Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20140723


Dossier : IMM-7118-13

Référence : 2014 CF 734

Ottawa (Ontario), le 23 juillet 2014

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

YOUSSEF BEN CHEIKH BRAHIM, SONIA GHALI ET SARAH BEN CHEIKH BRAHIM

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Au préalable

[1]               La Cour rappelle que le fardeau de preuve pour démontrer une crainte de partialité est élevé. Les motifs concernant la crainte doivent être sérieux. Comme l’a constaté cette Cour dans l’arrêt récent de Tippet-Richardson Limited c Lobbe, 2013 CF 1258 :

[54]      Une allégation de partialité […] constitue une allégation grave. En fait, cela met en doute l’intégrité de l’administration de la justice ainsi que l’intégrité même de l’arbitre dont la décision est en cause. Par conséquent, le seuil pour établir s’il y a partialité est élevé : R. c. S. (R.D.), [1997] 3 RCS 484, 151 DLR (4th) 193, au paragraphe 113.

II.                Introduction

[2]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], d’une décision rendue le 1er août 2013 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la SPR] rejetant la demande des demandeurs de se faire reconnaitre la qualité de réfugiés ou de personnes à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR.

III.             Faits

[3]               Les demandeurs sont des citoyens de la Tunisie. Ils craignent d’être persécutés dans leur pays parce qu’ils sont chrétiens. Le demandeur principal s’est converti de l’islam au christianisme en 1999 et depuis ce temps aurait été harcelé et interrogé par la police à son emploi.

[4]               Pour sa part, sa conjointe, la demanderesse majeure, aurait vécu la persécution en tant qu’enseignante. Elle aurait subi l’isolement et des sanctions des parents et de l’école où elle travaillait pour avoir enseigné la foi chrétienne aux élèves.

[5]               Leur fille mineure aurait ainsi souffert à l’école en raison de sa foi chrétienne. Elle aurait eu à changer d’école plusieurs fois. Pour son bien-être psychologique, ses parents indiquent l’avoir envoyée au Canada en mai 2011. Ils sont ensuite venus la rejoindre au Canada en août 2011.

[6]               La famille a présenté une demande d’asile le 19 août 2011. Leur demande a été rejetée le 1 octobre 2013, pour le motif principal qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve établissant une possibilité sérieuse que les demandeurs soient exposés à un risque de persécution du fait de leurs croyances religieuses à leur retour en Tunisie. La SPR a conclu que la preuve documentaire démontrait que la situation actuelle en Tunisie était considérablement différente depuis le départ des demandeurs; les chrétiens pratiquent maintenant leur religion largement sans restrictions dans ce pays. La SPR a noté que bien que les demandeurs auraient peut-être fait l’objet de discrimination dans le passé, il avait peu de preuve qu’ils le seraient à l’avenir.

IV.             Analyse

[7]               Les demandeurs allèguent que la SPR a commis trois erreurs importantes dans sa décision rejetant leur demande d’asile :

a)      Elle a violé leur droit d’avoir une audience dans la langue de leur choix;

b)      Elle a manqué à son obligation de tenir compte de la preuve au dossier et le témoignage des demandeurs;

c)      Elle a excédé sa juridiction d’une façon à soulever une crainte raisonnable de partialité.

[8]               En ce qui a trait au premier argument présenté par les demandeurs, la Cour juge qu’il n’y a eu aucune violation de leur droit constitutionnel d’avoir la procédure judiciaire dans la langue de leur choix.

[9]               Les demandeurs allèguent que leur conseil a dû faire certaines soumissions en anglais pour « accommoder le tribunal » qui n’était pas à l’aise en français. Ils prétendent que le défaut de la SPR d’offrir un interprète pour cette partie de l’audience, quant aux demandeurs, leur a causé un préjudice.

