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Date : 20140731


Dossier : IMM‑1729‑13

Référence : 2014 CF 766

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 31 juillet 2014

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

EKTA HASMUKH TRIVEDI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], à l’encontre de la décision, en date du 21 janvier 2013, par laquelle un agent d’immigration du haut‑commissariat du Canada à New Delhi [l’agent] a rejeté la demande de résidence permanente présentée par la demanderesse au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés [la décision].  

CONTEXTE

[2]               La demanderesse est une citoyenne de l’Inde. Elle a présenté une demande de visa de résidente permanente au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) en février 2010. À l’époque, la demanderesse travaillait aux États‑Unis. Or, sa demande indiquait une adresse postale à Mumbai, en Inde, et cette donnée n’a jamais été modifiée. La demanderesse précise que sa demande a été approuvée en principe le 1er février 2012. Toutefois, Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) lui a ensuite envoyé une lettre lui demandant certains documents requis, lettre à laquelle elle a omis de répondre, de sorte que la demande a finalement été rejetée. Le problème vient du fait que la lettre lui a été envoyée à son ancienne adresse aux États‑Unis plutôt qu’à son adresse postale en Inde et qu’elle ne l’a jamais reçue, ce qui a, selon elle, compromis l’équité procédurale.

[3]               Voici la chronologie précise des événements. Le 25 juin 2012, un agent du haut‑commissariat à New Delhi, identifié dans les notes consignées dans le Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (STIDI) comme étant du Service de sélection humanitaire (SSH), a envoyé par la poste une lettre à la demanderesse à son ancienne adresse domiciliaire, à Evansville, en Indiana. Dans sa lettre, il demandait à la demanderesse de fournir, dans les 45 jours, les documents suivants : une attestation du paiement des frais relatifs au droit de résidence permanente (FDRP), les rapports d’examen médical et passeports de la demanderesse et de son époux ainsi qu’une preuve de solvabilité d’un montant minimal de 13 837 $ en dollars canadiens. Le 7 août 2012, la lettre a été retournée avec la mention « non distribuée ». Le 22 août 2012, dans un courriel à la demanderesse, l’agent lui a demandé de mettre à jour son adresse postale et son adresse domiciliaire au moyen du formulaire en ligne accessible dans le site Web du Ministère.

[4]               La demanderesse affirme qu’elle a ouvert une session dans le système, entré la même adresse postale qu’elle avait utilisée précédemment, et cliqué sur « Envoyer ». Elle affirme avoir reçu un message automatisé l’informant que ses renseignements seraient mis à jour dans les trente (30) jours.

[5]               Le 28 janvier 2013, la demanderesse a reçu une lettre du défendeur datée du 21 janvier 2013 indiquant qu’elle n’avait pas répondu à la lettre du 25 juin 2012 et que, par conséquent, sa demande de résidence permanente au titre de travailleur qualifié était rejetée.

DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[6]               Dans sa lettre datée du 21 janvier 2013, l’agent a rejeté la demande de résidence permanente de la demanderesse présentée dans la catégorie des travailleurs qualifiés. L’agent a indiqué que, selon le paragraphe 16(1) de la Loi, l’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous les éléments de preuve pertinents et présenter les visas et documents requis. L’agent a indiqué qu’il a demandé à la demanderesse, dans sa lettre du 25 juin 2012, de produire certains éléments de preuve et documents dans les 45 jours afin de poursuivre le traitement de la demande, et que, à la date de la lettre, aucune communication n’avait été reçue de la part de la demanderesse. La demande de résidence permanente a été refusée parce que l’agent n’était pas convaincu que la demanderesse répondait aux exigences prescrites au paragraphe 11(1) de la Loi.

QUESTIONS EN LITIGE

[7]               La demanderesse a soulevé la question suivante dans la présente demande :

a)      Le défendeur a‑t‑il unilatéralement et arbitrairement modifié l’adresse postale de la demanderesse sans fournir de raisons et, dans l’affirmative, ce fait constitue‑t‑il un manquement à l’équité procédurale?

NORME DE CONTRÔLE

[8]               Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada explique qu’il n’est pas nécessaire dans tous les cas de procéder à une analyse de la norme de contrôle applicable. Ainsi, lorsque la norme de contrôle qui s’applique à la question particulière dont la cour est saisie a été établie de manière satisfaisante par la jurisprudence, il est loisible à la cour chargée du contrôle de l’adopter. Ce n’est que lorsque cette recherche se révèle infructueuse ou que la jurisprudence pertinente semble devenue incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire que le tribunal procédera à l’examen des quatre facteurs de l’analyse relative à la norme de contrôle : Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48.

[9]               La question de savoir si l’agent a agi de façon inéquitable en refusant de donner à la demanderesse la possibilité de répondre à la demande d’éléments de preuve et d’information soulève une question d’équité procédurale susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte : voir Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79; Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, au paragraphe 100; Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, au paragraphe 53.

DISPOSITIONS LÉGALES

[10]           Les dispositions suivantes sont applicables dans la présente instance :

Visa et documents

11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.



[…]

Application before entering Canada

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

[…]

Obligation du demandeur

16. (1) L’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visa et documents requis.

[…]

Obligation — answer truthfully

16. (1) A person who makes an application must answer truthfully all questions put to them for the purpose of the examination and must produce a visa and all relevant evidence and documents that the officer reasonably requires.


