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Date : 20140731


Dossier : T-1294-13

Référence : 2014 CF 764

Ottawa (Ontario), le 31 juillet 2014

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

RAYMOND LANDRY

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

SERVICE CORRECTIONNEL CANADA

RESSOURCES HUMAINES ET DÉVELOPPEMENT SOCIAL CANADA,

SERVICE FÉDÉRAL D'INDEMNISATION DES ACCIDENTÉS

(INDEMNISATION RHDCC-TRAVAIL RÉGION DU QUÉBEC)

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur, M. Raymond Landry, soumet une demande de contrôle judiciaire d’une décision du délégué du Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, rendue le 27 juin 2013, qui a refusé de proroger un délai prévu au Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620 [le Règlement], l’excluant ainsi d’un programme d’indemnisation. Cette demande de contrôle judiciaire est présentée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), ch F-7.

[2]               La question qui se pose est la suivante : est-ce que par contrôle judiciaire le demandeur peut obtenir que le refus d’accorder une prorogation de délais soit renversé dans ce cas? Pour les raisons qui suivent, la Cour répond par la négative.

I.                   Faits

[3]               M. Landry était détenu dans une institution pénitentiaire fédérale en octobre 2007. Il avait commencé à purger sa peine le 15 janvier 2007. Il y travaille comme journalier nettoyeur. Le 2 octobre 2007, il fait une chute dans un escalier. Le rapport fait par le surveillant de M. Landry, en date du 24 octobre 2007, indique que celui-ci a manqué une marche en montant un escalier. Selon un témoin de l’incident, M. Landry aurait perdu pied et serait tombé d’une ou deux marches. Pour reprendre les termes utilisés, il n’a « pas déboulé ». Cherchant à amortir sa chute, il a utilisé son bras gauche et s’est plaint d’une douleur dès ce moment. De fait, l’inconfort s’est poursuivi dans les semaines qui ont suivi.

[4]               Il y aurait eu déchirure partielle de la coiffe des rotateurs de l’épaule que le demandeur attribue à sa chute du 2 octobre. L’existence d’une blessure ne semble pas faire de doute puisque des examens postérieurs l’ont confirmée. Par ailleurs le dossier démontre des difficultés antérieurement du côté de cette épaule gauche : M. Landry se serait disloqué l’épaule en 2001 et en février et mars 2007, le dossier médical en institution parlait déjà de « début de tendinite calcifiante de l’épaule gauche » et de « douleur épaule gauche ». Il n’est pas nécessaire d’établir, ou non, un lien de causalité entre la chute d’octobre 2007 et la blessure à l’épaule tel que réclamé par le demandeur puisque la seule question à régler est de déterminer si la prorogation de délai a été indûment refusée.

[5]               Le demandeur a été libéré d’office le 12 septembre 2008, conformément à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, ch 20, articles 127 et suivants [la Loi].

[6]               Le 18 décembre 2008, la Commission de la santé et de la sécurité du travail [CSST] du Québec avisait le demandeur que sa réclamation reçue par la CSST le 27 novembre 2008 et signée du 25 octobre 2008 ne pouvait être acceptée puisque le détenu dans une institution fédérale ne serait pas un travailleur au sens de la législation provinciale.

[7]               C’est alors que M. Landry présentait une « Demande d’indemnisation du détenu ». Celle-ci, signée le 11 février 2009, était reçue formellement le 16 février 2009. La réponse ne s’est pas fait attendre. Le 18 février, M. Landry se voyait avisé que sa demande d’indemnisation était hors délai et qu’il n’était donc pas admissible au programme d’indemnisation. Le Règlement prévoit en effet qu’une telle demande doit être présentée avant que le détenu ne bénéficie d’une libération d’office. La demande faite le 11 février 2009 est quelques cinq mois après la libération d’office de M. Landry. On indique par ailleurs au demandeur dans la décision du 18 février 2009 qu’il peut faire valoir que « le délai est dû à des circonstances exceptionnelles. »

[8]               Une telle tentative a été faite et elle a été rejetée le 2 juin 2009. Le demandeur, qui était alors représenté par un avocat qui n’est pas celle qui occupe au présent dossier, argumentait qu’il avait requis de l’information au sujet de l’indemnisation alors qu’il était détenu et qu’il avait été induit en erreur par « des personnes en autorité ».

