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Date: 20140725


Dossier : IMM-3374-13

Référence : 2014 CF 744

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 juillet 2014

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

SANDRA PATRICIA GOMEZ JARAMILLO

EMILY SOPHIA RILEY

SARAH ELIZABETH RILEY

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

APERÇU

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par Sandra Patricia Gomez Jaramillo (la demanderesse principale) et ses filles, Emily Sophia Riley et Sarah Elizabeth Riley au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), visant à faire annuler une décision rendue par K. Bilkevitch, agente principale d’immigration (l’agente) de Citoyenneté et Immigration Canada, au bureau de réduction de l’arriéré de Vancouver, qui se trouve au 1148, rue Hornby, à Vancouver, en Colombie‑Britannique (dossier no 5290-5752). Dans sa décision rendue le 9 avril 2013, l’agente a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (la demande CH) que les demanderesses avaient présentée alors qu’elles se trouvaient au Canada.

[2]               À mon avis, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée pour les motifs exposés ci‑dessous.

LES FAITS

[3]               La demanderesse principale est citoyenne de la Colombie. Les deux demanderesses mineures sont les filles de la demanderesse principale. L’une d’elles est citoyenne des États‑Unis et du Royaume-Uni, et l’autre est citoyenne du Brésil et du Royaume-Uni.

[4]               La demanderesse principale a initialement quitté la Colombie en 1997 avec son époux, qui est citoyen du Royaume-Uni. Ils ont vécu et se sont rendus dans divers pays au cours des 12 années suivantes.

[5]               La demanderesse principale s’est séparée de son époux en 2005, et ils ont divorcé en 2009.

[6]               La demanderesse principale est venue au Canada en qualité de visiteuse en 2003, en 2004 en 2006 et en 2007.

[7]               La demanderesse principale et ses filles sont entrées au Canada en qualité de visiteuses le 18 août 2009.

[8]               Le 3 septembre 2009, les demanderesses ont présenté une demande d’asile.

[9]               La Section de la protection des réfugiés a rejeté cette demande au motif que la preuve des demanderesses n’établissait ni une véritable crainte subjective ni un risque objectif.

[10]           Les demanderesses ont sollicité le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés a rejeté leur demande d’asile, mais la demande d’autorisation de contrôle judiciaire a été rejetée par la Cour le 10 avril 2013 (dossier de la Cour no IMM‑12366‑12).

[11]           Le 10 juin 2012, alors qu’elles attendaient la décision concernant leur demande d’asile, les demanderesses ont présenté, depuis le Canada, une demande de résidence permanente pour des considérations d’ordre humanitaire. Plus précisément, les demanderesses, à l’appui de leur demande CH, ont invoqué leur établissement au Canada et leurs liens au Canada, l’intérêt supérieur des enfants ainsi que les difficultés excessives qu’elles subiraient si elles étaient renvoyées du Canada.

[12]           Le 9 avril 2013, l’agente a conclu que [traduction] « les éléments présentés par les demanderesses dans la présente affaire ne permettent pas de conclure qu’elles subiraient des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives si elles présentaient une demande de résidence permanente depuis l’étranger. Je suis convaincue qu’il n’est pas justifié d’accorder une dispense de visa au titre de l’article 25 de la LIPR en l’espèce. »

[13]           Les demanderesses ont présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de l’agente le 9 mai 2013. La juge Kane a autorisé le contrôle judiciaire le 2 mai 2014.

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[14]           Dans une lettre datée du 9 avril 2013, l’agente a rejeté la demande de résidence permanente pour des considérations d’ordre humanitaire que les demanderesses avaient présentée depuis le Canada.

A.                Les risques et la discrimination

[15]           L’agente a tout d’abord souligné que, depuis le 29 juin 2010, à cause de modifications législatives, les agents saisis de demandes CH doivent limiter leur examen aux risques qui ne sont pas visés par les articles 96 et 97 de la LIPR. L’agente s’est toutefois penchée et prononcée sur la question de la discrimination.