[…]

ARGUMENTS

Demanderesse

Équité procédurale

[11]           Selon la demanderesse, les notes du STIDI mentionnent qu’un agent désigné comme étant rattaché au SSH a envoyé à la mauvaise adresse une lettre destinée à la demanderesse. En raison de la non‑distribution de la lettre, ce même agent a donc demandé à la demanderesse des renseignements par un moyen qui ne lui permettait pas de savoir à quel moment les renseignements avaient été fournis.

[12]           La demanderesse note que la Cour a déjà statué qu’il incombe aux demandeurs de s’assurer de recevoir leur courrier, en supposant que le défendeur a bien adressé ce courrier. Elle cite Yang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 124, au paragraphe 8 [Yang], où la juge Snider écrit :

[8]        Ayant examiné le dossier dont je dispose, je suis convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que la lettre du 27 mars a été envoyée, par courrier ordinaire, à l’adresse donnée par le demandeur. Une copie de la lettre figure dans le dossier. L’adresse qui y est indiquée est correcte. Les notes du Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration font explicitement mention de l’envoi de la lettre du 27 mars. Bien qu’il ait présenté des éléments de preuve selon lesquels son consultant n’avait pas reçu la lettre du 27 mars, le demandeur n’a pas présenté de preuve qui me permettrait de douter du fait que la lettre a été envoyée à la bonne adresse par des moyens fiables.

[Souligné par la demanderesse.]

[13]           La demanderesse fait valoir qu’on ne lui a pas expliqué pourquoi on a envoyé la lettre à son adresse domiciliaire, alors qu’elle avait inscrit dans sa demande une adresse postale située à proximité du bureau des visas. Elle soutient que cette omission de fournir des raisons ne résiste pas à [traduction] « une analyse assez poussée » : Zheng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 31, 5 Imm LR (3d) 208 (1re inst). Le fait que le défendeur a acheminé la lettre de demande de renseignements à la mauvaise adresse constitue, au vu du dossier, une erreur susceptible de contrôle.

[14]           La demanderesse avance que l’analyse dans Hu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 16093, 193 FTR 148 (1re inst) est applicable en l’espèce. Dans cette affaire, le demandeur avait envoyé un formulaire indiquant qu’il remplaçait son adresse postale par celle du bureau de son nouvel avocat. Or, le CIC a envoyé de la correspondance – un avis de convocation – à l’adresse postale du demandeur. Cette adresse était périmée, de sorte que le demandeur ne s’est pas présenté à l’entrevue. Au paragraphe 16 de son jugement, le juge Pinard a estimé que « le fait d’intentionnellement omettre de tenir compte du changement d’adresse en bonne et due forme que le demandeur a signé et d’insister plutôt pour envoyer ailleurs les lettres enjoignant au demandeur de se présenter à une entrevue constitue clairement une violation de l’obligation d’agir de façon équitable ».

[15]           Si sa demande est accueillie, la demanderesse soutient qu’on devrait lui adjuger ses dépens relatifs à la demande sur une base avocat‑client. Elle fait valoir l’existence d’une jurisprudence abondante où le défendeur a omis de donner au demandeur des directives appropriées et refusé de corriger cette erreur d’adresse lorsqu’il en a eu connaissance : Dhoot c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1295, au paragraphe 19; Paul c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1075, aux paragraphes 12 à 14.

Défendeur

Le risque de la non‑livraison doit être assumé par la demanderesse

[16]           Le défendeur soutient qu’une fois que le ministre a prouvé qu’une communication a été envoyée à un demandeur et que rien n’indique à l’agent des visas que la communication a échoué, le risque de la non‑livraison repose sur les épaules du demandeur : Alavi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 969, au paragraphe 5 [Alavi]; Kaur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 935, au paragraphe 12 [Kaur]; Zare c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1024, au paragraphe 36 [Zare].

[17]           Le défendeur se dit d’avis que la preuve dont dispose la Cour permet d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que la lettre du 25 juin 2012 a été dûment envoyée à l’adresse domiciliaire de la demanderesse, et que rien n’indiquait à l’agent des visas que la communication avait échoué.

[18]           Le défendeur fait remarquer que dans la décision Yang, précitée, la juge Snider a estimé qu’une preuve similaire était suffisante pour conclure, selon la prépondérance des probabilités, qu’une lettre avait été envoyée par courrier ordinaire. En conséquence, la demanderesse assumait le risque de la non‑réception du document.

Il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale

[19]           Notre Cour a statué que l’équité procédurale dans le contexte d’une demande de visa n’exige pas du bureau des visas qu’il confirme la réception de lettres, de télécopies ou de courriels, vu le volume considérable de demandes que traitent les agents de visas : décision Yang, précitée, au paragraphe 14; Zhang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 75, au paragraphe 14.

[20]           Qui plus est, le 22 août 2012, la demanderesse a été contactée par courriel après l’envoi de la lettre du 25 juin 2012, qu’elle n’a pas reçue, et s’est vu demander de mettre à jour son adresse postale et son adresse domiciliaire. La demanderesse a fourni la même adresse postale qu’auparavant, mais elle n’a pas indiqué si elle avait mis à jour son adresse domiciliaire. De plus, dans ses observations, elle a dit de l’adresse à Evansville, en Indiana, qu’il s’agissait de son [traduction] « ancienne adresse domiciliaire ». Donc, si l’on se fie à ce qu’écrit la demanderesse dans sa réponse au courriel du 22 août 2012, elle a omis d’avertir CIC de son changement d’adresse domiciliaire.

