Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Cour fédérale

Federal Court

Date : 20140714

 

Dossier : IMM-3012-13

Référence : 2014 CF 680

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 juillet 2014

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

GHAZALA PERVAIZ ET MUMTAZ HUSSAIN

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), à l’égard de la décision par laquelle une agente d’immigration du haut-commissariat du Canada à Islamabad (l’agente) a rejeté la demande de résidence permanente présentée par Ghazala Pervaiz (la demanderesse principale) et par son époux, Mumtaz Hussain (ensemble, les demandeurs), au titre de la catégorie du regroupement familial. L’agente a également refusé d’accorder une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire (CH).

[2]               À la lumière de l’analyse exposée ci-après, la présente demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

I.                   LES FAITS

[3]               Les demandeurs sont des citoyens du Pakistan. La demanderesse principale est née en 1955, et son époux est né en 1947. Ils n’ont pas d’enfants et sont maintenant tous deux à la retraite. Ils sont stables au plan financier, et ils possèdent des biens meubles et immeubles au Pakistan.

[4]               La demanderesse principale a déposé une demande de résidence permanente au titre de la catégorie du regroupement familial, parrainée par son frère, qui incluait son époux comme personne à sa charge. Par lettre datée du 8 janvier 2010 que leur représentant juridique a envoyée à Citoyenneté et Immigration Canada et qui accompagnait la demande susmentionnée, les demandeurs ont également demandé à ce que des motifs CH soient pris en considération en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR, et, à cette fin, ils ont inclus plusieurs affidavits souscrits par des membres de leur famille au Canada, dans lesquels ces derniers mentionnaient qu’ils soutiendraient les demandeurs aux plans affectif et financier, notamment en les accueillant dans leurs demeures.

[5]               Le 20 février 2013, l’agente a rejeté la demande de la demanderesse principale, au motif qu’elle n’était pas une personne appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de sa relation avec le répondant, au sens du paragraphe 117(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le RIPR).

[6]               Le 25 avril 2013, les demandeurs ont déposé la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de l’agente. Le juge Mandamin a accordé l’autorisation le 27 mars 2014.

[7]               La demanderesse principale allègue, à titre contextuel, qu’elle a aidé ses frères et sœurs à élever leurs enfants et que les demandeurs sont fortement attachés à la famille de la demanderesse principale. Après le décès du père de la demanderesse principale en 1994, la mère de cette dernière a emménagé chez les demandeurs, de telle sorte que la demeure des demandeurs et devenue le principal lieu de rassemblement de la famille. En revanche, les demandeurs disent n’avoir aucune attache à la famille de l’époux de la demanderesse principale.

[8]               Les frères et sœurs de la demanderesse principale et leurs enfants vivent maintenant au Canada et sont des citoyens canadiens ou des résidents permanents du Canada, à l’exception d’un frère qui vit aux États-Unis. Toutefois, ils sont allés régulièrement chez les demandeurs au Pakistan pour leur rendre visite. La nièce des demandeurs est allée au Pakistan pour y célébrer avec eux son mariage. Les demandeurs sont également venus au Canada en 2003 et en 2004 pour assister aux mariages de leur nièce et de leur neveu.

[9]               Toutefois, en vieillissant, les demandeurs soutiennent qu’il leur est devenu difficile de voyager. Ils indiquent également qu’il est devenu compliqué pour la famille de la demanderesse principale de venir au Pakistan en raison de leurs horaires et des coûts. En outre, les demandeurs soutiennent que l’instabilité régionale depuis 2010 fait qu’il est dangereux pour les étrangers de séjourner au Pakistan.

[10]           Les demandeurs allèguent qu’ils sont isolés des membres de leur famille et que cela mine leur santé affective et leur bien-être. La demanderesse principale soutient également que le décès de sa mère en 2010 a accentué sa solitude. Puisque les demandeurs vieillissent, ils affirment également qu’ils ont besoin de la présence et du soutien de la famille.

II.                LA DÉCISION CONTESTÉE

[11]           L’agente a rejeté la demande de la demanderesse principale au motif qu’elle n’appartenait pas à la catégorie du regroupement familial.

[12]           L’agente a également indiqué que les motifs CH n’étaient pas suffisants pour justifier qu’une dispense soit accordée en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR.

