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Date : 20140711


Dossier : IMM-3277-13

Référence : 2014 CF 682

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 juillet 2014

En préséance de monsieur le juge Manson

ENTRE:

FLORENCIA VERTI FREEMAN, REPRÉSENTÉS PAR LEUR TUTEUR À L’INSTANCE HARLAN ISHON MORTON ET LINECIA SHANIQUA DOUGLAS

 

demandeurs

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de Michael Sterlin, un commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission], présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi].  La Commission a rejeté la demande d’asile des demandeurs après avoir conclu qu’ils n’avaient pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.

I.                   Questions en litige

[2]               Les questions en litige dans la présente demande sont les suivantes :

A.    La Commission a-t-elle manqué à son obligation d’équité procédurale envers les demandeurs?

B.     La Commission a-t-elle tiré des conclusions déraisonnables quant à la crédibilité?

II.                Contexte

[3]               Les demandeurs sont citoyens de Saint-Kitts-et-Nevis. Il s’agit de la demanderesse principale [la DP], et de ses deux enfants mineurs, Harlan Ishon Morton et Linecia Shaniqua Douglas [les demandeurs mineurs].

[4]               Selon l’exposé circonstancié conjoint accompagnant le Formulaire de renseignements personnels (FRP) des demandeurs, la DP sollicite la protection de l’État en raison de la violence subie aux mains d’un ancien partenaire, Nigel Harris, et de citoyens de Saint-Kitts.

[5]               La DP allègue qu’elle s’est engagée dans une relation homosexuelle avec une personne du nom de Tammie Elliott en juin 2005. Subséquemment, Mme Elliott s’est engagée dans une relation avec un homme appelé Joseph. En 2009, la DP s’est engagée dans une relation avec M. Harris. La DP et Mme Elliott ont poursuivi leur relation en cachette. 

[6]               Le 5 novembre 2010, Joseph a surpris la DP et Mme Elliott au cours d’une relation sexuelle qui s’était déroulée à la résidence de Mme Elliott. Joseph a battu Mme Elliott et la DP, a usé de violence verbale à leur égard et les a forcées à sortir dehors sans vêtements. Témoins de la scène, les voisins ont insulté verbalement la DP et Mme Elliott et leur ont lancé des pierres jusqu’à ce qu’un passant, Bernard Mills, leur vienne en aide. M. Harris a plus tard appris l’incident et menacé la DP au téléphone.

[7]               Mme Elliott est partie pour le Canada le 28 décembre 2010, et le 2 janvier 2011, la DP est allée vivre avec une amie de sa mère dans le nord du pays.

[8]               En mai 2011, la DP a rencontré M. Harris dans un magasin. Ce dernier l’a agressée verbalement et physiquement. Le commerçant a dit à la DP de ne pas revenir dans son magasin. M. Harris a suivi la DP jusqu’à chez elle et s’est adressé à l’amie de sa mère qui l’hébergeait. L’amie de sa mère lui a dit qu’elle ne pouvait plus demeurer chez elle. La DP est allée vivre chez sa mère. 

[9]               La DP est partie pour le Canada le 18 septembre 2011, et a présenté une demande d’asile.

[10]           La DP a retenu les services de son avocat actuel le 19 février 2013, onze jours avant la tenue de son audience devant la Commission le 28 février 2013. Dans son affidavit, la DP indique qu’elle a changé d’avocat du fait que son avocate précédente n’avait pas pu lui expliquer pourquoi l’Aide juridique lui avait refusé sa demande de financement et qu’elle craignait qu’elle soit incompétente.

[11]           Au début de sa décision, la Commission souligne que, durant l’audience, le nouvel avocat des demandeurs a sollicité un ajournement pour se familiariser avec le dossier et préparer la DP à témoigner. La Commission précise qu’elle était réticente à accorder l’ajournement parce que la requête a été faite à une étape tardive de la procédure. Cependant, la Commission a donné plus de temps à l’avocat des demandeurs pour se préparer le jour de l’audience et a permis aux demandeurs de présenter des éléments de preuve après l’audience, sous réserve que ceux-ci se verraient accorder moins d’importance étant donné que les demandeurs n’avaient pas été interrogés à leur égard.