[21]           Selon le défendeur, la demanderesse a mal compris l’essentiel du désaccord entre les parties, lequel porte sur l’adresse domiciliaire. Le défendeur ne conteste pas que la demanderesse lui ait fourni son adresse postale en Inde comme étant son adresse postale actuelle, mais il souligne que l’adresse domiciliaire de la demanderesse a changé et que CIC n’a pas été informé de ce changement. Le défendeur soutient que le ministre n’a pas commis d’erreur en se fiant aux coordonnées fournies par la demanderesse, particulièrement lorsque la personne concernée a eu la possibilité de mettre à jour ses coordonnées et ne l’a pas fait.

[22]           Toujours selon le défendeur, étant donné que l’agent n’avait reçu aucune réponse à son courriel du 22 août 2012, il lui était impossible d’examiner correctement les rapports médicaux et financiers et c’est à juste titre que la demande a été rejetée.

[23]           Le défendeur soutient également qu’aucuns dépens ne devraient être adjugés. L’article 22 des Règles des Cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22 dispose que la demande de contrôle judiciaire ne donne pas lieu à des dépens, sauf ordonnance contraire rendue par un juge pour des raisons spéciales. Le défendeur estime qu’aucune raison spéciale ne justifie en l’espèce d’adjuger des dépens. Même si la Cour juge que l’agent a commis des erreurs de droit, celles‑ci ne constituent pas des raisons spéciales étant donné l’absence de mauvaise foi. La mauvaise foi est une allégation très grave et le critère à cet égard est très strict : Guccione c Alberta Veterinary Medical Association, [1997] AJ No 918 (BR Alb), aux paragraphes 6 et 7; Newfoundland and Labrador Housing Corp c Clarke, [1993] NJ No 6, 105 Nfld & PEIR 11 (CA TN). En l’espèce, les raisons sont défendables à la lumière de la jurisprudence pertinente et rien ne justifie l’adjudication de dépens : R c Sheppard, [2002] 1 RCS 869, aux paragraphes 33, 46, et 53; R c Kendall, [2005] OJ No 2457 au paragraphe 44, 75 OR (3d) 565 (CA); Via Rail Canada Inc c National Transportation Agency, [2001] 2 CF 25, [2000] ACF n1685 (CA); Townsend c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 371; Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF n598 (CAF); Woolaston c Canada (Ministre de la Main‑d’œuvre et de l’Immigration), [1973] RCS 102; Miranda c Canada (Ministre de l’emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 437, 63 FTR 81 (1re inst); Pehtereva c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] ACF no 1491, 103 FTR 200 (1re inst).

La réponse et les observations supplémentaires de la demanderesse

[24]           La demanderesse fait valoir que l’argument du défendeur repose sur l’hypothèse que CIC peut s’informer auprès d’un demandeur de son mode de correspondance préféré, mais ne pas tenir compte de cette information sans aucune raison et sans en aviser le demandeur. Elle n’a jamais donné instruction au défendeur d’utiliser son adresse domiciliaire et ne s’est jamais attendue à y recevoir du courrier. Elle avait fourni à l’agent des visas deux étiquettes postales portant son adresse postale. Elle précise qu’elle déménageait souvent en raison des exigences de son travail et qu’il lui arrivait de ne demeurer que deux semaines à une même adresse.

[25]           La demanderesse ajoute que dans le formulaire qu’elle a remis, il est demandé d’indiquer une adresse postale et de cocher une case si l’adresse domiciliaire du demandeur est différente de son adresse postale. Elle précise que plusieurs raisons peuvent justifier l’existence d’adresses différentes, notamment le souhait de faire adresser la correspondance directement à son avocat, des problèmes de confidentialité à la maison ou l’absence d’adresse fixe en raison de déplacements. Elle note que le formulaire pose clairement les questions suivantes : [traduction] « Quelle est votre adresse postale? » et [traduction] « Quelle est votre adresse domiciliaire si celle‑ci diffère de l’adresse postale? » Une personne raisonnable parlant l’anglais en déduirait que l’information transmise par courrier sera acheminée à l’adresse postale.

[26]           Les décisions où il a été jugé qu’il incombe au demandeur d’assumer le risque de non‑livraison de la correspondance se distinguent par leurs faits de la présente espèce, soutient la demanderesse, parce qu’on avait utilisé la bonne adresse dans ces affaires.

[27]           En ce qui a trait aux dépens, la demanderesse soutient que même si l’agent peut avoir commis une erreur de bonne foi, le défendeur s’est opposé à la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire même si l’existence d’une erreur avait été clairement démontrée, en plus de présenter des arguments qui non seulement ne sont pas étayés, mais qui [traduction] « [contredisent] le sens des mots et [sont] une insulte au bon sens ».

