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Date : 20140728


Dossier : IMM-1956-13

Référence : 2014 CF 749

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 juillet 2014

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

HONGZHEN CHEN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie de la demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi] visant la décision rendue, le 12 février 2013 [la décision], par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la SPR ou la Commission] qui a rejeté la demande de la demanderesse d’être réputée une réfugiée au sens de la Convention ou une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

LE CONTEXTE

[2]               La demanderesse est une citoyenne de la Chine âgée de 57 ans qui est arrivée au Canada en mars 2011 et a présenté une demande d’asile, parce qu’elle craignait d’être persécutée en tant qu’adepte du Falun Gong.

[3]               La demanderesse déclare qu’elle a travaillé pendant plus de 30 ans dans un bureau de poste à Tianjin, en Chine, mais qu’elle souffrait d’arthrite chronique. Son état de santé a empiré et, vers décembre 2009, elle pouvait à peine marcher. Une amie l’a initiée à la pratique du Falun Gong, elle croyait que cela pourrait l’aider. La demanderesse déclare qu’elle savait que le Falun Gong était interdit en Chine, mais qu’elle a commencé à le pratiquer secrètement chez elle. Elle déclare qu’elle s’est sentie beaucoup mieux après deux mois et que, par la suite, son amie l’a initiée à un groupe clandestin de pratique.

[4]               La demanderesse allègue qu’en janvier 2001, l’époux de son amie lui a téléphoné pour lui dire que son amie avait été arrêtée et pour l’avertir de faire attention. La demanderesse et son époux ont convenu qu’elle devrait aller séjourner chez un membre de la famille à la campagne et chercher un passeur pour l’aider à sortir du pays. Elle déclare qu’elle craignait que les agents du Bureau de la sécurité publique [le BSP] ne viennent aussi la chercher et l’arrêter. Avec l’aide d’un passeur, elle a quitté la Chine, est arrivée au Canada le 18 mars 2011, et a déposé sa demande d’asile le 29 mars 2011.

[5]               Dans l’exposé circonstancié de son formulaire de renseignements personnels [le FRP], la demanderesse a déclaré que les agents du BSP étaient allés chez elle six fois depuis son départ. Selon son témoignage à la SPR, lors de la cinquième de ces visites, les agents du BSP ont apporté un mandat d’arrêt qu’ils ont montré à son époux. La demanderesse a aussi déclaré dans son FRP que son époux a communiqué avec l’époux de son amie en février 2012, et il a appris que son amie était toujours en prison et qu’elle s’était vu infliger une peine de trois ans.

LA DÉCISION SOUMISE AU CONTRÔLE

[6]               La SPR a conclu que la demanderesse n’était ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger, au titre de l’article 97 de la Loi. La crédibilité était la question déterminante.

[7]               En ce qui a trait à la question du lien à l’un des motifs prévus par la Convention pour l’octroi de l’asile, la Commission a conclu que la pratique du Falun Gong concerne la définition de l’appartenance à un groupe social, et a analysé la demande au titre des articles 96 et 97 de la Loi.

[8]               En ce qui a trait à la crédibilité de la demanderesse, la Commission a déclaré être consciente qu’un témoignage livré sous serment est présumé véridique à moins qu’il n’existe une raison valable d’en douter (citant l’arrêt Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302, à la page 305 (CAF)), mais a conclu que « le véritable critère de la véracité de ce que raconte un témoin doit être la compatibilité de ses dires avec la prépondérance des probabilités qu’une personne éclairée et douée de sens pratique peut d’emblée reconnaître comme raisonnable dans telle situation et telles circonstances » (citant Faryna c Chorny, [1952] 2 DLR 354, à la page 357 (BCCA)). La Commission a conclu qu’elle ne pouvait pas être convaincue que « les éléments de preuve sont crédibles ou dignes de foi sans être convaincu[e] qu’il est probable qu’ils le sont, et non simplement possible » (citant Orelien c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 592, à la page 605 (CAF)).

[9]               La SPR a fait remarquer que la demanderesse a appris l’arrestation de son amie le 5 janvier 2011, et qu’elle a quitté le pays le 18 mars 2011, mais que la première visite des agents du BSP chez elle était le 16 avril 2011. La Commission a conclu qu’il était déraisonnable que la demanderesse quitte son pays avant que les agents du BSP ne commencent à la chercher, et que cela soulevait des doutes quant à la crédibilité de ses allégations. La SPR a conclu qu’il n’y avait pas de preuve que les agents du BSP cherchaient la demanderesse au moment où elle est allée vivre à la campagne, ou au moment où elle a quitté le pays.

