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Date : 20140728


Dossier : IMM-7186-13

Référence : 2014 CF 753

Montréal (Québec), le 28 juillet 2014

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

GLADYS MEJIA FRIAS

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La demanderesse conteste la légalité d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [Tribunal] acceptant la demande du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile [Ministre] visant à annuler son statut de réfugiée en vertu de l’article 109 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [Loi].

[2]               La demanderesse est citoyenne de la République Dominicaine. Elle arrive au Canada, via le Mexique, le 23 septembre 2006. Elle fait sa demande d’asile le 3 octobre 2006, et obtient le statut de réfugiée le 27 août 2008. En 2009, on lui refuse l’admission aux États-Unis. Une comparaison des empreintes digitales révèle qu’elle a déjà un casier judiciaire là-bas : elle a été appréhendée par la police du Rhode Island le 11 octobre 1991, sous le nom de Mary Mendez, et a été détenue pendant plusieurs jours. Au terme de cette arrestation, la demanderesse a été accusée de « delivery of cocaine » et « conspiracy to traffic in cocaine » le 6 décembre 1991, et la Cour suprême du Rhode Island a émis un mandat d’arrestation contre elle le 20 septembre 1992 après qu’elle ait fait défaut de se présenter à son procès. Dans les faits, il semble que la demanderesse ait quitté les États-Unis en 2000 pour retourner à la République Dominicaine.

[3]               Le 18 février 2013, le Ministre présente une demande d’annulation de statut de réfugié, alléguant que ce statut a été obtenu sur la foi de présentations erronées ou de fausses déclarations sur les faits, et que, en ne divulguant pas ses antécédents judiciaires aux États-Unis, la demanderesse a empêché le premier tribunal d’évaluer si la clause d’exclusion peut s’appliquer.

[4]               L’article 109 de la Loi prescrit :

109. (1) La Section de la protection des réfugiés peut, sur demande du ministre, annuler la décision ayant accueilli la demande d’asile résultant, directement ou indirectement, de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait.

 

109. (1) The Refugee Protection Division may, on application by the Minister, vacate a decision to allow a claim for refugee protection, if it finds that the decision was obtained as a result of directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter.

(2) Elle peut rejeter la demande si elle estime qu’il reste suffisamment d’éléments de preuve, parmi ceux pris en compte lors de la décision initiale, pour justifier l’asile.

 

(2) The Refugee Protection Division may reject the application if it is satisfied that other sufficient evidence was considered at the time of the first determination to justify refugee protection.

 

(3) La décision portant annulation est assimilée au rejet de la demande d’asile, la décision initiale étant dès lors nulle.

 

(3) If the application is allowed, the claim of the person is deemed to be rejected and the decision that led to the conferral of refugee protection is nullified.

 

[5]               L’article 98 de la Loi se lit comme suit:

98. La personne visée aux sections E ou F de l'article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

 

98. A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

[6]               Spécifiquement, l’article 1Fb) de la Convention des Nations unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] Can TS no 6 [Convention] se lit comme suit :

1F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

 

1F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

[…]

 

[…]

b) Qu'elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil avant d'y être admises comme réfugiés;

 

(b) he has committed a serious non-political crime outside the country of refuge prior to his admission to that country as a refugee;

[…]

[…]

[7]               Dans un premier temps, le Tribunal conclut que le Ministre a établi que la demanderesse a fait des présentations erronées. Dans son Formulaire de renseignements personnels [FRP], la demanderesse a répondu « non » aux questions 9(a) demandant « Avez-vous déjà été recherché, arrêté ou détenu par la police, l’armée ou toute autre autorité d’un pays, y compris le Canada? » Elle a également répondu « non » à la question 10 se lisant comme suit : « Avez-vous déjà commis un crime ou été accusé ou reconnu coupable d’un crime dans un pays, y compris le Canada? » Le Tribunal a spécifiquement examiné la prétention de la demanderesse qu’elle a omis de révéler l’accusation au Rhode Island d’une part, parce qu’elle pensait que la période pertinente était de 1996 à 2006 et que le procureur a fait une erreur administrative en copiant aveuglement les réponses dans le FRP, et d’autre part, parce que l’agent d’immigration aurait explicitement limité les questions « aux dix dernières années ». Le Tribunal a trouvé ces explications non crédibles. Le Tribunal conclut également que ces présentations erronées portent sur un fait important quant à un objet pertinent, soit l’alinéa 1Fb) de la Convention qui « a pour effet de faire perdre au demandeur d’asile la possibilité de recourir au processus de reconnaissance du statut de réfugié au Canada. »

[8]               Dans un deuxième temps, le Tribunal examine la question de savoir si la demanderesse a commis un crime grave de droit commun alors qu’elle était à l’extérieur du Canada. À la lumière des indications fournies dans la décision Jayasekara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CAF 404 [Jayasekara], le Tribunal estime que le fait de livrer de la cocaïne et de conspirer à faire le trafic de la cocaïne est un crime grave. Si cette infraction était commise au Canada, elle constituerait du trafic de substance selon le paragraphe 5(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, LC 1996, ch 19. Or, selon le paragraphe 5(3) de la même Loi, ce crime est passible d’une peine d’emprisonnement à perpétuité. Ayant considéré la liste des facteurs énoncés par la Cour d’appel dans l’affaire Jayasekara pouvant réfuter la présomption de gravité (les éléments constitutifs du crime, le mode de poursuite, la peine prévue, ainsi que les faits et les circonstances aggravantes et atténuantes), le Tribunal conclut que la clause d’exclusion s’applique.

