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Date : 20140731


Dossier : IMM-2053-13

Référence : 2014 CF 767

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 31 juillet 2014

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

NORBERT BENJAMI TAR (ALIAS NORBERT BENJAMIN TAR), ZITA SZEKELY

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], visant la décision en date du 2 février 2013 [la décision] par laquelle de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut du réfugié [la SPR ou la Commission] a rejeté la demande des demandeurs, qui cherchaient à se voir reconnaître la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.

LE CONTEXTE

[2]               Les demandeurs sont un jeune couple de Hongrie. Le demandeur, M. Tar, a 22 ans et est d’origine ethnique hongroise, tandis que la demanderesse, Mme Szekely, de 21 ans, est d’origine ethnique rom. Ils déclarent que la mère du demandeur et de nombreuses autres personnes en Hongrie réprouvent leur relation « interethnique ». En raison de cette situation, ils ont été victimes de violence, d’intimidation et de menaces. Ils sont arrivés au Canada le 15 septembre 2011 et ont demandé l’asile.

[3]               Les demandeurs se sont rencontrés en septembre 2009, sont tombés amoureux et ont commencé une relation. La mère de M. Tar, que l’on présente comme une sympathisante du Jobbik (parti politique hongrois radical et nationaliste), a renié son fils, qui, à 18 ans, a été vivre chez la famille de Mme Szekely. Les demandeurs déclarent avoir été menacés et attaqués à maintes reprises par des groupes d’extrême droite, notamment par les frères de la mère de M. Tar, et que celui‑ci a été qualifié de « traître » à la race hongroise à cause de sa relation avec Mme Szekely.

[4]               Les demandeurs s’appuient tous deux sur l’exposé circonstancié joint aux formulaires de renseignements personnels [FRP] de M. Tar, dans lequel il rapporte comme suit une série d’événements survenus entre septembre 2009 et mai 2011.

[5]               Quand la relation des demandeurs a commencé en septembre 2009, la mère de M. Tar l’a interdite et a demandé à un ami, Peter Wittman, de les suivre, de les espionner et de « se débarrasser » de Mme Szekely. M. Tar affirme avoir surpris cette conversation.

[6]               Le 26 octobre 2009, alors que M. Tar accompagnait Mme Szekely de l’école à son domicile, des néo-nazis se sont approchés d’eux à la gare Keleti. Ils ont commencé à « bousculer » Mme Szekely et à la traiter de « chienne de tsigane puante ». M. Tar s’est battu avec les agresseurs, qui l’ont rossé, il a aussi été mordu par leur pit-bull. Il a eu une arcade sourcilière ouverte et le nez cassé. Mme Szekely a été frappée au visage, ses vêtements ont été déchirés et elle saignait du nez. Elle a couru demander de l’aide aux policiers de la gare mais, aux dires des demandeurs, ceux‑ci ont refusé d’agir quand elle a confirmé qu’elle était rom. Ils lui ont dit que les néo‑nazis n’existent que dans les contes et qu’elle ferait mieux de rentrer chez elle car ils n’étaient pas payés pour aider les tsiganes. Un passant a appelé une ambulance, et M. Tar a été emmené dans une clinique proche, où on l’a examiné et on a pansé ses blessures.

[7]               Selon M. Tar, les néo‑nazis attaquaient et harcelaient régulièrement le district où habitait la famille de Mme Szekely, et la police locale était connue pour son racisme, sa brutalité, sa dureté et sa corruption. Il déclare que des menaces avaient été peintes sur les murs de la maison de la famille de Mme Szekely, et qu’en juin 2009 (initialement indiqué juin 2010, puis modifié), la cave ou le dépôt de la maison avait été incendié par des inconnus.

[8]               Selon le FRP, en septembre 2010, Mme Szekely était « constamment harcelée et menacée » par des « contacts néo-nazis » de la mère de M. Tar, lequel a fini par comprendre que cela continuerait tant que Mme Szekely et sa famille n’auraient pas déménagé ou qu’il ne cesserait pas de la voir. Il a décidé de continuer la relation et a emménagé chez Mme Szekely et sa famille.

[9]               De mars à mai 2011, de nouveaux groupes néo-nazis, armés de couteaux, de revolvers, de chaînes et d’épées, ont commencé à se montrer dans le district. Les amis de la mère de M. Tar sont par ailleurs devenus plus agressifs : ils attendaient devant la maison des demandeurs et les dérangeaient en leur téléphonant maintes fois par jour. M. Tar affirme que sa vie était en danger.

[10]           Le 25 mai 2011, les demandeurs affirment avoir été suivis dans le tramway par les amis néo-nazis de la mère de M. Tar, qui se sont approchés d’eux, les ont menacés avec un couteau, ont lacéré les vêtements de M. Tar et pointé un couteau sur le cou de Mme Szekely. Un groupe de six ou huit néo‑nazis qui étaient aussi dans le tramway se sont joints à l’agression, et toute la famille a été battue. Selon le FRP, le conducteur a arrêté son tramway et a appelé la police et l’ambulance, mais une fois sur place, les policiers ont refusé de rédiger un rapport. Le conducteur du tramway hésitait à témoigner, parce qu’il craignait pour sa sécurité étant donné qu’il était assigné à la même ligne tous les jours. Il a déclaré aux policiers qu’il y avait une caméra dans le tramway, mais ces derniers ont dit qu’ils n’avaient pas le temps de regarder des vidéos. Ils ont déclaré aux demandeurs qu’ils avaient de la chance de ne pas être arrêtés pour avoir troublé l’ordre public, parce qu’ils devaient avoir fait du bruit et endommagé le tramway, et c’est pour cela que les « volontaires » du Jobbik avaient décidé de leur donner une correction.

[11]           À l’audition de la demande d’asile, M. Tar a déclaré qu’il a aussi porté plainte à la police du district où ils habitaient et auprès d’une organisation des droits de la personne à Budapest qui s’occupe des plaintes quand la police ne réagit pas. Toutefois, ni l’une ni l’autre n’a voulu les aider.

[12]           Les demandeurs affirment que c’est après l’agression de mai 2011 qu’ils ont décidé de quitter la Hongrie et de se réfugier au Canada. Ils affirment n’avoir jamais reçu d’aide ou de soutien de la part de la police et, craignent, advenant leur retour en Hongrie, pour leur vie.

[13]           M. Tar a déclaré que pendant la période de quatre mois qui a suivi l’incident du tramway et précédé leur départ de Hongrie, ils sont rarement sortis de la maison, et que Peter Wittman et ses amis les ont appelés et les ont menacés par téléphone 10 ou 15 fois.

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[14]           La SPR a axé son analyse sur la crédibilité des demandeurs et sur la question de la protection de l’État. Elle a déclaré que la question déterminante était de savoir si la crainte des demandeurs était objectivement raisonnable.

[15]           La Commission a conclu que les preuves des demandeurs comportaient des incohérences, notamment en ce qui concerne « le moment où a eu lieu l’incident déclencheur et le moment où ils sont allés porter plainte à la police après l’incident dans le tramway ». Elle a fait observer :

Le demandeur d’asile a d’abord mentionné au cours de son témoignage qu’il s’était présenté au poste de police le lendemain, soit le 26 mai, puis, tout de suite après, il a affirmé qu’il y était allé le jour même de l’incident.

