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Date : 20140714


Dossier : T-1734-13

Référence : 2014 CF 687

Ottawa (Ontario), le 14 juillet 2014

En présence de monsieur le juge de Montigny

ENTRE :

ADRIENNE ANICHINAPÉO ET

JEAN-MARC PÉNOSWAY

demandeurs

ET

ARMAND PAPATIE, CHARLIE PAPATIE, SUZANNE PAPATIE ET

MARGUERITE ANICHINAPÉO

ET

KEVIN PAPATIE, STEVE PAPATIE, LOUISA PAPATIE ET FRANK PÉNOSWAY

ET

HÉLÈNE MICHEL ET ÉVELYNE PAPATIE

ET

HÉLÈNE MICHEL ET RÉGIS PÉNOSWAY

 

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire d’Adrienne Anichinapéo (la demanderesse principale) et Jean-Marc Pénosway (le demandeur) vise à contester la décision prise le 7 août 2013 par le Comité d’élection, formé d’Armand Papatie, Suzanne Papatie, Charlie Papatie et Marguerite Anichinapéo (le Comité d’élection) de la communauté des Anicinapek de Kitcisakik (la communauté) d’annuler les élections tenues le 5 août 2013. Au terme de ces élections, la demanderesse principale et le demandeur avaient respectivement été élus chef et conseiller.

[2]               Les demandeurs contestent également le nouveau processus électoral initié le 30 septembre 2013, la nomination le 2 octobre 2013 du nouveau Comité d’élection formé de Kevin Papatie, Steve Papatie, Louisa Papatie et Frank Pénosway (le nouveau Comité d’élection), ainsi que l’élection le 25 octobre 2013 d’Hélène Michel (la défenderesse principale) au poste de chef intérimaire et de Régis Pénosway (le défendeur) au poste de conseiller intérimaire.

[3]               Le 10 décembre 2013, le juge Scott a rendu une ordonnance rétablissant de façon intérimaire le Conseil en place avant les élections du 5 août 2013 jusqu’à l’issue du présent contrôle judiciaire, et lui ordonnant de prendre ses décisions à l’unanimité.

[4]               Pour les raisons énoncées ci-dessous, je suis d’avis que la demande de contrôle judiciaire des demandeurs doit être accueillie.

I.                   Les faits

[5]               La communauté des Anicinapek de Kitcisakik est une communauté algonquine très démunie située près de Val-d’Or. Elle est composée d’environ 450 membres.

[6]               La communauté est gouvernée par le Conseil des Anicinapek de Kitcisakik (le Conseil), lequel est composé d’un Chef et de trois conseillers. Les membres du Conseil sont choisis selon la coutume, puisque la communauté n’a jamais été assujettie aux dispositions de la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I-5 concernant les élections. Les membres du Conseil sont élus pour des mandats de quatre ans.

[7]               Jusqu’en 2005, la coutume électorale n’existait que sous forme orale. Lors d’une assemblée générale tenue le 29 août 2005, une majorité des électeurs présents a cependant adopté un Code électoral (le Code) où ont été consignées les règles régissant les élections au Conseil. Le préambule de ce Code mentionne qu’« [i]l remplace tout autre code, procédure ou coutume électorale, écrite ou verbale ». Bien que ce Code ne fasse pas l’unanimité et qu’il ait fait l’objet d’un processus de révision pour le rendre plus conforme à la coutume et corriger ce que d’aucuns perçoivent comme des lacunes, il était toujours en vigueur dans sa forme originale au moment des évènements ayant donné naissance à la présente demande de contrôle judiciaire. La communauté s’est également dotée des Règles et procédures de régie interne de la Communauté anicinape de Kitcisakik (les Règles internes).

[8]               Le 7 juin 2013, le Conseil sortant a lancé le processus électoral en convoquant une assemblée générale pour le 10 juin 2013 en vue de la nomination d’un comité d’élection. Cette assemblée s’étant tenue dans un climat de désordre et de tension, le Comité d’élection a finalement été élu lors d’une assemblée générale ayant eu lieu le 14 juin 2013. Tel que mentionné plus haut, Armand Papatie, Suzanne Papatie, Charlie Papatie et Marguerite Anichinapéo ont été élus comme président, secrétaire et scrutateurs respectivement.

[9]               Le travail du Comité d’élection en prévision des élections du 5 août 2013 n’est pas remis en question. À la suite de son entrée en fonction, le Comité a géré le processus selon les exigences du Code. Il a notamment informé les électeurs du calendrier des élections et affiché la liste des électeurs, convoqué et présidé une assemblée de mise en candidature 14 jours avant la date prévue pour le scrutin, tenu un vote par anticipation le 30 juillet 2013, tenu le scrutin le 5 août 2013 et procédé au dépouillement des votes en rejetant les bulletins de vote qui n’avaient pas été complétés selon les règles.

