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Date : 20140731


Dossier : IMM‑1787‑13

Référence : 2014 CF 765

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 31 juillet 2014

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

KYVAN KIANI MANESH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

INTRODUCTION

[1]        La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi] à l’encontre de la décision [la décision], en date du 22 février 2013, par laquelle un agent d’immigration [l’agent] de l’ambassade du Canada à Ankara, en Turquie, a rejeté la demande de résidence permanente que le demandeur avait présentée au titre du regroupement familial au motif que sa répondante ne satisfaisait pas aux critères en matière de résidence prévus au Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le Règlement].

LE CONTEXTE

[2]               Le demandeur, un citoyen iranien, a présenté une demande d’immigration au Canada au titre du regroupement familial. Son épouse Asal, de nationalité également iranienne, est sa répondante [la répondante]. Elle est arrivée au Canada en 2004 en tant que résidente permanente. Ils se sont rencontrés en Iran en mars 2009 et s’y sont mariés en 2011. En décembre de cette même année, Asal a parrainé le demandeur en vue de son immigration au Canada. La demande de parrainage a été approuvée en février 2012, et la demande de résidence permanente du demandeur a été envoyée pour traitement. L’agent a toutefois conclu à cette étape qu’Asal ne satisfaisait pas aux critères en matière de résidence pour être répondante, et la demande a été refusée.

[3]               Le demandeur affirme qu’il s’agit d’une erreur, car il suffit pour parrainer d’être résident permanent et de vivre au Canada au moment de la demande de parrainage. Le défendeur soutient quant à lui que la Loi et le Règlement établissent pour les répondants un seuil plus élevé relativement à la résidence que ce qui est exigé pour conserver la résidence permanente et que, de toute façon, la demande de contrôle judiciaire est prématurée, car les voies d’appel que prévoit la Loi n’ont pas été épuisées.

[4]               Pour comprendre ce qui est en cause, il faut exposer les événements qui ont précédé et suivi la demande de parrainage. Comme on vient de l’indiquer, Asal a immigré au Canada en 2004. Auparavant, elle enseignait l’anglais langue seconde en Iran. Dans un affidavit déposé à l’appui de la présente demande, elle déclare vouloir continuer à enseigner au Canada, mais avoir constaté qu’il lui fallait plus d’expérience pour travailler chez l’employeur sur qui elle avait jeté son dévolu au Canada. En juin 2008, elle est donc retournée en Iran pour travailler en qualité d’examinatrice orale pour l’organisation même pour laquelle elle espérait travailler ensuite au Canada.

[5]               Asal déclare qu’elle projetait de retourner au Canada en décembre 2009 pour s’assurer qu’il n’y aurait pas de répercussion sur son statut de résident permanent, car elle avait aussi passé la plus grande partie de l’année 2007 en Iran en raison de la maladie et du décès de son grand‑père. Or, juste avant la date de son retour, elle a eu un accident de cheval qui a nécessité une chirurgie et une longue récupération en Iran. En raison de ce retard et de difficultés à propos des dates estampillées sur son passeport iranien expiré, on lui a fait des problèmes quand elle a voulu retourner au Canada. On n’était pas certain qu’elle s’était conformée à l’exigence de résidence en vue de conserver sa résidence permanente. Son appel à la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut du réfugié [la SAI] a été accueilli, et son statut de résidente permanente a été rétabli (décision datée du 30 mai 2011, dossier de la SAI TBO‑01325), mais elle a dû interjeter appel de l’Iran. Dans l’intervalle, elle a épousé le demandeur et ils ont commencé à habiter ensemble en octobre 2011. Selon le questionnaire de résidence permanente rempli par le demandeur, ils se sont rencontrés en mars 2009 et il a suivi des cours d’anglais avec Asal (dossier certifié du tribunal, page 25).

[6]               Asal est rentrée au Canada le 24 novembre 2011 et a déposé la demande de parrainage le 9 décembre suivant. Elle déclare avoir reçu une lettre d’approbation de cette demande à la fin de février 2012. Cette lettre ne figure pas au dossier de la Cour, mais les notes du Système mondial de gestion des cas comportent une entrée le 27 mars 2012, rédigée comme suit :

[traduction] Réception d’une télécopie envoyée par l’avocat – Cecil Rotenberg le 26 mars 2012… Confirmation à son cabinet que le parrainage a été approuvé, mais ils n’ont jamais reçu cette confirmation. Erreur dans l’adresse électronique. Nouvel envoi de la lettre d’approbation par courriel.

[7]               Après réception de cette confirmation, Asal est repartie en Iran le 29 avril 2011 pour attendre la décision concernant la demande de résidence permanente de son mari. Elle affirme avoir été informée par son avocat et par Citoyenneté et Immigration (par téléphone) qu’elle n’était pas tenue de demeurer au Canada pour attendre cette décision. La demande avait été initialement attribuée au bureau des visas de Damas, puis à la fermeture de ce bureau, elle a été transférée à l’ambassade à Ankara. Après avoir étudié le dossier et demandé un complément d’information et de documentation, l’agent n’a pas été convaincu qu’Asal satisfaisait aux critères relatifs à la résidence pour les parrainages que prévoit l’alinéa 130(1)b) du Règlement, et a refusé la demande de résidence permanente du demandeur.