[16]           La Commission a souligné que d’autres modifications avaient été apportées au FRP, mais que la date de l’agression présumée dans le tramway, soit le 25 mai, n’avait pas été modifiée pour celle déclarée par M. Tar, soit le 26 mai. Quand on l’a interrogé à propos de cette divergence, il a répondu [traduction] « J’ai peut-être fait une erreur ». Puis la Commission a poursuivi en ces termes à propos de cet incident :

Compte tenu de l’absence de rapport médical ou de rapport de police, j’estime ne pas avoir été saisie d’éléments de preuve fiables démontrant que l’incident est effectivement survenu ou que ce sont les amis de Peter qui en sont les responsables, comme l’a mentionné le demandeur d’asile. Le demandeur d’asile a déclaré ne pas avoir été en mesure de produire des éléments de preuve corroborants parce que le chauffeur de l’ambulance s’est contenté de bander la main du demandeur d’asile et de lui donner de l’eau, et que les policiers n’ont pas pris la déposition du chauffeur de l’ambulance. Je ne suis pas convaincue que le service d’ambulance aurait refusé de remettre un rapport au demandeur d’asile si celui-ci avait demandé la confirmation de l’aide reçue. Le demandeur d’asile s’est vu demander s’il était allé voir les autorités des transports en commun pour obtenir une copie de la vidéo où, selon lui, il est possible de voir l’agression que les demandeurs d’asile ont subie. Le demandeur d’asile a répondu ne pas l’avoir fait étant donné qu’il savait que les policiers n’agiraient pas et que, par conséquent, ce serait inutile. Je me permets respectueusement d’affirmer que je ne partage pas l’avis du demandeur d’asile parce que cela aurait au moins apporté une preuve à l’appui des allégations de celui-ci contre les personnes envoyées par sa mère pour lui causer du tort ainsi qu’une preuve sur laquelle il pourrait s’appuyer pour démontrer que les policiers de service ne l’aidaient pas. Par conséquent, je ne peux pas conclure que le demandeur d’asile a produit des éléments de preuve fiables pour démontrer que l’incident survenu dans le tramway a bel et bien eu lieu.

[17]           La Commission a fait remarquer que cet incident aurait eu lieu quatre mois avant que les demandeurs ne quittent la Hongrie. Ils ont expliqué qu’il leur a fallu du temps pour vendre certaines choses, et que les billets d’avion coûtent moins cher en septembre. La Commission a écrit que même « si cela peut effectivement être le cas », elle estimait que « les demandeurs d’asile n’ont pas connu d’autres incidents commis par la mère du demandeur d’asile ». Elle a notamment rejeté le témoignage de M. Tar selon lequel ils avaient reçu 10 à 15 appels de menaces de la part de « Peter ou ses amis », et a conclu, à propos de ces appels, que la preuve fournie par les demandeurs ne faisait état d’aucune demande d’aide à cet égard.

[18]           La Commission a souligné que les demandeurs ont déclaré, pour justifier leur retard à quitter la Hongrie, qu’ils sont demeurés chez eux sauf quand il était nécessaire de sortir. Pourtant, selon le FRP, ils ont tous deux continué d’aller à l’école jusqu’en juin 2011. Quand on l’a interrogée à ce sujet, Mme Szekely a déclaré que son FRP était erroné et qu’elle avait cessé d’aller à l’école en mai 2010; la Commission a rejeté cette explication, car l’erreur n’a été reconnue que lorsque la divergence a été signalée à Mme Szekely.

[19]           La Commission a fait observer que les demandeurs « ne se sont pas montrés tout à fait sincères » dans leur FRP, en particulier que Mme Szekely n’avait pas énuméré correctement tous ses proches (quelques-uns étaient aussi venus au Canada et avaient présenté des demandes distinctes) ni leur lieu de résidence. Quand on l’a interrogée à cet égard, elle a répondu : [traduction] « [j]e ne sais pas. Je ne peux pas me souvenir ». La SPR a décidé de ne pas en tirer de conclusion défavorable, concluant que les demandeurs suivaient les consignes du traducteur qui s’était lié d’amitié avec eux au Centre communautaire rom.

[20]           La Commission a accepté que « les demandeurs d’asile forment un couple où chaque membre a une origine ethnique différente, ce qui a grandement déplu à la mère du demandeur d’asile parce que la demandeure d’asile est à moitié rom ».

[21]           À propos de la protection de l’État, la Commission a fait remarquer qu’il existe une présomption selon laquelle les pays sont en mesure de protéger leurs citoyens et que, comme la Hongrie est une démocratie parlementaire multipartite, cette présomption est élevée. La Commission a examiné la preuve documentaire concernant la protection de l’État à l’égard des Roms en Hongrie et a conclu qu’elle n’était « pas uniforme » :

[22]      J’estime que, selon la prépondérance des probabilités, l’État est motivé et disposé à mettre en œuvre des mesures et qu’il est apte à s’acquitter de la protection des Roms sur le terrain. Je reconnais toutefois qu’il y a des critiques selon lesquelles ces mesures ne sont pas toujours mises en œuvre efficacement à l’échelon local ou municipal. Bref, la preuve documentaire n’est pas uniforme en ce qui a trait aux efforts du gouvernement visant à protéger les Roms et à prendre des mesures législatives contre des formes élargies de discrimination et de persécution.

[22]           À propos de la situation particulière des demandeurs, la Commission a conclu qu’ils n’avaient prouvé de manière claire et convaincante que la protection de l’État était insuffisante :

Je ne peux estimer, dans aucun des incidents décrits par les demandeurs d’asile pour faire valoir que la protection de l’État n’était pas ou n’est pas adéquate, qu’ils ont tenté raisonnablement de demander réparation de la part d’une autorité policière ou d’une autorité de l’État supérieure relativement à ces incidents.

[23]           La Commission a fait observer que M. Tar a témoigné qu’il n’avait pas signalé les menaces et les exactions de sa mère et de ses amis parce qu’il ne voulait pas impliquer celle‑ci dans la procédure ou que ses parents aient des problèmes avec la police. Quand on lui a demandé ce qui serait arrivé s’il avait dénoncé sa mère ou ses amis néo‑nazis, il a répondu qu’il y [traduction] « aurait probablement eu un procès ou qu’ils auraient été détenus ». La Commission a déduit que M. Tar pensait que l’État aurait pris des mesures si la situation avait été signalée et a conclu qu’il n’était « pas raisonnable que le demandeur d’asile n’ait pas dénoncé sa mère à la police ou à une autre autorité de l’État s’il croyait effectivement qu’elle voulait mettre sérieusement sa vie ou celle de sa conjointe de fait en danger ». La SPR a rejeté le témoignage de M. Tar selon lequel il aurait signalé aux autorités que Peter était responsable des menaces mais les autorités n’en avaient que faire. Elle a conclu que M. Tar avait présenté des preuves douteuses pour établir à qui ceci avait été signalé et qu’il n’avait pas indiqué cette information dans l’exposé circonstancié de son FRP.

[24]           La SPR a reconnu que les demandeurs et d’autres Roms faisaient l’objet de discrimination, mais a estimé que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de protection par l’État. La Commission a fait observer ceci :

[24]      Même si je ne doute pas que les demandeurs d’asile puissent avoir subi de la discrimination en raison de leur relation interethnique, j’estime que ni l’un ni l’autre n’a produit les éléments de preuve clairs et convaincants requis démontrant que, selon la prépondérance des probabilités, la protection de l’État en Hongrie n’est pas adéquate.