[28]           La demanderesse fait observer que, dans son affidavit, le gestionnaire de l’unité d’appel et des litiges du haut‑commissariat à New Delhi, Jyotsna Sethi, décrit les procédures générales au bureau des visas mais ne fournit aucune raison valable susceptible d’expliquer une modification unilatérale du mode de correspondance implicitement convenu avec la demanderesse. Voici un extrait de l’affidavit :

[traduction]

8. Certes, il ne fait pas de doute que son adresse postale actuelle inscrite dans l’EDC est située en Inde, mais il ne fait pas de doute non plus que la demanderesse a fourni au ministre une adresse domiciliaire aux États‑Unis et qu’elle ne l’a pas mise à jour.

9. En conséquence, nous avons utilisé l’adresse aux États‑Unis pour prendre contact avec la demanderesse.

La demanderesse soutient que ce passage de l’affidavit constitue la description d’une erreur plutôt qu’une explication de la raison pour laquelle la lettre a été envoyée à son adresse domiciliaire.

Les observations supplémentaires du défendeur

[29]           Dans ses observations supplémentaires, le défendeur affirme que rien n’indique que la demanderesse ait répondu au courriel du 22 août 2012 où il lui était demandé de mettre à jour son adresse domiciliaire et son adresse postale. Il semble, d’après les observations et l’affidavit de la demanderesse, qu’elle ne sait pas au juste quelle adresse elle a tenté de fournir en réponse au courriel du 22 août 2012 et que, de toute façon, rien ne démontre objectivement qu’elle ait fourni un quelconque renseignement en réponse au courriel.

[30]           D’ailleurs, comme l’a déclaré Jyotsna Sethi dans son affidavit, le lien inclus dans le courriel du 22 août 2012 ne constituait pas un moyen de modifier une adresse domiciliaire ou postale, mais plutôt un lien visant à faciliter la communication entre un demandeur et le haut‑commissariat à New Delhi.

[31]           Même si l’on accepte qu’une erreur a été commise lorsque la correspondance du 25 août 2012 a été envoyée à l’adresse domiciliaire de la demanderesse aux États‑Unis plutôt qu’à son adresse postale à Mumbai, le rejet de la demande aurait été évité, selon le défendeur, si la demanderesse avait simplement répondu au courriel du 22 août 2012. Les notes du STIDI indiquent que la demande a été refusée parce que le bureau des visas n’avait pas reçu de réponse à ce courriel. Si la demanderesse avait répondu, elle aurait reçu une deuxième demande de renseignements et les aurait probablement fournis.

ANALYSE

[32]           La demanderesse affirme qu’en raison d’un manquement à l’équité procédurale, elle a été privée de la possibilité de fournir les renseignements requis pour compléter sa demande de visa de résidente permanente.

[33]           Il est clair à mon sens que l’agent a commis une erreur en tentant de communiquer avec la demanderesse à son adresse domiciliaire plutôt qu’à son adresse postale. J’accepte l’argument de la demanderesse selon lequel une adresse postale est fournie dans un but précis, et qu’il n’est pas équitable sur le plan procédural d’utiliser une adresse domiciliaire lorsqu’une adresse postale est fournie. Si les tentatives du haut‑commissariat de contacter la demanderesse en étaient restées là, l’argument de l’équité procédurale serait clair.

[34]           Toutefois, lorsqu’il est devenu évident que la demande initiale n’était pas parvenue à la demanderesse, on a tenté de la joindre par courriel; dans son courriel du 22 août 2012, le bureau de l’immigration de New Delhi a demandé à la demanderesse son adresse domiciliaire et son adresse postale actuelles. On n’a pas informé la demanderesse du motif de cette demande, mais il était clair que, pour une raison quelconque, le bureau de l’immigration de New Delhi avait besoin d’une réponse qui lui donnerait les adresses actuelles de la demanderesse.

[35]           Il est acquis aux débats que la demanderesse a reçu ce courriel, et rien n’indique qu’il ne s’agissait pas d’un moyen approprié pour communiquer avec elle; c’est justement à cette fin qu’elle avait fourni son adresse électronique. Le courriel du 22 août 2012 indique que pour [traduction] « communiquer […] par courriel » avec l’agent à New Delhi, la demanderesse devait utiliser le lien mentionné et « toujours inclure, dans [ses] messages, le nom complet, la date de naissance et le numéro de dossier du demandeur ».

[36]           La demanderesse affirme avoir répondu au courriel du 22 août 2012 et avoir fourni l’information requise. Dans son affidavit relatif à la présente demande, elle précise ce qui suit :

[traduction]

Le 22 août 2012, j’ai reçu un courriel du bureau des visas me demandant de mettre à jour mon adresse postale. Ce courriel contenait un lien vers un formulaire en ligne sur le site Web du défendeur. J’ai ouvert une session en utilisant mes informations, j’ai entré la même adresse postale utilisée auparavant et j’ai cliqué sur « Envoyer ». Le dialogue à l’écran m’informait que mes renseignements seraient modifiés dans les trente (30) jours.

[37]           Ainsi donc, elle affirme à tout le moins qu’elle a fourni son [traduction] « adresse postale » en entrant cette adresse dans un formulaire en ligne sur le site Web du défendeur. Les notes du STIDI indiquent que le défendeur n’a reçu [traduction] « AUCUNE RÉPONSE » de la part de la demanderesse au courriel du 22 août 2012. Cela laisse supposer une sorte de rupture dans les communications. Pourtant, Jyotsna Sethi, le gestionnaire de l’unité Appels et Litiges au haut‑commissariat du Canada à New Delhi déclare dans son affidavit :

[traduction]

Le même courriel contient un lien vers notre formulaire en ligne de Demande de renseignements propre à un cas : https://dmp‑portal.cic.gc.ca/enquiries‑renseignements/case‑cas‑eng.aspx?mission=new%20delhi.

