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Date : 20140801


Dossier : IMM-2814-13

Référence : 2014 CF 771

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 1er août 2014

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

ERNO CSABA BALOGH, LAURA BALOGHNE PEGE, JAZMIN BALOGH

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], visant la décision en date du 26 mars 2013 [la décision] par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la SPR ou la Commission] a refusé de reconnaître aux demandeurs la qualité de réfugiés au sens de la Convention ou de personnes à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.

CONTEXTE

[2]               Les demandeurs sont deux époux, M. Balogh et Mme Baloghne Pege, et leur fille de cinq ans, Jazmin. Ils sont arrivés au Canada en provenance de Hongrie le 25 novembre 2011 et ont déposé aussitôt des demandes d’asile, car ils craignent d’être victimes de violence et de persécution en raison de leur origine rom.

[3]               Dans le récit circonstancié joint au formulaire de renseignements personnels de M. Balogh [le récit du FRP], les demandeurs décrivent une série d’événements survenus en Hongrie qui les ont amenés à s’enfuir au Canada. Ils affirment que Mme Baloghne Pege a été harcelée durant toutes ses études et que le directeur de l’école l’a poussée à quitter l’établissement. En 2004, un voisin de son immeuble d’habitation a pointé une arme sur elle et ses amis, les a traités de [traduction] « sales gitans » et a menacé de les tuer. La police a été appelée sur les lieux, le voisin a été accusé de voies de fait, mais condamné pour l’infraction moins grave de méfait. Lorsqu’elle a obtenu une copie de sa déclaration de témoin en prévision de l’audition de sa demande d’asile, Mme Baloghne Pege a découvert que la police avait déformé et mal interprété son témoignage concernant l’incident.

[4]               M. Balogh a relaté un événement survenu le jour de la Saint-Nicolas (6 décembre), en 2004 ou 2005. Alors qu’il rentrait chez lui, il a été pris à partie à l’extérieur d’une boîte de nuit par deux hommes au crâne rasé : l’un d’eux lui a donné plusieurs coups de poing et a fracassé ses lunettes. M. Balogh et certains de ses amis sont retournés à la boîte de nuit pour retrouver ses lunettes et ont été attaqués par les mêmes individus. Ils se sont enfuis, mais deux de ses amis ont été poignardés et grièvement blessés. La police est arrivée sur place, des accusations ont été portées contre les agresseurs, mais M. Balogh a découvert ensuite qu’ils avaient été acquittés. M. Balogh les a identifiés pour la police immédiatement après l’attaque, mais il n’était plus sûr de lui lorsqu’elle l’a rappelé quelques mois plus tard pour les identifier à partir de photographies. Il prétend qu’il a essayé d’obtenir le rapport de l’incident en contactant le commissariat régional et un autre poste de police, mais en vain.

[5]               En 2010, l’homme qui avait intimidé Mme Baloghne Pege est revenu dans leur immeuble d’habitation. Il les a menacés et a fait des commentaires racistes; il organisait fréquemment des réunions de la Garde hongroise. Durant cette période, les demandeurs ont reçu des lettres de menaces anonymes glissées sous leur porte dans lesquelles on les traitait de gitans et les menaçait de mort s’ils ne partaient pas.

[6]               Enfin, en mai 2011, M. Balogh, qui est musicien, a été battu par trois membres de la Garde hongroise alors qu’il rentrait du travail avec son violon. Ils lui ont donné des coups de poing et des coups de pied, ont brisé son violon et ont piétiné sa main. Il affirme qu’il a eu un doigt et le nez cassés et qu’il a reçu un traitement médical pour ces blessures. Il n’a pas signalé l’incident à la police, car il redoutait les conséquences et ne croyait pas qu’elle l’aiderait.

[7]               À la suite de cet incident, les demandeurs ont décidé de quitter la Hongrie parce qu’ils avaient peur d’y élever leur fille.

DÉCISION SOUS CONTRÔLE

[8]               La SPR a déclaré que la question déterminante était celle de la protection de l’État.

[9]               La Commission a fait remarquer que la Hongrie avait des antécédents de discrimination à l’endroit des Roms, et que la violence d’extrême droite avait augmenté dans ce pays. Elle s’est inquiétée de ce que de nouvelles lois se rapportant au système judiciaire, aux organismes religieux et à la liberté de la presse puissent miner les institutions démocratiques du pays. Un rapporteur spécial des Nations Unies a conclu en 2011 que la situation des Roms, loin de s’être améliorée ces dernières années, s’était dégradée. La preuve documentaire établissait que les actes de persécution étaient souvent encouragés et commis par des groupes d’extrême droite comme la Garde hongroise, qui a été dissoute mais qui poursuit ses activités sous d’autres noms. L’appui au parti d’extrême droite Jobbik a baissé en 2011, mail il a repris sa campagne contre les Roms en organisant des rassemblements dans des villages à travers le pays afin de regagner du soutien.

[10]           La Commission a conclu que, dans une démocratie fonctionnelle, les demandeurs d’asile doivent s’acquitter d’un lourd fardeau pour démontrer qu’ils n’ont pas besoin d’épuiser tous les recours internes avant de demander le statut de réfugié. D’après la preuve documentaire, la Hongrie est un pays démocratique doté d’un appareil judiciaire relativement indépendant et impartial et où se tiennent des élections libres et régulières. La Commission a fait observer, au paragraphe 12 de sa décision, que :

Même si les mécanismes de protection de l’État en Hongrie qui concernent les Roms font l’objet de critiques du fait qu’elles ne répondraient pas aux attentes de l’Union européenne (UE), le demandeur d’asile doit faire plus que simplement démontrer qu’il s’est rendu auprès de certains membres de la force policière et que ces efforts ont été infructueux. Même pour ce qui est des observations subventionnées [sic], un demandeur d’asile doit montrer qu’il a pris toutes les mesures raisonnables pour obtenir une protection, compte tenu de la situation générale qui a cours dans le pays d’origine, des mesures prises par le demandeur d’asile et de sa relation avec les autorités.

[11]           La SPR a noté que les pays sont présumés être en mesure de protéger leurs citoyens, et souligné le principe selon lequel la protection internationale n’entre en jeu que lorsque le demandeur d’asile n’a plus aucun autre recours. Il incombe à ce dernier de réfuter cette présomption (décision, au paragraphe 21) :

Il incombe au demandeur d’asile de solliciter la protection de l’État lorsqu’elle pourrait raisonnablement lui être assurée. Pour prétendre au statut de réfugié, un demandeur d’asile doit d’abord convaincre la Commission qu’il a demandé la protection de son État sans pouvoir l’obtenir ou, à titre subsidiaire, qu’il n’est pas objectivement possible de s’attendre à ce que son État puisse le protéger.

[12]           La Commission a fait observer qu’on ne réfutait pas la présomption concernant la protection de l’État en mettant en doute son efficacité sans l’avoir véritablement éprouvée.