[10]           La SPR a aussi conclu qu’il n’était pas raisonnable que les agents du BSP continuent à chercher la demanderesse chez elle, alors qu’ils disposaient de renseignements selon lesquels elle avait quitté le pays et qu’elle n’était pas revenue. La Commission a relevé que la demanderesse a quitté la Chine au moyen de son passeport, et a conclu que la demanderesse n’avait eu aucune difficulté à le faire parce que le BSP ne la cherchait pas à ce moment-là. Toutefois, la Commission a conclu qu’à sa sortie du pays, elle aurait été inscrite dans une base de données nationale comme étant une personne qui a quitté le pays. La Commission a cité les renseignements contenus dans les réponses aux demandes d’information de la CISR (CISR, CHN103133.EF Chine (juillet 2009)) selon lesquels le BSP a instauré une base de données nationale sur le maintien de l’ordre, connue sous le nom de « Bouclier d’or », qui comprend des « données sur les criminels fugitifs » et des « données sur les passeports, ainsi que sur les sorties et les entrées ». Bien que la preuve produite par la conseil de la demanderesse établisse que le système policier de la Chine est très décentralisé et qu’il y a des obstacles à l’échange de renseignements entre les bureaux du BSP, cela n’aurait pas empêché le BSP de savoir que la demanderesse avait quitté le pays :

Le tribunal accepte les observations de la conseil, mais il a du mal à comprendre pourquoi une ville aussi grande que Tianjin, où habite la demandeure d’asile, n’aurait pas accès aux renseignements saisis, dans le programme d’ordinateur du Bouclier d’or, à l’aéroport de Pékin, lorsque la demandeure d’asile a franchi les douanes au moyen de son propre passeport. Le programme indiquerait simplement que la demandeure d’asile est sortie du pays et qu’elle n’est pas revenue.

[11]           La SPR a aussi conclu que l’absence d’éléments de preuve corroborants l’amenait à avoir des doutes en ce qui concerne la crédibilité des allégations de la demanderesse. Plus précisément, la Commission a fait observer que la demanderesse n’a pas produit de copie du mandat d’arrêt que les agents du BSP ont montré à son époux lors de leur cinquième visite à sa résidence. Lorsqu’on lui a demandé la raison pour laquelle son époux n’avait pas demandé de copie du mandat d’arrêt, la demanderesse a répondu qu’elle ignorait que c’était la marche à suivre. De plus, la Commission a conclu que la demanderesse n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve fiables et dignes de foi établissant que son amie avait été accusée et a emprisonnée pendant trois ans.

[12]           Le fait que l’époux de la demanderesse et son fils n’ont pas été exposés à des châtiments, malgré que les agents du BSP se soient rendus chez eux six fois, soulevait des doutes quant aux allégations de la demanderesse. La Commission a cité la preuve documentaire (la réponse à la demande d’information, CHN102560.EF, Chine (11 juillet 2007)) selon laquelle les membres des familles des adeptes du Falun Gong sont aussi exposés à des châtiments, et a conclu qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que les membres de la famille de la demanderesse aient été exposés à certaines formes de châtiments.

[13]           La Commission était convaincue que la demanderesse avait prouvé ses connaissances du Falun Gong à l’audience, mais a conclu que cela n’établissait pas la crédibilité de ses allégations. La Commission a conclu que la demanderesse ne pratiquait pas le Falun Gong en Chine, et qu’elle était devenue une adepte de cette pratique au Canada uniquement pour étayer sa demande d’asile :

[21]      Le tribunal a posé des questions à la demandeure d’asile au sujet de ses connaissances sur le Falun Gong, et il était satisfait de ses réponses. Cependant, compte tenu des doutes du tribunal en ce qui concerne la crédibilité des allégations de la demandeure d’asile, le tribunal conclut que celle-ci ne pratiquait pas le Falun Gong en Chine. Par conséquent, le tribunal conclut que la demandeure d’asile est devenue une adepte du Falun Gong au Canada uniquement pour étayer sa demande d’asile.

[22]      Comme le tribunal ne croit pas les allégations de la demandeure d’asile selon lesquelles elle était véritablement une adepte du Falun Gong en Chine, il conclut que le BSP n’est pas à sa recherche afin de l’arrêter. De plus, le tribunal conclut que la demandeure d’asile n’est pas une véritable adepte du Falun Gong au Canada. Par conséquent, le tribunal estime qu’elle peut retourner chez elle, à Tianjin, en Chine, en toute sécurité.

[14]           Sur la foi de ces conclusions, la Commission a décidé que la demanderesse n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

Les questions en litige

[15]           La demanderesse a soumis à l’examen de la Cour les questions en litige suivantes :

a)      La SPR a-t-elle commis une erreur de droit dans son appréciation de la demande d’asile « sur place » de la demanderesse?

b)      La SPR a-t-elle tiré des conclusions déraisonnables quant à la crédibilité, lesquelles n’étaient pas conformes à la preuve?

La norme de contrôle

[16]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a déclaré qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse exhaustive pour arrêter la bonne norme de contrôle. En fait, lorsque la norme de contrôle applicable à une question précise dont elle est saisie est établie de façon satisfaisante par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. C’est uniquement lorsque cette recherche se révèle infructueuse ou si la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente des principes de common law en matière de contrôle judiciaire que la cour de révision applique les quatre facteurs qui forment l’analyse de la norme de contrôle : Agraira c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48.

[17]           Selon moi, les questions soulevées par la demanderesse ont trait à l’interprétation de la Commission, et au poids accordé à la preuve, notamment les conclusions relatives à la crédibilité de la demanderesse. Il est bien établi en droit que les conclusions de la Commission sur ces questions commandent la déférence, et que c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique : He c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 525, aux paragraphes 6 à 9; Lawal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 558, au paragraphe 11; Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 NR 315, [1993] ACF no 732 (CAF), au paragraphe 4; Elmi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 773, au paragraphe 21; Zacarias c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1155, au paragraphe 9.