[9]               Il appert du dossier qu’un examen plus poussé a été mené au sujet de l’allégation que M. Landry avait été incorrectement informé par le personnel de l’institution. Trois employés du Service correctionnel du Canada qui auraient mal informé le demandeur à ses dires ont plutôt nié avoir été consultés par le demandeur. De plus, le registre des interventions tenues en institution a été examiné; aucune demande faite par M. Landry quant à des renseignements n’y est répertoriée. La réponse du 2 juin 2009 indique plutôt que ce ne serait qu’en janvier 2009, soit après sa libération d’office, qu’il y aurait eu une telle demande. La réponse note aussi que M. Landry a signé le « Rapport sur les blessures subies par un détenu » quant à sa chute du 2 octobre 2007, daté du 23 mai 2008, portant la mention : « Je fais cette déclaration de mon plein gré et je connais les responsabilités qui m’incombent relativement à l’indemnisation des détenus en cas d’accident de travail. »

[10]           Ce ne sera que près de quatre ans plus tard, le 5 mars 2013, que le demandeur se prévalait de l’article 142 du Règlement pour obtenir une révision des décisions du 18 février et 2 juin 2009. L’argumentaire en appel est semblable à celui fait en 2009. M. Landry aurait été mal informé. On met aussi le blâme sur le médecin de l’institution pour ne pas avoir fourni au demandeur des documents essentiels pour remplir sa demande d’indemnisation. On allègue enfin un retard à obtenir l’aide-juridique demandée.

II.                Décision et norme de contrôle

[11]           La décision dont contrôle judiciaire est demandé ne fait que constater à nouveau que le demandeur est hors délai. Les vérifications faites au dossier font constater au délégué du Ministre que les employés du Service correctionnel du Canada nient avoir été consultés. S’il y a eu mauvaise information, elle viendrait de codétenus et le Service correctionnel se déclare non responsable de l’information glanée de personnes autres que ses employés. Qui plus est, aucun document n’est requis pour produire le formulaire « Demande d’indemnisation du détenu ». L’allégation voulant qu’un médecin à l’institution ait négligé, ou tout simplement refusé, de fournir l’information dite essentielle par le demandeur, est non pertinente puisque telle information non seulement n’est pas essentielle, mais elle n’était même pas nécessaire. Il en résulte que l’appel ne peut être accueilli.

[12]           Le demandeur a bien tenté d’argumenter que la demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales fait l’objet d’un contrôle judiciaire sans qu’on doive se référer à autre chose qu’au paragraphe 18.1(4), cherchant ainsi à éviter la norme de contrôle de la décision raisonnable. Le demandeur se réclame des motifs de jugement du juge Rothstein dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339. La juge Deschamps a déclaré son accord avec le juge Rothstein. Mais au grand dam du demandeur, il s’agit là des juges minoritaires et les six autres juges à avoir rendu jugement se sont déclarés en désaccord. Il n’y a aucune équivoque.

[13]           Parlant pour la majorité, le juge Binnie écrivait :

[25]      Je ne partage pas l’opinion du juge Rothstein selon laquelle, en l’absence d’une directive législative expresse ou nécessairement implicite, la cour de révision n’a pas à faire preuve de déférence à l’endroit d’un décideur administratif dans les affaires ayant trait au rôle, à la fonction et à l’expertise propres à ce décideur. Dans Dunsmuir, notre Cour a reconnu que, sans égard à l’existence d’une clause privative, il est maintenant admis qu’une certaine déférence s’impose lorsqu’une décision particulière a été confiée à un décideur administratif plutôt qu’aux tribunaux judiciaires. Cette déférence s’étend non seulement aux questions touchant aux faits et à la politique, mais aussi à l’interprétation, par le tribunal administratif, de sa loi constitutive et des dispositions législatives connexes étant donné « qu’une disposition législative peut donner lieu à plus d’une interprétation valable, et un litige, à plus d’une solution, et que la cour de révision doit se garder d’intervenir lorsque la décision administrative a un fondement rationnel » (Dunsmuir, par. 41). Le principe de la déférence « reconnaît que dans beaucoup de cas, les personnes qui se consacrent quotidiennement à l’application de régimes administratifs souvent complexes possèdent ou acquièrent une grande connaissance ou sensibilité à l’égard des impératifs et des subtilités des régimes législatifs en cause » (Dunsmuir, par. 49, citant le professeur David J. Mullan, « Establishing the Standard of Review : The Struggle for Complexity? » (2004), 17 C.J.A.L.P. 59, p. 93). En outre, la déférence « peut également s’imposer lorsque le tribunal administratif a acquis une expertise dans l’application d’une règle générale de common law ou de droit civil dans son domaine spécialisé » (Dunsmuir, par. 54).