[13]           Quant au niveau de protection de l’État qui sera jugé adéquat, la Commission a indiqué au paragraphe 28 de ses motifs que :

La Cour a déclaré qu’il n’est pas suffisant de dire que des mesures sont prises en vue d’offrir un jour une protection suffisante de l’État. C’est la protection concrète, actuellement offerte qui compte. La Cour a également statué qu’il faut tenir compte de la situation réelle, et non de ce que l’État se propose de faire ou a entrepris de mettre en place. Tout effort déployé doit avoir « véritablement engendré une protection adéquate de l’État » sur le plan opérationnel.

[14]           En l’espèce, la Commission a noté que la menace proférée à l’endroit de Mme Baloghne Pege et de ses amis en 2004, et l’attaque dont M. Balogh et ses amis ont été victimes en 2004 ou 2005, ont été signalées à la police, contrairement au prétendu passage à tabac par les membres de la Garde hongroise en mai 2011. Les documents divulgués par les demandeurs ne comportaient qu’un seul rapport médical, daté du 3 juillet 2011, faisant état d’une chirurgie à la main de M. Balogh, et signalant une faiblesse de l’annulaire gauche et une fracture en voie de guérison. La Commission a estimé qu’elle n’était « pas en mesure de tirer de conclusions ni d’établir de liens de cause à effet entre ce rapport médical particulier déposé en preuve et les renseignements supplémentaires concernant un incident survenu en mai 2011 ».

[15]           La SPR conclut plus loin au paragraphe 24 :

À la lumière des éléments de preuve orale et écrite […] lorsque les demandeurs d’asile ont cherché à obtenir une protection, la police hongroise a répondu à leurs demandes […] La police a appréhendé des suspects, procédé à des arrestations et porté des accusations, et les affaires ont été instruites par les tribunaux. Les demandeurs d’asile ont déclaré qu’ils n’étaient pas entièrement satisfaits de l’issue de ces démarches; toutefois, le tribunal n’est pas en mesure d’intervenir relativement aux décisions d’une cour.

[16]           Les demandeurs ont déclaré, en réponse à une question sur ce point, qu’en cas de retour en Hongrie, ils ne s’adresseraient pas à la police si leur sécurité était en jeu ou s’ils étaient menacés. La Commission a estimé que M. Balogh n’avait pas expliqué de manière raisonnable pourquoi il n’était pas allé voir la police en 2011, ni pourquoi il ne le ferait pas à l’avenir en cas de besoin. Il s’est contenté d’affirmations générales selon lesquelles la police n’était pas au service de la justice, et a indiqué que ses parents s’étaient adressés à l’État pour obtenir une protection lorsqu’il était enfant et que justice ne leur avait pas été rendue. Il a confirmé qu’il n’avait jamais personnellement recherché la protection de la police. La Commission a estimé que le témoignage des demandeurs suivant lequel la police n’était pas au service de la justice n’était pas crédible, qu’il était pour l’essentiel non corroboré et incompatible avec la preuve documentaire.

[17]           À ce titre, la Commission a estimé que M. Balogh n’avait pas démontré de façon claire et convaincante, comme il lui incombait de le faire, qu’il avait pris toutes les mesures raisonnables dans les circonstances pour essayer d’obtenir la protection de l’État en Hongrie avant de demander une protection internationale.

[18]           La SPR a également estimé que les demandeurs n’avaient pas expliqué de manière raisonnable l’absence de documents corroborants, tels que des rapports médicaux ou des constats de police. Elle a noté que la police était légalement tenue de remettre aux victimes de crimes des copies des constats, et qu’en vertu de la loi, les patients avaient le droit d’obtenir copie des rapports médicaux. La Commission a cité Kante c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 525, 47 ACWS (3d) 798, et invoqué le principe selon lequel le demandeur d’asile doit se présenter à l’audience avec tous les éléments de preuve qu’il est en mesure de produire.

[19]           En ce qui a trait aux documents concernant la situation dans le pays, la Commission a conclu que les citoyens mécontents du traitement de leurs plaintes disposent de recours en Hongrie. Elle a énuméré un certain nombre d’initiatives et de mécanismes, notamment le Bureau de l’ombudsman des minorités, la Commission indépendante d’examen des plaintes contre la police (CIEPP), les arrestations et les poursuites ayant suivi la perpétration de crimes violents contre des Roms, les modifications apportées au code criminel, les sanctions disciplinaires contre des policiers reconnus coupables d’abus ou de corruption, la création en 2011 d’un Conseil de coordination des Roms de 27 membres, ainsi qu’une stratégie nationale d’inclusion sociale pour la période 2011-2020.

[20]           La Commission a reconnu que la preuve était mitigée, que plusieurs sources se contredisaient, qu’il y avait lieu de critiquer la manière dont la Hongrie traitait les Roms et qu’« il pourrait être euphémique d’affirmer que la protection offerte par l’État en Hongrie n’est pas parfaite ». Cependant, elle a estimé (au paragraphe 35) que la preuve objective établissait que :

[…] la protection offerte par la Hongrie aux Roms qui sont victimes de criminalité, d’abus de pouvoir de la part des policiers, de discrimination et de persécution est adéquate, que la Hongrie fait de sérieux efforts pour régler ces problèmes et pour mettre en œuvre ces mesures sur le plan opérationnel ou à l’échelle locale, et que la police et les autorités du gouvernement ont la volonté et la capacité de protéger les victimes.

[21]           La SPR a conclu son analyse en ces termes (au paragraphe 48) :

Après avoir examiné l’ensemble des éléments de preuve en l’espèce, le tribunal estime que le demandeur d’asile principal n’a pas réfuté la présomption de la protection de l’État au moyen d’éléments de preuve clairs et convaincants, et qu’il n’a pris aucune mesure raisonnable dans les circonstances pour se réclamer de la protection en question avant de présenter une demande d’asile. Le tribunal n’est donc pas convaincu que la Hongrie ne serait pas en mesure d’assurer raisonnablement la protection du demandeur d’asile principal si celui-ci la sollicitait.

QUESTIONS EN LITIGE

[22]           Les parties conviennent que la seule question soulevée par la présente demande est de savoir si l’analyse de la SPR concernant la protection de l’État était déraisonnable.

NORME DE CONTRÔLE

[23]           Dans Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a indiqué qu’il n’était pas nécessaire de procéder dans chaque cas à une analyse de la norme de contrôle. Lorsque celle qui s’applique à une question particulière que la Cour doit trancher est établie de manière satisfaisante par la jurisprudence, le tribunal de révision peut l’adopter. Il n’examinera les quatre facteurs de l’analyse relative à la norme de contrôle que si cet exercice s’avère infructueux ou si la jurisprudence semble désormais incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire : Agraira c Canada (Sécurité publique et protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48.

[24]           Comme l’indique la formulation de la question en litige susmentionnée, les parties conviennent que la Cour doit examiner l’analyse de la SPR concernant la protection de l’État dans la présente affaire suivant la norme de la raisonnabilité. Je suis d’accord. La Commission a énoncé le bon critère en matière de protection de l’État, et la question est de savoir si elle l’a raisonnablement appliqué en l’occurrence.