[18]           Lorsqu’une décision est soumise au contrôle selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse s’attache à « la justification, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne doit intervenir que si la décision est déraisonnable, en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[19]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Définition de « réfugié »

Convention refugee

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

[…]

[…]

LES ARGUMENTS

La demanderesse

Le défaut d’apprécier adéquatement la demande « sur place » ou les risques au titre de l’article 97

[20]           Premièrement, la demanderesse allègue que la Commission a commis une erreur de droit dans son appréciation de sa demande « sur place », parce qu’elle n’a pris en compte ni la nature de sa pratique du Falun Gong au Canada ni le caractère authentique de sa foi au Canada. Elle a aussi omis de prendre en compte le risque possible de peines cruelles et inusitées auquel la demanderesse pourrait être exposée en raison de sa participation perçue au Falun Gong par ses activités au Canada. La demanderesse renvoie aux paragraphes 21 et 22 de la décision, cités ci-dessus, comme preuve de l’argument qu’elle fait valoir.

[21]           La demanderesse relève qu’elle a prouvé sa connaissance approfondie du Falun Gong et démontré l’un des exercices à l’audience, à la satisfaction de la commissaire. Elle a aussi témoigné de sa pratique continue du Falun Gong tant en public qu’en privé. Malgré cela, la Commission a simplement conclu qu’étant donné qu’elle n’était pas une véritable adepte en Chine, elle n’était pas non plus une véritable adepte au Canada. Aucun motif n’a été donné pour cette conclusion, autre que les doutes émis par la Commission quant à la véracité des faits en Chine. Il n’y a pas eu d’appréciation de la question de savoir si la demanderesse était devenue une véritable adepte au Canada.

[22]           La demanderesse souligne que la Cour a décidé que la Commission est tenue d’examiner les pratiques religieuses de la demanderesse au Canada, lorsqu’elle apprécie une demande « sur place »; il est insuffisant et erroné de se fonder sur le fait qu’une personne n’était pas une véritable pratiquante d’une religion en Chine pour écarter le caractère véritable de sa foi au Canada : Jin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 595, au paragraphe 19 [Jin]; Yin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 544, au paragraphe 90 [Yin]. La demanderesse déclare qu’il était erroné que la Commission conclut que, parce que son expérience en Chine n’était pas crédible, il en était de même au Canada. Elle cite l’analyse effectuée par le juge Zinn au paragraphe 32 de la décision Huang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 205 [Huang] :

Même si la demanderesse principale ne pratiquait pas le christianisme en Chine, la preuve démontre qu’elle fréquente une église chrétienne au Canada et participe à ses activités. Peut-être que, comme Saint Paul sur le chemin de Damas, elle a eu une révélation et connu un éveil spirituel au Canada, ou peut-être que ce n’est pas cas. Toutefois, pour parvenir à une décision quant à l’authenticité de ses croyances actuelles, la preuve doit faire l’objet d’une certaine analyse et, si sa preuve doit être complètement écartée, cette décision doit être étayée par des motifs. En l’espèce, il n’y a eu ni analyse ni justification. La Commission s’est contentée d’énoncer la conclusion à laquelle elle est parvenue et la Cour ne réussit pas, à partir du dossier, à savoir pourquoi elle est parvenue à cette conclusion.

[23]           La demanderesse dit que la Commission a aussi introduit à tort la notion de « bonne foi » dans l’analyse, lorsqu’elle a rejeté la pratique du Falun Gong au Canada comme étant simplement une tentative d’« étayer » sa demande d’asile. En fait, la seule considération quant à sa demande d’asile « sur place » est de savoir si sa foi est véritable. La demanderesse cite le raisonnement du juge Blanchard au paragraphe 11 de la décision Ejtehadian c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 158 :

[...] En évaluant les risques auxquels le demandeur pourrait faire face à son retour, dans le cadre d’une demande d’asile sur place, il est nécessaire de tenir compte de la preuve crédible de ses activités au Canada, indépendamment des motifs derrière sa conversion. Même si les motifs de conversion du demandeur ne sont pas authentiques, tel que l’a conclu la CISR en l’espèce, l’imputation possible d’apostasie à l’égard du demandeur par les autorités iraniennes peut néanmoins être suffisante pour qu’il réponde aux exigences de la définition de la Convention. Voir c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] ACF n1591, 2003 CF 1266, aux paragraphes 21 à 23, et Ngongo c Canada (MCI), [1999] ACF n1627 (CF) (QL).

[24]           La demanderesse dit aussi que la Commission a omis d’apprécier les risques auxquels elle est exposée en tant qu’adepte perçue du Falun Gong, au titre de l’article 97. La preuve documentaire dont disposait la Commission établit que le gouvernement chinois surveille les groupes de pratique du Falun Gong à l’étranger, et que les adeptes qui retournaient étaient détenus et emprisonnés à leur retour (voir Agence des services frontaliers du Royaume-Uni, rapport sur les renseignements relatifs au pays d’origine (UK Border Agency, Country of Origin Information Report), Chine (le 15 novembre 2010), dossier de la demanderesse, aux pages 193 et 194 [rapport de l’Agence des services frontaliers du Royaume-Uni]; À Toronto, une femme allègue que la Chine l’a espionnée, CTV.ca (le 18 juin 2005), dossier de la demanderesse, à la page 122). La Cour a auparavant souligné que des documents d’information sur la situation dans le pays indiquent que les adeptes du Falun Gong au Canada, et dans d’autres pays sont surveillés par des informateurs du gouvernement chinois : He c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 502. Selon la demanderesse, peu importe ses conclusions relatives aux raisons pour lesquelles elle a adhéré au Falun Gong, la Commission devait décider si ses activités au Canada pouvaient créer un risque, si elle était renvoyée en Chine : Hailu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 908 [Hailu].