[26]      L’arrêt Dunsmuir contredit la thèse selon laquelle il faut, en l’absence d’une disposition législative expresse ou nécessairement implicite, que la cour de révision « applique la norme de la décision correcte, comme elle le fait normalement en appel » (le juge Rothstein, par. 117). L’arrêt Pezim a été cité et appliqué dans de nombreuses décisions au cours des 15 dernières années. Ce qu’il nous enseigne se reflète dans Dunsmuir. Avec égard, je suis d’avis de rejeter la tentative de mon collègue de retourner à l’époque où certains tribunaux judiciaires s’attribuaient, en matière administrative, certaines compétences et connaissances qu’ils se sont en fait avérés ne pas posséder.

[14]           À mon sens, la révision de la décision en l’espèce doit se faire selon la norme de la décision raisonnable. Comme le disait la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, « [l]orsqu’un tribunal administratif interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie, la déférence est habituellement de mise » (para 54). Dans Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers' Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 RCS 654, la Cour créait même une présomption :

[34]      La consigne voulant que la catégorie des véritables questions de compétence appelle une interprétation restrictive revêt une importance particulière lorsque le tribunal administratif interprète sa loi constitutive. En un sens, tout acte du tribunal qui requiert l’interprétation de sa loi constitutive soulève la question du pouvoir ou de la compétence du tribunal d’accomplir cet acte. Or, depuis Dunsmuir, la Cour s’est écartée de cette définition de la compétence. En effet, au vu de la jurisprudence récente, le temps est peut-être venu de se demander si, aux fins du contrôle judiciaire, la catégorie des véritables questions de compétence existe et si elle est nécessaire pour arrêter la norme de contrôle applicable. Cependant, faute de plaidoirie sur ce point en l’espèce, je me contente d’affirmer que, sauf situation exceptionnelle — et aucune ne s’est présentée depuis Dunsmuir —, il convient de présumer que l’interprétation par un tribunal administratif de « sa propre loi constitutive ou [d’]une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie » est une question d’interprétation législative commandant la déférence en cas de contrôle judiciaire.

Cette affaire comporte d’ailleurs un intérêt particulier par rapport au cas sous étude puisque la question qui se posait touchait la prorogation de délais. La norme de la décision raisonnable a été celle retenue par la Cour suprême du Canada.

[15]           Cette norme emporte bien sûr déférence. Sans pour autant s’incliner devant le décideur administratif, la Cour de révision ne peut non plus imposer ses propres vues. La tâche de la Cour est celle qui a été décrite dans Dunsmuir :

[47]      La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

III.             Analyse

[16]           C’est l’article 22 de la Loi qui permet au Ministre de verser des indemnités en cas d’invalidité :

Indemnisation en cas de décès ou d’invalidité

Minister may pay compensation

22. Le ministre ou son délégué peut, conformément aux règlements, verser une indemnité au titre du décès ou de l’invalidité d’un détenu ou d’une personne en semi-liberté résultant de sa participation à un programme agréé.

22. The Minister or a person authorized by the Minister may, subject to and in accordance with the regulations, pay compensation in respect of the death or disability of

 

(a) an inmate, or

 

(b) a person on day parole

 

that is attributable to the participation of that inmate or person in an approved program.

[17]           Les articles 121 à 144 du Règlement sont ceux qui gouvernent l’octroi d’indemnités d’invalidité. En l’espèce, c’est l’article 125 du Règlement qui fait l’objet du litige :

125. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le ministre ou son délégué refuse de verser une indemnité si la demande d’indemnité n’a pas été présentée :

125. (1) Subject to subsection (2), the Minister or authorized person shall not pay compensation unless a claim for compensation is submitted

a) en ce qui concerne le décès du détenu ou de la personne en semi-liberté, dans les trois mois suivant le décès;

(a) in the case of the death of an inmate or a person on day parole, within three months after the death; and

b) en ce qui concerne une invalidité, avant la date, postérieure à l’incident à l’origine de la demande, où le détenu ou la personne en semi-liberté est initialement mis en liberté en raison d’une libération conditionnelle totale, d’une libération d’office ou de l’expiration de sa peine.