[9]               La norme de contrôle qui s’applique à la décision du Tribunal relative à l’annulation du statut de réfugié est celle de la décision raisonnable. Il en est de même de la question de savoir si une personne est visée ou non par la clause 1Fb) de la Convention. Ayant attentivement considéré les arguments des parties à la lumière des motifs du Tribunal et des preuves au dossier, il convient de rejeter la présente demande. Le Tribunal pouvait raisonnablement conclure que la décision accueillant la demande d’asile de la demanderesse a été prise en considérant les présentations erronées de cette dernière, et que, n’eut été ses présentations erronées, le premier tribunal aurait conclu à l’exclusion de la demanderesse en vertu de la clause 1Fb) de la Convention.

[10]           La demanderesse qui n’attaque pas la deuxième partie de la décision du Tribunal, continue de soutenir devant cette Cour qu’elle a sincèrement répondu aux questions posées à l’occasion de sa demande d’asile et de sa déclaration donnée à l’agent au point d’entrée. Selon elle, les questions posées faisaient référence uniquement aux crimes commis durant les 10 dernières années. Le crime en question remontait à 1991 et donc plus de dix ans s’étaient écoulés. Ainsi, la demanderesse n’a pas donné une fausse déclaration. De plus, la demanderesse souligne qu’il y a des éléments de preuve en l’espèce qui justifient l’asile, et ce, en dépit des présentations erronées. Les arguments de la demanderesse ne me convainquent pas et démontrent seulement le désaccord de la demanderesse sur des questions de crédibilité. Il ne s’agit pas d’un appel mais d’un contrôle judiciaire.

[11]           Le procureur de la demanderesse fait également valoir devant moi que l’analyse du Tribunal a été au départ faussée par le fait que l’actus reus n’a pas été considéré. Je ne partage pas cet avis. Le Tribunal a effectivement examiné si la demanderesse avait fourni des « renseignements » avant de considérer si ces renseignements étaient importants quant à un objet pertinent de la demande d’asile. La conclusion que la demanderesse a fait des présentations erronées m’apparaît raisonnable. Le dossier indique clairement que la demanderesse n’a pas révélé son casier judiciaire aux États-Unis. La demanderesse a admis lors de l’audience devant le Tribunal qu’elle a utilisé le pseudonyme Mary Mendez et qu’elle a fait l’objet d’une arrestation dans l’État du Rhode Island le 11 octobre 1991.

[12]           Le procureur de la demanderesse a également fait valoir devant moi que le Tribunal n’a pas tenu compte de la présomption de bonne foi. Cet argument n’est pas pertinent. L’article 109 de la Loi n’exige pas que la demanderesse ait eu l’intention de cacher les présentations erronées. Cette disposition prévoit plutôt que le Tribunal peut annuler la décision qui résulte « […] directement ou indirectement, de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait. » Voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c Wahab, 2006 CF 1554 au para 29 [Wahab]; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c Pearce, 2006 CF 492 au para 36; Zheng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 619 au para 27. Au demeurant, le Tribunal a déterminé que l’explication de la demanderesse selon laquelle l’agent l’avait interrogé uniquement à propos des dix dernières années n’est pas crédible : par exemple, le FRP a été signé un mois après son entrevue avec l’agent; elle avait bénéficié des services d’un interprète et d’un avocat lorsqu’elle a déclaré que l‘information dans son FRP était complète.

[13]           Le Tribunal pouvait également raisonnablement conclure que si le tribunal ayant traité initialement de la demande d’asile de la demanderesse avait été au courant de ces présentations erronées, sa décision aurait été différente, car il aurait conclu à son exclusion en vertu de la clause 1Fb) de la Convention. Bien que la demanderesse ne conteste pas cette dernière conclusion, je souligne néanmoins que le Tribunal a effectivement tenu compte de tous les éléments énoncés par la Cour d’appel dans l’affaire Jayasekara en déterminant si la demanderesse a commis un crime grave de droit commun alors qu’elle était à l’extérieur du Canada, et est donc inadmissible. Enfin, parce que le Tribunal a conclu à l’exclusion en vertu de la Convention, il n’était pas nécessaire de procéder à l’analyse sous le paragraphe 109(2) de la Loi, qui prévoit que le Tribunal « […] peut rejeter la demande si elle estime qu’il reste suffisamment d’éléments de preuve, parmi ceux pris en compte lors de la décision initiale, pour justifier l’asile. » Voir Wahab précité au para 29.

[14]           La présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Aucune question de droit d’importance générale n’a été soulevée par les parties.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Luc Martineau »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7186-13

 

INTITULÉ :

GLADYS MEJIA FRIAS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 JUILLET 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

LE 28 JUILLET 2014

 

COMPARUTIONS :

Me Anthony Karkar

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

 

Me Suzanne Trudel

 

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

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