La Commission a ajouté ce qui suit :

[26]      Je peux comprendre que le demandeur d’asile ait choisi de vivre au sein de la famille rom de la demandeure d’asile, dans une communauté rom de Budapest qui, comme d’autres communautés roms, faisait l’objet de harcèlement et de discrimination de la part d’extrémistes de droite. Toutefois, l’examen de la situation de ces deux demandeurs d’asile ne me permet pas de conclure qu’ils ont fait des efforts raisonnables et diligents pour solliciter une protection.

[25]           La Commission a conclu que le code pénal hongrois ne disposait pas de disposition particulière concernant la « violence familiale », mais que les demandeurs pourraient, en vertu de dispositions plus générales, porter des accusations ou demander des injonctions s’ils étaient importunés par la mère de M. Tar ou par d’autres personnes de la part de celle‑ci. Si les demandeurs devaient éprouver des problèmes avec ces personnes à leur retour en Hongrie, ils pourraient faire appel, selon la Commission, au ministère des Ressources Nationales, qui assure en permanence une ligne d’urgence pour les victimes de maltraitance et finance onze refuges pour les personnes issues de milieux sociaux défavorisés. Elle a fait état d’une loi adoptée en 2009 qui prévoit des protections pour les personnes victimes de violence conjugale ou de « violence familiale » et a estimé que les demandeurs pourraient bénéficier.

[26]           Tout en déclarant qu’elle fait « l’éloge du refus des demandeurs d’asile d’accepter le fait que l’ethnicité les empêche d’avoir une relation ensemble », la Commission a conclu qu’ils n’avaient pas réfuté la présomption de la protection de l’État et qu’ils n’étaient donc ni des réfugiés au sens de la Convention, ni des personnes à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.

LES QUESTIONS À TRANCHER

[27]           Les demandeurs soumettent les questions suivantes à l’attention de la Cour.

a.       La Commission a-t-elle manqué à l’équité procédurale lorsqu’elle a refusé aux avocats la possibilité de présenter des observations concernant la crédibilité de M. Tar?

b.      La Commission a-t-elle tiré des conclusions déraisonnables quant à la crédibilité?

c.       La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que les demandeurs bénéficiaient en Hongrie d’une protection suffisante de l’État?

LA NORME DE CONTRÔLE

[28]           La Cour suprême du Canada a affirmé, dans Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], qu’il n’est pas nécessaire de se livrer dans tous les cas à une analyse relative à la norme de contrôle. En fait, lorsque la norme de contrôle qui s’applique à la question en litige est bien établie par la jurisprudence, la cour chargée du contrôle peut l’adopter. Ce n’est que lorsque cette recherche se révèle infructueuse, ou lorsque la jurisprudence en la matière semble être incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire que la cour chargée du contrôle entreprend l’examen des quatre éléments de l’analyse relative à la norme de contrôle : Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36 au paragraphe 48.

[29]           Les questions d’équité procédure visées à la question a. susmentionnée sont assujetties à la norme de contrôle de la décision correcte : Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au paragraphe 79; Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29 au paragraphe 100; Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404 au paragraphe 53.

[30]           Les conclusions de la Commission quant à la crédibilité sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Stephen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1054 au paragraphe 15; Aguebor c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [1993] ACF no 732 au paragraphe 4, 160 NR 315 (CAF); Cienfuegos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1262 au paragraphe 2.

[31]           La norme de contrôle applicable aux conclusions de la Commission concernant la protection de l’État dépend du fondement de ces conclusions et des erreurs présumées. La Cour a récemment affirmé que la question de savoir si le bon critère a été appliqué à la question de la protection de l’État est assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte : Ruszo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1004 au paragraphe 22; Buri c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 45 aux paragraphes 16‑18. En revanche, la question de savoir si la Commission a commis une erreur en appliquant les règles de droit établies concernant la protection de l’État aux faits d’une affaire déterminée est une question mixte de fait et de droit qui est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. En l’espèce, ce sont les conclusions de la Commission fondées sur les faits de l’espèce et sur la preuve dont elle disposait qui sont en cause, et ces conclusions sont assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable.

[32]           Lorsque la Cour effectue le contrôle de la décision selon la norme de la raisonnabilité, son analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. » Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

LES DISPOSITIONS LÉGALES

[33]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce.

Définition de « réfugié »

Convention refugee

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

[…]

[…]

ARGUMENTATION

Les demandeurs

[34]           Les demandeurs soutiennent que la Commission a commis trois erreurs. Premièrement, elle a manqué à l’équité procédurale en refusant à leurs avocats la possibilité de présenter des observations concernant la crédibilité de M. Tar. Deuxièmement, elle a tiré des conclusions déraisonnables quant à la crédibilité des deux demandeurs. Enfin, concernant la question de la protection de l’État, elle a omis d’évaluer la nature de la démocratie en Hongrie et a erronément conclu que les demandeurs y bénéficient d’une protection suffisante de l’État.

[35]           Le premier argument porte sur la divergence qui s’est manifestée à propos de la date de l’agression dans le tramway. M. Tar a témoigné qu’elle s’est produite le 26 mai, alors que selon le FRP, elle s’est produite le 25 mai. Les demandeurs affirment qu’à l’audience, leur avocat a tenté d’aborder le sujet, mais la commissaire l’a interrompu en lui disant que cela ne posait pas « problème ». Leur avocat a donc poursuivi sa plaidoirie sans présenter d’observations supplémentaires à ce sujet. Or, selon les demandeurs, ce point s’est avéré être décisif pour la décision.

[36]           Les demandeurs font valoir que les règles de justice naturelle exigent que le demandeur soit correctement informé des arguments qui seront invoqués à son encontre et qu’il ait la possibilité d’y répondre : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Dhaliwal-Williams, [1997] ACF no 567 au paragraphe 7, 131 FTR 19. Ainsi, les demandes ne peuvent pas être tranchées sur le fondement de questions qui n’avaient pas été énoncées comme étant des questions en litige avant ou pendant l’audience : Gomes c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 419 au paragraphe 14. La Cour a conclu qu’il y a manquement à l’équité procédurale lorsque le commissaire interrompt l’avocat des demandeurs pour déclarer qu’un argument sur une question est accepté, puis, dans sa décision ultérieure, il tire une conclusion contraire sans avoir informé les demandeurs ni leur avoir donné la possibilité d’être entendus sur la question : Sanabria c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 668 aux paragraphes 16 et 18. À tout le moins, si elle avait changé d’avis sur ce point, la Commission aurait dû donner aux demandeurs ou à leurs avocats la possibilité de présenter des observations supplémentaires.