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[8]               Par lettre en date du 22 février 2013, l’agent a notifié le demandeur de sa décision, selon laquelle en vertu de l’alinéa 120b) du Règlement, l’engagement de parrainage doit être valide à l’égard de l’étranger qui présente une demande au titre de la catégorie du regroupement familial, au moment où l’étranger devient résident permanent, à condition que le répondant qui s’est engagé satisfasse toujours aux exigences des articles 130 et 133 du Règlement. L’agent a expliqué que l’alinéa 130(1)b) dispose qu’a qualité de répondant le citoyen canadien ou résident permanent qui réside au Canada, et que l’alinéa 133(1)a) prévoit que la demande de parrainage n’est accordée que sur preuve que, de la date du dépôt de la demande jusqu’à celle de la décision, le répondant avait la qualité de répondant aux termes de l’article 130. L’agent motive ensuite comme suit le refus de la demande :

[traduction] Un agent des visas a demandé des preuves à l’appui du fait que votre répondante résidait au Canada depuis la date du dépôt de la demande et qu’elle y réside toujours. Votre représentant a répondu par lettre que votre répondante est retournée vivre avec vous en Iran peu après avoir été notifiée par le centre de traitement des demandes de Mississauga qu’elle était admissible à vous parrainer; aucune preuve de résidence au Canada n’a été fournie.

En revanche, a été fournie une copie d’un bail d’appartement en Iran, dont la validité allait du 9 novembre 2011 au 10 mars 2013, indiquant que votre répondante était la locataire et confirmant son emploi en Iran. De plus, la copie de son passeport fait seulement état de deux entrées au Canda – le 25 décembre 2007 et le 24 novembre 2011. Aucun autre timbre démontrant l’entrée au Canada n’est au dossier. Par ailleurs, votre répondante a indiqué dans le questionnaire de parrainage avoir été employée au Canada pendant quatre mois en 2008 et auparavant pendant plusieurs mois en 2006 – tous les autres emplois en 2007 et depuis 2008 sont en Iran.

Étant donné que votre répondante ne réside pas physiquement dans les faits au Canada depuis le dépôt de votre demande le 12 novembre 2011, et qu’elle n’a pas présenté de preuve établissant des liens avec le Canada afin d’étayer sa résidence, je ne suis pas convaincu qu’elle se conforme aux exigences de l’alinéa 130(1)b) du Règlement ni, par conséquent, à celles de l’alinéa 133(1)a).

[9]               En sa qualité de répondante, Asal a elle aussi été notifiée de la décision et de son droit d’en appeler à la SAI, en application du paragraphe 63(1) de la Loi. La lettre l’informant de la décision est datée du 22 février 2013 et énonce ce qui suit à propos de la compétence de la SAI :

[traduction] Si la Section d’appel conclut que le demandeur n’appartient pas à la catégorie du regroupement familial, ou que le répondant n’a pas la qualité de répondant au sens du Règlement, elle a seulement compétence pour examiner l’appel en vertu des alinéas 67(1)a) et b), lesquels prévoient ce qui suit :

67. (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

a) la décision attaquée est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

b) il y a eu manquement à un principe de justice naturelle; (…)

[10]           Le défendeur a déposé un affidavit, daté par erreur du 20 mars 2013 (c’est manifestement le 20 mars 2014 qui aurait dû être inscrit), déclarant qu’Asal avait interjeté appel de la décision devant la SAI le 22 mars 2013, et que l’appel est en cours. Selon l’affidavit, les parties ont présenté en mars 2014 des observations écrites dans le cadre d’une requête qu’a déposée l’appelante, demandant à la Cour de se prononcer sur le sens du terme « demande » figurant à la première et à la troisième ligne du paragraphe 133(1) du Règlement, et aucune date n’a encore été fixée pour entendre l’audition de l’appel lui‑même.

LES QUESTIONS À TRANCHER

[11]           Les questions en litige dans la présente demande sont les suivantes :

a.       La demande de contrôle judiciaire est‑elle prématurée parce que les voies d’appel que prévoit la Loi n’ont pas été épuisées? Dans la négative, la Cour a‑t‑elle compétence pour instruire la demande?

b.      Si la Cour a compétence pour trancher l’affaire, l’agent a‑t‑il commis une erreur en interprétant et en appliquant l’exigence relative à la résidence que prévoit l’alinéa 130(1)b) du Règlement?

LA NORME DE CONTRÔLE

[12]           Dans Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a déclaré qu’il n’est pas nécessaire de se livrer à une analyse relative à la norme de contrôle dans tous les cas. En fait, lorsque la norme de contrôle qui s’applique à la question en litige est bien établie par la jurisprudence, la cour chargée du contrôle peut l’adopter. Ce n’est que lorsque cette recherche se révèle infructueuse, ou lorsque la jurisprudence en la matière semble être incompatible avec l’évolution récente des principes de common law en matière de contrôle judiciaire, que la cour chargée du contrôle doit examiner les quatre éléments de l’analyse relative à la norme de contrôle : Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36 au paragraphe 48.

[13]           Le défendeur fait valoir que l’affaire soulève essentiellement une question d’interprétation législative – à savoir l’interprétation de l’exigence relative à la résidence pour les répondants en cas de demande de résidence permanente relevant de la catégorie du regroupement familial. Comme il s’agit de l’interprétation par l’agent de sa loi constitutive, il convient de contrôler cette question selon la norme de la décision raisonnable. Le défendeur soutient qu’il en va de même pour les conclusions de fait auxquelles l’agent est arrivé après avoir appliqué le critère relatif à la résidence : voir l’arrêt Dunsmuir, précité, paragraphes 47, 53, 5, 62; Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 au paragraphe 62; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708 au paragraphe 15; Iao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1253 aux paragraphes 15‑16 [Iao].

[14]           Il est à présent bien établi qu’il y a présomption qu’il convient d’appliquer la norme de la décision raisonnable lors du contrôle de l’interprétation que les décideurs administratifs font de leur loi constitutive : McLean c Colombie‑Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 RCS 895 paragraphes 21‑22 [McLean]; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 paragraphe 34 [Alberta Teachers]; arrêt Dunsmuir, précité, paragraphe 54; Kandola c Canada (Citoyenneté et Immigration, 2014 CAF 85 paragraphes 30‑42 (le juge Noël, avec l’accord du juge Webb) et 86 (le juge Mainville).