[10]           Le seul incident qui semble avoir marqué cette période est la contestation de la mise en candidature de James Papatie, chef de la communauté de 1997 à 2005 et de nouveau candidat pour le poste de Chef. Il semble que la belle-sœur d’Adrienne Anichinapéo se soit opposée à la candidature de M. Papatie lors de l’assemblée de mise en candidature tenue le 22 juillet au motif que le Code interdit la candidature de toute personne non-résidente de Kitcisakik. James Papatie aurait alors décidé de retirer sa candidature compte tenu de la tension qui régnait, mais l’assemblée aurait décidé de maintenir sa candidature et aurait demandé au Comité d’élection de s’assurer que M. Papatie acceptait cette décision. Dans son affidavit, ce dernier dit avoir confirmé par écrit au président d’élection qu’il souhaitait maintenir sa candidature; cet écrit n’a cependant pas été produit. Quoi qu’il en soit, le nom de Jimmy Papatie apparaissait sur les bulletins de vote, et il a recueilli 35 votes.

[11]           Le 5 août 2013, le scrutin a eu lieu tel que prévu. Dans le relevé de scrutin produit le lendemain par le Comité d’élection, on apprend que 127 bulletins de vote ont été comptabilisés. La demanderesse principale a été élue avec 47 votes, ses deux principaux adversaires (Nona Pénosway et Jimmy Papatie) recueillant respectivement 39 et 35 votes. La défenderesse principale, de même que le demandeur et Évelyne Papatie, ont par ailleurs été élus comme conseillers. Ce relevé de scrutin a été affiché et distribué dans la communauté.

[12]           Le 7 août 2013, le Comité d’élection a diffusé un communiqué ayant pour objet d’annuler les élections tenues le 5 août. Les motifs au soutien d’une telle décision sont les suivants :

En effet, en respect du code électoral, cette clause n’a pas été respectée : « Trois (3) mois avant la date prévue pour les élections, le Conseil sortant convoque une assemblée générale des électeurs pour procéder à la nomination d’un Comité d’élection composé d’un (1) Président d’élection, d’un (1) secrétaire d’élection et de quatre (4) scrutateurs. »

En plus, en respect du code électoral, cette mention n’a pas été respectée : « Durant la campagne électorale, les candidats et les électeurs sont appelés à témoigner du respect envers tous et chacun. Il est interdit de porter atteinte à l’intégrité des candidats ou à la procédure d’élection. »

Dossier du demandeur, p. 107

[13]           Ce communiqué, signé par trois des quatre membres du Comité (Marguerite Anichinapéo, sœur de la demanderesse principale, ne l’a pas signé), ne semble pas avoir été distribué dans la communauté après que la demanderesse principale en ait interdit la diffusion.

[14]           Du 13 au 16 août 2013, une assemblée générale annuelle de quatre jours fut organisée par le Conseil sortant pour présenter l’exercice financier de l’année précédente. Le 16 août, la demanderesse principale aurait été victime d’attaques personnelles de la part notamment de la défenderesse principale, qui lui aurait reproché d’avoir erronément demandé et reçu une augmentation de salaire dans le passé. La défenderesse principale nie avoir adressé de tels propos à la demanderesse principale ou lui avoir manqué de respect. À la suite de cette altercation, la demanderesse principale se serait adressée à la foule en disant : « Si c’est pour être de même, moi je préfère me tasser. Si vous voulez faire des élections, faites-en ». Les défendeurs soutiennent que la demanderesse principale aurait alors invité l’assemblée à commencer un nouveau processus électoral avant de quitter la salle.

[15]           L’assemblée annuelle s’est poursuivie le 19 août 2013. La question de l’annulation des élections aurait alors été débattue, et l’assemblée aurait finalement annulé les élections du 5 août. Les demandeurs allèguent qu’aucun avis n’a été donné quant au fait que la question des élections serait abordée lors de cette assemblée, et que seulement 40 personnes étaient présentes. Les défendeurs allèguent pour leur part que les membres ont pu s’exprimer librement quant à l’annulation des élections, incluant ceux et celles qui s’opposaient à l’annulation. Aucune preuve documentaire faisant état des décisions prises lors de cette assemblée n’a été soumise par les parties.

[16]           Le 26 août 2013, Adrienne Anichinapéo a convoqué une première réunion du Conseil élu le 5 août 2013 pour discuter des démarches nécessaires à l’assermentation du nouveau Conseil et du mandat de chaque conseiller. Ces sujets ne furent toutefois pas abordés, les défendeurs Hélène Michel, Évelyne Papatie et Régis Pénosway ayant soutenu qu’à la suite de son intervention lors de l’assemblée du 16 août 2013, Adrienne Anichinapéo avait démissionné de son poste de Chef.

[17]           Le 6 septembre 2013, les deux membres non démissionnaires du Conseil sortant, Hélène Michel et Régis Pénosway, ont convoqué une assemblée pour le 10 septembre. Lors de cette assemblée, la demanderesse principale a pris la parole et lu une déclaration voulant qu’elle n’avait jamais remis de lettre officielle de démission à la suite de l’assemblée du 19 août, et qu’elle acceptait de rester à titre de Chef. Elle aurait également distribué un avis juridique qu’elle aurait sollicité de Me Paul Dionne, selon lequel le Comité d’élection n’avait pas le pouvoir d’annuler les élections du 5 août. Les défendeurs allèguent que la demanderesse principale aurait même déclaré qu’elle se présenterait à une course à la chefferie si l’assemblée décidait d’enclencher un nouveau processus électoral.