[16]           L’agente a souligné que les demanderesses avaient omis de fournir des renseignements quant aux types de risques auxquels elles pourraient être exposées en Colombie. L’agente n’a donc pas été en mesure de conclure que les demanderesses seraient victimes de discrimination à leur retour en Colombie. En outre, l’agente a estimé qu’elle disposait de bien peu de renseignements selon lesquels, compte tenu de la situation actuelle en Colombie, les demanderesses subiraient des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives.

[17]           En ce qui concerne le risque auquel les demanderesses seraient exposées au Brésil, l’agente a fait mention d’une copie d’une dénonciation faite le 1er juin 2005 dans laquelle la demanderesse principale affirmait que son époux l’avait giflée une fois. L’agente a ensuite souligné qu’elle disposait de bien peu de renseignements selon lesquels les demanderesses seraient exposées à des risques de préjudice ou de discrimination si elles retournaient au Brésil. Aucune plainte n’avait été déposée. En outre, l’époux de la demanderesse principale s’était bien comporté les années suivantes et il avait rendu visite aux enfants six fois par année. Il n’a pas été allégué que la demanderesse principale craignait son ex‑époux ou que les enfants seraient exposés à des risques au Brésil.

B.                 L’établissement

[18]           L’agente a fait mention d’une copie d’une entente de séparation et de copies de relevés bancaires qui confirmaient que la demanderesse principale recevait 4 200 $ par mois à titre de pension alimentaire pour enfants. Il n’a pas été allégué qu’il y avait eu défaut de paiement. L’agente a toutefois estimé qu’il s’agissait d’un facteur neutre, puisque la demanderesse principale pourrait continuer de recevoir les versements de pension alimentaire pour enfants de son ex‑époux peu importe où elle et ses enfants habitent.

[19]           L’agente a fait mention d’une copie d’un permis d’entreprise délivré par l’Ontario en 2010 à l’entreprise de la demanderesse, Saremy Jewelry Design. Après avoir examiné le site Internet de l’entreprise, dont l’adresse Web lui avait été fournie par la demanderesse principale, l’agente a conclu que l’ensemble des renseignements dont elle disposait n’établissait pas que la demanderesse principale s’efforçait de faire croître son entreprise de conception de bijoux au Canada.

[20]           L’agente a estimé que le fait que la demanderesse principale ait acheté une maison à London, en Ontario, constituait un facteur positif, mais elle a noté que la demanderesse principale avait produit bien peu d’éléments de preuve pour démontrer qu’elle subirait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives si elle était tenue de vendre sa maison advenant qu’elle doive quitter le Canada.

[21]           L’agente a estimé que la participation de la demanderesse dans sa communauté auprès du musée de London et de la Course à la vie CIBC constituait un facteur positif dans l’examen de la demande de la demanderesse principale.

[22]           L’agente a estimé que le fait que les demanderesses fréquentent l’église catholique romaine St. Michael’s de London, en Ontario, constituait, dans une certaine mesure, un facteur positif, mais elle n’a pas été en mesure de conclure que les demanderesses ou la paroisse subiraient des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives si les demanderesses quittaient la paroisse.

[23]           L’agente a estimé que le fait que la demanderesse principale parraine un enfant en Indonésie constituait, dans une certaine mesure, un facteur positif, mais elle n’a pas été en mesure de conclure que la demanderesse principale serait incapable de continuer à parrainer l’enfant si elle habitait en Colombie ou au Brésil.

[24]           L’agente a souligné que les demanderesses avaient des liens familiaux au Canada et elle a tenu compte des difficultés que subiraient les demanderesses si elles étaient séparées de leur famille. Cependant, compte tenu de la preuve, l’agente a été incapable de conclure que les liens affectifs des demanderesses au Canada étaient tels que ces dernières subiraient des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives si elles étaient séparées de leur famille élargie.