[15]           Le demandeur fait valoir que la présente affaire soulève une question touchant véritablement à la compétence ou à la constitutionnalité, et qu’elle relève donc d’une exception à la présomption du contrôle selon la norme du caractère raisonnable reconnue dans l’arrêt McLean, précité. Je ne suis pas de cet avis. La décision faisant l’objet du contrôle est celle dans laquelle l’agent a rejeté la demande de résidence permanente déposée par le demandeur. La compétence de l’agent quant à la prise de cette décision n’est pas en cause; il était habilité à statuer sur l’affaire et il était tenu de le faire. La principale question de droit est celle de savoir si l’agent a appliqué le bon critère concernant la résidence à l’égard de la répondante du demandeur aux termes de l’alinéa 130(1)b). Le demandeur affirme que l’interprétation par l’agent du terme « réside » figurant à cet alinéa va au‑delà de ce qu’autorise le Règlement, ce qui n’est qu’une autre façon d’affirmer que l’agent a mal interprété l’article ou a appliqué le mauvais critère. La Cour suprême a très clairement précisé qu’une telle question n’est pas assimilable à une question touchant la constitutionnalité ou la compétence. La catégorie de ces questions serait sinon très vaste, puisque « tout acte du tribunal qui requiert l’interprétation de sa loi constitutive soulève la question du pouvoir ou de la compétence du tribunal d’accomplir cet acte » (arrêt Alberta Teachers, précité, paragraphe 34). La Cour suprême a rejeté un tel raisonnement, expliquant que la catégorie des « véritables questions de compétence » doit appeler une interprétation restrictive et que les tribunaux « devraient éviter de qualifier trop rapidement un point de question de compétence […] lorsqu’il existe un doute à cet égard » (Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c Société des alcools du Nouveau‑Brunswick, [1979] 2 RCS 227 à la page 233; arrêt Dunsmuir, précité, paragraphe 35; arrêt Alberta Teachers, précité, paragraphes 33, 95). Le demandeur n’a donc pas justifié le moindrement pourquoi la présomption du contrôle du caractère raisonnable ne devrait pas s’appliquer à l’égard du contrôle judiciaire de la décision de l’agent ou pourquoi il faudrait conclure que la présomption est repoussée. La norme de la décision raisonnable s’applique donc à l’ensemble de la question b. susmentionnée.

[16]           La question a. concerne l’interprétation et l’application de sa propre compétence par la Cour. La question de la norme de contrôle n’est par conséquent pas pertinente.

[17]           Lorsqu’une décision est contrôlée suivant la norme de la raisonnabilité, l’analyse se rapporte « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour n’intervient que si la décision est déraisonnable en ce qu’elle n’entre pas dans les « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[18]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce.

Regroupement familial

Family réunification

12. (1) La sélection des étrangers de la catégorie « regroupement familial » se fait en fonction de la relation qu’ils ont avec un citoyen canadien ou un résident permanent, à titre d’époux, de conjoint de fait, d’enfant ou de père ou mère ou à titre d’autre membre de la famille prévu par règlement.

12. (1) A foreign national may be selected as a member of the family class on the basis of their relationship as the spouse, common‑law partner, child, parent or other prescribed family member of a Canadian citizen or permanent resident.

[…]

[…]

Parrainage de l’étranger

Sponsorship of foreign nationals

13. (1) Tout citoyen canadien, résident permanent ou groupe de citoyens canadiens ou de résidents permanents ou toute personne morale ou association de régime fédéral ou provincial — ou tout groupe de telles de ces personnes ou associations — peut, sous réserve des règlements, parrainer un étranger.

13. (1) A Canadian citizen or permanent resident, or a group of Canadian citizens or permanent residents, a corporation incorporated under a law of Canada or of a province or an unincorporated organization or association under federal or provincial law — or any combination of them — may sponsor a foreign national, subject to the regulations.

[…]

[…]

Droit d’appel : visa

Right to appeal — visa refusal of family class

63. (1) Quiconque a déposé, conformément au règlement, une demande de parrainage au titre du regroupement familial peut interjeter appel du refus de délivrer le visa de résident permanent.

63. (1) A person who has filed in the prescribed manner an application to sponsor a foreign national as a member of the family class may appeal to the Immigration Appeal Division against a decision not to issue the foreign national a permanent resident visa.

[…]

[…]

Fondement de l’appel

Appeal allowed

67. (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

67. (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

a) la décision attaquée est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

(a) the decision appealed is wrong in law or fact or mixed law and fact;

b) il y a eu manquement à un principe de justice naturelle;

(b) a principle of natural justice has not been observed; or

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

Effet

Effect

(2) La décision attaquée est cassée; y est substituée celle, accompagnée, le cas échéant, d’une mesure de renvoi, qui aurait dû être rendue, ou l’affaire est renvoyée devant l’instance compétente.

(2) If the Immigration Appeal Division allows the appeal, it shall set aside the original decision and substitute a determination that, in its opinion, should have been made, including the making of a removal order, or refer the matter to the appropriate decision‑maker for reconsideration.

[…]

[…]

Demande d’autorisation

Application for judicial review

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

Application

Application

(2) Les dispositions suivantes s’appliquent à la demande d’autorisation :

(2) The following provisions govern an application under subsection (1):

a) elle ne peut être présentée tant que les voies d’appel ne sont pas épuisées;

(a) the application may not be made until any right of appeal that may be provided by this Act is exhausted;

[…]

[…]

 

[19]           Les dispositions suivantes du Règlement s’appliquent en l’espèce.

Qualité de répondant

Sponsor

130. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), a qualité de répondant pour le parrainage d’un étranger qui présente une demande de visa de résident permanent au titre de la catégorie du regroupement familial ou une demande de séjour au Canada au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada aux termes du paragraphe 13(1) de la Loi, le citoyen canadien ou résident permanent qui, à la fois :

130. (1) Subject to subsections (2) and (3), a sponsor, for the purpose of sponsoring a foreign national who makes an application for a permanent resident visa as a member of the family class or an application to remain in Canada as a member of the spouse or common‑law partner in Canada class under subsection 13(1) of the Act, must be a Canadian citizen or permanent resident who

a) est âgé d’au moins dix‑huit ans;

(a) is at least 18 years of age;

b) réside au Canada;

(b) resides in Canada; and

c) a déposé une demande de parrainage pour le compte d’une personne appartenant à la catégorie du regroupement familial ou à celle des époux ou conjoints de fait au Canada conformément à l’article 10.