(b) in the case of a disability, before the date on which, after the incident giving rise to the claim, the inmate or person on day parole is first released on full parole, on statutory release or on the expiration of the inmate’s or person’s sentence.

(2) Le Service peut proroger le délai visé au paragraphe (1) pour un maximum de deux ans après le décès ou l’incident lorsque le retard à présenter la demande est attribuable à des circonstances indépendantes de la volonté du demandeur et que ce retard ne nuira pas à l’enquête du Service.

(2) The Service may extend a period referred to in subsection (1) for a period of not more than two years after the death or the occurrence of the incident giving rise to the claim where the delay is due to circumstances beyond the claimant’s control and will not impede the Service’s ability to investigate the claim.

Ainsi, le Règlement fait une obligation au Ministre (Loi d’interprétation, LRC (1985), ch I-21, article 11; en anglais, l’utilisation de « shall » marque le point sans ambigüité) de refuser de verser une indemnité si la demande n’est pas faite à l’intérieur des délais. L’alinéa 125(1)b) fait en sorte que la demande devait être faite avant la libération d’office, soit le 12 septembre 2008.

[18]           Il ne fait donc aucun doute que le demandeur est hors délai. Le Ministre, ou son délégué, doit refuser de verser une indemnité. Le seul moyen offert au demandeur est de satisfaire le décideur de l’existence « de circonstances indépendantes de la volonté du demandeur ». En anglais, le Règlement parle en termes de « due to circumstances beyond the claimant’s control ».

[19]           Les parties n’ont pas tenté de définir le genre de circonstances qui pourraient être indépendantes de la volonté. On a plutôt argumenté sur la base que les circonstances présentées s’étaient produites ou non.

[20]           Dans l’espoir de pouvoir se réclamer de cette exception par ailleurs plutôt étroite, le demandeur prétend que le décideur a commis des erreurs en retenant que les trois employés du Service correctionnel, dont le demandeur se plaint d’avoir reçu de l’information incorrecte, n’avaient jamais tenu de tels propos. Outre d’affirmer que le décideur n’aurait pas dû retenir les dénégations des trois employés, il n’y a aucune démonstration, encore moins une démonstration convaincante, qu’il ne fallait pas retenir ces versions. Je ne vois rien qui puisse être qualifié de non raisonnable. Au mieux, le demandeur cherche à argumenter que certains d’entre eux pourraient avoir une motivation à mentir sans établir une telle motivation. Le poids de la preuve était tel que le décideur pouvait raisonnablement conclure que le demandeur n’avait pas été mal informé par le personnel de l’institution.

[21]           Le demandeur avait aussi fait grand cas d’une animosité alléguée de la part du médecin en institution qui aurait ainsi privé le demandeur de documents essentiels pour faire sa demande. Pourtant, il apparaît clair de la simple lecture de l’article 126 du Règlement que tels documents ne sont tout simplement pas requis pour pouvoir faire une demande valide qui aurait interrompu le délai de prescription :

Demandes d’indemnité

Claims for Compensation

126. Toute demande d’indemnité doit être faite par écrit, porter la signature du demandeur ou de son mandataire et contenir les renseignements suivants :

126. Every claim for compensation shall be in writing, signed by the claimant or a person legally authorized to act on behalf of the claimant, and set out the following information:

a) le nom du détenu ou de la personne en semi-liberté à l’égard de qui la demande est faite;

(a) the name of the inmate or person on day parole in respect of whom the claim is made;

b) en ce qui concerne une demande d’indemnité d’invalidité :

(b) in the case of a claim for a disability,

(i) la date de l’incident à l’origine de la demande,

(i) the date of the incident giving rise to the claim, and

(ii) la nature des soins médicaux qui ont été fournis au détenu ou à la personne en semi-liberté et le lieu où ils l’ont été;

(ii) the nature and location of any medical care provided to the inmate or person on day parole; and

c) en ce qui concerne une demande d’indemnité relative au décès du détenu ou de la personne en semi-liberté, les nom et adresse de toutes ses personnes à charge connues.

