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Date : 20140424


Dossier : T-2010-11

 

Référence : 2014 CF 380

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 avril 2014

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

COMMITTEE FOR MONETARY AND ECONOMIC REFORM (COMER),

WILLIAM KREHM ET ANN EMMETT

 

demandeurs

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

LE MINISTRE DES FINANCES,

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

LA BANQUE DU CANADA,

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeurs

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie d’une requête fondée sur l’article 51 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles] par laquelle est sollicité l’appel de l’ordonnance du 9 août 2013 prononcée par le protonotaire Aalto[la décision] qui radiait la déclaration [la déclaration] modifiée des demandeurs sans autorisation de la modifier.

 

CONTEXTE

[2]               Le demandeur, soit le Committee for Monetary and Economic Reform [le COMER], est un [traduction] « groupe de réflexion » économique, fondé en 1970, établi à Toronto et voué à la recherche et à des publications sur des questions touchant la réforme monétaire et économique au Canada. Les personnes physiques demanderesses sont des membres du COMER qui s’intéressent à la politique économique.

 

[3]               Les demandeurs ont déposé un recours collectif envisagé qui est inédit dans lequel ils allèguent que les défendeurs ont eu une conduite illégitime, inconstitutionnelle et délictueuse en matière de politique et d’administration monétaire et budgétaire au Canada. Dans leur demande, les demandeurs sollicitaient un jugement déclarant notamment que les demandeurs sont tenus, en vertu de la Constitution et de la Loi sur la Banque du Canada, LRC, 1985, c B‑2 [la Loi sur la Banque] de prendre certaines mesures, ou de s’abstenir d’en prendre, relativement à leur traitement des questions budgétaires et monétaires, décrites plus amplement ci-après. Ils ont également demandé que la Cour, dans son jugement, déclare que les défendeurs, ainsi que certaines institutions monétaires et financières internationales sont [traduction] « impliqués dans un complot […] visant à rendre inopérante la Loi sur la Banque, de même que la souveraineté canadienne en matière de politique financière, monétaire et socio-économique […] » dont les conséquences sont préjudiciables pour les défendeurs et tous les Canadiens. Sur la foi de cette conduite délictueuse ainsi que des violations de la Charte et de la Constitution, les demandeurs réclament des dommages-intérêts de 10 000 $ pour chaque demandeur et, si la présente action devait être autorisée comme recours collectif, de 1 $ pour [traduction] « chaque citoyen/résident canadien », selon le dernier recensement.

 

[4]               La déclaration produite s’intitule [traduction] « recours collectif ‑ envisagé » (voir le paragraphe 334.12 (1) des Règles), mais à ce jour, aucune requête en autorisation n’a été présentée en application du paragraphe 334.12(2) des Règles. Pour l’heure, l’instance dont la Cour est saisie n’est donc pas un recours collectif. Si la déclaration ou une partie de celle-ci est toujours recevable par suite de la requête en radiation, la question de l’autorisation devrait être tranchée de façon distincte. Si l’autorisation est refusée, la Cour devrait décider si la déclaration est recevable pour que l’instance soit poursuivie sous forme de recours individuel (voir l’article 334.2 des Règles). Dans la présente requête, cependant, la seule question à laquelle doit répondre la Cour est celle de savoir si la déclaration satisfait aux exigences que la loi prévoit à l’égard des déclarations.

 

[5]               Les neuf conclusions recherchées dans la déclaration, sous forme de jugement déclaratoire, se rapportent à trois affirmations de base : premièrement, la Loi sur la Banque prévoit des prêts consentis sans intérêt aux gouvernements fédéral et provinciaux, ainsi qu’aux administrations municipales, dans le cadre des [traduction] « dépenses en capital humain », et les défendeurs ne se sont pas acquittés de leurs obligations légales de s’assurer que de tels prêts sont consentis, d’où des dépenses en capital plus faibles des gouvernements au détriment de tous les Canadiens; deuxièmement, le gouvernement du Canada [le gouvernement] a recours à des méthodes comptables défaillantes dans la description des finances publiques, d’où la sous-estimation des avantages liés aux dépenses en capital humain et l’érosion du rôle constitutionnel du Parlement en tant que gardien des fonds publics; et troisièmement, ces préjudices et d’autres encore découlent du fait que la politique budgétaire et monétaire canadienne est sous l’emprise d’intérêts privés étrangers vu la participation du Canada aux institutions monétaires et financières internationales.

 

[6]               D’après les allégations, les dépenses en capital humain sont celles qui favorisent la santé, l’éducation et la qualité de vie des particuliers afin de leur permettre d’être des acteurs plus productifs sur le plan économique, grâce aux institutions comme les écoles, les universités et les hôpitaux. Les demandeurs sollicitent, sous forme de jugement déclaratoire, une conclusion portant que les alinéas 18i) et j) de la Loi sur la Banque exigent du ministre des Finances [le ministre] et du gouvernement qu’ils demandent des prêts sans intérêt – que consentira la Banque du Canada [la Banque] – dans le cadre de telles dépenses par tous les ordres de gouvernement (fédéral, provincial et municipal). En outre, ils sollicitent, sous forme de jugement déclaratoire, des conclusions portant que le ministre, le gouvernement et la Banque ont abdiqué leurs responsabilités d’origine législative et constitutionnelle parce qu’ils ont négligé de demander et d’accorder ces prêts sans intérêt, ce qui a eu une incidence négative et destructive sur les Canadiens et donné lieu à l’effondrement de l’économie du Canada et de ses institutions financières, à une augmentation de la dette publique, à une diminution des services sociaux, à un écart grandissant entre riches et pauvres et à la disparition continue de la classe moyenne.

 

[7]               Les demandeurs sollicitent également, sous forme de jugement déclaratoire, deux conclusions sur la manière dont le ministre rend compte des finances publiques. Premièrement, dans leur déclaration, les demandeurs sollicitent une conclusion portant que le ministre est tenu de dresser la liste des dépenses en capital humain, y compris les dépenses en capital au titre des infrastructures, en tant qu’« actifs » plutôt que « passifs » dans la comptabilité budgétaire. D’après les allégations, du moment que les dépenses en capital humain sont traitées en tant que « passif » et « dette », sans valeur correspondante de l’actif, les gouvernements n’investiront pas dans l’infrastructure de capital humain. Deuxièmement, les demandeurs sollicitent dans leur déclaration, sous forme de jugement déclaratoire, une conclusion portant que le ministre est essentiellement tenu de ne pas déduire les crédits d’impôt lorsqu’il indique les recettes du gouvernement dans la comptabilité budgétaire. Le ministre doit plutôt dresser la liste de toutes les recettes avant le remboursement des crédits d’impôt aux contribuables, soit les particuliers et les entreprises, puis soustraire ces crédits et soustraire ensuite les dépenses totales en vue d’obtenir un « surplus » ou un « déficit » annuel. Dans la déclaration, il est allégué que la comptabilité du ministre, qui ne fait pas état du total des crédits d’impôt remboursés aux contribuables, est erronée, inexacte et ultra vires, et elle a pour effet d’exclure un débat réel sur les questions budgétaires par les députés élus en raison de la non-disponibilité ou de la non-divulgation d’un portrait financier exact. Les demandeurs allèguent que la méthode comptable du ministre contrevient au paragraphe 91(5) de la Loi constitutionnelle de 1867 (ils ont cependant précisé au cours des débats qu’il s’agissait du paragraphe 91(6), « Le recensement et les statistiques ») parce qu’elle donne lieu à une [traduction] « “statistique” inexacte et non disponible » et que cela contrevient à la [traduction] « garantie constitutionnelle que la Couronne peut seulement prélever des impôts, pour les dépenses projetées déclarées, comme il est indiqué dans le discours du Trône, sur consentement (à l’égard du pouvoir de taxation) de la Chambre des communes ». Au cours des débats, bien que la déclaration soit muette sur ce point, les demandeurs relient la dernière affirmation aux articles 53, 54 et 90 de la Loi constitutionnelle de 1867.

 

[8]               Quatre des conclusions recherchées, sous forme de jugement déclaratoire, dans la déclaration ont trait à l’affirmation selon laquelle les défendeurs ont illégalement cédé le contrôle des politiques monétaires et budgétaires du Canada à des intérêts privés étrangers. Premièrement, les demandeurs sollicitent dans leur déclaration, une conclusion sous forme de jugement déclaratoire portant que l’alinéa 18m) de la Loi sur la Banque et son application sont inconstitutionnels, ce qui équivaut à une abdication de l’obligation des défendeurs de régir en matière de politique monétaire, financière et socio-économique et à une cession du contrôle à des entités privées internationales dont les intérêts ont préséance sur ceux des Canadiens. Deuxièmement, les demandeurs sollicitent dans leur déclaration une conclusion sous forme de jugement déclaratoire portant que le gouverneur de la Banque du Canada [le gouverneur], en ne divulguant pas les procès-verbaux des réunions avec les gouverneurs d’autres banques centrales et en ne permettant pas qu’ils fassent l’objet d’un examen du Parlement ou du public, a contrevenu au paragraphe 24 de la Loi sur la Banque et à la Constitution. Troisièmement, les demandeurs sollicitent dans leur déclaration une conclusion sous forme de jugement déclaratoire portant que le Parlement a abdiqué ses obligations et fonctions constitutionnelles en application des paragraphes 91(1A), (3), (14), (15), (16), (18), (19) et (20) de la Loi constitutionnelle de 1867 et de l’article 36 de la Loi constitutionnelle de 1982, pour les raisons suivantes : il aurait permis au gouverneur de tenir secrets la nature et le contenu de ses réunions avec les dirigeants d’autres banques centrales; il n’aurait pas exercé le pouvoir prévu aux alinéas 18i) et j) de la Loi sur la Banque; et il a édicté l’alinéa 18m) de cette Loi. Enfin, les demandeurs sollicitent dans leur déclaration une conclusion sous forme de jugement déclaratoire portant que les fonctionnaires des défendeurs sont :


[traduction]

consciemment ou non, à divers degrés de connaissance et d’intention, impliqués dans un complot, avec la Banque des règlements internationaux [BRI], le Conseil de stabilité financière [CSF] et le Fonds monétaire international [FMI], visant à rendre inopérante la Loi sur la Banque, de même que la souveraineté canadienne en matière de politique financière, monétaire et socio-économique, et contournent de ce fait le gouvernement souverain du Canada, par l’entremise de son Parlement, au moyen de systèmes bancaires et financiers, lesquels complot et éléments d’une telle conduite délictuelle sont exposés, notamment, dans Hunt c Carey Canada Inc. [1990] 2 RCS 959 […]

 

[9]               À cet égard, voici ce que les demandeurs allèguent dans leur déclaration :

         La Banque a été mise sur pied dans les années 1930 en vue d’accorder des prêts sans intérêt aux gouvernements fédéral et provinciaux pour des dépenses d’infrastructure et en capital humain et pour la préservation du contrôle souverain du crédit et de la monnaie dans le but de confirmer le contrôle national et public de la politique monétaire et économique;

         La Banque a consenti des prêts sans intérêt aux gouvernements fédéral et provincial ainsi qu’aux administrations municipales au [traduction] « début de sa création et à mi-chemin », mais a cessé de le faire en 1974 – après s’être jointe à la Banque des règlements internationaux (BRI) – en faveur de prêts portant intérêt qui sont consentis par des banques privées étrangères;

         La BRI, qui est censée favoriser la coopération et agir comme une [traduction] « banque pour les banques centrales », en fait, formule et dicte les politiques aux banques centrales;

         La BRI n’a pas à répondre de ses actes à un gouvernement, et ses réunions annuelles sont secrètes;

         Les politiques telles que les taux d’intérêt sont élaborées par la Banque, en consultation avec le Conseil de stabilité financière (CSF) ou selon les directives de celui-ci. Le CSF, établi en 2009, après le sommet du [traduction] « G-20 » à Londres, exerce également ses activités de manière opaque et sans avoir à répondre de ses actes;

         La Banque est la seule banque centrale des pays du G-8 qui est une banque [traduction] « publique » créée par voie législative et responsable devant le pouvoir législatif et exécutif du gouvernement, toutes les autres banques [traduction] « privées » n’étant pas directement régies par la loi ou directement responsables devant le pouvoir législatif ou exécutif de leur pays respectif;

         La Banque était entièrement indépendante des intérêts privés internationaux avant de se joindre à la BRI en 1974. Or, depuis ce temps, les intérêts financiers étrangers privés en sont graduellement venus à dicter, en grande partie, les activités de la Banque et la politique monétaire et financière du Canada;

         Après l’entrée du Canada dans la BRI, une entente ou une orientation a été établie au sein de l’organisation selon laquelle on ne ferait pas appel aux banques centrales membres pour la création ou le prêt d’argent sans intérêt; les gouvernements obtiendraient plutôt des prêts auprès de la BRI et par son entremise;

         La cession du contrôle à des intérêts privés étrangers est inconstitutionnelle, et l’entente ou la directive relative à l’interdiction de consentir des prêts sans intérêt aux gouvernements est contraire à la Loi sur la Banque;

         Ces actes illégaux ont entraîné des conséquences graves pour les citoyens canadiens, dont la montée en flèche d’un schisme entre riches et pauvres, l’élimination de la classe moyenne et une hausse correspondante de la criminalité liée à la pauvreté.

 

[10]           Les demandeurs sollicitent également dans leur déclaration une conclusion, sous forme de jugement déclaratoire, portant que l’article 30.1 de la Loi sur la Banque, qu’ils qualifient de [traduction] « disposition d’inattaquabilité », a) ne s’applique pas pour empêcher le contrôle judiciaire, par voie d’action ou autrement, d’une mesure ultra vires sur le plan législatif ou constitutionnel, ou pour empêcher l’obtention de dommages-intérêts fondés par suite de ces mesures; ou b) s’il empêche le contrôle judiciaire et l’obtention de dommages-intérêts, il est inconstitutionnel et inopérant, puisqu’il porte atteinte au droit constitutionnel des demandeurs à un contrôle judiciaire et aux impératifs constitutionnels sous-jacents de la primauté du droit, du constitutionnalisme et du fédéralisme.

 

[11]           En outre, les demandeurs allèguent que les mesures illégales décrites ci-dessus portent atteinte aux droits que chaque Canadien tire de l’article 7 de la Charte, du fait de la réduction, de l’élimination ou du retard dans les domaines des soins de santé, de l’éducation et d’autres services; ainsi qu’aux droits à l’égalité que les Canadiens tirent de l’article 15 de la Charte, au droit constitutionnel sous-jacent à l’égalité, au principe constitutionnel sous-jacent du fédéralisme, aux dispositions relatives à l’égalité des chances prévue à l’article 36 de la Loi constitutionnelle de 1982 et au droit constitutionnel à ce que les lois ne soient pas rendues inopérantes par l’abdication de facto du Parlement de son devoir de gouverner.