(c) has filed a sponsorship application in respect of a member of the family class or the spouse or common‑law partner in Canada class in accordance with section 10.

Répondant ne résidant pas au Canada

Sponsor not residing in Canada

(2) Le citoyen canadien qui ne réside pas au Canada peut parrainer un étranger qui présente une demande visée au paragraphe (1) et qui est son époux, son conjoint de fait, son partenaire conjugal ou son enfant à charge qui n’a pas d’enfant à charge à condition de résider au Canada au moment où l’étranger devient résident permanent.

(2) A sponsor who is a Canadian citizen and does not reside in Canada may sponsor a foreign national who makes an application referred to in subsection (1) and is the sponsor’s spouse, common‑law partner, conjugal partner or dependent child who has no dependent children, if the sponsor will reside in Canada when the foreign national becomes a permanent resident.

[…]

[…]

Exigences : répondant

Requirements for sponsor

133. (1) L’agent n’accorde la demande de parrainage que sur preuve que, de la date du dépôt de la demande jusqu’à celle de la décision, le répondant, à la fois :

133. (1) A sponsorship application shall only be approved by an officer if, on the day on which the application was filed and from that day until the day a decision is made with respect to the application, there is evidence that the sponsor

a) avait la qualité de répondant aux termes de l’article 130;

(a) is a sponsor as described in section 130;

[…]

[…]

ARGUMENTATION

Question préliminaire : la Cour devrait‑elle entendre la demande?

Le défendeur

[20]           Le défendeur soutient que la Cour ne devrait pas entendre la demande parce que la répondante du demandeur a interjeté appel de la décision auprès de la SAI, laquelle n’a pas encore tranché l’appel. Il déclare que les deux instances soulèvent les mêmes questions, et que, par conséquent, les paragraphes 63(1) et 72(2) de la Loi empêchent l’instruction de la présente demande.

[21]           Le défendeur souligne que le demandeur n’a pas demandé l’examen de motifs d’ordre humanitaire. Il renvoie vraisemblablement au fait que la SAI n’aurait pas compétence pour examiner des motifs d’ordre humanitaire (voir article 65 de la Loi) si elle concluait qu’Asal n’est pas une répondante au sens du Règlement, comme l’indique la lettre la notifiant de la décision, ce qui pourrait influer sur la décision de la Cour quant à la question de savoir s’il existe un recours subsidiaire adéquat pour les demandeurs de contrôle judiciaire qui ont invoqué des motifs d’ordre humanitaire (Huot c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 180 [Huot]; Phung c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 585; Kobita c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1479; voir Habtenkiel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 397 (appel devant la CAF en instance) [Habtenkiel]). Le défendeur soutient qu’étant donné que le demandeur n’a pas fait valoir de tels motifs en l’espèce, la SAI a compétence pour examiner toutes les questions dont il a saisi la Cour.

[22]           Le défendeur souligne qu’en vertu de l’article 67 de la Loi, la SAI peut autoriser l’appel si la décision a été fondée sur une erreur de fait ou de droit, s’il y a eu manquement à la justice naturelle ou (dans des circonstances non prévues par l’article 65) si des motifs d’ordre humanitaire justifient la prise de mesures spéciales. Dans Somodi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 288 [Somodi], la Cour d’appel fédérale a cherché à savoir si la demande de contrôle judiciaire d’une décision de refus d’une demande de parrainage conjugal a été interdite pendant que la répondante (déboutée) exerçait un droit d’appel sur le fondement de l’article 63 de la Loi. La CAF a conclu que l’interdiction énoncée à l’article 72 de la Loi l’emporte sur l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC, 1985, c F‑7, qui accorde le droit de demander un contrôle judiciaire. Elle a conclu qu’étant donné les circonstances de l’espèce, le droit d’appel est une réparation supérieure à celle qu’on peut obtenir au moyen d’un contrôle judiciaire, car il procure à l’appelant une nouvelle audience sur le fond d’une portée bien plus large (voir paragraphe 19). Le défendeur cite l’analyse effectuée par le juge Létourneau pour le compte de la Cour :

[21]      Dans la LIPR, le législateur a établi une procédure exhaustive et indépendante dotée de règles précises pour traiter l’admission de ressortissants étrangers à titre de membres de la catégorie du regroupement familial. Le droit d’appel accordé au répondant pour contester en son nom la décision de l’agent des visas au profit du ressortissant étranger, de même que l’interdiction du contrôle judiciaire formulée dans la LIPR tant que les voies d’appel ne sont pas épuisées, sont des traits distinctifs de cette nouvelle procédure. […]

[22]      Le législateur a décidé du parcours que doivent suivre les demandes de parrainage familial, lequel se termine, après un appel, par la possibilité pour le répondant de demander réparation devant la Cour fédérale. L’intention du législateur d’inscrire dans la LIPR un ensemble complet de règles régissant les demandes de parrainage visant un regroupement familial est confirmée par l’alinéa 72(2)a) et le paragraphe 75(2) [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 194].

[23]           Le paragraphe 75(2) de la Loi, dont fait état la citation précédente, est libellé comme suit :

Incompatibilité

Inconsistencies

(2) Les dispositions de la présente section l’emportent sur les dispositions incompatibles de la Loi sur les Cours fédérales.

(2) In the event of an inconsistency between this Division and any provision of the Federal Courts Act, this Division prevails to the extent of the inconsistency.