[25]           Lorsque la Cour effectue le contrôle d’une décision selon la norme de la raisonnabilité, son analyse doit s’intéresser « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel [ainsi qu’à] l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, ainsi que Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne doit intervenir que si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

DISPOSITIONS LÉGALES

[26]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent à la présente instance;

Définition de « réfugié »

Convention refugee

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

[…]

[…]

ARGUMENTS

Les demandeurs

[27]           Les demandeurs soutiennent que la conclusion de la Commission relative à la protection de l’État reposait sur deux conclusions erronées. Premièrement, elle a estimé de manière déraisonnable que les demandeurs n’avaient pas prouvé de façon claire et convaincante que la police hongroise ne les avait pas protégés ou n’était pas en mesure de le faire. Deuxièmement, la Commission a conclu de façon déraisonnable, sur la foi de la preuve concernant la situation dans le pays, que le gouvernement hongrois avait pris un nombre suffisant d’initiatives récentes pour garantir les droits des citoyens roms.

La preuve montrait que la police ne protégeait pas les demandeurs ou n’était pas en mesure de le faire

[28]           Les demandeurs affirment que les principes applicables à la protection de l’État en l’espèce ont été ainsi formulés par le juge Beaudry dans Tatarski c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 660 :

[10]      Dans la décision récente Mendoza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 119, [2010] A.C.F. no 132, mon collègue le juge Lemieux a résumé certains des principes de droit applicables à la protection de l’État (au paragraphe 33). De ce résumé, je tiens à souligner les points suivants : le demandeur doit avoir pris toutes les mesures raisonnables dans les circonstances afin de demander la protection de l’État contre ses persécuteurs; le demandeur qui ne le fait pas et qui soutient que l’État offre une protection inefficace ou inadéquate a le fardeau légal de présentation de la preuve afin de convaincre le tribunal; si le tribunal détermine que le demandeur n’a pas pris les mesures nécessaires pour se prévaloir de la protection de l’État, cette conclusion ne porte un coup fatal à la demande que si le tribunal conclut aussi que la protection de l’État aurait raisonnablement été offerte; pour tirer une telle conclusion, le tribunal doit examiner les caractéristiques uniques de pouvoir et d’influence du prétendu persécuteur sur la capacité et la volonté de l’État de protéger le demandeur; lorsque le tribunal se fonde sur une loi réparatrice, cette loi, en elle-même, n’est pas suffisante; il doit exister une preuve que les réparations ont eu un effet positif pratique.

[Souligné par les demandeurs.]

[29]           Les demandeurs soutiennent que la Commission a conclu à tort qu’ils n’avaient pas fait assez d’efforts pour obtenir l’aide de la police et que les autorités ont pris des mesures adéquates lorsqu’ils se sont adressés à elles. Ils allèguent que ces conclusions reposent sur plusieurs erreurs.

[30]           Premièrement, pour ce qui est de l’agression par les membres de la Garde hongroise en mai 2011, les demandeurs affirment que la Commission a tiré des conclusions déraisonnables du fait que le rapport médical ne précisait pas comment M. Balogh avait été blessé. La Commission s’est dite incapable « de tirer de[s] conclusions » au sujet de l’incident ou de prêter foi à l’allégation de M. Balogh selon laquelle il n’était pas allé voir la police parce qu’il redoutait les conséquences et qu’il ne croyait pas qu’elle pouvait l’aider. Les demandeurs avancent que même si M. Balogh ne pouvait pas étayer ses allégations par une preuve documentaire (ce qui n’était pas le cas), cela ne permettait pas d’affirmer que les événements n’ont jamais eu lieu ou qu’il n’y avait aucune conclusion à tirer du fait qu’il craignait de se tourner vers la police. Par ailleurs, il était déraisonnable que la Commission espère découvrir dans le rapport médical comment les blessures avaient été infligées puisque le médecin n’avait pas été témoin de l’attaque : Talukder c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 658, au paragraphe 12 [Talukder]; Adeoye c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 680, aux paragraphes 10 et 11.

[31]           Deuxièmement, lorsqu’elle a conclu que la police hongroise avait réagi adéquatement après que les demandeurs se sont adressés à elle relativement aux incidents de 2004 et 2005, la Commission n’a pas convenablement apprécié leur allégation selon laquelle les agresseurs n’ont pas été traduits en justice. Celui qui avait menacé de mort Mme Baloghne Pege en 2004 n’a été condamné que pour l’infraction moins grave de méfait et a recommencé à persécuter les demandeurs. Lorsque Mme Baloghne Pege est allée signaler l’incident, la police lui a demandé pourquoi elle ne confiait pas tout simplement cette affaire à des parents, puisqu’elle avait certainement des criminels dans sa famille; la police a d’ailleurs déformé et mal interprété son témoignage dans son rapport. Quant à l’agression à l’arme blanche de 2004 ou 2005, la Commission n’a pas tenu compte du fait que l’agresseur a finalement été acquitté. M. Balogh a indiqué que lorsqu’il est allé au poste de police pour identifier les agresseurs, la police a essayé de l’embrouiller et menacé de l’inculper pour faux témoignage.

[32]           Troisièmement, la Commission a déraisonnablement conclu que les demandeurs n’avaient pas fourni de rapports concernant les incidents susmentionnés; elle a négligé que ce qui est vrai pour la majorité des Hongrois ne l’est souvent pas pour la minorité rom. Les politiques en vigueur leur confèrent peut-être le droit d’obtenir des copies des rapports de police, mais la preuve documentaire montre que c’est rarement le cas dans la pratique : réponses aux demandes d’information (RDI), 15 décembre 2010, HUN103626.EF, dossier des demandeurs, à la page 293. La preuve révèle également que la corruption policière pose problème : RDI, 22 septembre 2010, HUN103566.EF, dossier des demandeurs, à la page 271. Par conséquent, la Commission n’a pas tenu compte de la réalité à laquelle sont confrontés les Roms de Hongrie dans leurs rapports avec la police.

[33]           Quant au prétendu défaut de se tourner vers la police pour obtenir de l’aide, les demandeurs affirment que la Commission n’a accordé aucun poids à l’explication crédible qu’a donnée M. Balogh à cet égard : il était convaincu que la police ne voulait ni ne pouvait l’aider, et il redoutait les conséquences de cette démarche. Ce manque de foi dans les autorités hongroises se justifie par les preuves innombrables de la brutalité et du racisme de la police à l’endroit des Roms en Hongrie et de leur refus d’aider ces citoyens. Les demandeurs avaient de bonnes raisons de se méfier de la police, et la Commission n’avait aucun motif raisonnable de conclure simplement qu’elle leur serait venue en aide.

[34]           Les demandeurs citent l’analyse du juge Zinn dans Muntyan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 422, qui indiquait notamment :

[9]        […] Comme dans Majoros, la Commission a accordé beaucoup d’importance au fait que M. Muntyan n’avait pas demandé à la police d’intervenir et a conclu qu’il n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État, sans vraiment chercher à savoir s’il aurait bien obtenu protection en faisant appel à la police. Pour reprendre la conclusion que j’ai formulée dans Majoros, ni l’article 96 ni le paragraphe 97(1) n’imposent l’obligation de chercher à obtenir la protection de l’État, bien que, dans la plupart des cas, il puisse être pratiquement nécessaire de le faire pour être en mesure de fournir une preuve « claire et convaincante » établissant que l’État ne veut ou ne peut pas offrir de protection. Toutefois, comme je l’ai souligné dans Majoros, quand la persécution est généralisée et systématique, l’omission de signaler de mauvais traitements aux autorités a une valeur probante douteuse.