[12]           La question déterminante pour la Commission était celle de la crédibilité. La Commission n’a pas cru que la DP était bisexuelle. La Commission a tiré une conclusion défavorable compte tenu du manque de preuve corroborante présentée à l’audience concernant d’autres relations bisexuelles ou celle de la DP avec M. Harris. Après l’audience, la DP a présenté une lettre prétendument de son propriétaire, qui indiquait qu’elle avait vécu au Village Zion à Nevis avec ses enfants à partir de 2005, et que M. Harris avait emménagé avec eux en 2009. La Commission a accordé peu d’importance à cette lettre, puisqu’elle contredisait les déclarations faites dans la section sur la résidence du FRP des demandeurs, qui indiquaient qu’elles avaient vécu au Village Zion à Nevis à partir de 1999.

[13]           La Commission a tiré une conclusion défavorable du fait qu’il n’y avait aucun rapport médical ou policier corroborant découlant des incidents de violence verbale et physique commis par M. Harris ou Joseph, en dépit de la preuve présentée après l’audience par M. Mills, qui a confirmé que des pierres ont été lancées sur la DP et Mme Elliott, et que les deux femmes en ont subi des blessures.

[14]           La Commission a trouvé invraisemblable que la DP soit demeurée à Saint-Kitts pendant près d’un an après l’incident mettant en cause Joseph et Mme Elliott, puisqu’elle a indiqué qu’elle craignait de vivre à Saint-Kitts après cette date. La Commission a également tiré une conclusion défavorable en raison du fait que la DP n’a pas demandé l’asile aux États-Unis, même si elle détenait un visa américain, et qu’elle a initialement nié être partie pour les États-Unis en 2011, malgré un timbre apposé sur son passeport qui indiquait le contraire.

[15]           La DP a témoigné qu’elle a vécu cachée de mai 2011 à septembre 2011. Cependant, elle a continué de se rendre au travail pendant cette période. La Commission a jugé ce témoignage invraisemblable.

[16]           La Commission a tiré une conclusion défavorable en raison des réponses incohérentes obtenues aux questions qu’elle a posées à la DP et à Mme Elliott, qui a également témoigné. Mentionnons notamment :

         La première fois que Mme Elliott et la DP ont eu une relation sexuelle. Mme Elliott a témoigné que cela s’est produit le 29 septembre 2010, tandis que la DP a témoigné que cela s’est produit le 29 septembre 2009, et en 2006 dans son exposé circonstancié du FRP. En outre, chacune d’elles affirme que la relation a eu lieu dans sa propre résidence;

         La fréquence des relations sexuelles entre Mme Elliott et la DP.  Mme Elliott a indiqué 4 fois par semaine, tandis que la demanderesse a indiqué 2 fois par semaine;

         La DP affirme qu’elle fréquente le centre communautaire du 519 rue Church à Toronto, qui s’adresse aux gais et lesbiennes, tous les mercredis accompagnée de Mme Elliott. Toutefois, Mme Elliott affirme qu’elle a arrêté de fréquenter le centre communautaire du 519 rue Church, mais que lorsqu’elles le fréquentaient c’était les jeudis.

[17]           La Commission a pris acte d’une lettre de soutien fournie par le centre situé au 519 rue Church, mais elle a jugé que la lettre ne l’emportait pas sur les préoccupations quant à la crédibilité susmentionnées.

III.             Norme de contrôle

[18]           La norme de contrôle est celle de la décision correcte quant à la question de l’équité procédurale (Lai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 125, au par. 51) et celle de la décision raisonnable quant aux conclusions sur la crédibilité.

IV.             Analyse

A.                 La Commission a-t-elle manqué à son obligation d’équité procédurale envers les demandeurs?

[19]           Les demandeurs font valoir que la Commission a à tort refusé d’accorder l’ajournement de l’audience au motif qu’il a été sollicité à une étape tardive de la procédure. En outre, les demandeurs font valoir que la Commission a refusé leur demande d’ajournement sans avoir entendu tous les détails de la demande. Les demandeurs affirment que la courte période de temps donnée à l’avocat pour préparer ses documents et témoins, ajoutée au fait que la valeur probante des observations postérieures à l’audience a été écartée, constitue un manquement à l’équité procédurale.