[24]           Le défendeur cite également l’analyse du juge Scott (qui siégeait alors à la Cour fédérale) au paragraphe 11 de Sadia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1011 [Sadia] : « [l]’alinéa 72(2)a) de la Loi est clair : des instances parallèles ne peuvent en aucun cas être introduites devant la SAI et la Cour pour contester la même décision en même temps » (voir aussi Landaeta c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 219 paragraphes 25‑27; décision Habtenkiel, précitée, paragraphes 20, 22‑25).

[25]           Le défendeur soutient donc que l’alinéa 72(2)a) de la Loi exclut les demandes de contrôle judiciaire dans le contexte de la catégorie du regroupement familial tant que le répondant de l’étranger n’a pas épuisé ses voies d’appel auprès de la SAI en vertu de l’article 63 de la Loi. Selon le défendeur, c’est tout particulièrement le cas en l’espèce, car les questions soulevées sont identiques et le demandeur n’a pas présenté de demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Le fait que l’appel puisse durer plus longtemps que la répondante ne l’escomptait ne constitue pas un motif suffisant pour parvenir à une conclusion différente.

Le demandeur

[26]           Le demandeur a initialement soutenu que le droit d’interjeter appel devant la SAI appartient uniquement à la répondante, qu’il [traduction] « n’a absolument aucun droit d’interjeter appel devant la SAI » et que le seul recours dont il dispose est devant la Cour fédérale. Il a cependant reconnu dans ses observations ultérieures que [traduction] « même si nous nous occupons de la demande du demandeur et que le droit d’interjeter appel devant la SAI appartient à la répondante […] les deux doivent être traités comme étant la même affaire ». Il cite à cet égard l’analyse de la juge Dawson (qui siégeait alors à la Cour fédérale) aux paragraphes 31, 32 et 34 de Sidhu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 260, [2002] ACF no 335 [Sidhu] :

[31]      Selon un principe de droit bien établi, la Cour ne devrait pas accorder les réparations de la nature de celles sollicitées dans la présente demande de contrôle judiciaire si elle est convaincue que le demandeur dispose d’un recours subsidiaire adéquat. Voir, par exemple Anderson c. Canada (Forces armées), [1997] 1 C.F. 273 (C.A.F.). On exprime souvent ce principe en disant que le demandeur devrait épuiser tous les recours prévus par la loi avant de solliciter le contrôle judiciaire, et ce principe reflète la nature discrétionnaire et extraordinaire du contrôle judiciaire.

[32]      Je suis d’avis qu’en l’espèce, les dispositions législatives régissant le droit d’établissement fournissent un recours subsidiaire adéquat au contrôle judiciaire de la décision de l’agent principal.

[…]

[34]      Le fait que je refuse d’exercer mon pouvoir discrétionnaire à ce stade‑ci en raison de l’existence d’un recours subsidiaire adéquat préserve l’intégrité du processus établi par le législateur, reflète le souci justifié et raisonnable d’utiliser de façon économique les ressources judiciaires et garantit que la Cour aura l’avantage de disposer des motifs de la Section d’appel si elle doit trancher en bout de ligne des questions de droit dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire.

[Souligné par le demandeur.]

[27]           Le demandeur souligne les expressions « l’intégrité du processus établi par le législateur » et « le souci justifié et raisonnable d’utiliser de façon économique les ressources judiciaires » pour soutenir qu’en l’espèce, contrairement à Sidhu, la Cour ne servirait pas ces fins si elle décidait de ne pas examiner la demander sur le fond. Il déclare que, de toute façon, l’affaire aboutira devant la Cour et qu’en refusant de statuer sur elle maintenant, la Cour n’utiliserait pas « de façon économique [s]es ressources judiciaires » et  lui imposerait des frais supplémentaires. En effet, selon le demandeur, le motif que l’agent a donné dans sa décision (que celle qui voulait agir comme répondante ne satisfait pas à la définition de « répondant ») signifie qu’il ne s’agit pas d’une affaire de regroupement familial, et qu’il n’existe donc pas de droit d’appel. Le demandeur fait observer que la SAI a déjà jugé que les alinéas 130(1)b) et 133(1)a) exigent que le répondant demeure au Canada jusqu’à ce que la demande de résidence permanente soit décidée (voir Sahranavard c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2010] DSAI no 19 [Sahranavard]). Selon le demandeur, il résulte de cette conclusion qu’Asal n’est pas une « répondante », que l’affaire ne porte pas sur le regroupement familial et qu’il n’existe pas de droit d’appel. En substance, le demandeur semble soutenir que la SAI déclinera compétence et que, de toute façon, ses décisions antérieures montrent qu’il serait inutile d’interjeter appel devant elle.

[28]           Le demandeur souligne qu’au paragraphe 38 de Somodi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1356 (la décision portée en appel dans l’affaire Somodi, précitée), le juge Mandamin a cité l’analyse de la question de la compétence par la Cour suprême au paragraphe 37 de Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 RCS 3 :

Me fondant sur ce qui précède, je conclus que les cours de justice doivent considérer divers facteurs pour déterminer si elles doivent entreprendre le contrôle judiciaire ou si elles devraient plutôt exiger que le requérant se prévale d’une procédure d’appel prescrite par la loi.  Parmi ces facteurs figurent : la commodité de l’autre recours, la nature de l’erreur et la nature de la juridiction d’appel (c.àd. sa capacité de mener une enquête, de rendre une décision et d’offrir un redressement).  Je ne crois pas qu’il faille limiter la liste des facteurs à prendre en considération, car il appartient aux cours de justice, dans des circonstances particulières, de cerner et de soupeser les facteurs pertinents. [Souligné par le juge Mandamin.]