[25]           L’agente, dans son examen, a estimé que les lettres de référence constituaient un facteur positif, mais elle a noté qu’il y avait très peu d’éléments de preuve lui permettant d’établir l’ampleur des difficultés que les demanderesses ou toute autre personne subiraient si la famille était renvoyée du Canada.

[26]           Après avoir examiné, de façon globale, le degré d’établissement des demanderesses, l’agente n’était pas convaincue que l’établissement des demanderesses était plus important que ce à quoi on s’attend de toute autre personne qui essaie de s’adapter à un nouveau pays. L’agente a conclu que, vu leur degré d’établissement au Canada, les demanderesses ne subiraient pas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives si elles devaient présenter leur demande de résidence permanente depuis l’étranger.

C.                 L’intérêt supérieur des enfants

[27]           L’agente a reconnu qu’il fallait analyser l’intérêt supérieur des enfants. Elle a souligné la prétention de la demanderesse principale selon laquelle quitter le Canada aurait des répercussions énormes sur sa vie et sur celle de ses enfants et que cela les déstabiliserait. L’agente a mentionné que les deux demanderesses mineures n’avaient jamais vécu en Colombie. Elle a constaté que les demanderesses mineures s’en tiraient bien tant sur le plan scolaire que social, et qu’elles s’étaient bien adaptées au Canada. L’agente a aussi souligné que les demanderesses mineures avaient bien réagi lorsqu’elles avaient déménagé dans le passé. Elle n’a pas été capable de conclure que les demanderesses mineures ne réussiraient pas à bien s’adapter si elles déménageaient en Colombie ou au Brésil.

[28]           L’agente a reconnu que, à la suite d’un accident d’automobile, les deux enfants avaient suivi un programme de réadaptation de février 2012 à juin 2012. L’agente a toutefois conclu que les renseignements dont elle disposait ne montraient pas que les demanderesses mineures n’avaient pas terminé avec succès la réadaptation recommandée, qu’elles recevaient encore des soins de réadaptation ou qu’elles en avaient encore besoin ou bien qu’elles ne pourraient pas avoir accès à de tels services au Brésil ou en Colombie.

[29]           L’agente a souligné que l’aînée avait reçu des services de counseling de mai 2012 à juin 2012. Cependant, rien de donnait à penser que l’aînée avait reçu de tels services après juin 2012, qu’elle avait encore besoin de pareils services ou qu’elle n’aurait pas accès à des services semblables en Colombie ou au Brésil.

[30]           L’agente a souligné que les demanderesses mineures n’ont pas fourni de déclaration pour faire connaître leur opinion en l’espèce ou pour dire qu’elles souhaitent rester au Canada.

[31]           De manière générale, compte tenu des renseignements fournis, l’agente a été incapable de conclure que la réinstallation des demanderesses mineures en Colombie ou au Brésil aurait des répercussions défavorables importantes sur ces dernières.

D.                L’intérêt supérieur d’un tiers

[32]           L’agente a aussi tenu compte de l’intérêt supérieur de Jared, un enfant canadien né avec un handicap. Elle a renvoyé à une lettre dans laquelle la mère de Jared a fait savoir que son fils entretenait un lien très spécial avec l’une des demanderesses mineures. L’agente a reconnu l’existence de ce lien spécial, mais elle a ajouté que les deux jeunes pourraient rester amis grâce aux moyens de communication modernes. L’agente a estimé que, compte tenu des renseignements fournis, elle ne pouvait pas conclure que le départ de la demanderesse mineure du Canada allait avoir des répercussions défavorables importantes sur Jared.