 

[12]           Les défendeurs ont déposé une requête visant à radier la déclaration. Les motifs à l’appui de la requête sont notamment les suivants :

i)                    la déclaration ne révèle aucune cause d’action valable à l’encontre des défendeurs ou de l’un d’eux en particulier;

 

ii)                  la déclaration est scandaleuse, frivole ou vexatoire;

 

iii)                la déclaration constitue un abus de procédure;

 

iv)                la déclaration ne révèle pas de faits qui pourraient démontrer que l’action ou l’inaction des défendeurs, ou de l’un d’entre eux, aurait entraîné la violation des droits des demandeurs au titre de la Charte des droits et libertés ou de la Constitution;

 

v)                  le lien causal entre, d’une part, l’action ou inaction alléguée des défendeurs ou de l’un d’entre d’eux et, d’autre part, la violation alléguée des droits des demandeurs, est trop incertain, conjectural et hypothétique pour appuyer une cause d’action;

 

vi)                les demandeurs sollicitent dans leur déclaration le règlement judiciaire de questions qui ne relèvent pas de la compétence des tribunaux;

 

vii)              la déclaration soulève des questions qui échappent à la compétence de la Cour fédérale.

 

[13]           Les arguments des parties sur la requête en radiation ont été entendus le 5 décembre 2012, et le protonotaire Aalto a accueilli la requête le 9 août 2013 et radié la déclaration dans son intégralité, sans autorisation de la modifier. Le 16 août 2013, les demandeurs ont déposé la présente requête en application du paragraphe 51(1) des Règles pour interjeter appel de la décision du protonotaire.

 

DÉCISION VISÉE PAR LE CONTRÔLE

[14]           Le protonotaire Aalto a souligné que, dans le cadre d’une requête en radiation, les allégations exposées dans la déclaration sont considérées comme étant vraies, et la question à trancher était de savoir si la déclaration était viciée au point de n’avoir aucune chance d’être accueillie (citant Operation Dismantle c La Reine, [1985] 1 RCS 441 [Operation Dismantle], au paragraphe 27; Hunt c Carey Canada inc., [1990] 2 RCS 959 [Hunt], et R c Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42 [Imperial Tobacco], aux paragraphes 17, 21 et 25). Il a précisé que la déclaration a trois éléments centraux :

1.      La Banque et la Couronne ont refusé d’accorder des prêts sans intérêt pour des dépenses en immobilisations;

2.      La Couronne utilise des méthodes comptables défaillantes pour décrire les finances publiques, ce qui lui fournit une raison pour refuser d’accorder des prêts sans intérêt;

3.      Ces préjudices et d’autres encore découlent du fait que la Banque est sous l’emprise d’intérêts privés étrangers.

 

[15]           Il a d’abord examiné si le délit de faute dans l’exercice d’une charge publique avait été exposé relativement à l’allégation selon laquelle les défendeurs ont abdiqué leur responsabilité d’appliquer les mesures législatives. Il a souligné que chaque élément essentiel du délit doit être énoncé clairement et que de vagues généralisations ne suffisent pas. Il faut que la déclaration soit suffisamment précise (citant Administration portuaire de St. John’s c Adventure Tours Inc., 2011 CAF 198 [Administration portuaire de St. John’s]). Il a conclu que les allégations relatives à l’abdication de responsabilité et à la cession du contrôle à des entités étrangères étaient des « énoncés et [des] arguments généraux sur la politique économique » et qu’« ils ne permettent pas d’étayer la cause d’action ». Il a conclu que l’allégation de délit de faute dans l’exercice d’une charge publique était viciée au point de n’avoir aucune chance d’être accueillie, et elle a été radiée.

 

[16]           Le protonotaire Aalto a également conclu que l’allégation de complot n’avait aucune chance d’être accueillie. Il a conclu que, dans sa rédaction actuelle, elle ne contient pas suffisamment de précisions concernant les parties soupçonnées d’avoir pris part au complot. Il a par ailleurs constaté la portée générale des énoncés selon lesquels « les [fonctionnaires] du défendeur sont consciemment ou non, à divers degrés de connaissance et d’intention, impliqués dans un complot ». Il a conclu que le délit de complot exige une entente entre deux personnes ou plus ayant l’intention de causer un préjudice par des moyens illégaux et qu’il n’y avait pas de faits substantiels permettant d’étayer l’allégation de complot.

 

[17]           S’agissant de l’article 15 de la Charte, le protonotaire Aalto a conclu que, pour qu’une réclamation en vertu de cet article soit recevable, il doit y avoir un traitement différentiel entre les demandeurs et les autres ou une inégalité réelle (citant Withler c Canada (Procureur général), 2011 CSC 12 [Withler], aux paragraphes 41 et 63), et qu’en l’espèce les demandeurs n’avaient allégué dans leur déclaration l’existence d’aucune distinction fondée sur des motifs énumérés ou analogues. Soulignant que la déclaration était présentée au nom de tous les Canadiens, il a repris la conclusion tirée au paragraphe 161 de l’arrêt Office canadien de commercialisation des œufs c Richardson, [1998] 3 RCS 157 [Richardson], selon laquelle « [p]ourvu que le gouvernement fédéral traite sur un pied d’égalité tous les gens qui se trouvent au Canada, il ne fait pas preuve de discrimination ». Pour cette raison, il a conclu que l’allégation fondée sur l’article 15 devait être radiée.

 

[18]           Le protonotaire Aalto a également conclu que l’article 7 de la Charte n’entrait pas en jeu parce qu’aucun lien causal n’était énoncé entre les politiques et mesures économiques du gouvernement et la violation du droit de chacun à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne. Dans leur déclaration, les demandeurs se limitent à alléguer une violation de ces droits « causée par la réduction, l’élimination et/ou le retard fatal dans les domaines des soins de santé, de l’éducation et d’autres dépenses et services liés au capital humain ». Il a appliqué l’analyse énoncée au paragraphe 59 de l’arrêt Blencoe c Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 RCS 307 [Blencoe] : « Il serait inopportun de tenir le gouvernement responsable du préjudice causé par un tiers qui n’est aucunement un mandataire de l’État. » Il a également conclu, sur le fondement de l’arrêt Gosselin c Québec (Procureur général), 2002 CSC 1484 [Gosselin], au paragraphe 213, que les droits garantis par l’article 7 n’englobent pas de droits positifs. Une allégation fondée sur l’article 7 doit « découler d’une mesure gouvernementale emportant des conséquences juridiques, à savoir une mesure qui, en soi, prive le demandeur du droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de sa personne », et comme aucune violation privative ou interdiction de l’État se rapportant aux droits garantis par l’article 7 n’a été alléguée, cet élément de la déclaration devait être radié.

 

[19]           Le protonotaire Aalto s’est ensuite penché sur la question de la compétence de la Cour pour examiner la déclaration. Il a rejeté la thèse des défendeurs selon laquelle la Cour n’a pas compétence pour se prononcer sur des allégations fondées sur la responsabilité civile délictuelle portées contre des autorités fédérales en concluant que le libellé des articles 2, 17 et 18 de la Loi sur les Cours fédérales est suffisamment général pour englober de telles demandes présentées contre des agents fédéraux et des fonctionnaires de la Couronne. Il a conclu qu’il n’est pas évident et manifeste que la Cour n’a pas compétence pour instruire les demandes dans lesquelles un jugement déclaratoire est sollicité.

 

[20]           S’agissant de la qualité des demandeurs pour présenter la demande, le protonotaire Aalto a conclu qu’il n’était pas clair à la lumière des allégations qu’il y avait eu atteinte à un droit privé entraînant des préjudices de manière qui confère la qualité pour agir dans un intérêt privé. Il a toutefois adopté une approche souple, libérale et généreuse, comme l’exige la jurisprudence actuelle, et conclu qu’il n’était pas possible d’affirmer à cette étape-ci que le COMER ne satisfait pas au critère applicable à l’intérêt public. Si les allégations contenues dans la déclaration étaient modifiées suffisamment pour satisfaire aux règles relatives à la rédaction des actes de procédure, les allégations satisferaient à l’élément de question sérieuse à juger. De plus, il a conclu que le COMER a un intérêt véritable dans la politique économique et qu’il ne semblait pas y avoir d’autre manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la Cour. C’est pourquoi le reste de la déclaration n’a pas été radié sur le fondement de la qualité pour agir.

 

[21]           Toutefois, le protonotaire Aalto a ensuite conclu que la déclaration ne relevait pas de la compétence des tribunaux et il a radié les autres parties de la déclaration pour cette raison. Il a souligné que l’assujettissement à la compétence des tribunaux concerne la question de savoir si les tribunaux peuvent trancher la question : il faut examiner la question posée, son mode de présentation et à l’à‑propos d’une décision judiciaire (citant Ami(e)s de la Terre c Canada (Gouverneur en conseil), [2009] 3 RCF 201, aux paragraphes 24 à 26, 31, 33 à 34, et 38 [Ami(e)s de la Terre]; confirmé par 2009 CAF 297). Le protonotaire Aalto a également conclu que les questions en litige énoncées dans la déclaration étaient « de nature essentiellement politique », exigeant un examen de la politique économique, et il a posé la question suivante : « Quel critère juridique objectif pourrait-on appliquer pour interpréter ces dispositions lorsque les questions économiques soulevées relèvent de la politique gouvernementale? » Il a conclu qu’il n’appartient pas aux tribunaux de rendre un jugement déclarant que le gouvernement doit modifier cette politique s’il n’y a pas d’impératif législatif. Il a conclu que l’article 18 de la Loi sur la Banque est une disposition facultative dans la mesure où elle prévoit que la Banque « peut » exercer certains pouvoirs, ce qui signifie qu’elle dispose d’un pouvoir discrétionnaire et qu’elle peut faire jouer des considérations de principe dans la mise en œuvre de ces pouvoirs. Il n’existe pas, a-t-il conclu, d’obligation de consentir des prêts sans intérêt pour investir dans le capital humain.

 

[22]           Le protonotaire Aalto a pris note des arguments des demandeurs selon lesquels « [r]ien dans notre régime constitutionnel ne soustrait les questions politiques au contrôle judiciaire » devant une allégation de violation de la Constitution (Chaoulli c Québec (Procureur général), [2005] 1 RCS 791, au paragraphe 183 [Chaoulli]), et pour que la Cour instruise une demande, il suffit que son objet présente « un aspect suffisamment juridique pour justifier l’intervention des tribunaux » (Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.‑B.), [1991] 2 RCS 525 [Renvoi au RAPC]). Toutefois, la déclaration ne relevait pas de la compétence des tribunaux à son avis. Il a cité des parties de la déclaration dans lesquelles les demandeurs alléguaient que les motifs du ministre pour refuser un prêt étaient [traduction] « erronés tant sur le plan financier qu’économique » et qu’[traduction] « il est reconnu depuis longtemps que les dépenses et les investissements consacrés au capital humain sont les dépenses et les investissements les plus productifs qu’un gouvernement puisse faire ». Il a conclu que « [c]es quelques exemples tirés de la déclaration – et il y a en a de nombreux autres – relèvent du domaine de l’élaboration des politiques, et non du domaine juridique ».

 

[23]           Vu sa conclusion que la demande ne relevait pas de la compétence des tribunaux, le protonotaire Aalto a également conclu qu’une autorisation de modifier ne permettrait pas de rectifier les lacunes et, par conséquent, l’autorisation de modifier n’a pas été accordée.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[24]           La question en litige en l’espèce est celle de savoir si la déclaration, ou une partie de celle-ci, devrait être reprise au motif qu’il n’est pas évident et manifeste qu’elle ne peut être accueillie.

 

NORME DE CONTRÔLE

[25]           D’après la jurisprudence, je suis tenu d’examiner l’affaire depuis le début. En d’autres termes, je dois jeter un regard neuf, en ne faisant pas preuve de réserve à l’égard des conclusions dans la décision dont appel. Cela s’explique par le fait il s’agit d’un appel interjeté contre une ordonnance d’un protonotaire qui tranche une question (la radiation d’une déclaration) ayant une influence déterminante sur l’issue du principal : Canada c Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 CF 425 (CAF), à la page 463; Merck & Co., Inc. c Apotex Inc., 2003 CAF 488, au paragraphe 19; Merck & Co., Inc. c Apotex Inc., 2012 CF 454. Je soulignerais, au passage, que la Cour d’appel fédérale s’est demandé (sans se prononcer) à au moins une occasion s’il y avait toujours lieu de continuer à appliquer cette règle : Apotex Inc. c Bristol-Myers Squibb Company, 2011 CAF 34, au paragraphe 9. Or, vu que les parties ne m’ont pas présenté d’observations à ce sujet, et que la plupart, voire l’intégralité, des conclusions en l’espèce sont des conclusions de droit qui ne commandent pas la retenue selon les normes habituelles applicables à un appel énoncées dans l’arrêt Housen c Nikolaisen, [2002] 2 RCS 235, j’estime que l’affaire qui nous occupe ne se prête pas à un réexamen de la question en litige.

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[26]           Les dispositions suivantes de la Loi sur la Banque s’appliquent en l’espèce :

Pouvoirs

 

18. La Banque peut :

 

[…]

 

i) consentir des prêts ou avances, pour des périodes d’au plus six mois, au gouvernement du Canada ou d’une province en grevant d’une sûreté des valeurs mobilières facilement négociables, émises ou garanties par le Canada ou cette province;

 

j) consentir des prêts au gouvernement du Canada ou d’une province, à condition que, d’une part, le montant non remboursé des prêts ne dépasse, à aucun moment, une certaine fraction des recettes estimatives du gouvernement en cause pour l’exercice en cours — un tiers dans le cas du Canada, un quart dans celui d’une province — et que, d’autre part, les prêts soient remboursés avant la fin du premier trimestre de l’exercice suivant;

 

 

 

 

[…]

 

m) ouvrir des comptes dans une banque centrale étrangère ou dans la Banque des règlements internationaux, accepter des dépôts — pouvant porter intérêt — de banques centrales étrangères, de la Banque des règlements internationaux, du Fonds monétaire international, de la Banque internationale pour la reconstruction et le développement et de tout autre organisme financier international officiel, et leur servir de mandataire, dépositaire ou correspondant;

 

 

[…]

 

Agent financier du gouvernement canadien

 

24. (1) La Banque remplit les fonctions d’agent financier du gouvernement du Canada.

 

 

Honoraires

 

(1.1) La Banque peut, avec le consentement du ministre, exiger des honoraires pour remplir de telles fonctions.

 

Gestion de la dette publique

 

(2) Sur demande du ministre, la Banque fait office de mandataire du gouvernement du Canada pour la gestion de la dette publique, notamment pour le paiement des intérêts et du principal de celle-ci.

 

 

Encaissement des chèques du gouvernement canadien

 

(3) La Banque ne peut exiger de frais pour l’encaissement ou la négociation de chèques tirés sur le receveur général ou pour son compte et d’autres effets autorisant des paiements sur le Trésor, ni pour le dépôt au Trésor de chèques faits à l’ordre du gouvernement du Canada ou d’un ministère fédéral.