Il importe de noter qu’il ne s’agit pas là d’un moyen pour modifier une adresse en ligne. Il s’agit plutôt d’une méthode pour communiquer avec nos bureaux.

[38]           Ian Smart, Conseiller principal de programme à Citoyenneté et Immigrations à Ottawa, déclare dans son affidavit :

[traduction]

On m’a fourni une copie de l’affidavit de la demanderesse et je peux attester que la page Web jointe à l’affidavit est un extrait de son État de la demande du cyberclient (EDC). L’EDC permet aux clients de vérifier en ligne l’état d’avancement de certaines demandes de résidence permanente et des secteurs d’activités de la citoyenneté.

Pour accéder à l’EDC, le client doit d’abord ouvrir une session. Cela fait, le client est en mesure de visualiser des renseignements restreints concernant le traitement de sa demande. La plupart des messages servent à aviser le client du moment où des renseignements demandés ont été reçus ou des avis qui ont été envoyés.

Toutefois, CIC permet à certains demandeurs de mettre à jour leur adresse en ligne. Le changement d’adresse par voie électronique (e‑COA) permet au demandeur d’aviser CIC par voie électronique d’un changement d’adresse au Canada. Je peux attester qu’en août 2012, le site Web de CIC a donné instruction aux demandeurs à l’étranger de contacter le bureau des visas afin de mettre à jour ou de modifier leur adresse. Le système de changement d’adresse par voie électronique (e‑COA) ne permettait pas aux demandeurs à l’étranger de mettre à jour leur adresse en ligne. J’ai tout lieu de croire que ce lien était présent à l’époque où la demanderesse dit avoir modifié son adresse en ligne : http://web.archive.org/web/20120826150933/http://www.cic.gc.ca/english/information/change‑address.asp [http://web.archive.org/web/20120815210213/http://www.cic.gc.ca/francais/information/change‑adresse.asp]

J’ai lu le courriel que le haut‑commissariat a envoyé à la demanderesse et je peux affirmer que le lien fourni dans le courriel n’est pas celui du système de changement d’adresse par voie électronique (e‑COA). Le lien mène le demandeur vers un formulaire de demande de renseignements en ligne. Il n’existe pas de champs spécifiques à remplir pour mettre à jour une adresse postale ou une adresse domiciliaire. En revanche, le client peut demander un changement d’adresse à l’aide de ce formulaire en tapant sa demande dans l’encadré prévu à cet effet : https://dmp‑portal.cic.gc.ca/enquiries‑renseignements/case‑cas‑eng.aspx?mission=new%20delhi

[39]           En somme, selon la preuve présentée par le défendeur, ce dernier n’a reçu aucune réponse à son courriel du 22 août 2012 et le système en place à l’époque n’aurait pas permis à la demanderesse de mettre à jour son adresse en ligne de la façon qu’elle dit l’avoir fait. Les demandeurs à l’étranger sont plutôt avisés de contacter le bureau des visas afin de modifier leur adresse ou de la mettre à jour.

[40]           Les cas cités par le défendeur (et plusieurs autres recensés dans la jurisprudence) traitent tous de la question de savoir qui doit assumer le risque lorsque CIC a envoyé un avis à un demandeur qui affirme ne pas l’avoir reçu. À cet égard, les principes juridiques pertinents sont succinctement énoncés dans la décision Alavi, précitée, au paragraphe 5 :

Le principe qui se dégage de ces décisions, qui visent toutes des communications envoyées au demandeur ou au représentant du demandeur par l’ambassade traitant la demande, est que le prétendu « risque » présenté par le défaut d’envoi de la communication doit être assumé par le ministre s’il ne peut pas prouver que la communication en cause a été envoyée par ses représentants. Cependant, une fois que le ministre prouve que la communication a bien été envoyée, le demandeur assume le risque présenté par le défaut de réception de la communication.

[41]           La Cour a ajouté dans Caglayan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 485, au paragraphe 15 [Caglayan] :

Cependant, la jurisprudence établit également que, lorsqu’une preuve objective que la correspondance n’a pas été reçue en raison d’un problème de transmission qui a été démontré, c’est le défendeur qui assume le risque. En d’autres termes, le défendeur n’a pas seulement l’obligation d’acheminer la lettre au destinataire, mais aussi celle de choisir un moyen de communication fiable et efficace. Comme le juge Mandamin l’a dit dans Zare c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1024, au paragraphe 40, « le défendeur a l’obligation de traiter le demandeur avec équité, ce qui va au‑delà de simplement appuyer sur la touche d’envoi des courriels ».

[42]           La situation en l’espèce diffère des affaires précitées du fait qu’il s’agit d’un envoi qu’aurait fait la demanderesse à CIC en réponse à une demande de mise à jour de CIC, envoi qui n’aurait pas été reçu. Le défendeur demande donc à la Cour d’étendre les principes que nous venons de citer à de nouvelles circonstances.