E.                 Conclusion

[33]           L’agente s’est fondée sur l’extrait suivant du paragraphe 9 de la décision de la juge Strickland dans l’affaire Begum c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 265 :

[…] La procédure d’examen des demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire ne vise pas à éliminer toutes les difficultés inhérentes au fait d’être obligé de quitter un endroit où l’on a vécu un certain temps, mais à éviter les difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives que peut entraîner le fait qu’un demandeur soit obligé de quitter le Canada et, suivant la procédure habituelle, de présenter une demande à partir de l’étranger. […]

[34]           Après avoir [traduction] « examiné attentivement » tous les facteurs et les éléments de preuve présentés par les demanderesses, l’agente a conclu que ces dernières se trouvaient dans la même situation que d’autres immigrants éventuels au Canada qui doivent présenter une demande depuis l’étranger suivant la procédure habituelle. Elle a ajouté que [traduction] « les éléments présentés par les demanderesses en l’espèce, pris individuellement et collectivement, ne permettent pas d’établir que ces dernières subiraient des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives si elles devaient présenter leur demande de résidence permanente depuis l’étranger ». L’agente était convaincue qu’il n’était pas justifié d’accorder une dispense de visa au titre de l’article 25 de la LIPR en l’espèce.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[35]           Les demanderesses proposent les questions en litige suivantes :

(i)                 L’agente a‑t‑elle commis une erreur en ajoutant le critère du risque personnel à l’analyse fondée sur l’article 25?

(ii)               L’agente a‑t‑elle commis une erreur en examinant les difficultés que les demanderesses pourraient subir dans le pays d’origine?

(iii)             L’agente a‑t‑elle agi sans compétence, outrepassé sa compétence ou refusé d’exercer sa compétence?

(iv)             L’agente a‑t‑elle omis de respecter un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ou bien une autre procédure qu’elle était tenue en droit de respecter?

(v)               L’agente a‑t‑elle commis une erreur dans son examen de l’établissement des demanderesses au Canada?

(vi)             L’agente a‑t‑elle commis une erreur en omettant de tenir compte d’éléments de preuve concernant l’établissement des demanderesses au Canada?

(vii)           L’agente a‑t‑elle commis une erreur en examinant l’intérêt supérieur des enfants?

(viii)         L’agente a‑t‑elle mal apprécié l’intérêt supérieur des enfants?

(ix)             L’agente a‑t‑elle commis une erreur en ne tenant pas compte d’éléments de preuve pertinents?

(x)               La décision de l’agente de rejeter la demande CH des demanderesses est‑elle raisonnable au sens de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 (l’arrêt Dunsmuir)?

[36]           Le défendeur soutient que la Cour doit trancher la question en litige suivante : la décision de l’agente était‑elle raisonnable dans les circonstances?

[37]           À mon humble avis, il y a seulement deux questions en litige :

(i)                 La décision de l’agente concernant la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée depuis le Canada par les demanderesses était‑elle raisonnable?

(ii)               L’agente a‑t‑elle appliqué le bon critère juridique dans son analyse relative à l’intérêt supérieur des enfants?

LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

[38]           Au paragraphe 62 de l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a établi qu’il était inutile de mener une analyse relative à la norme de contrôle « si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier ».

[39]           La question de savoir si l’agente a commis une erreur dans sa décision concernant la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée depuis le Canada par les demanderesses est une question mixte de fait et de droit, et la norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité (Adams c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1193, au paragraphe 14; Akinbowale c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1221, au paragraphe 10; Ramirez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1404, au paragraphe 31).

[40]           Au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême a expliqué ce qui suit :

[…] La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[41]           La question de savoir si l’agente a appliqué le bon critère juridique dans son examen de la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée depuis le Canada par les demanderesses est une question de droit, et la norme de contrôle applicable est donc celle de la décision correcte (Williams c Canada (PG), 2010 CF 701, au paragraphe 10; Mcdonald c Canada (Ressources humaines et Développement des compétences), 2009 CF 1074, au paragraphe 6).

A.        Les observations des demanderesses

[42]           Les demanderesses soutiennent que l’agente devait faire preuve de diligence envers elles parce qu’elles n’étaient pas représentées par un avocat.