[25]           La demanderesse déclare que la Commission disposait d’éléments de preuve clairs selon lesquels des personnes soupçonnées d’être des adeptes du Falun Gong sont exposées à des arrestations, à de mauvais traitements, et à la torture, et il y a eu de nombreux rapports fiables quant à la pratique du prélèvement d’organes sur les détenus adeptes du Falun Gong : voir le rapport de l’Agence des services frontaliers du Royaume-Uni, dossier de la demanderesse, aux pages 185 à 187, 189 à 190.

[26]           Comme la Commission a conclu que la demanderesse connaissait le Falun Gong, et selon le témoignage de celle-ci qu’elle continuait à le pratiquer, la Commission aurait dû examiner la question de savoir si la demanderesse était exposée au risque de traitements ou peines cruels et inusités en raison de sa participation perçue au Falun Gong par suite de ses activités publiques au Canada.

Le caractère déraisonnable des conclusions quant à la crédibilité

[27]           Deuxièmement, la demanderesse soutient que les conclusions de la SPR quant à la crédibilité étaient déraisonnables.

[28]           Selon la demanderesse, la Commission a tiré des conclusions déraisonnables quant à la vraisemblance qui étaient fondées sur des conjectures, et qui n’ont pas tenu compte de la preuve, cependant les conclusions quant à la vraisemblance doivent être fondées sur une preuve claire et suivre un raisonnement clair qui fait référence à toute preuve en sens contraire. La demanderesse allègue que, lorsque les faits n’étayent pas les conclusions quant à la vraisemblance, la Cour doit intervenir, parce que la Cour est souvent en aussi bonne situation que la Commission pour décider s’il est raisonnable de croire un scénario décrit par un demandeur d’asile : Santos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 937, au paragraphe 15 [Santos]; Cao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 819, au paragraphe 7. Elle ajoute qu’on ne peut tirer de conclusions quant à la vraisemblance que dans les cas les plus évidents, lorsque la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le demandeur le prétend : Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] ACF no 1131, 2001 CFPI 776 (1re inst.), aux paragraphes 6 à 8 [Valtchev]; Ilyas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1270, au paragraphe 59 [Ilyas].

[29]           Selon la demanderesse, la conclusion de la Commission selon laquelle il n’était pas vraisemblable qu’elle quitte la Chine avant que le BSP se lance à sa recherche n’est pas raisonnable au vu de son témoignage selon lequel son amie a été arrêtée le 5 janvier 2011, et des documents sur la situation dans le pays relatifs aux mauvais traitements infligés aux adeptes du Falun Gong en détention. Il était raisonnable que la demanderesse eût peur et qu’elle veuille quitter la Chine aussitôt que les circonstances le permettraient avant que les agents du BSP ne la trouvent et ne l’arrêtent, elle aussi. La Commission substituait simplement sa propre version des faits de ce qu’une personne se trouvant dans la situation de la demanderesse aurait dû faire, ce qui n’est pas un bon fondement pour une conclusion quant à la vraisemblance : Valtchev, précitée, aux paragraphes 6 à 8; Ilyas, précitée, au paragraphe 59.

[30]           La conclusion de la Commission selon laquelle les agents du BSP sauraient que la demanderesse était sortie du pays et ne seraient pas allés la chercher chez elle est conjecturale et déraisonnable, déclare la demanderesse. Elle fait observer qu’il ressort de la réponse à la demande information de la CISR, CHN103133.EF, citée par la Commission en lien au Bouclier d’or, qu’il « existe des règles strictes quant à l’utilisation des données contenues dans le système » et que « le Bouclier d’or n’était pas utilisé pour suivre la trace des personnes qui, en vertu du droit criminel chinois, ne sont pas soupçonnées d’avoir commis un crime [...] ». Les agents du BSP ont présenté un mandat d’arrêt uniquement à leur cinquième visite chez la demanderesse en avril 2012, et la preuve donne à penser que le BSP local n’aurait pas utilisé la base de données pour suivre la trace de la demanderesse, avant la délivrance de ce mandat d’arrêt. De plus, la conclusion de la Commission ne tient pas compte du témoignage de la demanderesse relatif à l’aide qu’elle a reçue d’un passeur pour franchir les contrôles de sécurité à l’aéroport de Beijing.

[31]           En ce qui a trait à la conclusion de la Commission relative à l’absence de preuve corroborante, la demanderesse soutient qu’une telle conclusion ne peut pas appuyer une décision défavorable quant à la crédibilité, lorsqu’aucun autre motif n’est avancé pour justifier le doute quant à la crédibilité d’un demandeur. En l’espèce, la demanderesse allègue que les autres conclusions quant à la crédibilité étaient de nature conjecturale et ne tenaient pas compte de son témoignage, et l’inférence défavorable tirée de l’absence de preuve documentaire corroborante ne suffit pas en soi : Zheng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1274, au paragraphe 20.