[10]       De plus, comme dans Majoros, la Commission a fait une appréciation déficiente de la preuve documentaire, parce qu’elle a assimilé les mesures prises par le gouvernement hongrois et les arrestations auxquelles il a procédé, peu importe les circonstances, à une protection de l’État adéquate. Elle n’a accordé à peu près aucune attention aux conséquences réelles que ces actions auraient dans l’avenir pour le demandeur ou d’autres Roms.

[35]           Enfin, la conclusion de la Commission selon laquelle les demandeurs avaient un recours devant la CIEPP en cas de problèmes avec la police était tout à fait déraisonnable, puisque la preuve établit que cet organisme n’a pas le pouvoir de lancer des enquêtes, que ses prérogatives en cette matière sont limitées, et que la police ignore la plupart de ses décisions et recommandations : RDI, 22 septembre 2010, HUN103566.EF, dossier des demandeurs, aux pages 272 et 273; RDI, 12 octobre 2011, HUN103826.EF, dossier des demandeurs, à la page 307. Quoi qu’il en soit, on ne voit pas très bien en quoi il leur serait utile de s’adresser à la CIEPP s’ils étaient encore victimes d’un crime racial puisque le seul pouvoir de cet organisme est de faire des recommandations à la police et de rapporter ses conclusions au Parlement : Katinkszki c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1326, aux paragraphes 14 et 15 [Katinkszki]; Orgonav c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1438, au paragraphe 14.

La Commission a eu tort de s’appuyer sur les « efforts » du gouvernement hongrois visant à protéger les Roms, au lieu de s’interroger sur leur efficacité

[36]           Les demandeurs soutiennent que la Commission a mal interprété la preuve documentaire en invoquant les « efforts » de l’État hongrois quant à l’adoption de lois et de politiques, puisque cette preuve établit que ces instruments étaient inefficaces. Des décisions récentes de la Cour soulignent qu’il ne suffit pas d’affirmer que des mesures susceptibles de faire naître un jour une protection adéquate ont été prises. La Commission doit examiner la situation actuelle, et non pas ce que l’État s’efforce de mettre en place : Hercegi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 250; Rezmuves c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 334 [Rezmuves]; Bors c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1004 [Bors]; Kanto c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1049, aux paragraphes 39 à 44; Biro c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1120.

[37]           En l’espèce, affirment les demandeurs, la Commission a conclu que les efforts déployés par la Hongrie pour venir en aide aux Roms équivalent en eux-mêmes à une protection adéquate de l’État. C’est pourquoi elle a reconnu qu’un grand nombre de ces efforts avaient échoué, mais en ne concluant pas moins que les Roms de Hongrie pouvaient être protégés par l’État. Les demandeurs renvoient au paragraphe 22 de la décision, dans lequel la Commission déclare que « [n]ul ne peut s’attendre à ce qu’un État garantisse la protection de chacun de ses citoyens en tout temps, et le fait qu’il n’y réussit pas toujours ne suffit pas à justifier une demande d’asile, surtout lorsqu’un État a le contrôle efficient de son territoire, qu’il possède des autorités militaires et civiles et une force policière établies et qu’il fait de sérieux efforts pour protéger ses citoyens ». Les documents montrent que des « mesures » ont été prises, des « efforts » faits et des « initiatives » lancées, sans que la vie des Roms de Hongrie ne connaisse pour autant d’amélioration significative.

[38]           La Commission s’est aussi abondamment appuyée sur le fait que la Hongrie est un pays démocratique où se tiennent des élections libres et régulières, de telle manière que les demandeurs devaient s’acquitter d’un lourd fardeau pour réfuter la présomption de protection de l’État; cependant, la preuve documentaire montre que le niveau de démocratie dans ce pays n’a jamais été aussi bas : voir Buri c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1538, aux paragraphes 3 à 5; décision Katinszki, précitée.

[39]           Les demandeurs avancent que la Commission a également tenu compte d’éléments de preuve sans pertinence, analysant en longueur la structure du gouvernement hongrois, les forces policières et les mesures d’intégration sociale, alors que cela n’intéresse en rien la question de savoir si les Roms victimes de crimes racistes peuvent être protégés par l’État : voir la décision Rezmuves, précitée, au paragraphe 11.

Le défendeur

[40]           Le défendeur soutient que la Commission a raisonnablement conclu que les demandeurs n’avaient pas pris toutes les mesures convenables dans les circonstances pour tenter d’obtenir la protection de l’État hongrois avant de demander la protection internationale, et donc qu’ils n’avaient pas prouvé de manière claire et convaincante que la protection de l’État était inadéquate dans ce pays.

[41]           Les demandeurs ont signalé les incidents de 2004 à la police, et celle-ci a réagi en enregistrant leurs plaintes, en lançant une enquête, en appréhendant les suspects et en portant des accusations. Par contre, ils n’ont pas signalé le passage à tabac de 2011 et n’ont pas expliqué par une preuve convaincante la raison pour laquelle ils n’ont pas cherché à obtenir l’aide de la police. Ils n’ont donc pas pris toutes les mesures raisonnables pour obtenir une protection relativement aux prétendus incidents sur lesquels ils fondent leur demande d’asile.

[42]           La Commission a déclaré qu’elle ne pouvait pas tirer de conclusion à partir de l’incident de 2011 mais, comme le font remarquer les demandeurs, elle n’a pas dit qu’il ne s’était pas produit. La Commission a ajouté qu’elle ne pouvait pas établir de lien entre le rapport médical divulgué et l’incident de 2011. Il ressort des motifs que la SPR a bel et bien tenu compte de ce présumé incident tout au long de la décision, et qu’il lui a semblé préoccupant que M. Balogh n’ait pas expliqué de façon raisonnable pourquoi il ne s’est pas adressé à la police en 2011.

[43]           La Commission n’a pas rejeté non plus la preuve médicale ni ne l’a jugée indigne de foi comme dans l’affaire Talukder, précitée. Elle a plutôt relevé que le rapport ne contenait aucun détail sur la blessure et ne précisait pas quand et dans quelles circonstances elle a été infligée. La Commission n’était donc pas en mesure d’établir un lien entre le rapport médical et l’incident de 2011.

[44]           Même si les demandeurs contestent la conclusion de la SPR selon laquelle ils ont bénéficié d’une protection adéquate de l’État en 2004, la Commission a fourni des motifs détaillés sur ce point. Elle a noté que les demandeurs n’avaient pas été entièrement satisfaits de l’issue des démarches, mais a conclu qu’elle ne pouvait pas intervenir relativement aux décisions d’une cour de justice. Elle a discuté de ces questions avec eux à l’audience (voir la transcription, dossier certifié du tribunal [DCT], aux pages 602, 603 et 606), et a attentivement examiné leur témoignage. Les demandeurs désapprouvent simplement l’analyse de la preuve effectuée par la SPR.