[20]           Dans leur mémoire supplémentaire, les demandeurs font remarquer qu’une demande écrite de remise a été déposée avant l’audience. Cette demande a été faite au moyen de deux lettres. Dans la première, datée du 21 février 2013, on sollicitait une remise pour préparer des éléments de preuve additionnels. Dans la seconde, datée du 27 février 2013, on proposait six autres dates possibles pour la tenue de l’audience.

[21]           Tout d’abord, le défendeur a raison de dire qu’aucune demande écrite n’a été déposée conformément aux Règles de la Section de la protection des réfugiés (DORS/2012-256) [les Règles]. Les demandeurs ont écrit à la Commission le 21 février 2013 pour solliciter un ajournement. Cependant, cette demande ne renfermait pas de dates d’audience possibles, comme le requiert l’alinéa 54(2)c) des Règles. Les demandeurs ont tenté d’y remédier en fournissant des dates d’audience possibles dans une lettre datée du 27 février 2013. Cependant, étant donné que la lettre a été envoyée une journée avant l’audience des demandeurs devant la Commission, cette lettre n’était pas conforme à l’alinéa 54(2)b), qui énonce que toute demande d’ajournement doit être reçue au plus trois jours ouvrables avant la datée fixée pour l’audience. 

[22]           La transcription révèle que l’avocat des demandeurs a effectivement fait une demande orale avant le début de l’audience. Les pages 2-9 de la transcription portent presque exclusivement sur le traitement de la demande des demandeurs. Bien que certains des propos utilisés par la Commission suggèrent que l’avocat n’avait pas encore pris de décision quant à la demande d’ajournement, il est inexact de prétendre, comme le fait le défendeur, que les demandeurs ont retiré leur demande d’ajournement et convenu de procéder à l’audience. Comme il ressort clairement de la page neuf de la transcription, la Commission a finalement refusé la demande d’ajournement, ne laissant aux demandeurs aucun autre choix que de procéder à l’audience.

[23]           Bien que les motifs de la Commission ne soient pas clairs, on trouve plusieurs indications dans la transcription selon lesquelles la Commission a refusé la demande des demandeurs parce qu’elle a été faite à une étape tardive de la procédure.

[24]           Suivant le paragraphe 54(3) et l’alinéa 54(2)b) des Règles, il est possible de présenter une demande d’ajournement avant le commencement de l’audience de la Commission « …pour des raisons médicales ou d’autres urgences ». Dans la présente affaire, le changement d’avocat a été invoqué par les demandeurs comme motif justifiant un ajournement, prétendument pour incompétence, ce qui a nécessité la préparation de témoins et le dépôt additionnel de documents.  Ce motif n’est pas de nature médicale ni ne constitue une autre urgence qui justifierait une demande d’ajournement orale. Ainsi, la demande d’ajournement n’a pas été dûment présentée à la Commission.

[25]           En outre, même si la demande avait été dûment présentée à la Commission, les alinéas 54(4)a) et 54(4)b) des Règles énoncent qu’une demande d’ajournement ne peut être accueillie, sauf en cas de circonstances exceptionnelles, telles que le fait d’accommoder une personne vulnérable ou dans le cas d’une urgence lorsque la partie sollicitant l’ajournement s’est conduite avec diligence. Il n’y a aucune allégation selon laquelle une personne vulnérable est mise en cause, et il est clair que la Commission était d’avis que les demandeurs n’avaient pas agi avec diligence. De plus, le motif invoqué pour obtenir l’ajournement ne peut être défini comme une urgence.

[26]           Il n’y a pas eu de manquement à l’obligation d’équité procédurale.

B.                 La Commission a-t-elle tiré des conclusions déraisonnables quant à la crédibilité?

[27]           Dans leur mémoire initial, les demandeurs allèguent que la Commission a tiré certaines conclusions déraisonnables quant à la crédibilité, notamment :

         La Commission a eu tort de conclure que la DP et Mme Elliott s’étaient contredites au sujet de l’endroit où elles avaient eu leur première relation sexuelle;

         La Commission a eu tort de déclarer que la DP n’avait jamais indiqué qu’elle et M. Harris avaient vécu en union de fait;

         La Commission a déclaré que Mme Elliott a erronément fait référence à des éléments de preuve dans son FRP, alors que celui-ci ne se trouvait pas devant la Commission, ni n’avait été présenté à l’avocat.