[29]           Le demandeur affirme que ceci l’arrêt cité introduit un élément discrétionnaire qui comprend la commodité de l’autre recours, et l’oppose à la démarche plus rigide « sed lex dura lex » – qui renvoie à la notion que [traduction] « la loi est dure, mais c’est la loi ». Il cite également la décision Huot, précitée, au paragraphe 17, dans laquelle le juge Martineau a fait observer que « la demanderesse avait le droit d’appeler à la SAI en théorie, mais en pratique, ce n’était qu’un droit vide », car dans les circonstances de l’espèce, la SAI n’avait pas compétence pour accorder la mesure demandée, à savoir une exemption fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Il affirme que le raisonnement du juge Martineau reposait sur des considérations pratiques. En effet, le juge a cherché à « apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible ». Le demandeur soutient qu’il faudrait appliquer un raisonnement similaire en l’espèce, et qu’à l’évidence, il n’existe aucun autre recours, car plus d’une année s’est écoulée sans que la Commission traite la requête visant à obtenir un jugement sur une question de droit ayant trait à la compétence de la SAI pour entendre l’affaire. Le demandeur déclare que la principale question soulevée – le critère de résidence applicable dans le contexte du parrainage au titre du regroupement familial – est une question de droit que la Cour pourrait trancher avec plus d’efficacité.

Le bien‑fondé de la demande

Le demandeur

[30]           Le demandeur soutient que l’agent a de façon erronée intégré un critère de résidence fondé sur l’intention à l’alinéa 130(1)b) du Règlement, ce qui constitue une erreur de droit et de compétence que la Cour doit corriger. Il affirme que la seule exigence de résidence pour parrainer un demandeur au titre du regroupement familial est de satisfaire à l’obligation de résidence que prévoit l’article 28 de la Loi, soit au moins 730 jours de présence effective au Canada par période quinquennale. Il a été constaté qu’au 30 mai 2011, Asal satisfaisait à cette obligation, et elle conservait sa résidence permanente sauf s’il était déterminé qu’elle ne respectait pas cette obligation au moment du refus de la demande de son mari. Étant donné qu’aucune décision en ce sens n’avait été rendue et que rien ne justifiait une telle décision, il était erroné de conclure qu’Asal ne « résidait pas au Canada » aux fins de l’alinéa 130(1)b) du Règlement.

[31]           Le demandeur fait valoir de plus qu’Asal a soutenu dans la requête interlocutoire qu’elle a présentée à la SAI que le terme « demande » au paragraphe 133(1) renvoie sans ambiguïté à la demande de parrainage proprement dite, et non à la demande de résidence permanente du conjoint parrainé. Le paragraphe en question est rédigé comme suit :

133. (1) L’agent n’accorde la demande de parrainage que sur preuve que, de la date du dépôt de la demande jusqu’à celle de la décision, le répondant, à la fois :

a) avait la qualité de répondant aux termes de l’article 130;

Le demandeur affirme que l’emploi de l’article défini (« la demande ») après avoir renvoyé à  « la demande de parrainage » démontre que l’obligation que le répondant « réside au » Canada vaut seulement jusqu’à l’approbation de la demande de parrainage, et qu’il n’y a pas d’obligation que le répondant demeure au Canada après que celle‑ci a été approuvée. Autrement dit, rien ne prévoit que le répondant doive continuer de résider au Canada pendant le traitement de la demande de résidence permanente de la personne parrainée. Le demandeur souligne que le traitement peut connaître des lenteurs et soutient que l’intention n’a pas été de séparer les répondants de leur conjoint et qu’ils demeurent au Canada pendant cette période d’attente. Il affirme que les demandeurs relevant de la catégorie du regroupement familial sont fréquemment accusés de mauvaise foi sur le fondement de l’article 4.1 du Règlement, car les conjoints canadiens ne rendent pas assez visite à leur conjoint à l’étranger pendant le traitement de la demande de résidence permanente. Il soutient que le défendeur ne peut à la fois vouloir que les conjoints se voient et exiger que la répondante demeure en permanence au Canada pendant cette période; autrement dit, le défendeur ne peut pas gagner sur les deux tableaux.

[32]           Le demandeur déclare qu’un critère fondé sur l’intention a été appliqué relativement à l’état de résident permanent sous le régime de la Loi de 1976 sur l’immigration. Le résident permanent devait prouver avoir constamment manifesté l’intention de résider au Canada – appelé le plus souvent « critère de la décision Koo » (voir Koo (Re), [1993] 1 CF 286 [Koo]). Le demandeur déclare toutefois que cette méthode a été abandonnée avec l’adoption de la Loi en 2002. Le critère de la décision Koo demeure certes pertinent en matière de citoyenneté, mais il ne l’est plus en matière de résidence permanente. C’est plutôt le critère quantitatif de la présence effective énoncé à l’article 28 de la Loi qui doit être appliqué pour la question de la conservation du statut de résident permanent. Le demandeur affirme que rien dans la Loi ou dans le Règlement n’indique qu’il faille quoi que ce soit de plus pour satisfaire au critère que le répondant « réside au Canada » visé à l’alinéa 130(1)b) du Règlement, et fait observer que la Loi ne fait absolument aucune mention d’une intention de résidence. De même, la question de savoir si l’on a « des liens avec » le Canada est sans pertinence dans le cadre d’une analyse fondée sur l’article 28. C’est pourquoi le demandeur soutient que l’agent a ajouté des exigences qui n’existent pas dans le régime législatif et qui sont donc ultra vires (Hui c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1986] 2 CF 96 (CAF); Muliadi c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1986] ACF no 1056 paragraphes 21, 23).

[33]           Le demandeur souligne que la SAI a systématiquement conclu, sans analyser le changement entre, d’une part, la Loi de 1976 sur l’immigration et, d’autre part, la Loi et le Règlement actuels, que le critère Koo s’applique pour l’interprétation du terme « réside » à l’alinéa 130(1)b) du Règlement (voir Zhang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] DSAI no 608; décision Sahranavard, précitée). Il relève de plus que le juge en chef Crampton de la Cour a jugé ce raisonnement raisonnable dans la décision Iao, précitée, même s’il précise aussi qu’il n’y a eu [traduction] « aucune analyse ». Il soutient que la Cour devrait interpréter de façon plus téléologique la Loi, qui souligne son objet de veiller à la réunification des Canadiens avec leurs proches de l’étranger (voir Hajariwala c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 2 CF 79, [1988] ACF no 1021). Selon le demandeur, l’interprétation que le défendeur et la SAI donnent de la Loi a un effet de désunion sur les relations conjugales, en ce qu’elle exige que les conjoints soient séparés pendant le traitement de leur demande de résidence permanente au titre de la catégorie du regroupement familial, et une telle interprétation n’est pas conforme aux objets de la Loi.