 

 

 

 

 

 

[…]

 

Immunité judiciaire

 

30.1 Sa Majesté, le ministre, les administrateurs, les cadres ou les employés de la Banque ou toute autre personne agissant sous les ordres du gouverneur bénéficient de l’immunité judiciaire pour les actes ou omissions commis de bonne foi dans l’exercice — autorisé ou requis — des pouvoirs et fonctions conférés par la présente loi.

Powers and business

 

18. The Bank may

 

[…]

 

(i) make loans or advances for periods not exceeding six months to the Government of Canada or the government of a province on taking security in readily marketable securities issued or guaranteed by Canada or any province;

 

 

 

(j) make loans to the Government of Canada or the government of any province, but such loans outstanding at any one time shall not, in the case of the Government of Canada, exceed one-third of the estimated revenue of the Government of Canada for its fiscal year, and shall not, in the case of a provincial government, exceed one-fourth of that government’s estimated revenue for its fiscal year, and such loans shall be repaid before the end of the first quarter after the end of the fiscal year of the government that has contracted the loan;

 

[…]

 

(m) open accounts in a central bank in any other country or in the Bank for International Settlements, accept deposits from central banks in other countries, the Bank for International Settlements, the International Monetary Fund, the International Bank for Reconstruction and Development and any other official international financial organization, act as agent or mandatary, or depository or correspondent for any of those banks or organizations, and pay interest on any of those deposits;

 

[…]

 

Fiscal agent of Canadian Government

 

24. (1) The Bank shall act as fiscal agent of the Government of Canada.

 

 

Charge for acting

 

(1.1) With the consent of the Minister, the Bank may charge for acting as fiscal agent of the Government of Canada.

 

To manage public debt

 

(2) The Bank, if and when required by the Minister to do so, shall act as agent for the Government of Canada in the payment of interest and principal and generally in respect of the management of the public debt of Canada.

 

Canadian Government cheques to be paid or negotiated at par

 

(3) The Bank shall not make any charge for cashing or negotiating a cheque drawn on the Receiver General or on the account of the Receiver General, or for cashing or negotiating any other instrument issued as authority for the payment of money out of the Consolidated Revenue Fund, or on a cheque drawn in favour of the Government of Canada or any of its departments and tendered for deposit in the Consolidated Revenue Fund.

 

[…]

 

No liability if in good faith

 

30.1 No action lies against Her Majesty, the Minister, any officer, employee or director of the Bank or any person acting under the direction of the Governor for anything done or omitted to be done in good faith in the administration or discharge of any powers or duties that under this Act are intended or authorized to be executed or performed.

 

[27]           Les dispositions suivantes de la Loi constitutionnelle de 1867 s’appliquent en l’espèce :

Bills pour lever des crédits et des impôts

 

53. Tout bill ayant pour but l’appropriation d’une portion quelconque du revenu public, ou la création de taxes ou d’impôts, devra originer dans la Chambre des Communes.

 

Recommandation des crédits

 

 

54. Il ne sera pas loisible à la Chambre des Communes d’adopter aucune résolution, adresse ou bill pour l’appropriation d’une partie quelconque du revenu public, ou d’aucune taxe ou impôt, à un objet qui n’aura pas, au préalable, été recommandé à la chambre par un message du gouverneur général durant la session pendant laquelle telle résolution, adresse ou bill est proposé.

 

[…]

 

Application aux législatures des dispositions relatives aux crédits, etc.

 

90. Les dispositions suivantes de la présente loi, concernant le parlement du Canada, savoir : — les dispositions relatives aux bills d’appropriation et d’impôts, à la recommandation de votes de deniers, à la sanction des bills, au désaveu des lois, et à la signification du bon plaisir quant aux bills réservés, — s’étendront et s’appliqueront aux législatures des différentes provinces, tout comme si elles étaient ici décrétées et rendues expressément applicables aux provinces respectives et à leurs législatures, en substituant toutefois le lieutenant-gouverneur de la province au gouverneur général, le gouverneur général à la Reine et au secrétaire d’État, un an à deux ans, et la province au Canada.

 

 

Autorité législative du parlement du Canada

 

91. Il sera loisible à la Reine, de l’avis et du consentement du Sénat et de la Chambre des Communes, de faire des lois pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada, relativement à toutes les matières ne tombant pas dans les catégories de sujets par la présente loi exclusivement assignés aux législatures des provinces; mais, pour plus de garantie, sans toutefois restreindre la généralité des termes ci-haut employés dans le présent article, il est par la présente déclaré que (nonobstant toute disposition contraire énoncée dans la présente loi) l’autorité législative exclusive du parlement du Canada s’étend à toutes les matières tombant dans les catégories de sujets ci-dessous énumérés, savoir :

 

[…]

 

1A. La dette et la propriété publiques. (45)

 

[…]

 

3. Le prélèvement de deniers par tous modes ou systèmes de taxation.

 

4. L’emprunt de deniers sur le crédit public.

 

[…]

 

6. Le recensement et les statistiques.

 

[…]

 

14. Le cours monétaire et le monnayage.

 

[…]

 

16. Les caisses d’épargne.

 

[…]

 

18. Les lettres de change et les billets promissoires.

 

19. L’intérêt de l’argent.

 

20. Les offres légales.

 

[…]

Appropriation and Tax Bills

 

 

53. Bills for appropriating any Part of the Public Revenue, or for imposing any Tax or Impost, shall originate in the House of Commons.

 

 

Recommendation of Money Votes

 

54. It shall not be lawful for the House of Commons to adopt or pass any Vote, Resolution, Address, or Bill for the Appropriation of any Part of the Public Revenue, or of any Tax or Impost, to any Purpose that has not been first recommended to that House by Message of the Governor General in the Session in which such Vote, Resolution, Address, or Bill is proposed.

 

 

[…]

 

Application to Legislatures of Provisions respecting Money Votes, etc.

 

90. The following Provisions of this Act respecting the Parliament of Canada, namely, — the Provisions relating to Appropriation and Tax Bills, the Recommendation of Money Votes, the Assent to Bills, the Disallowance of Acts, and the Signification of Pleasure on Bills reserved, — shall extend and apply to the Legislatures of the several Provinces as if those Provisions were here re-enacted and made applicable in Terms to the respective Provinces and the Legislatures thereof, with the Substitution of the Lieutenant Governor of the Province for the Governor General, of the Governor General for the Queen and for a Secretary of State, of One Year for Two Years, and of the Province for Canada.

 

 

 

Legislative Authority of Parliament of Canada

 

91. It shall be lawful for the Queen, by and with the Advice and Consent of the Senate and House of Commons, to make Laws for the Peace, Order, and good Government of Canada, in relation to all Matters not coming within the Classes of Subjects by this Act assigned exclusively to the Legislatures of the Provinces; and for greater Certainty, but not so as to restrict the Generality of the foregoing Terms of this Section, it is hereby declared that (notwithstanding anything in this Act) the exclusive Legislative Authority of the Parliament of Canada extends to all Matters coming within the Classes of Subjects next hereinafter enumerated; that is to say,

 

 

 

[…]

 

1A. The Public Debt and Property. (45)

 

[…]

 

3. The raising of Money by any Mode or System of Taxation.

 

 

4. The borrowing of Money on the Public Credit.

 

[…]

 

6. The Census and Statistics.

 

 

[…]

 

14. Currency and Coinage.

 

 

[…]

 

16. Savings Banks.

 

[…]

 

18. Bills of Exchange and Promissory Notes.

 

19. Interest.

 

20. Legal Tender.

 

[…]

 

[28]           Les dispositions suivantes de la Loi constitutionnelle de 1982 s’appliquent en l’espèce :

Vie, liberté et sécurité

 

 

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

 

[…]

 

Égalité devant la loi, égalité de bénéfice et protection égale de la loi

 

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

 

[…]

 

Engagements relatifs à l’égalité des chances

 

36. (1) Sous réserve des compétences législatives du Parlement et des législatures et de leur droit de les exercer, le Parlement et les législatures, ainsi que les gouvernements fédéral et provinciaux, s’engagent à :

 

 

 

 

a) promouvoir l’égalité des chances de tous les Canadiens dans la recherche de leur bien-être;

 

b) favoriser le développement économique pour réduire l’inégalité des chances;

 

c) fournir à tous les Canadiens, à un niveau de qualité acceptable, les services publics essentiels.

 

Engagement relatif aux services publics

 

(2) Le Parlement et le gouvernement du Canada prennent l’engagement de principe de faire des paiements de péréquation propres à donner aux gouvernements provinciaux des revenus suffisants pour les mettre en mesure d’assurer les services publics à un niveau de qualité et de fiscalité sensiblement comparables.

Life, liberty and security of person

 

7. Everyone has the right to life, liberty and security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice.

 

[…]

 

Equality before and under law and equal protection and benefit of law

 

15. (1) Every individual is equal before and under the law and has the right to the equal protection and equal benefit of the law without discrimination and, in particular, without discrimination based on race, national or ethnic origin, colour, religion, sex, age or mental or physical disability.

 

 

 

 

[…]

 

Commitment to promote equal opportunities

 

36. (1) Without altering the legislative authority of Parliament or of the provincial legislatures, or the rights of any of them with respect to the exercise of their legislative authority, Parliament and the legislatures, together with the government of Canada and the provincial governments, are committed to

 

(a) promoting equal opportunities for the well-being of Canadians;

 

 

(b) furthering economic development to reduce disparity in opportunities; and

 

(c) providing essential public services of reasonable quality to all Canadians.

 

 

Commitment respecting public services

 

(2) Parliament and the government of Canada are committed to the principle of making equalization payments to ensure that provincial governments have sufficient revenues to provide reasonably comparable levels of public services at reasonably comparable levels of taxation.

 

ARGUMENT

Demandeurs

[29]           Les demandeurs font valoir qu’en concluant que la demande ne relevait pas de la compétence des tribunaux, le protonotaire a commis une erreur parce qu’il a outrepassé sa compétence et tiré des conclusions de fond sur les questions en litige entre les parties, en particulier en ce qui a trait à la juste interprétation du verbe « peut » employé à l’article 18 de la Loi sur la Banque et à l’applicabilité de la Charte. Ils disent que, selon la jurisprudence de la Cour suprême, il s’agit de questions qu’il convient de laisser à l’appréciation du juge chargé de l’instruction et qui ne doivent pas être tranchées dans le cadre d’une requête en radiation. Ils affirment également que le protonotaire a fait abstraction de la jurisprudence sans équivoque et claire sur les questions auxquelles il devait répondre et qu’il a complètement omis d’aborder la mesure de réparation sollicitée en ce qui touche les questions budgétaires et constitutionnelles.

 

[30]           Les demandeurs rappellent à la Cour les principes généraux applicables à une requête en radiation. Les faits exposés par les demandeurs doivent être tenus pour avérés : Canada (Procureur général) c Inuit Tapirisat et autre, [1980] 2 RCS 735; Nelles c Ontario (1989), DLR (4th) 609 (CSC) [Nelles]; Operation Dismantle Inc., précité; Hunt, précité; Dumont c Canada (Procureur général), [1990] 1 RCS 279 [Dumont]; Trendsetter Developments Ltd. c Ottawa Financial Corp. (1989), 32 OAC 327 (CA) [Trendsetter]; Nash c Ontario (1995), 27 OR (3d) 1 (CA Ont.) [Nash]; Canada c Arsenault, 2009 CAF 242 [Arsenault]. Une déclaration ne devrait être radiée « que dans des cas très clairs où l’acte de procédure est incontestablement vicié » (Nelles, précité, à la page 627) ou si l’issue de l’affaire est « évidente » ou « au-delà de tout doute », qu’elle n’a aucune chance de succès (Dumont, précité, à la page 280; Trendsetter, précité). Il est inapproprié de radier une déclaration simplement parce qu’elle soulève [traduction] « une question de droit contestable, difficile ou importante » (Hunt, précité, aux pages 990 et 991) ou parce qu’elle est inédite : Nash, précité; Hanson c Bank of Nova Scotia (1994), 19 OR (3d) 142 (CA); Adams-Smith c Christian Horizons (1997), 14 CPC (4th) 78 (Div. gén. Ont.); Miller (Litigation Guardian of) c Wiwchairyk (1997), 34 OR (3d) 640 (Div. gén. Ont.). En effet, particulièrement en droit de la responsabilité civile délictuelle, il peut ainsi être essentiel que la demande principale soit instruite afin que le droit puisse évoluer en réponse aux besoins modernes (Hunt, précité, aux pages 991 et 992). Les questions que la jurisprudence n’a pas examinées ne devraient pas être tranchées dans le cadre d’une requête en radiation : R.D. Belanger & Associates Ltd. c Stadium Corp of Ontario Ltd. (1991), 5 OR (3d) 778 (CA). Selon les demandeurs, pour obtenir gain de cause, les défendeurs doivent produire [traduction] « un précédent, dans lequel le même point est directement tranché par la même autorité, qui démontre que le tribunal a examiné exactement la même question et qu’il l’a rejetée » : Dalex Co. c Schwartz Levitsky Feldman (1994), 19 OR (3d) 463 (Div. gén.). En outre, la Cour devrait se montrer généreuse en ce qui a trait à la rédaction des actes de procédures et autoriser qu’ils soient modifiés avant de les radier : Grant c Cormier – Grant et al (2001), 56 OR (3d) 215 (CA); Toronto-Dominion Bank c Deloite Hoskins & Sells (1991), 5 OR (3d) 417 (Div. gén.). Enfin, la demande doit être prise telle que rédigée par les demandeurs, et non lui donner l’interprétation proposée par les défendeurs : Arsenault, précité.

 

[31]           Les demandeurs affirment que le protonotaire a bien énoncé le critère applicable à une requête en radiation, mais qu’il l’a mal appliqué à tous égards pour les raisons suivantes : il a statué sur des questions de fond qui auraient dû être laissées à l’appréciation du juge chargé de l’instruction; il a radié la déclaration même s’il en reconnaissait le caractère inédit et complexe; et il a tiré une conclusion erronée sur l’application de la Charte.

 

[32]           Quant à leurs allégations de nature constitutionnelle, les demandeurs signalent que chaque ordre de gouvernement est investi [traduction] « du pouvoir et du devoir » de légiférer sur les sujets qui lui ont été attribués de façon exclusive en vertu de la Constitution (Nova Scotia (Attorney General) v Canada (Attorney General), [1951] SCR 31), et que ni le Parlement ni le pouvoir exécutif ne peuvent abdiquer leur devoir de gouverner (Canada (Wheat Board) v Hallet and Carey Ltd., [1951] SCR 81 [Wheat Board]; Re Gray (1918), 57 Can SCR, aux pages 150 à 157; Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 RCS 217 [Renvoi relatif à la sécession du Québec]).