Le défendeur

[32]           Le défendeur soutient que la conclusion défavorable quant à la crédibilité tirée par la Commission était fondée sur quatre conclusions raisonnables, et qu’une demande « sur place » ne ressortait pas de façon perceptible de la preuve, de sorte qu’une analyse distincte fondée sur l’article 97 n’était pas nécessaire.

Les conclusions quant à la crédibilité étaient raisonnables

[33]           Le défendeur soutient que la Commission a raisonnablement conclu que : 1) la demanderesse s’est enfuie de la Chine avant de devenir une personne d’intérêt; 2) la demanderesse a allégué que les agents du BSP ont continué à la chercher alors qu’ils savaient qu’elle était à l’extérieur du pays; 3) la demanderesse n’a pas produit de preuve corroborante à l’appui de ses allégations; 4) l’époux de la demanderesse et son fils sont restés en sécurité en Chine et n’ont pas subi les châtiments du BSP.

[34]           Premièrement, la Commission a raisonnablement conclu que la crédibilité des allégations de la demanderesse était minée par le fait qu’elle a quitté la Chine environ un mois avant qu’elle n’allègue que les agents du BSP ont commencé à la chercher. Bien que la demanderesse soit en désaccord avec cette conclusion, ce désaccord n’est pas révélateur d’une erreur susceptible de contrôle : Brar c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1986] ACF no 346 (CAF); VMA c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 2009 CF 604, au paragraphe 21.

[35]           Deuxièmement, la preuve documentaire révèle que le BSP a instauré une base de données sur le maintien de l’ordre qui comprend des « données sur les criminels fugitifs » et des « données sur les passeports, ainsi que sur les sorties et les entrées ». La Commission a raisonnablement tiré l’inférence de la preuve documentaire que le nom de la demanderesse aurait été inscrit dans la base de données après qu’elle eut quitté la Chine et fut devenue une personne d’intérêt pour le BSP. Ainsi, la Commission a tiré une inférence défavorable de l’allégation de la demanderesse selon laquelle les agents du BSP sont allés chez elle à six occasions distinctes pour l’arrêter, alors que ces agents auraient dû savoir qu’elle était sortie du pays.

[36]           Bien que la demanderesse affirme qu’elle a eu recours aux services d’un passeur pour sortir de la Chine et qu’elle peut donc ne pas être inscrite dans la base de données du BSP, elle reconnaît qu’elle a utilisé son propre passeport authentique, et elle n’a pas dit pourquoi le recours à un passeur empêcherait que son passeport ne soit entré dans un système de sortie automatique.

[37]           Troisièmement, selon le témoignage de la demanderesse les agents du BSP ont montré à son époux un mandat d’arrêt à leur cinquième visite chez elle, mais n’ont pas laissé de copie du mandat d’arrêt. Lorsqu’elle a été interrogée à ce sujet, la demanderesse a répondu que son époux ne savait pas que la marche à suivre consistait à demander une copie du mandat d’arrêt. Aussi, la demanderesse n’a pas produit de preuve fiable et digne de foi que son amie, qui l’avait initiée au Falun Gong, avait été accusée et emprisonnée pendant trois ans. Ainsi, selon le défendeur, la Commission a raisonnablement tiré une inférence défavorable de l’absence de preuve corroborante.

[38]           Enfin, il ressort du témoignage de la demanderesse que ni son fils ni son époux n’ont été exposés à aucune conséquence en raison de sa pratique du Falun Gong, alors que la preuve documentaire révèle que les membres de la famille des adeptes du Falun Gong sont exposés à des châtiments. La Commission a raisonnablement tiré une inférence défavorable quant à la crédibilité de la demanderesse, en raison de l’absence d’action du BSP.

Aucune demande « sur place » ne ressort de façon perceptible de la preuve

[39]           Bien que le défendeur admette qu’il y a des cas où une demande « sur place » peut être examinée par la Commission, même si elle n’est pas soulevée par un demandeur de façon précise, le défendeur soutient qu’une telle demande doit « ressortir de façon perceptible » de la preuve présentée par le demandeur. En l’espèce, le défendeur soutient que la demanderesse n’a pas produit d’éléments de preuve suffisants de son profil en tant que véritable adepte du Falun Gong au Canada, ainsi rien ne ressort du dossier qui requiert un examen de la demande « sur place » : Pierre-Louis c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 420, au paragraphe 3, 46 ACWS (3d) 307 (CAF); Guajardo-Espinoza c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 797, 161 NR 132 (CAF), au paragraphe 5.

[40]           Le défendeur déclare qu’une demande « sur place » existe lorsque la crainte de persécution d’un demandeur est déclenchée par des événements qui surviennent dans son pays d’origine pendant son absence ou en raison de ses actes lorsqu’il est à l’extérieur de son pays d’origine : Ghzizaheh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 465, 154 NR 236 (CAF); Bureau du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié, aux paragraphes 94 à 96; James C. Hathaway, The Law of Refugee Status (Toronto, Butterworths, 1991), aux pages 33 et 34. En l’espèce, la raison que la demanderesse a avancée pour s’être enfuie de la Chine était sa crainte de persécution, au motif qu’elle est une adepte du Falun Gong. La preuve produite par la demanderesse – qui consiste seulement en son témoignage – était qu’elle était une adepte du Falun Gong avant son arrivée au Canada; elle n’a produit aucun élément de preuve qu’elle est devenue une adepte du Falun Gong pendant qu’elle était au Canada.