[43]           Les demanderesses allèguent que l’agente n’a pas effectué de recherche supplémentaire quant à des problèmes soulevés à l’égard de la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée depuis le Canada. Le guide IP 5 du défendeur permet aux agents d’effectuer de telles recherches. Les agents disposent également de diverses sources, dont les cartables nationaux de documentation qui sont accessibles sur le site Web de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada.

[44]           Les demanderesses soutiennent que le Cartable national de documentation concernant la Colombie appuie les allégations de la demanderesse principale selon lesquelles les demanderesses mineures seraient exposées à des conditions difficiles et non sécuritaires si elles retournaient en Colombie. Selon les demanderesses, ce cartable révèle aussi qu’une mère célibataire de deux jeunes filles serait victime de discrimination sociale et de discrimination en milieu de travail.

[45]           Les demanderesses soutiennent que, selon le Cartable national de documentation concernant le Brésil, tant la violence et la discrimination contre les femmes, la violence contre les enfants, y compris les agressions sexuelles, que la discrimination fondée sur le sexe en milieu de travail sont répandues dans ce pays. Ce cartable révèle aussi que le Brésil est une destination de choix pour le tourisme sexuel, qu’il est aux prises avec de graves problèmes en matière de droits de la personne et que son code pénal criminalise l’avortement.

[46]           Les demanderesses allèguent que l’agente a commis une erreur en concluant que la demanderesse principale était encore en droit d’obtenir la résidence permanente au Brésil.

[47]           Les demanderesses soutiennent que l’agente n’a pas évalué l’incidence que leur renvoi du Canada aurait sur l’ensemble de la famille, vu qu’il n’y a aucun pays où tous les membres de la famille ont le droit d’habiter. Les demanderesses font valoir que l’agente n’a pas su adopter une approche empathique (Paul c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1081).

[48]           Selon les demanderesses, rien ne donne à penser que l’époux de la demanderesse principale continuerait de verser la pension alimentaire si les enfants étaient renvoyés du Canada. Les demanderesses soutiennent en outre qu’il n’y a rien dans l’entente de séparation qui empêche le père des demanderesses mineures d’essayer d’obtenir la garde de ses filles si ces dernières sont renvoyées du Canada.

[49]           Selon les demanderesses, l’agente a commis une erreur dans l’évaluation du degré d’établissement, comme le démontrent en particulier les lettres d’appui. Elles allèguent que ces lettres prouvent que leur degré d’établissement est exceptionnel et qu’elles seraient exposées à des difficultés inouïes si elles étaient renvoyées du Canada.

[50]           Les demanderesses soutiennent que l’agente devait apprécier leur degré d’établissement et déterminer dans quelle mesure leur degré d’établissement joue en faveur de l’octroi de la dispense (Sebbe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 813; El Thaher c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1439). Les demanderesses font aussi valoir que l’agente a à peine fait allusion à leurs liens familiaux au Canada.

B.        L’intérêt supérieur des enfants

[51]           En ce qui concerne l’analyse relative à l’intérêt supérieur des enfants, les demanderesses soutiennent que l’agente a appliqué le mauvais critère et qu’elle a plutôt adopté une approche déraisonnable.

[52]           Les demanderesses allèguent que, dans le cadre de l’analyse relative à l’intérêt supérieur des enfants, il faut d’abord déterminer en quoi consiste l’intérêt supérieur des enfants, ensuite établir jusqu’à quel point l’intérêt des enfants est compromis par une décision éventuelle par rapport à une autre et, enfin, déterminer le poids que ce facteur joue lorsqu’il s’agit de trouver un équilibre entre les facteurs positifs et les facteurs négatifs (Williams c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 166 (la décision Williams)).

[53]           Selon les demanderesses, l’agente n’a pas déterminé en quoi consiste l’intérêt supérieur des enfants. Les demanderesses soutiennent également que l’agente n’a pas appliqué les lignes directrices du guide IP 5 du défendeur quant aux facteurs dont il faut tenir compte dans le cadre d’une analyse relative à l’intérêt supérieur des enfants.