 

[33]           Du point de vue des demandeurs, cela signifie notamment qu’il n’est pas évident et manifeste que le paragraphe 91(6) de la Loi constitutionnelle de 1867 n’impose pas un devoir. À leur avis, cette disposition exige du ministre qu’il adopte certaines méthodes comptables à des fins budgétaires. Le devoir constitutionnel de faire état de toutes les recettes et dépenses durant le processus budgétaire a évolué depuis la Magna Carta, allèguent les demandeurs, et il est lié au droit constitutionnel selon lequel « il ne peut y avoir de taxation sans représentation ». Ce principe est enchâssé dans la Constitution canadienne et figure au préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 ainsi qu’aux articles 53, 54 et 90, selon lesquels toutes les mesures de taxation doivent émaner de la Chambre des communes : Ontario English Catholic Teachers’ Assn c Ontario (Procureur général), [2001] 1 RCS 470 aux paragraphes 67 à 79. Ces pouvoirs ne peuvent être délégués, pas même au gouverneur en conseil. Les demandeurs allèguent qu’en ne dévoilant pas au Parlement les recettes réelles du gouvernement, le ministre contrevient à ces dispositions et principes constitutionnels en retirant aux députés élus la capacité d’examiner adéquatement le budget et d’adopter des dispositions relatives aux dépenses et à la taxation, et d’en débattre comme il se doit.

 

[34]           En outre, la Cour suprême du Canada a statué que les omissions législatives peuvent entraîner des atteintes à la Constitution. Ainsi que la Cour l’a affirmé dans l’arrêt Vriend c Alberta, [1998] 1 RCS 493, aux paragraphes 59 à 60 [Vriend] [les demandeurs soulignent] :

[59]      Les intimés prétendent que le choix délibéré de ne pas légiférer ne doit pas être assimilé à une action gouvernementale et, par conséquent, ne peut faire l’objet d’un examen fondé sur la Charte. Cette thèse ne saurait être retenue. Les intimés font valoir qu’il doit y avoir un certain « exercice » du pouvoir dans un « domaine visé à l’art. 32 » pour que la Charte s’applique à la décision de la législature. Or, ni le libellé de l’art. 32 ni la jurisprudence relative à l’application de la Charte n’exigent une telle limitation du champ d’application de la Charte.

 

[60]      L’alinéa 32(1)b) dit que la Charte s’applique « à la législature et au gouvernement de chaque province, pour tous les domaines relevant de cette législature ». Rien n’indique qu’une action positive empiétant sur des droits soit nécessaire; en fait, l’alinéa parle uniquement des domaines relevant de cette législature. Dianne Pothier a fait remarquer à juste titre que l’art. 32 est [traduction] « rédigé d’une manière assez générale pour viser les obligations positives du législateur, de telle sorte que la Charte s’appliquera même lorsque le législateur refuse d’exercer son pouvoir » (« The Sounds of Silence : Charter Application when the Legislature Declines to Speak » (1996), 7 Forum constitutionnel 113, à la p. 115). L’application de la Charte n’est pas limitée aux cas où par son action le gouvernement empiète sur des droits.

 

L’action et l’inaction du pouvoir exécutif doivent également être conformes aux normes constitutionnelles (Air Canada c Colombie-Britannique (Procureur général), [1986] 2 RCS 539; Canada (Premier ministre) c Khadr, [2010] 1 RCS 44 [Khadr]).

 

[35]           Pour ce qui est de l’article 7 de la Charte, les demandeurs allèguent que la réduction, l’élimination et/ou le retard fatal dans les domaines des soins de santé, de l’éducation et d’autres dépenses et services liés au capital humain mettent en jeu leurs droits à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne. Ces problèmes portent préjudice à leur intégrité physique et psychologique, laquelle est protégée par l’article 7 : Singh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] 1 RCS 177; R c Morgentaler, [1988] 1 RCS 30; Rodriguez c Colombie-Britannique (Procureur général), [1993] 3 RCS 519. En particulier, la Cour a conclu que l’accès ou la restriction de l’accès aux services médicaux visent un droit prévu à l’article 7 : Chaoulli, précité. De plus, le fossé de plus en plus important entre riches et pauvres et la disparition de la classe moyenne au Canada entraînent la dégradation des conditions socioéconomiques qui menacent le bien-être physique et psychologique des demandeurs en raison de la criminalité accrue et d’autres maux socioéconomiques, ce qui vise leurs droits prévus à l’article 7. Les demandeurs soutiennent que la compression des dépenses en capital humain qui engendrent de tels résultats découle, en grande partie, de la conduite illégitime du ministre en vertu de la Loi sur la Banque ainsi que de l’omission, d’après son devoir, de faire état des recettes véritables et exactes dans le processus budgétaire. Par conséquent, le principe énoncé dans l’arrêt Vriend, précité, selon lequel des omissions peuvent donner lieu à des violations de la Charte, est pertinent dans le cas d’une allégation fondée sur l’article 7. Selon les demandeurs, le protonotaire a mal interprété leur prétention fondée sur l’article 7 aux paragraphes 55 et 56 de sa décision et l’a présentée de façon erronée en plus de faire abstraction des faits qu’il devait tenir pour avérés lorsqu’il s’est demandé s’il était évident et manifeste que l’allégation fondée sur l’article 7 ne pouvait être retenue.

 

[36]           En outre, les demandeurs affirment que le défaut d’exercer les pouvoirs énoncés à l’article 18 de la Loi sur la Banque en vue d’accorder des prêts sans intérêt pour des dépenses en capital humain donne lieu à des disparités régionales et à une inégalité des niveaux de services, ce qui contrevient à l’article 15 de la Charte, à l’article 36 de la Loi constitutionnelle de 1982 et à l’impératif structurel visant à garantir l’égalité de tous les citoyens, comme l’a énoncé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Winner c SMT (Eastern) Ltd., [1951] SCR 887. La Cour suprême a statué que le lieu de résidence constitue un motif de discrimination analogue à ceux énoncés à l’article 15 de la Charte : R c Turpin, [1989] 1 RCS 1296.

 

[37]           Les demandeurs allèguent que le protonotaire a conclu à tort qu’il était impossible d’établir une inégalité réelle parce que les demandeurs n’avaient pas signalé de distinction fondée sur des motifs énumérés ou analogues et qu’aucun groupe de comparaison n’était identifié, puisque la déclaration était présentée au nom de tous les Canadiens. Premièrement, selon les demandeurs, la Cour suprême dans l’arrêt Withler, précité, a écarté l’exigence relative à l’analyse fondée sur un groupe de comparaison et a établi un critère à deux volets. Ils citent le passage suivant du sommaire de l’arrêt [les demandeurs soulignent] :

La jurisprudence a établi un test à deux volets pour l’appréciation d’une demande fondée sur le par. 15(1) : (1) La loi crée-t-elle une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue? (2) La distinction crée-t-elle un désavantage par la perpétuation d’un préjugé ou l’application de stéréotypes? Le demandeur doit démontrer qu’il s’est vu refuser un avantage accordé à d’autres ou imposer un fardeau que d’autres n’ont pas, en raison d’une caractéristique personnelle correspondant à un motif énuméré ou analogue visé par le par. 15(1). Il n’est pas nécessaire de désigner un groupe de comparaison qui corresponde précisément au groupe de demandeurs. Dans la mesure où le demandeur établit l’existence d’une distinction fondée sur au moins un motif énuméré ou analogue, la demande devrait passer à la deuxième étape de l’analyse. Cette démarche offre la souplesse requise pour l’examen des allégations fondées sur des motifs de discrimination interreliés. À la deuxième étape, le tribunal doit se demander si, compte tenu de tous les facteurs pertinents, la distinction établie par la mesure législative entre le groupe de demandeurs et d’autres personnes crée de la discrimination en perpétuant un désavantage ou un préjugé à l’égard du groupe ou en lui appliquant des stéréotypes.

 

Par ailleurs, les demandeurs soulignent que, dans l’affaire qui nous occupe, ils ont évoqué un groupe de comparaison : le traitement des citoyens canadiens par rapport aux banquiers, personnes et intérêts privés étrangers.

 

[38]           Quant à la question de l’assujettissement à la compétence des tribunaux, les demandeurs font valoir que le protonotaire a tiré une conclusion sur le fond en se prononçant sur le sens du mot « peut » employé à l’article 18 de la Loi sur la Banque. Le protonotaire a conclu que, puisque l’article 18 est une disposition facultative, « il n’y a pas d’impératif législatif » de consentir des prêts sans intérêt pour des dépenses en capital humain, et la Cour n’était donc pas la tribune qui convient pour indiquer au gouvernement de modifier cette politique. L’existence d’un devoir législatif d’accorder des prêts sans intérêt était l’élément essentiel de la demande et du différend, et le protonotaire n’avait pas la compétence pour statuer à cet égard dans le cadre d’une requête en radiation.

 

[39]           Selon les demandeurs, le protonotaire a en outre commis une erreur dans son analyse de la l’assujettissement à la compétence des tribunaux parce qu’il n’a pas tenu compte de la jurisprudence selon laquelle les faits exposés doivent être tenus pour avérés, notamment le fait que la Banque a été mise sur pied en vue d’accorder des prêts sans intérêt pour des dépenses en capital humain. D’ailleurs, ils disent que l’interprétation d’une disposition législative ou un devoir ou droit constitutionnel relève toujours de la compétence des tribunaux. Le jugement déclaratoire et les dommages-intérêts sollicités sont fondés sur l’interprétation de la Loi sur la Banque ainsi que sur les obligations prévues par la loi et la Constitution qui n’ont pas été respectées en l’espèce, d’où l’atteinte aux droits des demandeurs. La jurisprudence indique clairement qu’il s’agit de questions relevant de la compétence des tribunaux.

 

[40]           Le fait que l’objet d’un différend a trait à des questions socioéconomiques ne fait pas en sorte que les tribunaux ne peuvent connaître de la question, disent les demandeurs. Parmi les questions traitant des politiques socioéconomiques qui ont déjà été reconnues comme relevant de la compétence des tribunaux, mentionnons les suivantes :

         Celle de savoir si le contrôle « des traitements et des prix » était un domaine de compétence du Parlement du Canada : Renvoi : Loi anti-inflation, [1976] 2 RSC 373;

         Celle de savoir si les limites sur les paiements de transfert entre les gouvernements fédéral et provinciaux pouvaient être modifiées unilatéralement : Renvoi au RAPC, précité;

         Une contestation par un particulier sur la question de savoir si les paiements de transfert du gouvernement fédéral aux gouvernements provinciaux étaient illégaux du fait que la province contrevenait à certaines dispositions du Régime d’assistance public du Canada : Finlay c Canada (Ministre de la Justice), [1986] 2 RCS 607.

 

[41]           Les demandeurs font valoir que le critère précis applicable à l’assujettissement à la compétence des tribunaux consiste à établir si la question présente « un aspect suffisamment juridique pour justifier l’intervention des tribunaux » (Renvoi au RAPC, précité), et que leur déclaration satisfait à ce critère.

 

[42]           De plus, les demandeurs allèguent que lorsque les politiques sociales sont présumées porter atteinte aux droits protégés par la Charte, les tribunaux doivent en tenir compte. Rien ne soustrait les « questions politiques » au contrôle judiciaire devant une allégation de violation de la Constitution elle-même : Chaoulli, précité, aux paragraphes 89, 183 et 185. En pareil cas, il ne s’agit pas de savoir si la politique est saine, mais plutôt si elle viole les droits constitutionnels, et c’est là une « question totalement différente » : Operation Dismantle Inc., précité, à la page 472.

 

[43]           Le protonotaire a en outre commis une erreur dans son analyse de l’assujettissement à la compétence des tribunaux, soutiennent les demandeurs, parce qu’il n’a pas bien fait la distinction entre un jugement déclaratoire et une réparation prévue par le droit de la responsabilité civile délictuelle. En considérant que quelques-unes des conclusions recherchées, sous forme de jugement déclaratoire, n’étaient pas applicables, il a confondu la notion d’applicabilité et l’assujettissement à la compétence des tribunaux. L’article 64 des Règles reconnaît un droit prévu par la loi qu’une réparation puisse être demandée, peu importe si une réparation indirecte est sollicitée, et la Cour suprême du Canada a reconnu que, dans certaines affaires, il peut être approprié de reconnaître un droit, sans toutefois l’appliquer : Khadr, précité. De plus, le jugement déclaratoire peut être demandé dans le contexte d’une action présentée en application de l’article 17 de la Loi sur les Cours fédérales : Edwards c Canada (2000), 181 FTR 219.

 

[44]           Enfin, les demandeurs soutiennent que le protonotaire aurait dû autoriser la modification des deux allégations fondée sur la responsabilité civile délictuelle même si elles étaient radiées à raison : Collins c Canada, [2011] DTC 5076; Simon c Canada, [2011] DTC 5016; Spatling c Canada, 2003 CarswellNat 1013; Larden c Canada (1998), 145 FTR 140.

 

Défendeurs

[45]           Les défendeurs disent que la décision du protonotaire démontre qu’il a fait un examen attentif et approfondi de la déclaration. Il a conclu qu’elle était viciée au point de n’avoir aucune chance d’être accueillie, et les défendeurs prient la Cour de tirer la même conclusion.

 

[46]           Les défendeurs font observer que le critère applicable à une requête en radiation fondée sur l’article 221 des Règles consiste à déterminer s’il est évident et manifeste, selon les faits allégués, que l’action ne saurait être accueillie : Sivak et al v The Queen et al, 2012 FC 272, au paragraphe 15 [Sivak]; Imperial Tobacco, précité, au paragraphe 17. Ils affirment que la question appropriée n’est pas celle de savoir s’il y a une chance quelconque qu’elle soit accueillie, mais plutôt si « dans le contexte du droit et du processus judiciaire, la demande n’a aucune possibilité raisonnable d’être accueillie » : Imperial Tobacco, précité, au paragraphe 25 (souligné dans l’original). Le pouvoir du tribunal de radier les demandes ne présentant aucune possibilité raisonnable de succès constitue une importante mesure de gouverne judiciaire essentielle à l’efficacité et à l’équité des procès : Imperial Tobacco, précité, au paragraphe 19.

 

[47]           Les défendeurs allèguent qu’il n’y a aucune possibilité raisonnable qu’un tribunal interprète le mot « peut » employé à l’article 18 de la Loi sur la Banque comme un impératif (soit, l’imposition d’un devoir). Ils soulignent que l’article 11 de la Loi d’interprétation, LRC 1985, ch. I‑21, prescrit que l’obligation s’exprime essentiellement par l’indicatif présent du verbe porteur de sens principal et, à l’occasion, par des verbes ou expressions comportant cette notion. L’octroi de pouvoirs, de droits, d’autorisations ou de facultés s’exprime essentiellement par le verbe « pouvoir » et, à l’occasion, par des expressions comportant ces notions. Par conséquent, il est approprié pour la Cour de conclure, dans le cadre d’une requête en radiation, que cet élément de la déclaration n’a aucune chance de succès. En outre, il est question dans la Loi sur la Banque de prêts au gouvernement ou à une province, et non aux municipalités.