[41]           Le défendeur soutient que la Commission a pris en compte le témoignage de la demanderesse, et raisonnablement conclu qu’elle n’était pas une adepte du Falun Gong en Chine, que le BSP n’était pas à sa recherche, qu’elle est devenue une adepte au Canada uniquement pour étayer sa demande d’asile, qu’elle n’est pas une adepte authentique, et qu’elle pouvait donc retourner en toute sécurité chez elle, à Tianjin.

[42]           Le défendeur fait observer que la jurisprudence a très bien établi le principe selon lequel une conclusion défavorable quant à la crédibilité est généralement déterminante d’une demande d’asile : voir Rahaman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 89, aux paragraphes 23 et 29; Yassine c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 172 NR 308, 27 Imm LR (2d) 135 (CAF); Mathiyabaranam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] ACF no 1676, 140 FTR 263 (CAF); Christopher c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1128. Le défendeur avance que ce principe s’applique également à la jurisprudence de la Cour portant sur l’article 97 de la Loi, et qu’il est cohérent avec cette jurisprudence, il cite le paragraphe 21 de la décision Mbanga c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 738 :

Cela dit, l’absence d’une analyse distincte relative à l’article 97 ne sera pas fatale dans tous les cas. Lorsque, comme c’est le cas ici, aucune preuve ne permet de dire que la demanderesse est une personne à protéger, une telle analyse ne sera pas nécessaire : voir par exemple Ndegwa c Canada (MCI), 2006 CF 847, 55 Imm. L.R. (3d) 108; Soleimanian c Canada (MCI), 2004 CF 1660, 135 A.C.W.S. (3d) 474; Brovina c Canada (MCI), 2004 CF 635, 130 A.C.W.S. (3d) 1002.

[43]           Compte tenu de cela, et vu que la demande de la demanderesse au titre de l’article 97 est fondée sur le même scénario factuel que sa demande au titre de l’article 96, le défendeur déclare qu’il était raisonnable que la Commission n’effectue pas d’analyse distincte de l’article 97.

Réponse de la demanderesse et autres observations

[44]           La demanderesse répond qu’elle ne demande pas que la Cour soupèse à nouveau la preuve, contrairement à ce que le défendeur laisse entendre. Au contraire, elle affirme que les conclusions de la Commission quant à la vraisemblance étaient de nature conjecturale ou contraire à la preuve dont cette dernière disposait.

[45]           La demanderesse allègue que les conclusions quant à la vraisemblance nécessitent un fondement probant, lequel établit que les faits en question n’auraient pas pu se dérouler selon le témoignage de la demanderesse. La conclusion de la Commission selon laquelle il n’était pas vraisemblable que la demanderesse quitte la Chine avant que les agents du BSP essaient de l’arrêter renvoie à cette absence de preuve. Au contraire, la Commission reprend simplement les faits et fournit une conclusion définitive, qui n’est fondée sur rien de plus que la seule version de la Commission elle-même quant à ce qu’une personne raisonnable aurait fait dans la même situation. La demanderesse relève que la jurisprudence met en garde contre le fait de fonder des conclusions quant à la vraisemblance sur des critères extrinsèques tels que le raisonnement, le sens commun, et la connaissance d’office : Giron c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] ACF no 481, 143 NR 238 (CAF) [Giron]; Santos, précitée, au paragraphe 15.

[46]           La demanderesse soutient que la conclusion quant à la crédibilité tirée par la Commission relativement aux visites continues des agents du BSP chez elle ne tient pas compte de la preuve. Elle a eu recours aux services d’un passeur pour quitter la Chine en sécurité, et contourner toutes les questions de sécurité à l’aéroport. La demanderesse était préoccupée par le fait qu’elle serait arrêtée par le BSP si elle voyageait avec son propre passeport. Toutefois, le passeur lui a donné l’assurance qu’elle pouvait franchir les postes d’immigration et de douanes, et il a tenu son passeport et l’a menée à travers les douanes à l’aéroport de Beijing, sans incident (voir la transcription du dossier certifié du tribunal, aux pages 448 et 449). La demanderesse soutient que la Commission n’a pas pris en compte la façon dont le passeur l’a aidée ou le fait que ce dernier a été embauché pour s’assurer que la demanderesse serait en mesure de contourner les vérifications de sécurité à l’aéroport de Beijing. En outre, il ressort de la preuve documentaire à laquelle la Commission renvoie (CHN103133.EF) que le programme du bouclier d’or n’est pas utilisé pour suivre la trace des personnes qui ne sont pas soupçonnées d’avoir commis un crime.

[47]           La demanderesse déclare que, contrairement aux affirmations du défendeur, son témoignage à l’audience révèle que, son époux et son fils ont été exposés à des châtiments par la police, au moyen de harcèlement répétitif et d’interrogatoires arbitraires. Il s’agit là des deux formes de châtiments décrites dans la preuve documentaire : voir le rapport de l’Agence des services frontaliers du Royaume-Uni, dossier de la demanderesse, à la page 192.