[10]           La Cour est d’accord avec le défendeur qu’il y a de graves inexactitudes dans l’argumentation des demandeurs sur ce point. Il appert clairement de la transcription de l’audience que le conseil des demandeurs lui-même a bifurqué vers l’anglais de son propre chef, voulant parler anglais, durant sa plaidoirie parce que ses notes étaient écrites en anglais (Dossier certifié du tribunal à la p 712) :

Perhaps I’ll move straight into the… just a few references in the documentation which is, my notes, in English.

[11]           Les demandeurs n’ont pas du tout été privés d’une audience en français; plutôt, ils ont renoncé à leur droit à un interprète en permettant à leur conseil de plaider en anglais pour cette partie de sa plaidoirie. La SPR n’avait aucune obligation de demander aux demandeurs s’ils voulaient un interprète à ce moment ou de les solliciter à renoncer expressément à leur droit à un interprète. Cette Cour a clairement statué qu'une partie peut renoncer implicitement aux droits linguistiques qui lui sont accordés par la Loi sur les langues officielles, (LR (1985), c 31 (4e suppl)) (voir la décision Taire c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 877).

[12]           En ce qui a trait au deuxième argument des demandeurs, la Cour ne considère pas que la SPR a omis de tenir compte de la preuve pertinente ou du témoignage des demandeurs. La SPR a raisonnablement conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir une sérieuse possibilité que les demandeurs soient persécutés advenant leur retour en Tunisie. La SPR nous permet clairement de comprendre sa décision, ainsi que de déterminer si elle appartient aux issues possibles acceptables (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708). Or, elle démontre qu’elle était consciente de toute la preuve devant elle, incluant celle produite par les demandeurs. Cependant, la Commissaire a préféré de se fonder sur la preuve documentaire objective au dossier pour évaluer la situation actuelle en Tunisie. Elle était loisible à privilégier cette preuve.

[13]           Dans son ensemble, la preuve documentaire démontre qu’il y a une vraie ouverture des Tunisiens envers les chrétiens depuis le départ des demandeurs. Par exemple, le rapport intitulé « Tunisia: International Religious Freedoms Report for 2011 » (United States Department of State, 30 juillet 2012), fait état qu’il n’y a eu aucun abus de la liberté de religion de la part des autorités tunisiennes durant l’année 2011.

[14]           En dernier lieu, la Cour ne considère pas que les agissements de la SPR soulèvent une crainte raisonnable de partialité.

[15]           La Cour rappelle que le fardeau de preuve pour démontrer une crainte de partialité est élevé. Les motifs concernant la crainte doivent être sérieux. Comme l’a constaté cette Cour dans l’arrêt récent de Tippet-Richardson, ci-dessus :

[54]      Une allégation de partialité […] constitue une allégation grave. En fait, cela met en doute l’intégrité de l’administration de la justice ainsi que l’intégrité même de l’arbitre dont la décision est en cause. Par conséquent, le seuil pour établir s’il y a partialité est élevé : R. c. S. (R.D.), [1997] 3 RCS 484, 151 DLR (4th) 193, au paragraphe 113.

[16]           En l’espèce, les demandeurs ont formulé leurs allégations de « partialité » en se fondant principalement sur des conclusions tirées par la SPR. Ils allèguent, entre autres, que la SPR a omis de mentionner la preuve médicale à l’égard de la demanderesse mineure, ainsi que de mentionner les problèmes qu’elle et sa mère auraient subis à l’école. La Cour estime qu’il ne s’agit pas ici d’une question de « partialité », mais plutôt d’une question liée au caractère raisonnable de la décision. Ceci est ainsi le cas pour les commentaires faits par la SPR concernant la laïcité au Québec.

V.                Conclusion

[17]           Pour toutes les raisons ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire des demandeurs est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire des demandeurs soit rejetée sans aucune question d’importance générale à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7118-13

 

INTITULÉ :

YOUSSEF BEN CHEIKH BRAHIM, SONIA GHALI ET SARAH BEN CHEIKH BRAHIM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 juillet 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 23 JUILLET 2014

 

COMPARUTIONS :

Claudia Andrea Molina

 

Pour les demandeurs

 

Mario Blanchard

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cabinet Molina Inc.

Avocats

Montréal (Québec)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.