[45]           La Commission a raisonnablement fait remarquer que les demandeurs n’avaient pas produit de rapports de police ni expliqué cette omission de façon raisonnable, mais ce n’était là qu’un des nombreux facteurs qui l’ont amené à conclure que ces derniers n’avaient pas réfuté la présomption de protection de l’État.

[46]           Cette conclusion reposait principalement sur le fait que M. Balogh n’avait pas raisonnablement expliqué pourquoi il n’avait pas fait appel à la police en 2011, ni pourquoi il ne s’adresserait pas à elle à l’avenir. Il était tout à fait loisible à la Commission de conclure que cela était déraisonnable eu égard à la preuve concernant les précédentes interventions policières. De plus, le témoignage des demandeurs portant que la police n’était pas au service de la justice contredisait la preuve documentaire : celle-ci provenait d’un large éventail de sources fiables et la Commission lui a donné préséance.

[47]           D’après le défendeur, la Commission a apprécié le manque d’efforts visant à obtenir la protection de l’État d’une manière conforme à la jurisprudence de la Cour, et notamment au principe selon lequel la réticence subjective à réclamer cette protection ne suffit pas, en règle générale, pour réfuter la présomption de son existence : Cueto c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 805, aux paragraphes 26 et 27.

[48]           L’évaluation de la protection de l’État est en grande partie factuelle et s’effectue au cas par cas, note le défendeur, et la SPR est présumée avoir soupesé toute la preuve : Suarez Flores c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 723, au paragraphe 15. La Commission a précisé qu’elle avait rejeté la demande d’asile des demandeurs « [a]près avoir examiné l’ensemble des éléments de preuve en l’espèce ».

[49]           La Commission connaissait la directive de la Cour selon laquelle les efforts déployés doivent effectivement se traduire par une protection adéquate de l’État et a, par conséquent, examiné de manière approfondie et détaillée la preuve documentaire. Elle s’est penchée sur la question pertinente – à savoir le « caractère adéquat » de la protection de l’État – et a conclu que les policiers et fonctionnaires gouvernementaux étaient à la fois disposés et aptes à protéger les victimes roms (décision, au paragraphe 20). Les demandeurs remettent en question le bien-fondé de certains des éléments de preuve dont disposait la SPR.

[50]           Le défendeur soutient que la situation n’était pas le même dans l’affaire Bors, précitée. Dans Bors, l’agent d’évaluation du risque avant renvoi n’avait pas convenablement évalué la situation individuelle des demandeurs, ce qui incluait l’incendie d’une maison par un cocktail Molotov, l’usage d’armes à feu et une hospitalisation consécutive à une grave blessure. Dans le cas présent, les demandeurs n’ont pas démontré que la Commission a ignoré des éléments de preuve ou qu’elle a tiré des conclusions intolérables eu égard à la preuve, l’intervention judiciaire n’est donc pas justifiée : Magid Sefeen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 380, au paragraphe 11 [Sefeen].

[51]           Le défendeur note que la protection de l’État doit être apprécié au cas par cas : Varga c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 510, au paragraphe 20. Le cas présent ressemble à la situation décrite dans Merucza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 480, aux paragraphes 17 et 18. La conclusion de la Commission selon laquelle les demandeurs n’ont pas réussi à réfuter la présomption de protection de l’État était raisonnable.

ANALYSE

[52]           En l’espèce, la décision porte essentiellement que les demandeurs – qui n’ont pas cherché à obtenir la protection de l’État suite à l’incident de mai 2011 impliquant les membres de la Garde hongroise, et qui ont déclaré qu’ils ne s’adresseraient pas à la police si leur sécurité était à l’avenir menacée en Hongrie – ne se sont pas acquittés du fardeau d’établir que cette protection ne leur serait pas raisonnablement assurée s’ils tentaient de l’obtenir.

[53]           Les demandeurs contestent la décision à divers chapitres mais, à mon avis, la majeure partie des arguments présentés dans leurs observations écrites dénature simplement la teneur de la décision.

[54]           Ainsi, une simple lecture de la décision révèle que la Commission n’a pas conclu que les événements de 2011 ne s’étaient pas produits; elle a simplement souligné que le rapport médical n’établissait pas de lien entre les blessures subies et « les renseignements supplémentaires concernant un incident survenu en mai 2011 au cours duquel le demandeur d’asile aurait reçu des coups de poing à la figure de la part de trois membres de la Garde hongroise, après quoi il aurait choisi de ne pas faire appel à la police, craignant d’être traité de [traduction] “façon inhumaine” ou comme “coupable” ». Ce commentaire se rapporte simplement à ce qu’un élément de preuve particulier révélait ou pas, et à ce titre il est raisonnable. La Commission n’a pas émis d’hypothèses quant aux informations qu’un document médical devrait contenir et n’a pas tiré de conclusion déraisonnable.

[55]           Contrairement à ce qu’affirment les demandeurs, il est également aisé de comprendre [traduction] « pourquoi le prétendu manque de renseignements dans le document médical [qu’ils ont présenté] a empêché la Commission de “tirer des conclusions” concernant [leur]  crainte de s’adresser à la police ». Ce document médical ne contenait simplement pas assez d’informations pour établir un lien entre les blessures subies et l’attaque présumée, et la Commission a d’ailleurs tiré des conclusions très claires concernant la crainte des demandeurs de faire appel la police en se fondant sur d’autres facteurs.

[56]           Quant aux événements de 2004 et 2005, la décision révèle encore une fois que la Commission n’a pas manqué [traduction] « d’évaluer adéquatement les allégations des demandeurs selon lesquelles les agresseurs n’avaient pas été traduits en justice ». La Commission a reconnu que ces derniers « n’étaient pas entièrement satisfaits de l’issue de ces démarches », mais a néanmoins conclu que « le tribunal n’est pas en mesure d’intervenir relativement aux décisions d’une cour » :

À l’audience, le demandeur d’asile a fait des déclarations qui ont confirmé que la police était intervenue lorsqu’elle avait été appelée ou interpellée par les demandeurs d’asile, que les policiers avaient consigné les déclarations des demandeurs d’asile ainsi que celles de leurs amis roms et que des enquêtes avaient été menées dans ces dossiers. Le tribunal a été informé que la déclaration de culpabilité de 2004 a été portée en appel et que la personne soupçonnée d’avoir perpétré l’agression à l’arme blanche en décembre 2004 ou 2005 avait été acquittée parce que le demandeur d’asile ne l’avait pas identifiée visuellement. À la lumière des éléments de preuve orale et écrite, le tribunal conclut que, lorsque les demandeurs d’asile ont cherché à obtenir une protection, la police hongroise a répondu à leurs demandes, que leurs plaintes et leurs déclarations avaient été dûment notées, qu’ils ont été appelés à se rendre au commissariat et qu’une enquête avait été lancée. La police a appréhendé des suspects, procédé à des arrestations et porté des accusations, et les affaires ont été instruites par les tribunaux. Les demandeurs d’asile ont déclaré qu’ils n’étaient pas entièrement satisfaits de l’issue de ces démarches; toutefois, le tribunal n’est pas en mesure d’intervenir relativement aux décisions d’une cour. Aucun document judiciaire n’a été présenté au tribunal en ce qui a trait au procès auquel a participé la demandeure d’asile ni à l’incident au cours duquel les amis du demandeur d’asile ont été poignardés. Une transcription de l’interrogation du témoin, datée du 7 avril 2004 et se rapportant à la demandeure d’asile, a été déposée en preuve.