[18]           Le 30 septembre 2013, les deux membres non démissionnaires du Conseil sortant ont fait circuler un avis de convocation pour une assemblée prévue le 2 octobre 2013 visant à procéder à la nomination des membres du nouveau Comité d’élection. À cette occasion, Adrienne Anichinapéo a de nouveau nié avoir démissionné et s’est opposé formellement au processus en plus de distribuer plusieurs lettres et avis aux membres présents. L’assemblée a néanmoins décidé de procéder à la nomination des membres du nouveau Comité d’élection. Kevin Papatie, Steve Papatie, Louisa Papatie et Frank Pénosway ont été élus respectivement comme président, secrétaire et scrutateurs du nouveau Comité d’élection.

[19]           Le 8 octobre 2013, le nouveau Comité d’élection a convoqué une assemblée pour le 15 octobre 2013 en envoyant un avis à cet effet, auquel était joint un calendrier d’élections fixant la mise en nomination des candidats pour le 23 octobre 2013 et le scrutin pour les 7, 9 et 15 janvier 2014. La demanderesse principale s’est présentée à la réunion du 15 octobre 2013 pour déposer une lettre d’opposition officielle au nouveau processus électoral adressée à Kevin Papatie, en s’appuyant sur une pétition signée par 81 membres de la communauté demandant le respect du vote tenu le 5 août. La preuve ne révèle pas si cette pétition a bel et bien été présentée à l’assemblée.

[20]           Le lendemain, soit le 16 octobre 2013, le nouveau Comité d’élection a émis un avis convoquant une assemblée générale pour combler par voie d’élection les postes vacants de chef et de conseiller.

[21]           Les demandeurs ont déposé leur demande de contrôle judiciaire le 21 octobre 2013 et l’ont signifiée aux défendeurs le 22 octobre. Lors de l’assemblée du 23 octobre, les membres présents ont pris acte de la demande de contrôle judiciaire et ont décidé que des élections se tiendraient le 25 octobre suivant la coutume électorale.

[22]           Lors de l’assemblée tenue le 25 octobre, il semble qu’Hélène Michel et Régis Pénosway se soient entendus pour que la première agisse comme Chef par intérim et que le second soit son « bras droit ». Les deux autres conseillers, Evelyne Papatie et Ghislain Pénosway, ont apparemment été élus par vote à main levée. Le lundi 28 octobre, le nouveau Comité d’élection a diffusé un communiqué informant la population de Kitcisakik des résultats de l’élection du 25 octobre tout en rappelant que le nouveau Conseil était élu par intérim dans l’attente des élections qui étaient alors prévues pour les 7, 9 et 15 janvier 2014.

[23]           Il convient d’ajouter, en conclusion à cette trame factuelle, que la communauté est manifestement très divisée eu égard à tout ce processus. La demanderesse principale se dit forte de l’appui des 81 membres qui ont signé une pétition pour confirmer l’élection du 5 août (Affidavit d’Adrienne Anichinapéo daté du 15 novembre 2013, pièce A-30). De leur côté, les défendeurs prétendent être plébiscités par 107 membres qui ont signé une lettre d’appui au Conseil élu par intérim (Affidavit de Suzanne Papatie, pièce D-23).

II.                Décisions contestées

[24]           Comme il appert de l’avis de demande de contrôle judiciaire et du mémoire des demandeurs, plusieurs décisions sont contestées dans le cadre du présent dossier. Les demandeurs contestent principalement la décision d’annuler l’élection du 5 août 2013. À ce chapitre, il convient de préciser que les demandeurs considèrent le communiqué du Comité d’élection daté du 7 août 2013 comme étant la décision en litige, tandis que les défendeurs soutiennent plutôt que ce communiqué ne constitue qu’une recommandation et que la décision a formellement été prise par l’assemblée le 19 août 2013.

[25]           Les demandeurs plaident également l’illégalité de l’avis d’assemblée générale distribué par les défendeurs le 30 septembre 2013, qui avait pour effet d’enclencher le nouveau processus électoral. Par voie de conséquence, ils attaquent aussi la nomination, lors de l’assemblée du 2 octobre 2013, du nouveau Comité d’élection. Enfin, ils remettent en question l’occupation à leurs yeux illégale par Hélène Michel et Régis Pénosway des postes de Chef par intérim et de conseiller par intérim du Conseil des Anicinapek de Kitcisakik.

III.             Questions en litige

[26]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève à mon avis les questions suivantes :

A.                La Cour doit-elle exercer sa discrétion pour permettre aux demandeurs 1) de faire porter leur demande de contrôle judiciaire sur plus d’une décision et ce, 2) plus de 30 jours après la date à laquelle la première de ces décisions a été rendue?

