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Date : 20140728


Dossier : IMM-6840-13

Référence : 2014 CF 752

Ottawa (Ontario), le 28 juillet 2014

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

RENE MARTINEZ GRANADOS

ANA LIDIA FLORES DE MARTINEZ

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [le Tribunal ou la SPR] rendue le 30 août 2013, déterminant que les demandeurs n’ont pas la qualité de « réfugiés au sens de la Convention », ni de « personnes à protéger » au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi].

[2]               Les demandeurs sont des citoyens du Salvador. Ils quittent leur pays en octobre 2005 en raison de menaces de mort, d’extorsion et d’agressions de membres du groupe Mara 18, un gang criminel [le Groupe]. Les demandeurs opèrent une épicerie dans une municipalité rurale lorsque, en juillet 2005, des membres du Groupe leur imposent une prime d’extorsion payable tous les mois. Le demandeur porte plainte aux policiers mais sans succès. Ainsi, les demandeurs payent la prime jusqu’en octobre. Mais à cause de la maladie de leur fils, ils manquent un paiement, ce qui entraîne une agression et des nouvelles menaces. Les demandeurs quittent leur pays et entrent aux États-Unis illégalement, via le Guatemala et le Mexique, en octobre 2005. Ils y demeurent sans statut, jusqu’au 6 avril 2011, date où ils arrivent au Canada.

[3]               Le Tribunal ne remet pas en cause la crédibilité des demandeurs, ni le fait que depuis leur départ, d’autres membres de la famille ont eu des problèmes avec le Groupe. En 2006, le domicile de la mère du demandeur est incendié et son frère est atteint d’un projectile. En novembre 2012, le frère du demandeur est victime d’un vol. Enfin, la fille des demandeurs, une écolière qui habite toujours au Salvador, mais dans une autre ville qu’habitait ses parents, reçoit une note manuscrite lui indiquant qu’elle doit nouer une relation avec un membre du Groupe ou qu’elle doit leur payer 15 $ afin de poursuivre ses études.

[4]               La conclusion du Tribunal à l’effet que l’article 96 de la Loi n’est pas applicable en l’espèce n’est pas contestée par les demandeurs. Reste l’application de l’article 97. Il s’agit essentiellement de décider si le Tribunal a commis une erreur révisable en déterminant que le risque prospectif des demandeurs est généralisé et qu’il existe une possibilité de refuge intérieur [PRI] dans la ville de San Salvador. Or, le Tribunal estime que « le risque d’être victime d’un crime ou de violence est un risque « courant » et « répandu » au Salvador auquel sont généralement exposés tous les résidants du pays. » De plus, le Tribunal ne croit pas que les membres du Groupe de la localité que les demandeurs ont quitté en 2005 ont toujours un intérêt envers les demandeurs huit ans plus tard. Le Tribunal note que les demandeurs n’exploitent plus d’entreprise et qu’entre 2006 et 2012, les membres de leur famille n’ont subi aucun préjudice. Également, il n’y a aucune preuve que les problèmes du frère du demandeur ou ceux de la fille des demandeurs soient liés au défaut des demandeurs de continuer à payer la prime d’extorsion. Selon le Tribunal, le frère du demandeur a été agressé en 2012 parce qu’il était un messager – une personne perçue comme ayant de l’argent en sa possession, tandis que la fille des demandeurs a reçu une note menaçante parce qu’un membre du gang souhaitait sortir avec elle.

[5]               Il n’y pas lieu d’intervenir en l’espèce. Le désaccord des demandeurs ne porte pas sur le droit applicable mais plutôt sur l’application de ces principes et l’interprétation des faits au dossier. La décision du Tribunal est à tous égards raisonnable.

[6]               Rappelons tout d’abord que la Cour d’appel fédérale, dans l’affaire Prophète c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 31, a indiqué que dans les pays où la criminalité est courante ou répandue et où les criminels ciblent divers groupes, le fait que certains groupes puissent être plus susceptibles d’être victimes de crimes ne les exclut pas nécessairement de la catégorie du risque généralisé. Ce qui importe, c’est que l’analyse des risques soit « personnalisée ». Madame la juge Gleason dans la décision Portillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté), 2012 CF 678 aux paras 38-39 [Portillo], a fait observer que « [d]’une part, dans plusieurs affaires semblables à la présente, notre Cour a annulé des décisions de la SPR dans des cas où le demandeur d'asile avait été personnellement victime d'actes de violence de la part d'un des gangs de criminels qui exercent leurs activités en Amérique centrale ou en Amérique du Sud » (citations omises) tandis qu’elle a également noté que : « [d]es conclusions contraires ont été tirées dans l’autre catégorie de décisions, constituée de celles dans lesquelles notre Cour a confirmé des décisions de la SPR dans des cas où des gangs avaient menacé de s’en prendre à l'avenir au demandeur d’asile, mais où les menaces avaient été jugées insuffisantes pour exposer le demandeur à un risque plus grand que celui auquel étaient exposées les autres personnes du pays en question. » (Citations omises)

