agent doit être considérée dans son ensemble (Pararajasingham c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1416, au paragraphe 27, Sinnasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 67, au paragraphe 31). En l’absence de nouveaux éléments de preuve, l’analyse relative à la situation dans le pays ne peut être dissociée de la conclusion principale selon laquelle les demandeurs n’ont pas contesté la conclusion précédente de la SPR, qui avait estimé que les personnes dans leur situation peuvent bénéficier d’une protection de l’État adéquate au Portugal.

[49]           Les demandeurs s’appuient grandement sur la décision que la Cour a rendue dans l’affaire Henguva c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 912, pour prétendre que le critère des sérieux efforts n’est pas celui qu’il convient d’appliquer dans le cadre de l’analyse relative à la protection de l’État. Cependant, cette décision nous a aussi rappelé que l’emploi de ces mots dans le contexte de cette analyse ne fera pas automatiquement en sorte que la décision de la Commission sera annulée, et que la Cour devra tenir compte de la décision dans son ensemble pour trancher la question de savoir si la Commission a appliqué le bon critère ou non (Henguva, au paragraphe 6) [non souligné dans l’original].

[50]           En l’espèce, il ne fait aucun doute que, considérée dans son ensemble, l’analyse relative à la protection de l’État a été effectuée en fonction du bon critère, compte tenu du rôle que joue le délégué du ministre lorsqu’il est saisi d’une demande d’examen des risques avant renvoi présentée par un demandeur d’asile débouté.

[51]           En outre, comme le défendeur l’a souligné, les documents sur la situation dans le pays qui se trouvaient dans le dossier de demande soumis dans le cadre de l’examen des risques avant renvoi et dont disposait l’agent faisaient moins de 20 pages. La preuve documentaire était encore plus limitée en ce qui concerne la violence familiale. Cependant, il n’incombait pas à l’agent, mais plutôt aux demandeurs, de produire de nouveaux éléments de preuve pour démontrer que les victimes de violence familiale ne pouvaient pas bénéficier de la protection de l’État. Les demandeurs ne l’ont pas fait.

[52]           L’acceptation de la position des demandeurs équivaudrait à faire abstraction du rejet, par la Cour, de la demande de contrôle judiciaire que les demandeurs ont présentée relativement à la décision de la SPR. Dans sa décision, la Cour a fait remarquer que la SPR avait examiné de « nombreux documents sur la situation du pays » et elle avait estimé que la SPR avait raisonnablement conclu que, même si la violence familiale était encore un problème au Portugal, si les demandeurs avaient demandé la protection de la police, ils l’auraient obtenue.

[53]           Vu les conclusions précédentes de la SPR, vu la confirmation par la Cour de ces conclusions, vu la présomption de protection de l’État dans les pays démocratiques comme le Portugal qu’il incombait aux demandeurs de réfuter, et vu que ces derniers n’ont fait aucun effort pour démontrer à l’agent que la situation s’était à tel point détériorée au Portugal au cours des deux dernières années qu’ils ne pouvaient plus bénéficier de la protection de l’État dans ce pays, la Cour doit faire d’autant plus preuve d’une grande retenue envers la décision de l’agent.

[54]           Pour les motifs exposés ci‑dessus, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[55]           Ni l’une ni l’autre des parties n’ont proposé la certification d’une question de portée générale. Aucune question ne sera certifiée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.                  La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.                  Aucune question n’est certifiée.

« René LeBlanc »

Juge

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin


ANNEXE

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27)

Articles 96 et 97

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

Sections 96 and 97

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

imm-7701-13

 

INTITULÉ :

ISILDA MARIA GRANDELA TEOFILIO ET AUTRES

c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 JUIN 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE leblanc

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 8 AOÛT 2014

COMPARUTIONS :

Robert Israel Blanshay

POUR LES DEMANDEURS

 

Suran Bhattacharyya

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

The Office of Robert Blanshay

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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