Le défendeur

[34]           Le défendeur soutient que la décision au fond n’est pas déraisonnable, car le demandeur n’a pas démontré que la répondante avait satisfait à toutes les exigences qu’impose la législation. L’exigence de résidence applicable en l’espèce diffère de celle applicable pour conserver le statut de résident permanent, ce dernier critère étant sans pertinence en l’espèce.

[35]           Afin de conserver sa résidence permanente, Asal a dû prouver qu’elle avait été effectivement présente au Canada pendant au moins 730 jours dans la période quinquennale précédente ou qu’elle se qualifiait pour l’une des exemptions que prévoit le paragraphe 28(2) de la Loi. Le défendeur reconnaît qu’au moins à la date du 30 mai 2011, Asal satisfaisait à cette exigence de résidence.

[36]           Toutefois, le défendeur soutient que, pour parrainer un étranger en vue de son immigration au titre de la catégorie du regroupement familial, la répondante doit résider au Canada à partir de la date de la demande de parrainage jusqu’à ce que soit tranchée la demande (de résidence permanente de la personne parrainée). Ceci ne signifie pas que la répondante ne peut voyager pour rencontrer son conjoint ou prendre des vacances; mais elle doit prouver qu’elle vit au Canada (qu’elle y a son domicile). Cette obligation de résidence s’oppose à la possibilité, pour les citoyens canadiens, de parrainer leur conjoint sans respecter cette exigence, pourvu qu’ils résident au Canada quand le conjoint parrainé deviendra citoyen permanent. Le défendeur affirme que le législateur a voulu à cet égard traiter différemment les citoyens canadiens et les résidents permanents, et que le paragraphe 130(1) et l’alinéa 133(1)a) n’ont de sens que si les répondants qui sont résidents permanents sont tenus à une présence effective au Canada pendant le processus (voir Fatehi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CanLII 61974 aux paragraphes 19‑29 (CA CISR)).

[37]           Le défendeur déclare que le critère approprié pour décider si un résident permanent satisfait à l’exigence de résidence en vue de parrainer un étranger au titre de la catégorie du regroupement familial est énoncé dans Gao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CanLII 48092 (CA CISR), et qu’il a été jugé raisonnable dans la décision Iao, précitée. Ce critère est une version modifiée du critère de résidence pour l’admissibilité à la citoyenneté énoncé au paragraphe 10 de la décision Koo, précitée (voir la décision Iao, précitée, paragraphe 23). L’agent des visas doit donc se demander si le répondant a centralisé son mode de vie au Canada depuis la date de la demande de parrainage jusqu’à ce que soit tranchée la demande de résidence permanente du conjoint parrainé. Il s’agit d’une analyse qualitative, celle des facteurs militant pour ou contre la conclusion que le répondant a résidé au Canada pendant cette période. Le défendeur déclare que le fait que chaque élément du critère n’a pas été clairement mentionné à la répondante n’a aucune incidence sur la validité de l’analyse de l’agent.

[38]           Le défendeur soutient qu’en l’espèce, il était raisonnable de conclure que la répondante ne résidait pas au Canada. Elle est retournée en Iran vivre avec le demandeur (et non lui rendre visite), après avoir été notifiée qu’elle est admissible à le parrainer. Même si la répondante était tenue de résider au Canada depuis décembre 2011, il existe un bail d’appartement en Iran pour le 9 novembre 2011 au 10 mars 2013 et elle y est mentionnée à titre de locataire. Aucun autre élément n’a été présenté pour prouver que la répondante a effectivement résidé au Canada ou y avait des attaches suffisantes pour demander la résidence; elle vit d’ailleurs actuellement en Iran.

[39]           Le défendeur affirme que les dépens sont justifiés en l’espèce parce que le demandeur a déposé la demande de contrôle judiciaire en même temps qu’un appel à la SAI qui soulève les mêmes questions, tout en sachant très bien que la SAI est le tribunal approprié. Contrairement à la situation dans Johnson c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1262, le demandeur ne s’est pas simplement trompé sur le choix du tribunal : il a également engagé des demandes concomitantes sur la même question. Par conséquent, les ressources du défendeur ont été gaspillées, de même que celles de la Cour, dans un domaine bien établi en droit.

ANALYSE

[40]           La Cour n’est pas insensible à la situation actuelle du demandeur et de son épouse, mais malheureusement il est à mon avis bien clair en droit que je ne peux faire droit à la demande.

[41]           La répondante du demandeur dispose clairement d’un autre recours valable devant la SAI, et si elle n’est pas satisfaite de la décision de celle‑ci, elle pourra en demander le contrôle judiciaire à la Cour. Elle a déjà exposé ses arguments à la SAI et attend seulement une décision qui, une fois rendue, lui permettra de poursuivre ses démarches.

[42]           Il ressort clairement de l’effet combiné de l’article 62, des paragraphes 63(1) et 72(1) et de l’alinéa 72(2)a) de la Loi que la répondante du demandeur doit épuiser les voies d’appel que lui assure la Loi avant que soit lui soit elle puisse s’adresser à la Cour. La Cour d’appel fédérale l’a confirmé dans l’arrêt Somodi, précité, ainsi que plus récemment le juge Scott dans la décision Sadia, précitée.