 

[48]           Les défendeurs reconnaissent qu’une requête en radiation repose sur le principe que les faits allégués dans la déclaration sont vrais, sauf s’ils ne peuvent manifestement pas être prouvés (Imperial Tobacco, précité, au paragraphe 22), mais ils font observer que ce principe ne s’applique qu’aux faits allégués dans la déclaration, et non aux arguments des avocats relativement à la requête. Ils ajoutent que cette règle ne requiert pas que les allégations fondées sur des suppositions et des conjectures soient tenues pour avérées; la Cour n’est pas tenue d’accepter comme vraies de simples allégations ou celles qui sont scandaleuses, frivoles ou vexatoires, ni des arguments juridiques déguisés en allégations factuelles : Operation Dismantle, précité, au paragraphe 27; Carten c Canada, 2009 CF 1233, au paragraphe 31 [Carten].

 

[49]           Les défendeurs soutiennent qu’aucune cause d’action valable n’a été présentée dans la déclaration parce que les demandeurs n’ont pas exposé les éléments requis pour chaque cause d’action alléguée ainsi que les faits pertinents. Ce faisant, les demandeurs n’ont pas respecté les quatre exigences fondamentales d’un acte de procédure, notamment : a) chaque acte de procédure doit exposer des faits et non simplement des conclusions de droit; b) il doit exposer des faits pertinents; c) il doit exposer des faits, non les éléments de preuve qui serviront à étayer ces faits; d) il doit exposer les faits avec concision : Carten, précité, au paragraphe 36; Sivak, précité; article 174 des Règles. Une demande doit contenir des faits substantiels qui satisfont à tous les éléments nécessaires de la cause d’action ou il faudra inévitablement conclure que cette demande ne révèle aucune cause d’action valable : Benaissa c Canada (Procureur général), 2005 CF 1220, au paragraphe 15.

 

[50]           Bien que les demandeurs allèguent dans leur déclaration un délit de faute dans l’exercice d’une charge publique lorsqu’ils indiquent que les défendeurs ou leurs fonctionnaires ont abdiqué leurs devoirs de nature législative et constitutionnelle, les éléments constitutifs du délit ne sont pas exposés, pas plus que les faits substantiels pouvant étayer une telle allégation. Pour qu’il y ait délit de faute dans l’exercice d’une charge publique, un fonctionnaire public doit avoir eu une conduite illégitime et délibérée en tant que titulaire d’une charge publique, et ce fonctionnaire doit avoir eu la connaissance du caractère illégitime de la conduite et de la probabilité de préjudice à l’égard du demandeur : Odhavji Estate c Woodhouse, 2003 CSC 69, aux paragraphes 23, 28, 29 et 32; Leblanc c Canada, 2004 CF 774, aux paragraphes 23 à 25 (infirmé par la CAF, mais pour d’autres motifs). Dans leur déclaration, les demandeurs décrivent l’état d’esprit des fonctionnaires compétents en indiquant qu’ils sont impliqués « consciemment ou non, à divers degrés de connaissance et d’intention »; ils n’ont donc pas exposé les éléments du délit.

 

[51]           En outre, la Cour d’appel a statué que, pour alléguer valablement le délit de faute dans l’exercice d’une charge publique, le demandeur doit couvrir chaque élément essentiel du délit en exposant tous les faits substantiels (article 174 des Règles) et les précisions requises (article 181 des Règles) sur « toute allégation portant sur l’état mental d’une personne », les « manquements délibérés », une « intention malicieuse » ou « frauduleuse » : Administration portuaire de St. John’s, précité, au paragraphe 25. L’identité des individus particuliers accusés d’avoir commis le délit de faute dans l’exercice d’une charge publique doit être révélée : Administration portuaire de St. John’s, précité, au paragraphe 41. Les défendeurs affirment que les demandeurs ont omis de le faire. Comme le protonotaire l’a conclu, leurs allégations consistaient plutôt en des énoncés et arguments généraux sur la politique économique.

 

[52]           Les défendeurs affirment que l’article 18 de la Loi sur la Banque n’impose pas d’obligations, mais ils soulignent également que le manquement à une obligation d’origine législative ne constitue pas un délit. Il n’y a pas de délit civil spécial de violation d’une obligation légale : La Reine (Canada) c Saskatchewan Wheat Pool, [1983] 1 RCS, aux pages 205 à 225. Le recours pour un tel manquement est plutôt la demande de contrôle judiciaire : Holland c Saskatchewan, 2008 CSC 42, au paragraphe 9.

 

[53]           Les demandeurs allèguent les éléments du délit de complot (voir Hunt, précité), mais les défendeurs disent qu’ils n’allèguent aucun fait substantiel à l’appui de leurs allégations, par exemple l’identité des fonctionnaires en cause, le type d’entente conclue, la date à laquelle l’entente a été conclue, les moyens légitimes ou illégitimes utilisés ainsi que la nature du préjudice que les défendeurs auraient voulu causer aux demandeurs. Comme l’a conclu le protonotaire, la déclaration ne contient que des énoncés généraux concernant des complots qui auraient été commis par des ministres des Finances et d’autres personnes non identifiées, de concert avec des organismes monétaires internationaux, en vue de compromettre la Loi sur la Banque. De telles allégations ne satisfont pas au critère établi pour qu’un acte de procédure soit recevable. Le délit de complot exige non seulement une entente entre deux personnes ou plus, mais également une intention de causer un préjudice, ce qui suppose que le complot ne peut pas être commis négligemment ou accidentellement : [traduction] « les parties doivent avoir la connaissance de ce qu’elles font et avoir l’intention de le faire (G.H.L. Fridman, Introduction to the Canadian Law of Torts, 2e éd. (LexisNexis Butterworths, Markham, juillet 2003) chapitre 22(4), « Essential of Liability for Conspiracy », à la page 185). Les demandeurs n’ont pas précisé les personnes impliquées dans le complot allégué et disent seulement que « les agents du défendeur sont consciemment ou non, à divers degrés de connaissance et d’intention, impliqués dans un complot ». Par conséquent, ils n’ont pas exposé de faits substantiels permettant d’étayer l’allégation de complot.

 

[54]           Les défendeurs indiquent également que le paragraphe 91(6) de la Loi constitutionnelle de 1867, qui confère au Parlement fédéral un pouvoir législatif à l’égard du « recensement et [des] statistiques », n’assujettit les défendeurs à aucune obligation. L’article 91 énumère simplement les catégories de sujets auxquelles l’autorité législative exclusive du Parlement du Canada est accordée; il n’impose pas d’obligations au gouvernement ou à ses ministres. Qui plus est, le simple fait pour les demandeurs de pouvoir envisager une autre méthode de comptabilité budgétaire, qu’ils favorisent, ne signifie pas pour autant que les méthodes actuelles sont inconstitutionnelles.

 

[55]           S’agissant des autres manquements ou des lacunes constitutionnelles de la Loi sur la Banque, les défendeurs estiment que les demandeurs ont allégué que l’article 24 n’a rien à voir avec la tenue des procès-verbaux par la Banque (et, quoi qu’il en soit, les demandeurs font valoir que le Parlement a permis au gouverneur de prendre les mesures qu’ils contestent) et que les demandeurs n’ont pas montré en quoi l’article 30.1 a une incidence sur leurs droits.

 

[56]           S’agissant des violations de la Charte, les défendeurs affirment que le demandeur doit « établir à tout le moins qu’il y a menace de violation, sinon violation réelle » d’un droit garanti par la Charte pour avoir gain de cause (Operation Dismantle Inc., précité, au paragraphe 7), et que la déclaration des demandeurs ne présente aucune possibilité raisonnable à cet égard.

 

[57]           Les défendeurs affirment que l’allégation des demandeurs fondée sur l’article 15 doit être rejetée parce que les actes de procédure ne révèlent pas qu’il y a eu une différence de traitement entre les demandeurs et d’autres personnes et parce qu’ils n’ont pas, non plus, indiqué un motif énuméré ou analogue sur lequel fonder une différence de traitement : Andrews c Law Society of British Columbia, [1989] 1 RCS 143; Boulter c Nova Scotia Power Incorporation, 2009 NSCA 17 aux paragraphes 72 et 73). Il n’existe aucun groupe de comparaison pertinent parce que la déclaration est présentée au nom de tous les Canadiens. Dans l’arrêt Withler, la Cour suprême a réaffirmé le principe selon lequel l’égalité est un concept comparatif : Withler, précité, aux paragraphes 63 et 64. Ainsi que l’a fait observer le protonotaire, « [p]ourvu que le gouvernement fédéral traite sur un pied d’égalité tous les gens qui se trouvent au Canada, il ne fait pas preuve de discrimination » : Richardson, précité, au paragraphe 161 (souligné dans l’original). De plus, les demandeurs n’ont pas exposé les faits leur permettant d’établir que l’action contestée de l’État a créé des stéréotypes ou la perpétuation d’un préjudice historique, ce qui est exigé selon le critère prévu à l’article 15 (Withler, précité, aux paragraphes 51 et 53) et fait intervenir le recours prévu par la disposition (Law c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 RCS 497, au paragraphe 47). Selon les défendeurs, le fait pour tous les citoyens et résidents canadiens d’être considérés comme un groupe victime de préjudice et de stéréotypes, historiquement ou actuellement, est contraire à l’objet même de la Charte.

 

[58]           En outre, la déclaration est rédigée en termes vraiment très généraux et ne révèle aucun fait substantiel démontrant un lien causal entre l’une des actions des défendeurs et les préjudices qui auraient été causés aux demandeurs violant les protections garanties par la Charte. Ils allèguent que cette affirmation s’applique aux déclarations fondées sur les articles 15 et 7.

 

[59]           Selon les défendeurs, le protonotaire avait raison de conclure à l’absence de lien causal reliant les politiques économiques et les actions contestées du gouvernement à une violation de l’article 7. En outre, aucun « fait "apportant une preuve" » n’a été allégué, qu’il s’agisse de faits « réels ou intangibles » (voir Operation Dismantle Inc., précité, au paragraphe 78), qui permettrait d’établir un tel lien causal, et il n’existe aucune possibilité réelle d’établir de tels faits. Il ne s’agit pas d’une déclaration où la loi ou l’État empêchent une personne de faire des « choix personnels fondamentaux » ‑ une catégorie limitée de choix ‑, et il serait inopportun de tenir le gouvernement responsable du préjudice causé par un tiers qui n’est aucunement un mandataire de l’État (Blencoe, précité, aux paragraphes 49, 54 et 59). À tout le moins, une allégation fondée sur l’article 7 doit « découler d’une mesure gouvernementale emportant des conséquences juridiques, à savoir une mesure qui, en soi, prive le demandeur du droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de sa personne » : Gosselin, précité, au paragraphe 213. La Cour d’appel fédérale a récemment affirmé que la Charte ne confère aucun droit constitutionnel distinct à des soins de santé : (Toussaint c Canada (Procureur général), 2011 CAF 213, aux paragraphes 77 et 78), et la prestation de soins de santé et l’éducation sont, dans tous les cas, des responsabilités provinciales. Les demandeurs ont mal interprété l’arrêt Chaoulli, où il a été conclu que c’était l’action de l’État (dispositions interdisant de souscrire une assurance privée pour des services de santé déjà assurés par l’État) qui violait l’article 7 et la Charte québécoise : Chaoulli, précité, aux paragraphes 45 (motifs de la juge Deschamps) et 102 (motifs de la juge en chef McLachlin et des juges Major et Bastarache).

 

[60]           Les défendeurs disent que le protonotaire a aussi eu raison de conclure que la demande ne relevait pas de la compétence des tribunaux. Les questions en litige dans la déclaration sont de nature essentiellement politique et soulèvent des considérations économiques de nature générale. Le protonotaire a eu raison de conclure que l’article 18 de la Loi sur la Banque est une disposition facultative et qu’il n’y a pas d’impératif législatif de consentir des prêts sans intérêt pour des « dépenses en capital humain ». Les conclusions sollicitées, sous forme de jugement déclaratoire, ont une portée illimitée et sont étayées par des énoncés généraux plutôt que des faits substantiels, et donnent lieu à des décisions qui dépassent de loin le cadre de révision par un tribunal. Il n’y a pas de critères juridiques objectifs qui puissent être appliqués à des faits substantiels par un tribunal : Canada c Chiasson, 2003 CAF 155, au paragraphe 8; Ami(e)s de la Terre, précité, au paragraphe 33. Cette absence de critères juridiques objectifs se reflète dans toute la déclaration, et celle-ci est si générale et si vaste qu’elle est irrecevable. Il n’est pas possible de cerner ses paramètres d’une manière concrète et, par conséquent, elle n’est pas gérable sur le plan judiciaire : Chaudhary c Canada, 2010 ONSC 6092, au paragraphe 17.

 

[61]           Les défendeurs prétendent qu’« il appartient indubitablement au gouvernement, et non aux tribunaux, de diriger l’environnement économique national » (Archibald c Canada, [1997] 3 CF 335, au paragraphe 83), et il n’appartient pas à la magistrature « d’évaluer l’efficacité ou la sagesse des diverses stratégies gouvernementales adoptées pour résoudre des problèmes économiques urgents » (AFPC c Canada, [1987] 1 RCS 424, au paragraphe 36). Dans leur déclaration, les demandeurs invitent la Cour à réécrire les processus qui régissent la Banque du Canada et la participation du Canada au sein de groupes financiers et monétaires internationaux et d’imposer au gouvernement et à la Banque les positions économiques prônées par les demandeurs. Cette demande ne respecte pas les limites appropriées de l’intervention judiciaire. La question de savoir si une politique est [traduction] « fausse tant sur le plan financier qu’économique » n’en est pas une que les tribunaux doivent trancher; il s’agit plutôt d’une question qui relève du gouvernement, conformément au mandat que lui a confié l’électorat.

 

[62]           À la lumière de ce qui précède, les défendeurs affirment que le protonotaire a eu raison de conclure que les lacunes dans la déclaration atteignent l’essence de celle-ci et ne peuvent pas être rectifiées. Il a donc eu raison de la radier dans son intégralité et de ne pas autoriser que de telles lacunes soient modifiées.

 

ANALYSE

[63]           Les demandeurs affirment qu’ils n’aiment pas la façon dont les objectifs initiaux de la Loi sur la Banque ont été contournés et ignorés. Ils allèguent un complot impliquant les défendeurs, leurs fonctionnaires et différentes institutions internationales [traduction] « visant à rendre inopérante la Loi sur la Banque, de même que la souveraineté canadienne en matière de politique financière, monétaire et socio-économique et en fait à contourner la souveraineté du Canada, figurant dans son Parlement, par des systèmes bancaires et financiers […] ».