[13]           Les notes consignées au Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (STIDI) soulignent en outre que, bien que la famille de la demanderesse principale soit prête à parrainer les demandeurs et qu’elle ait les moyens de le faire, [TRADUCTION] « les documents produits n’[évoquaient] aucun fait qui tende à indiquer que les demandeurs ou leur famille éprouveraient des difficultés particulières ». Ces notes indiquent également que les demandeurs [TRADUCTION] « ont rendu visite à leur famille, qu’ils peuvent encore le faire, et que leur famille a les moyens de leur rendre visite ». Par conséquent, il n’y avait pas suffisamment de motifs CH pouvant justifier une dispense à ce titre.

 

III.             LES QUESTIONS EN LITIGE

[14]           La conclusion de l’agente selon laquelle la demanderesse principale n’appartient pas à la catégorie du regroupement familial au titre du paragraphe 117(1) de la LIPR n’est pas contestée. La présente demande de contrôle judiciaire soulève essentiellement les deux questions suivantes :

a)                  L’agente a-t-elle commis une erreur dans son analyse des motifs CH qui sous‑tendent la présente demande?

b)                  L’agente a-t-elle omis de motiver son rejet de la demande?

IV.             LA NORME DE CONTRÔLE

[15]           Il est bien établi que c’est la norme de la raisonnabilité qui s’applique à une demande de contrôle judiciaire d’une décision quant à une demande CH (voir Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189 au paragraphe 18. Voir aussi Frank c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 270 aux paragraphes 15 et 16 [Frank]). Cette norme s’applique également à la question de savoir si une personne est un membre de la famille de fait (Da Silva c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 347 au paragraphe 14 [Da Silva]).

[16]           Pour ce qui concerne la suffisance des motifs de l’agente, la situation en l’espèce s’apparente à celle dont il était question dans l’affaire Nicolas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 452, où le juge Pinard a affirmé ce qui suit :

[11]      […] La question de la suffisance des motifs de l’agent touche à l’équité procédurale et la norme de contrôle applicable est donc, en principe, celle de la décision correcte. Cependant, puisqu’il n’existe pas une seule forme de motifs acceptable et que la fonction de ceux-ci consiste surtout à assurer que la décision administrative soit justifiée, transparente et intelligible, le contrôle de la suffisance des motifs s’apparente plutôt à celui de la décision raisonnable qu’à celui de son exactitude.

[17]           L’analyse en l’espèce s’inscrit dans le cadre de l’appréciation de l’intelligibilité et du caractère raisonnable des motifs de l’agente. Par conséquent, la norme de contrôle applicable à la deuxième question en l’espèce est aussi celle de la décision raisonnable.

V.                LES ARGUMENTS DES PARTIES

a)         Les arguments des demandeurs

[18]           Les demandeurs soutiennent tout d’abord que l’agente a commis une erreur en méconnaissant les documents produits au soutien de la demande CH ainsi que les lignes directrices pertinentes. Le guide opérationnel relatif au traitement des demandes à l’étranger OP4 – le traitement des demandes qui invoquent des considérations CH ou des considérations liées à l’intérêt public – (le Guide OP4) mentionne à la partie 8.4 que certaines situations de dépendance peuvent amener à considérer une personne comme un membre de la famille de fait. Par exemple, « un frère ou une sœur laissés seuls dans le pays d’origine sans autre famille » ou « un parent âgé comme un oncle ou une tante ». La partie 8.4 prévoit également que la dépendance doit être déterminée en appréciant notamment le degré de dépendance, la stabilité et la durée de la relation, les conséquences de la séparation, les besoins financiers et affectifs du demandeur et la capacité et la volonté de la famille au Canada d’assurer un soutien. Les demandeurs soutiennent qu’ils ont produit des éléments de preuve documentaire prouvant les éléments précités et qu’ils auraient donc dû être considérés comme des membres de la famille de fait. En outre, ils affirment qu’en raison de leur âge et du fait qu’ils sont à la retraite, ils sont des personnes âgées .

[19]           Les demandeurs soutiennent qu’un agent doit obligatoirement se conformer au Guide OP4, qu’il a été reconnu qu’un agent doit exercer son pouvoir discrétionnaire dans le contexte établi dans ces lignes directrices (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 au paragraphe 72).

