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Date : 20140620


Dossier : T-1063-13

Référence : 2014 CF 587

Ottawa (Ontario), le 20 juin 2014

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

RICHARD TIMM

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur conteste la légalité d’une décision ministérielle rendue le 27 mai 2013 l’avisant que sa nouvelle demande de révision de condamnation criminelle n’ira pas au stade de l’enquête. Essentiellement, le demandeur prétend que la décision est déraisonnable et va à l’encontre de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11 [Charte].

[2]               En 1995, le demandeur est déclaré coupable des meurtres au premier degré de ses parents adoptifs. Son pourvoi contre le verdict est rejeté par la Cour d’appel du Québec ainsi que par la Cour suprême du Canada. Toute personne qui a été condamnée pour une infraction à une loi fédérale ou à ses règlements, qui considère avoir été victime d’une erreur judiciaire peut, en vertu de l’article 696.1 du Code criminel, LRC 1985, ch C-46 [Code], présenter une demande de révision auprès du ministre de la Justice [Ministre] conformément aux règlements.

[3]               En juillet 2001, le demandeur présente une première demande de révision au Ministre en vertu de l’article 4 du Règlement sur les demandes de révision auprès du Ministre (erreurs judiciaires), DORS/2002-416 [Règlement]. La demande de révision est refusée de façon interlocutoire le 22 octobre 2009, et de façon finale, le 21 octobre 2010. La demande de contrôle judiciaire du demandeur à l’encontre de la décision interlocutoire est rejetée par la Cour le 30 mars 2011, alors que le 2 mai 2012, la demande de contrôle à l’encontre de la décision finale du Ministre connaît le même sort : Timm c Canada (Procureur général du Canada), 2012 CF 505, [2010] ACF no 556; confirmé par 2010 CAF 282, [2010] ACF no 1398; autorisation d’appeler à la Cour suprême du Canada refusée [2012] SCCA no 502; [2012] CSCR no 502.

[4]               Toujours insatisfait, le 2 mai 2013, le demandeur présente une seconde demande de révision de sa condamnation au Ministre. Par lettre en date du 27 mai 2013, le demandeur est avisé que l’on ne procédera pas à une nouvelle évaluation préliminaire étant donné que le demandeur n’a apporté aucun fait ou élément nouveau. Le demandeur traite ce nouveau refus comme une décision négative du Ministre et demande à la Cour diverses conclusions déclaratoires. Bien qu’on parle ici d’une décision de nature discrétionnaire, le Ministre est tenu d’agir de façon équitable et ne peut autrement agir de manière arbitraire, ni ignorer les droits fondamentaux et les valeurs de la Charte, lorsqu’il s’agit de décider s’il y a lieu de faire enquête au motif qu’une erreur judiciaire aurait été commise : Daoulov v Canada (Attorney General), 2009 FCA 12, 388 NR 54. Au mérite, la décision ministérielle est examinée selon la norme de la décision raisonnable.

[5]               Le droit applicable n’est pas l’objet de contestation. Selon les dispositions du Règlement, le Ministre doit procéder à une évaluation préliminaire du dossier à partir des éléments de fait qui lui ont été soumis par le requérant (para 3b)). Suite à cette évaluation préliminaire, la demande de révision doit faire l’objet d’une enquête plus approfondie (para 4(1)a)) si le Ministre constate qu’il pourrait y a voir des motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite. Si, en revanche, le Ministre conclut qu’il est raisonnable de croire qu’il n’y a pas eu d’erreur judiciaire justifiant une enquête plus approfondie, il doit aviser le demandeur que sa demande ne passera pas à la prochaine étape de l’enquête (para 4(2)). Le demandeur bénéficie dès lors d’une période d’un an pour transmettre au Ministre des renseignements additionnels à l’appui de sa demande (para 4(3)). Si le demandeur transmet des renseignements additionnels, sa demande fera alors l’objet d’une nouvelle évaluation préliminaire à la lumière de cette nouvelle information (para 4(5)). Cependant, s’il informe le ministre qu’il n’entend pas transmettre de tels renseignements (para 5(2)), ou s’il omet de le faire à l’intérieur du délai d’un an, le Ministre rendra alors une décision finale qui disposera de façon définitive de sa demande de révision de la condamnation criminelle, selon l’article 696.4 du Code. C’est ce qui s’est produit le 21 octobre 2010.

[6]               Il s’agit maintenant d’examiner la raisonnabilité du second refus ministériel en date du 27 mai 2013. Il n’est pas nécessaire de reprendre ici les arguments des parties qui sont bien développés dans leurs mémoires respectifs et que j’ai considérés attentivement à la lumière des représentations orales qui ont été faites à l’audition. En l’espèce, il n’y a pas lieu d’intervenir. En substance, j’accepte l’argumentation du procureur du défendeur suivant laquelle la décision ministérielle de ne pas procéder à une nouvelle évaluation préliminaire est à tous égards raisonnable. D’une part, le demandeur a eu pleine d’opportunité, au cours de la période d’un an suivant la première évaluation préliminaire, de présenter au Ministre des renseignements additionnels. D’autre part, la conclusion ministérielle que le demandeur n’a soumis, en 2013, rien de nouveau permettant d’aller de l’avant avec une nouvelle demande d’évaluation préliminaire, appartient certainement à l’une des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190, 2008 CSC 9 para 47.