[57]           Ces conclusions n’ont rien de déraisonnable.

[58]           À l’audience qui s’est déroulée devant moi le 25 juin 2014, les demandeurs se sont attardés sur l’unique question qui me semble en effet préoccupante : la Commission a‑t‑elle sélectivement analysé les principaux documents qu’elle a invoqués pour conclure qu’une protection existe pour les Roms en Hongrie sur le plan opérationnel, et donc qu’il était déraisonnable que les demandeurs n’aient pas recherché la protection de l’État avant de revendiquer le statut de réfugié au Canada.

[59]           Bien entendu,  il n’est pas loisible à la Cour de critiquer après coup la manière dont la Commission a soupesé les documents concernant la situation dans le pays. Voir la décision Sefeen, précitée, aux paragraphes 10 et 11; Garavito Olaya c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 913, au paragraphe 68; Zrig c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 178, au paragraphe 42. En l’espèce, cependant, les demandeurs soutiennent que la Commission a sélectionné la preuve concernant la protection adéquate de l’État en Hongrie parmi des documents qui montrent bien, en fait, que cette protection n’est pas adéquate sur le plan opérationnel pour les Roms de Hongrie.

[60]           Après avoir examiné les documents en question, je crois devoir me ranger à la position des demandeurs.

[61]           Le caractère adéquat sur le plan opérationnel est évoqué aux paragraphes 30 à 35 de la décision :

[30]      Pour ce qui est des directives établies par les tribunaux voulant que les efforts liés à la protection de l’État doivent avoir véritablement engendré une protection adéquate de l’État, le tribunal a examiné un rapport de mars 2011 du Centre européen des droits des Roms (ERRC), dans lequel l’organisation fournit de l’information sur les progrès réalisés dans 22 cas en Hongrie où des Roms ont été victimes d’attaques violentes entre 2008 et 2009; les résultats suivants ont été observés :

         dans six cas, l’enquête de la police a été suspendue, car aucun suspect n’a été identifié;

         dans un cas, l’enquête de la police a été suspendue pour faute de crime;

  une enquête pour faux témoignage a été ouverte sur les victimes alléguées;

  dans douze cas, les poursuites judiciaires étaient en instance;

  dans un cas, l’auteur a été reconnu coupable et condamné à onze ans d’emprisonnement.

         dans deux cas, aucune information n’était disponible.

[31]      À la lumière des renseignements de l’ERRC, il existe des éléments de preuve selon lesquels les policiers ont mené des enquêtes à la suite des incidents susmentionnés et qu’ils ont tiré des conclusions particulières à l’issue de ces enquêtes, ce qui témoigne d’une protection de l’État sur le plan opérationnel. D’après Amnesty International (AI), neuf agressions commises contre des communautés roms en 2008 et 2009 présentaient les mêmes caractéristiques. Leurs auteurs ont utilisé des cocktails Molotov et des armes à feu. En général, deux personnes munies de carabines tiraient de très près. Les victimes des agressions vivaient dans différentes parties du pays, en revanche leurs habitations étaient principalement situées à la périphérie de quartiers se trouvant près d’une autoroute. Ces agressions ont semé la peur au sein de la communauté rom dans tout le pays. La police a réagi en prenant plusieurs mesures dans le cadre d’un programme censé améliorer la sécurité de la communauté rom. Ces mesures ont dans un premier temps été appliquées dans les comtés où les agressions avaient eu lieu. Elles ont ensuite été étendues aux « quartiers sensibles » qui, selon la police, pouvaient faire l’objet d’agressions similaires. Des patrouilles ont effectué des rondes dans ces zones la nuit et au petit matin.

[32]      Le 21 août 2009, la police a arrêté quatre personnes soupçonnées d’être les auteurs de la série de crimes organisés et a inculpé trois des quatre suspects « d’homicides multiples coordonnés, de vol, d’utilisation abusive d’armes ainsi que de vandalisme. Trois des quatre suspects ont été inculpés sur la base d’analyses ADN et d’armes, le quatrième est considéré comme un complice. » La série de crimes perpétrés entre janvier 2008 et août 2009, visant des Roms et leurs biens, a semé la peur au sein de la communauté rom. Dans cette situation particulière, la police est intervenue adéquatement en assurant une meilleure protection aux communautés roms touchées, de même qu’en arrêtant et en inculpant quatre suspects.

[33]      Une interprétation juste de la preuve documentaire de la Commission révèle que c’est un fait connu que les [traduction] « groupes d’extrême droite » illégaux continuent d’inciter à la violence contre les Roms et qu’ils ont organisé des manifestations partout dans le pays afin d’intimider les communautés roms locales. Il est également écrit, toutefois, que le code criminel a été modifié afin de criminaliser [traduction d’AI] « les activités non autorisées visant à assurer la sécurité ou l’ordre public en suscitant la peur chez certains » ainsi que [traduction d’AI] « tout comportement ouvertement injurieux à l’égard d’une communauté et susceptible de menacer des personnes appartenant (ou considérées comme appartenant) à un groupe particulier, ethnique ou autre ». Le ministre de l’Intérieur a été cité alors qu’il aurait dit que ces genres de patrouilles de milices ne seraient plus tolérés en Hongrie. Pour appuyer cet effort, « [l]e paragraphe 174/B du code criminel criminalise les actes violents commis contre des personnes en raison de leur appartenance à un groupe national, ethnique, racial ou religieux ». Cependant, lorsqu’elle signale l’incident, la victime doit affirmer que l’attaque a été commise en raison de son appartenance ethnique. Il est écrit que la plainte est plus susceptible d’être reconnue si elle est appuyée par une organisation non gouvernementale (ONG) qui exerce de la pression en invoquant des [traduction] « motifs fondés sur des préjugés ». Il est évident qu’il existe de la méfiance de part et d’autre dans le dossier des Roms en Hongrie. Toutefois, il ressort de la preuve documentaire que le gouvernement et de nombreuses ONG de défense des droits de la personne sont conscients de la situation, qu’ils gardent étroitement à l’œil, pour veiller à ce que tous les droits de l’ensemble des minorités ethniques, raciales ou religieuses fassent l’objet d’une surveillance et que les manquements des autorités à intervenir soient signalés et exposés à titre d’inconduite ou d’abus.