(c) in the case of a claim in respect of the death of an inmate or a person on day parole, the names and addresses of all known dependants.

En fait, on constate que l’information à fournir est rudimentaire.

[22]           Ne se comptant pas pour battu, le demandeur prétend maintenant que l’erreur du décideur serait qu’il n’a pas retenu que les documents ont été requis à la maison de transition pour aider à remplir la demande d’indemnisation. Comme on vient de le voir, cela n’était pas requis par la loi. D’abondant, le demandeur dit vouloir ces documents pour démontrer l’absence de coopération du médecin et les embûches qui se traduiraient ainsi en circonstances exceptionnelles. Non seulement il ne s’agit aucunement de circonstances exceptionnelles, puisque les documents qu’on prétend manquants n’étaient aucunement requis ou nécessaires, mais le fardeau du demandeur n’est pas de prétendre à des circonstances exceptionnelles : il est de satisfaire que les circonstances indépendantes de sa volonté expliquent le retard. L’ignorance de la loi ne me semble pas une telle circonstance et le demandeur n’a pas invoqué sa propre turpitude.

[23]           De façon générale, le demandeur a argué qu’il a agi de bonne foi et a fait preuve de diligence. De plus, il s’est réclamé de l’article 5 de la Loi qui donne au Service correctionnel du Canada le mandat de procéder à « la mise sur pied de programmes contribuant à la réadaptation des délinquants et à leur réinsertion sociale ».

[24]           Je ne nierais pas d’emblée que l’article 5 de la Loi puisse être utile dans l’interprétation du Règlement. Cependant, cet article ne permet pas de passer outre au texte clair de l’article 125 du Règlement : qui est hors délai doit (« shall ») se voir refuser l’accès à une indemnité, sauf s’il fait la démonstration que son retard est attribuable à des circonstances indépendantes de sa volonté. La bonne foi du demandeur n’est pas pertinente. On peut douter de la diligence puisque cela ressemble bien davantage à une ignorance de la loi, carence à laquelle une véritable diligence aurait dû palier facilement entre la date de la chute, le 2 octobre 2007, et la date de libération d’office, le 12 septembre 2008.

[25]           C’était au demandeur de démontrer non pas seulement qu’il y avait des circonstances indépendantes de sa volonté qui expliquaient qu’il a raté une date obligatoire, mais que le décideur a agi de façon déraisonnable en n’acceptant pas les explications du demandeur. La raisonnabilité tient à la justification, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel. Je n’aurais rien à redire en l’espèce. La décision tombe au sein des issues possibles acceptables au regard des faits et du droit.

[26]           Ainsi, la Cour conclut, sans décider si les circonstances alléguées pouvaient satisfaire au critère du paragraphe 125(2) du Règlement, que le décideur rendait une décision raisonnable en rejetant les allégations faites. Il n’était pas nécessaire de conclure si ces allégations pouvaient par ailleurs être parmi les circonstances qui seraient indépendantes de la volonté du demandeur.

[27]           Il en résulte que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties ont convenu que des dépens au montant de 500 $ pourraient être imposés. La Cour fait droit à cette suggestion commune et ordonne le paiement de dépens au montant de 500 $ par le demandeur.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée et ordonne le paiement de dépens au montant de 500 $ par le demandeur.

« Yvan Roy »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1294-13

 

INTITULÉ :

RAYMOND LANDRY c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, SERVICE CORRECTIONNEL CANADA, RESSOURCES HUMAINES ET DÉVELOPPEMENT SOCIAL CANADA, SERVICE FÉDÉRAL D'INDEMNISATION DES ACCIDENTÉS, (INDEMNISATION RHDCC-TRAVAIL RÉGION DU QUÉBEC)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 mars 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 31 juillet 2014

 

COMPARUTIONS :

Me Danielle Florence Tremblay

 

Pour le demandeur

 

Me Véronique Forest

 

Pour les défendeurs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Tremblay Bigler Thivierge

Avocats

St-Jean-sur-Richelieu (Québec)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour les défendeurs

 

 

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