 

[64]           Ce sont là des allégations sérieuses concernant des éléments complexes et d’une grande portée en matière de politique et de gouvernance socio-économique du Canada et ses fondements constitutionnels. Ce que les demandeurs affirment à propos de l’usage abusif, ou du non-usage, de la Loi sur la Banque peut bien sembler logique sur le plan économique et social, quoique de telles affirmations susciteront forcément un vif désaccord. Il n’appartient pas à la Cour, cependant, d’évaluer et de trancher des questions générales de politique socioéconomique. Le rôle de la Cour est de décider si les allégations des demandeurs reposent sur des fondements factuels et juridiques ou, plus précisément dans le cas d’une requête en radiation fondée sur l’article 221 des Règles, si les allégations formulées dans la déclaration des demandeurs présentent une possibilité raisonnable de succès ou s’il est évident et manifeste, à la lumière des faits allégués, que la demande ne peut être accueillie.

 

[65]           Selon le protonotaire Aalto, il était évident et manifeste qu’il n’y avait aucune possibilité raisonnable que la demande soit accueillie. Il a donc radié la déclaration et ce, sans autorisation qu’elle soit modifiée parce qu’il croyait que la demande ne relevait pas de la compétence des tribunaux.

 

L’article 221 des Règles et le droit

[66]           Je constate que les parties ne sont pas en désaccord quant au droit applicable à la présente requête. Elles ne s’entendent pas sur la façon de l’appliquer à la déclaration.

 

[67]           Comme le protonotaire Aalto l’a souligné dans ses motifs du 9 août 2013, la Couronne a présenté la requête en radiation en invoquant les motifs suivants :

i)                    la déclaration ne révèle aucune cause d’action valable à l’encontre des défendeurs, ou à l’encontre d’un défendeur en particulier;

 

ii)                  la déclaration est scandaleuse, frivole ou vexatoire;

 

iii)                la déclaration constitue un abus de procédure;

 

iv)                la déclaration ne révèle pas de faits qui pourraient démontrer que l’action ou l’inaction des défendeurs, ou de l’un d’entre eux, aurait entraîné la violation des droits des demandeurs au titre de la Charte ou de la Constitution;

 

v)                  le lien causal entre, d’une part, l’action ou inaction alléguée des défendeurs ou de l’un d’entre d’eux et, d’autre part, la violation alléguée des droits des demandeurs, est trop incertain et hypothétique pour étayer une cause d’action;

 

vi)                dans leur déclaration, les demandeurs sollicitent le règlement judiciaire de questions qui ne relèvent pas de la compétence des tribunaux;

 

vii)              la déclaration soulève des questions qui échappent à la compétence de la Cour fédérale;

 

viii)            les demandeurs n’ont pas, collectivement ou individuellement, qualité pour déposer la déclaration de plein droit et, de plus, les demandeurs ne répondent pas, collectivement ou individuellement, aux critères pour avoir qualité d’agir dans l’intérêt public;

 

 

 

[68]           Le protonotaire Aalto a également fourni un résumé des principes juridiques que la Cour doit appliquer dans une requête en radiation, que je fais mien afin de les intégrer dans mes motifs :

Analyse

 

[41]      En examinant ces positions opposées, il faut garder à l’esprit que le critère pour radier une action est exigeant. L’action ne doit avoir aucune chance d’être accueillie et – ainsi qu’il a été signalé précédemment – étant donné qu’il s’agit d’une cause d’action inédite, elle n’est pas automatiquement rejetée.

 

[renvoi omis]

 

[42]      La Cour suprême du Canada a récemment résumé les principes qui s’appliquent à une requête en radiation. Dans R c Imperial Tobacco Canada Ltée, la juge en chef, qui a rédigé l’arrêt au nom de la Cour, a formulé les observations suivantes concernant une requête en radiation :

 

17. Les parties conviennent du critère applicable à la radiation d’une demande pour absence de cause d’action raisonnable en vertu de l’al. 19(24)a) des Supreme Court Rules de la Colombie-Britannique. La Cour a réitéré ce critère à maintes reprises : l’action ne sera rejetée que s’il est évident et manifeste, dans l’hypothèse où les faits allégués seraient avérés, que la déclaration ne révèle aucune cause d’action raisonnable : Succession Odhavji c. Woodhouse, 2003 CSC 69 (CanLII), 2003 CSC 69, [2003] 3 R.C.S. 263, par. 15; Hunt c. Carey Canada Inc., 1990 CanLII 90 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 959, p. 980. Autrement dit, la demande doit n’avoir aucune possibilité raisonnable [page 67] d’être accueillie. Sinon, il faut lui laisser suivre son cours : voir généralement Syl Apps Secure Treatment Centre c. B.D., 2007 CSC 38 (CanLII), 2007 CSC 38, [2007] 3 R.C.S. 83; Succession Odhavji; Hunt; Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada, 1980 CanLII 21 (CSC), [1980] 2 R.C.S. 735.

 

[renvoi omis]

 

[...]

 

21. Quoique très utile, la requête en radiation ne saurait être accueillie à la légère. Le droit n’est pas immuable. Des actions qui semblaient hier encore vouées à l’échec pourraient être accueillies demain. Avant qu’une obligation générale de diligence envers son prochain reposant sur la prévisibilité soit reconnue dans l’arrêt Donoghue c. Stevenson, [1932] A.C. 562 (H.L.), peu de gens auraient pu prévoir qu’une entreprise d’embouteillage puisse être tenue responsable, en l’absence de tout lien contractuel, du préjudice corporel et du traumatisme émotionnel causé par la découverte d’un escargot dans une bouteille de bière de gingembre. Avant l’arrêt Hedley Byrne & Co. c. Heller & Partners, Ltd., [1963] 2 All E.R. 575 (H.L.), l’action en responsabilité délictuelle pour déclarations inexactes faites par négligence aurait paru vouée à l’échec. L’histoire de notre droit nous apprend que souvent, des requêtes en radiation ou des requêtes préliminaires semblables, à l’instar de celle présentée dans Donoghue c. Stevenson, amorcent une évolution du droit. Par conséquent, le fait qu’une action en particulier n’a pas encore été reconnue en droit n’est pas déterminant pour la requête en radiation. Le tribunal doit plutôt se demander si, dans l’hypothèse où les faits allégués seraient avérés, il est raisonnablement possible que l’action soit accueillie. L’approche doit être généreuse et permettre, dans la mesure du possible, l’instruction de toute demande inédite, mais soutenable.

 

[...]

 

25. La question de la conjecture est liée à la question de savoir si la requête devrait être rejetée en raison de la possibilité qu’une nouvelle preuve apparaisse éventuellement. Le juge saisi d’une requête en radiation se demande s’il existe une possibilité raisonnable que la demande soit accueillie. Dans le monde de la conjecture abstraite, il existe une probabilité mathématique qu’un certain nombre d’événements se produisent. Ce n’est pas ce que le critère applicable aux requêtes en radiation cherche à déterminer. Il suppose plutôt que la demande sera traitée de la manière habituelle dans le système judiciaire — un système fondé sur le débat contradictoire dans lequel les juges sont tenus d’appliquer le droit (et son évolution) énoncé dans les lois et la jurisprudence. Il s’agit de savoir si, dans le contexte [page 70] du droit et du processus judiciaire, la demande n’a aucune possibilité raisonnable d’être accueillie.

 

[43]      Voilà les principes qu’il faut appliquer à la présente requête. Est-ce que les diverses réclamations ont une chance d’être accueillies?

 

 

L’assujettissement à la compétence des tribunaux

[69]           Au cœur de la décision du protonotaire Aalto réside la conclusion que la demande présentée des demandeurs ne relève pas de la compétence des tribunaux. Il convient d’examiner attentivement les motifs du protonotaire, car l’assujettissement à la compétence des tribunaux est également la principale question en litige que je dois trancher.

 

Est-ce que la déclaration est justiciable?

 

[62]      Comme l’a signalé la Couronne dans ses observations, la justiciabilité d’une affaire concerne la question de savoir si elle se prête à une décision judiciaire. La justiciabilité a trait à la question soumise à la cour de justice, à son mode de présentation et l’à‑propos d’une décision judiciaire.

 

[renvoi omis]

 

[63]      La présente déclaration vise des questions relatives à la politique économique et au domaine socio-économique. Il n’en découle pas, en soi, que la déclaration n’est pas justiciable. Cela dépend de l’interprétation des lois et des obligations imposées par ces lois. Comme l’a noté le juge Barnes dans Ami(e)s de la Terre :

 

[…]

 

[64]      Les questions en litige dans la présente déclaration sont « de nature essentiellement politique », dans la mesure où elles exigent un examen de la politique économique et où la réparation sollicitée obligerait le gouvernement du Canada à prendre certaines mesures visant des [traduction] « prêts sans intérêt » pour des dépenses en [traduction] « capital humain ». Quel critère juridique objectif pourrait-on appliquer pour interpréter ces dispositions lorsque les questions économiques soulevées relèvent de la politique gouvernementale? Il se peut que le COMER conteste la politique, mais la Cour n’est pas la tribune qui convient pour indiquer au gouvernement de modifier cette politique s’il n’y a pas d’impératif législatif. L’article 18 de la Loi sur la Banque est une disposition facultative dans la mesure où elle établit les attributions que la Banque « peut » exercer. Ainsi, l’exercice des attributions prévues par la Loi sur la Banque relève du choix et dépend de questions relatives à la politique gouvernementale. Il n’existe pas d’obligation de consentir des [traduction] « prêts sans intérêt pour investir dans le capital humain ».

 

[65]      À mon avis, il y a une certaine similarité entre la présente déclaration et l’affaire Ami(e)s de la Terre. Il s’agit d’une affaire « de nature essentiellement politique » qui relève du Parlement et qui, par conséquent, n’est pas justiciable. La déclaration s’échoue sur les hauts-fonds de la justiciabilité. Comme l’a signalé Lorne Sossin :

[traduction]

 

Que ce soit de manière normative ou positive, « l’à‑propos » d’une intervention judiciaire est devenu l’approximation la plus courante de la notion de justiciabilité […] Non seulement l’à-propos comporte à la fois des éléments normatifs et positifs, mais il reflète en outre une connaissance à la fois des capacités et de la légitimité du processus judiciaire […] Bien que la justiciabilité fera renvoi à un ensemble de questions variées et en constante évolution, en fin de compte, la seule chose qu’on puisse affirmer avec assurance est qu’il y aura toujours, et qu’il devrait toujours y avoir, une ligne de démarcation entre ce que les cours de justice devraient et ne devraient pas trancher, et de plus, que cette ligne de démarcation devrait correspondre à des principes prévisibles et cohérents.

 

[renvoi omis]

 

 

[66]      Les observations écrites de la Couronne présentent succinctement la question et les problèmes associés à la déclaration :

[traduction]

53.       Cette absence d’obligation prévue par la loi ou la Constitution se constate à nouveau en ce qui concerne l’allégation selon laquelle les relations du Canada avec divers États et organisations internationales ont des répercussions néfastes sur l’économie canadienne. D’après la déclaration, les représentants du gouvernement sont [traduction] « à divers degrés de connaissance et d’intention, impliqués dans un complot » avec des groupes tels que la BRI, le CSF et le FMI, en vue de [traduction] « rendre inopérante la Loi sur la Banque du Canada ». Il est soutenu que de telles activités intergouvernementales constituent une violation directe et manifeste de la Loi, étant donné que [traduction] « les politiques monétaire et financière [fédérales] sont en fait, dans une large mesure, dictées par des intérêts bancaires et financiers privés étrangers ». Il est affirmé, entre autres, que cette violation alléguée découlerait de [traduction] « la perte de souveraineté sur les décisions visant l’activité bancaire, la politique monétaire, la politique économique [et] la politique sociale », ainsi que de [traduction] « l’écart sans cesse croissant entre les riches et les pauvres au Canada ».

 

[54]      L’absence de critères juridiques objectifs qui permettraient de trancher les allégations est un problème qui se manifeste tout au long de la déclaration et qui touche de nombreuses questions : les activités comptables, la tenue de procès-verbaux à la BRI et au CSF, les crédits d’impôt, l’engagement social et la location d’édifices du gouvernement fédéral. De plus, la déclaration ne peut être traitée. La déclaration est si générale et si vaste qu’il n’est pas possible de cerner ses paramètres d’une manière concrète et, par conséquent, elle n’est pas gérable sur le plan judiciaire.

 

[...]

 

[56]      Les demandeurs sont préoccupés par la façon dont le Canada élabore et met en œuvre la politique fiscale, la politique monétaire et la participation canadienne aux organisations internationales. Comme nous l’avons signalé, la déclaration ne porte pas sur des facettes précises des lois, mais plutôt sur des questions abstraites se rapportant à la gouvernance de la Banque du Canada et au rôle des marchés mondiaux.

 

[...]

 

[62]      Les questions que les demandeurs tentent de porter en justice sont précisément du type considéré comme ne se prêtant pas à l’intervention des tribunaux canadiens. Au lieu de signaler des mesures ou politiques précises régies par la Loi, la déclaration demande à la Cour de réécrire les processus qui régissent la Banque du Canada et la participation du Canada au sein de groupes tels que la BRI, le CSF et le FMI. La déclaration demande à la Cour d’imposer au gouvernement et à la Banque du Canada les positions économiques prônées par les demandeurs.

 

[63]      Les demandeurs reconnaissent qu’ils s’intéressent principalement aux politiques : [traduction] « les politiques telles que les taux d’intérêt et d’autres politiques établies par la Banque du Canada », alléguant que ces dernières sont établies [traduction] « en consultation avec » ou [traduction] « selon les directives » du CSF et des organisations connexes. De manière plus générale, les demandeurs mettent l’accent sur [traduction] « les politiques monétaire et financière » (et les [traduction] « politiques économique et sociale connexes ») qui, de l’avis des demandeurs, sont défaillantes dans la mesure où elles sont [traduction] « dictées par des intérêts bancaires et financiers privés étrangers ». Cette demande ne respecte pas les limites appropriées de l’intervention judiciaire. La question de savoir si une politique est [traduction] « fausse tant sur le plan financier qu’économique » n’en est pas une que la magistrature doit trancher; il s’agit plutôt d’une question qui incombe au gouvernement, conformément au mandat que lui a confié l’électorat.

 

[67]      Les renvois ont été omis des paragraphes ci-dessus, mais un examen des décisions citées confirme les observations.

 

[renvoi omis]

 

[68]      La position du COMER selon laquelle les questions sont justiciables repose sur des arrêts tels que Chaoulli c Québec (Procureur général), Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C‑B), Renvoi : Loi anti-inflation et Renvoi : Résolution pour modifier la Constitution. Tous ces arrêts sont cités à l’appui de la thèse selon laquelle les cours de justice n’ont pas hésité à se prononcer sur des questions qui mettent en jeu l’interprétation des lois ou les droits et devoirs constitutionnels. Tout ce qu’il faut pour que la Cour reçoive la déclaration, c’est que les « questions posées présentent un aspect suffisamment juridique pour justifier l’intervention des tribunaux ». De plus, l’arrêt Chaouilli est cité à l’appui de la thèse selon laquelle « [r]ien dans notre régime constitutionnel ne soustrait les questions politiques au contrôle judiciaire devant une allégation de violation de la Constitution elle‑même ».