B.                 L’annulation des élections du 5 août 2013 est-elle valide?

C.                 Le nouveau processus électoral ayant conduit à l’élection du 25 octobre 2013 est-il valide?

IV.             Analyse

[27]           Les parties n’ont fait aucune représentation quant à la norme de contrôle applicable à la présente affaire. À la suite des décisions rendues par la Cour suprême dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 et par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Martselos c Première Nation no 195 de Salt River, 2008 CAF 221, il ne me semble pas faire de doute que la juridiction du Comité d’élection et de l’assemblée de procéder à l’annulation des élections soulève une question de compétence sur laquelle ni le Comité d’élection ni l’assemblée ne possède une expertise particulière. Il en va de même de la troisième question, qui soulève implicitement la question de savoir si la coutume peut suppléer au Code et autoriser la tenue d’une élection selon des modalités que ce dernier ne prévoit pas. La norme de la décision correcte doit donc recevoir application et la Cour n’a pas à faire preuve de déférence eu égard aux décisions qui ont été prises. En revanche, c’est la norme de la raisonnabilité qui s’appliquera dans la mesure où la question à trancher est plutôt de savoir si le Comité d’élection ou l’assemblée a erré dans son application du Code aux faits en litige.

A.                La Cour doit-elle exercer sa discrétion pour permettre aux demandeurs 1) de faire porter leur demande de contrôle judiciaire sur plus d’une décision et ce, 2) plus de 30 jours après la date à laquelle la première de ces décisions a été rendue?

[28]           La Règle 302 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 prévoit qu’une demande de contrôle judiciaire doit être limitée à une seule décision pour laquelle une réparation est demandée. La jurisprudence précise toutefois que cette règle ne s’applique pas lorsqu’il s’agit d’« une même série d’actes » : Shotclose c Première Nation Stoney, 2011 CF 750 au para 64.

[29]           En l’espèce, les différentes décisions contestées sont étroitement liées et découlent d’une même série d’évènements. N’eut été de l’annulation des élections du 5 août 2013 par les défendeurs membres du Comité d’élection ou par l’assemblée générale, le nouveau processus électoral du 30 septembre 2013 n’aurait pas été initié et les défendeurs Hélène Michel et Régis Pénosway n’occuperaient pas respectivement les postes de Chef par intérim et de conseiller par intérim.

[30]           Dans l’arrêt Truehope Nutritional Support Ltd c Canada (Procureur général), 2004 CF 658 (au para 6), le juge Campbell, référant aux propos du juge Muldoon dans l’arrêt Mahmood c Canada, [1998] ACF no 1345 (au para 10), indique que « les actes en question ne doivent pas porter sur deux situations de fait différentes, deux mesures de redressement recherchées, et deux organismes décideurs différents ». Or, il est vrai que les décisions contestées ici n’ont pas été prises par le même décideur (dans la mesure où l’on accepte la prétention des demandeurs voulant que la décision d’annuler les élections du 5 août 2013 a été prise par le Comité d’élection). J’estime néanmoins qu’il est logique et raisonnable que la Cour entende les demandes de contrôle judiciaire présentées par les demandeurs de façon conjointe compte tenu du lien étroit qui existe entre les évènements. Il en va du meilleur intérêt de tous les membres de la communauté que toutes les facettes de ce conflit soient abordées dans le cadre d’une même décision, de façon à ce que la page puisse être tournée et que la communauté puisse, sous le leadership d’un Conseil dont la légitimité ne sera pas remise en question, s’attaquer aux décisions importantes qui doivent être prises à court et moyen terme.

[31]           Au demeurant, je note que les défendeurs ne s’objectent pas à ce que la demande de contrôle judiciaire porte sur toutes les questions soulevées, et acceptent implicitement le bien-fondé de cette façon de faire en présentant eux-mêmes des questions en litige et des arguments reliés tout autant à l’annulation des élections qu’au nouveau processus électoral. Dans l’hypothèse où ma conclusion à cet égard serait erronée, j’exercerais le pouvoir que me confère la Règle 55 des Règles des Cours fédérales pour permettre aux parties de se soustraire à l’application de la Règle 302.

[32]           J’estime d’autre part qu’il doit être permis aux demandeurs de présenter leur demande de contrôle judiciaire plus de 30 jours suivant la date à laquelle a été prise la décision d’annuler les élections du 5 août 2013. Le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7 prévoit que le délai pour présenter une demande de contrôle judiciaire est de 30 jours à la suite de la première communication de la décision ou d’un délai supplémentaire qu’un juge peut fixer ou accorder. En l’occurrence, ce délai n’a clairement pas été respecté peu importe que la décision soit considérée avoir été prise par le Comité d’élection ou par l’assemblée. Les conditions requises par la jurisprudence pour accorder un délai supplémentaire me paraissent néanmoins remplies.

[33]           La décision d’accorder ou non une prorogation de délai est de nature discrétionnaire : Muckenheim c Canada (Commission de l’assurance-emploi), 2008 CAF 249 au para 8. Or, des critères ont été développés par la jurisprudence pour encadrer cette discrétion, et la Cour d’appel fédérale les a résumés ainsi dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Larkman, 2012 CAF 204 au para 61 [Larkman] :

1.                  Le requérant a-t-il manifesté une intention constante de poursuivre sa demande?

2.                  La demande a-t-elle un certain fondement?

3.                  [La partie adverse] a-t-elle subi un préjudice en raison du retard?

