Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20140722


Dossier : T-2021-13

Référence : 2014 CF 724

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 juillet 2014

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

ALI AL-KAISI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               L’obtention de la citoyenneté dans un pays autre que le pays de naissance est un privilège, et non un droit. Les citoyens du Canada, par l’intermédiaire de l’appareil législatif de l’État, ont établi des exigences minimales auxquelles une personne doit satisfaire pour obtenir le privilège de la citoyenneté et les droits afférents à ce privilège. La capacité de communiquer avec les autres citoyens ainsi qu’avoir une connaissance élémentaire de l’histoire, de la structure politique et des caractéristiques du Canada sont parmi les exigences raisonnables auxquelles une personne doit satisfaire pour obtenir le privilège de la citoyenneté (Shah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 852).

II.                Introduction

[2]               Le présent appel est interjeté pour le compte du demandeur au titre du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C-29 et de l’article 21 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, et vise la décision par laquelle un juge de la citoyenneté a rejeté, le 25 octobre 2013, sa demande d’obtention de la citoyenneté canadienne, conformément aux alinéas 5(1)d) et e) de la Loi sur la citoyenneté.

III.             Le contexte

[3]               Le demandeur, M. Ali A‑Kaisi, est un citoyen de l’Irak. En 2007, lui et son épouse, ainsi que leur enfant, ont présenté une demande d’asile. L’ambassade canadienne en Syrie leur a accordé qualité de réfugié environ 12 à 18 mois plus tard.

[4]               Le demandeur et sa famille sont arrivés au Canada le 20 octobre 2008 et ils ont présenté une demande en vue d’obtenir la citoyenneté canadienne exactement trois ans plus tard, soit le 20 octobre 2011.

[5]               Le 9 octobre 2013, le demandeur s’est présenté à une audience devant le juge de la citoyenneté, et le 25 octobre 2013, ce dernier a rendu sa décision, par laquelle il n’approuvait pas la demande de citoyenneté présentée par le demandeur, aux motifs que ce dernier ne répondait pas aux exigences exposées aux alinéas 5(1)d) et e) de la Loi sur la citoyenneté.

IV.             La décision faisant l’objet du contrôle

[6]               Le juge de la citoyenneté a conclu que le demandeur ne répondait pas aux exigences exposées à l’alinéa 5(1)d) de la Loi sur la citoyenneté, car il n’avait pas une connaissance suffisante du français ou de l’anglais. Il a relevé que le demandeur était incapable de répondre à des questions simples et qu’il n’a pas démontré qu’il détenait un vocabulaire adéquat pour des communications quotidiennes de base.

[7]               Le juge de la citoyenneté a aussi conclu que le demandeur ne répondait pas aux exigences exposées à l’alinéa 5(1)e) de la Loi sur la citoyenneté, car il n’avait pas une connaissance suffisante du Canada. Le juge de la citoyenneté a mentionné que, lorsqu’il a évalué la connaissance du Canada du demandeur, ce dernier était incapable de donner des réponses correctes à des questions se rapportant à un ou à plusieurs des sujets mentionnés dans le Règlement sur la citoyenneté, DORS/93‑246.

[8]               En dernier lieu, le juge a refusé de recommander une exemption discrétionnaire pour des raisons d’ordre humanitaire comme le prévoit le paragraphe 5(3) de la Loi sur la citoyenneté, ou pour remédier à une situation particulière et inhabituelle de détresse ou récompenser des services exceptionnels rendus au Canada, comme le prévoit le paragraphe 5(4), car il n’a présenté aucun élément de preuve quant à l’existence d’une situation particulière qui justifierait de faire une telle recommandation.

V.                Les questions en litige

[9]               La Cour doit trancher les questions en litige suivantes :

1)      Le juge de la citoyenneté a‑t‑il manqué à son obligation d’agir équitablement envers le demandeur lorsqu’il n’a pas ajourné l’audience?

2)      Le juge de la citoyenneté a‑t‑il commis une erreur du fait qu’il n’a pas donné des motifs suffisants concernant le fait que le demandeur ne répondait pas aux critères de connaissance du pays?

3)      Le juge de la citoyenneté a‑t‑il commis une erreur du fait qu’il n’a pas tenu compte d’éléments de preuve et qu’il n’a pas recommandé que le demandeur soit exempté des exigences en matière linguistique et de connaissance du pays?

VI.             Les dispositions législatives pertinentes

[10]           Les alinéas 5(1)d) et e) de la Loi sur la citoyenneté sont pertinents en l’espèce :

Attribution de la citoyenneté

Grant of citizenship

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

[…]

d) a une connaissance suffisante de l’une des langues officielles du Canada;

(d) has an adequate knowledge of one of the official languages of Canada;

e) a une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et avantages conférés par la citoyenneté;

(e) has an adequate knowledge of Canada and of the responsibilities and privileges of citizenship;

VII.          La norme de contrôle applicable

[11]           La première question soulevée par le demandeur est une question de droit et doit être examinée selon la norme de la décision correcte (Elfar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 51).