[37]           Les demandeurs déclarent que la Commission a également commis une erreur lorsqu’elle a conclu qu’ils n’étaient pas crédibles à propos des 10 à 15 appels téléphoniques de menaces qu’ils affirment avoir reçu des amis extrémistes de la mère de M. Tar entre l’agression dans le tramway et leur départ de Hongrie. Ils déclarent que ce témoignage a été rejeté à cause de la contradiction dans le témoignage de Mme Szekely à propos du moment où elle a cessé d’aller à l’école. Elle a déclaré à l’audience qu’elle a arrêté de fréquenter l’école en mai 2010, mais, selon le FRP, c’était en juin 2011. Selon les demandeurs, cette contradiction n’a aucune incidence sur la question de savoir si les appels ont bien eu lieu et, en se fondant sur cette contradiction pour rejeter leur témoignage à cet égard, la Commission s’est appuyée sur un point accessoire. Un tel examen à la loupe des preuves à propos de questions qui ne sont pas essentielles à la demande constitue selon eux une erreur : Attakora c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] ACF no 444, 99 NR 168 (CAF); M.M. c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 15 Imm LR (2d) 29, 137 NR 1 (CAF). De surcroît, la Commission n’a pas tiré de conclusion claire et pertinente quant à la crédibilité : Hilo c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] ACF no 228, 15 Imm LR (2d) 199 (CAF).

[38]           Les demandeurs soutiennent enfin que la Commission s’est trompée dans son analyse de la protection de l’État, en interprétant erronément la preuve documentaire, en se méprenant sur les mécanismes de « plainte » relatifs à la protection de l’État et en n’évaluant pas la nature de la démocratie en Hongrie.

[39]           La Commission a conclu que la discrimination contre les Roms est largement répandue, mais a cité un rapport d’Amnistie Internationale où il est écrit que [traduction] « les plaintes soumises à la police ne sont pas ignorées ». Le rapport faisait état de l’arrestation de quatre suspects et de l’inculpation de trois d’entre eux pour neuf attaques avec violence à l’encontre de Roms. Les demandeurs déclarent qu’il s’agit de la seule preuve documentaire citée par la Commission concernant les véritables réponses de la police avant qu’elle conclue que la preuve documentaire concernant la protection de l’État était « inégale ». De plus, le rapport d’Amnistie Internationale qu’elle a cité tire la conclusion exactement opposée de celle de la Commission. Les demandeurs citent les extraits suivants du rapport :

Des recherches menées par Amnesty International sur certaines de ces neuf agressions et sur d’autres incidents connus ont révélé que les autorités hongroises n’avaient pas identifié ces agressions contre des Roms en Hongrie et n’y avaient pas apporté de réponse adéquate, notamment en n’enquêtant pas sur d’éventuelles motivations raciales. Le présent rapport énumère les carences des réponses apportées par le système judiciaire hongrois aux crimes motivés par la haine. Même si la législation hongroise prévoit des dispositions destinées à lutter contre les crimes de haine, elles ne sont pas mises en œuvre correctement, notamment parce que la police n’a pas la possibilité de reconnaître des crimes motivés par la haine et d’enquêter à leur sujet et qu’elle manque de formation pour le faire.

[Amnistie Internationale, Hongrie. Agressions contre les Roms en Hongrie. Il faut enquêter sur les motivations racistes des agresseurs, novembre 2010, dossier de la demande, page 328, souligné par les demandeurs]

[40]           Les demandeurs font valoir que la Commission n’a pas cité aucune autre preuve à l’appui de la proposition selon laquelle la police intervient adéquatement auprès des Roms victimes de crimes motivés par la haine. La preuve accablante qui a été présentée à la Commission prouve au contraire que la discrimination et la maltraitance généralisées et systémiques à l’égard des Roms dans la société hongroise en général sont présentes tant dans la police que dans les institutions publiques : voir réponses aux demandes d’information [RDI], HUN103826.E (12 octobre 2011) et HUN104110.E (16 juillet 2012); Amnistie Internationale, Rapport annuel 2012, dossier de demande, pages 198 et suivantes; Amnistie Internationale, Il faut que la Hongrie mène une enquête exhaustive sur les attaques menées contre des Roms (10 novembre 2010), dossier de la demande, pages 135‑137.

[41]           Les demandeurs déclarent que les mécanismes relatifs à la violence familiale dont fait état la Commission n’ont aucune pertinence, car ils n’ont pas été attaqués par des membres de leur famille, mais par des extrémistes racistes. Un unique exemple d’intervention policière dans une série d’agressions très médiatisées contre des Roms ne démontre pas que la police intervient correctement en cas de violence contre les Roms en général. Les demandeurs citent l’analyse de la Cour dans l’affaire Orgona c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1438 [Orgona], où la Commission avait mentionné les mêmes arrestations que la Commission en l’espèce (paragraphes 12‑13) :

[12] […] La SPR mentionne un document qui décrit une série de neuf agressions particulièrement horribles commises contre des membres de la collectivité rom entre janvier 2008 et août 2009. Ces agressions avaient un point commun, soit que leurs auteurs faisaient usage de cocktails Molotov et d’armes à feu. Les victimes étaient tuées, brûlées ou grièvement blessées.

[13]   Ces crimes ont fait l’objet d’une enquête et quatre personnes ont finalement été accusées. Or, cet élément de preuve ne révèle rien des efforts consentis pour démasquer et poursuivre ceux qui ont été impliqués dans les nombreuses « autres » agressions contre des Roms en Hongrie ou des résultats de ces efforts. La preuve concernant les mesures prises par la police pour réagir à des meurtres en série connus de tous et largement médiatisés ne donne pas vraiment une idée de la façon dont la police traite les criminels qui ressortent moins du lot. Cependant, s’appuyant sur cette réaction particulière à ces horribles crimes planifiés, la SPR concluait qu’[traduction] « il existe de solides éléments de preuve objectifs démontrant que la police a mené des enquêtes et procédé à des arrestations ». La situation des demandeurs, et de la plupart des Roms, n’est pas celle des victimes de ces neuf agressions. Par conséquent, la SPR a commis une erreur en s’appuyant, de façon sélective, sur des éléments de preuve qui avaient peu à voir avec les demandeurs et leur situation en Hongrie.

[Souligné par les demandeurs.]

[42]           Les demandeurs soutiennent que l’existence de mécanismes de « plainte » ne prouve pas que la police peut protéger les Roms des agressions racistes. La Cour a affirmé que seule la police a la charge de protéger les citoyens d’un pays, et a critiqué dans d’autres décisions le fait que la Commission se fie à des ONG et à d’autres modes de protection : Katinszki c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1326 aux paragraphes 14‑15 [Katinszky]; Zepeda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 491 aux paragraphes 24‑25 [Zepeda]. La preuve documentaire confirme que les mécanismes de plainte cités ne se substituent pas à la protection de la police pour les Roms victimes de violence, car ils se bornent à présenter des recommandations non contraignantes et ne prévoient pas le pouvoir d’imposer des sanctions si les autorités ne suivent pas ces recommandations : RDI, HUN103826.E (12 octobre 2011), dossier de la demande, pages 221‑224.