4.                  Le requérant a-t-il une explication raisonnable pour justifier le retard?

Voir aussi : Canada (Procureur général) c Hennelly, [1999] ACF no 846 au para 3; Grewal c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] 2 CF 263 (CAF) à la p 282 [Grewal].

[34]           Ces facteurs ne sont pas cumulatifs et l’importance de chacun d’eux dépend des circonstances de l’espèce. Ainsi, « une explication parfaitement convaincante justifiant le retard peut entrainer une réponse positive même si les arguments appuyant la contestation du jugement paraissent faibles et, de la même façon, une très bonne cause peut contrebalancer une justification du retard moins convaincante » : Grewal, supra à la p 282, cité dans Larkman, supra au para 62.

[35]           Les défendeurs ne contestent pas que la demande soulève a priori des questions sérieuses. Ils plaident plutôt que les demandeurs n’ont pas démontré une intention continue de recourir à une procédure de révision judiciaire et n’ont pas d’explication raisonnable pour justifier leur retard. Ils ajoutent que la demanderesse principale a participé activement au processus menant à l’élection du Conseil par intérim et a fait valoir son point de vue lors des assemblées du 10 septembre, du 2 octobre, du 15 octobre et du 23 octobre 2013 et qu’elle n’a entamé des procédures judiciaires qu’après avoir constaté que l’assemblée ne se rangeait pas à ses arguments.

[36]           J’estime au contraire que la demanderesse principale a démontré par ses agissements son intention constante de s’opposer tant à l’annulation des élections qu’au nouveau processus électoral. Il est vrai qu’elle a tenté par tous les moyens d’exercer ses fonctions de Chef et de rallier l’assemblée à sa cause avant de se tourner vers cette Cour. Il faut cependant tenir compte du fait que le recours aux tribunaux ne se fait pas à la légère pour les communautés autochtones et constitue souvent une alternative de dernière extrémité. Dans ce contexte, et compte tenu du fait que les défendeurs n’ont pas démontré avoir subi un préjudice en raison du délai qu’ont mis les demandeurs à s’adresser à cette Cour, il est approprié d’accorder la prorogation de délai sollicitée par les demandeurs.

B.                 L’annulation des élections du 5 août 2013 est-elle valide?

[37]           Avant de me prononcer sur la validité de l’annulation des élections du 5 août 2013, il convient de déterminer qui, du Comité d’élection ou de l’assemblée, a procédé à l’annulation des élections. Il faut ensuite déterminer si le Comité d’élection ou l’assemblée, selon le cas, avait la compétence de poser un tel geste. Enfin, dans l’hypothèse où la réponse à cette question est positive, il importera d’évaluer la raisonnabilité de cette décision compte tenu des faits qui ont été établis et du droit applicable.

[38]           Les demandeurs soutiennent que la décision d’annuler l’élection du 5 août 2013 a été prise par le Comité d’élection, tandis que les défendeurs prétendent plutôt que le communiqué diffusé par le Comité d’élection le 7 août n’était qu’une recommandation à l’assemblée qui s’est formellement prononcée sur la question lors de son assemblée le 19 août 2013. Au vu de la preuve soumise, la position des demandeurs doit être retenue.

[39]           Le libellé même du communiqué ne laisse guère place à interprétation. L’objet mentionné en rubrique s’intitule : « Annulation des élections ». La phrase introductive du communiqué se lit par ailleurs comme suit : « Par la présente, nous désirons vous informer que nous procédons à l’annulation des élections qui ont eu lieu le lundi 5 août dernier ». Suit ensuite le texte reproduit au paragraphe 12 des présents motifs, précédé du titre suivant : « Les motifs amenant une telle décision sont les suivantes » [sic]. Enfin, le communiqué contient une section distincte précédée du titre « Recommandations », dans laquelle on suggère que le président d’élection, le secrétaire d’élection et les scrutateurs soient des personnes externes n’ayant aucun lien avec l’organisation. Compte tenu de ce langage non équivoque, il m’apparaît difficile de prétendre que le communiqué et plus particulièrement la portion traitant de l’annulation des élections ne se voulait qu’une recommandation.

[40]           Les défendeurs ont tenté de prétendre que le communiqué ne pouvait avoir eu pour effet d’annuler l’élection dans la mesure où il n’avait jamais été distribué aux membres de la communauté. Cet argument ne saurait être retenu, pour le simple motif que l’existence d’une décision ne peut être confondue avec la diffusion qui en est faite par la suite.

[41]           Cette conclusion est d’autant plus inéluctable que l’alternative ne tient pas la route. Il n’y a aucune preuve documentaire, sous forme de procès-verbal ou autre, selon laquelle l’assemblée s’est bel et bien prononcée en faveur de l’annulation des élections lors de sa réunion du 19 août 2013, tel que le requiert pourtant l’article 9 des Règles internes. On n’a pas davantage produit en preuve un avis de convocation, conformément à l’article 12 de ces mêmes Règles, dans lequel il serait explicitement mentionné que l’annulation des élections serait discutée lors de cette assemblée. Enfin, aucun communiqué n’a été diffusé à la suite de l’assemblée du 19 août afin d’informer les membres de la communauté que les élections du 5 août auraient été annulées. La seule preuve soumise tient dans les affirmations non étayées d’Hélène Michel et d’Armand Papatie dans leur affidavit respectif. Cela me semble bien insuffisant pour démontrer que c’est l’assemblée qui a décidé d’annuler les élections plutôt que le Comité.