[43]           Si l’affaire ne se résumait qu’à cela, cette extension pourrait se faire sans problème. Il s’agirait simplement d’appliquer de façon symétrique (ou avec parité) les principes susmentionnés. CIC a le fardeau de prouver qu’il a envoyé la correspondance à un demandeur par des moyens valides. Selon la même logique, le demandeur a le fardeau de prouver qu’il a envoyé de la correspondance à CIC par des moyens valides.

[44]           En vertu de cette logique, la présente demande serait sans aucun doute rejetée, puisque la demanderesse n’a pas prouvé qu’elle a envoyé à CIC la mise à jour de son adresse par des moyens valides. Je ne crois pas que le témoignage du défendeur soit à ce point concluant qu’on puisse affirmer que la demanderesse n’a pas accédé à un formulaire en ligne qui, croyait‑elle, lui permettrait de mettre à jour son adresse. Mais la demanderesse n’a pas non plus fourni un témoignage convaincant de ce qu’elle a réellement fait, et nous ne savons pas s’il s’agissait de moyens valides de correspondre avec le défendeur. Par exemple, elle n’a pas fourni de copie papier de la page imprimée du dialogue qui, selon elle, est apparu à l’écran après qu’elle eut cliqué sur « Envoyer », et lui disait que ses renseignements seraient modifiés dans les 30 jours.

[45]           L’affaire ne se résume toutefois pas à cela. D’autres faits, selon moi, distinguent la présente affaire des décisions citées par le défendeur. Tout d’abord, la demande du défendeur visant à obtenir d’autres attestations et documents, demande qui n’a pas reçu de réponse et qui a donné lieu au rejet de la demande de résidence permanente, n’a jamais été envoyée à la demanderesse par des moyens valides.

[46]           Ce fait a son importance parce que le principe d’équité procédurale en question est le devoir de donner l’avis : voir la décision Yang, précitée, au paragraphe 9. Dans Yang, il s’agissait du devoir de donner un avis de comparaître. Dans le cas présent, il s’agit du devoir de donner l’avis que des attestations et documents additionnels sont requis avant que la décision touchant la demande de la demanderesse ne puisse être rendue.   

[47]           Fait à noter, même s’il est acquis aux débats que la demanderesse a reçu le courriel du 22 août 2012 du défendeur, elle ne savait pas où elle en était par rapport à sa demande. Une demande de production de documents avait été envoyée dont elle ignorait tout (sans que cela soit sa faute), et l’omission de répondre à cette demande aurait et a effectivement signifié le rejet de sa demande. Après le courriel du 22 août 2012, elle ignorait encore tout de ce problème, à cause de l’erreur du défendeur et non de la sienne. Contrairement à l’affaire Halder c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1346, où le demandeur avait reçu des demandes de documents supplémentaires, avait omis de répondre en bonne et due forme, et s’était ensuite plaint qu’aucune nouvelle correspondance ne lui avait pas été envoyée par des moyens suffisamment fiables, la demanderesse en l’espèce ne savait aucunement que les documents avaient été demandés.

[48]           J’estime également que la communication du défendeur à la demanderesse lui demandant de mettre à jour ses coordonnées était ambiguë, tout comme l’était la méthode à utiliser pour répondre à cette demande. Le message ne disait ni : « Veuillez fournir votre adresse actuelle en utilisant le lien ci‑dessous », ni : « Veuillez fournir votre adresse actuelle à l’aide du formulaire de demande de renseignements accessible par le lien ci‑dessous ». Le corps du message (joint à l’affidavit de Jyotsna Sethi) dit simplement :

[traduction]

VEUILLEZ NOUS AVISER, DANS LES 20 JOURS SUIVANT LA RÉCEPTION DU PRÉSENT COURRIEL, DE VOTRE ADRESSE DOMICILIAIRE ET DE VOTRE ADRESSE POSTALE ACTUELLES

Puis, dans le bas du message, après le bloc‑signature et une liste de sites Web de CIC, le message comprend la note suivante :

[traduction]

Pour  communiquer avec notre bureau par courriel, veuillez utiliser le formulaire que vous trouverez à l’adresse suivante : [lien URL] Veuillez toujours inclure, dans vos messages, le nom au complet, la date de naissance et le numéro de dossier du demandeur.

[49]           On pourrait supposer à la lecture de cette note que le formulaire de demande de renseignements où menait le lien au bas du message était le moyen tout indiqué de mettre à jour son adresse, mais c’est loin d’être la seule façon raisonnable de lire ce message. Dans le message, les deux idées sont dissociées et séparées par le bloc‑signature et une liste de sites Web. On ne demande même pas de répondre par courriel et de fournir l’adresse, ce qui aurait au moins établi un lien logique entre les deux textes. Le message dit simplement [traduction] « Veuillez nous aviser », sans préciser le moyen approprié de le faire. Toutefois, il serait tout aussi raisonnable de la part de la demanderesse de lire le message comme une demande de mettre à jour son adresse par des moyens normaux (dont on peut raisonnablement penser qu’ils incluraient un formulaire de changement d’adresse en ligne, le cas échéant), message accompagné d’une note normalisée indiquant que si, pour une raison quelconque, la demanderesse devait correspondre par courriel avec le bureau des visas, elle devrait utiliser le formulaire de demande de renseignements.