[43]           Les demandeurs soutiennent que la Commission a conclu à tort qu’ils n’avaient pas épuisé tous les recours en Hongrie, car elle s’est fondée sur la prémisse erronée et simpliste que la « Hongrie est une démocratie » où sont tenues des « élections libres et équitables » et où le « système judiciaire […] est relativement indépendant et impartial ». La jurisprudence récente a précisé que la présomption de la protection de l’État dans les pays démocratiques « s’inscrit dans un contexte », mais que « [le principe] n’est pas absolu, la présomption variant selon la nature de la démocratie dans le pays en cause » : Sow c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 646 aux paragraphes 10‑12; voir aussi Gilvaja c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 598 au paragraphe 43; Capitaine c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 98 aux paragraphes 21‑22; décision Zepeda, précitée, paragraphe 20. La démocratie seule ne garantit pas la protection de l’État; la Commission doit plutôt tenir compte de la qualité des institutions chargées de fournir cette protection. La Cour a précédemment indiqué que la démocratie en Hongrie est à son niveau historiquement le plus bas (décision Katinszky, précitée, paragraphe 17), et les changements récents ont sapé les institutions démocratiques hongroises (Département des États-Unis, Country Reports on Human Rights Practices for 2011, Hungary [Rapport du DÉ des É.-U.], dossier de la demande, page 156). Les demandeurs affirment que la Commission n’a pas saisi l’importance de ces preuves.

Le défendeur

[44]           Le défendeur prétend que la demande a été refusée parce que les demandeurs n’étaient pas crédibles et qu’ils peuvent se prévaloir de la protection de l’État en Hongrie. Par ailleurs, il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale.

[45]           Concernant l’équité procédurale, le défendeur déclare que les demandeurs ont été avisés plusieurs fois à l’audience du fait que leur crédibilité posait problème (voir transcription, dossier certifié du tribunal (DCT), volume 2, pages 357 et 359), que M. Tar a été directement interrogé à propos de la contradiction dans son témoignage (transcription, DCT, page 374), et que leur avocat a eu la possibilité de s’exprimer à ce sujet, ce qu’il a d’ailleurs fait (transcription, DCT, pages 389 et 396).

[46]           Selon le défendeur, si l’on tient compte de l’ensemble du contexte du débat, le commentaire de la Commission selon lequel cela ne posait pas problème renvoyait peut‑être à la question de la discrimination que subissait M. Tar en raison de sa relation avec une femme d’origine à moitié rom. Une telle interprétation trouve appui dans ce qu’a déclaré la SPR dans ses motifs, à savoir qu’elle reconnaissait que les demandeurs étaient victimes de discrimination en raison de leur relation interraciale (voir les paragraphes 24, 26, 35 de la décision).

[47]           Qui plus est, même si le commentaire de la Commission est « malheureux ou imprécis », il ne suffit pas pour conclure à un manquement à l’équité procédurale pour les raisons susmentionnées : on a dit aux demandeurs que leur crédibilité posait problème, M. Tar a été interrogé à propos de son témoignage contradictoire et leur avocat a eu la possibilité de s’exprimer à ce sujet, ce qu’il a d’ailleurs fait. Le défendeur fait un lien entre la situation en cause en l’espèce et celle de l’affaire Hou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 993, dans laquelle la Cour a jugé que des commentaires « malencontreux » de la même nature formulés par la Commission ne donnaient pas lieu à un manquement au principe de l’équité procédurale, car la question pertinente (soit le fait de savoir) avait été soulevée dès le début de l’audience, et l’avocat avait eu la possibilité de faire valoir son point de vue à cet égard (voir paragraphes 43-51). Il cite également Haji c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] ACF no 682 aux paragraphes 13-14, 2003 CFPI 528, où la Commission a reconnu qu’il n’y avait pas chose jugée à l’égard d’une question et a accepté les observations sur le fond, mais a ultérieurement statué qu’il y avait chose jugée. La Cour a conclu qu’il n’y avait pas eu de manquement à l’équité procédurale, car il avait été dit à l’audience qu’on pourrait faire jouer le principe de l’autorité de la chose jugée et l’avocat du demandeur a eu la possibilité de faire valoir son point de vue à cet égard.

[48]           Le défendeur prétend que les conclusions de la Commission quant à la crédibilité commandent la déférence et sont raisonnables. À propos de la présumée agression dans le tramway, il n’y a pas suffisamment de preuves fiables pour démontrer qu’elle a réellement eu lieu. Tout d’abord, M. Tar n’a pu indiquer clairement quand elle s’est produite ou s’il a été porter plainte à la police. Ensuite, il n’a rien fait pour obtenir des dossiers médicaux pour les blessures qu’il aurait subies ou une copie du vidéo de l’agression dans le tramway. Il ressort clairement de la jurisprudence que l’omission de fournir les pièces justificatives que l’on est raisonnablement en droit d’attendre peut influer sur la crédibilité du demandeur : Adu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] ACF no 114 au paragraphe 1, 53 ACWS (3d) 158 (CAF); Benmaran c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 755 au paragraphe 7. La Commission a aussi tenu compte du fait que les demandeurs ont continué de vivre en Hongrie et d’aller à l’école pendant quatre mois après cette prétendue agression, jusqu’à ce qu’ils quittent leur pays. Étant donné tous ces faits, le défendeur déclare que la Commission a raisonnablement conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves fiables pour démontrer que l’incident dans le tramway avait eu lieu.

[49]           Selon le défendeur, il était également raisonnable de la part de la Commission de conclure que les prétendus appels de menace n’ont pas eu lieu. Le témoignage de Mme Szekely sur le moment où elle a cessé d’étudier a révélé des contradictions, mais ce ne sont pas sur celles‑ci que repose principalement la conclusion que ces appels n’ont pas eu lieu. Cette conclusion reposait plutôt sur le fait que les demandeurs ont retardé leur départ, qu’ils n’ont rien fait pour porter plainte à la police ou solliciter de toute autre façon la protection de l’État et qu’ils ont continué de fréquenter l’école. La Commission n’a pas retenu le témoignage de Mme Szekely selon lequel elle a cessé de fréquenter l’école en mai 2010, parce qu’elle n’a rien fait pour corriger la déclaration de son FRP jusqu’à ce que la Commission lui souligne la contradiction.

[50]           Le défendeur soutient, au sujet de la protection de l’État, que la Commission a conclu de façon raisonnable qu’elle existait, à la fois parce que la preuve documentaire en fait état et parce que les demandeurs n’ont pas pris de mesure raisonnable pour s’en prévaloir.

[51]           L’omission du demandeur de s’adresser à l’État pour obtenir sa protection fera échouer sa revendication dans le cas où la protection [traduction] « aurait pu raisonnablement être assurée ». Ce ne sont que dans des circonstances exceptionnelles que le demandeur sera exempté de l’obligation de solliciter la protection de l’État. Or, en l’espèce, il n’y en a pas : Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689 aux pages 709, 724-725, 752; Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171 paragraphes 41, 43‑44; Mendoza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 119 au paragraphe 33; Carrillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94 aux paragraphes 18, 30.

[52]           Le défendeur affirme que la Commission a reconnu que les Roms subissent de la discrimination en Hongrie, mais qu’elle a raisonnablement conclu, après examen de la preuve documentaire, que la police fournit une protection adéquate. La Commission a signalé des exemples précis d’enquêtes et de poursuites ayant eu lieu et, de façon plus générale, a discuté d’actes de violence. Elle a conclu que la police n’ignore pas les plaintes et que les actes criminels commis contre des Roms font régulièrement l’objet d’enquêtes, de poursuites et de déclarations de culpabilité ou d’autres mesures disciplinaires. Certes, il peut y avoir des problèmes de corruption policière (motivée surtout par le lucre) et de discrimination mais, dans l’ensemble, on peut compter sur la Hongrie pour fournir la protection aux demandeurs en cas de besoin : voir la décision aux paragraphes 13‑34, Rapport du DÉ des É.‑U., DCT aux pages 79‑80, 82‑83, 103‑104; RDI, HUN103566.E (22 septembre 2010).