[34]      La Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) a vivement recommandé aux autorités hongroises de suivre de près la question de l’adéquation des dispositions de droit pénal contre les expressions racistes. Elle leur a vivement recommandé de tenir compte des standards internationaux pertinents pour lutter contre le racisme et la discrimination raciale, d’après lesquels la loi devrait diriger en infractions pénales les actes racistes, dont l’incitation publique à la violence, à la haine ou à la discrimination, ainsi que les injures ou la diffamation publiques ou les menaces à l’égard d’une personne ou d’un ensemble de personnes en raison de leur race, de leur couleur, de leur langue, de leur religion, de leur nationalité ou de leur origine nationale ou ethnique. L’ECRI souligne avec intérêt que, depuis son rapport, la Hongrie a apporté au code pénal quelques modifications pouvant contribuer à renforcer la lutte contre le racisme. En particulier, le Parlement a modifié l’article 174/B du code pénal de manière à ce qu’il incrimine le fait d’agresser une personne non seulement parce qu’elle est (ou parce que son agresseur présume qu’elle est) membre d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux, mais aussi si elle fait partie (ou si son agresseur présume qu’elle fait partie) de « certains groupes de la population ». La négation de l’Holocauste constitue désormais aussi une infraction pénale en Hongrie et le législateur a introduit une nouvelle infraction consistant à participer aux activités d’une organisation civile dissoute. Dans la version intégrale de son rapport, l’ECRI mentionne que, de manière générale, la Hongrie a commencé à mettre en œuvre ses recommandations, mais que le pays n’adhère toujours pas aux normes de l’UE.

[35]      La Commission reconnaît que plusieurs sources contenues dans la preuve documentaire comportent certaines incohérences; cependant, les éléments de preuve objectifs concernant la situation actuelle dans le pays donnent à penser que, même si elle n’est pas parfaite, la protection offerte par la Hongrie aux Roms qui sont victimes de criminalité, d’abus de pouvoir de la part des policiers, de discrimination et de persécution est adéquate, que la Hongrie fait de sérieux efforts pour régler ces problèmes et pour mettre en œuvre ces mesures sur le plan opérationnel ou à l’échelle locale, et que la police et les autorités du gouvernement ont la volonté et la capacité de protéger les victimes.

 

[62]           Les renseignements cités au paragraphe 30 de la décision correspondent à la réponse à la demande d’information du 16 juillet 2012, page 583-66 du DCT. Les 22 cas sont évoqués mais le message général, que la Commission omet de citer ou de mentionner, est le suivant :

L’ERRC affirme que les autorités de l’État ne sont pas efficaces pour répondre à la violence faite aux Roms (15 févr. 2012). The Irish Times précise dans un article du 25 février 2009 que le ministre de la Justice a admis que la force policière en Hongrie [traduction] « ne réussit pas à trouver les responsables d’un nombre croissant d’attaques » contre des Roms.

[63]           En sélectionnant dans cette source les informations qui, selon elle, étayaient sa conclusion générale, et en ignorant les renseignements généraux concernant l’inefficacité, la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle dont le juge Campbell a expressément traité dans Hanko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 474 :

[12]      En tant qu’exemple précis de la disponibilité actuelle de la protection de l’État pour les Roms en Hongrie, la SPR a recours à la citation suivante :

[22] En ce qui concerne les instructions de la Cour selon lesquelles les efforts déployés pour offrir la protection de l’État doivent, dans les faits, avoir engendré une protection adéquate de l’État, le tribunal a examiné un rapport de mars 2011 du Centre européen des droits des Roms (ERRC), qui fournit des renseignements sur les progrès réalisés dans 22 cas où des Roms ont été victimes d’agressions en 2008 et en 2009 en Hongrie. Les résultats suivants ont été observés :

• dans six cas, l’enquête de la police a été suspendue, car aucun suspect n’a été identifié;

• dans un cas, l’enquête de la police a été suspendue faute de crime;

• une enquête pour faux témoignage a été ouverte sur les prétendues victimes;

• dans 12 cas, les poursuites judiciaires étaient en instance;

• dans un cas, l’auteur a été reconnu coupable et condamné à 11 ans d’emprisonnement;

• dans deux cas, aucun renseignement n’était disponible.

D’après ces renseignements provenant de l’ERRC, des éléments de preuve donnent à penser que les policiers ont fait enquête relativement aux incidents susmentionnés et qu’ils ont tiré des conclusions précises de ces enquêtes, ce qui atteste l’existence de la protection de l’État sur le terrain.

[Renvois omis.]

[13]      En ce qui a trait à cet exemple, l’avocate des demandeurs formule un argument convaincant touchant la mauvaise utilisation d’éléments de preuve que la SPR a considérés comme essentiels, lesquels viennent juste d’être cités :

[traduction

20. Tout d’abord, je soutiens qu’il est tout simplement faux de déclarer qu’une condamnation sur 22 cas constitue une preuve concluante de protection adéquate de l’État. De la même façon, cet élément ne fait état que de la protection policière à l’égard d’assassinats en série très médiatisés et ne traite pas de la protection de la police contre les criminels de droit commun ou les racistes que les demandeurs craignent dans le cas présent.

21. Facteur plus important, par contre, la citation est prise entièrement hors du contexte du rapport initial. Plus particulièrement, le paragraphe qui précède directement la ventilation des cas précise ceci :

L’ERRC affirme que les autorités de l’État ne sont pas efficaces pour répondre à la violence faite aux Roms (15 févr. 2012). The Irish Times précise dans un article du 25 février 2009 que le ministre de la Justice a admis que la force policière en Hongrie [traduction] « ne réussit pas à trouver les responsables d’un nombre croissant d’attaques » contre des Roms.

Dossier certifié du tribunal, à la page 332.

22. En outre, dans le rapport même de l’ERRC où sont examinés les 22 cas mentionnés, l’organisme conclut ceci à propos des Roms de la République tchèque, de la Slovakie et de la Hongrie :

[traduction]

L’échec des autorités chargées de l’application de la loi d’identifier les auteurs de crimes contre les Roms dans un nombre considérable d’enquêtes crée un climat d’impunité et peut encourager la commission d’autres actes de violence contre les Roms. Le fait que les tribunaux n’aient prononcé que des condamnations avec sursis à l’égard des personnes déclarées coupables de crimes graves contre les Roms renforce cette atmosphère. La reconnaissance de motivations racistes dans un aussi petit nombre de cas peut être la preuve du peu d’importance accordée aux circonstances aggravantes des crimes commis et pourrait ne pas rendre compte pleinement de la nature des agressions commises contre les Roms.

Dossier certifié du tribunal, à la page 471.