[20]           Les demandeurs sont également d’avis qu’en rejetant leur demande, l’agente est allée à l’encontre d’un des objectifs du régime d’immigration canadien, à savoir la réunification des familles, énoncé à l’alinéa 3(1)d) de la LIPR.

[21]           Selon les demandeurs, l’agente n’a pas tenu compte de tous les éléments énumérés à la partie 5.9 du Guide OP4, comme les attaches au Canada, les facteurs dans le pays d’origine, les considérations liées à la santé et les conséquences de la séparation de parents. Il est bien établi en droit qu’un agent doit examiner tous les éléments de preuve qui lui sont présentés pour que sa décision puisse être confirmée. Les demandeurs sont toutefois d’avis qu’en l’espèce, l’agente a omis d’apprécier les difficultés qu’ils éprouveraient. L’agente a méconnu l’affidavit souscrit par les membres de la famille dans lequel ils faisaient part de leurs préoccupations relatives à la solitude des demandeurs et leur propre capacité limitée d’aller au Pakistan pour rendre visite aux demandeurs; il était également déraisonnable de s’attendre à ce que la famille quitte régulièrement sa vie au Canada pour aller aider les demandeurs au Pakistan. En outre, bien que l’agente ait examiné la question de la dépendance financière, elle a omis de tenir compte de la dépendance affective et physique des demandeurs vis-à-vis de leur famille au Canada, de même que les répercussions que le rejet de leur demande aurait pour les demandeurs.

[22]           En ce qui concerne l’insécurité au Pakistan, les demandeurs soutiennent que, bien qu’ils n’aient pas produit de documentation à ce sujet, l’agente aurait dû être au fait de cette situation, puisque des documents sur la situation dans le pays sont accessibles au public et que le gouvernement du Canada a publié des mises en garde aux voyageurs concernant le Pakistan.

[23]           Les demandeurs soutiennent également que l’agente a commis un manquement à l’équité procédurale en omettant de motiver suffisamment le rejet de la demande. Si l’agente avait des préoccupations relativement à la demande, elle aurait dû donner aux demandeurs la possibilité de lui présenter des observations à cet égard.

[24]           Dans un mémoire supplémentaire daté du 21 mai 2014, les demandeurs soutiennent que l’affidavit de Raymond Gillis, agent d’immigration à Islamabad, produit par le défendeur et daté du 8 mai 2014, devrait être radié, et ce, pour trois raisons. Premièrement, cet affidavit ne se limite pas à des faits, mais contient également l’avis de l’agent, ce qui contrevient au paragraphe 81(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. Deuxièmement, M. Gillis a formulé des observations au sujet du bien-fondé de la demande, ce qui n’est pas acceptable dans un tel affidavit. Enfin, M. Gillis n’est pas l’agent qui a statué sur le cas, et il n’a donc aucune connaissance personnelle de l’affaire.

(b)                Les arguments du défendeur

[25]           Le défendeur soutient tout d’abord que, de manière générale, les demandeurs n’ont pas signalé les erreurs de l’agente, mais ont plutôt réitéré le bien-fondé de leur demande de visa, ce qui n’est pas pertinent puisqu’un contrôle judiciaire n’est pas un appel.

[26]           Le défendeur est également d’avis que l’agente a renvoyé à toutes les observations des demandeurs dans les notes consignées au STIDI et que les demandeurs n’ont signalé aucun élément précis qui aurait été laissé de côté par erreur ou méconnu. En outre, le fait que des agents ne renvoient pas un élément dans leurs notes ou dans une décision ne signifie pas nécessairement que cet élément a été méconnu ou n’a pas été pris en considération.

[27]           Plus précisément, en ce qui a trait à la prétention des demandeurs selon laquelle ceux-ci sont des membres de la famille de fait, le défendeur soutient que cette prétention devrait être rejetée, et ce, essentiellement pour deux raisons. Premièrement, les demandeurs n’ont pas expliqué comment ni pourquoi l’agente aurait méconnu la situation. Deuxièmement, pour être considérés comme des membres de la famille de fait, les demandeurs doivent démontrer un degré élevé de dépendance. Or, les demandeurs ont affirmé à plusieurs occasions qu’ils étaient indépendants, principalement au plan financier. Les demandeurs n’appartiennent à aucune des catégories évoquées aux parties 6 et 8.4 du Guide OP4, telles « fils, fille (âgé de plus de 22 ans), frère ou sœur laissés seuls dans le pays d’origine sans famille propre; un parent âgé comme un oncle ou une tante ou une personne sans lien de parenté qui habite avec la famille depuis longtemps ».