[42]           Or, le Code électoral ne confère ni au Comité d’élection ni au président d’élection le pouvoir d’annuler les élections après le décompte des votes. Le Code ne pourvoit qu’à la bonne marche des élections, et permet à ce chapitre au Comité d’annuler la candidature d’un candidat qui ne respecte pas l’intégrité du processus (art. 3.4 du Code électoral). On n’y trouve aucune disposition permettant d’annuler une élection ou de faire appel des résultats d’une élection. C’est d’ailleurs l’une des lacunes à laquelle on tente apparemment de remédier. Il semble d’ailleurs que le Conseil a mandaté un cabinet professionnel pour faire des propositions visant à corriger les anomalies et déficiences du Code. Un rapport de ce cabinet portant la date du 30 octobre 2012 a été produit en preuve, mais on n’y trouve aucune proposition relativement à une procédure d’appel. De toute façon, ce rapport n’avait pas eu de suite au moment de l’élection du 5 août 2013 et le Code électoral n’avait pas été modifié.

[43]           Je suis donc d’avis que le Comité d’élection n’était pas habilité à prononcer l’annulation. L’assemblée n’avait d’ailleurs pas davantage ce pouvoir. Il se peut bien qu’une telle conclusion entraîne la nécessité de se pourvoir devant la Cour fédérale, par voie de quo warranto sous l’autorité de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, chaque fois que le résultat d’une élection est contesté. Ce résultat n’est peut-être pas souhaitable, et il serait sans doute préférable que ces questions soient tranchées au sein même de la communauté par le biais d’un mécanisme interne. Mais tant et aussi longtemps que la communauté ne s’entendra pas sur un tel mécanisme et ne modifiera pas le Code électoral en conséquence, c’est à la Cour qu’il reviendra de décider ces questions.

[44]           Les défendeurs ont fait valoir que la coutume des Anicinapek de Kitcisakik ne se résumait pas au Code électoral et que l’on pouvait suppléer aux lacunes de ce dernier en puisant dans cette coutume. Cet argument se heurte cependant à un obstacle de taille. Le Code électoral, adopté lors d’une assemblée générale le 29 août 2005 par une majorité des électeurs présents et dont la légalité n’a pas été contestée, prévoit en effet dans son préambule qu’ « [i]l remplace tout autre code, procédure ou coutume électorale, écrite ou verbale… ». Puisque ce Code n’avait pas été modifié au moment où se sont tenues les élections du 5 août 2013, ses dispositions doivent prévaloir sur toute autre pratique ou coutume qui aurait pu exister avant son entrée en vigueur.

[45]           Il est vrai que le Code électoral, dans la mesure où il se veut l’expression et la codification de la coutume existante des Anicinapek de Kitcisakik, pourrait sans doute au fil du temps être complété ou même modifié par des pratiques qui se développeraient en marge de son texte. C’est là une possibilité qu’a évoquée le juge Martineau dans l’arrêt Francis c Conseil Mohawk de Kanesatake, [2003] 4 CF 1133 au para 35 [Francis]. Le préambule cité plus haut ne me paraît pas faire échec à ce principe, étant entendu qu’il semble écarter l’application concurrente d’une coutume ou pratique qui aurait précédé l’adoption du Code électoral. En tout état de cause, il ne m’est pas nécessaire de trancher cette question dans le cadre du présent dossier, puisqu’aucune preuve n’a été déposée au soutien d’une prétendue coutume selon laquelle l’assemblée peut annuler le résultat d’une élection.

[46]           Il est bien établi par la jurisprudence que la coutume doit être prouvée par la partie qui tente de l’invoquer : Taypotat c Première nation de Kahkewistahaw, 2012 CF 1036 au para 28; McArthur v Saskatchewan (Registrar, Department of Indian Affairs and Northern Development), [1992] SJ no 189, 91 DLR (4th) 666 (Sask QB); Francis, supra au para 21. Dans l’arrêt Francis mentionné plus haut, le juge Martineau s’est prononcé sur les exigences requises pour qu’un code électoral puisse être écarté au profit d’une coutume :

35        […] Il arrive fréquemment que des attitudes, habitudes, abstentions, opinions partagées et assentiments tacites se manifestent parallèlement à l’application d’une règle codifiée et viennent préciser ou compléter le texte de celle-ci. Ces comportements peuvent devenir la nouvelle coutume de la bande qui aura une existence en soi et dont le contenu sera parfois différent de celui de la règle codifiée applicable à une question donnée. Dans ce genre de situations, compte tenu de la nature changeante de la coutume, il sera nécessaire de vérifier s’il existe un large consensus au sein de la communauté relativement au contenu d’une règle ou de la façon dont elle sera appliquée.