[28]           Les demandeurs allèguent également que les motifs des conclusions de la Commission au sujet de la crédibilité étaient déraisonnablement imprécis et que la Commission n’a pas tenu compte de la déclaration sous serment déposée par M. Mills, qui l’a aidée à la suite l’incident du 5 novembre 2010 avec Joseph et du témoignage de Mme Elliott, ainsi que de la preuve présentée par la mère de la DP, Floretta Freeman.

[29]           Dans leur mémoire des arguments supplémentaire, les demandeurs font valoir que la Commission a banalisé la preuve corroborante et erronément tiré des conclusions défavorables de l’omission des demandeurs de produire une preuve corroborante. En outre, les demandeurs soutiennent qu’un examen quant à savoir si une preuve corroborante existe devrait seulement être mené après que le témoin a été évalué quant à sa crédibilité (Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 95, au par. 18).

[30]           En ce qui concerne l’endroit où Mme Elliott et la DP ont eu leur première relation sexuelle, les demandeurs allèguent que la Commission a commis une erreur relativement à cette conclusion. Cependant, aucune justification n’est donnée pour étayer leur allégation. De la même façon, je conclus qu’aucune preuve ne vient appuyer l’argument selon lequel la Commission aurait affirmé que M. Harris et la DP vivaient en union de fait. Au contraire, la Commission a déclaré que la DP n’avait pas indiqué qu’elle avait vécu avec M. Harris. Enfin, contrairement aux allégations des demandeurs, l’exposé circonstancié du FRP de Mme Elliott constituait un élément de preuve, comme le démontre le numéro de pièce mentionné dans les motifs de la Commission. Les demandeurs réclament essentiellement de la Cour une réévaluation de la preuve, ce que je ne ferai pas.

[31]           Je suis d’accord avec les demandeurs que l’omission de produire une preuve corroborante n’est pas suffisante pour tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité (Chen au par. 18), mais voici quelques-unes des autres conclusions de la Commission quant à la crédibilité :

         Le témoignage de la DP était incohérent en ce qui concerne sa résidence et sa période de cohabitation avec M. Harris;

         Il était invraisemblable que les demandeurs soient demeurés à Saint Kitts aussi longtemps qu’ils le prétendent à la suite de l’agression commise par Joseph;

         La DP n’a pas admis au départ être entrée aux États-Unis en 2011;

         Il était invraisemblable que les demandeurs n’aient pas demandé de visas américains pour des raisons monétaires;

         Il y avait des contradictions entre le témoignage de Mme Elliott et celui de la DP, particulièrement au sujet de leurs rapports sexuels, ainsi que des journées et de la fréquence de leur présence au centre communautaire du 519 rue Church.

[32]           Bien que plusieurs de ces conclusions sur la crédibilité soient contestables, notamment en raison du temps qui s’est écoulé depuis les faits en question, les conclusions de la Commission sont raisonnables et appartiennent aux issues possibles acceptables décrites dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande est rejetée;

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3277-13

 

INTITULÉ :

FLORENCIA VERTI FREEMAN ET AL c CANADA (MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

8 JUILLET 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT  :

LE JUGE MANSON

 

DATE DEL’AUDIENCE :

11 JUILLET 2014

 

COMPARUTIONS :

Osborne Barnwell

POUR LES DEMANDEURS,

FLORENCIA VERTI FREEMAN, REPRÉSENTÉE PAR SES TUTEURS À L’INSTANCE HARLAN ISHON MORTON ET LINECIA SHANIQUA DOUGLAS

 

David Knapp

 

POUR LE DÉFENDEUR,

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Osborne G. Barnwell

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS,

FLORENCIA VERTI FREEMAN, REPRÉSENTÉE PAR SES TUTEURS À L’INSTANCE HARLAN ISHON MORTON ET LINECIA SHANIQUA DOUGLAS

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR,

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

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