[28]           Le défendeur soutient que les autres facteurs CH énumérés à la partie 8.4 du Guide OP4 ne sont pas présents ou ne sont pas importants. Premièrement, les demandeurs soutiennent qu’ils ont de fortes attaches à leur famille et qu’ils sont présents dans les vies de leurs neveux et nièces depuis de nombreuses années, un fait que l’agente a reconnu dans les notes consignées au STIDI. Cependant, ce fait, en soi, n’implique pas qu’une séparation causerait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. L’agente a également reconnu que la famille offrirait un soutien solide aux demandeurs si ceux-ci venaient au Canada. Deuxièmement, l’agente reconnaît que le coût de la séparation ne représenterait pas une difficulté, puisqu’aussi bien les demandeurs que leur famille ont affirmé être à l’aise d’un point de vue financier. La situation au Pakistan sur le plan de la sécurité est également dénuée de pertinence et est évoquée de manière imprécise, puisque la famille des demandeurs est pakistanaise et qu’elle ne devrait donc pas entretenir les mêmes craintes que des étrangers séjournant au Pakistan. Le fait que les demandeurs aient besoin de gens pour s’occuper d’eux parce qu’ils vieillissent est aussi pure conjecture, et ce fait ne devrait pas être considéré comme un motif CH. Enfin, les demandeurs ne sont pas indigents, et ils pourraient combler leurs besoins affectifs en venant en voyage au Canada, chose qu’ils semblent faire depuis que la famille a déménagé au Canada. Le défendeur allègue que les demandeurs ont été vagues dans les motifs qu’ils ont donné quant à savoir pourquoi les déplacements entre les deux pays poseraient des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives, si ce n’est de dire qu’ils vieillissent.

[29]           Le défendeur rappelle également que l’objectif de réunification des familles de la LIPR ne constitue pas en soi un motif pouvant fonder une demande CH. En l’espèce, cet objectif semble seulement constituer un motif subsidiaire d’accueillir la demande de visa.

[30]           Le défendeur soutient également que, de manière générale, des difficultés n’ont pas été démontrées. La solitude, le vieillissement ainsi que les contraintes de temps et les fardeaux financiers ne constituent pas des difficultés inhabituelles, injustifiées et excessives. Aucun élément de preuve d’ordre médical n’a été produit pour démontrer que ces éléments auraient causé un problème de santé précis (p. ex., dépression, anxiété, etc.).

[31]           Dans un mémoire supplémentaire daté du 9 juin 2014, le défendeur réitère que les demandeurs ne sont pas des membres de la famille de fait puisqu’ils ne satisfont pas au critère de la dépendance, prévu aux parties 6 et 8.4 du Guide OP4, qui évoque « un parent âgé comme un oncle ou une tante ou une personne sans lien de parenté qui habite avec la famille depuis longtemps ». En outre, le défendeur soutient que les demandeurs n’ont même pas demandé à ce que leur demande soit appréciée à titre de demande faite par des membres de la famille de fait. Il incombe au demandeur d’établir le bien-fondé de sa cause.

[32]           Enfin, le défendeur soutient que de nombreuses affirmations importantes contenues dans l’affidavit de la demanderesse principale sont nouvelles dans une large mesure et qu’elles ne se limitent pas, comme les demandeurs l’allèguent, à une réitération le contenu des affidavits des membres de la famille. Dans le même ordre d’idées, les demandeurs auraient dû produire les mises en garde aux voyageurs émises par le gouvernement et d’autres documents sur la situation dans le pays. L’agente n’était pas tenue de rechercher ces documents elle-même.

VI.             ANALYSE

a)         L’agente a-t-elle commis une erreur dans son analyse des motifs CH qui sous‑tendent la présente demande?