[54]           Les demanderesses font valoir que l’agente ne s’est pas montrée réceptive, attentive et sensible à l’intérêt supérieur des enfants à ne pas être renvoyés du Canada vers la Colombie ou le Brésil (Gaona c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1083).

[55]           Selon les demanderesses, l’agente, pour refuser d’octroyer la dispense, s’est notamment fondée sur un facteur qui était censé milité en faveur de l’octroi de la résidence permanente depuis le Canada sur le fondement de considérations d’ordre humanitaire, à savoir le degré d’établissement : l’agente a souligné que l’établissement et l’intégration réussis des demanderesses mineures au Canada démontrent que ces dernières s’adapteraient rapidement à un nouvel environnement si elles étaient renvoyées du Canada. Les demanderesses soutiennent aussi que l’hypothèse selon laquelle elles réussiraient à s’intégrer dans une nouvelle société constitue une erreur importante (Sosi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1300; Kneasko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 844).

[56]           Selon les demanderesses, l’agente a commis une erreur susceptible de contrôle en estimant qu’il fallait que les enfants subissent des répercussions défavorables importantes (Junarine c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 82; Moya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 971).

[57]           Les demanderesses allèguent que l’agente n’a pas apprécié la preuve, notamment de nombreuses lettres d’appui qui décrivent les difficultés que les enfants subiraient si elles étaient renvoyées du Canada.

[58]           Les demanderesses ont souligné que l’agente avait renvoyé à certains éléments de preuve qu’elles avaient présentés à l’appui de leur demande, mais que l’agente n’avait aucunement expliqué comment ces facteurs avaient été appréciés. Selon les demanderesses, le fait pour l’agente d’énoncer brièvement de nouveau les facteurs pris en compte et d’y ajouter une conclusion ne constitue pas une analyse suffisante (Bajraktarevic c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 123; Kim c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 244).

[59]           Les demanderesses allèguent en outre que l’agente a fait fi d’une grande partie de leurs allégations sans expliquer pourquoi les éléments de preuve fournis n’ont pas été appréciés ou ne méritaient pas de l’être. Selon les demanderesses, l’agente n’a pas motivé ses conclusions (Grant c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 955; Tindale c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 236).

ANALYSE

[60]           La question fondamentale dans le présent contrôle judiciaire est de savoir si, comme la Cour suprême du Canada l’a énoncé dans l’arrêt Dunsmuir, précité, la décision exposée ci‑dessus respecte la norme de la raisonnabilité, laquelle tient à « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

[61]           Dans ce contexte, la dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire constitue une mesure exceptionnelle qui est octroyée si le demandeur convainc l’agent que, dans son cas particulier, l’exigence de présenter la demande de statut de résident permanent depuis l’étranger de la manière habituelle lui causerait des « difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives » (Pannu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1356, aux paragraphes 26 et 29; Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, au paragraphe 15; Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817). Le critère des « difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives » a récemment été confirmé et appliqué par la Cour d’appel fédéral et par la Cour fédérale : voir Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 113, Diabate c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 129, et Aboubacar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 714.

[62]           En ce qui concerne l’obligation de diligence qui incomberait à l’agent dans les affaires où le demandeur n’est pas représenté par un avocat, il est revient clairement au demandeur de convaincre le décideur que, dans son cas particulier, les difficultés qu’il subirait seraient inhabituelles et injustifiées ou excessives. Qui plus est, la Cour d’appel fédérale a conclu au paragraphe 9 de l’arrêt Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38 (l’arrêt Owusu), qu’une allégation indirecte, succincte ou obscure ne saurait être suffisante pour imposer à l’agent l’obligation de pousser plus loin son examen. Au paragraphe 35 de l’arrêt Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189 (l’arrêt Kisana), la Cour d’appel fédérale a confirmé le principe établi dans l’arrêt Owusu à cet égard : « De surcroît, le demandeur a le fardeau de prouver toute allégation sur laquelle il fonde sa demande pour des raisons humanitaires. Par voie de conséquence, si un demandeur ne soumet aucune preuve à l’appui de son allégation, l’agent est en droit de conclure qu’elle n’est pas fondée. » Voir aussi Buio c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 157.