36        Pour qu’une règle devienne une coutume, la pratique se rapportant à une question ou situation donnée qui est visée par cette règle doit être fermement établie, généralisée et suivie de manière uniforme et délibérée par une majorité de la communauté, ce qui démontrera un « large consensus » quant à son applicabilité. Cette description exclurait les comportements sporadiques visant à corriger des difficultés d’application exceptionnelles à un moment donné ainsi que d’autres pratiques qui sont manifestement considérées au sein de la communauté comme des pratiques suivies à titre d’essai. S’il existe, ce « large consensus » prouvera la volonté de la communauté à un moment donné de ne pas considérer le code électoral adopté comme un document exhaustif et exclusif. […]

[47]           En l’espèce, aucune preuve d’un « large consensus » voulant que l’assemblée soit autorisée à prononcer l’annulation d’une élection n’a été présentée devant la Cour. Tout au plus se contente-t-on d’affirmer que ce pouvoir est reconnu par la communauté comme une « pratique parallèle » au Code électoral et faisant partie de la coutume. Le seul précédent invoqué à l’appui de cette coutume remonte à 2002, donc avant l’adoption du Code électoral. L’ancien chef James Papatie relate dans son affidavit que deux personnes élues à des postes de conseillers avaient vu leur élection annulée par l’assemblée générale. Outre le fait que l’on sait bien peu de choses sur les circonstances ayant entouré cet évènement, les défendeurs n’ont fourni aucune explication quant à la pertinence de cet incident isolé survenu avant l’adoption du Code électoral pour étayer l’émergence d’une coutume postérieurement à l’adoption de ce Code.

[48]           Bref, et pour tous les motifs qui précèdent, je suis d’avis que la décision d’annuler l’élection du 5 août 2005 est nulle et sans effet. Ni le Comité d’élection ni l’assemblée générale n’avaient la compétence de prendre cette décision. Cela suffirait à disposer de la présente demande de contrôle judiciaire.

[49]           En supposant même que le Comité d’élection (ou l’assemblée générale) ait pu annuler l’élection, les motifs invoqués pour le faire étaient nettement insuffisants. Le premier motif invoqué par le Comité d’élection pour justifier sa décision tient au fait que l’assemblée générale visant à nommer le Comité n’a pas été convoquée trois mois avant la date prévue pour les élections, comme le requiert l’article 3.1 du Code électoral. Cette disposition se lit comme suit :

3.1 Comité d’élection

Trois (3) mois avant la date prévue pour les élections, le Conseil sortant convoque une assemblée générale des électeurs pour procéder à la nomination d’un (1) président d’élection, d’un (1) secrétaire d’élection et de quatre (4) scrutateurs. Chaque candidat pour ces postes doit être proposé et appuyé par un électeur présent. S’il y a plus d’un candidat pour un même poste, on procède alors à un vote à main levée.

[50]           Il est vrai que l’assemblée générale pour la nomination du Comité d’élection n’a été convoquée que le 14 juin 2013, soit sept semaines avant le 5 août 2013. Je note tout d’abord que le Comité n’a jamais cru nécessaire de soulever cette irrégularité au moment de sa nomination, ou à quelque moment avant la date de l’élection. D’autre part, la nomination tardive du Comité d’élection n’a pas empêché la tenue dans les délais requis par l’article 3.4 du Code électoral de l’assemblée de mise en candidature (soit quatorze jours avant la tenue du scrutin). Enfin, et de façon plus significative encore, il n’y a aucune preuve selon laquelle le retard à nommer le Comité d’élection ait pu influencer le résultat de l’élection. L’article 79 de la Loi sur les Indiens prévoit que le gouverneur en conseil peut rejeter l’élection du chef ou d’un conseiller si le ministre est convaincu qu’il s’est produit une infraction à la Loi pouvant influer sur le résultat de l’élection. Je suis conscient du fait que les Anicinapeks de Kitcisakik se sont dotés d’un Code électoral et qu’en conséquence la Loi sur les Indiens ne régit pas leurs élections. Il n’en demeure pas moins qu’en l’absence de dispositions relatives à l’annulation des élections dans le Code électoral, la logique qui sous-tend l’article 79 de la Loi sur les Indiens peut recevoir application.

[51]           Le deuxième motif soulevé par le Comité d’élection pour annuler l’élection du 5 août 2013 tient au fait que le principe suivant, tiré de l’article 3.4 du Code électoral (Procédure de la mise en candidature), n’aurait pas été respecté : « Durant la campagne électorale, les candidats et les électeurs sont appelés à témoigner du respect envers tous et chacun. Il est interdit de porter atteinte à l’intégrité des candidats ou à la procédure d’élection. » Or, le Comité d’élection n’a jamais expliqué ou même référé à quelque incident que ce soit où un candidat ou un électeur aurait porté atteinte à l’intégrité d’un autre candidat ou à la procédure d’élection. Tout au plus le défendeur Armand Papatie s’est-il contenté de faire de vagues allégations de « pression » et d’« intimidation » de la part « du camp de la candidate Adrienne Anichinapéo », sans jamais fournir d’exemples concrets à l’appui de ces allégations. Cela m’apparaît nettement insuffisant pour justifier une décision aussi lourde de conséquences que l’annulation d’une élection, d’autant plus qu’encore une fois, les défendeurs n’ont pas même tenté de démontrer que les pressions et l’intimidation dont on accuse Adrienne Anichinapéo ou ses supporteurs ont pu avoir un impact sur le résultat des élections. Qui plus est, le Code électoral prévoit que la sanction d’un tel comportement est l’annulation d’une candidature par le président d’élection à la suite d’un vote majoritaire et à main levée d’une assemblée d’électeurs convoquée à cet effet, et non l’annulation globale de l’élection après la tenue du scrutin.