[48]           En ce qui a trait à la demande « sur place », la demanderesse allègue qu’une telle demande ressort de façon perceptible de son témoignage. Elle a témoigné qu’elle est une adepte assidue du Falun Gong au Canada, et qu’elle est devenue membre d’un groupe de pratique au parc Miliken, à Scarborough (voir la transcription du dossier certifié du tribunal, aux pages 431 et 432). La Commission s’est déclarée satisfaite des connaissances de la demanderesse sur le Falun Gong et n’a émis aucun doute quant à l’authenticité de sa foi en tant qu’adepte du Falun Gong au Canada. La demanderesse déclare que la Commission n’a pas pris en compte la preuve de sa véritable conversion au Canada et cette motivation, bien qu’elle puisse être un facteur, ne devrait pas être le seul facteur pris en compte quant à l’authenticité, comme ce fut le cas en l’espèce. Les personnes qui se convertissent à une religion initialement pour étayer une demande d’asile peuvent cependant acquérir la foi en cours de route et devenir de véritables adeptes de la religion : Xin Cai Hou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 993, aux paragraphes 61 et 62, 65[Hou]. Bien que dans la décision Hou la Cour ait enfin confirmé la conclusion selon laquelle le demandeur n’avait pas établi l’existence d’une demande « sur place » dans cette affaire‑là, le demandeur avait démontré des connaissances limitées des préceptes du Falun Gong, et fait des déclarations peu convaincantes à l’appui de sa pratique au Canada (voir le paragraphe 69), ce qui n’était pas le cas en l’espèce. En l’espèce, la conclusion relative à la motivation illégitime était le seul fondement de la conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse n’était pas une véritable adepte.

[49]           La demanderesse déclare qu’il y a une preuve claire, dans le dossier, que les personnes qui pratiquent le Falun Gong pendant qu’elles sont à l’étranger sont exposées à la persécution à leur retour en Chine, et la Commission a donc commis une erreur lorsqu’elle n’a pas examiné la demande « sur place » : Jin, précitée, au paragraphe 19.

[50]           Contrairement aux observations du défendeur, la demanderesse allègue qu’au titre de l’article 97, des conclusions défavorables quant à la crédibilité ne permettent pas toujours de trancher une demande. Selon la demanderesse, en l’espèce, une décision distincte, au titre de l’article 97 était nécessaire, en raison de son profil d’adepte du Falun Gong : Bouaouni c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1211, au paragraphe 41.

ANALYSE

[51]           Je suis d’accord avec la demanderesse que les conclusions de la SPR posent de sérieux problèmes, de conjectures et d’opinions non fondées sur les faits, mais les erreurs qui existent dans l’analyse de la demande « sur place » faite par la Commission ne sont pas sérieuses au point où la présente affaire devrait être renvoyée pour nouvel examen sur ce seul fondement.

[52]           La conclusion de la Commission selon laquelle « il n’est pas raisonnable qu’une personne quitte son pays avant que le [BSP] commence à la chercher » n’a aucun fondement probant et représente simplement l’opinion de la Commission sur ce à quoi on pourrait s’attendre dans les circonstances. La demanderesse a donné un récit raisonnable de la raison pour laquelle elle a quitté la Chine quand elle l’a fait, et la Commission ne cite rien qui mine ce récit, autre que sa propre opinion.

[53]           De même, la conclusion de la Commission selon laquelle « il est raisonnable de croire que les membres de sa famille auraient fait l’objet de représailles quelconques » ne concorde pas avec la preuve. La demanderesse a parlé des visites répétées des agents du BSP chez elle. Les documents sur la situation dans le pays font état d’un certain nombre de traitements réservés aux membres de la famille qui vont du harcèlement, à des visites aléatoires de la police chez eux, à des détentions arbitraires, et à des pertes d’emploi et de l’aide de l’État, à des arrestations des membres de la famille. Il n’y a pas de preuve à l’appui de l’affirmation de la Commission selon laquelle, de façon raisonnable, les agents du BSP auraient fait quoi que ce soit de plus que ce que la demanderesse dit qu’ils ont fait. Encore une fois, la Commission se fonde sur sa propre opinion.

[54]           Il s’agit là de conclusions quant à la vraisemblance et, comme la Cour l’a souligné de nombreuses fois, de telles conclusions sont fondamentalement dangereuses et ne devraient être tirées que dans les cas les plus évidents : voir Valtchev, précitée, aux paragraphes 6 à 8; Giron, précitée; Leung c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 774, 81 FTR 303 (TD), au paragraphe 15; Mahmood c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1526, au paragraphe 16; Ansar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1152, au paragraphe 17; Jung v Canada (Citizenship and Immigration), 2014 CF 275, au paragraphe 74. Sur la foi des faits de l’espèce, de telles conclusions étaient déraisonnables.

[55]           L’analyse de la demande « sur place » effectuée par la Commission n’est pas logique :

[21]      Le tribunal a posé des questions à la demandeure d’asile au sujet de ses connaissances sur le Falun Gong, et il était satisfait de ses réponses. Cependant, compte tenu des doutes du tribunal en ce qui concerne la crédibilité des allégations de la demandeure d’asile, le tribunal conclut que celle-ci ne pratiquait pas le Falun Gong en Chine. Par conséquent, le tribunal conclut que la demandeure d’asile est devenue une adepte du Falun Gong au Canada uniquement pour étayer sa demande d’asile.