[12]           La deuxième et la troisième question en litige doivent être examinées selon la norme de la raisonnabilité (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708; Desai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 194).

VIII.       Analyse

A.                Le juge de la citoyenneté a‑t‑il manqué à son obligation d’agir équitablement envers le demandeur lorsqu’il n’a pas ajourné l’audience?

[13]           Le demandeur conteste principalement la décision du juge de la citoyenneté en raison du manquement à l’équité procédurale; il prétend que ce dernier a procédé à un interrogatoire oral, malgré le fait qu’il a été informé du fait que le demandeur avait un problème de santé mentale. Le demandeur prétend qu’il a informé le juge de la citoyenneté qu’il avait de la difficulté à se concentrer sur les questions en raison de la fatigue, laquelle était attribuable au fait que son épouse était à l’hôpital deux journées avant l’audience.

[14]           L’avocat du défendeur s’oppose à cet argument, au motif que rien ne démontre, à la lecture du dossier, que le demandeur avait informé le juge de la citoyenneté de ce problème. Le défendeur soutient qu’il s’agit d’une nouvelle question soulevée par le demandeur, dans le but de contester l’issue de son interrogatoire.

[15]           La Cour est elle aussi quelque peu sceptique relativement à cette allégation. Il n’y a rien dans le dossier qui démontre que le demandeur a informé le juge de la citoyenneté de la fragilité de son état mental au cours de l’audience ou qu’il a demandé un ajournement. Comme l’a fait remarquer le défendeur, le dossier ne contient même pas le rapport médical que le demandeur allègue qu’il a présenté au juge de la citoyenneté au cours de l’audience pour corroborer l’hospitalisation de son épouse. (Dossier de demande [DD] du demandeur à la page 24). La Cour conclut qu’il est difficile de croire que cet élément de preuve crucial aurait été exclu du dossier certifié du tribunal s’il avait bel et bien été produit au juge de la citoyenneté.

[16]           La Cour relève aussi que le dossier contient une lettre rédigée par le Centre canadien pour les victimes de torture, dont ne disposait pas le juge de la citoyenneté (DD, à la page 22). En fait, la lettre a été rédigée après l’audience.

[17]           Compte tenu de ces irrégularités, la Cour conclut qu’il est improbable que le demandeur ait porté à l’attention du juge de la citoyenneté son état mental. Il semblerait que le demandeur a présenté des éléments de preuve documentaire supplémentaires au dossier afin d’étayer sa demande.

[18]           En l’absence d’éléments de preuve adéquats et fiables au dossier pour étayer l’allégation du demandeur quant à cette question, la Cour conclut qu’elle n’est pas justifiée d’intervenir.

B.                 Le juge de la citoyenneté a‑t‑il commis une erreur du fait qu’il n’a pas donné des motifs suffisants concernant le fait que le demandeur ne répondait pas aux critères de connaissance du pays?

[19]           Dans ses observations, le demandeur soutient aussi que le juge de la citoyenneté avait l’obligation d’expliquer pourquoi il ne répondait pas au critère de connaissance du pays exposé dans la Loi sur la citoyenneté. Le demandeur prétend que l’omission du juge de la citoyenneté à expliquer quelle partie de l’examen il avait échouée fait en sorte qu’il lui est difficile de comprendre pourquoi il n’a pas réussi l’examen et empêche la Cour de s’acquitter de sa fonction d’appel.

[20]           La Cour souscrit à la thèse du demandeur selon laquelle les motifs du juge de la citoyenneté en ce qui concerne les exigences relatives à la connaissance du pays ne sont pas adéquats. Les motifs contiennent effectivement une liste des critères généraux exposés dans le Règlement sur la citoyenneté, sans analyse supplémentaire; cependant, la Cour est néanmoins d’avis que son intervention n’est pas justifiée.

[21]           La décision du juge de la citoyenneté, lorsqu’on la lit dans son ensemble, appartient tout de même bel et bien aux issues possibles acceptables. Comme l’a récemment statué la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union, précité, l’insuffisance des motifs n’est pas une raison en soi pour annuler une décision. En fait, « les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles » (au paragraphe 14).

[22]           La Cour conclut que c’est le cas dans la présente affaire. En plus de sa conclusion concernant la connaissance du Canada du demandeur, le juge de la citoyenneté a conclu que le demandeur ne répondait pas aux critères linguistiques pour qu’on lui octroie la citoyenneté. Le juge de la citoyenneté a mentionné que le demandeur était incapable de répondre à de très simples questions concernant les sujets courants [traduction] « au moyen de phrases courtes en utilisant des mots charnières » et [traduction] « de faire preuve d’un vocabulaire adéquat pour soutenir des communications de base quotidiennes ». La Cour conclut que cette conclusion était suffisante en elle‑même pour rejeter la demande de citoyenneté canadienne du demandeur. Par conséquent, le juge de la citoyenneté n’avait pas l’obligation d’entreprendre une analyse des résultats obtenus par le demandeur dans la partie de l’examen concernant la connaissance du pays. Sa conclusion concernant les compétences linguistiques du demandeur suffisait à trancher la demande.