 

[renvoi omis]

 

[69]      Le COMER soutient que le litige ne porte pas sur la politique socio-économique et la question de savoir si elle est juste, mais plutôt sur la question de savoir si la mise en œuvre des dispositions de la Loi sur la Banque viole ou non les droits du COMER.

 

[70]      En fin de compte, je ne suis pas convaincu que la déclaration est justiciable. La déclaration met l’accent sur des questions telles que les suivantes : la décision du ministre serait [traduction] « erronée tant sur le plan financier qu’économique » (paragraphe 21); certaines provinces reçoivent plus de prêts sans intérêt que d’autres (paragraphe 21d)); les décisions sont basées sur [traduction] « le raisonnement selon lequel de tels prêts accroîtraient les déficits annuels » (paragraphe 24); [traduction] « il est reconnu depuis longtemps que les dépenses et les investissements consacrés au capital humain sont les dépenses et les investissements les plus productifs qu’un gouvernement puisse faire », etc. Ces quelques exemples tirés de la déclaration – et il y a en a de nombreux autres – relèvent du domaine de l’élaboration des politiques, et non du domaine juridique.

 

 

[70]           Certes, la déclaration est inédite et ambitieuse. Les demandeurs accusent le Parlement et les fonctionnaires fédéraux, notamment le ministre des Finances, d’abdiquer leurs obligations constitutionnelles et d’avoir cédé leurs pouvoirs à des entités privées internationales, dont les intérêts et les directives ont désormais préséance sur les intérêts des Canadiens et sur la primauté de la Constitution canadienne. Toutefois, le caractère inédit et ambitieux d’une demande, ainsi que l’a précisé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Imperial Tobacco, précité, ne constitue pas un motif de radiation.

 

[71]           Le protonotaire Aalto a jugé que la demande ne relevait pas de la compétence des tribunaux parce qu’elle était trop « de nature essentiellement politique » et qu’aucun critère juridique ne pouvait s’appliquer pour évaluer et orienter la politique du gouvernement. Voici ce qu’il a dit :

Il se peut que le COMER conteste la politique, mais la Cour n’est pas la tribune qui convient pour indiquer au gouvernement de modifier cette politique s’il n’y a pas d’impératif législatif. L’article 18 de la Loi sur la Banque est une disposition facultative dans la mesure où elle établit les attributions que la Banque « peut » exercer. Ainsi, l’exercice des attributions prévues par la Loi sur la Banque relève du choix et dépend de questions relatives à la politique gouvernementale. Il n’existe pas d’obligation de consentir des [traduction] « prêts sans intérêt pour investir dans le capital humain ».

 

[72]           Ce paragraphe démontre clairement que le protonotaire a décidé, pour tirer sa conclusion sur l’assujettissement à la compétence des tribunaux, que la Loi sur la Banque commandait une interprétation souple, et que son article 18 en particulier est une disposition facultative. Ainsi, le raisonnement contraire donnerait à croire que, si la Loi sur la Banque contenait un « impératif législatif », l’affaire pourrait fort bien relever de la compétence la Cour. Toute la portée de la Loi sur la Banque et ce qu’elle exige du Canada et des ministres et fonctionnaires qui agissent ‑ ou s’abstiennent d’agir ‑ conformément à la Loi sur la Banque, sont au cœur du présent différend. Par conséquent, pour tirer ses conclusions quant au non-assujettissement de l’affaire à la compétence des tribunaux, le protonotaire s’est prononcé sur la principale question de droit en jeu dans la présente instance. Je ne retiens pas l’argument des demandeurs selon lequel l’interprétation d’une loi n’est pas autorisée dans le cadre d’une requête en radiation. Toutefois, l’arrêt Les Laboratoires Servier c Apotex Inc., 2007 CF 837, nous apprend qu’il est préférable qu’une question complexe d’interprétation de la loi soit débattue à l’instruction, et le fait qu’une question soit litigieuse ne la rend pas nécessairement complexe. Le protonotaire Aalto a estimé que le verbe « peut » employé à l’article 18 avait un sens littéral évident sur lequel il pouvait se prononcer dans le cadre d’une requête en radiation. Je m’écarte de la conclusion que le protonotaire a tirée relativement à l’assujettissement à la compétence des tribunaux parce que, en plus d’avoir allégué des manquements à la Loi sur la Banque, les demandeurs ont fait reposer leur déclaration sur d’autres violations constitutionnelles et parce que, même si l’article 18 de la Loi sur la Banque est une disposition facultative, il ne permet pas de nous prononcer sur les allégations de transfert inapproprié de responsabilités à des institutions internationales. L’octroi d’une faculté s’exprime habituellement par le verbe « peut », mais il n’en est pas toujours ainsi, et il est nécessaire que la Cour entende une argumentation juridique exhaustive à l’égard d’un dossier de preuve complet avant qu’elle puisse statuer sur ce que la Loi sur la Banque exige du gouvernement et des personnes chargées d’appliquer et d’interpréter cette loi. Ainsi que l’a souligné la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dumont, précité,

Il semblerait que les questions relatives à l’interprétation qu’il faut donner aux dispositions applicables […] et à l’effet qu’a sur elles la mesure législative accessoire seraient mieux tranchées en première instance où il est possible d’établir un bon fondement factuel.

 

[73]           À mon avis, lorsque la Cour suprême du Canada a dit (dans l’arrêt Imperial Tobacco, précité) qu’« [i]l s’agit de savoir si, dans le contexte du droit et du processus judiciaire, la demande n’a aucune possibilité raisonnable d’être accueillie », elle ne voulait pas inciter la Cour à se prononcer, dans le cadre d’une requête en radiation, sur des points d’interprétation de la loi avant la présentation de la preuve et avant d’entendre l’argumentation juridique complète reposant sur cette preuve. Toutefois, il est fort possible que, à un moment opportun durant la présente instance, cette question importante fera l’objet d’un jugement sommaire.

 

[74]           En outre ‑ et j’estime que la déclaration l’indique clairement ‑, les demandeurs contestent et remettent manifestement en question certaines décisions stratégiques de nature socioéconomique, prises par le gouvernement et d’autres entités, au titre de la Loi sur la Banque. De même, il est évident que les demandeurs souhaiteraient que le gouvernement et d’autres entités fassent des choix stratégiques plus conformes au point de vue des demandeurs quant à l’interprétation et à l’application de la Loi sur la Banque. J’estime cependant que la principale mesure de réparation sollicitée dans la présente déclaration (le jugement déclaratoire) ne requiert pas de la Cour qu’elle se prononce sur des choix stratégiques opposés. Elle requiert de la Cour qu’elle évalue si le Canada ainsi que les ministres et les fonctionnaires identifiés ont agi, et continuent d’agir, conformément à la Loi sur la Banque et à leurs obligations constitutionnelles. Autrement dit, j’estime que la déclaration présente un aspect suffisamment juridique qui permettra à la Cour d’évaluer la conduite du gouvernement à l’égard de la Loi sur la Banque et la Constitution sans avoir à examiner la politique.

 

[75]           La difficulté de définir la limite entre ce qu’un tribunal devrait et ne devrait pas juger surviendra à diverses reprises dans une affaire comme celle qui nous occupe. Or, la question qui se pose n’est pas celle de savoir si la Cour devrait obliger le gouvernement et la Banque à adopter les positions économiques prônées par les demandeurs. La Cour ne tranchera pas non plus la question de savoir si une politique particulière est « erronée tant sur le plan financier qu’économique », bien que ce type d’accusation figure dans la déclaration. À mon avis, on demande à la Cour de décider si certaines politiques et lois sont conformes à la Loi sur la Banque et à la Constitution. Si l’assujettissement à la compétence des tribunaux est une question d’« à-propos », la Cour est la tribune qui convient pour la trancher. En fait, la Cour le fait tout le temps. La Cour suprême du Canada a clairement indiqué que ni le Parlement ni le pouvoir exécutif ne peuvent abdiquer leurs fonctions (voir Wheat Board, précité) et que le pouvoir exécutif et d’autres acteurs et institutions du gouvernement sont liés par les normes constitutionnelles. (Voir Renvoi relatif à la sécession du Québec, précité, et Khadr, précité.)

 

[76]           En ce qui a trait au jugement déclaratoire sollicité dans la présente déclaration, je suis d’avis que les questions soulevées pourraient relever de la compétence des tribunaux et qu’il convient qu’elles soient examinées par la Cour. Si les demandeurs franchissent la ligne qui sépare les domaines juridique et politique, la Cour les rappellera à l’ordre. Le fait pour la Cour de déclarer que le gouvernement, le gouverneur ou le ministre devrait appliquer une politique particulière et le fait de déclarer que la politique ou les politiques qu’ils ont appliquées sont conformes à la Loi sur la Banque et à la Constitution sont deux choses différentes. Les faits sont allégués relativement à ces questions. Sous réserve de ce que j’ai à dire à propos d’autres parties de la déclaration, les demandeurs devraient être autorisés à poursuivre leur demande, à produire leur preuve et à présenter leurs arguments. J’estime qu’on ne saurait dire qu’il est évident et manifeste, en se fondant sur les faits allégués, que l’action ne saurait être accueillie en ce qui concerne cette partie de la déclaration. Et même si l’article 18 de la Loi sur la Banque est interprété comme étant une disposition purement facultative, cette interprétation ne permet pas de trancher la question soulevée dans la déclaration selon laquelle le Canada a rendu inutiles des aspects essentiels de la Loi sur la Banque et a contourné ou abdiqué des obligations constitutionnelles en se subordonnant lui-même à des institutions internationales privées.

 

Allégations fondées sur la responsabilité civile délictuelle

[77]           Quant aux allégations, en matière de responsabilité civile délictuelle, de faute dans l’exercice d’une charge publique et de complot, je suis entièrement d’accord avec le protonotaire Aalto sur ces questions. Ces parties de la déclaration devraient être radiées. Elles ne sont pas formulées d’une manière qui respecte les règles applicables aux actes de procédure. Toutefois, puisque je suis d’avis que la demande relève de la compétence des tribunaux, j’estime que les demandeurs doivent avoir l’occasion de modifier cette partie de leur déclaration.

 

Allégations fondées sur la Charte

[78]           Les allégations des demandeurs fondées sur la Charte sont inédites et comportent de nombreuses difficultés. Les demandeurs affirment que les actions ultra vires du ministre et de la Banque portent atteinte aux droits de tous les Canadiens, mais comme on peut le voir clairement à la lecture du paragraphe 47 de la déclaration, ils présentent les droits qui sont violés de manière abstraite et leurs allégations ne sont pas étayées par la preuve. Il est impossible de présenter une défense contre ce genre d’allégations et de les gérer dans le cadre d’une poursuite judiciaire parce que, dans leur forme actuelle, elles ne sont rien de plus qu’un débat abstrait. Les demandeurs affirment qu’ils se fondent sur des éléments de preuve qu’ils les produiront au procès, mais cela ne résout pas le problème. Les défendeurs doivent savoir, de façon beaucoup plus claire que ce qui est actuellement allégué et avec les faits pertinents à l’appui, en quoi il a été porté atteinte aux droits des demandeurs et de « tous les autres Canadiens ». Le paragraphe 47, tel que rédigé actuellement, appuie la thèse des défendeurs selon laquelle les demandeurs intentent une poursuite judiciaire pour engager un débat politique sur ce qui constitue une politique socioéconomique appropriée pour l’ensemble du pays. Il serait utile que les demandeurs allèguent des faits qui étayent une atteinte à leurs droits.

 

[79]           Au paragraphe 47a) de leur déclaration, les demandeurs allèguent des faits relativement à l’article 7 de la Charte et indiquent que « la réduction, l’élimination et/ou le retard fatal dans les domaines des soins de santé, de l’éducation et d’autres dépenses et services liés au capital humain […] » portent atteinte aux droits garantis par l’article 7. Toutefois, ces allégations n’expliquent aucunement ce qui arrivé aux demandeurs en particulier (on peut supposer que si M. Krehm et Mme Emmett avaient subi un « retard fatal dans les domaines des soins de santé », ils ne seraient pas là pour présenter leur demande), et n’explique pas qui sont les Canadiens dont les droits garantis par l’article 7 ont été effectivement été violés. Si « tous les autres Canadiens » ont subi une réduction, une élimination et/ou un retard fatal dans les domaines des soins de santé, de l’éducation et d’autres dépenses et services liés au capital humain, il faudra alléguer les faits étayant une telle affirmation, sinon le libellé actuel des allégations forcera les défendeurs à interroger « tous les autres Canadiens » avant de présenter leur défense pour savoir si « tous les autres Canadiens » ont subi une violation des droits garantis par l’article 7.

 

[80]           Dans les observations qu’il a présentées de vive voix, l’avocat des demandeurs donnait un peu plus de précisions sur la façon dont les articles 7 et 15 entrent en jeu dans la présente demande. Par exemple, il a dit que les droits des Canadiens garantis par l’article 15 ont été violés parce que les défendeurs ont favorisé des institutions internationales privées, au détriment des Canadiens. À mon avis, c’est une application inédite de l’article 15. Bien entendu, il n’y a rien de mal à cela. Toutefois, les explications qui m’ont été fournies par l’avocat à propos de ce que les demandeurs pourraient avoir à l’esprit ne sont pas le propre d’une allégation formulée dans un acte de procédure, et tant que cette formulation ne sera pas adéquate, les défendeurs n’ont aucune idée de la défense qu’ils doivent présenter. L’ingéniosité dont l’avocat a fait preuve lors de l’audience relative à la requête ne peut corriger les lacunes dans les actes de procédure.

 

[81]           Je reprends seulement les remarques faites par le protonotaire Aalto dans ses motifs, qui s’est exprimé sur cette question d’une manière plus concise et plus apte. Je souscris à ce qu’il dit et je fais miens ses propos pour mon évaluation de novo. Il est inutile que je répète son examen des principes juridiques en cause et leur application au présent acte de procédure. J’estime que, si les demandeurs affirment que leurs droits garantis par les articles 7 et 15 de la Charte ont été violés, ils doivent alléguer les faits pour indiquer de quelle manière il a été porté atteinte à leurs droits et comment cette atteinte est liée aux manquements reprochés au ministre et à la Banque. S’ils veulent faire des affirmations qui concernent « tous les autres Canadiens », ils doivent donc alléguer les faits qui étayent ces affirmations et permettre aux défendeurs de comprendre ce qu’ils doivent alléguer en défense. À mon avis, le paragraphe 47 doit être radié dans son intégralité parce que, tel qu’il est rédigé actuellement, il est tout simplement impossible de comprendre quelle incidence ces atteintes auraient eue sur chacun des demandeurs ou sur « tous les autres Canadiens ». Nous ne disposons que d’allégations contestables et abstraites qui ne peuvent être conciliées avec les règles applicables aux actes de procédure. La Cour n’est pas tenue de reconnaître les hypothèses et les conjectures comme étant véridiques. (Voir Operation Dismantle Inc., précité, au paragraphe 27.)