[52]           Je suis donc d’avis que dans l’hypothèse même où le Comité d’élection (ou l’assemblée générale) avait le pouvoir d’annuler l’élection, les motifs invoqués pour prendre une telle décision étaient nettement insuffisants. Dans ces circonstances, la décision d’annuler les élections ne faisait pas partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[53]           Il est évident à la lecture des nombreux affidavits soumis par les défendeurs dans le cadre des présentes procédures que la Chef Adrienne Anichinapéo ne faisait pas l’unanimité dans la communauté. On lui a notamment reproché d’avoir touché une augmentation de salaire qui n’aurait pas formellement été approuvée par le Conseil, d’avoir tout fait pour que l’on ne procède pas à la réforme du Code électoral et pour que l’assemblée ne puisse se prononcer sur le rapport de la firme mandatée pour faire des recommandations à cet effet, et d’avoir instrumentalisé le projet Wanaki (projet de construction d’un nouveau village) en transformant le débat à ce sujet en enjeu politique.

[54]           Toutes ces questions méritaient certainement d’être débattues dans la communauté, et il est tout à fait normal que l’unanimité n’existe pas sur des enjeux aussi importants. Dans une démocratie, c’est par le biais du processus électoral et au terme d’un débat où les protagonistes des divers camps peuvent faire valoir leur point de vue que sont tranchées ces questions. À moins que des illégalités ne soient commises dans l’exercice des pouvoirs que les élus exercent, auquel cas les tribunaux seront saisis, c’est aux électeurs qu’il revient ultimement de sanctionner les dirigeants qui les gouvernent s’ils estiment que ces derniers ne répondent pas à leurs attentes ou prennent des décisions qui ne reflètent pas les vœux de la majorité. La remise en question des résultats d’une élection par les candidats défaits ne fait pas partie de la tradition canadienne, et ce serait faire insulte aux Premières Nations que d’envisager qu’il puisse en être autrement dans leurs différentes coutumes.

[55]           J’en arrive donc à la conclusion que la décision d’annuler l’élection qui s’est tenue le 5 août 2013, peu importe qu’elle ait été prise par le Comité d’élection ou par l’assemblée générale, est nulle et non avenue. Non seulement ni l’une ni l’autre de ces instances n’était habilitée à prendre cette décision, mais au surplus les motifs invoqués sont nettement insuffisants. Dans ces circonstances, il ne m’est pas nécessaire de me prononcer sur la troisième question soulevée par les demandeurs, à savoir si le processus électoral ayant conduit à l’élection du 25 octobre 2013 est valide ou non.

[56]           Je suis par ailleurs d’avis qu’il ne convient pas, comme c’est généralement la pratique lorsque la Cour annule une décision contestée par la voie d’une demande de contrôle judiciaire, de retourner le dossier pour qu’une nouvelle décision soit prise. Pour les motifs précédemment développés, l’élection du 5 août 2013 ne peut qu’être déclarée valide, et il ne serait d’aucune utilité de demander au Comité d’élection (ou même à l’assemblée) de reconsidérer la question : Yassine c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 949 aux paras 9 et 11; Landry c Savard, 2011 CF 720 aux paras 91 à 93.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie, que la décision d’annuler les élections du 5 août soit cassée, et que les candidats élus au poste de Chef et de conseillers lors de ces élections soient confirmés dans leurs fonctions. Le tout avec dépens en faveur des demandeurs.

« Yves de Montigny »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1734-13

 

INTITULÉ :

ADRIENNE ANICHINAPÉO ET AL c ARMAND PAPATIE ET AL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 février 2014

 

jUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 14 juillet 2014

 

COMPARUTIONS :

NICHOLAS DODD

MARIE-ÈVE DUMONT

 

Pour les demandeurs

 

JEAN LEMOINE

JEAN-PHILIPPE BOLDUC

 

Pour les défendeurs Armand papatie,

 Charlie papatie, Suzanne papatie,

Kevin papatie, Steve Papatie,

Louisa papatie, frank pÉnosway,

hÉlÈne michel, Évelyne papatie et

rÉgis pÉnosway

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

DIONNE SCHULZE, S.E.N.C.

MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

Pour les demandeurs

 

RAVINSKY RYAN LEMOINE, S.E.N.C.

MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

Pour les défendeurs Armand papatie,

 Charlie papatie, Suzanne papatie,

Kevin papatie, Steve Papatie,

Louisa papatie, frank pÉnosway,

hÉlÈne michel, Évelyne papatie et

rÉgis pÉnosway

 

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