[53]           Le défendeur affirme que la question cruciale est que les demandeurs n’ont pas pris de mesures adéquates pour obtenir la protection de l’État. Ils n’ont jamais porté plainte à la police pour l’agression dont serait responsable la mère de M. Tar ou pour les prétendues menaces proférées par ses amis néo‑nazis. Quand on a demandé à M. Tar ce qui serait arrivé s’il avait signalé sa mère ou ses amis néo-nazis, il a répondu qu’il y [traduction] « aurait probablement eu un procès ou qu’ils auraient été détenus ». La Commission a raisonnablement conclu, sur le fondement de cette réponse, que M. Tar croyait que la police les aurait aidés s’il l’avait contactée. Elle n’a pas reconnu qu’il avait rapporté les menaces à d’autres autorités, car ce n’est que lorsqu’il a été expressément interrogé à ce sujet qu’il l’a mentionné.

[54]           À propos des récentes modifications constitutionnelles en Hongrie, le défendeur fait valoir que le gouvernement hongrois a le droit de modifier la constitution du pays (avec une majorité des deux tiers), ce qui, par des moyens législatifs, est tout à fait conforme à la démocratie. Certaines modifications peuvent ne pas correspondre à des idées canadiennes, mais cela ne veut pas dire que la Hongrie n’est pas une démocratie; toutes les démocraties solides passent par des périodes de changement controversé.

[55]           Le défendeur affirme que les demandeurs sont simplement en désaccord avec le poids que la Commission a accordé à la preuve, ce qui ne donne pas ouverture à un contrôle judiciaire. Dans plusieurs décisions récentes, la Cour a conclu que la Hongrie est un pays démocratique qui a droit à la présomption de la protection par l’État et que, sur le fondement des cartables nationaux de documentation, la Commission peut raisonnablement conclure que cette protection existe pour le peuple rom en Hongrie : Horvath c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 253; Olah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 106; Jantyik c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 798; Molnar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 530; Matte c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 761 [Matte]; Balogh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 216; Baranyi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1065; Banya c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 313 [Banya]; Sztojka c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1202; Kallai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 729.

[56]           Ainsi, selon le défendeur, les demandeurs n’ont pas établi que l’analyse de la protection de l’État par la SPR était déraisonnable et la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

La réponse des demandeurs

[57]           Les demandeurs réitèrent qu’on leur a refusé la possibilité d’expliquer la contradiction concernant la date de l’incident dans le tramway : voir Bokhari c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 574. Le fait d’induire l’avocat en erreur sur la conclusion que la Commission entend tirer sur une question constitue un déni de la justice naturelle qui exige l’infirmation de la décision : Velauthar c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] ACF no 425, 141 NR 239 (CAF); Rodriguez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] ACF no 77, 52 ACWS (3d) 1307 (1re inst); Kaldeen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] ACF no 1033, 64 ACWS (3d) 1190 (1re inst); Butt c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 325, 145 FTR 122 (1re inst); Sivamoorthy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 408, 231 FTR 208; Okwagbe c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 792; Pathmanathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 353.

[58]           Alors que le défendeur prétend que la conclusion de la Commission quant à la crédibilité de l’agression dans le tramway était raisonnable, indépendamment de tout manquement à l’équité procédurale, à cause de l’absence d’une preuve corroborante, les demandeurs font valoir que c’est précisément pourquoi ce manquement à l’équité procédurale entache la décision de nullité : la seule preuve concernant l’incident de mai 2011 est le témoignage que M. Tar a donné sous serment et le FRP. Par conséquent, il a été particulièrement préjudiciable aux demandeurs de ne pas leur permettre de présenter des observations au sujet de ce témoignage.

[59]           Contrairement à la position du défendeur, les demandeurs font valoir que la conclusion que les appels de menaces n’ont pas eu lieu s’appuie uniquement sur le fait que Mme Szekely a cessé de fréquenter l’école en juin 2011 plutôt qu’en mai 2010, ce qui, selon eux, étaye en fait leur déposition qu’ils avaient peur de sortir après l’incident dans le tramway. Le raisonnement de la Commission ne comporte donc pas les attributs de l’intelligibilité.

[60]           Le défendeur soutient que ce n’est pas parce que des modifications constitutionnelles ne correspondent pas aux valeurs canadiennes que le pays où sont faites ces modifications n’est pas une démocratie. Les demandeurs font quant à eux valoir que les changements récents en Hongrie ont suscité de graves inquiétudes quant à l’indépendance et à l’impartialité des institutions publiques, qu’ils ont été vivement critiqués et qualifiés de non démocratiques (voir BBC News, Hungary’s controversial reforms (17 janvier 2012), dossier des demandeurs aux pages 138‑141). Ils affirment que des décisions de la Cour ont confirmé que la situation a empiré pour les Roms en Hongrie, et rien ne porte à croire que la police prendra des mesures contre la violence raciale qui les vise compte tenu des atteintes récentes aux institutions démocratiques : Horvath c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 95; Gulyas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 254; Molnar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 296.

ANALYSE

[61]           Les demandeurs ont soulevé trois points principaux, que j’examinerai successivement.

Équité procédurale – divergence dans les dates

[62]           M. Tar s’est trompé sur la date de l’incident dans le tramway. Dans son FRP, il a déclaré que c’était le 25 mai, puis dans son témoignage, le 26 mai. Quand l’avocat des demandeurs a tenté de traiter du sujet, la commissaire lui a dit que [traduction] « cela ne pose pas problème ». Les demandeurs affirment qu’en dépit de cette déclaration, cette question [traduction] « s’est avérée être un point décisif pour la conclusion de la commissaire que M. Tar n’était pas crédible ».

[63]           La Commission traite de la contradiction comme suit dans la décision :

[9]        Le demandeur d’asile a produit une version modifiée de son exposé circonstancié, laquelle constitue la pièce C-6. Cette modification consiste en un changement de date au paragraphe 7, à savoir juin 2009 au lieu de juin 2010, comme il était écrit au départ. Elle consiste également en un ajout de détails sur les blessures subies par le demandeur d’asile lorsqu’il protégeait la demandeure d’asile contre les skinheads qui les ont agressés en octobre 2009. Même si je reconnais le changement de date, comme l’a précisé le conseil au début de l’audience, en dépit du fait qu’il ne cadre pas avec la chronologie des incidents décrits dans l’exposé circonstancié, il convient de souligner que la date de l’incident déclencheur, soit le 25 mai, qui a amené le demandeur d’asile à décider de fuir la Hongrie, n’a pas été modifiée, et ce, même si elle diverge de la date du 26 mai, qui a été mentionnée par le demandeur d’asile au cours de son témoignage. Lorsque le demandeur d’asile a été mis en présence de cette divergence, il a répondu ce qui suit : [traduction] « J’ai peut-être fait une erreur. » Compte tenu de l’absence de rapport médical ou de rapport de police, j’estime ne pas avoir été saisie d’éléments de preuve fiables démontrant que l’incident est effectivement survenu ou que ce sont les amis de Peter qui en sont les responsables, comme l’a mentionné le demandeur d’asile. Le demandeur d’asile a déclaré ne pas avoir été en mesure de produire des éléments de preuve corroborants parce que le chauffeur de l’ambulance s’est contenté de bander la main du demandeur d’asile et de lui donner de l’eau, et que les policiers n’ont pas pris la déposition du chauffeur de l’ambulance. Je ne suis pas convaincue que le service d’ambulance aurait refusé de remettre un rapport au demandeur d’asile si celui-ci avait demandé la confirmation de l’aide reçue. Le demandeur d’asile s’est vu demander s’il était allé voir les autorités des transports en commun pour obtenir une copie de la vidéo où, selon lui, il est possible de voir l’agression que les demandeurs d’asile ont subie. Le demandeur d’asile a répondu ne pas l’avoir fait étant donné qu’il savait que les policiers n’agiraient pas et que, par conséquent, ce serait inutile. Je me permets respectueusement d’affirmer que je ne partage pas l’avis du demandeur d’asile parce que cela aurait au moins apporté une preuve à l’appui des allégations de celui-ci contre les personnes envoyées par sa mère pour lui causer du tort ainsi qu’une preuve sur laquelle il pourrait s’appuyer pour démontrer que les policiers de service ne l’aidaient pas. Je ne peux donc conclure que le demandeur d’asile a produit des éléments de preuve fiables pour démontrer que l’incident survenu dans le tramway a bel et bien eu lieu.