23. Élément encore plus convaincant, [la juge Strickland de] la Cour a récemment conclu que la Commission fait erreur en citant le passage qui précède de l’ERRC pour conclure à une protection adéquate de l’État à l’égard des Roms. Plus particulièrement, la Cour a conclu :

[7] […] La Commission a examiné de façon isolée un extrait d’un rapport de mars 2011 du Centre européen des droits des Roms (European Roma Rights Centre – ERRC; le rapport de l’ERRC) cité dans la réponse à la demande d’information HUN104110.EF (16 juillet 2012), Hongrie : information sur le traitement réservé aux Roms et les efforts déployés par l’État pour les protéger (le document Hongrie : information sur le traitement des Roms et les efforts déployés par l’État pour les protéger), qui fait partie du cartable national de documentation (CND). L’extrait porte sur 22 des [traduction] » plus violentes attaques contre les Roms signalées à la police » entre 2008 et 2010. Ces attaques, à la suite desquelles il y a eu sept décès, des personnes gravement blessées et des maisons endommagées, ont fait l’objet d’enquêtes et certaines accusations ont été portées. La Commission a conclu que cela attestait de l’existence d’une protection de l’État sur le plan opérationnel. Toutefois, la preuve concernant les mesures prises par la police pour réagir à des meurtres en série connus de tous et largement médiatisés ne donne pas vraiment une idée de la façon dont la police traite les criminels qui ressortent moins du lot, ainsi que le mentionne le juge Zinn dans la décision Orgona c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1438, au paragraphe 13.

[8] En outre, selon le rapport de l’ERRC, il est rare que les personnes à l’origine d’attaques violentes contre des Roms soient identifiées, fassent l’objet d’une enquête et soient poursuivies. Un nombre encore plus restreint d’agresseurs sont emprisonnés. Dans un seul des 22 cas examinés, l’auteur a été reconnu coupable. Si ces données peuvent, dans une certaine mesure, témoigner de l’existence d’une protection de l’État sur le plan opérationnel, la situation des demandeurs, qui font l’objet de discrimination tous les jours comme bon nombre de Roms, n’est pas la même que celle des victimes des attaques décrites par la Commission. De plus, dans le document Hongrie : information sur le traitement des Roms et les efforts déployés par l’État pour les protéger, on mentionne que, dans un rapport publié en 2012, l’ERRC affirme que « les autorités de l’État ne sont pas efficaces pour répondre à la violence faite aux Roms ». On y mentionne également que, dans un article publié le 25 février 2009, le Irish Times précise que « le ministre de la Justice a admis que la force policière en Hongrie [traduction] “ne réussit pas à trouver les responsables d’un nombre croissant d’attaques” contre des Roms ».

[Souligné dans l’original.]

Marosi c Canada (MCI) (26 novembre 2013) Toronto, IMM‑1675‑13 (CF);

24. Ainsi, l’information utilisée par le commissaire à l’appui de sa conclusion selon laquelle l’État offre une protection adéquate démontre plutôt le contraire. C’est-à-dire que la police n’a pas réagi de façon adéquate aux agressions contre les Roms, ce qui a conduit à un climat d’impunité.

[14]      À tous égards, je souscris à l’argumentation de l’avocate des demandeurs.

[64]           Un problème analogue se pose en l’espèce à l’égard du rapport d’Amnistie Internationale sur lequel la Commission se fonde au paragraphe 31 de la décision. Les passages que la Commission a cités et sur lesquels elle s’est appuyée font abstraction du message général du rapport, à savoir que l’État hongrois n’offre pas une protection adéquate aux Roms, ce que les autorités dissimulent en ne compilant pas des statistiques correctes sur les crimes haineux.

[65]           Le paragraphe 32 de la décision renvoie au rapport d’Amnistie Internationale de novembre 2010 sur les Agressions contre les Roms en Hongrie, à la page 583-97 du DCT, qui s’achève sur ces mots (voir le DCT, à la page 583-134) :

Amnesty International est préoccupée par le fait que les autorités hongroises ne prennent pas les mesures nécessaires pour prévenir les violences contre les Roms et y réagir de façon efficace du fait des lacunes et des carences que présente le système judiciaire du pays.

[66]           Concernant les attaques de 2008-2009 contre des Roms, la Commission conclut que : « [d]ans cette situation particulière, la police est intervenue adéquatement en assurant une meilleure protection aux communautés roms touchées, de même qu’en arrêtant et en inculpant quatre suspects ».

[67]           La Commission semble elle-même consciente d’avoir affaire à une « situation particulière » et omet de considérer le contexte général et la raison pour laquelle la police est peut-être intervenue dans cette « situation particulière ». Elle paraît ignorer la réponse à la demande d’information du 12 octobre 2011, pages 583-84 et 583-85 du DCT, qui nous apprend que :

Dans son rapport publié en 2010 sur la violence contre les Roms en Hongrie, Human Rights First souligne que les autorités comme la police ont déployé des efforts pour traduire en justice les auteurs de crimes [traduction] « importants », particulièrement les crimes rapportés par les médias (oct. 2010, 6, 7). Par exemple, deux policiers ont été tenus responsables pour avoir fait preuve [traduction] « [d’]inconduite » dans la façon dont ils ont abordé l’enquête menée sur un double meurtre à caractère haineux commis en 2009 (Human Rights First oct. 2010, 6). Toutefois, l’organisation souligne aussi que les [traduction] « autorités » font « piètre figure » lorsqu’il est question de traduire en justice les auteurs « d’autres crimes violents graves » signalés par les groupes de défense des droits de la personne (ibid.). Human Rights First fait observer que la police essaie d’éviter de suivre la piste des [traduction] « préjugés » dans ses enquêtes lorsque la preuve porte à croire qu’il faut en tenir compte (ibid., 7).

[68]           Il faut reconnaître que la Commission doit soupeser un « assortiment » complexe d’éléments de preuve pour évaluer le caractère adéquat de la protection de l’État en Hongrie. En l’espèce, cependant, elle paraît n’avoir retenu que les cas où la police a agi, en faisant abstraction du message général selon lequel il n’existait pas de protection adéquate de l’État. La Commission elle-même reconnaît la situation très difficile à laquelle sont confrontés les Roms en Hongrie, mais conclut néanmoins que quelques exemples sélectifs d’intervention policière équivalent à une protection adéquate de l’État. Or, lorsqu’on lit dans sa totalité la preuve sur laquelle s’est appuyée la Commission pour conclure que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de protection adéquate de l’État hongrois, on constate qu’une grande partie de cette preuve confirme en fait, comme le font valoir les demandeurs, que ce n’est pas le cas pour les Roms. À mon avis, l’approche sélective de la Commission dans l’appréciation des éléments de preuve disponibles est extrêmement troublante. Elle est du reste tout à fait déraisonnable, et la présente affaire doit être renvoyée pour réexamen.

[69]           Les avocats des deux parties estiment qu’il n’y a aucune question à certifier et la Cour est du même avis.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  Il est fait droit à la demande. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre commissaire pour qu’il la réexamine.

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

« James Russell »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2814-13

 

INTITULÉ :

ERNO CSABA BALOGH, LAURA BALOGHNE PEGE, JAZMIN BALOGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 juin 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 1er août 2014

 

COMPARUTIONS :

Michael Korman

 

POUR LES demandeurS

ERNO CSABA BALOGH, LAURA BALOGHNE PEGE, JAZMIN BALOGH

 

Nadine Silverman

 

POUR LE défendeur

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Otis & Korman

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES demandeurS

ERNO CSABA BALOGH, LAURA BALOGHNE PEGE, JAZMIN BALOGH

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

pour le défendeur

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

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