[63]           En l’espèce, les allégations visant les risques personnels et ceux liés au pays visé n’étaient pas suffisamment détaillées dans la demande pour que l’agent soit tenu de pousser plus loin son examen.

[64]           Bon nombre des autres erreurs alléguées équivalent à demander à la Cour d’examiner de novo les observations et les éléments de preuve présentés dans le cadre de la demande initiale. Puisqu’il ne s’agit pas d’un appel, la cour de révision n’a pas compétence pour examiner à nouveau le fond de l’affaire. Comme la Cour l’a énoncé au paragraphe 37 de la décision Maksim c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 183 FTR 280 :

La cour de révision qui tranche la question de savoir si une telle décision est déraisonnable ne doit pas outrepasser son rôle. Il ne s’agit pas d’un appel, mais bien d’un contrôle judiciaire. Je ne peux examiner la preuve et substituer mon opinion à celle de l’agente d’immigration. Le juge qui doit trancher une demande de contrôle judiciaire doit examiner la preuve dont disposait l’agent d’immigration et déterminer, en l’espèce, s’il manquait des éléments de preuve ou encore si la décision était contraire à une preuve irrésistible. Je ne saurais tirer une telle conclusion.

[65]           En ce qui concerne les risques liés au pays, le même raisonnement s’applique, et l’analyse de l’agente à cet égard était raisonnable dans les circonstances. Bien peu d’éléments de preuve, voire aucun, n’avaient été présentés, et la preuve ne permettait certainement pas de conclure que les demanderesses subiraient des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives.

[66]           La conclusion de l’agente selon laquelle la demanderesse principale serait en droit de résider au Brésil était, elle aussi, raisonnable dans les circonstances compte tenu des éléments de preuve sommaires présentés à cet égard.

[67]           L’évaluation de l’agente en ce qui concerne le traitement qui serait réservé à l’unité familiale et le versement par l’époux de la pension alimentaire pour enfants si les enfants étaient renvoyées du Canada était raisonnable en soi.

[68]           En ce qui concerne l’appréciation du degré d’établissement des demanderesses, l’agente avait clairement en tête les lettres d’appui présentées par les demanderesses; elle a d’ailleurs cité certaines d’entre elles. En fait, l’agente a estimé qu’il s’agissait d’un facteur positif. De façon semblable, l’agente avait clairement en tête les liens familiaux et religieux des demanderesses au Canada et elle en a fait mention. L’agente a tenu compte des activités caritatives et du travail communautaire de la demanderesse principale; de l’estime que les pairs de la demanderesse principale et des enfants leur témoignaient; de l’entreprise de la demanderesse principale; du fait qu’elle était propriétaire d’une maison; des antécédents médicaux, scolaires, sociaux, etc., des enfants; des autres facteurs mentionnés ci‑dessus dans l’introduction. Ces éléments ont été appréciés séparément, puis l’agente a pondéré collectivement les facteurs soulevés. L’approche était raisonnable, et la décision appartient aux issues possibles acceptables.

A.        L’intérêt supérieur des enfants

[69]           Après un examen relativement approfondi des éléments de preuve présentés, l’agente a conclu de la façon suivante son analyse relative à l’intérêt supérieur des enfants : [traduction] « De manière générale, compte tenu des renseignements dont je dispose, je suis incapable de conclure que la réinstallation des demanderesses en Colombie ou au Brésil aurait des répercussions défavorables importantes sur […] » les demanderesses. Je n’accepte pas la prétention des demanderesses selon laquelle l’agente a appliqué le mauvais critère juridique dans le cadre de l’analyse relative à l’intérêt supérieur des enfants.

[70]           C’est à juste titre que le critère de l’intérêt supérieur de l’enfant ne prévoit aucune expression figée ni formule magique. Cependant, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, il est de droit constant qu’il faut que l’agent se soit montré réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur des enfants visés. Je conclus que l’agente a respecté et appliqué ce critère en l’espèce.