[7]               À mon avis, il ne s’agit pas d’un cas où les principes de l’arrêt Portillo ont un caractère déterminant sur l’issue de la demande d’asile. On n’est pas dans une situation où des commerçants menacés par un gang criminel quittent leur pays et font une demande d’asile quelques semaines ou quelques mois plus tard. On est rendu plus de huit ans plus tard. Or, la détermination du statut de personne protégée est un exercice essentiellement prospectif. Même si l’on accepte que les demandeurs ont pu craindre à un certain moment d’être l’objet de représailles des membres du Groupe, cette crainte n’apparaît pas bien fondée aujourd’hui si l’on accepte le raisonnement du Tribunal, qui n’est pas arbitraire ou capricieux en l’espèce.

[8]               En fait, le Tribunal explique dans la décision sous étude que les demandeurs ne courent pas un risque personnalisé étant donné le temps écoulé depuis les menaces, l’extorsion et les agressions. Le problème principal des demandeurs, c’est l’établissement d’un lien de causalité. Oui, il existe un risque généralisé, mais les incidents postérieurs à 2005 n’ont aucun lien apparent avec le refus des demandeurs de verser la prime d’extorsion. Le Tribunal justifie son raisonnement par le fait qu’il n’y a aucun élément de preuve au dossier à l’effet que le groupe aurait incendié la maison de la mère en 2006 en guise de représailles, ce qui appuie la conclusion d’absence de causalité; de plus, celle-ci demeure toujours dans le même village, et ce, sans que soient survenus de nouveaux incidents. Relativement à l’attaque du frère du demandeur en 2012, le Tribunal note qu’elle se serait déroulée « quand il effectuait sa tâche comme messager motocycliste ». De la même façon, il n’existe aucun lien entre la note reçue par la fille des demandeurs et leurs propres problèmes avec le Groupe. Enfin, les deux fils des demandeurs qui, comme leur sœur habitent à San Miguel, qui se situe à deux heures de l’endroit où les demandeurs vivaient auparavant, n’ont éprouvé aucun problème avec le Groupe. Puisque plusieurs années ont passé depuis le dernier signe d’intérêt de la part du Groupe, il n’était pas déraisonnable de conclure que le risque était seulement généralisé.

[9]               La conclusion du Tribunal que les demandeurs font seulement face à un « risque généralisé » m’apparaît donc une issue acceptable en égard au droit applicable et à la preuve du dossier. En l’espèce, les demandeurs n’ont pas démontré à la satisfaction du Tribunal qu’ils seraient toujours personnellement ciblés, après plus de huit ans, par le Groupe s’ils devaient retourner au Salvador, et plus particulièrement s’ils s’établissaient dans une autre partie de leur pays.

[10]           Au niveau de l’existence d’une PRI, le Tribunal a conclu que les demandeurs pouvaient déménager à San Salvador. Quant au premier volet du test, bien que les demandeurs soutiennent que le Groupe a une présence au niveau national et que le Groupe « a les ressources et les moyens humains, financiers et matériels pour agir dans tout le territoire d’El Salvador », il n’y a cependant aucune preuve que le Groupe utiliserait de telles ressources pour les retrouver. Cette conclusion m’apparaît raisonnable. S’agissant du second volet, le Tribunal a considéré les circonstances particulières des demandeurs. Il a conclu que le taux élevé de chômage et l’absence de famille ou d’amis à San Salvador ne sont pas des motifs suffisants pour rendre déraisonnable San Salvador comme une possibilité de refuge interne. En outre, le Tribunal observe que les demandeurs sont jeunes et ont de l’expérience de travail au Salvador, au Canada et aux États-Unis. Je ne trouve rien de déraisonnable dans la conclusion du Tribunal que la deuxième partie du test est également satisfaite.

[11]           Pour tous ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Aucune question de droit d’importance générale n’a été soulevée par les procureurs.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Luc Martineau »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6840-13

 

INTITULÉ :

RENE MARTINEZ GRANADOS, ANA LIDIA FLORES DE MARTINEZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 JUILLET 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

LE 28 JUILLET 2014

 

COMPARUTIONS :

Me Gisela Barraza

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Me Thomas Cormie

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Barraza & Associés

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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