[50]           Dans la décision Kaur, précitée, le défendeur avait envoyé la demande de renseignements supplémentaires par des moyens valides (l’adresse électronique fournie par la demanderesse), et rien n’indiquait que la demande n’avait pas bien été envoyée. En l’espèce, par contre, il est acquis aux débats que la demande de documents supplémentaires – demande restée sans réponse et qui a fondé le rejet de la demande de résidente permanente – n’a jamais été envoyée à la demanderesse par des moyens valides.

[51]           La Cour a statué dans Shah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 207, au paragraphe 9, et dans Sawnani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 206, au paragraphe 7, que « [l]a Cour doit être convaincue que l’avis a bien été envoyé » (non souligné dans l’original). Dans Shah tout comme dans Sawnani, le litige portait sur un avis d’entrevue avec un agent des visas. Dans le cas présent, il porte sur une demande d’attestations et de documents supplémentaires. Rien ne donne à penser que la demande de résidence permanente a été rejetée en raison du défaut par la demanderesse de fournir une adresse à jour, et il n’est pas du tout évident que cette omission aurait pu fonder un rejet, surtout compte tenu du fait que CIC disposait de la bonne adresse depuis le début (voir le paragraphe 16(1) de la Loi). Le rejet de la demande avait plutôt pour motif le défaut de répondre à la demande de documents du 25 juin 2012. « L’avis » en question est la demande du 25 juin 2012, et il est acquis aux débats qu’il n’a jamais été envoyé à la demanderesse par des moyens valides. Le défendeur ne s’est par conséquent jamais acquitté de son obligation de donner avis à la demanderesse que des documents supplémentaires étaient requis (voir la décision Zare, précitée, aux paragraphes 39, 49 et 60).

[52]           Étant donné que le défendeur ne lui avait pas donné avis par des moyens valides, la demanderesse ignorait qu’une demande susceptible de fonder le rejet de sa demande de résidente permanente avait été faite. Elle n’était au courant que d’une demande de mise à jour de son adresse, demande à laquelle elle a tenté de répondre (quoique sans succès). Dans ces circonstances, il est difficile de conclure que l’erreur du défendeur avait été « corrigée » de sorte que la demanderesse doive assumer les conséquences du rejet de sa demande en raison d’une communication manquée, laquelle constituait la réponse à la demande de mise à jour son adresse qui lui avait été faite le 22 août. La demanderesse n’avait toujours pas reçu avis de l’exigence de fond en cause en raison d’un manquement du défendeur et non un manquement personnel.

[53]           Il ne s’agit pas simplement de suivre le lien de causalité. Le défendeur ne peut s’en réclamer pour soutenir qu’il n’y aurait pas eu de rejet de la demande de résidente permanente « n’eût été » l’omission de la demanderesse de répondre dûment au courriel du 22 août, alors que c’est le défendeur qui avait l’obligation de fournir un avis de l’exigence de fond qui est en cause en l’espèce.

[54]           Le fait que le défendeur ne savait peut‑être pas à ce moment‑là qu’il avait lui‑même commis précédemment une erreur n’est pas pertinent quant à la question de savoir qui, de la demanderesse ou du défendeur, devrait assumer le risque de la communication manquée.

[55]           La situation aurait peut‑être été différente si la preuve avait démontré qu’au départ, la  demanderesse n’avait jamais fourni la bonne adresse ou qu’elle avait simplement ignoré les tentatives faites par CIC en vue de vérifier ses coordonnées, mais ce n’est pas le cas.

[56]           Ce raisonnement concorde aussi avec l’analyse de la notion de « sans égard à la faute » décrite par le juge Mandamin dans Yazdani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 885, aux paragraphes 45 à 52 et 61 et 62 [Yazdani] :

[45]      Dans les affaires susmentionnées, le litige repose sur une conclusion de faute de la part de l’une des parties. Dans les cas où l’agent des visas n’a pas été en mesure de prouver qu’il avait envoyé l’avis en question, le défendeur devait assumer les risques des communications manquées. Dans les cas où l’agent des visas avait prouvé qu’il avait envoyé l’avis, mais que la communication a échoué en raison d’une erreur de la part du demandeur (tel qu’un changement d’adresse électronique ou le blocage par un filtre de pourriel), le demandeur devait assumer les risques à cet égard.

[46]      Toutefois, dans le cas de la demanderesse les faits sont différents. En l’espèce, la demanderesse a établi que l’adresse électronique du consultant était valide et que le système de courriel fonctionnait correctement.

[47]      Il ne s’agit pas d’un cas où les demandeurs n’ont pas fourni des adresses électroniques à jour, ni d’un cas où le demandeur n’a pas pris toutes les précautions nécessaires pour empêcher l’échec de la remise des courriels. Il ne s’agit pas d’un cas d’absence de preuve quant aux mesures que le représentant du demandeur a prises pour déterminer si son système de courriel était la cause de l’échec de la communication par courriel. En l’espèce, il n’y a tout simplement aucun élément de preuve établissant que la demanderesse est responsable de l’échec de la communication par courriel. Contrairement à l’affaire Zhang, il m’est impossible de conclure à partir de la preuve que la demanderesse est la cause de la communication manquée.

[48]      Je conclus de la preuve en l’espèce que le système de communication par courriel a connu une défaillance pour cause(s) indéterminée(s).