[33]           L’analyse que fait le défendeur de l’allégation des demandeurs selon laquelle ceux-ci sont des membres de la famille de fait est convaincante. Premièrement, l’on ne peut pas reprocher à l’agente d’avoir omis d’examiner cette question puisque les demandeurs ne l’ont pas soulevée au départ (Sandhu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1032, au paragraphe 20 [Sandhu]). Deuxièmement, une telle qualification fait partie de l’analyse CH; par conséquent, si un agent « a pris en considération tous les aspects de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire […], il n’y avait […] aucun besoin d’analyser séparément la demande dans le contexte de membres de la famille de fait » (Sandhu, précité, au paragraphe 20). Cette idée a également été exprimée par le juge Martineau dans la décision Frank, précitée (citée dans la décision Da Silva, précitée, au paragraphe 24) :

[30] Je ne crois pas que la décision John, précitée, crée une obligation pour tous les agents d’immigration d’examiner précisément la question des membres de la famille de fait dans chaque affaire. En l’espèce, il ne fait aucun doute que l’agente a tenu compte de la relation du demandeur avec sa famille au Canada et, s’il n’est pas démontré que l’agente n’a examiné aucun autre critère pertinent pour trancher la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, la Cour ne doit pas intervenir.

[34]           En outre, je conviens avec le défendeur que les demandeurs ne répondent pas à la définition de membres de la famille de fait, puisqu’ils n’ont pas réussi à démontrer le degré de dépendance requis. Comme le juge Martineau l’a affirmé dans la décision Frank, précitée (citée dans la décision Da Silva, précitée, au paragraphe 27) :

[29] Il ressort clairement de ce qui précède que le statut de membre de la famille de fait se limite aux personnes vulnérables qui n’entrent pas dans la définition de membres de la famille au sens de la Loi et qui dépendent du soutien, tant financier qu’affectif, qu’ils reçoivent des personnes habitant au Canada. Par conséquent, le statut de membre de la famille de fait n’est pas généralement accordé à des adultes indépendants et fonctionnels qui ont un lien affectif étroit avec un parent habitant au Canada, comme c’est le cas en l’espèce.

[35]            Les demandeurs ont démontré de fortes attaches à leur famille au Canada, et cela constitue effectivement un facteur important à prendre en compte (voir, p. ex., Ramprashad‑Joseph c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2004 CF 1715, au paragraphe 6 [Ramprashad-Joseph] : « le degré de soutien psychologique et émotif par rapport aux autres membres de la famille est un facteur dont il faut tenir compte pour évaluer une demande d’examen pour des motifs d’ordre humanitaire »). L’agente a reconnu cet élément, mais c’est à bon droit qu’elle a conclu que ce lien n’était pas un lien de dépendance ou qu’une séparation ne leur occasionnerait pas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives devant être appréciées à titre de motif CH.

[36]           Les demandeurs soutiennent qu’ils sont limités par leur âge avancé et que cela pourrait avoir des incidences sur leur capacité à prendre soin d’eux-mêmes au Pakistan et à venir au Canada. Certes, il faut faire preuve de sensibilité à l’égard de l’âge avancé d’un demandeur (voir, p. ex., Lazareva c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2004 CF 1019 au paragraphe 15). Cependant, les demandeurs sont nés en 1955 et en 1947, de sorte qu’ils ne sont pas encore des aînés, et ils n’ont pas présenté d’éléments de preuve indiquant que leur état physique ou psychologique exigerait fréquemment une aide de leur famille. Les demandeurs sont également indépendants au plan financier, et chacun peut compter sur l’autre. Ces trois éléments nous permettent de distinguer la présente affaire de l’affaire Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 805, dans laquelle la demanderesse, une veuve âgée dont les quatre enfants étaient au Canada, avait été laissée seule dans son pays, isolée et sans aucune ressource. On peut également effectuer une distinction entre la présente affaire et les faits de la décision Ramprashad-Joseph, précitée, dans laquelle la demanderesse, dont l’époux canadien était complètement dépendant, allait être séparée de lui. Les difficultés résultant d’une séparation ne peuvent pas, en elles-mêmes, être considérées comme des difficultés qui pourraient justifier d’accorder une dispense pour des motifs CH.