C.                 Le juge de la citoyenneté a‑t‑il commis une erreur du fait qu’il n’a pas tenu compte d’éléments de preuve et qu’il n’a pas recommandé que le demandeur soit exempté des exigences en matière linguistique et de connaissance du pays?

[23]           Le défendeur soutient que le juge de la citoyenneté a commis une erreur en omettant de tenir compte des éléments de preuve se rapportant à l’hospitalisation de son épouse lorsqu’il s’est demandé s’il devait exercer son pouvoir discrétionnaire prévu aux paragraphes 5(3) et 5(4) de la Loi sur la citoyenneté. Le demandeur prétend que l’hospitalisation de son épouse l’a empêché d’être à son mieux lors de l’audience et que cela aurait pu justifier une exemption aux exigences prévues aux alinéas 5(1)d) et e) de la Loi sur la citoyenneté. Le juge de la citoyenneté avait donc, à tout le moins, l’obligation d’en tenir compte dans les motifs. Le demandeur invoque la décision Bhatti c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 25, 87 Imm LR (3d) 166, à l’appui de son argument et il demande à la Cour d’adopter un raisonnement similaire en l’espèce.

[24]           La Cour constate, en résumé, que la prétention du demandeur relativement à cette question en litige repose sur l’hypothèse selon laquelle le juge de la citoyenneté disposait effectivement du document en question. Comme il a été mentionné ci‑dessus, la Cour n’est pas convaincue que c’était le cas; il s’ensuit que la Cour conclut que cet argument est sans fondement.

[25]           Quoi qu’il en soit, même si la Cour avait effectivement convenu que le juge de la citoyenneté disposait du document en question, ce facteur n’aurait pas été suffisant pour justifier une exemption aux exigences prévues à la Loi sur la citoyenneté. En l’espèce, et contrairement à la demanderesse dans la décision Bhatti, précitée, le dossier ne contient aucun élément qui démontre l’existence d’une obstruction à la capacité de M. Al‑Kaisi à refaire l’examen de citoyenneté à une date ultérieure.

[26]           La Cour fait remarquer que, dans la décision Bhatti, précitée, la Cour devait rendre une décision dans le cas d’une demanderesse qui avait des problèmes de vision graves et permanents qui étaient causés par la rétinopathie diabétique, problèmes qui faisaient en sorte qu’il était difficile pour elle d’étudier en vue de l’examen de citoyenneté ou même de passer cet examen par écrit. La Cour avait conclu que le problème de santé de Mme Bhatti était suffisamment grave pour justifier de se pencher sur la question de l’exemption aux exigences linguistiques et de connaissance du pays, puisque son état de santé continuerait inévitablement à nuire à sa préparation pour l’examen de citoyenneté. Il existe une nette distinction entre la situation de Mme Bhatti et celle du demandeur.

[27]           Puisque le demandeur n’a pas produit d’autres éléments de preuve à l’appui de l’existence d’une situation spéciale justifiant la recommandation d’une exemption discrétionnaire pour des raisons d’ordre humanitaire, comme le prévoit les alinéas 5(1)d) ou e) de la Loi sur la citoyenneté, la Cour ne voit pas le besoin de dire quoi que ce soit d’autre quant à cette question.

IX.             Conclusion

[28]           Pour l’ensemble des motifs susmentionnés, l’appel interjeté par le demandeur est rejeté.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que l’appel interjeté par le demandeur est rejeté.

Remarque incidente

La Cour reconnaît que la nécessité de présenter une nouvelle demande et d’effectuer à nouveau l’examen de citoyenneté exigera du demandeur qu’il y consacre du temps, de l’énergie et des ressources supplémentaires. Cependant, rien ne me permet de conclure que ce dernier ne pourra pas présenter une nouvelle demande. Le demandeur peut présenter une nouvelle demande de citoyenneté et, avant son prochain examen de citoyenneté, peaufiner ses aptitudes linguistiques et acquérir une connaissance de base de l’histoire, de la structure politique et des caractéristiques du Canada.

« Michel M.J. Shore »

Juge

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2021-13

 

INTITULÉ :

ALI AL-KAISI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 JUILLET 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :

LE 22 JUILLET 2014

 

COMPARUTIONS :

Prasanna Balasundaram

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Laoura Christodoulides

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Downtown Legal Services

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Deputy Attorney General of Canada

Toronto, Ontario

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.