(note de bas de page omise)

[64]           M. Tar n’a pas bénéficié de la présomption de véracité (voir Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1979] ACF no 248, [1980] 2 CF 302 (CAF); Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 108 au paragraphe 23), en raison de la contradiction dans les dates, alors que celle‑ci, si l’on se fie à ce que la Commission a clairement dit à l’avocat des demandeurs, ne posait pas problème. La Commission a stoppé les tentatives de l’avocat de traiter de la question, mais s’est ensuite fondée sur cette contradiction pour réfuter la présomption de véracité et exiger des demandeurs qu’ils corroborent que l’incident a bien eu lieu (voir Konya c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 975 aux paragraphes 16‑20, 25). Il y a eu en l’espèce violation flagrante de l’équité procédurale à propos d’une question très importante pour l’ensemble de la demande, c’est‑à‑dire l’incident qui a tout déclenché (voir Hodanu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 474 au paragraphe 25; Ratnavelu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 938 au paragraphe 4; Kohan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] ACF no 87, 2002 CFPI 66 au paragraphe 14). S’il n’y avait pas eu violation, M. Tar aurait bénéficié de la présomption de véracité, et l’affaire n’aurait pu être tranchée sur le simple fondement de l’absence de preuves corroborantes.

Les appels de menaces

[65]           La Commission a conclu que les appels de menaces n’ont pas eu lieu entre le 26 mai 2011 (le lendemain de la prétendue agression dans le tramway) et septembre 2011 (jour où les demandeurs sont partis pour le Canada) en raison de la contradiction dans le témoignage de Mme Szekely à propos du moment où elle a cessé de fréquenter l’école.

[66]           Selon les demandeurs, qu’elle ait cessé de fréquenter l’école en mai 2010 (un an avant l’incident dans le tramway) ou en juin 2011 (quelques jours seulement après celui-ci), aucune de ces dates n’est incompatible avec leur déposition qu’ils ont reçu de 10 à 15 appels téléphoniques de menaces après l’incident dans le tramway ni avec leur affirmation qu’ils sont surtout restés chez eux pour attendre leur date de départ. La Commission ne les a pas interrogés sur les dates auxquelles ils ont reçu les menaces, ni sur le jour où ils ont décidé de cesser de sortir de chez eux sauf en cas de nécessité.

[67]           Les demandeurs font valoir qu’à ce stade de la décision, [traduction] « la commissaire s’est appuyée sur une contradiction concernant un point accessoire, sans rapport avec les éléments centraux de la demande ».

[68]           Dans sa décision, la SPR traite ce point en ces termes :

[10]      Au cours de son témoignage, le demandeur d’asile a mentionné que la décision de quitter le pays pour se rendre au Canada avait été prise après l’incident survenu dans le tramway. Toutefois, cet incident a eu lieu quatre mois avant le départ. Le demandeur d’asile a dit que la vente de leurs choses avait pris du temps et que les tarifs aériens étaient moins élevés en septembre. Même si cela peut effectivement être le cas, j’estime que les demandeurs d’asile n’ont pas connu d’autres incidents commis par la mère du demandeur d’asile, en particulier les 10 à 15 appels de menaces faits par Peter ou ses amis qui agissaient, selon le demandeur d’asile, conformément aux directives de la mère de celui-ci pour lui causer du tort. Il n’y a pas non plus d’éléments de preuve démontrant que le demandeur d’asile a demandé de l’aide à qui que ce soit relativement aux appels de menaces constants de Peter. La réponse du demandeur d’asile pour justifier le retard à quitter le pays était que les demandeurs d’asile demeuraient à l’intérieur de la maison et ne sortaient que lorsqu’il était nécessaire. Toutefois, l’examen de leurs formulaires de renseignements personnels (FRP) permet de constater que les deux demandeurs d’asile ont continué de fréquenter l’école jusqu’en juin 2011. Lorsque la demandeure d’asile a été mise en présence de son FRP, elle a répondu que celui-ci était erroné et qu’elle avait cessé d’aller à l’école en mai 2010 parce que, à l’école de formation professionnelle qu’elle fréquentait, elle était la seule Rom au sein d’une classe où tous les autres étudiants étaient hongrois de souche. Je rejette cette explication parce que l’erreur n’a pas été reconnue jusqu’à ce que les renseignements contradictoires donnés par la demandeure d’asile dans son FRP lui aient été soulignés.

[69]           Il est manifeste que la Commission estime que la fréquentation de l’école jusqu’en juin 2011 nuit à la déclaration des demandeurs selon laquelle ils sont restés chez eux jusqu’à leur date de départ, ne sortant qu’en cas de nécessité. Et, s’ils sont sortis pour aller à l’école, c’est qu’ils ne considéraient pas que les menaces étaient sérieuses, ce qui confirme l’existence d’une crainte subjective.

[70]           La Commission a conclu que les appels n’avaient pas eu lieu parce que :

a)      rien ne prouvait que M. Tar avait demandé de l’aide en ce qui concerne les appels. Autrement dit, s’ils avaient eu lieu, il aurait été raisonnable que les demandeurs demandent de l’aide;

b)      ils ont ouvertement fréquenté leur école, ce qui fait échec à la déduction évidente qu’on aurait pu tirer, soit qu’ils n’ont pas demandé d’aide parce qu’ils sont restés chez eux pour éviter les menaces physiques proférées dans les appels téléphoniques.

[71]           Ces points ne sont pas accessoires au regard de la conclusion. Les preuves relatives à la fréquentation de l’école sont directement liées à celles des demandeurs selon lesquelles ils ont continué à recevoir des menaces après l’incident du tramway. La question importante est le retard du départ après cet incident. Si les demandeurs ont continué à être constamment menacés, pourquoi ont-ils retardé leur départ? Ils ont expliqué qu’ils ont pu éviter les risques que représentaient les menaces en restant chez eux. Or, selon la preuve, ils ne sont pas restés chez eux; ils sont tous deux ouvertement allés à l’école pendant un certain temps après l’incident, ce qui mine la crédibilité de leur témoignage selon lequel il a été possible de retarder leur départ parce qu’ils restaient chez eux. Ce raisonnement repose sur les hypothèses suivantes :

a.       ils ont tous deux continué d’aller ouvertement à l’école pendant un certain temps après l’incident dans le tramway;

b.      ils n’ont pas cherché à obtenir de l’aide relativement aux menaces.