[7]               Je suis d’accord avec le procureur du défendeur que dans sa seconde demande de révision, le demandeur ne présente aucun fait ou élément nouveau. Au passage, je ne suis pas lié par les décisions des protonotaires Tabib et Morneau qui ont rejeté deux requêtes en radiation présentées par le Ministre. J’évalue la décision du Ministre selon la norme de la décision raisonnable, tandis qu’il leur incombait d’appliquer le test, plus exigeant, de l’article 221 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 : Grenier c Canada (Agence du Revenu), 2014 CF 504. On est rendu au mérite de la demande de contrôle. J’ai le bénéfice d’avoir étudié toute la preuve au dossier et d’avoir considéré l’ensemble des arguments de fait et de droit des parties à la lumière des décisions antérieures. Il est manifeste que le demandeur, par le biais de sa deuxième demande de révision, tente de présenter sous un jour nouveau des allégations qui étaient déjà faites dans sa première demande de révision ou de réargumenter des points qui ont déjà été tranchés par la Cour. Que l’on envisage aujourd’hui la question de l’absence de motifs raisonnables pour conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite sous l’angle de la chose jugée (incluant le concept d’issue estoppel) ou de l’abus de procédure, le dossier est maintenant clos, à moins qu’il y ait de nouveaux faits ou éléments, ce qui n’est pas le cas. Incidemment, il est trop tard pour le demandeur de présenter des arguments qui auraient pu être faits à l’encontre du contenu, des conclusions et des recommandations que l’on retrouve dans le rapport de 2009 du Groupe de la révision des condamnations criminelles [GRCC].

[8]               Force est de constater qu’en 2009, Me Isabel J. Schurman, représentante du Ministre et Me Kerry Scullion, Directeur Avocat général du GRCC, ont procédé à une analyse sérieuse et minutieuse. Ont été considérés lors de l’évaluation préliminaire : l’ensemble du dossier criminel en Cour supérieure et en Cour d’appel, les pièces à conviction, ainsi que toute la documentation pertinente entourant la disparition de la scie à fer, le dépôt des pièces à conviction et les déclarations incriminante. D’ailleurs, mon collègue à la Cour, monsieur le juge Harrington a déjà jugé ce rapport comme étant raisonnable. Au paragraphe 48 de sa décision (Timm c Canada (Procureur général du Canada), 2012 CF 505, [2010] ACF no 556), il a écrit : « Bien que monsieur Timm ne partage pas l'opinion de la GRCC quant à l'évaluation et l'interprétation des éléments de preuve et cherche à présenter sa propre analyse, il n'a pas démontré que l'évaluation préliminaire complétée par Me Schurman et Me Scullion est déraisonnable. » De plus, le Ministre disposait également de l’opinion juridique de Jean-Marc Labrosse, un ancien juge de la Cour d’appel, de l’Ontario. Qu’il s’agisse, par exemple, de la question de l’existence ou non d’une « déclaration écrite incriminante » ayant pu servir à l’obtention d’un mandat de perquisition et de la disparition apparente de la scie à fer, au risque de me répéter, il ne s’agit pas de faits ou d’éléments nouveaux justifiant l’annulation de refus ministériel, essuyé de nouveau par le demandeur en 2013.

[9]               Faut-il le rappeler, le pouvoir du Ministre en est un d’exception et de prérogative. Il a un caractère extraordinaire et la Cour, en révision judiciaire, doit prendre garde de ne pas se substituer au Ministre. Le demandeur a parlé devant moi à l’audience d’une « chose mal jugée ». Il admet que le Ministre et les juges ayant antérieurement étudié le dossier étaient de bonne foi. Il n’empêche, ils ont été induits en erreur, plaide le demandeur. Selon lui, la faute est attribuable aux policiers, puis au GRCC qui a fait un travail « bâclé ». Une grave injustice aurait donc été commise. Le problème, c’est que les faits dont se plaint le demandeur n’ont pas été découverts en 2013. Ils ont été portés ou pouvaient être portés en temps utile à l’attention du GRCC et du Ministre bien avant 2013. Aujourd’hui, selon le demandeur, on continue d’avoir des « questions sans réponses ». C’est peut-être regrettable, mais cela ne démontre pas en soi qu’il y a eu une « erreur judiciaire ». Les litiges doivent avoir une fin.

[10]           Le Ministre n’a pas agi de manière arbitraire ou capricieuse. Malgré le commentaire, un peu surprenant à première vue, relevé par le demandeur dans la lettre du 27 mai 2013 de Me Larocque (« seule une preuve à l’appui d’une condamnation sera déposée comme preuve et annotée comme pièce par la Couronne »), je ne suis pas satisfait que l’erreur alléguée puisse avoir un caractère déterminant. En outre, l’impact de l’arrêt R c Taillefer; R c Duguay, 2003 CSC 70, [2003] 3 RCS 307, plaidé à nouveau aujourd’hui par le demandeur, avait déjà été considéré en 2009. Or, le GRCC, malgré « de nombreuses irrégularités dans le comportement des policiers dans le dossier du demandeur », avait conclu que « toutes les allégations de fabrication de preuve et de complot ont été faites lors du procès ou de l’appel. Aucun élément de preuve, nouveau ou ancien, n’appuie les allégations de fabrication de preuve dans cette affaire ». Il ne suffit pas d’invoquer la violation d’un droit constitutionnel pour convaincre le Ministre de réévaluer une demande de révision. Encore faut-il qu’il y ait des motifs raisonnables à penser qu’une erreur judiciaire a pu être commise. Le Ministre en a décidé autrement, et je me dois de respecter sa décision, alors que la déraisonnabilité du nouveau refus ministériel n’a pas été démontrée par le demandeur.

[11]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens.


JUGEMENT

LA COUR ADJUGE ET ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée avec dépens.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1063-13

 

INTITULÉ :

RICHARD TIMM c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 JUIN 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

LE 20 JUIN 2014

 

COMPARUTIONS :

Richard Timm

 

POUR LE DEMANDEUR

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Me Jacques Savary

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Richard Timm

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

POUR SON PROPRE COMPTE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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