[49]      Dans les circonstances de l’espèce, il paraît excessivement sévère de faire assumer le risque à la demanderesse, qui a déposé correctement sa demande de résidence permanente pour traitement, a fourni une adresse électronique valide, sans aucune preuve de défaillance, et qui attendait tout simplement d’autres instructions lorsqu’elle a découvert que sa demande avait été rejetée sans examen au fond.

[50]      Il faut déterminer si le défendeur devrait assumer le risque. La demanderesse admet qu’il ne semble pas y avoir de faute de la part de l’agent des visas du bureau des visas à Varsovie, à l’exception d’une compréhension erronée de la notification d’état de remise reçue. Elle n’insiste pas sur cette compréhension erronée. Je suis d’accord que cette erreur a peu d’importance.

[51]      Rien n’indique que l’agent des visas a envoyé le courriel en cause à la mauvaise adresse ou qu’il a répondu par courriel alors que la demanderesse avait indiqué qu’elle ne voulait pas recevoir des communications par courrier électronique. Toutefois, je ne vois pas en quoi il s’agit d’une affaire sans aucun égard à la faute.

[52]      En fait, le défendeur a choisi de transférer unilatéralement le dossier de la demanderesse du bureau des visas de Damas au bureau de Varsovie. Il ne fait évidemment aucun doute que le défendeur est en droit d’agir ainsi, compte tenu surtout du fait qu’il visait à éliminer un arriéré dans le traitement des demandes de visa. Toutefois, la section des visas à Varsovie n’a pas avisé séparément la demanderesse du transfert ni n’a vérifié autrement si elle pouvait communiquer par courriel avec le consultant de la demanderesse.

[…]

[61]      En l’espèce, il n’y avait pas eu antérieurement d’échange réussi de courriels entre l’agent des visas de Varsovie et le bureau du consultant. Le protocole de CIC sur les communications par courriel ne prévoit pas non plus de mesures de sauvegarde contre les défaillances de la transmission des courriels (tel un suivi par courrier). Enfin, le régime des demandes de visa ne prévoit pas de nouvel examen dans de telles circonstances.

[62]      Le défendeur a choisi d’envoyer par courriel à la demanderesse un avis d’importance capitale sans mettre en place des mesures de sauvegarde. Compte tenu de ce qui précède, je conclus que le défendeur a assumé le risque d’une défaillance de la transmission des courriels lorsqu’il envoyé la demande cruciale à la demanderesse.

[57]           Dans l’affaire Yazdani, il y avait eu faute de CIC parce que CIC avait transféré la demande à un autre bureau des visas, lequel avait par la suite envoyé par courriel des documents importants sans vérifier si le bureau pouvait communiquer par courriel avec le demandeur et sans mettre en place des mesures de sauvegarde. Dans le cas présent, l’élément de faute est beaucoup plus important. Le défendeur a envoyé la demande à la mauvaise adresse, puis a envoyé une communication ambiguë demandant à la demanderesse une mise à jour de son adresse sans lui donner la possibilité de comprendre la position précaire dans laquelle elle se trouvait par rapport à sa demande – position qui, il faut le souligner, résultait de l’erreur du défendeur.

[58]           Compte tenu de ces circonstances, le défendeur a porté atteinte aux droits de la demanderesse en matière d’équité procédurale et devrait être tenu de donner un avis en bonne et due forme de ce qui reste à faire à l’égard de la demande de la demanderesse et de faire le traitement de cette demande sans délai.

[59]           Je rappellerais aussi l’observation du juge Martineau dans la décision Caglayan, précitée, aux paragraphes 22 et 23 : un peu de bon sens de la part du défendeur – dans le cas présent lorsque l’erreur a été découverte, dans Caglayan lorsque le demandeur a demandé un réexamen – aurait pu donner lieu à une solution plus rapide et entraînant moins de frais qu’un contrôle judiciaire. Cette observation s’applique avec d’autant plus de force en l’espèce que le juge Martineau a rejeté dans Caglayan la demande parce qu’il estimait que CIC « [s’était] conformé parfaitement à la loi » pour rendre la décision.

[60]           Il se peut que le défendeur n’ait eu conscience de son erreur que lorsque la procédure de contrôle judiciaire était déjà en cours, mais son choix de porter l’affaire en justice jusqu’à sa conclusion sur le fondement d’un principe (qui, selon moi, s’est révélé erroné), plutôt que de reconnaître simplement son erreur et de consentir à traiter la demande, a entraîné des retards et des dépenses inutiles.

[61]           Malgré ces observations, je ne crois pas qu’il existe de motifs particuliers justifiant l’adjudication de dépens. Étant donné les circonstances uniques de l’espèce, on ne peut pas dire que le droit est parfaitement établi sur ce point, et le défendeur s’est borné à exercer le droit que lui reconnaît la loi d’engager la poursuite. 


JUGEMENT

LA COUR STATUE ce qui suit :

1.      La demande est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour être  réexaminée.

2.      Il n’y a pas de question à certifier.

3.      Aucuns dépens ne sont adjugés.

« James Russell »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1729‑13

 

INTITULÉ :

EKTA HASMUKH TRIVEDI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 MAI 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DU JUGEMENT :

LE 31 JUILLET 2014

 

COMPARUTIONS :

M. Max Chaudhary

 

POUR La demanderesse

 

Michael Butterfield

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Max Chaudhary

Avocat

North York (Ontario)

 

POUR La demanderesse

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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