[37]           Dans le même ordre d’idées, les demandeurs n’ont pas démontré que les difficultés qu’éprouveraient les membres de la famille du fait de devoir voyager constitueraient des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

[38]           En ce qui concerne la question de la situation dans le pays, les demandeurs soutiennent que l’agente n’a pas pris cette situation en compte dans son appréciation des motifs CH. Toutefois, les demandeurs s’étaient contentés d’affirmer que l’instabilité au Pakistan causait des inquiétudes sur le plan de la sécurité, et la Cour ne peut pas admettre les nouveaux éléments de preuve relatifs à la situation dans le pays que les demandeurs ont produits dans le cadre de la présente demande.

[39]           Bien que des renseignements généraux sur la sécurité au Pakistan puissent être accessibles au public, un décideur n’est pas tenu de rechercher des éléments de preuve qui ne lui ont pas été présentés (voir, p. ex., Sinnathurai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2005 CF 515 au paragraphe 16). En outre, il aurait encore incombé aux demandeurs de démontrer en quoi la situation au Pakistan leur cause personnellement des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. La conclusion de l’agente quant à cette question était donc raisonnable.

[40]           Il est bien établi en droit qu’une demande CH est un recours exceptionnel (voir, p. ex., Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125 au paragraphe 15). Bien qu’il y ait lieu de tenir compte de l’objectif de réunification des familles énoncé à l’alinéa 3(1)d) de la LIPR, cet objectif n’est pas absolu en soi. Comme l’affirmait le juge Phelan dans la décision Liu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1090 :

[14] Il importe de souligner que le regroupement familial n’est qu’un facteur parmi bien d’autres à prendre en considération aux fins de l’examen des demandes reposant sur des motifs d’ordre humanitaire. L’agent a tenu compte de tous les facteurs pertinents en l’espèce et a tiré une conclusion pouvant être soutenue au vu de la preuve. La décision était raisonnable et ne justifie pas l’intervention de la Cour.

[41]           En l’espèce, les demandeurs n’ont pas démontré que leur situation pouvait être considérée comme leur occasionnant des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. L’agente a souligné la difficulté que cette situation pouvait causer, mais sa conclusion selon laquelle cette difficulté ne pouvait pas être qualifiée d’inhabituelle, injustifiée ou excessive était raisonnable, compte tenu des éléments de preuve produits par les demandeurs.

b)                  L’agente a-t-elle omis de motiver son rejet de la demande?

[42]           Les motifs du juge Mosley dans la décision Donkor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1089, illustrent le raisonnement qui doit être suivi au regard de la question de la suffisance des motifs :

[26] Les motifs sont insuffisants lorsqu’ils constituent simplement un résumé des faits et un énoncé d’une conclusion, sans aucune analyse étayant celleci. Il faut fournir au demandeur assez de renseignements pour qu’il connaisse les motifs du rejet de sa demande. Adu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 565 (paragraphe 14).

[43]           En l’espèce, la décision de l’agente est intelligible, et il ressort clairement des notes consignées au STIDI que les faits et les circonstances qui sous-tendent chaque conclusion ont été pris en considération. En outre, tel qu’indiqué précédemment, il n’était pas nécessaire de procéder à une analyse distincte de la qualification de membre de la famille de fait, puisque celle‑ci était incluse dans l’analyse relative axu motifs CH. Par conséquent, l’agente a bel et bien motivé le rejet de la demande.

         L’affidavit de Raymond Gillis

[44]           Dans son mémoire supplémentaire, le défendeur ne traite pas des prétentions des demandeurs selon lesquelles l’affidavit de M. Gillis devrait être radié, mais il en a traité à l’audience. Je suis d’accord avec sa conclusion selon laquelle cet affidavit n’est pas très pertinent quant aux questions soulevées en l’espèce.

VII.          CONCLUSION

[45]           Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée, puisque les conclusions de l’agente appartiennent aux issues possibles acceptables. Les parties n’ont proposé aucune question à des fins de certification, et aucune n’est certifiée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                   La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.                   Aucune question n’est certifiée.

« Martine St-Louis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes


 

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

IMM-3012-13

 

INTITULÉ :

GHAZALA PERVAIZ ET MUMTAX HUSSAIN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 JUIN 2014

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE martine st-louis

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 14 JUILLET 2014

COMPARUTIONS :

Zahra Khedri

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Stephen Jarvis

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Zahra Khedri

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.