[43]           Le défendeur souligne que, conformément à son droit d’interjeter appel à la SAI, la répondante a interjeté appel; l’appel est en instance. La Cour d’appel fédérale a statué que le dépôt de demandes concomitantes à la SAI et à la Cour fédérale est contraire à l’intention de la LIPR. L’alinéa 72(2)a) exclut les demandes de contrôle judiciaire dans le contexte de la catégorie du regroupement familial tant que le répondant que propose l’étranger n’a pas épuisé son droit d’appel devant la SAI en vertu de l’article 63 de la Loi. Il appartient à la SAI, et non à la Cour fédérale, de se prononcer sur la validité du parrainage. En l’espèce, comme la présente demande soulève les mêmes questions que l’appel auprès de la SAI et que le demandeur n’a pas présenté de demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, comme il l’a reconnu, l’alinéa 72(2)a) exclut toute demande à la Cour tant que son droit d’appel n’a pas été exercé. Le fait que l’appel à la SAI puisse durer plus longtemps que la répondante ne l’escomptait ne constitue pas un motif suffisant pour parvenir à une conclusion différente.

[44]           Depuis l’audition de la présente affaire, l’avocat du demandeur, qui représente également la répondante devant la SAI, a écrit à la Cour, et l’a ainsi tenue au courant des derniers développements devant la SAI. Celle‑ci s’est prononcée contre la position de la répondante sur le sens du terme « demande » au paragraphe 133(1) – question que celle‑ci avait soulevée dans une requête dans laquelle elle demandait l’interprétation de cette disposition (voir paragraphes 29 et 31 des présents motifs). Selon l’avocat du demandeur, cette décision permet d’écarter l’appel en instance devant la SAI. La répondante reconnaît ne pas avoir résidé au Canada entre avril 2012 et le 12 mai 2014, y compris quand la décision faisant l’objet du contrôle en l’espèce a été rendue en février 2013, ni conservé d’attache au Canada (pas de « pied‑à‑terre » selon l’expression de l’avocat) susceptible de prouver qu’elle y avait centralisé son mode vie à l’époque. Selon l’avocat, la SAI n’a donc plus rien à décider. L’appel est voué à l’échec, et l’avocat a demandé à la SAI de le rejeter rapidement pour que la Cour puisse être saisie de l’affaire dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Il propose de [traduction] « demander à la Cour que la demande d’autorisation lui soit renvoyée, compte tenu des circonstances, […] et que l’affaire soit traitée avec célérité, aux conditions qu’elle pourra fixer ».

[45]           J’ignore si la Commission a rendu sa décision définitive rejetant l’appel, mais aux fins de la présente demande, cela importe peu. La décision de la SAI est distincte de celle qui fait l’objet du contrôle en l’espèce, soit la décision rendue par l’agent le 22 février 2013. Je ne suis pas habilité à examiner une contestation de la décision de la SAI dans le contexte de la présente demande. Lorsque les circonstances s’y prêtent, la Cour peut, certes, à sa discrétion, autoriser la contestation de plusieurs décisions dans une seule demande (voir l’article 302 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106), mais je ne suis au courant d’aucune instance où elle a autorisé la modification de l’avis de demande après l’audience afin d’autoriser la contestation d’une deuxième décision. Je n’ai été saisi d’aucune requête en modification en ce sens, et je ne pense pas qu’il conviendrait d’accueillir une telle demande en l’espèce.

[46]           Si le demandeur souhaite contester la décision de la SAI, il doit suivre la procédure normale et demander l’autorisation de déposer une demande de contrôle judiciaire de cette décision en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi. La demande devrait être présentée à la Cour de la manière habituelle prévue par le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/93‑22. Il est possible de déposer une requête en vue d’accélérer la procédure d’autorisation, mais le seuil de justification est élevé : voir par exemple Smith c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] ACF no 888, 2002 CFPI 662.

[47]           Voilà qui suffit pour statuer sur la présente demande. Le défendeur a demandé les dépens, mais je ne pense pas qu’ils soient justifiés en l’espèce. Le demandeur a obtenu l’autorisation de présenter la présente demande, de sorte qu’elle ne peut être considérée comme futile ou vexatoire, et il est évident qu’il a éprouvé de réelles difficultés personnelles, pour se placer à la merci de la Cour dans l’espoir d’obtenir une quelconque résolution de la situation personnelle difficile que vit son couple. Je ne saurais l’en blâmer.

[48]           Le demandeur a proposé à la Cour que quatre questions soient certifiées :

[traduction]

1.      L’article 130 fait‑il davantage que simplement définir l’admissibilité d’un résident permanent ou d’un citoyen à parrainer son époux ou conjoint de fait et exiger, parmi les conditions d’admissibilité, qu’il « réside au Canada »?

2.      En outre, le terme « réside » employé a‑t‑il une portée plus large que la notion de « vivre dans les faits » de la common law?

3.      L’alinéa 133(1)a) du Règlement exige‑t‑il davantage que l’obligation pour le répondant de résider au Canada, au sens d’y vivre pendant la période de parrainage, jusqu’à l’approbation de la demande de parrainage?

4.      La Cour conserve‑t‑elle compétence en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales pour statuer sur le droit d’un demandeur, même si le recours subsidiaire de sa répondante n’a pas été entièrement épuisé?

[49]           Les questions 1, 2 et 3 sont sans pertinence pour la décision que j’ai rendue sur le fondement de la compétence, et la jurisprudence sur la question 4 – à tout le moins en ce qui a trait aux circonstances de l’espèce – est sans équivoque. Il n’y a donc aucune question à certifier.


JUGEMENT

LA COUR :

1.      REJETTE la demande;

2.      DÉCLARE qu’il n’y a aucune question à certifier;

3.      N’ADJUGE aucuns dépens.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1787‑13

 

INTITULÉ :

KYVAN KIANI MANESH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 MAI 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE :

LE 31 juillet 2014

 

COMPARUTIONS :

Cecil L. Rotenberg

 

POUR Le demandeur

 

David Cranton

 

POUR Le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cecil L. Rotenberg, c.r.

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR Le demandeur

 

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR Le défendeur

 

 

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