 

Compétence

[82]           Les défendeurs ont soulevé différents arguments quant à la compétence de la Cour fédérale pour se prononcer sur la présente déclaration. L’examen de ces arguments à cette étape-ci du processus présente une certaine difficulté. J’ai conclu que les allégations fondées sur la responsabilité civile délictuelle et celles fondées sur la Charte devaient être radiées, et il n’y a aucune façon de savoir s’il est possible de modifier les actes de procédure pour corriger les lacunes que la Cour a relevées. Autrement dit, on se sait pas clairement, pour l’instant, quel sera le contenu de la déclaration si des modifications acceptables sont apportées.

 

[83]           Le protonotaire Aalto a répondu aux arguments de la Couronne concernant la compétence, mais seulement en ce qui a trait aux allégations fondées sur la responsabilité civile délictuelle. Il estimait que, suivant les articles 2, 17 et 18 de la Loi sur les Cours fédérales,

la formulation est suffisamment large pour englober ces types de réclamations contre des agents fédéraux et des fonctionnaires de la Couronne. Par conséquent, il n’est pas clair et évident que la Cour n’a pas compétence pour instruire les réclamations sollicitant un jugement déclaratoire, comme c’est le cas en l’espèce.

 

[84]           Comme le signale la Couronne, les demandeurs sollicitent dans la déclaration telle que rédigée actuellement plus qu’un jugement déclaratoire. Ils réclament également des dommages-intérêts de 10 000 $ pour chaque demandeur et, si la présente action devait être autorisée comme recours collectif, de 1 $ pour chaque citoyen/résident canadien. Jusqu’à présent, il est impossible de comprendre en quoi chaque demandeur ou citoyen/résident canadien a pu subir des préjudices en raison des violations de nature législative ou constitutionnelle alléguées dans la déclaration, ou en raison d’un complot allégué.

 

[85]           Les demandeurs sollicitent essentiellement dans leur déclaration un jugement déclaratoire contre le ministre, le gouvernement, la Couronne, la Banque, le Parlement et les « fonctionnaires » qui auraient contrevenu à différentes obligations de nature législative et constitutionnelle.

 

[86]           Vu ma conclusion selon laquelle il n’est pas évident et manifeste que le manquement allégué à des obligations de nature législative et constitutionnelle et le jugement déclaratoire sollicité ne relèvent pas de la compétence des tribunaux, tout ce que je peux faire à ce stade-ci est de me prononcer sur la question de savoir si la Cour a compétence pour statuer sur cette partie de la déclaration. Si des modifications sont apportées aux parties radiées de la déclaration, il faudra peut-être réexaminer cette question.

 

[87]           À ce stade-ci des procédures, le paragraphe 17 de la Loi sur les Cours fédérales semble suffisamment large pour conférer à la Cour fédérale une compétence concurrente lorsqu’un jugement déclaratoire est sollicité contre la Couronne. Certes, cela ne met pas pour autant fin à l’affaire, et les défendeurs ont demandé à la Cour d’examiner et d’appliquer le critère relatif à la compétence énoncé dans l’arrêt ITO-Int’l Terminal Operators c Miida Electronics, [1986] 1 RCS 752, à la page 766 [ITO].

 

[88]           Vu que la Cour d’appel fédérale a conclu au paragraphe 12 de l’arrêt Rasmussen c Breau, [1986] 2 CF 500, que la Loi sur les Cours fédérales s’applique seulement aux procédures intentées contre la Couronne elle-même, et non à une société constituée en vertu d’une loi qui agirait à titre de mandataire de la Couronne, il est difficile de concevoir pourquoi la Banque devrait être constituée défenderesse. Toutefois, le principal problème pour trancher la question de la compétence à cette étape-ci, est que les demandeurs n’ont pas encore produit des actes de procédure qui énoncent adéquatement de quelle manière les atteintes de nature législative ou constitutionnelle auraient eu une incidence sur des intérêts privés ou d’une autre nature. Les demandeurs prient la Cour de conclure, sous forme de jugement déclaratoire, que leur interprétation de la Loi sur la Banque et de la Constitution est juste et qu’il y a eu violation. Cela équivaut à demander à la Cour de formuler un avis consultatif, et rien dans la jurisprudence ne me permet de penser que la Cour a la compétence voulue pour tirer une telle conclusion sous forme de jugement déclaratoire.

 

[89]           Les demandeurs sont très vagues sur cette question. Ils soutiennent simplement que la Cour fédérale a compétence pour rendre des jugements déclaratoires se rapportant à des lois telles que la Loi sur la Banque; ils soutiennent en outre qu’elle a compétence sur les fonctionnaires, les tribunaux et les ministres fédéraux. Ils affirment avoir des droits privés à défendre; or, jusqu’à maintenant, et vu que les allégations fondées sur la responsabilité civile délictuelle et sur la Charte doivent être radiées, je ne vois aucun droit privé en cause. En outre, ils allèguent agir au nom de « tous les autres Canadiens », mais là encore, ils n’ont pas encore produit des actes de procédure dans lesquels ils allèguent convenablement de quelle manière les droits de « tous les autres Canadiens » ont été touchés de telle sorte que cela se traduit par une atteinte à un droit individuel ou collectif. Si les droits de tous les Canadiens sont touchés, chacun des demandeurs serait en mesure de décrire, conformément aux règles applicables aux actes de procédure, la façon dont leurs droits individuels ont été atteints, mais, pour l’instant, ils n’ont pas pu le faire.

 

[90]           Il me semble que le fait pour les demandeurs de simplement saisir la Cour d’une procédure dans laquelle ils lui demandent de rendre un jugement déclaratoire portant que leurs interprétations de la Loi sur la Banque et de la Constitution sont justes pose fondamentalement problème, et que c’est la raison pour laquelle ils ont allégué dans leur déclaration des fautes de nature délictuelle et des violations de la Charte. Ils savent qu’ils doivent montrer qu’il y a eu atteinte à des droits individuels; pourtant, ils n’ont même pas encore allégué de quelle manière il a été porté atteinte à leurs propres droits, encore moins à ceux de « tous les autres Canadiens ».

 

[91]           Suivant les principes exposés dans l’arrêt ITO, les demandeurs n’ont cependant pas encore démontré qu’une loi fédérale autorise la Cour à connaître de la déclaration telle que présentée actuellement (c.-à-d. tout simplement déclarer qu’il y a eu atteinte aux lois et à la Constitution, et ce, sans que les actes de procédure décrivent adéquatement la manière dont il a été porté atteinte à un droit ou des intérêts privés et les motifs d’une cause d’action valable), et ils n’ont pas non plus encore invoqué l’existence d’un ensemble de règles de droit fédérales essentiel à la solution du litige qui constitue le fondement d’une telle attribution légale de compétence. Les demandeurs n’invoquent aucun droit précis prévu par la loi et ils n’appuient l’exercice de droits sur aucun cadre de nature législative ou d’une autre nature. Ils peuvent être en mesure de le faire s’ils apportent les modifications nécessaires à leurs actes de procédure. Toutefois, jusqu’à présent, je ne peux voir comment la Cour acquiert la compétence pour rendre le jugement déclaratoire demandé.

 

Qualité pour agir

[92]           Les demandeurs allèguent que, en raison de la conduite délictueuse et inconstitutionnelle des défendeurs et de leurs fonctionnaires, ils ont [traduction] « subi un préjudice, comme il est indiqué ci-dessus, ainsi qu’une diminution des services dans les dépenses en capital humain et les infrastructures, comme tous les autres citoyens/résidents canadiens ».

 

[93]           Ainsi que je l’ai déjà mentionné, tels qu’ils sont rédigés actuellement, les actes de procédures ne permettent pas à la Cour de reconnaître la qualité des demandeurs pour agir dans l’intérêt privé. Les demandeurs affirment qu’ils sont eux-mêmes des acteurs constitutionnels ayant la qualité requise pour reprocher à la Banque et à la Couronne d’avoir, à leur avis, mal appliqué la Loi sur la Banque et d’avoir contrevenu à la Constitution. Ils prétendent s’exprimer au nom de tous les Canadiens, mais le COMER n’a encore rien allégué de plus que le fait d’être un « groupe de réflexion » qui n’est pas d’accord avec l’action et la politique du gouvernement et qui veut que la Cour approuve ses points de vue en rendant un jugement déclaratoire.

 

[94]           De même, les demandeurs allèguent

[traduction]

qu’il a été porté atteinte à l’ordre constitutionnel normatif du fait qu’un préjudice irréparable a été causé à la primauté de la Constitution non seulement fondée sur l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, mais aussi sur les principes qui le sous-tendent.

 

[95]           Dans les actes de procédure, rien n’indique en quoi ces présumés [traduction] « dommages » distinguent les demandeurs des autres Canadiens. Si ces mots sont inquiétants, ils ne signifient, dans le contexte de la déclaration telle qu’elle est actuellement rédigée, rien de plus que tous les Canadiens ont intérêt à ce que la Constitution soit respectée et à ce que les acteurs du gouvernement se conduisent de manière à respecter les obligations constitutionnelles.

 

[96]           S’agissant de la qualité pour agir, le protonotaire Aalto s’est exprimé comme suit :

La qualité pour agir des demandeurs

 

[59]      En ce qui concerne la question de la qualité pour agir, il y a maintenant une multitude de causes qui fixent les paramètres de la qualité pour agir dans un intérêt privé et dans l’intérêt public. Dans une récente décision, soit Syndicat des Métallos c Canada (Citoyenneté et Immigration), le juge Hughes a passé en revue la jurisprudence se rapportant à la qualité pour agir dans l’intérêt public et a ainsi résumé l’approche actuelle :

 

[renvoi omis]

 

[13]      Pour résumer ces précédents, j’estime que la jurisprudence actuelle en matière de qualité pour agir dans l’intérêt public est la suivante :

 

* La Cour doit adopter une approche souple et discrétionnaire.

 

* Trois facteurs guideront la Cour dans son appréciation :

 

* L’affaire soulève‑t‑elle une question justiciable sérieuse?

 

La partie qui a introduit l’instance a‑t‑elle un intérêt réel ou véritable dans son issue?

 

L’instance proposée constitue‑t‑elle une manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la Cour?

 

     * La Cour devrait appliquer les principes de façon libérale et souple dans son examen de l’affaire.

 

 

[60]      En l’espèce, les demandeurs individuels ont qualité pour revendiquer des droits, mais seulement s’il y a eu atteinte à un droit privé et si les demandeurs ont subi un préjudice à la suite de cette atteinte. Bien que les observations et l’argumentation écrites exposent de manière plus détaillée la prémisse sur laquelle se fondent les demandeurs pour affirmer que, compte tenu du processus budgétaire et des exigences constitutionnelles, il y a eu atteinte à leurs droits, il n’est pas clair à la lumière des allégations que ces éléments suffisent pour conférer la qualité pour agir dans un intérêt privé.

 

[61]      Toutefois, en ce qui concerne la qualité pour agir dans l’intérêt public, en adoptant une approche souple, libérale et généreuse aux questions soulevées dans la déclaration, on ne peut affirmer à cette étape-ci que le COMER ne satisfait pas au critère. Si les réclamations sont modifiées suffisamment pour satisfaire aux exigences d’un acte de procédure recevable, les réclamations répondraient au premier volet du critère en soulevant une question sérieuse. Le COMER a un intérêt véritable dans la politique économique. Il ne semble pas y avoir d’autre manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la Cour. Cependant, l’examen de la question de la qualité pour agir n’est pas encore achevé.

 

 

[97]           Je suis d’accord avec le protonotaire Aalto sur ce point. Compte tenu des actes de procédure actuels, on ne peut dire que les demandeurs ont individuellement qualité pour agir, mais dépendamment des modifications qui seront apportées à la déclaration, il se peut que les demandeurs puissent satisfaire aux critères applicables à la qualité pour agir dans un intérêt privé et/ou public.

 

[98]           La question de la qualité pour agir ne devrait pas être tranchée avant que les demandeurs aient eu l’occasion de présenter des modifications, et la Cour pourra se prononcer dans le cadre d’une requête en radiation que présenteront les défendeurs ou lorsqu’elle rendra sa décision quant au fond.

 

Conclusions

[99]           J’estime que le présent appel ne peut être accueilli dans son intégralité. Toutefois, comme j’ai déjà conclu que les allégations de manquement à des obligations de nature législative et constitutionnelle peuvent relever de la compétence des tribunaux si les demandeurs peuvent établir l’existence d’une cause d’action valable en modifiant convenablement leur déclaration, les demandeurs devraient se voir accorder l’autorisation de la modifier.

 

[100]       Compte tenu des motifs que j’ai exposés, les passages suivants de la déclaration doivent être radiés dans leur intégralité :

a.              Paragraphe 1a)(viii);

b.             Paragraphe 1b);

c.              Paragraphe 41;

d.             Paragraphe 47;

e.              Paragraphe 48;

f.              Paragraphe 49.

 

[101]       Si ces paragraphes sont radiés, j’estime que, conformément à l’article 221 des Règles, la déclaration, dans son intégralité, ne révèle aucune cause d’action valable, qu’elle est scandaleuse et vexatoire et qu’elle constitue un abus de procédure. Il se peut que des modifications appropriées puissent corriger ces problèmes. Pour ce motif, la déclaration devrait être radiée dans son intégralité et j’autorise qu’elle soit modifiée.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

1.      L’appel est accueilli en partie. La déclaration modifiée des demandeurs est radiée dans son intégralité.

2.      Les demandeurs ont l’autorisation de modifier leur déclaration modifiée dans les 30 jours suivant la date de la présente ordonnance, à moins que la Cour ne prolonge ce délai, sur le conseil des avocats.

3.      Après le dépôt d’une déclaration modifiée (pour la deuxième fois), les défendeurs pourront de nouveau présenter une requête en radiation.

4.      La présente requête n’ayant été accueillie qu’en partie, aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


 

DOSSIER :

T-2010-11

 

INTITULÉ :

COMMITTE FOR MONETARY AND ECONOMIC REFORM (COMER), WILLIAM KREHM ET ANN EMMETT c SA MAJESTÉ LA REINE, LE MINISTRE DES FINANCES, LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL, LA BANQUE DU CANADA ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            10 DÉCEMBRE 2013

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :

                                                            24 AVRIL 2014

COMPARUTIONS :

Rocco Galati

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Peter Hajecek

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cabinet d’avocats Rocco Galati

Société professionnelle

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

pour les défendeurs

 

 

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