[22]      Comme le tribunal ne croit pas les allégations de la demandeure d’asile selon lesquelles elle était véritablement une adepte du Falun Gong en Chine, il conclut que le PSB n’est pas à sa recherche afin de l’arrêter. De plus, le tribunal conclut que la demandeure d’asile n’est pas une véritable adepte du Falun Gong au Canada. Par conséquent, le tribunal estime qu’elle peut retourner chez elle, à Tianjin, en Chine, en toute sécurité.

 

[56]           En l’espèce, le raisonnement semble être le suivant :

a)      la demanderesse n’était pas une véritable adepte du Falun Gong en Chine;

b)      par conséquent, la demanderesse n’est pas une véritable adepte du Falun Gong au Canada, parce qu’elle est devenue une adepte du Falun Gong au Canada uniquement pour étayer sa demande;

c)      par conséquent, les agents du  BSP n’étaient pas à la recherche de la demanderesse en Chine, et elle peut y retourner en toute sécurité.

[57]           Les problèmes de ce type de raisonnement sont les suivants :

a)      même si la demanderesse n’était pas une véritable adepte du Falun Gong en Chine (et des problèmes se posent quant à cette conclusion relative à la crédibilité) cela ne signifie pas qu’elle ne peut pas devenir une véritable adepte du Falun Gong au Canada, même si elle a adhéré au Falun Gong ici initialement pour étayer sa demande (une conclusion pour laquelle aucune preuve n’est citée);

b)      la Commission conclut que la demanderesse a donné des preuves convaincantes de ces connaissances du Falun Gong, mais elle omet d’examiner comment quelqu’un qui possède de telles connaissances et qui pratique le Falun Gong au Canada serait perçu et traité par les autorités chinoises en cas de retour, malgré qu’il existe des preuves que la Chine surveille les personnes qui pratiquent le Falun Gong au Canada;

c)      la Commission suppose que, si la demanderesse n’était pas une véritable adepte du Falun Gong en Chine avant d’arriver au Canada, à son retour, elle ne pratiquerait pas le Falun Gong en Chine. Ce raisonnement est fautif. Elle peut très bien devenir une véritable adepte au Canada, et les véritables adeptes en Chine sont exposés à des risques de représailles et sont punis s’ils sont découverts;

d)     la Commission conclut que la demanderesse est devenue une adepte du Falun Gong au Canada qui possède des connaissances, afin d’étayer sa demande, mais ensuite elle omet d’examiner les conséquences de cette conclusion sous un angle prospectif, contrairement à ce que le droit exige.

 

[58]           La véritable nature d’une demande « sur place » nécessite que la Commission tienne compte de l’ensemble du contexte de ce que la demanderesse a fait depuis qu’elle est arrivée au Canada. Il n’y a pas de véritable appréciation faite par la Commission quant à savoir si la demanderesse est devenue une adepte authentique du Falun Gong au Canada. La simple affirmation qu’elle n’est pas une véritable adepte parce qu’elle n’était pas une véritable adepte en Chine n’est pas logique et ne tient simplement pas compte de la jurisprudence instructive de la Cour à ce sujet. Voir par exemple, Huang, précitée, au paragraphe 11, et Hailu, précitée, au paragraphe 6; Jin, précitée, au paragraphe 19; Yin, précitée, aux paragraphes 89 et 90.

[59]           Les motivations peuvent certainement faire partie de toute analyse, mais en l’espèce, il y avait des preuves solides d’une connaissance précise et authentique du Falun Gong, et d’une pratique durable et constante au Canada. La Commission n’a fait aucune tentative pour découvrir si la demanderesse était maintenant une véritable adepte et en tenir compte. L’analyse de la Commission s’arrête simplement à l’affirmation que la demanderesse n’était pas une véritable adepte en Chine, et qu’elle ne peut donc pas être une véritable adepte au Canada. La conseil de la demanderesse a précisément soulevé ces questions à la Commission, dans ses observations écrites, et bien que la conseil n’y ait pas précisément fait référence dans ses observations, il y avait aussi des éléments de preuve documentaire dans les documents dont la Commission disposait quant à l’espionnage des personnes qui pratiquent le Falun Gong à l’extérieur de la Chine et des châtiments qui leur sont imposés en cas de retour. Ce sont là toutes des questions que la Commission n’a pas examinées, de façon déraisonnable, lorsqu’elle a simplement conclu que, parce que la demanderesse n’était pas une adepte du Falun Gong en Chine, elle est « devenue une adepte du Falun Gong au Canada uniquement pour étayer sa demande d’asile ». Même s’il s’agissait d’une conclusion adéquate quant aux motivations, la Commission omet simplement d’examiner la question de savoir si, depuis qu’elle a présenté sa demande d’asile, la demanderesse est devenue une véritable adepte ou quelqu’un qui serait perçu comme tel, si elle était renvoyée en Chine.

[60]           Les avocats conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier, et la Cour est d’accord.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                          La demande est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée pour être examinée à nouveau par un autre commissaire.

2.                          Il n’y a aucune question à certifier.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

L. Endale

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1956-13

 

INTITULÉ :

HONGZHEN CHEN

c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE 

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 MAI 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

 

LE 28 juillet 2014

COMPARUTIONS :

Cheryl Robinson

 

POUR LA DEMANDERESSE

Monmi Goswami

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cheryl Robinson

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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