[72]           Le problème avec ce type de raisonnement de la part de la Commission est qu’il n’a de sens qu’à condition que les demandeurs soient allés à l’école après avoir reçu les menaces ou pendant qu’ils les recevaient. Or, rien dans la preuve n’établit à quel moment les menaces ont eu lieu après l’incident dans le tramway, ou un lien entre le moment où les menaces ont été proférées et le moment auquel les demandeurs ont cessé de fréquenter l’école pour rester chez eux jusqu’à leur départ de Hongrie, en septembre. Même si Mme Szekely n’a cessé de fréquenter l’école qu’en « juin 2011 », c’était peut‑être juste quelques jours après l’incident du 25 mai 2011 dans le tramway, et la plupart ou la totalité des appels téléphoniques de menace auraient pu avoir lieu après cette date. La Commission n’a pas interrogé les demandeurs sur ces points de chronologie. Sans fondement probatoire, elle suppose simplement, et présume qu’après avoir reçu les menaces, les demandeurs ont continué d’aller à l’école. La preuve dont dispose la Commission est tout aussi compatible avec le fait qu’ils ont cessé d’aller à l’école immédiatement après avoir reçu les menaces, ce qui renforcerait leur thèse qu’ils sont restés chez eux à cause des menaces. Le fait que Mme Szekely a modifié son témoignage pour déclarer qu’elle avait cessé d’aller à l’école en mai 2010 a compliqué la question, créant ainsi un problème de crédibilité et une contradiction sur le moment auquel les demandeurs ont cessé d’aller à l’école. La Commission n’a pourtant pas vraiment abordé le problème, ni dans ses motifs ni dans ses questions aux demandeurs, de sorte qu’on ne peut établir de corrélation entre les dates. Quoi qu’il en soit, la conclusion de la Commission selon laquelle les appels téléphoniques n’ont jamais eu lieu n’a pas, à mon avis, été expliquée.

[73]           De surcroît, il n’y a aucune conclusion générale négative quant à la crédibilité, et l’on ne peut que conjecturer sur quelle proportion du témoignage des demandeurs a été acceptée quant aux autres incidents de violence qu’ils ont relatés.

[74]           La Commission a commis là des erreurs déraisonnables. La validité de l’ensemble de la décision est toutefois assurée par la conclusion que les demandeurs n’ont pas réfuté la présomption de protection adéquate par l’État. Autrement dit, même si leur récit concernant les menaces de discrimination et de persécution proférées contre eux est accepté, la Commission a estimé qu’ils n’avaient pas établi que les autorités hongroises ne pouvaient pas, ou ne voulaient pas, leur accorder une protection adéquate. En définitive, tout repose donc sur le caractère raisonnable de cette conclusion.

La protection de l’État

[75]           Comme le démontrent les décisions de la SPR et la jurisprudence de la Cour, le point de savoir si la Hongrie peut ou veut protéger correctement ses citoyens roms suscite la controverse et pose de graves problèmes. Nos jugements vont dans les deux sens. Il semble y avoir unanimité sur le fait que, malgré les efforts du gouvernement central hongrois pour améliorer la vie du peuple rom, il continue d’y avoir une discrimination généralisée et des actes de violence raciale à l’égard des Roms commis par au moins certains Hongrois intolérants et peu recommandables. Il s’agit souvent de trancher si les efforts de l’État pour atténuer ce problème ont donné lieu à une protection adéquate sur le terrain. Voir par exemple Hercegi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 250 et les décisions Orgona, Matte et Banya, précitées.

[76]           L’examen de la question semble dépendre beaucoup des preuves et des arguments que reçoit la SPR et, en cas de contrôle par la Cour, des questions qui préoccupent les demandeurs et leur avocat et qu’ils décident de soulever.

[77]           En l’espèce, je suis d’accord avec les demandeurs pour dire que la Commission commet des erreurs graves concernant la preuve d’Amnistie Internationale sur laquelle elle prétend se fonder, et semble ignorer les conséquences de sa propre preuve selon laquelle « l’incapacité générale du gouvernement central à maintenir des mécanismes de contrôle solides et efficaces quant aux violations des droits de la personne a des conséquences néfastes sur le groupe minoritaire le plus important de la Hongrie, les Roms » (voir décision paragraphe 21). Contrairement à ce qu’affirme la Commission, il ressort clairement de la preuve d’Amnistie Internationale que [traduction] « les autorités hongroises n’avaient pas reconnu  ces agressions contre des Roms en Hongrie et n’y avaient pas apporté de réponse adéquate […] » (dossier de la demande, page 328), ce qui n’étaye pas la conclusion d’absence d’uniformité de la preuve tirée par la Commission. Son affirmation, qui figure dans son analyse, constitue une erreur grave et déraisonnable.

[78]           Je suis également d’accord avec les demandeurs pour dire que la Commission s’appuie trop sur le fait que la Hongrie est une « démocratie » en théorie, au lieu d’examiner la forme que cette démocratie prend véritablement et de chercher à savoir si les hypothèses qu’elle formule quant à la protection par l’État des minorités comme les Roms correspondent aux normes internationales applicables en matière de droit des réfugiés.

[79]           Pour les motifs que j’ai énoncés dans Kina c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 284, j’estime que l’examen de la preuve documentaire par la Commission est inadéquat et déraisonnable.

[80]           Je crois également que la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle quand elle a qualifié la situation de « violence familiale ». Les demandeurs ont clairement fait valoir qu’ils avaient été attaqués par des néo-nazis et des groupes d’extrême droite. La mère de M. Tar a peut‑être provoqué et encouragé cette violence à leur encontre, mais celle‑ci n’a pas eu lieu dans un contexte familial impliquant la mère de M. Tar.

Conclusions

[81]           Pour les motifs que j’ai exposés, j’estime que les demandeurs ont démontré que la décision comporte suffisamment d’erreurs graves pour justifier son renvoi pour nouvel examen.

[82]           Les avocats s’entendent pour dire qu’il n’y a pas de question à certifier, et la Cour est du même avis.


JUGEMENT

LA COUR :

1.                          ACCUEILLE la demande. La décision est annulée et renvoyée à un autre commissaire pour nouvel examen;

2.                          DÉCLARE qu’il n’y a aucune question à certifier.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2053-13

 

INTITULÉ :

NORBERT BENJAMI TAR (ALIAS NORBERT BENJAMIN TAR), ZITA SZEKELY c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 MAI 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE :

LE 31 JUILLET 2014

 

COMPARUTIONS :

Joo Eun Kim

Melinda Gayda

 

POUR LES demandeurs

NORBERT BENJAMI TAR (ALIAS NORBERT BENJAMIN TAR), ZITA SZEKELY

 

Ildiko Erdei

 

POUR Le défendeur

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bureau du droit des réfugiés

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR Les demandeurs

NORBERT BENJAMI TAR (ALIAS NORBERT BENJAMIN TAR), ZITA SZEKELY

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR Le défendeur

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

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