[71]           Je conviens avec le défendeur que « [l]e fait que les enfants puissent se trouver mieux au Canada, sur le plan du confort en général ou celui des possibilités futures, ne saurait […] être concluant dans une décision en matière de motifs d’ordre humanitaire qui a pour objet de voir s’il y a des difficultés excessives » puisque l’issue serait presque toujours en faveur du Canada (Vasquez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 91, au paragraphe 43; Hawthorne c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475 (l’arrêt Hawthorne), au paragraphe 5; Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1292, au paragraphe 28; Yue c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 717, au paragraphe 9; Ramotar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 362, au paragraphe 37; Miller c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1173, au paragraphe 25).

[72]           Par exemple, au paragraphe 30 de l’arrêt Kisana, précité, la Cour d’appel fédérale s’est penchée sur la question des difficultés dans le cadre de l’analyse relative à l’intérêt supérieur des enfants et elle a conclu que le fait que l’agente a « axé son examen de l’intérêt supérieur des enfants sur la question des difficultés ne permet pas nécessairement de conclure qu’elle n’a pas tenu compte de leur intérêt supérieur ». La même conclusion a été tirée dans l’arrêt Hawthorne, précité, lequel a été cité dans l’arrêt Kisana, précité.

[73]           Puisqu’il est reconnu dans ces précédents que les « difficultés » font partie intégrante de l’analyse relative à l’intérêt supérieur des enfants, je conclus que la mention des [traduction] « répercussions défavorables importantes » par l’agente ne constitue pas une erreur en droit quant au critère juridique applicable.

[74]           Quoi qu’il en soit, je ne suis pas convaincu que l’agente a appliqué un autre critère que celui de l’intérêt supérieur des enfants, et je ne peux pas conclure que la mention des [traduction] « répercussions défavorables importantes » dans l’analyse relative à l’intérêt supérieur des enfants témoigne du contraire. Après examen de l’ensemble de l’analyse relative à l’intérêt supérieur des enfants, je conclus que l’agente s’est montrée réceptive, attentive et sensible à l’intérêt supérieur des enfants en l’espèce. Le contrôle judiciaire ne peut donc pas être accueilli sur le fondement de l’analyse relative à l’intérêt supérieur des enfants.

CONCLUSION

[75]           En résumé, je n’accepte pas l’allégation selon laquelle l’agente n’a pas examiné ou a mal apprécié, pondéré ou évalué les nombreuses et diverses observations présentées par les demanderesses. Après avoir examiné chaque facteur séparément, y compris l’intérêt supérieur des enfants, l’agente avait le droit et, en fait, l’obligation de les apprécier collectivement pour en venir à une décision concernant la demande CH dans son ensemble; il fallait toutefois que l’agente applique le bon critère juridique, ce qu’elle a fait, et que la décision appartienne aux issues possibles acceptables au sens de l’arrêt Dunsmuir, précité.

LA CERTIFICATION D’UNE QUESTION

[76]           Le défendeur demande que la Cour certifie une question si cette dernière se fonde sur les motifs prononcés dans la décision Williams, précitée; le cas échéant, il propose que la Cour certifie la question que l’avocat du ministre avait proposée, sans succès, au paragraphe 40 de la décision Martinez Hoyos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 998. Les demanderesses s’opposent à la certification de la question.

[77]           Compte tenu des motifs de la présente décision, la demande du défendeur n’est plus justifiée. Aucune question ne sera certifiée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée et qu’aucune question n’est certifiée.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3374-13

 

INTITULÉ :

SANDRA PATRICIA GOMEZ JARAMILLO ET AUTRES c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 JUILLET 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 25 JUILLET 2014

 

COMPARUTIONS :

Alla Kikinova

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Kareena Wilding

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS DOSSIER :

Michael Loebach

Avocat

London (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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